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Mission d’information commune sur la banque publique d’investissement, Bpifrance

Jeudi 26 mars 2015

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 16

Présidence
de Mme Véronique Louwagie,
Présidente

–  Table ronde, ouverte à la presse, sur l’aide aux entreprises en difficulté réunissant M. Patrick Blasselle, président du directoire d’Invest PME, M. Jean-Louis Grevet, président, et M. Franck Kélif, associé, de Perceva, et Mme Muriel Pernin, fondatrice de la société coopérative d’intérêt collectif Les Atelières.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Nous accueillons à présent, dans le cadre d’une table ronde sur l’action en faveur des entreprises en difficulté, deux gestionnaires de fonds d’investissement intervenant dans le retournement, M. Patrick Blasselle, président du directoire d’Invest PME, et M. Jean-Louis Grevet, président de Perceva, accompagné de M. Franck Kelif, ainsi que Mme Muriel Pernin, fondatrice de la société coopérative d’intérêt collectif Les Atelières.

Madame, Messieurs, je vous inviterai tout d’abord à présenter vos activités de façon à nous éclairer sur le point de savoir si la Banque publique d’investissement (BPI) répond à la problématique des entreprises en difficulté.

M. Patrick Blasselle, président du directoire d’Invest PME. Invest PME est une société de gestion agréée par l’Autorité des marchés financiers (AMF), aux normes AIFM (Alternative Investment Fund Managers), et qui a pour actionnaire principal le groupe Siparex. Alors que ce dernier pèse environ un milliard d’actifs sous gestion, Invest PME, représente une cinquantaine de millions d’euros en gestion directe, montant qui devrait passer à soixante-dix millions d’ici à quelques semaines. Nous sommes donc petits, régionaux, et fiers de l’être.

Nous contribuons à l’activité régionale du groupe Siparex, qui se déploie sur plusieurs régions françaises. Invest PME est essentiellement présente dans les régions Bourgogne et Franche-Comté, ainsi que, par le biais d’un fonds national d’amorçage (FNA), en Alsace, aux côtés d’un partenaire, Alsace Capital.

Nous gérons en Bourgogne et en Franche-Comté une large palette d’interventions concernant les PME, entreprises qui sont notre cœur de métier, plutôt que les entreprises de taille intermédiaire (ETI). Cette palette va de l’amorçage à la post-création, au développement, à la transmission, en passant, depuis fin 2009, par la consolidation financière. Nous ne sommes pas à proprement un fonds de retournement mais plutôt un fonds de redéploiement et un fonds de consolidation des entreprises « en difficultés conjoncturelles et surmontables ». Ce dernier terme est de notre invention, mais il est parlant. Il ne s’agit pas d’accompagner des entreprises qui n’ont pas de projet et vont a priori dans le mur, mais des entreprises confrontées à une difficulté financière et qui, pour assurer leur rebond, nécessitent une intervention en haut de bilan. En outre, à la différence d’un fonds de retournement, nous n’apportons pas un nouveau management. Nous sommes en effet toujours minoritaires et nous travaillons avec le management en place, en tentant d’améliorer la gouvernance par l’apport de méthodes de travail et d’outils différents, y compris des méthodes de reporting. Nous ouvrons également des portes.

Notre action repose sur le professionnalisme et la rapidité. Dès lors que nous sommes saisis, nous mettons très rapidement en place une commission des accompagnateurs de ces entreprises, qu’il s’agisse des banques, de la BPI, des régions, voire de l’État par le biais des procédures Cochef, qui permettent l’échelonnement des dettes fiscales et sociales. Notre expérience, en matière de PME, c’est qu’il n’y a de rebond possible que si tout le monde va dans le même sens et si aucun intervenant ne profite d’une opération pour se retirer de l’entreprise. Ces fonds sont aujourd’hui sous la responsabilité d’une personne qui a vécu des dépôts de bilan en tant que gestionnaire de trésorerie et a travaillé pour des cabinets de consultants contactés par des syndicats et des comités d’entreprise dans des affaires en grande difficulté.

Le fonds numéro un a terminé sa période d’investissement. Il a accompagné treize entreprises au total, ce qui représente quelque mille emplois sauvegardés. Certaines de ces PME ont connu un véritable rebond. L’une d’entre elles est passée de trois millions à dix millions d’euros de chiffre d’affaires en moins de dix-huit mois, grâce à des marchés certes exceptionnels mais pérennes. Nous savons que ce chiffre d’affaires, ne serait-ce que par le besoin en fonds de roulement (BFR) engendré, aurait pu financièrement condamner cette société. D’autres sont devenues des leaders dans leur secteur en termes d’investissement. Quelques reprises post-redressement judiciaire (RJ) ont également eu lieu, qui se sont concrétisées par des succès. Ce fonds a connu trois échecs, lesquels ont tout de même été amortis par les mécanismes de garantie, notamment de la BPI, à la satisfaction des souscripteurs de ces fonds.

Il est important de citer ces souscripteurs, qu’il a été de notre tâche de convaincre. L’entreprise en difficulté n’est pas un segment sur lequel on peut facilement mobiliser des investisseurs. Ces souscripteurs sont majoritairement privés – à une toute petite majorité. Dans la partie publique, on trouve les régions, mais aussi Bpifrance Investissement. Parmi les investisseurs privés, figurent essentiellement les banques mutualistes régionales, qui ont trouvé dans ce fonds le moyen d’accompagner des entreprises régionales mais aussi une forme d’investissement citoyen, qui peut s’avérer rentable. Petite particularité : nous sommes parvenus, pour les deux générations de fonds, à mobiliser des industriels, par le biais de fonds de revitalisation.

