La réunion commence à 11 h 45.
M. le président Claude Bartolone. Nous allons maintenant nous intéresser aux conséquences du Brexit sur le contexte stratégique européen.
Évidemment, en toile de fond, nous avons tous en tête l’arrivée d’un nouveau président à la Maison Blanche. L’évolution de la politique étrangère américaine sera, me semble-t-il, déterminante pour les Britanniques, qui ont toujours vu la politique européenne, notamment celle de défense, comme servant de simple auxiliaire à l’OTAN.
La sortie du Royaume-Uni aura d’abord un impact sur la stratégie militaire britannique. Cet impact est difficile à évaluer, car il dépendra des effets économiques du Brexit outre-Manche : une situation économique dégradée aurait des conséquences sur les choix budgétaires britanniques, donc sur les choix militaires. N’oublions pas non plus que l’arsenal nucléaire britannique, déjà sous le feu des critiques d’une partie des travaillistes et de l’opinion publique, se situe en Écosse.
Dans ce contexte très particulier, quelles seront selon vous, monsieur le ministre, les conséquences du départ du Royaume-Uni sur la politique de sécurité et de défense commune ? Les Britanniques s’opposaient à une intégration renforcée en matière de défense, notamment à la mise en place d’un quartier général européen. Mais le Royaume-Uni, qui a posé, avec la France, la première pierre de l’Europe de la défense lors du sommet de Saint-Malo, en 1998, est aussi le seul autre État membre qui ait à la fois la volonté et la capacité de s’engager militairement pour l’Union sur des théâtres extérieurs. Après sa sortie, sur quels alliés pourrons-nous compter pour construire l’Europe de la défense ?
Avec le Brexit, l’Allemagne devient notre partenaire naturel dans ce domaine. En septembre, vous avez d’ailleurs remis, avec votre homologue allemande, des propositions à la haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères : vous plaidiez notamment pour l’instauration d’une « coopération structurée permanente » permettant aux États membres qui le souhaiteraient d’aller de l’avant. Mais l’Allemagne se donnera-t-elle les moyens de prendre plus de responsabilités dans la défense de l’Europe ?
Je vous laisse la parole, monsieur le ministre, avant que nous n’en venions aux questions. Vous semblez véritablement maîtriser ce dossier de la conduite à suivre pendant les négociations et en vue de préparer la sortie.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Pour le ministère de la défense, et d’une manière générale pour notre pays, la relation de défense franco-britannique est fondamentale à deux titres : comme élément de notre stratégie de défense et de sécurité d’abord, comme terreau de partenariats majeurs pour notre industrie de défense ensuite. J’ai eu l’occasion de m’exprimer à plusieurs reprises sur le sujet depuis le vote des Britanniques ; je l’affirme à nouveau ici : ma première priorité est de préserver une relation de défense franco-britannique féconde et stable. Les différents volets de la coopération qui nous lie sont irremplaçables. Vous l’avez dit, monsieur le président, la France et le Royaume-Uni restent à ce jour les seules puissances militaires européennes disposant d’une capacité de dissuasion nucléaire et des moyens nécessaires pour engager leurs forces armées dans des opérations de haute intensité, à des distances stratégiques, et en assumer le commandement.
Dans son discours de mardi dernier, Theresa May a clairement souhaité que la relation spéciale entre nos deux pays dans le domaine de la défense soit maintenue et reste positive.
Il convient de prendre le temps d’identifier les enjeux stratégiques auxquels nous sommes confrontés, au même titre que les Britanniques, sachant que nos intérêts sont globalement convergents. C’est d’autant plus nécessaire que Washington, notre partenaire et allié commun, pourrait éventuellement être susceptible d’infléchir, brutalement ou non, sa politique étrangère et de sécurité.
Pour toutes ces raisons, la France entend continuer à renforcer sa coopération bilatérale avec Londres en matière de défense, sur le plan tant opérationnel que capacitaire.
Le socle de notre relation est une coopération bilatérale forte. Celle-ci est d’abord fondée sur les traités de Lancaster House, lesquels comportent un volet conventionnel et un volet nucléaire.
En ce qui concerne le volet conventionnel, nous avons appliqué et nous appliquons les accords ; en particulier, nous mettons en œuvre le concept de force expéditionnaire conjointe interarmées (Combined Joint Expeditionary Force, CJEF). J’ai ainsi assisté en avril dernier à l’exercice Griffin Strike, qui a mobilisé 5 000 militaires français et britanniques. Nos états-majors travaillent en ce moment, sans s’être interrompus, sur des scénarios variés d’intensité et de complexités croissantes, en vue de développer cette force opérationnelle sur l’ensemble du spectre des opérations envisageables.
Très concrètement, nous engageons en 2017 – j’y reviendrai – un sous-groupement tactique de 300 hommes en Estonie, dans le cadre de l’OTAN, au sein d’une brigade commandée par les Britanniques.
Le partenariat entre le commandement des opérations spéciales (COS) et son équivalent britannique, le Directorate of Special Forces (DSF), bénéficie d’une dynamique renouvelée en raison du défi commun que constitue la lutte contre Daech en Libye et au Levant et, en soutien au Nigeria et aux pays concernés, contre Boko Haram et les milices islamistes au Sahel.
