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Mission d’information sur les suites du référendum britannique et le suivi des négociations

Jeudi 26 janvier 2017

Séance de 9 h 15

Compte rendu n° 9

Présidence de M. Claude Bartolone, Président

– Audition de Lord Llewellyn, ambassadeur de Grande-Bretagne en France.

– Audition de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des Affaires étrangères et du développement international.

L’audition commence à 9 h 20.

M. le président Claude Bartolone. Notre mission d’information arrive au terme de ses auditions, et nous avons la chance d’accueillir Lord Llewellyn, ambassadeur du Royaume-Uni en France.

Monsieur l’ambassadeur, nous sommes d’autant plus heureux de pouvoir vous entendre que, en tant que directeur de cabinet du Premier ministre David Cameron, vous vous êtes trouvé aux premières loges de cet « accident » que constitue le référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.

Aujourd’hui en poste dans notre pays, vous aurez à gérer les conséquences de cette sortie sur les relations franco-britanniques et allez pouvoir nous éclairer sur les différentes étapes qu’il faudra franchir, sachant que la Cour suprême du Royaume-Uni vient d’annoncer que le Parlement britannique devra être consulté sur l’activation du Brexit, alors même que la Première ministre s’était d’ores et déjà efforcée de désamorcer les oppositions par ses annonces sur la manière dont le Parlement serait associé aux négociations.

Dans ce contexte, nous sommes impatients de connaître le sentiment que vous inspirent vos relations actuelles avec les responsables politiques français. Nous attendons également de vous que vous nous éclairiez sur le « timing » britannique jusqu’à l’activation de l’article 50.

Enfin, pouvez-vous nous livrer votre interprétation du discours de Theresa May, notamment pour ce qui concerne la façon dont elle envisage la sortie du marché unique et les nouvelles relations que pourraient établir les Britanniques avec leurs partenaires européens ?

Lord Llewellyn, ambassadeur du Royaume-Uni en France. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je suis très heureux d’être ici ce matin pour témoigner devant vous.

C’est un grand honneur et un privilège d’être en poste à Paris, dans un moment très important pour les relations entre nos deux pays. La France a toujours joué un rôle majeur dans ma vie professionnelle et personnelle.

Ma carrière, ces trente dernières années, a été axée sur les affaires étrangères, ce qui m’a amené à rencontrer déjà plusieurs d’entre vous. Avant d’être directeur de cabinet de David Cameron à Downing Street pendant six ans, j’ai passé treize ans à l’étranger : cinq ans à Hong-Kong, auprès de notre dernier gouverneur, Chris Patten, puis trois ans à Bruxelles, au sein de son cabinet ; cinq ans enfin à Sarajevo, au sein de la mission chargée de la reconstruction de la Bosnie.

Il se trouve que, par une incroyable coïncidence, le premier Français que j’ai rencontré lors de mon arrivée à Calais, il y a environ deux mois, pour prendre mes fonctions d’ambassadeur en France, était un policier de la police de l’air et des frontières avec lequel j’avais travaillé il y a onze ans à Sarajevo : cela m’a rappelé à quel point la France et le Royaume-Uni travaillent ensemble partout dans le monde pour défendre nos valeurs et nos intérêts communs.

Dès ma prise de fonctions, j’ai pu mesurer le caractère fort et unique de la relation qui unit nos deux pays. J’ai assisté à la cérémonie marquant le centenaire de la fin de la bataille de la Somme au cours de laquelle de nombreux soldats britanniques et français ont combattu côte à côte : parmi eux, mon arrière-grand-oncle, soldat britannique, mais également l’arrière-grand-père de ma femme, soldat français. J’ai également participé à l’émouvante commémoration du premier anniversaire de l’attentat du Bataclan ; ces cérémonies m’ont rappelé à quel point nos deux pays ont toujours su s’entraider dans les moments difficiles et comment ils continuent à le faire.

Ma mission en tant qu’ambassadeur comporte plusieurs priorités, au premier rang desquelles la relation entre la France et le Royaume-Uni. Cela signifie que, tout en faisant le maximum pour que les nouvelles relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne soient un succès pour tous, je veux surtout œuvrer à l’approfondissement de notre relation bilatérale, dans de nombreux domaines.

J’en viens à présent à la position du Royaume-Uni et à notre feuille de route concernant le Brexit. Avant d’entrer dans les discussions techniques, je tiens à dire que je suis conscient de l’émotion suscitée par le résultat du referendum, ici comme ailleurs.

La Première ministre Theresa May a prononcé la semaine dernière un discours majeur sur notre sortie de l’Union européenne, présentant notre plan pour le Brexit, notre vision du futur partenariat stratégique entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.

Les principaux points développés par la Première ministre sont les suivants.

Nous quittons l’Union européenne mais nous ne quittons pas l’Europe. Nous resterons des partenaires fiables, volontaires et des amis proches de nos voisins, comme la France, avec lesquels nous partageons tant de valeurs et d’intérêts communs.

Je sais que les raisons du vote des Britanniques n’ont pas toujours été très bien comprises ; ce choix peut s’expliquer par la volonté de mes concitoyens de voir les décisions qui concernent leur vie prises par des élus qu’ils ont choisis et dont ils se sentent proches. Leur vote en faveur du Brexit reflète tout particulièrement l’attachement de notre pays à sa démocratie parlementaire et au rôle de notre Parlement, à Westminster.

Nous avons entendu la position des leaders de l’Union européenne sur la question de l’indivisibilité des quatre libertés relatives au marché unique. C’est pourquoi notre proposition est celle d’un accord de libre-échange audacieux et ambitieux, qui supprime autant que possible les freins au commerce des biens et des services. Nous voulons donner aux entreprises européennes et britanniques un maximum de liberté pour commercer ensemble et opérer sur leurs marchés respectifs.

Notre priorité, comme vous le savez, est de parvenir à un accord dès que possible, afin de garantir les droits des citoyens, qu’il s’agisse des Britanniques vivant dans les États membres de l’Union européenne ou des citoyens des États membres vivant au Royaume-Uni.

Nous voulons que la transition entre notre statut actuel d’État membre de l’Union et le nouveau partenariat que nous souhaitons voir naître soit aussi nette et fluide que possible, dans notre intérêt commun. Dans cette perspective, nous souhaitons qu’un accord sur ce futur partenariat soit signé dans les deux ans prévus par l’article 50.