Le fonds numéro deux est tout jeune. Il a déjà réalisé trois investissements, dont une belle consolidation dans la filière bio en Franche-Comté. Quant au fonds en Rhône-Alpes, de trente millions d’euros, il a déjà pris dix-huit participations, pour un montant d’investissement de l’ordre de 9 millions.

En conclusion, le point fondamental pour nous, c’est notre présence minoritaire, sans intervention dans la gestion. Ces PME souffrant cependant tout autant de défauts de fonds propres que d’insuffisances en termes de gouvernance, il est nécessaire de renforcer la gouvernance, quitte, le cas échéant, à procéder à des recrutements.

M. Jean-Louis Grevet, président de Perceva. Perceva est un fonds de retournement français capitalisé à hauteur de 350 millions d’euros, dont le métier est d’apporter des capitaux propres de long terme à des entreprises françaises fragilisées. Nous n’investissons qu’au bénéfice de PME et ETI françaises. Nous recevons 150 dossiers par an, de la part de sociétés réalisant entre 20 et 500 millions de chiffre d’affaires. Il s’agit souvent d’entreprises qui n’ont pas déposé de bilan. Nous réalisons deux à trois investissements par an. Notre métier est très exigeant et consomme beaucoup de notre temps. L’équipe de Perceva est animée par dix personnes. Avec mon associé Franck Kelif, nous avons près de vingt ans d’expérience dans ce métier.

Nous sommes intervenus au profit d’une vingtaine de sociétés, parmi lesquelles je peux citer, récemment, Dalloyau, Monceau Fleurs, ou encore la PME alsacienne de fabrication de poêles à bois et d’inserts de cheminée Supra, que nous avons rachetée à EDF il y a quatre ans, ainsi que d’autres entreprises telles que Rémy Cointreau ou le groupe Flo dans la restauration.

Le métier du retournement est un métier exigeant car les dirigeants à qui nous avons affaire vivent des situations très complexes. Notre action repose sur trois niveaux de confiance.

Nous devons tout d’abord établir une relation de confiance avec l’entreprise. Nous ne sommes pas dans une approche de coûts financiers. On associe souvent le retournement à des investisseurs prédateurs qui viennent réaliser une opération à court terme et dépecer une entreprise. Cette image vient de démarches qui ont existé, et qui existent encore, notamment de la part de grands fonds anglo-saxons. Notre conception correspond plutôt aux pratiques d’un actionnaire industriel. Nous investissons sur le long terme : quand nous prenons un dossier, c’est à l’horizon de dix ans au minimum.

De même, nos capitaux profitent à l’entreprise, dont ils reconstituent les capitaux propres ; nous n’apportons pas un chèque à l’actionnaire qui souhaite vendre ses titres ou rembourser des créanciers.

Enfin, il faut qu’existe une proximité culturelle et physique. Ces sociétés ont besoin d’avoir un actionnaire majoritaire – car nous prenons le contrôle de nos sociétés – qui soit extrêmement présent pour toutes les décisions qu’ils doivent prendre.

Nous mettons pour cela un réseau d’experts à leur disposition. En vingt ans d’expérience, nous avons construit un réseau d’experts opérationnels de bureaux d’études, de marketing, de gestion de force commerciale, de développement de plans médias, de réorganisation industrielle… Notre travail est un travail de chef de projet : il s’agit de manager ces ressources au profit de l’émergence d’une solution pour l’entreprise. La confiance naît d’un professionnalisme et d’une éthique forte.

Nous devons ensuite établir une relation de confiance avec les investisseurs. Nos capitaux nous sont confiés par les investisseurs institutionnels finançant le capital-investissement dans le monde. Il y en a environ 3 000. Cela représente quelque 3 000 milliards d’euros au plan mondial, mais pour le retournement pur, on tombe très vite à un chiffre bien plus faible, de l’ordre de 100 à 150 milliards d’euros, et, en France, ce chiffre est évidemment encore plus réduit.

Il nous faut donc créer une dynamique de confiance avec ces investisseurs, qui nous confient de l’argent sur des horizons très longs. Nous ne sommes pas sur un métier de hedge fund, où un investisseur doit pouvoir récupérer son argent quasiment toutes les semaines. Dans les fonds que nous gérons, l’argent est mobilisé et bloqué au profit des entreprises sur des horizons de dix à quinze ans. Nous n’avons aucune obligation de verser un dividende ou de rembourser ces sommes ; ce n’est qu’au moment de la sortie du capital, que les investisseurs peuvent espérer un retour sur investissement.

Nos investisseurs – une vingtaine au total – sont pour les deux tiers des étrangers, américains et européens. Bpifrance fait partie de nos investisseurs français, à hauteur de 10 %.

Le troisième axe de confiance, c’est la relation avec les pouvoirs publics. Les sociétés dont nous prenons le contrôle ont besoin de contacts avec les élus locaux. Nous rencontrons régulièrement des élus très impliqués et responsabilisés quant au devenir de sociétés qui sont des employeurs importants de leurs régions. Il y a ensuite les services de l’État, tels que les comités interministériels de restructuration industrielle (CIRI) et les comités départementaux d’examen des difficultés de financement des entreprises (CODEFI), les commissaires au redressement productif, les commissions départementales des chefs des services financiers (CCSF), ainsi que les représentants des directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) et des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE). Quand une entreprise est en difficulté, elle ne peut pas toujours, par exemple, mettre son site aux normes environnementales dans les délais impartis ; nous sommes alors amenés à rencontrer les représentants de la DREAL afin d’expliquer que nous apportons des moyens et qu’il convient de prévoir un engagement compatible avec la problématique de l’entreprise.