Sur le plan capacitaire, la coopération de défense franco-britannique a été confortée par la revue stratégique de défense conduite par Londres en 2015. Elle doit encore lancer des projets essentiels pour le maintien et le développement de la base industrielle et des capacités militaires européennes, qu’il s’agisse des missiles – missile antinavire léger, futur missile antinavire post-Exocet, futur missile de croisière successeur du SCALP (système de croisière conventionnel autonome à longue portée) ou du Storm Shadow –, du système de combat aérien futur (FCAS) ou de la guerre des mines. Il importe à nos yeux que l’ensemble des engagements programmatiques souscrits par Londres fin 2015 ne soient pas remis en question afin que cette coopération capacitaire essentielle puisse se poursuivre.
Je tiens à souligner que, depuis le vote du 23 juin et jusqu’à ces derniers jours, les autorités britanniques ont montré une ferme volonté de renforcer notre coopération bilatérale de défense pour l’ancrer dans la durée. J’ai rencontré mon collègue Michael Fallon à quatre reprises depuis l’été ; chaque fois a été mise en avant la nécessité de poursuivre cette dynamique politique.
Les accords de Lancaster House comprennent un autre traité, par nature plus discret, couvrant le domaine nucléaire : le traité Teutatès. Il s’agit d’un acte de confiance réciproque fondamental, puisque cette collaboration a pour finalité de garantir à chacun des deux pays la fiabilité et la pérennité des armes – des têtes nucléaires – qui sont au cœur de la dissuasion, et ce sans réaliser d’essai, conformément aux engagements internationaux pris par la France et le Royaume-Uni. Dans ce domaine aussi, notre coopération se poursuit sans discontinuer.
Ce traité organise le partage d’installations expérimentales radiographiques et hydrodynamiques. Il se traduit déjà par la construction et l’exploitation commune de l’installation radiographique et hydrodynamique Épure, dans le centre du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) situé à Valduc. Le traité prévoit en outre la création d’une installation destinée à des développements technologiques communs – en particulier les machines radiographiques du futur – dans le centre d’Aldermaston, au Royaume-Uni. Le premier axe de l’installation radiographique Épure est opérationnel et l’équipe intégrée franco-britannique travaille désormais à la mise en place de deux axes supplémentaires.
Ces accords sont essentiels et je ne vois pas comment ils pourraient s’interrompre. Les accords qui organisent notre relation bilatérale de défense ne sont donc en rien affectés par la décision de sortie de l’Union européenne, du point de vue du ministère français de la défense comme de celui de M. Fallon, me semble-t-il, conforté par le discours de Mme May.
Nous avons également une analyse très proche des menaces qui pèsent sur notre sécurité et des moyens de dissuasion, de prévention et de combat. Nos appréciations des risques que représentent le terrorisme d’inspiration djihadiste, la montée en puissance militaire de la Russie, le comportement de la Chine en mer de Chine du Sud, ou encore de la nécessité de prévenir et d’entraver la prolifération nucléaire sont similaires et font l’objet de coopérations constantes en matière politique et de renseignement. Il en va de même du choix de doter nos forces armées de capacités de dissuasion, d’intervention extérieure et de protection du territoire national. Le Royaume-Uni a étudié de près l’opération Sentinelle et nous avons beaucoup travaillé ensemble sur cette question il y a peu. Cette convergence continuera, je l’espère, de s’exprimer en Europe, comme aux Nations unies où nous agissons de concert comme membres permanents du Conseil de sécurité.
Nous travaillons également ensemble dans le domaine du contre-terrorisme. Le renseignement est pour nous une première ligne de défense. Nous y œuvrons conjointement, très souvent dans un cadre bilatéral, ou sous divers formats internationaux d’échange. Cette coopération se caractérise par un partage de renseignements extrêmement fréquent, sur un rythme quasi-quotidien, voire en temps réel. Elle se traduit également par l’organisation d’opérations communes pour obtenir des renseignements et, éventuellement, entraver des projets. Je songe par exemple à la cellule de coordination et de liaison que nous avons créée à N’Djamena pour suivre ensemble ce qui se passe autour du lac Tchad et aider les troupes de la Force multinationale mixte africaine à riposter à l’action de Boko Haram ou du groupe de M. Barnawi. Il existe d’autres exemples, en Libye et ailleurs, de cette collaboration sérieuse, efficace et qui s’opère en toute confiance.
Nous veillons aussi ensemble à la sécurité de nos espaces maritimes et aériens. Nous sommes voisins ; nos espaces de souveraineté se jouxtent. Il existe en la matière, concernant la police du ciel, des accords techniques bilatéraux entre les deux ministères de la défense. Nous coopérons aussi dans le domaine de la sécurité et de la sûreté en Manche. Nous avons en particulier signé il y a très peu de temps un accord permettant l’embarquement de gardes armés étatiques sur les navires à passagers dans les eaux territoriales.
Tout cela doit durer ; c’est notre intérêt. Je n’ai pas entendu depuis le mois de juin la moindre inflexion à ce sujet dans le discours de mon collègue Michael Fallon.
Restent bien sûr quelques questions concernant l’avenir, auxquelles je n’ai pas encore de réponse.
D’abord, la question financière et le poids futur du budget de la défense. La France et le Royaume-Uni sont les deux seules nations européennes à fournir un effort de défense à la hauteur de leurs ambitions stratégiques : légèrement au-dessus de 2 % du PIB pour les Britanniques ; 1,81 % pour nous. Ces données chiffrées peuvent faire l’objet de débats d’experts, mais, globalement, Français et Britanniques ont des formats d’armées très comparables et des capacités d’intervention équivalentes.