Je veux insister sur les ambitions du nouveau partenariat que nous proposons : destiné à se substituer à la relation institutionnelle à laquelle nous renonçons, il doit être constructif, bénéfique pour les deux parties, et englober bien plus que les seules questions économiques. Nous souhaitons que notre coopération continue dans d’autres secteurs clefs, notamment la défense, la sécurité ou la recherche.

Je souligne que nous ne voulons pas déstabiliser le marché unique ni l’Union européenne. Au contraire, nous voulons que l’Union européenne soit une réussite et que ses États membres, qui sont nos alliés, nos voisins, nos amis, soient prospères.

Nous voulons aussi que les relations entre le Royaume-Uni et la France restent étroites. Pourquoi ? Pas seulement parce que nous sommes des amis, des voisins et des alliés, mais parce que nos deux pays, de taille similaire, partagent un héritage, des valeurs et des objectifs communs et qu’ils font face aux mêmes défis mondiaux. Si nous avons eu nos rivalités et nos différends – pour dire les choses en termes diplomatiques –, notre relation se fonde sur un profond respect mutuel ; il est donc clair que notre partenariat devra continuer à s’approfondir dans de multiples domaines.

En matière de défense tout d’abord : j’étais à Downing Street lors de la signature des accords de coopération de Lancaster House – qui sont l’un des accords dont je suis le plus fier. Depuis, notre coopération – qui se déploie sur de nombreux théâtres d’opérations extérieures comme au Mali, en Irak ou en Syrie – n’a cessé de se renforcer, à tel point qu’aujourd’hui un pilote britannique pilote un avion militaire français et inversement. En tant que membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies enfin, nos deux pays ont également une responsabilité particulière sur la scène internationale.

En matière de sécurité, j’ai pu, lors de mes années passées à Downing Street, mesurer l’étendue de notre coopération en matière de sécurité, notamment dans le cadre de la menace terroriste, mais également en amont, dans la lutte contre la radicalisation. Nous vivons dans un monde dangereux ; loin de réduire notre coopération, nous devons au contraire la renforcer dans ce domaine.

La recherche, les sciences et les technologies sont l’un des autres domaines dans lesquels se déploie notre coopération ; j’ai pu en voir de mes propres yeux de nombreux exemples. Ainsi, à l’occasion de son cinquantième anniversaire, j’ai visité la semaine dernière l’institut Laue-Langevin à Grenoble, un centre de recherche sur les neutrons qui réunit les Français, les Britanniques et les Allemands, et constitue un bel exemple de cette coopération scientifique.

Enfin, notre coopération dans le domaine énergétique est également essentielle : il n’est qu’à voir la signature de l’accord pour la construction d’un EPR par EDF à Hinkley Point, qui engage le Royaume-Uni pour plus de soixante ans, autrement dit vraiment sur le long terme.

Plus globalement, je lancerai très prochainement, avec ma collègue Sylvie Bermann, l’ambassadrice de France à Londres, un programme d’échanges de haut niveau, intitulé Young Leaders et visant à encourager les relations directes entre jeunes professionnels issus de divers États des deux côtés de la Manche.

Je suis donc très optimiste sur l’avenir de nos relations. Nous avons hâte de poursuivre un travail constructif ensemble, alors que nous entrons dans une période cruciale pour le futur de nos deux pays et de l’Europe.

M. le président Claude Bartolone. Monsieur l’ambassadeur, Hilary Benn vient d’exiger, dans une déclaration récente, que le Gouvernement présente au Parlement avant la mi-février un rapport sur son plan de négociations, sous la forme d’un Livre Blanc. La presse parlait quant à elle d’un texte court, sur lequel il ne serait guère possible de multiplier les amendements. Quelle est votre position sur cette question ? Faisons par ailleurs un peu de politique-fiction : quelles seraient les conséquences d’un vote négatif dans l’une des deux chambres ?

D’autre part, commence-t-on à avoir une idée du sort des citoyens britanniques résidant sur le continent et des citoyens européens qui se trouvent au Royaume-Uni ? On s’interroge notamment sur le fait de savoir si la question du statut de ces citoyens s’est ouverte à la date du référendum ou si elle dépendra du moment où l’article 50 se trouvera activé. Il s’agit d’une question pratique, mais qui va rapidement se trouver à l’ordre du jour.

Mme Élisabeth Guigou. Monsieur l’ambassadeur, nous nous réjouissons d’avoir de nouveau en poste à Paris un amoureux de la France ; vous perpétuez en cela une heureuse tradition.

Il n’y a naturellement aucune raison que nos relations bilatérales souffrent du choix qu’a fait le peuple britannique de sortir de l’Union européenne. Nous devons certainement même les renforcer dans les domaines que vous avez cités, notamment la défense.

J’aimerais néanmoins insister sur ce qui se passe à Calais et savoir comment vous envisagez sur ce point précis notre coopération future. En effet, les migrants recommencent à venir à Calais, malgré les efforts considérables que nous avons faits pour répartir harmonieusement sur notre territoire ceux d’entre eux que nous étions parvenus à persuader de demander l’asile en France. Il reste en particulier des centaines de mineurs isolés qui attendent de passer au Royaume-Uni. Un certain nombre ont déjà été accueillis outre-Manche mais, de notre point de vue, cela reste très insuffisant.

Quelle est par ailleurs votre appréciation de ce que votre Gouvernement jugera absolument prioritaire dans la période des deux ans qui va suivre l’invocation de l’article 50 ? Quels sont les sujets que vous estimez devoir être réglés pendant cette période, avant que débutent les négociations commerciales, qui seront évidemment beaucoup plus longues ?

M. Jacques Myard. Excellence – selon le protocole du ministère des affaires étrangères, on donne du « monsieur l’ambassadeur » à un ambassadeur français mais de l’« Excellence » à un ambassadeur étranger –, Mme May, comme vous-même, l’a laissé entendre : on ne refait pas la géographie. M. de Talleyrand l’avait déjà expliqué en 1815, alors qu’il renouait avec Londres au sortir d’une guerre franco-britannique qui avait duré depuis plus de trente ans : « Je fais la politique étrangère de ma géographie. » Je me félicite de ces permanences dans la conduite de ce que la Cour permanente de justice internationale (CPJI) appelle les « nations les plus civilisées ».