Malheureusement, les acteurs français équivalents à Perceva, ne sont pas assez nombreux en France, alors qu’il existe un véritable besoin de fonds de retournement professionnels et modernes. Il y a au contraire beaucoup trop de fonds anglo-saxons, bénéficiant d’effets de taille et de volume, qui prennent le contrôle de très grandes entreprises en raison du manque de solutions françaises alternatives. Perceva peut représenter cette alternative ; c’est en tout cas notre ambition.

Mme Muriel Pernin, fondatrice de la société coopérative d’intérêt collectif Les Atelières. Je suis la présidente-fondatrice des Atelières, une société coopérative d’intérêt collectif. C’est une coopérative qui avait la particularité, contrairement à une SCOP, de posséder un actionnariat mixte, investisseurs et salariés. L’entreprise a été liquidée par le tribunal de commerce le 18 février. Au moment où je vous parle, notre atelier est dépourvu de son personnel, mais en l’état, avec ses machines et son stock, donc avec un potentiel de vente. Les salariés coûteraient moins à l’État à travailler dans notre entreprise qu’à être indemnisés par l’assurance chômage.

Cette aventure est née d’un pari. Il y a trois ans, au moment de la fermeture de l’entreprise Lejaby et de sa reprise par un consortium dirigé par Alain Prost. Celui-ci ne pouvant pas, avec l’argent dont il disposait à l’époque, reprendre la totalité de l’activité, il décida de se séparer des ateliers de fabrication. La région Rhône-Alpes s’est faite sur l’industrie textile, sur le textile lui-même et sur l’habillement, donc la fabrication. J’étais à l’époque chef d’entreprise, je travaillais avec de nombreuses sociétés pour développer des stratégies de changement, et je me suis dit que, si je me rapprochais des ouvrières ayant le savoir-faire, nous pourrions agréger nos compétences afin de le faire vivre.

L’entreprise Lejaby a été reprise et s’appelle aujourd’hui Maison Lejaby. Nous avons monté l’atelier de fabrication qui pouvait lui apporter la compétence de fabrication 100 % française. Maison Lejaby, notre premier donneur d’ordres, souhaitait se développer dans le luxe, sachant que tout le moyen de gamme est depuis vingt ans fabriqué en Tunisie. C’est ainsi que notre aventure est née. Les femmes de notre atelier ne venaient pas forcément de Lejaby ; certaines étaient des femmes d’expérience, d’autres sortaient de l’école.

La première difficulté que nous avons rencontrée a été de financer cette activité. Les portes s’ouvrant peu, j’ai lancé deux appels de fonds par voie médiatique. Nous avons réuni de cette manière un million d’euros sur trois ans. Il s’agit d’argent privé. Je le précise car on croit parfois que nous avons reçu beaucoup d’argent public ; il n’y en a quasiment pas eu. Les personnes ayant investi étaient des citoyens ordinaires. L’entrée au capital était de 5 000 euros. Celui qui a le plus apporté a mis 300 000 euros et j’ai moi-même investi 110 000 euros. Nous étions cinquante-huit associés au total.

J’ai bien évidemment rencontré les acteurs de la BPI ; j’y reviendrai. Les acteurs publics régionaux se sont mobilisés et nous ont aidés : le président de la région Rhône-Alpes nous a accordé une subvention de 60 000 euros, le préfet a permis de mobiliser les dispositifs de l’État.

La deuxième difficulté a été de relancer une fabrication en France alors que l’ensemble de la production en lingerie-corsetterie avait été délocalisé. Pour trouver une machine, un mécanicien, il faut appeler en Tunisie. Je me suis vite rendu compte que nous ne pouvions fabriquer de la petite série de luxe dans les temps demandés par nos clients car ce modèle de production n’existait pas. Il existe le taylorisme, pour les grande et moyenne séries, c’est-à-dire pour plus de quinze mille pièces à la commande. Nous étions à cent pièces à la commande, ce qui est la norme du luxe. Or, nous ne savons pas produire de la petite série en France.

J’ai donc démarché l’Institut national des sciences appliquées (INSA) de Lyon-Villeurbanne, une école d’ingénieurs, avec laquelle nous avons mis en place un partenariat qualitatif, nous permettant de travailler sur la problématique de la fabrication de lingerie-corsetterie en petite série.

La troisième difficulté a été la formation du personnel. Les jeunes femmes étaient formées à la couture mais non à la lingerie-corsetterie. Il fallait donc réveiller les compétences existant en France.

Nous avons tenu vingt-cinq mois. Nous nous sommes positionnés sur deux segments. Le premier était le travail de façonnage. Nos clients étaient de grandes marques françaises qui n’étaient plus habituées à travailler avec des Français, contractant avec des ateliers à l’étranger, donc selon des codes différents, et avaient perdu l’humanité de la relation professionnelle directe. Dans mon entreprise, je connais mes clients, nous nous voyons, nous échangeons.

Par ailleurs, nous avons essayé de lancer notre collection en fin d’année mais, les difficultés financières s’accumulant, nous nous sommes arrêtés sans avoir pu terminer. C’est pourquoi nous avons 3 000 pièces en stock, qui seront vendues sur les marchés en dégriffé.

