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Mission d’information commune sur la banque publique d’investissement, Bpifrance

Jeudi 21 mai 2015

Séance de 12 heures 00

Compte rendu n° 26

Présidence
de Mme Véronique Louwagie,
Présidente

–  Audition, ouverte à la presse, du Dr. Lutz-Christian Funke, senior vice président de KfW Bankengruppe

Mme la présidente Véronique Louwagie. Je vous remercie, monsieur Funke, d’avoir répondu à notre invitation. Notre mission d’information qui a été créée à l’initiative du président de l’Assemblée nationale a pour objectif d’établir un premier état des lieux de l’action de Bpifrance, la Banque publique d’investissement, dont la création fut décidée au lendemain de la crise de 2008-2009, et qui a été constituée en juillet 2013.

La KfW – Kreditanstalt für Wiederaufbau – existe depuis bien plus longtemps. Si son modèle est différent de celui de Bpifrance, il nous a paru cependant intéressant de situer l’action recherchée par les pouvoirs publics français par rapport aux choix de son premier partenaire économique. Nous vous remercions donc de nous faire partager votre analyse et votre expérience sur ce que peuvent être le rôle et les moyens d’action d’une blanque publique.

Dr Lutz-Christian Funke, senior vice président de KfW Bankengruppe. La KfW a été fondée en 1948 avec l’argent du plan Marshall, dans l’idée de ne pas verser des subventions directes mais plutôt de subventionner les prêts accordés, de façon à pouvoir récupérer de l’argent. C’est ce que nous faisons depuis presque soixante-dix ans.

La KfW appartient à la République fédérale à hauteur de 80 % et aux länder à hauteur de 20 %. Les länder ne relèvent cependant pas, à proprement parler, de la stratégie de la KfW dans la mesure où chacun d’eux dispose de sa propre banque.

Le siège de la KfW est à Francfort mais nous avons également des succursales à Berlin – depuis la chute du Mur –, à Bonn – après la faillite de la Deutsche Ausgleichsbank – et à Cologne. La KfW a également des bureaux à l’étranger, mais principalement dans le cadre de ses activités d’aide au développement, à l’instar de celles que mène l’AFD, l’Agence française de développement.

Son bilan avoisine aujourd’hui les 530 milliards d’euros, chiffre variable en fonction de la parité avec le dollar. Elle emploie 5 500 personnes environ, contre 1 500 il y a vingt ans.

Elle a donc beaucoup grandi en taille, pour devenir la troisième banque allemande aujourd’hui, et bientôt la deuxième devant la Commerzbank. Cette évolution n’était pas prévue, mais elle donne matière à réfléchir sur celle du marché bancaire.

L’élément le plus important, au regard de nos capacités de refinancement, est la notation AAA. La KfW bénéficie, aux termes de ses statuts légaux, de la garantie de la République fédérale pour son refinancement, mais selon un mécanisme – « l’Anstaltslast » – qui signifie plutôt, en fait, qu’elle ne peut pas faire faillite.

Fait nouveau, la KfW est désormais soumise à la loi bancaire, et relève, comme les autres banques, du régulateur allemand, le Bundesanstalt für Finanzdienstleistungsaufsicht (BaFin).

La banque ne distribue pas de bénéfices. Cette année, ceux-ci ont atteint 1,5 milliard d’euros, et ils sont utilisés pour subventionner les taux d’intérêt des prêts accordés. En d’autres termes, nous subventionnons des programmes via les taux d’intérêt, notre capacité de refinancement nous offrant des marges de manœuvre en la matière. En moyenne, nos taux d’intérêt sont de 1 %. C’est évidemment moins intéressant que par le passé compte tenu du programme d’assouplissement quantitatif de la BCE. Cela signifie que si une entreprise n’emprunte pas maintenant, elle ne le fera jamais.

Nos prêts respectent un principe de « on-lending » ; autrement dit, ils sont indirects. Nous ne faisons pas de cofinancement. Un accord de non-concurrence nous lie aux banques qui distribuent nos prêts aux entreprises moyennant une commission, dans le cadre de programmes désignés comme étant ceux de la KfW. Nous pouvons ainsi, par exemple, financer la totalité de ces prêts ou y contribuer à hauteur de 50 %, la banque assumant alors le complément.

Mme la présidente Véronique Louwagie. L’intervention de la KfW est donc bien visible pour l’entreprise emprunteuse ?