Cela étant, si je suis convaincu, dans la mesure où notre solde commercial avec le Royaume-Uni est positif et que les Français n’ont donc par conséquent aucun intérêt à se tirer une balle dans le pied, que nous nous dirigeons vers un accord de libre-échange, j’aimerais votre opinion sur le fait que, compte tenu de la législation européenne, la City risque selon toute vraisemblance de perdre le bénéfice du passeport européen.

Qu’on le veuille ou non, le Brexit est la preuve de la crise que traverse l’Union européenne et le signal qu’il est grand temps de la refonder sur de nouvelles bases. Quel est selon vous le grief principal qu’ont exprimé vos concitoyens par leur vote ? On a beaucoup évoqué les questions d’immigration – notamment polonaise – mais cela ne masque-t-il pas un reproche plus fondamental, sur lequel nous devrions tous nous interroger, et qui touche à la perte de souveraineté des parlements nationaux ?

M. Pierre Lellouche. Monsieur l’ambassadeur, nous nous connaissons depuis vingt-cinq ans. Nous nous sommes rencontrés une première fois à Hong Kong, où j’accompagnais Jacques Chirac, venu observer comment vous accompagniez la sortie – déjà ! – de Hong Kong du giron britannique, puis nous nous sommes revus à Sarajevo. Je suis donc très heureux de vous accueillir aujourd’hui, malgré mes regrets que l’ambiance ne soit pas franchement à la gaieté et que nous entrions dans une période complexe qui doit avoir le moins de conséquences négatives pour nos deux pays.

La dernière fois que les Anglais ont quitté le continent, si l’on excepte l’épisode de la poche de Dunkerque, c’était il y a cinq cent quarante-deux ans, lorsque fut signé le traité de Picquigny, aux termes duquel, Louis XI, sans doute le roi le plus intelligent qu’ait eu la France, paya à Édouard IV d’Angleterre une somme de 75 000 écus, assortie d’une rente annuelle, pour que les Anglais veuillent bien rentrer chez eux et nous ficher la paix… Or les négociations qui s’annoncent ne sont pas sans évoquer le traité de Picquiny, toute la question étant de savoir qui va payer.

Et c’est là que ça se complique. Plusieurs problèmes urgents se profilent devant nous ; nous devons donc éviter que cette affaire ne traîne trop car, même si Mme May affirme ne pas vouloir déstabiliser l’Europe, le seul fait que les négociations s’étirent en longueur, sur deux ans voire plus, sera extrêmement délétère pour ce qui reste de l’unité européenne. Je pense en particulier à tout ce qui touche à la désindustrialisation et à la délocalisation dont souffrent nos territoires – le cas de l’usine Whirlpool d’Amiens qui va être délocalisée en Pologne est à ce titre emblématique. Nos débats à cet égard sont assez voisins des vôtres…

Je souhaite donc que tout se passe le plus rapidement possible. Mme May a indiqué qu’elle voulait un divorce : eh bien, divorçons ! La première question dans un divorce concerne les enfants, en l’occurrence les citoyens. De mémoire, 1,2 million de Britanniques qui vivent sur le continent, dont de nombreux pensionnés qui vivent en France. Quelles sont vos intentions à leur égard ? Pourriez-vous par ailleurs nous dire ce qu’il en est des rumeurs de montée à Londres de manifestations de xénophobie à l’égard des citoyens européens, y compris français ? Que compte faire votre Gouvernement ?

J’aimerais également en savoir plus sur votre stratégie. En quoi consiste exactement l’accord de libre-échange que vous souhaitez ? Vous avez parlé d’un partenariat fort et ambitieux : quels domaines concernera-t-il ? Envisagez-vous un divorce à la norvégienne ? à la suisse ?

Enfin, l’unité du Royaume-Uni est-elle mise en danger par le Brexit et qu’implique-t-il dans votre organisation interne ?

M. le président Claude Bartolone. Quelles devraient être les conséquences de la décision de la Cour suprême qui a rejeté la demande de l’Écosse concernant la consultation des parlements régionaux ?

Lord Llewellyn. Monsieur le président, la Première ministre a en effet annoncé hier que le Gouvernement publierait un Livre Blanc. Un projet de loi sera également présenté et débattu au Parlement, conformément à la décision de la Cour suprême.

Nous ne nous projetons pas dans l’hypothèse d’un vote négatif sur l’activation de l’article 50. La Chambre des communes a déjà voté avant Noël une résolution proposée par l’opposition, et le principe de l’activation de l’article 50 a été approuvé par 448 voix contre 75, c’est-à-dire avec une majorité de 373 voix, ce qui est assez confortable.

En ce qui concerne l’accord que nous voulons négocier, la Première ministre a déclaré dans son discours de la semaine dernière qu’à la fin du processus, l’accord serait soumis au vote du Parlement. Le Gouvernement entend quoi qu’il en soit négocier un accord qui convienne non seulement au Royaume-Uni, mais également à nos partenaires.

Quant à la question des ressortissants européens au Royaume-Uni et des ressortissants britanniques en France et dans les autres États membres, la Première ministre a été très claire. Elle a répété hier devant la Chambre des communes, lors des Prime Minister’s Questions ce sur quoi elle avait déjà insisté dans son discours de la semaine dernière, à savoir que nous voulons être en mesure de garantir les droits des ressortissants britanniques vivant dans les autres États membres comme des ressortissants européens vivant au Royaume-Uni. Nous aurions voulu trouver un accord sur ce point dès avant Noël, tout comme plusieurs autres États membres, mais pas tous. Cela reste néanmoins pour nous une priorité et une question que nous souhaitons résoudre le plus rapidement possible dans les négociations.