Je l’ai dit, le Royaume-Uni a réaffirmé son ambition dans le cadre de la Revue stratégique de défense et de sécurité de 2015, après plusieurs années marquées par des interventions difficiles en Irak et en Afghanistan. La question de l’impact financier du Brexit et de la capacité des finances britanniques à maintenir l’effort de défense prévu se pose. Ce n’est pas à moi d’y répondre aujourd’hui mais une chose est certaine : le tempérament de nos partenaires en matière de défense n’est plus à démontrer et la France, qui a par ailleurs entrepris d’accroître son effort de défense, s’appuie fermement dans ce domaine sur sa coopération avec le Royaume-Uni.
Le deuxième point concerne l’Europe de la défense. C’est bien sûr dans ce domaine que les conséquences du Brexit sont les plus apparentes ; elles doivent être maîtrisées. Le Brexit crée une rupture fondamentale au sein du projet européen en matière de politique de défense commune : il sépare de fait l’Union européenne de l’une des principales puissances de l’Europe et, dans le même temps, paradoxalement, d’un pays qui participait peu au projet européen dans ce domaine et le soutenait moins encore.
Dans l’immédiat, Londres affirme vouloir demeurer entièrement associée aux décisions prises dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), dans la mesure où elle restera un membre de plein droit pendant toute la durée des négociations. Pour la suite, le Royaume-Uni nous dit, à ce stade, souhaiter garder un lien fort avec les Européens et réaffirme que ses forces armées « sont une part cruciale de la défense collective de l’Europe », selon les termes employés par Theresa May le 17 janvier. Nous devons travailler à construire ce lien, qui sera nécessairement particulier.
En matière de politique spatiale, la place du Royaume-Uni dans le programme Galileo devra vraisemblablement être considérée sous le jour de sa nouvelle relation de partenariat avec l’Union européenne : du statut de membre à part entière, pleinement intégré au système, le pays passerait en ce cas à celui d’État tiers. Cela posera la question de l’accès au signal sécurisé PRS de Galileo, qui est soumis à négociation s’agissant des États tiers : tout le système devra alors être repensé.
J’en viens à l’action préparatoire à la recherche de défense. Vous savez qu’il a été décidé de consacrer au niveau européen une ligne budgétaire spécifique à ce secteur, pour un effort de recherche et d’innovation dans le seul domaine de la défense. L’instauration d’une période préparatoire de 2017 à 2019 a été actée. Si le montant qui lui est alloué n’est pas très élevé – 90 millions d’euros –, il s’agit d’un acte politique important, car porteur d’une nouvelle logique qui devrait nous permettre de développer à l’horizon 2021-2027 un programme cette fois significatif de recherche et d’innovation en matière de défense, doté de quelque 3 milliards d’euros. Or l’action préparatoire va devoir être rediscutée avec les Britanniques, à la fois acteurs majeurs de l’effort européen actuel de défense et généralement enclins à freiner les actions entreprises, tout en se montrant demandeurs de certaines technologies qui pourraient être mises en œuvre dans le cadre de l’action préparatoire. Je songe en particulier à l’hélicoptère dronisé, qui pourrait faire l’objet d’une coopération utile.
S’agissant de l’Europe de la défense, nous avons pris en septembre dernier, au moment du sommet informel de Bratislava, une initiative conjointe avec l’Allemagne. Nous avons ensuite été rejoints par l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la République tchèque ; l’initiative a été validée par les ministres des affaires étrangères et de la défense, puis a amené aux décisions du Conseil européen de décembre. Le Royaume-Uni ne s’y est pas opposé ; c’est important. Si on l’entend déclarer qu’il veut rester partie prenante de la décision dans les deux ans qui viennent, il faudra sans doute régir ensuite par un accord particulier sa participation à certaines actions pouvant être entreprises dans le cadre de la PSDC.
Quelques mots des industries de défense, qui représentent un aspect essentiel de notre relation. Nous avons engagé en coopération plusieurs programmes majeurs qui, a priori, devraient continuer de se développer.
Je pense d’abord au drone de combat futur (FCAS), pour lequel nous prévoyons de disposer de deux démonstrateurs opérationnels à l’horizon 2025. Un avenant à l’arrangement bilatéral, signé en décembre 2016, permet d’étendre la phase actuelle et d’ouvrir la voie au lancement de la deuxième partie du projet. C’est important, car il s’agit du drone de combat de nouvelle génération : je ne parle pas du drone d’observation. C’est donc, d’une certaine manière, l’aviation de combat du futur que nous commençons d’élaborer ensemble.
Je pense aussi, dans le domaine industriel, à la vitalité du projet One complex weapons qui consiste en un renforcement de l’intégration de MBDA autour de la France et du Royaume-Uni. L’accord intergouvernemental dans le domaine des missiles, entré en vigueur en octobre dernier, est une étape historique car il vient concrétiser le principe d’interdépendance entre nos deux pays dans un domaine capacitaire et technologique de souveraineté. Ainsi, les programmes sont amenés à se poursuivre, qu’il s’agisse du futur missile de croisière ou du futur missile antinavire qui succèderont au Scalp et à l’Exocet.