Nous nous sommes retrouvés en cessation de paiement le 5 février. L’année 2014 a été terrible pour le textile, en particulier pour nos donneurs d’ordres, qui s’étaient positionnés sur le marché russe. En raison de la chute du rouble, nos commandes ont été soit annulées soit divisées par deux. Nous avons souffert également des retards de financement des banques : alors que l’engagement avait été pris en mars, avec une décision de la BPI de nous soutenir en garantie d’emprunt, les fonds n’ont été débloqués qu’à la fin du mois de septembre, et, pour la dernière banque, fin novembre. Nous sommes donc arrivés tard sur le marché de décembre. Nous pensions profiter du mois de janvier, qui est le mois de la lingerie-corsetterie, mais les événements qui se sont produits n’ont pas été favorables à la consommation.

Nous étions un tout petit navire et nous avons rencontré de terribles vents contraires. Je n’ai pas perçu de salaire durant tout ce temps ; c’était mon engagement personnel, mais la bataille de la France, c’est la bataille de l’emploi. Chaque fois que l’on crée trente emplois, c’est un peu de précarité sociale en moins. Ce secteur est très difficile. Peut-être faut-il se dire que c’est la fin des métiers de savoir-faire dans notre pays ? De même qu’il n’existe plus de moines copistes, il faudrait accepter que ces métiers disparaissent. C’est dommage.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Dans le cadre de votre activité, monsieur Blasselle, la présence de Bpifrance a-t-elle facilité la levée de fonds ?

De même, vous indiquez, monsieur Grevet, que Bpifrance représente 10 % de vos capitaux français. Cela vous aide-t-il à lever d’autres capitaux ? Vous constatez que les fonds anglo-saxons sont mieux armés ; que pourrait vous apporter Bpifrance pour faire face aux besoins ?

Madame Pernin, de quelle manière Bpifrance vous a-t-elle accompagnée ? Les problèmes de délais auxquels vous avez été confrontée portaient-ils sur des garanties ? Ces problèmes ont-ils été le fait du partenaire financier devant accompagner Bpifrance dans le cadre de la règle du « un pour un » ?

M. Laurent Grandguillaume, rapporteur de la mission d’information. Ma question portera sur votre expérience de terrain. Dans l’écosystème du financement des entreprises, qui, entre acteurs publics et privés, est somme toute assez complet – bien que les fonds de retournement français ne soient pas encore assez nombreux –, quels sont les freins qui empêchent de suivre certains dossiers ?

M. Patrick Blasselle. Pour les fonds régionaux de proximité que nous gérons, la BPI, à savoir Bpifrance Investissement, en tant que fonds de fonds, est incontournable. Sans elle, il faut être clair, les fonds ne se montent pas. Elle représente 25 % de nos fonds.

Cette participation a deux mérites. Le premier, parce qu’elle exerce un effet de levier sur l’ensemble de l’écosystème : régions, banques régionales, industriels. Le second tient au fait que la palette de la BPI comprend un accompagnement par le biais de garanties, sur les prêts ou les fonds propres. Ce dernier point présente à mon sens des possibilités d’amélioration, car la situation a été plus favorable qu’elle ne l’est actuellement.

L’effet de levier est particulièrement indispensable dans les fonds de consolidation ou de retournement, car le principal frein, s’agissant des entreprises en difficulté, est le risque. Nos investisseurs, même publics, n’ont pas vocation à abonder des fonds pour perdre de l’argent ou en faire perdre au contribuable. Qu’ils ne veuillent pas forcément gagner des sommes considérables, cela fait partie de la stratégie d’aménagement du territoire, mais l’argent public, pour nous, gestionnaires privés, est aussi précieux que l’argent privé, et il faut y faire tout autant attention.

Le frein principal est donc constitué par les notions de risque et d’exposition, qui justifient l’intervention des professionnels que nous sommes. Car investir dans une entreprise en difficulté, c’est aussi faire prendre des risques à l’investisseur : même une affaire qui tourne sans problème majeur – encore que la plupart des entreprises soient amenées à passer par de bonnes et de mauvaises phases – induit une exposition de l’investisseur sur le plan financier, mais aussi sur celui de la responsabilité, ce que la plupart des investisseurs de nos fonds ne souhaitent pas : Jean-Louis Grevet, Franck Kélif et moi-même sommes en quelque sorte rémunérés pour être exposés en direct et prendre nos responsabilités.

Le frein que constitue le risque doit être atténué d’une part par l’action publique – des régions et de la BPI –, d’autre part par des garanties qui n’existent presque plus sur la partie fonds propres. Ceci est dommage, car si on trouve une vraie stratégie d’accompagnement par la garantie dans l’innovation, ce qui me paraît normal, elle n’existe pratiquement plus en ce qui concerne les entreprises en difficulté, alors qu’elles pourraient ainsi bénéficier d’un effet multiplicateur.

M. Laurent Grandguillaume, rapporteur de la mission d’information. Pouvez-vous développer ce que vous nous avez dit au sujet des garanties fonds propres ?