M. Pierre Lellouche. Avant de vous laisser répondre sur le sort de nos concitoyens expatriés des deux côtés de la Manche, je voudrais revenir sur ce que vous venez de répondre à la question du président Bartolone. Vous avez indiqué qu’il y aurait un vote du parlement britannique non seulement avant la mise en œuvre de l’article 50 du traité de Lisbonne mais également à l’issue de l’accord négocié avec l’Union européenne. Il s’agit donc au fond d’une forme de ratification de cet accord. Mais de mémoire, correct me if I’m wrong, l’article 50 ne prévoit pas que l’accord revienne devant les parlements nationaux du côté européen si un État sort de l’Union. Il y aura un traité, un accord international entre le Royaume-Uni, devenu pays tiers, et l’Union ; mais si votre parlement doit le ratifier, on ne peut écarter l’hypothèse qu’il n’en veuille pas… Cela entraînerait une nouvelle période de négociations qui risque de durer, ce que, pour ma part, je ne le souhaite pas. Mais cela veut dire aussi que les parlements nationaux du continent devront eux aussi être consultés. On imagine mal que les parlementaires britanniques décident de se prononcer sur l’accord et que nous regardions le texte sans pouvoir le faire ; il y aura naturellement des demandes en ce sens. Cela ouvre des perspectives politiques un peu compliquées. Ai-je tort sur ce point, monsieur le président ?

M. le président Claude Bartolone. Dans sa décision, la Cour suprême indique qu’un certain nombre de lois ayant des conséquences sur la vie des Britanniques ont été transférées à l’Union européenne. Par conséquent, dès lors que l’on met fin à l’application des textes transférés, il faut passer devant le Parlement. Cela revient à dire que la Première ministre doit expliquer dans le cadre du Livre Blanc les différents points sur lesquels elle veut revenir.

Lord Llewellyn. La décision de la Cour suprême n’a rien à voir avec ce qu’a annoncé la Première ministre dans son discours de la semaine dernière concernant un vote à la fin du processus, car cette question n’avait pas été posée à la Cour. Cette décision de soumettre l’accord final au Parlement de Westminster appartient à la Première ministre. Ce que feront les autres États membres ne nous regarde pas, et vous comprendrez donc que je ne me prononce pas à ce sujet. La Première ministre a clarifié, à l’attention de notre parlement, le fait que le gouvernement britannique lui soumettrait l’accord final. C’est une décision purement nationale.

M. le président Claude Bartolone. En fin de processus ?

Lord Llewellyn. Oui. La semaine dernière, la Première ministre a dit exactement : « Au sujet du parlement, je voudrais fournir une autre certitude : je puis confirmer aujourd’hui que le Gouvernement soumettra l’accord final négocié entre le Royaume-Uni et l’Union européenne à un vote dans les deux chambres du Parlement avant que cet accord n’entre en vigueur ».

M. Pierre Lellouche. C’est un point capital. Je n’ai pas le sentiment qu’on ait ouvert ce débat en France ni qu’on ait interrogé M. Barnier la semaine dernière à ce sujet. D’abord, il y a une incertitude quant à la ratification par le parlement britannique et ensuite, si ce dernier s’arroge ce droit, les parlements des pays continentaux – et moi le premier, si je suis encore élu à ce moment-là – voudront regarder ce qu’il y a dans cet accord.

M. le président Claude Bartolone. Je précise, pour la bonne compréhension de notre discussion, que lorsque nous avons reçu M. Barnier la semaine dernière, il a bien indiqué que dans les six mois précédant l’échéance, devrait intervenir l’approbation ou non du Parlement européen, de la Chambre des communes et de la Chambre des lords. Autrement dit, nous devrons obtenir un accord sur le Brexit lui-même en octobre 2018.

M. Pierre Lellouche. Il a parlé du Parlement européen, pas des parlements nationaux.

M. le président Claude Bartolone. Pour les parlements nationaux, c’est le système constitutionnel propre à chaque État membre qui s’appliquera.

M. Pierre Lellouche. Il me semble que c’est votre devoir, monsieur le président, que de faire figurer le Parlement français dans la liste énumérée par M. Barnier. Il m’avait échappé que tout cela reviendrait devant le Parlement britannique. Or, ce n’est pas une question légère.

Mme Élisabeth Guigou. Pour ma part, j’ai toujours compris que l’accord final reviendrait devant le Parlement britannique. D’ailleurs, M. Corbyn n’a cessé de dire qu’il bataillerait très ferme sur l’accord final. Cela n’aura que des conséquences internes et ne préjuge en rien de ce que feront le Gouvernement et le Parlement français : il reviendra au Président de la République et aux présidents de nos deux assemblées de décider si nous organisons un débat et dans quelles conditions. Ce n’est pas une obligation pour nous. Supposons que le Parlement britannique, au bout des deux ans, décide de ne pas approuver l’accord finalement conclu par le gouvernement de Mme May – si, toutefois, elle est toujours en place car il pourrait bien y avoir des élections entre-temps ; cela regardera le Gouvernement britannique. Mais pour nous, l’absence d’accord signifiera une sortie sèche du Royaume-Uni au bout des deux ans. C’est cela que nous a expliqué Michel Barnier l’autre jour.

M. Jacques Myard. Je comprends bien que sur le plan strictement juridique, ce soit une affaire entre l’Union européenne, organisation internationale, et un État membre qui va devenir un État tiers. Je suis en cela le raisonnement du conseiller juridique qui nous l’avait expliqué. Les parlements nationaux n’ont pas vraiment à se prononcer sur ce processus, ce qui, politiquement, pose quand même problème dans la mesure où, rappelons-le, l’entrée du Royaume-Uni dans la Communauté européenne avait fait l’objet en France d’un référendum. En revanche, il est possible que l’accord qui sera conclu sur le fondement de l’article 50 du traité de Lisbonne puisse toucher à certaines matières qui ne sont pas strictement communautaires. C’est par ce biais que cet accord devra revenir devant les parlements nationaux. Car on voit très bien qu’il y aura des zones grises.

M. Pierre Lellouche. Cet accord de sortie aura évidemment des conséquences sur les finances publiques françaises, ne serait-ce que parce que le financement britannique sera moindre. Un certain nombre de textes législatifs seront également affectés, de la régulation financière au droit des étrangers. Bref, on ne peut donc pas considérer que ce soit une affaire strictement européenne ou que, si un problème survenait, l’alternative se résume à une rupture nette et définitive sans aucune possibilité d’arrangement avec un pays qui est notre allié, notre partenaire au Conseil de sécurité des Nations unies et notre voisin immédiat. C’est dans ce jeu où tout le monde se tient par la barbichette que la négociation va se faire ; et c’est là qu’il peut y avoir des problèmes.