Dans le même ordre d’idées, nous avons une coopération très importante autour de Thales : Thales UK, Thales France et le groupe Thales dans son ensemble sont ainsi en partenariat pour l’élaboration du projet de guerre des mines. Des accords ont été signés et devraient permettre une coopération extrêmement utile.
J’en reviens aux propositions formulées pour relancer l’Europe de la défense. J’ai été frappé par le fait que le Royaume-Uni, alors que ces propositions étaient postérieures au vote du 23 juin dernier, n’a pas fait obstacle à la validation de l’ensemble de la feuille de route que nous avions initiée avec l’Allemagne. Il est vrai que nous avions pris les précautions nécessaires sur les points de vigilance britanniques – notamment la complémentarité entre l’action de l’Union européenne et celle de l’OTAN. Cela étant, ce souci est partagé par l’ensemble des membres de l’Union, et en particulier par l’Allemagne. Nous avons également entériné le refus d’une duplication inutile avec la création d’une armée européenne – suite à la formule provocatrice lancée par Michael Fallon. Finalement, les Britanniques ont fait preuve, au cours du trimestre, d’une certaine flexibilité, ce qui nous a permis d’adopter l’ensemble des dispositions que nous avions prévues pour renforcer l’Europe de la défense. Ils ne se sont pas opposés, en particulier, à l’établissement, au sein de l’Union européenne, d’une capacité opérationnelle permanente de planification et de conduite dans le domaine stratégique. Ils ne se sont pas opposés non plus à la mise en œuvre du principe de financement de la défense européenne, que ce soit dans le domaine de la recherche ou qu’il s’agisse de la révision des mécanismes permettant le financement des actions de défense de l’Union européenne par le dispositif Athena.
Je terminerai mon propos en mentionnant deux programmes de coopération en cours.
Il s’agit, d’une part, de notre engagement commun en Estonie en 2017 : dans le cadre du Plan d’action pour la réactivité décidée lors du sommet de l’OTAN à Varsovie, validé lors de la réunion des ministres de la défense en juin dernier, nous allons participer au dispositif de présence avancée rehaussée en Estonie. Cette présence dissuasive vise à prévenir toute incursion russe sur le flanc est de l’Alliance. C’est un point de vigilance majeur que nous partageons avec les Britanniques. Nous mettrons en œuvre cette décision dès le mois d’avril en mobilisant 300 hommes, soixante-dix véhicules blindés et des chars lourds. Le même dispositif sera ensuite déployé en Lituanie avec nos alliés allemands.
D’autre part, dans le cadre de nos actions récentes, nous avons beaucoup coopéré face à la Russie puisque nous avons été conduits à mener des actions de « dissuasion » à l’égard d’appareils stratégiques russes ayant longé et frôlé l’espace aérien français. Dans le même objectif, nous faisons preuve de vigilance à l’égard de la menace sous-marine russe qui mérite une attention particulière en ce moment – surtout dans l’Atlantique Nord où nous menons des actions spécifiques avec les Britanniques, les Américains et les Norvégiens. Le regain de déploiement sous-marin russe étant relativement récent, il importe que nous puissions nous coordonner à cet égard.
Bref, nous coopérons très étroitement sur des secteurs extrêmement sensibles et la France considère que cette relation bilatérale est essentielle à notre propre sécurité. Cela ne nous empêche pas d’avoir des initiatives de défense au niveau européen. Je constate que jusqu’à présent, le paquet qui a été proposé a été approuvé par le Royaume-Uni. S’agissant des engagements financiers de ce pays, ceux-ci ont pu varier dans le temps, le Royaume-Uni ayant à un moment donné fait des coupes sombres dans sa participation budgétaire, mais son effort budgétaire est maintenant en phase de remontée. Il importe que celle-ci se poursuive. Il faut également que nous inscrivions notre coopération dans les industries de défense dans la durée. Je crois, pour en avoir parlé à de nombreuses reprises avec mon homologue d’outre-Manche, que c’est une volonté partagée.
Mme Élisabeth Guigou. Quels programmes voudriez-vous privilégier à la fois pour l’action préparatoire et pour le programme 2020-2027 ? Si des programmes importants de recherche sont financés par l’Union européenne, cela signera une évolution remarquable.
D’autre part, il faut, naturellement, non seulement poursuivre mais amplifier notre coopération bilatérale avec le Royaume-Uni. Vous avez souligné que c’était souhaité des deux côtés – ce qui me paraît excellent – et que nous partagions de surcroît les mêmes analyses des grands enjeux stratégiques mondiaux. Avez-vous le sentiment à ce stade, compte tenu de la distance que semble vouloir prendre le nouveau président des États-Unis par rapport à l’OTAN, que le Royaume-Uni sera plus ouvert sur les questions de projections extérieures communes de l’Union européenne au sens large ? Si tant est qu’une analyse soit possible à ce stade – les intentions de M. Trump étant encore assez floues –, pensez-vous que le Royaume-Uni acceptera, comme il l’a fait jusqu’à présent, que l’Europe de la défense continue à avancer ?
Ce que vous venez de nous dire concernant les industries de défense MBDA et Thales est très rassurant car sans véritable industrie de défense européenne, nous n’aurons jamais de défense commune.