M. Patrick Blasselle. L’investisseur que nous sommes travaille depuis très longtemps avec ce qui s’est appelé Oséo, la CDC, et aujourd’hui la BPI – en particulier avec la garantie Bpifrance. Lorsque nous avons monté notre premier fonds Défis en 2010, les investisseurs privés ont accepté d’y entrer à condition que nous obtenions un certain nombre de garanties sur les opérations que nous prenions. Pour diverses raisons, notamment budgétaires, ces garanties se sont réduites et ont même complètement disparu dans certains cas, ce qui fait prendre des risques supplémentaires aux investisseurs privés. Ceux-ci ont donc été beaucoup plus difficiles à convaincre pour entrer dans le fonds numéro 2. Or, au-delà de l’investissement direct dans les fonds, la garantie est un mode d’action relativement peu onéreux et présentant le plus fort effet de levier. En tant qu’investisseur minoritaire, j’estime qu’il serait bon de retrouver le niveau de garantie que nous avions il y a cinq ans : cela permettrait de lever beaucoup plus de fonds privés.

Il existe d’autres moyens de produire un effet de levier sur les actions régionales, auxquels nous pourrions réfléchir avec Bpifrance.

M. Jean-Louis Grevet. Pour ce qui est des 10 % que représente Bpifrance au sein de notre pool de 350 millions d’euros, j’insiste sur le fait que nous choisissons nos investisseurs autant qu’ils nous choisissent. Nous avions, pour gérer nos fonds, tout à fait la capacité de trouver suffisamment d’argent à l’étranger, étant donné le fort intérêt pour le métier que nous pratiquons en France : il y a une forte demande, à laquelle les équipes présentes ne suffisent pas à répondre. Si nous avons choisi de nous associer à Bpifrance, c’est en raison d’un effet d’image évident, pas tant pour Perceva – bien que nous soyons ravis de pouvoir dire que Bpifrance figure dans le tour de table – que vis-à-vis des entreprises avec lesquelles nous travaillons. Au-delà de la nécessité de gagner de l’argent, le rôle de l’actionnaire consiste aussi à rassurer les dirigeants sur la pérennité du projet et la qualité de l’actionnariat. Quand on cite le nom de Bpifrance, cela contribue grandement à les rassurer.

Vous m’avez également demandé comment on pouvait réussir à contrer les dynamiques de fonds plus spéculatifs, visant des dossiers plus importants. Fin 2014, le verrier Arc International a été repris par PHP, un fonds américain dont je n’avais jamais entendu parler. Cet exemple est loin d’être le seul. Dans de nombreux dossiers, l’investisseur qui se présente doit être capable d’investir 50 à 100 millions d’euros pour l’augmentation de capital. Or, bien que disposant de fonds importants, Perceva doit respecter des règles de division des risques imposées par ses investisseurs. Ainsi, un fonds doit comprendre six ou sept investissements dont chacun peut atteindre 40 millions d’euros : si nous voulons aller au-delà, nous devons construire un tour de table afin d’apporter un complément en fonds propres et éventuellement sous forme de dette, c’est-à-dire d’emprunt – ce que font très bien les Anglo-saxons. Certains de nos investisseurs étrangers sont prêts à compléter le tour de table en fonds propres, mais souhaitent en contrepartie être partie prenante à la décision. Dès lors que nous sortons de l’enveloppe de 40 millions d’euros, cela implique un processus de décision d’investissement. Dès lors, ceux qui vont examiner le dossier sont le plus souvent basés à New York, Londres, Amsterdam, ou en Suisse et, même s’ils nous font confiance, ils sont très loin de la réalité de l’entreprise. De ce point de vue, Bpifrance présente un avantage considérable, celui d’être sur le terrain, au contact direct des situations, ce qui lui permet de très bien comprendre notre métier, donc de faciliter les cofinancements avec Perceva.

Pour ce qui est de l’apport sous forme de dette, nous aimions le système proposé par Oséo à l’époque où cet établissement existait encore. Aujourd’hui, Bpifrance s’est considérablement outillée et professionnalisée – elle fait appel à des personnes extrêmement compétentes –, mais nous ressentons une difficulté liée à la décentralisation des décisions de financements. Ce mode de décision décentralisée est très performant pour les entreprises qui vont bien – la BPI fait intervenir des décideurs régionaux très efficaces – mais, pour ce qui est des entreprises en difficulté, il me semble qu’il serait plus judicieux de recourir à des mécanismes de type « affaires spéciales » – des services dédiés aux entreprises en difficulté – comme on en trouve au sein de toutes les grandes banques françaises.

M. Franck Kélif, associé de Perceva. Nous sommes confrontés à deux problématiques : celle du temps – il faut se décider vite –, et celle du financement du besoin en fonds de roulement (BFR). Alors que dans le dispositif Oséo, il était procédé à une analyse individualisée de chaque dossier au niveau central, c’est désormais au niveau local que se font les analyses de la BPI, et selon le critère de la PME européenne : quand une PME est recapitalisée de façon majoritaire par un fonds d’investissement, elle n’est plus éligible en tant que PME européenne, ce qui a pour effet de la priver de l’intégralité des supports que BPI peut lui accorder pour son activité courante.

Notre objectif essentiel consiste à recapitaliser l’entreprise, lui redonner une virginité par rapport à l’ensemble des partenaires de financement – banquiers, assureurs crédit, fournisseurs, sociétés d’affacturage. Dès lors que l’on vise le cycle d’exploitation normal de l’entreprise, il est important, pour que celle-ci puisse croître et se redéployer, qu’elle soit en mesure de bénéficier de concours bancaires classiques – généralement au bout d’un an ou deux. Aujourd’hui, la BPI ne peut pas intervenir sur les sociétés dont nous sommes actionnaires, ni comme caution, ni en garantie de bonne fin. Nous avons recapitalisé des groupes industriels qui soumettaient des appels d’offres sur des marchés importants vis-à-vis de grands groupes, mais aucune de nos participations n’est éligible aux garanties de bonne fin habituellement mises en œuvre par la BPI. De ce fait, il n’est pas rare que des entreprises fragilisées, mais ayant retrouvé le chemin de la croissance après avoir été recapitalisées, et ayant un BFR croissant du fait de bonnes performances économiques, ne soient pas éligibles aux garanties que pourrait leur procurer la BPI. C’est là un vrai frein à l’activité.