Mme Élisabeth Guigou. Je n’ai jamais dit qu’il ne devrait pas y avoir un débat, sinon un vote, sous quelque forme que ce soit, au Parlement français sur les conséquences du Brexit, dans les domaines de compétence qui nous regardent ; je suis d’accord avec Jacques Myard sur ce point. Il n’empêche que si le Parlement britannique rejette l’accord qui a été négocié, on ne peut envisager rien d’autre qu’une sortie sèche du Royaume-Uni de l’Union européenne ; je ne vois pas comment il pourrait en être autrement. Ce sera le dilemme qui leur sera posé, mais cela regarde le Gouvernement britannique, de même que la question de savoir si nous devons nous prononcer ou pas sur les conséquences de l’accord nous regarde, nous. C’est un débat interne au Parlement français.

M. le président Claude Bartolone. Il me semble que les choses sont claires entre nous ; Michel Barnier nous a bien expliqué la manière dont le processus allait se dérouler en application de l’article 50. Pour le reste, notre Constitution n’oblige pas le Parlement à examiner cet accord, mais quelle que soit l’organisation de la future majorité au sein de l’Assemblée nationale, il faudra certainement consulter le Parlement selon des modalités que j’ignore, ne serait-ce que pour qu’il examine les différentes conséquences de cet accord.

M. Pierre Lellouche. Si un traité est conclu, je ne vois pas comment il pourrait échapper à la ratification du Parlement.

M. Jacques Myard. Si l’accord a des conséquences financières, l’article 53 de la Constitution s’appliquera.

M. le président Claude Bartolone. Il est évident qu’à un moment donné, un débat sera organisé au sein du Parlement. Mais le point qui me paraît le plus important pour le moment est celui qu’a soulevé Élisabeth Guigou : si, au bout de la négociation, une des deux parties n’est pas d’accord avec le compromis proposé, ce sera une sortie sèche. Nous l’avons senti à plusieurs reprises, notamment lorsque nous étions à Bruxelles, sur la question du ticket de sortie financier.

M. Pierre Lellouche. Ce qui nous renvoie à Louis XI… (Sourires)

Lord Llewellyn. Madame Guigou, je suis entièrement d’accord avec ce que vous avez dit sur nos relations bilatérales.

Au sujet de Calais, je constate que la coopération entre nos deux pays reste extrêmement importante. Nous pensons que les principes de base des accords du Touquet restent aussi valables aujourd’hui qu’ils l’étaient il y a près de quatorze ans lorsqu’ils ont été signés. Notre Border Force (force frontalière) travaille en étroite collaboration avec ses collègues français. Nous travaillons main dans la main, en amont, pour détruire les filières de passeurs en mer Méditerranée et affronter ensemble ces enjeux dans les pays de transit et dans les pays sources. Je veux saluer la manière dont les autorités françaises ont géré la situation difficile à Calais et surtout le démantèlement de la « jungle ». Nous avons essayé d’appuyer vos efforts : nous avons mobilisé de nombreux fonctionnaires britanniques pour aider leurs collègues français pendant le démantèlement et dans la période qui a suivi, des agents du Home office ont procédé à des entretiens dans les centres d’accueil et d’orientation partout en France. À ce jour, le Royaume-Uni a recueilli plus de 750 mineurs isolés ayant des liens familiaux avérés sur notre sol. Nous avons aussi débloqué un financement assez important, de 63 millions de livres pour l’année financière 2015/16, et nous avons débloqué 36 millions de livres supplémentaires, soit environ 40 millions d’euros, en octobre, suite au démantèlement de la jungle. Nous allons continuer ce travail commun car la sécurité de cette frontière maritime reste capitale pour nos deux pays. Je ne dis pas du tout que la situation est réglée, mais on me dit que les flux commerciaux du port de Calais ont augmenté de 10 % depuis le démantèlement de la jungle, ce qui est un bon signe. Je salue aussi le fait que les autorités françaises aient affecté des forces de sécurité dans cette zone pour éviter que des migrants y reviennent.

Quant à ce qui va se passer pendant les deux années de la négociation, nous voulons régler, pendant cette période, la question de notre sortie mais aussi celle de notre futur partenariat. Il me semble important de le faire simultanément et, comme l’a dit M. Lellouche, nous ne voulons pas tarder.

On entend souvent dire, monsieur Myard, que la décision du peuple britannique a été motivée par des considérations liées à l’immigration. Mais comme l’a expliqué la Première ministre la semaine dernière, l’enjeu du référendum était plutôt le contrôle de cette immigration, c’est-à-dire le droit, pour le Gouvernement britannique, de dire qui peut venir ou pas au Royaume-Uni. Cette question renvoie plus largement à notre histoire particulière, à notre attachement à notre démocratie parlementaire, assez ancienne ; s’y ajoutait le désir d’une certaine flexibilité. Comme vous le savez, le débat préalable au référendum fut très vif. Tous les arguments ont été avancés de chaque côté et je pense qu’en fin de compte, le peuple britannique a pris sa décision les yeux grands ouverts. Il sait que le chemin sera parfois incertain, mais il a jugé que le plus important, pour l’avenir de son pays, était de restaurer la primauté de sa démocratie parlementaire.

Je me souviens très bien, monsieur Lellouche, de votre visite à Hong Kong. Nous commémorerons d’ailleurs le 30 juin prochain le vingtième anniversaire de la rétrocession de ce territoire à la Chine.

Je pense avoir déjà répondu à votre question concernant les 1,2 million de citoyens britanniques expatriés dans les autres États membres et les 3,2 millions de citoyens européens qui vivent au Royaume-Uni. C’est une question importante que nous voulons régler en priorité dans la négociation. Cela étant, même si nous mettons en place un système de contrôle des entrées et sorties, nous resterons un pays ouvert sur le monde et ouvert à nos amis : c’est dans le caractère des Britanniques, dans notre culture, et cela ne changera pas.