M. Pierre Lellouche. Je retiens de ce que vous venez de dire que dans le domaine de la défense, l’intensité des relations bilatérales avec les Britanniques n’a pas été affectée par le Brexit.
Depuis le référendum britannique, il y a eu l’élection de M. Trump et son commentaire sur l’OTAN qu’il juge « obsolète ». Il ne s’agit donc plus seulement de reprocher aux Européens de ne pas financer suffisamment l’Alliance – vieille rengaine, d’ailleurs assez fondée, de nos alliés américains. Cette déclaration change en effet la donne de la défense européenne et notamment du socle de sécurité de l’Allemagne, de la Pologne et des États baltes. Qu’en pensent nos partenaires britanniques ?
Par ailleurs, vous avez indiqué que les deux principaux budgets de défense européens étaient ceux de la France et du Royaume-Uni – je souhaiterais que ce soit vraiment le cas du côté français mais c’est un autre débat. Il faut cependant noter une évolution outre-Rhin puisque le budget allemand de la défense est sur le point de dépasser le nôtre. Y a-t-il oui ou non moyen – du fait du Brexit et grâce, si j’ose dire, à M. Trump – de bâtir une défense commune en élargissant le champ des accords de Lancaster House à l’Allemagne dans le domaine des forces de projection, dans celui du renseignement et en matière d’organisation des forces et de complémentarité ?
M. Gilles Savary. Votre exposé, monsieur le ministre, est très éclairant et rassurant même s’il n’est pas évident de savoir quelle sera la marche à suivre dans les années qui viennent. Il est rassurant, au vu de l’histoire de nos deux pays et de leurs capacités militaires, de constater la très forte coopération franco-britannique sur des sujets essentiels. Cela suffira-t-il notamment vis-à-vis des opinions publiques, dans un monde aujourd’hui totalement déstabilisé tant au Sud qu’à l’Est et, sur le plan politique, aux États-Unis.
Comment articuler les trois chantiers : préserver ce lien bilatéral très fort, poursuivre nos efforts pour essayer d’embarquer tous les Européens dans une Europe de la défense et, enfin, l’OTAN ? La construction de l’Europe de la défense n’est pas neutre en termes d’attachement des opinions publiques à l’Europe car si le Brexit est un succès pour le Royaume-Uni, il nous faudra offrir d’autres perspectives. C’est pourquoi je souhaite que l’on réoriente les priorités de la construction européenne vers les questions de défense qui, contrairement aux questions économiques, peuvent faire l’adhésion des peuples.
Par ailleurs, le Brexit devrait conduire à la réintroduction de barrières commerciales et douanières. Vous parliez tout à l’heure des liens très étroits entre les industries de défense britanniques et françaises. Que va-t-il se passer ? Quelle sera la position de la France en ce domaine ? Demanderez-vous une exception au rétablissement des barrières douanières dans le domaine des industries de défense ?
M. Pierre Lellouche. La défense ne relève pas du marché intérieur.
M. Gilles Savary. C’est vrai mais je me demande si cela ne risque pas d’affecter certains fournisseurs. Peut-on considérer que le Brexit n’aura aucune incidence sur les échanges en matière d’industries de défense ?
M. Pierre Lequiller. Monsieur le ministre, vous nous avez complètement rassurés : la dynamique de la coopération franco-britannique, loin d’être remise en cause, se poursuivra comme précédemment. La continuité va l’emporter en dépit du Brexit, ce qui est évidemment très positif.
Je voudrais néanmoins évoquer, comme l’ont fait Pierre Lellouche et Gilles Savary, le changement d’approche que l’on peut pressentir de la part des États-Unis d’Amérique. Sous la présidence de Barak Obama, déjà, l’engagement des Américains n’était pas très fort. À présent, nous avons carrément le sentiment que les États-Unis vont se replier sur eux-mêmes, y compris, probablement, en matière de défense. M’étant rendu en Allemagne à plusieurs reprises récemment, j’ai entendu Mme Merkel dire devant le Congrès de la CDU qu’elle voulait porter l’effort de défense de l’Allemagne à 2 % du PIB. Cela va-t-il être fait à court terme ou bien par étapes ?
D’autre part, l’Allemagne acceptera-t-elle aussi de faire évoluer le type d’interventions qu’elle effectue sur le terrain, et qui se bornait jusqu’ici à de la formation. Au vu des déclarations de la chancelière et de Mme Von der Leyen, l’Allemagne est-elle en train de changer de cap sur ce sujet ?
Enfin, dès lors que l’Allemagne entrerait dans le jeu, peut-on espérer que l’Espagne, l’Italie et la Pologne se joignent au mouvement ? L’Europe de la défense veut certes se construire à vingt-sept mais cela ne marchera jamais dans un tel cadre. La coopération structurée est-elle néanmoins en marche ou pas ?
M. Jacques Myard. Je voudrais tout d’abord nous féliciter de l’excellence de la coopération intergouvernementale, monsieur le ministre. On voit bien que la méthode communautaire n’est pas la panacée et qu’il faut parfois revenir aux bonnes vieilles techniques…
Le Brexit aura sans doute un impact en matière de coopération en armement du fait de la récente directive qui rend obligatoire la passation d’appels d’offres …
M. le ministre. Elle ne l’impose pas dans tous les domaines.
M. Jacques Myard. Certes – et heureusement – mais elle va déjà trop loin, de mon point de vue. Il aurait fallu exonérer la défense de toutes les règles européennes un peu trop contraignantes.