Dans le cadre de nos tours de table, nous bénéficions souvent d’une très bonne visibilité, d’un très bon accompagnement des pouvoirs publics locaux ou des partenaires bancaires régionaux. Dans l’équation globale initiale d’une recapitalisation, il faut être capable de dire assez rapidement si la BPI va pouvoir intervenir. Le fait de devoir discuter au niveau local sur des engagements parfois trop importants au regard des délégations régionales pose problème, c’est pourquoi une centralisation nationale, calquée sur ce qu’était le dispositif d’Oséo, serait utile pour offrir une solution durable aux entreprises que nous recapitalisons.

Mme Muriel Pernin. Il y a trois ans, la BPI était encore embryonnaire : c’est donc avec la Caisse des dépôts que j’étais en contact et, dès le départ, nous avons eu des relations quelque peu tumultueuses. Si le dossier que j’ai présenté était atypique, il a néanmoins retenu l’attention de mes interlocuteurs, qui ont tout de suite estimé terriblement dommage d’abandonner les métiers de savoir-faire : ils n’ont pas eu envie de me dire que, s’il était louable et courageux de vouloir les sauver, c’était également irréaliste, lesdits métiers appartenant déjà au passé. Il aurait peut-être fallu qu’ils sachent me dire. Il appartient à la BPI de faire des choix économiques en matière d’accompagnement de tel ou tel type d’entreprises, et peut-être n’a-t-elle pas su faire entendre sa parole à ce moment – mais je ne vais pas me plaindre qu’elle nous ait ainsi donné la chance de vivre l’expérience que nous avons vécue.

Par deux fois, j’ai dû m’exprimer dans les médias pour protester contre le fait que nous ne soyons pas aidés. En conséquence, notre dossier a bénéficié d’une première réouverture, avec un apport de 80 000 euros de la Caisse des dépôts. Si je m’en suis réjouie à l’époque, je regrette aujourd’hui de m’être montrée si innocente. En effet, cette somme était inutile car d’un montant insuffisant : il aurait fallu, dès le départ, prendre la mesure du bon niveau de capitalisation privée et d’apport public. La somme de 450 000 euros dont nous disposions au départ était loin d’être suffisante : il aurait fallu commencer avec deux ou trois millions d’euros, ce qui nous aurait permis de perdre un peu d’argent dans les premiers temps pour en gagner par la suite. Avec le recul, je considère que la Caisse des dépôts aurait dû me dire que commencer avec 450 000 euros n’était pas réaliste.

Mon deuxième contact – avec la BPI, cette fois – m’a permis de rencontrer des acteurs régionaux très engagés, en lesquels j’ai trouvé de vrais soutiens. Cependant, j’ai également ressenti l’effet d’un certain jacobinisme : on ne s’entend pas dire la même chose à Paris qu’en région. À cette époque – il y a environ un an – nous n’avions plus de fonds propres, et la seule solution envisageable consistait à lancer une souscription nationale pour recapitaliser par des fonds privés : ce n’est qu’à cette condition que la BPI consentait à entrer dans le tour de table. J’ai réussi à réunir 750 000 euros de recapitalisation mais cette somme, bien que considérable, n’était toujours pas suffisante, en raison de la sous-capitalisation initiale : nous comptions le moindre sou, alors qu’aucune entreprise ne peut vivre ainsi – pour avancer, il faut savoir dépenser. Au vu de la somme que j’avais réunie, et grâce au petit coup de pouce qu’a constitué le passage de notre dossier par le bureau du ministre du redressement productif, les banques ont accepté de nous prêter 350 000 euros, cet emprunt étant garanti à 70 % par la BPI. Malheureusement, il m’a encore fallu batailler durant six mois avant d’obtenir les fonds promis par les banques, ce qui fait que nous n’avons pu lancer qu’en décembre 2014 notre collection initialement prévue pour le mois de mai. Que de temps et d’argent perdus !

J’avais suggéré à la BPI d’entrer à notre capital, ce qui lui aurait permis d’observer de l’intérieur l’entreprise-laboratoire que nous étions, mais elle n’a pas accepté, ce que je regrette. De même, je déplore qu’après avoir accordé sa garantie d’emprunt, la BPI ne se soit pas assurée que les banques honoraient leurs engagements dans des délais raisonnables. Enfin, alors que Maison Lejaby, notre principal donneur d’ordres, faisait également appel à la BPI, celle-ci a considéré les deux entreprises comme deux entités sans rapport entre elles, alors que nous étions les deux maillons d’une même chaîne. Quand le donneur d’ordres est frappé par la crise russe, son fabricant est déjà quasiment mort : notre atelier, qui devait tourner durant six mois pour fournir Maison Lejaby, n’a reçu des commandes que pour un mois. Je regrette que la BPI n’ait pas su porter un regard sur l’écosystème que nous formions avec notre donneur d’ordres et agir en conséquence : à mon sens, elle aurait dû réunir les parties prenantes, et faire en sorte qu’elles travaillent autrement. Faute d’avoir joué ce rôle, elle a contribué à l’énorme perte d’énergie et d’argent qui a résulté de notre fermeture.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Le montant initial de 450 000 euros avec lequel vous avez commencé votre activité résultait-il d’une évaluation réalisée dans le cadre d’un audit ? Est-ce vous qui aviez sollicité ce montant, ou était-il le fruit d’une réflexion collective ?