En ce qui concerne l’avenir du Royaume-Uni et l’unité des quatre nations qui le composent, la Cour suprême s’est prononcée sur le rôle du parlement écossais, de l’assemblée du Pays de Galles et de celle d’Irlande du Nord et a conclu que c’est au Gouvernement britannique de décider de déclencher l’article 50 du traité de Lisbonne. C’est donc en tant que Royaume-Uni que nous allons négocier et sortir de l’Union européenne. Cela dit, la Première Ministre a répété à plusieurs reprises que les gouvernements d’Ecosse, du Pays de Galles et d’Irlande du Nord pourront contribuer au processus de planification de notre sortie de l’Union Européenne.

Mme Élisabeth Guigou. Dites-vous bien avoir accepté environ 750 mineurs ?

Lord Llewellyn. Oui.

Mme Élisabeth Guigou. Je suis, comme vous, persuadée que notre intérêt conjoint est de continuer à appliquer le mieux possible les accords du Touquet et de renforcer notre coopération, faute de quoi nous ne ferons qu’aggraver le problème. Certains, en France, demandent qu’on repousse la frontière de Calais à Douvres, mais je continue à penser que ce serait une folie : nous nous retrouverions à Calais avec un afflux encore plus important de gens qui veulent passer à Douvres et de surcroît, nous ne gérerions pas la situation conjointement comme nous le faisons actuellement. Cela étant, ne sous-estimez pas les pressions politiques qui vont se faire sentir en France à ce sujet. Un collègue du Pas-de-Calais me disait hier que l’on commençait à voir revenir des migrants à Calais. Nous ne sommes donc déjà plus dans la situation dans laquelle nous nous trouvions il y a un mois et les tensions vont recommencer. Par conséquent, si l’on veut maintenir les accords du Touquet, il va falloir adapter le dispositif en permanence pour montrer ici, en France, qu’il y a une vraie coopération entre la France et le Royaume-Uni et que nous partageons vraiment le fardeau.

M. Jacques Myard. Pour prolonger la question d’Élisabeth Guigou, qu’on le veuille ou non, malheureusement, il y a des entrées permanentes de migrants sur le continent européen dans son ensemble. Je voudrais, Excellence, connaître votre position sur la Libye qui est sans doute une des sources d’alimentation de Calais et qui me semble présenter un paradoxe. Je comprends parfaitement qu’il faille sauver des gens qui vont se noyer, mais on a affaire à des mafias qui poussent de pauvres gens sur des barcasses juste en dehors des eaux territoriales libyennes puis qui téléphonent aux Européens pour leur demander de les récupérer. Peut-être faudrait-il carrément imposer à la Libye de renvoyer ces gens-là d’où ils viennent, sans quoi c’est le tonneau des Danaïdes, un mouvement perpétuel. Et nous ne sommes qu’au début des flux migratoires.

M. Pierre Lellouche. Je viens de publier un livre dans lequel je donne des chiffres extrêmement précis sur ce qui va se passer en termes de flux migratoires – notamment en provenance d’Afrique du Nord, mais surtout du Sahel. Nous n’en sommes qu’au début. Il est bien évident que si la politique de contrôle des frontières de l’Union européenne se résume à du sauvetage en mer – ce qui a été le cas des opérations menées depuis l’arrivée au pouvoir de Matteo Renzi –, les trafiquants en profiteront pour faire fructifier leurs affaires puisqu’il leur suffit de téléphoner aux navires de l’OTAN et de l’Union européenne pour qu’ils viennent repêcher les migrants et les conduire ensuite en Italie d’où ils rentrent en France tous les jours. Demandez à Jean-Claude Guibal, collègue de la Commission des affaires étrangères, combien de migrants arrivent chaque jour à Menton. Ces gens se retrouvent ensuite à Paris, dans le quartier Stalingrad, puis à Calais. C’est sans issue. Je suis d’accord avec Mme Guigou lorsqu’elle dit que ce serait folie de revenir sur les accords du Touquet et d’ouvrir grand la frontière française car la situation deviendrait absolument ingérable – d’abord pour la France, ensuite pour le Royaume-Uni. La seule solution serait que l’Union européenne et l’Alliance atlantique changent de stratégie s’agissant de cette politique de contrôle des frontières maritimes. Tant qu’on en reste à du sauvetage en mer et qu’on ne reconduit pas les migrants sur les côtes libyennes, il n’y a aucune raison que cela s’arrête, au contraire : les parties rivales en Libye vont continuer à profiter du trafic. Mettre fin à ce dernier suppose que nos gouvernements prennent des actes peu populaires, certes pas très jolis à voir à la télévision ; mais si nous ne le faisons pas, nous en paierons le prix à Stalingrad, à Paris où les centres d’accueil sont totalement saturés et débordés, à Calais et dans d’autres villes de France. On ne peut pas continuer à nier la réalité et à essayer de vider des campements en distribuant à tout va le statut de demandeur d’asile à des gens qui, pour l’essentiel, sont des réfugiés économiques. Il est inadmissible de voir à quel point toutes les procédures sont détournées. Cela ne fait qu’aggraver les choses. Nous nous livrons vraiment à un jeu d’apprenti sorcier, tout cela à cause des images de télévision, des qui associations hurlent à la mort et de la peur de passer pour des méchants. Mais ceux qui deviennent méchants, ensuite, ce sont ceux qui en vivent les conséquences à Stalingrad et à Calais.

Lord Llewellyn. Madame Guigou, je suis entièrement d’accord avec vous sur le fait que nous devons continuer à travailler ensemble à Calais. J’aurais dû préciser que la convention de Dublin nous oblige à accueillir sur notre territoire les mineurs isolés ayant des liens avérés avec notre pays et que cela restera évidemment le cas. Lorsqu’on se rend à Calais, on s’aperçoit à quel point nous y avons conjointement renforcé les équipements de sécurité. Nous continuerons à vous aider à sécuriser la zone portuaire et les abords du tunnel de la Manche, mais nous voulons à tout prix éviter un appel d’air à Calais – qui risquerait de se produire si les gens pensaient que cette frontière était soudain ouverte.

La Libye est évidemment un défi majeur. Nous devons continuer à travailler ensemble en tant que communauté internationale, aux Nations unies et avec nos partenaires européens pour essayer de renforcer le fragile gouvernement en place. Il faut faire en sorte que la Libye dispose des moyens de contrôler son propre littoral, ce qui n’est pas du tout le cas aujourd’hui. Nous devons aussi continuer à travailler ensemble pour détruire ces filières de passeurs, améliorer nos capacités de renseignements et renforcer les frontières extérieures de l’Union. Le Royaume-Uni contribue à cet effort en Italie et en Grèce. C’est un exemple des défis auxquels nous allons continuer à faire face ensemble quand le Royaume-Uni aura quitté l’Union européenne car nous resterons un pays engagé en Europe.