Dr Lutz-Christian Funke. Oui, et cette visibilité est d’ailleurs nécessaire. Nous avons, pendant un certain temps, pratiqué le « global loan », versant ainsi 1 milliard d’euros à la Deutsche Bank ou 500 millions à la Commerzbank, dans le cadre de prêts aux PME. Or, le client final, dans ces opérations, ignorait la contribution de la KfW. Nous nous sommes donc réorientés vers des programmes plus spécifiques, dédiés en particulier aux start-ups et à l’innovation. Cette visibilité est rendue nécessaire par le niveau de nos taux d’intérêt, sachant qu’un crédit général est plus cher qu’un crédit fléché vers un domaine spécifique. Notre système fonctionne mieux, bien entendu, dans les périodes où les taux d’intérêt sont plus hauts : une entreprise peut aujourd’hui obtenir, de la part des banques, des prêts à 1 % compte tenu de l’abondance des liquidités en Allemagne, et c’est plutôt le niveau d’investissement par les entreprises qui pose problème.

Nos missions sont multiples ; elles résident d’abord dans la promotion de l’économie allemande, et ensuite dans des opérations internationales. S’agissant du premier volet, la « Mittelstandsbank » est dédiée à la promotion des PME, la « Kommunal und Privatkundenbank et le Kreditinstitute », aux constructions de logements, à l’éducation et au financement de projets d’infrastructures communaux. L’ensemble de ces activités représente de 40 à 50 milliards d’euros par an. Quant au second volet, la KfW Banque de développement se consacre à la promotion des pays en développement et des pays émergents ; la KfW IPEX-Bank, elle, est notre bras armé commercial. Nous avons eu, à ce sujet, des discussions avec les banques privées et la direction générale de la concurrence à Bruxelles, discussions qui ont conduit, il y a quinze ans, à l’accord dit Monti 2. La plupart des opérations de financement de l’export sont assurées par cette filiale notée AA. Nous n’avons pas de problème particulier avec les banques privées car les règles sont claires ; au reste, des représentants de ces banques siègent dans notre conseil de surveillance, ce qui leur permet d’exprimer d’éventuels désaccords, en toute transparence.

La KfW est dotée d’un conseil d’administration présidé, selon une alternance annuelle, par les ministres des finances et de l’économie. Ce fonctionnement pose parfois quelques problèmes, au vu des préoccupations parfois différentes de ces deux ministères. Le conseil d’administration comprend notamment sept membres désignés par des ministères ainsi que des délégués du Bundestag et du Bundesrat, dont les sept membres assurent ainsi une représentation des länder. Les autres sièges se répartissent entre des représentants des banques, des caisses d’épargne, de l’industrie, des communes, ainsi que des représentants des secteurs de l’agriculture et du commerce. Au total le conseil d’administration comprend trente-sept membres : c’est trop, bien entendu, et les discussions y sont parfois difficiles, mais cette organisation permet une représentativité complète de l’économie allemande. La KfW dispose aussi de comités dédiés, par exemple aux risques et aux crédits.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Comment la KfW se refinance-t-elle ? Le fait-elle, par exemple, à travers des dotations budgétaires ou des emprunts sur les marchés ? Les excédents réinvestis au bénéfice de vos programmes le sont-ils dès l’année qui suit la publication des résultats, ou de façon étalée dans le temps ?

La KfW investit-elle en fonds de fonds et, dans l’affirmative, à quelle hauteur ? Avez-vous une doctrine en la matière ?

Dr Lutz-Christian Funke. La KfW se refinance presque exclusivement sur les marchés : elle émet ainsi de 50 à 65 milliards de « bonds » chaque année, ce qui fait d’elle le quatrième émetteur en volume après la France, l’Allemagne et l’Italie. Ces opérations sont rendues possibles par la garantie de l’État fédéral.

Nous recevons peu de subventions de ce dernier, même si cela peut arriver dans le cadre de l’aide au développement, pour un montant d’environ 2 milliards d’euros, et parfois pour les programmes spéciaux. Par exemple dans le domaine de la rénovation énergétique, 1,5 milliard d’euros de subventions ont été alloués.

Nos profits annuels avoisinent le milliard d’euros ; ils peuvent être utilisés, par exemple, pour consolider nos réserves. Ils proviennent, pour l’essentiel, de notre filiale commerciale et des marges obtenues sur les crédits de long terme – dont la durée est néanmoins limitée à six ou sept ans. Nos autres activités ne génèrent pour ainsi dire pas de profits, même si, globalement, nous n’y perdons pas d’argent.

La KfW n’investit pas en fonds des fonds et très peu en capital-risque, domaine dans lequel il y a eu de mauvaises expériences – ces investissements ont, en effet, été à l’origine de la faillite de la Deutsche Ausgleichsbank. De plus, le marché allemand est suffisamment liquide. Nous avons cependant recommencé à investir dans certains fonds et à participer à des cofinancements, pour un montant de 500 millions d’euros, afin de promouvoir les start-ups déjà établies : en ce domaine, le retard avec les États-Unis nous paraissait en effet problématique.