Vous rappeliez à propos de Galileo – projet que j’ai appelé de mes vœux parce que c’est une bonne coopération – que l’accès au signal sécurisé PRS était soumis à négociation pour les États tiers mais les Américains l’ont déjà, n’est-ce pas ? Je crois savoir qu’ils avaient fait pour cela des pieds et des mains, disant que ce serait un casus belli si les Européens se dotaient de Galileo. Je ne vois donc pas pourquoi, en ce domaine, on mettrait les Britanniques au ban de l’empire.
Enfin, nous avons entendu dire que l’armée britannique avait le moral dans les chaussettes, pour parler familièrement. Il est donc nécessaire de la réconforter, tous Français que nous soyons.
M. le président Claude Bartolone. Vous avez raison, monsieur le ministre, de dire que pour le moment, le Brexit n’a pas d’impact sur les questions de défense. Il suffit de constater l’attitude qui a été celle du gouvernement britannique, que ce soit après la déclaration de la haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ou après le Conseil européen de décembre dernier qui a envoyé un signal fort. Mais je reste préoccupé par une question qui a été soulevée par les différents intervenants et qui me taraude encore davantage depuis que j’ai entendu Michel Barnier : dans quels dossiers le Royaume-Uni peut-il avoir un moyen de chantage sur l’Union européenne. ? Je pense pour ma part que le dossier de la défense paraît le plus structuré à cet égard.
M. le ministre. Je ne crois pas.
M. le président Claude Bartolone. Je vous dis cela après avoir constaté le dialogue singulier qui a commencé à s’installer entre M. Trump et Mme May, et après les critiques qui ont été portées sur le fonctionnement de l’OTAN. Je ne veux pas jouer les oiseaux de mauvais augure mais avons-nous un plan B si le Royaume-Uni était tenté de faire du chantage sur ce dossier ? Compte tenu notamment de l’écart sur le chèque de sortie, je ne vois pas comment on pourra faire dans la dentelle. Un tel scénario pourrait donc exister : l’avez-vous prévu ?
M. Pierre Lellouche. Je prolonge les propos du président Bartolone : pour disposer d’un levier ou d’un moyen de chantage, les Britanniques ont besoin de conclure très rapidement un accord de libre-échange avec les États-Unis. Telle est la carte que détiennent les Américains. N’y a-t-il pas là un élément de nature à compromettre nos relations de défense avec les Britanniques, actuellement satisfaisantes ?
M. le ministre. Je vais répondre à vos questions en vous donnant mon sentiment personnel, en particulier lorsqu’il s’agit d’anticiper.
Dans mon propos liminaire, j’ai essayé de décrire la très grande étroitesse de nos relations de défense avec le Royaume-Uni.
C’est le cas dans le domaine nucléaire : nous avons des outils communs de vérification de la pérennité et de l’efficacité de nos têtes nucléaires, même si chacun dispose de sa propre « maison » sur le site de Valduc. Certes, les lanceurs sont fournis par les États-Unis. Par ailleurs, les sous-marins nucléaires britanniques sont basés en Écosse. Cela peut soulever d’autres problèmes, que je n’aborderai pas maintenant.
C’est également le cas dans le domaine opérationnel : nous avons une force de projection commune, que j’ai vue fonctionner avec succès lors de plusieurs exercices. Conformément à ce qui est prévu dans le traité, nous organisons un exercice par an et par armée ou interarmées. L’année dernière, il s’est agi d’un exercice global : une opération fictive à laquelle ont participé nos deux marines, nos deux aviations et nos deux armées de terre. Nous sommes en train d’élaborer le concept opératoire.
C’est enfin le cas dans le domaine capacitaire : nous avons mis nos industries de production de missiles en commun. C’est une activité de très haut niveau, pourvoyeuse d’emploi : MBDA et Thales UK comptent respectivement 3 000 et 6 000 salariés au Royaume-Uni.
Je ne vois donc pas quel intérêt le Royaume-Uni aurait à infléchir ces relations en quoi que ce soit. Je n’ai jamais entendu mon collègue Michael Fallon faire la moindre déclaration en ce sens. Ce n’est pas notre intérêt, mais ce n’est pas non plus celui des Britanniques. Je pense donc que ces relations vont se poursuivre.
J’en viens aux déclarations de M. Trump.
D’abord, le Royaume-Uni est profondément attaché à l’OTAN, de même que l’ensemble des pays européens, en particulier l’Allemagne, car elle serait fragilisée sans la protection de l’OTAN : elle aurait des difficultés en matière de couverture sécuritaire.
Ensuite, j’attends de disposer de déclarations officielles du Gouvernement américain. Car le futur secrétaire à la défense, le général James Mattis, insiste au contraire sur la nécessité de maintenir l’action de l’OTAN, tout en établissant sans doute un meilleur équilibre transatlantique, ce qui est une demande américaine ancienne, ainsi que l’a rappelé M. Lellouche. Sur le fond, le général Mattis annonce des objectifs qui sont globalement ceux qui ont été fixés collectivement lors du sommet de l’OTAN à Varsovie. Et le sénateur John McCain, avec qui je me suis entretenu récemment sur ces questions, ne dit pas autre chose.