M. le président Claude Bartolone. Nous vous remercions, monsieur l’ambassadeur. Nous aurons l’occasion de revenir sur la question de Calais en entendant Bruno Le Roux, jeudi 2 février à 14 heures 30.

L’audition se termine à 10 heures 25.

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La commission procède à l’audition de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des Affaires étrangères.

M. le président Claude Bartolone. Monsieur le ministre des affaires étrangères et du développement international, soyez le bienvenu. Nous arrivons au terme de notre cycle d’auditions. Pour la dernière, qui aura lieu le jeudi 2 février, nous recevrons Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur. Juste avant vous, nous avons reçu l’ambassadeur de Grande-Bretagne…

M. Pierre Lellouche. Du Royaume-Uni !

M. Jacques Myard. Ou désuni !

M. le président Claude Bartolone. Nous avons donc reçu l’ambassadeur du Royaume-Uni. Nous avons eu l’occasion d’aller à Londres, à Bruxelles, à Berlin ; nous avons rencontré nombre de ceux qui prendront part au processus de décision, que ce soit à la Commission européenne, au Parlement européen ou au Royaume-Uni. Il nous a semblé indispensable de vous recevoir pour prendre un peu de champ et nous replacer dans une perspective politique : la définition de la politique étrangère et européenne de la France et la défense de ses intérêts.

M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international. Je veux d’abord saluer l’initiative de l’Assemblée nationale : cette mission très utile est peut-être appelée à durer, sous la forme que les députés voudront donner à leurs travaux, car il y a évidemment une suite au vote des Britanniques. Le 23 juin dernier, ceux-ci ont pris la décision de quitter l’Union européenne. Comme j’ai eu l’occasion de le dire devant votre commission des affaires étrangères, nous regrettons cette décision mais c’est un choix démocratique que la France respecte.

Les États-membres de l’Union européenne se retrouvent devant une situation totalement inédite : nous n’avions même pas imaginé que la question pût se poser un jour. C’est ce qui a conduit les chefs d’État et de gouvernement des Vingt-Sept, en marge du Conseil européen du 29 juin, à affirmer clairement les principes qui devront présider aux négociations. Dans son article 50, le Traité européen fixe heureusement un cadre juridique clair en cas de retrait d’un État membre. Il ne saurait y avoir de négociation bilatérale ou sectorielle en dehors de ce cadre.

Une fois appliqué l’article 50, il faudra envisager une relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, fondée sur un équilibre entre les droits et les obligations des deux parties. En particulier, si le Royaume-Uni veut continuer à participer au marché unique, il devra accepter les quatre libertés qui y sont attachées, y compris la liberté de circulation des travailleurs et de leur famille. À ce stade, les Vingt-Sept ont fait preuve d’unité et de cohésion, ce qui est extrêmement important.

L’Union européenne s’organise. En marge du Conseil du 15 décembre, les chefs d’État et de gouvernement des Vingt-Sept ont défini les modalités des négociations, afin de garantir l’efficience et la transparence de ces dernières. Cela permettra à chaque institution de jouer pleinement son rôle, afin que l’Union européenne soit prête dès que le Royaume-Uni aura notifié formellement son intention de se retirer. Le Conseil européen adoptera les orientations qui fixeront les principes de la négociation de l’Union européenne. Puis la Commission présentera des recommandations pour le Conseil de l’Union européenne qui devra adopter les directives de négociation.

La Commission négociera au nom de l’Union européenne. Cela paraissait logique ; encore fallait-il que ce fût décidé. Cette désignation correspond à l’esprit du Traité et elle offre la garantie d’aboutir à une position claire. La Commission dispose de l’expertise technique et des moyens nécessaires à l’examen de ce dossier compliqué. Elle doit évidemment agir sous le contrôle politique du Conseil.

Jean-Claude Juncker a désigné notre compatriote Michel Barnier à la tête de l’équipe de négociateurs. Nous connaissons très bien Michel Barnier, qui a beaucoup de qualités et qui est apprécié en France et en Europe où il a été commissaire à la politique régionale, puis commissaire au marché intérieur et aux services. Son expérience est très riche et très utile. Sa désignation a donc été acceptée par les Vingt-Sept. Michel Barnier a commencé son travail de cartographie des enjeux et il a mené beaucoup de consultations, se rendant dans chacun des États membres, de façon très méthodique et rigoureuse.

Plusieurs dispositions spécifiques ont été prévues pour assurer la nécessaire transparence. Elles concernent les rapports entre les institutions et avec les États membres. L’équipe des négociateurs de la Commission va intégrer un représentant du Secrétariat général du Conseil, en la personne sans doute de Didier Seeuws que vous avez rencontré à Bruxelles. La Commission devra rendre systématiquement compte des négociations au Conseil européen et au Conseil de l’Union européenne. Tout au long du processus, le Conseil pourra actualiser les orientations et adapter les directives de négociation. Au sein du Conseil, le suivi sera assuré par un groupe de travail ad hoc, disposant d’une présidence permanente, composée des représentants des États membres et du secrétaire général du Conseil de l’Union européenne. C’est le Conseil des affaires générales, composé essentiellement des ministres des affaires européennes des membres de l’Union européenne, qui sera chargé de suivre cette négociation.

Voilà pour ce qui est de la méthode. Je n’oublie pas le Parlement européen qui sera tenu régulièrement et étroitement informé tout au long des négociations. Le président du Parlement européen pourra exprimer les positions de cette institution lors de sa prise de parole, en ouverture des réunions du Conseil européen. Le Parlement européen est donc étroitement associé et il s’est organisé pour ce faire : le président Guy Verhofstadt s’en est d’ailleurs exprimé récemment.

Ce dispositif sur mesure, prévu dans le cadre de l’article 50, diffère de celui qui est habituellement mis en place pour la négociation d’accords commerciaux par l’Union européenne. Il permettra d’établir une relation de confiance entre les institutions et entre les États membres, à charge pour chacun d’eux de rendre compte à son parlement national. Pour ce qui est de la France, l’Assemblée nationale et le Sénat souhaiteront sans doute être informés en temps réel, ce qui serait une bonne chose.