M. Laurent Grandguillaume, rapporteur. La loi prévoit-elle des évaluations régulières de vos programmes ?

Vos activités de conseil aux entreprises en matière d’investissement supposent des moyens importants, notamment humains. Cela ne tend-il pas à évincer les cabinets spécialisés ?

Dr Lutz-Christian Funke. La KfW développe peu d’activités de conseil sauf dans le financement de l’export, même si, bien entendu, toute opération de financement implique un dialogue. Dans le cadre de la promotion de l’économie allemande, nous organisons, tous les mois, des rencontres avec les start-ups auxquelles participe le ministère de l’économie.

Quant aux évaluations, elles sont systématiques, en amont comme en aval, pour l’aide au développement : elles sont alors réalisées par d’autres institutions, conformément aux règles internationales. Pour les autres programmes, nous faisons les évaluations nous-mêmes. Un programme d’innovation décidé avec le ministère de l’économie, par exemple, peut être évalué au bout de deux ou trois ans, et le Comité d’audit central allemand publie chaque année un rapport pour faire des recommandations.

Mme la présidente Véronique Louwagie. La KfW s’astreint-elle à la règle de parité en matière de cofinancement ? Si oui, cette règle admet-elle des exceptions ?

Comment les banques privées se rémunèrent-elles sur les prêts octroyés par la KfW ? Une commission est-elle versée ?

Faudrait-il selon vous une connexion plus étroite entre les banques publiques d’investissement et la Banque centrale européenne (BCE) ?

Dr Lutz-Christian Funke. En général, la KfW n’intervient pas par des opérations de cofinancement, compte tenu du système de prêts indirects. Elle ne l’a fait que dans des situations extrêmes, par exemple il y a six ans, lorsque l’Allemagne a rencontré d’importants problèmes de liquidités : les grandes entreprises nous avaient alors alertés sur le fait que les banques ne prêtaient plus. Notre intervention, au demeurant, se limitait en fait à la participation aux risques, au côté des banques : cette participation pouvait aller de 50 à 80 %. Les banques ont ainsi pu retrouver des liquidités, et même, parfois, bénéficier de notre garantie. Cette pratique n’a cependant duré qu’un an et demi, car elle ne correspond pas à nos missions fondamentales.

Le cofinancement est en revanche plus courant dans le cadre des prêts directs consentis aux grandes entreprises par notre filiale IPEX-Bank ; la Banque européenne d’investissement (BEI) peut y participer, au côté de quelques autres banques.

Quant à la rémunération des prêts indirects, les banques perçoivent effectivement une commission qui tire à la hausse le taux d’intérêt final. Cela dit, la KfW n’ayant ainsi que peu de filiales, ses coûts sont limités : il est beaucoup moins coûteux, pour elle, de s’appuyer sur un réseau de banques auxquelles nous versons une commission dont, bien entendu, elles discutent âprement le niveau.

Nous n’avons guère de contacts avec la BCE, étant entendu que notre refinancement est rendu relativement facile par la notation AAA issue de la garantie de l’État – si KfW avait un problème de refinancement, cela signifierait que l’Allemagne en a un…

Actuellement la BCE, engagée dans un programme d’assouplissement quantitatif, rachète nos « bonds » de préférence aux « bundesanleihein », dits « bunds », car ils offrent la même garantie tout en étant moins chers.

Mme la présidente Véronique Louwagie. De combien d’agences votre réseau bancaire est-il composé ? Avez-vous une délégation générale, fixée pour une période donnée, ou les banques viennent-elles frapper à votre porte en fonction de leurs besoins ponctuels ?

M. le rapporteur. Avez-vous des relations avec Bpifrance ? Quel regard portez-vous sur elle ?

Dr Lutz-Christian Funke. Nous travaillons avec les grandes banques allemandes ; pour les plus petites banques, une procédure est prévue, incluant des tests de résistance. La plupart des banques, cependant, obtiennent la qualification pour les opérations de prêt indirect.

Les grandes banques s’adressent aux entreprises pour leur proposer tel ou tel financement, en leur précisant ce qu’elles peuvent aussi obtenir via la KfW : il n’y a pas à proprement parler de limites.

Bien entendu, nous nous efforçons de contrôler nos investissements dans le temps, notamment en jouant sur les taux d’intérêt, dont les ajustements, définis chaque mois, dépendent de l’intérêt des programmes. Les taux d’intérêt sont néanmoins si bas sur le marché, en ce moment, que l’on se demande si on ne va pas en arriver des taux négatifs.