Mme Muriel Pernin. Les 450 000 euros avec lesquels nous avons commencé constituaient une projection réalisée avec le concours de l’Union régionale des sociétés coopératives et d’autres acteurs. Aujourd’hui, je sais que ce montant n’était pas celui qui nous aurait convenu, mais dans le contexte de l’époque – on ne parlait pas encore de la crise russe – on pouvait penser qu’il allait suffire à créer une dynamique.

Quant au montant de 350 000 euros de prêt complémentaire que nous avons obtenu – une somme répartie sur trois banques et garantie à 70 % –, il correspondait à ce que les banques estimaient pouvoir investir – mais, là encore, il aurait fallu davantage.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Monsieur Blasselle, vous avez indiqué que si les garanties d’emprunt constituaient l’un des effets de levier, il existait d’autres moyens de nature à favoriser les actions régionales. Pouvez-vous nous préciser quels sont ces autres moyens ?

M. Patrick Blasselle. Je ne compte plus le nombre de fois où nous avons dit à des chefs d’entreprise que si nous ne souhaitions pas nous engager auprès d’eux pour un certain montant, nous étions en revanche disposés à étudier leur dossier pour le double. L’idée n’est pas d’investir le plus possible, quitte à ce que l’argent dorme ou soit mal investi, mais il faut savoir porter un regard entrepreneurial sur les situations, avoir conscience du fait que c’est toujours plus long, plus risqué, plus cher que prévu, et anticiper les imprévus.

Les investisseurs dans les entreprises en difficulté ne sont pas légions. C’est un métier indispensable à l’économie française, mais qui fait un peu peur. C’est pourquoi, à notre petite échelle, nous sommes nous-mêmes souvent à la recherche de co-investisseurs, qu’il s’agisse des équipes de la BPI en région – notamment pour la garantie – ou de l’État. Cela dit, nous devons respecter des règles de division des risques. Avec notre implantation prochaine en Bourgogne, nos fonds vont doubler de taille et nous permettre d’atteindre des niveaux d’intervention supérieurs, tout en restant minoritaires.

Je considère qu’une réflexion devrait s’engager au sein de la BPI afin de monter un fonds national de co-investissement dédié à des opérations régionales – toujours en mode minoritaire – afin de produire un effet de levier. Aujourd’hui, Bpifrance n’intervient pas comme investisseur direct en fonds propres dans les entreprises en difficulté, l’une de ses règles d’investissement excluant la présence de pertes au cours des trois années précédentes. Or, lorsque nous investissons 500 000 euros ou 600 000 euros dans une affaire, il serait intéressant que BPI puisse co-investir au moyen d’un fonds spécifique. Dans le cadre de notre fonds de première génération, un euro investi dans une entreprise se traduisait parfois par l’entrée de dix euros dans les caisses de cette entreprise : il est évident que cet effet serait démultiplié si nous pouvions compter sur un co-investisseur.

Mme Muriel Pernin. Je précise que la BPI fait intervenir en région de vrais acteurs de proximité – certains sont venus visiter notre entreprise, par exemple – et que c’est seulement quand le dossier devient un peu spécial qu’il est soumis aux instances parisiennes, qui portent sur lui un regard parisien. J’emploie sciemment cet adjectif, car les échanges avec certains cadres de la BPI vous donnent franchement l’impression d’être un petit provincial débarquant à Paris : c’est ce que je voulais dire en parlant d’un certain jacobinisme. J’ai dû déployer beaucoup d’énergie et de force de conviction pour démarrer Les Atelières, et j’ai eu la surprise de constater que l’on me mettait parfois en garde contre les effets que pouvait avoir un tel niveau d’engagement : « Prenez garde à ne pas vous mettre trop en danger sur un tel projet, me disait-on, car vous pourriez laisser une mauvaise impression susceptible de compromettre vos chances de monter un jour une autre entreprise avec notre concours ». Vos interlocuteurs ne vous donnent pas l’impression d’avoir conscience des enjeux de l’acte consistant à entreprendre en France. De ce point de vue, je pense qu’un peu d’élégance dans les relations entre les entrepreneurs et leurs interlocuteurs, notamment publics, ne serait pas superflue.

M. Jean-Louis Grevet. Pour conclure d’une façon optimiste, je dirai qu’il faut parfois très peu de chose pour qu’un dossier connaisse le succès. L’idée évoquée par M. Blasselle d’un partenaire venant co-investir dans les entreprises régionales est très intéressante, car il y a effectivement de vrais besoins en la matière. Ainsi, Perceva ne constitue pas la réponse à ces dossiers régionaux, notre fonds ayant vocation à investir au moins dix millions d’euros par dossier. Située à l’opposé du spectre, notre problématique consiste plutôt à chercher comment concurrencer intelligemment des initiatives spéculatives et financières d’origine anglo-saxonne, visant des dossiers importants pour le tissu industriel français.

Bpifrance est un partenaire évident pour nous et nous avons de très bonnes relations de travail avec M. Daniel Balmisse, directeur des fonds de fonds. Nous échangeons beaucoup avec lui, notamment afin de trouver des solutions visant à faire émerger d’autres fonds de retournement. Nous connaissons plusieurs équipes qui, pour amorcer le fonds qu’elles cherchent à monter, ont besoin de trouver deux ou trois investisseurs – dont le premier est toujours le plus difficile à convaincre. À l’évidence, Bpifrance a un rôle à jouer vis-à-vis de ces équipes.