Nous sommes donc dans une phase intermédiaire, où il y a des déclarations contradictoires. Il est trop tôt pour tirer des conclusions ; pour le dire rapidement, je ne vais pas anticiper sur la base de tweets ! Il faut attendre une clarification des positions des uns et des autres. De ce point de vue, j’attends avec grand intérêt la réunion des ministres de la défense de l’OTAN à Bruxelles dans une quinzaine de jours, à laquelle participera le général Mattis.
Je ne pense pas qu’il y ait lieu d’imaginer une stratégie alternative, d’autant qu’un certain nombre de pays européens, qui étaient à un moment donné très pro-américains, parfois exagérément, au point de rompre leurs engagements – je pense à la Pologne –, sont désormais très inquiets et très attentifs à ce qui va se passer. Pour notre part, nous sommes au rendez-vous. Je n’ai pas eu le moindre signe de remise en cause de l’opération à laquelle nous allons participer en Estonie sous commandement britannique.
Monsieur Myard, à un moment donné, mon collègue britannique m’a effectivement fait savoir que son armée était « fatiguée » – c’est le terme qu’il a employé – en raison de la succession des interventions en Afghanistan et en Irak. C’est en tout cas la raison qu’il donnait pour expliquer la faiblesse de l’engagement britannique dans les opérations menées à l’initiative de l’Union européenne, notamment EUTM Mali, EUTM Somalie et EUTM RCA, pour citer les trois opérations majeures de l’Union en Afrique. Cela n’empêche pas les Britanniques de participer désormais au dispositif de présence avancée rehaussée en Estonie ou aux opérations contre Daech au Levant, avec une posture à peu près identique à la nôtre tant en termes d’effectifs que de capacités, puisqu’ils ont engagé des avions de combat Tornado et Typhoon. D’une manière générale, le moral des forces britanniques semble s’être amélioré en 2016 par rapport à 2014 et 2015. Il a notamment été conforté, en 2015, par la Strategic Defense and Security Review (SDSR), équivalent de notre Livre blanc et de notre loi de programmation.
Monsieur Lequiller, je constate trois inflexions majeures dans l’attitude de l’Allemagne, depuis un an et demi, voire depuis les premiers attentats commis en France en 2015 – l’Allemagne avait alors répondu à l’appel au soutien que nous avions lancé. Ces inflexions sont donc antérieures au Brexit, même si celui-ci a pu les conforter ensuite.
Première inflexion : une volonté affichée d’augmenter le budget de défense et une augmentation réelle de celui-ci, qui est toutefois encore loin d’atteindre 2 % du PIB.
Deuxième inflexion, frappante de mon point de vue : une réactivité et un engagement beaucoup plus fort sur de nombreux théâtres, que l’on n’aurait pas pu imaginer ne serait-ce qu’il y a deux ans. Ma collègue Mme Ursula von der Leyen donne une forte impulsion en la matière, avec le soutien, manifestement, de la chancelière Mme Merkel. Cela se traduit par une série de grandes nouveautés. Dans quelques semaines, l’Allemagne va déployer des hélicoptères dans le cadre de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Elle est également présente dans les combats contre Daech : la frégate allemande Augsburg a été en permanence aux côtés du porte-avions Charles-de-Gaulle, dans toutes ses missions ; certes, l’Allemagne n’a pas engagé d’avions de combat, mais elle participe à l’observation, à la surveillance et à la formation. À Erbil, où je me suis rendu récemment, il y a des formateurs allemands auprès des peshmergas.
M. Pierre Lellouche. Et les Allemands livrent plus d’armes que nous.
M. le ministre. Il faut en effet ajouter les livraisons d’armes.
Troisième inflexion : un intérêt récent mais marqué pour l’Afrique. Mme Merkel s’est rendue en Afrique, ce qui était, là aussi, une grande nouveauté. Nous allons agir ensemble : j’effectuerai dans quelques jours une mission conjointe en Afrique avec ma collègue allemande ; nous allons essayer de créer un partenariat important, avec à la fois un soutien aux armées africaines en reconstruction et – hors de notre champ de compétences – un volet relatif au développement.
Il y a donc une évolution significative de la volonté de l’Allemagne en matière de défense.
En complément, la France et l’Allemagne ont pris l’initiative, en septembre 2016 – donc, après le Brexit –, d’établir une feuille de route sur l’Europe de la défense. Nous avons pris toutes les précautions pour qu’elle soit acceptable par les Britanniques. Ainsi, pour être inclusifs, nous n’avons pas, à ce stade, retenu l’hypothèse d’une coopération structurelle permanente.
Cette feuille de route concerne trois domaines. Elle a, premièrement, une dimension opérationnelle, l’objectif étant d’améliorer la réactivité, avec notamment un renforcement de l’Eurocorps et de son emploi, des capacités d’organisation et de planification communes, une identification beaucoup plus active des Groupements tactiques de l’Union européenne (GTUE), afin que certains d’entre eux soient préidentifiés et plus aisément disponibles pour une intervention.