Nous avons toujours entretenu des relations avec Bpifrance, comme naguère avec OSEO : nous sommes en contact régulier avec leurs équipes qui sont très dynamiques.

Cela dit, la KfW est centrée sur l’Allemagne, et ses interventions en Europe restent limitées. Nous avons, par exemple, participé à un prêt global avec Bpifrance, et envisageons d’investir en capital-risque dans le cadre du plan Juncker. Peut-être participerons-nous encore à des prêts globaux destinés aux PME en France, ce qui suppose quelques procédures bureaucratiques. Reste que l’activité de prêt aux entreprises est la spécialité de Bpifrance, et dans une moindre mesure de la Caisse des dépôts et consignations (CDC).

Mme la présidente Véronique Louwagie. Les financements de KfW peuvent-ils être fléchés, non seulement vers les investissements mais aussi vers les trésoreries ou fonds de roulement à court terme des entreprises ?

D’autre part, quel est votre point de vue sur le plan Juncker ?

Dr Lutz-Christian Funke. Nous ne faisons pas de financement à court terme : c’est plutôt le rôle des banques. Quant à nos prêts, ils sont toujours fléchés vers l’investissement.

S’agissant du plan Juncker, les choses ne sont pas encore très claires. Le Parlement s’est lui aussi penché sur le sujet, et il faudra réfléchir aux questions de régulation. Le point positif, cependant, est que, pour la première fois, le système ne repose pas sur des subventions directes mais sur des garanties à l’investissement. Reste à savoir s’il sera possible de mobiliser effectivement les 300 milliards d’euros annoncés. La principale difficulté, pour la BEI, n’est pas de trouver des liquidités mais des projets intéressants et financièrement viables.

Quant aux programmes du Fonds européen d’investissement (FEI), ils sont intéressants mais les procédures restent trop bureaucratiques. Les programmes trop complexes ne fonctionnent pas, en raison notamment de l’abondance des liquidités sur le marché : peut-être ont-ils un impact dans les pays économiquement plus faibles, du sud de l’Europe, mais en Allemagne – et sans doute en France –, ce n’est pas le cas. Les entreprises s’orienteront toujours vers les programmes les moins compliqués, même s’ils sont un peu plus chers. Nous avons fait part de ces critiques à M. Hoyer, le président de la BEI : nous comprenons les exigences du contrôle budgétaire mais, en Allemagne, il est d’usage d’expliquer la façon dont l’argent doit être employé. Cette règle n’a pas cours à Bruxelles, ce qui rend les choses plus difficiles.

Les critères d’éligibilité et d’additionnalité doivent aussi être clarifiés : il faudra trouver les projets qui ne pouvaient voir le jour sans les garanties annoncées. J’ai évoqué le sujet hier avec des responsables de la CDC ; chacun œuvre donc dans le même sens auprès de la BEI.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Vous avez plus de quatre-vingts bureaux et représentations dans le monde entier – dont aucun en France, me semble-t-il. Quels sont vos critères d’implantation ?

Dr Lutz-Christian Funke. Nous n’avons malheureusement pas de bureaux à Paris ! Nous en avons à Francfort et à Berlin, et je dispose d’un bureau à Bruxelles. La KfW IPEX-Bank, elle, possède des bureaux à Hong-Kong, aux États-Unis et à Londres. Pour la Banque de développement, les bureaux sont placés auprès des représentations diplomatiques, principalement en Afrique et en Asie : activité, comparable à celle de l’AFD, est d’une autre nature.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Nous vous remercions pour ces analyses. Peut-être avez-vous quelque chose à ajouter ?

Dr Lutz-Christian Funke. Je vous remercie pour votre invitation : l’exercice m’est familier en Allemagne, mais c’est la première fois que je m’y adonne en France. Nous avons des échanges réguliers, toutefois, avec nos collègues de Bpifrance et de la CDC : au départ, nous comprenions mal leurs rôles respectifs, mais les choses sont désormais plus claires. La coopération fonctionne bien ; nous participons, au niveau européen, à un club des investisseurs de long terme auquel s’associent également la Cassa dei depositi italienne, l’Instituto de credito oficial espagnol et la PKO Bank polski polonaise. Nous organisons des rencontres tous les deux ou trois mois – auxquelles participe M. Hoyer –, dans le cadre du plan Juncker mais aussi, plus généralement, pour conjuguer nos efforts en Europe.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Merci encore d’avoir répondu à notre invitation.