Un autre sujet important est celui de la centralisation : nous aimerions avoir chez Bpifrance un interlocuteur identifié chargé spécifiquement des entreprises en difficulté – je dirai même que c’est un besoin que nous ressentons fortement –, comme c’est le cas dans la plupart des autres banques. Enfin, il y a le sujet du critère de la PME européenne : dans le métier du retournement, faire des exceptions à ce qui n’est qu’une recommandation constituerait une façon intelligente de permettre à certains dossiers d’accéder à des sources de financement d’origine publique provenant de Bpifrance, des régions ou d’autres acteurs publics. Cela enverrait un signal très favorable aux dirigeants de nos entreprises.

M. Laurent Grandguillaume, rapporteur de la mission d’information. Selon vous, serait-il souhaitable que la BPI intervienne directement dans le retournement, et pas seulement via des fonds de fonds ? Au cours de ses travaux, notre mission a constaté que Bpifrance jouait parfois un peu le rôle d’agence de notation régionale : quand elle refuse un dossier, les autres investisseurs y voient un signal très négatif qui les dissuade de s’engager. Partagez-vous notre impression sur ce point ?

M. Patrick Blasselle. Les équipes de Bpifrance en région jouent vraiment le jeu : les dossiers sont tous examinés avec bienveillance, et quand la décision est prise de ne pas accorder la garantie de prêts bancaires à un projet, c’est dans la grande majorité des cas parce que ces dossiers souffrent de problèmes allant au-delà des simples difficultés conjoncturelles « rattrapables ».

Pour ce qui est de la notion d’investissement direct, je me garderai d’émettre un avis sur ce que devrait être la stratégie de Bpifrance. Les observations que j’ai faites sur le terrain me conduisent néanmoins à penser que le métier consistant à investir dans les entreprises en difficulté est avant tout un métier de proximité, je dirai même de complicité - au sens noble du terme – entre l’investisseur et le chef d’entreprise. L’investissement direct réalisé depuis Paris me semble très compliqué, même s’il peut exister des équipes spécialisées dans cette activité. Quant aux équipes régionales, bien qu’elles soient d’une grande qualité, en raison de leur nature généraliste, elles ne disposent pas des multiples compétences qu’exigerait l’investissement direct : ce sont avant tout des financiers, là où il faudrait qu’elles disposent d’une expérience d’entrepreneur aguerri. Investir dans les entreprises en difficulté, ce n’est pas le métier de la finance, à quelque échelle que ce soit.

En résumé, je n’ai rien contre l’idée de voir Bpifrance procéder à de l’investissement direct, mais j’estime que cela nécessiterait beaucoup de moyens humains et entraînerait beaucoup de risques et d’exposition. Je le dis clairement, il est sans doute plus facile d’être souscripteur d’un fonds dont l’équipe est exposée que d’être exposé en direct. En revanche, sans la BPI, les fonds de retournement et de consolidation ne peuvent pas exister. Il convient donc plutôt de renforcer les moyens de travailler avec les équipes régionales ou nationales afin de monter éventuellement des fonds de co-investissement – en investissement direct – destinés à produire un effet de levier au bénéfice d’équipes spécialisées et aguerries.

M. Jean-Louis Grevet. Il ne m’appartient pas non plus de faire des commentaires sur la stratégie de Bpifrance en termes d’investissement dans le retournement, la question de l’intervention publique sur les entreprises en difficulté étant très complexe. Nous considérons qu’il est très important que nous effectuions notre travail d’actionnaire majoritaire en première ligne, car le dirigeant a besoin d’une forte proximité au quotidien. Pour certains sujets particulièrement difficiles, la présence d’un acteur public peut rendre la discussion plus difficile. Ainsi certains fournisseurs peuvent-ils être tentés de profiter de la présence de la BPI au capital pour en tirer avantage dans les négociations commerciales, en considérant qu’avec la BPI, il ne devrait pas y avoir de problèmes de trésorerie.

Nous manquons en France d’un écosystème d’entrepreneurs-investisseurs qui ne soient pas des financiers, qui s’intéressent au monde de l’entreprise fragilisée et qui aient une approche d’actionnaires industriels. Je suis sûr qu’il existe au sein de BPI des gens très compétents pour tenir ce rôle mais, je le répète, il ne nous appartient pas de nous prononcer sur l’opportunité pour la BPI d’intervenir en direct. Il n’est pas rare qu’au bout d’un ou deux ans de retournement, nous engagions la discussion avec les services de la BPI, qui peuvent décider de réexaminer le dossier et parfois d’apporter des capitaux propres en tant qu’investisseur minoritaire afin de consolider un projet.

Notre action s’inscrit généralement sur une durée de dix ans. Une première phase du travail doit être effectuée quand les banquiers se retirent, que les fournisseurs sont inquiets, qu’il y a une forte crise de liquidités et, plus généralement, une crise de confiance. C’est là que nous intervenons pour reconstruire l’entreprise et rétablir un passage entre celle-ci et le monde financier, qui prend parfois peur un peu vite et est très volatil. Après avoir effectué ce travail comportant une part de risque, nous pouvons faire appel à d’autres acteurs, notamment Bpifrance.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Madame, messieurs, nous vous remercions pour votre contribution.