Elle a, deuxièmement, une dimension capacitaire, avec le renforcement de la recherche, évoqué tout à l’heure par Mme Guigou. À ce stade, l’action préparatoire ne concerne que l’hélicoptère dronisé. Ce programme sera mis en œuvre sur l’initiative d’Airbus. Les programmes futurs restent à établir, peut-être dans le cadre de l’Agence européenne de défense. En tout cas, il paraît acquis qu’il y aura, entre 2021 et 2027, une ligne budgétaire européenne consacrée aux industries de défense, tout à fait en amont, qui va nous permettre de consolider notre base industrielle en Europe, dès lors que les Etats le décideront. Les Britanniques seront peut-être intéressés à participer à ces programmes. Dans ce cas, il faudra établir un lien avec eux le moment venu. J’ignore encore si un accord spécifique sera nécessaire. De même, il faudra sans doute un accord spécifique sur Galileo, et peut-être un accord spécifique sur les industries de défense, MBDA et Thales étant les deux plus importantes, Airbus étant concernée dans une moindre mesure.
La feuille de route a, troisièmement, une dimension financière, avec la révision du mécanisme Athena, la création d’un fonds européen de soutien aux industries de défense, initiative de M. Juncker que nous avons soutenue, et la mise en œuvre d’un processus de soutien intitulé CBSD en anglais ou RCSD en français – renforcement des capacités en faveur de la sécurité et du développement –, qui permettra aux forces armées africaines de s’équiper en matériel non létal, chaque État conservant la liberté d’acquérir les armes de son choix. Nous constatons en effet qu’il ne suffit pas de former ces forces, il faut aussi les équiper.
Cette feuille de route a été validée par les Britanniques, sachant que nous avions fait en sorte qu’elle ne contienne pas d’élément bloquant pour eux. Mon collègue Michael Fallon m’avait d’ailleurs dit : « Tu vas être surpris, nous allons voter pour ! » Cela illustre notre volonté de créer un partenariat avec les Britanniques, de favoriser leur présence dans les actions que peut mener l’Union européenne en matière de défense.
M. Pierre Lellouche. Quel est le statut de cette feuille de route ? Si les Britanniques y adhèrent, il est important de le savoir.
M. le ministre. Elle a été validée par le Conseil européen du 15 décembre 2016.
M. Pierre Lellouche. Ne vous êtes-vous pas compliqué la tâche ? Dans la mesure où il s’agit d’un instrument européen, la question de la coordination entre ce système et le Royaume-Uni va se poser. Ne valait-il pas mieux une feuille de route bilatérale franco-allemande à laquelle nous aurions associé ensuite les Britanniques ? N’y a-t-il pas encore moyen de procéder de la sorte ?
M. le ministre. Le Royaume-Uni va rester partie prenante des travaux sur l’Europe de la défense pendant au moins deux ans. Nous n’allons pas arrêter ces travaux. Les Britanniques ont voté pour cette feuille de route, qui comprend d’ailleurs des éléments auxquels ils s’étaient opposés jusqu’alors.
M. Pierre Lellouche. Votre idée est donc de poursuivre ce travail après le Brexit sous une autre forme ?
M. le ministre. Bien sûr. Si les Britanniques le souhaitent, nous pouvons mettre en place en place un dispositif spécifique permettant leur participation à la PSDC. J’ai l’impression qu’ils y sont ouverts, ainsi que le laisse penser le point 11 du discours prononcé ce mardi 17 janvier par Mme Theresa May.
Pour ce qui est des déclarations de M. Trump, je le répète : l’ensemble des pays européens est très attaché à l’OTAN, en particulier l’Allemagne.
S’agissant de l’impact du Brexit sur les industries de défense, monsieur Savary, deux entreprises majeures peuvent être concernées : MBDA et Thales. Thales UK est avant tout présente sur le marché britannique, mais elle coopère avec Thales SA, située en France, sur un programme commun : la conception des drones sous-marins antimines, qui remplaceront en temps utile les chasseurs de mines.
L’une des conséquences sera la non-application aux entreprises britanniques des directives européennes imposant des appels d’offres. Cependant, à mon avis, les entreprises que j’ai citées ne sont pas concernées. Il peut aussi y avoir une conséquence pour les transferts de technologies de pointe, que les directives facilitent entre États membres de l’Union européenne. Il faudra peut-être prévoir un dispositif spécifique en la matière.
Quant à l’éventuel dumping qui a été annoncé, il sera inopérant en l’espèce, puisqu’il s’agit de programmes communs, notamment pour la production des missiles qui succéderont aux Exocet et aux SCALP, armes majeures de la guerre de demain.
S’agissant de Galileo, le financement étant communautaire, il faudra sans doute trouver un dispositif spécifique pour associer les Britanniques, d’autant plus qu’il y a un volet sécuritaire.
M. Jacques Myard. Les États-Unis ont eux aussi accès au signal sécurisé PRS de Galileo.
M. le ministre. Oui, en tant qu’État tiers, de même que la Norvège. Il faudra un dispositif spécifique du même type pour le Royaume-Uni.
M. le président Claude Bartolone. Merci, monsieur le ministre. On voit que les choses n’en sont qu’à leur début sur le dossier de la défense. Nous espérons que tout se déroulera dans les meilleures conditions possibles.
La réunion est levée à 12 h 45.
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Membres présents ou excusés
Présents. - M. Claude Bartolone, M. Christophe Caresche, M. Philip Cordery, M. Éric Elkouby, Mme Élisabeth Guigou, M. Pierre Lellouche, M. Pierre Lequiller, M. Jacques Myard, M. Michel Piron, M. Gilles Savary
Excusés. - M. Joël Giraud, Mme Marietta Karamanli, M. Rudy Salles