Cette articulation est une garantie dans ce cas précis où les négociations se déroulent au nom de l’Union européenne. Cette étape était indispensable au bon déroulement d’un processus qui va être très compliqué.

En France, nous avons renforcé notre organisation pour effectuer ce suivi. Depuis l’été dernier, le secrétariat général des affaires européennes (SGAE) conduit un important travail de cartographie des intérêts français en vue des négociations tant sur le retrait que dans la perspective des relations futures avec le Royaume-Uni. Au sein du ministère des affaires étrangères et du développement international (MAEDI), nous avons constitué un groupe de travail spécifique, piloté par Philippe Setton, directeur de l’Union européenne. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des affaires européennes, vous a déjà donné force précisions à ce sujet lorsque vous l’avez auditionné. Je ne vais donc pas développer davantage, à moins que vous le souhaitiez.

Nous avons la chance d’avoir l’expertise permanente du SGAE, placé sous l’autorité du Premier ministre, dans un dossier où le travail interministériel est constant. Il y a énormément de travail à faire sur les plans technique et juridique, dossier par dossier. Tous les pays ne disposent pas d’un outil précieux tel que celui-là, que nous avons d’ailleurs renforcé.

Qu’attendons-nous du Royaume-Uni ? Nous attendons la notification officielle. Lors de son discours du 17 janvier, la Première ministre Mme May a confirmé qu’elle transmettrait cette décision d’ici à la fin du mois de mars et elle a apporté quelques clarifications sur les objectifs du Royaume-Uni. Si le cap annoncé est maintenu durant toutes les négociations, le Royaume-Uni devra renoncer à son accès actuel au marché intérieur. Nous avons été clairs, et il était nécessaire de l’être : si le Royaume-Uni refuse la libre circulation des personnes et l’intervention de Cour de Justice de l’Union européenne, il n’a pas d’autre choix que de renoncer au marché intérieur.

Les Vingt-Sept ont intérêt sur ce sujet à réaffirmer leur cohésion et leur unité. Ils ont exprimé leur position sans agressivité, sur la base des principes qui fondent l’Union européenne, et ils devront examiner avec la plus grande attention certains points qui restent à éclaircir, je pense notamment à la participation au marché unique. La Première ministre nous a fait part de sa volonté de sortir du marché unique mais elle a également déclaré que le futur accord de libre-échange, souhaité par le Royaume-Uni, « pourrait reprendre des éléments des dispositions actuelles du marché unique dans certains domaines comme, par exemple, les exportations d’automobiles ou de camions ou bien la liberté de fournir des services financiers au-delà des frontières nationales. »

Autre point à éclaircir : l’union douanière que le Royaume-Uni souhaite quitter mais en signant un nouvel accord douanier et sans rétablir de frontière entre l’Eire et l’Irlande du Nord, ce qui n’est pas une mince affaire. Michel Barnier vous a cité l’exemple du mouton néo-zélandais qui peut arriver dans le marché unique en passant par l’Irlande. Pour en avoir parlé avec mon homologue Charles Flanagan, je sais que la situation suscite des inquiétudes en Irlande. Les deux voisins ont d’ailleurs commencé à discuter.

En résumé, il subsiste des zones d’ombre et les Vingt-Sept devront se montrer vigilants et afficher fermement leurs principes : le marché unique repose sur quatre libertés qui ne sont pas négociables ; il n’est pas possible de faire des arrangements sectoriels, d’avoir un pied dedans et un pied dehors, de pratiquer le cherry picking.

L’accord de retrait et l’accord relatif aux relations futures devront être traités en deux temps. Cela n’interdit pas de réfléchir à ce que pourrait être le cadre des relations futures, mais il faut d’abord négocier le retrait. Certes, l’accord de retrait doit être négocié en tenant compte des relations futures ; c’est ce qu’indique l’article 50. Mais il n’est pas possible de négocier avec une partie qui serait à la fois un État membre et un État tiers… Il n’y a là aucune manifestation d’agressivité à l’égard du Royaume-Uni ; c’est une question de cohérence, de logique juridique. Une négociation simultanée serait source de confusion et affaiblirait la position de l’Union européenne.

Plusieurs points majeurs devront être réglés dans l’accord de retrait. Il y aura des incidences sur le budget ou encore sur les droits des citoyens ; il est difficilement envisageable d’ouvrir des négociations concrètes sur l’avenir sans avoir résolu au préalable ces questions difficiles. On peut le voir comme un divorce ou comme le départ d’un membre d’une copropriété. Il faut tenir compte des contraintes, des engagements financiers. Combien le Royaume-Uni devra-t-il à l’Union européenne ? Il y aura sans doute des résistances à payer, peut-être une volonté de ne rien régler du tout, ce qui compliquerait davantage encore la suite des événements. Dans un deuxième temps, le départ du Royaume-Uni va se traduire par un manque à gagner très important pour l’Union européenne. Comment fera-t-on avec moins de moyens ?

Il ne s’agit pas de punir la Grande-Bretagne parce que le peuple britannique a pris cette décision. Nous ne sommes pas dans cet état d’esprit. Nous devons décrire la situation sans arrière-pensée et avec rigueur si nous voulons défendre nos intérêts et préserver la construction européenne. Le fait que nous soyons fermes ne veut pas dire que nous sommes agressifs. Il n’est pas agréable de nous entendre menacer de dumping fiscal si nous n’accédons pas d’emblée à certaines demandes. Il faut recommander que ce genre de préalable ne soit pas répété parce que les négociations ne peuvent pas débuter de cette manière.

Il faut d’ailleurs évaluer cette menace de dumping. Lors d’une récente réunion de la Commission des affaires étrangères, un député m’a dit que la France devrait se mettre aussi à baisser l’impôt sur les sociétés pour faire face au dumping fiscal britannique. Mais faisons attention : pour commencer, nous n’en sommes pas là. Ensuite, je pense que le Royaume-Uni a besoin de faire fonctionner son État et ses services publics ; je ne suis pas sûr qu’une baisse des impôts ne poserait pas d’énormes problèmes de politique intérieure. Sans vouloir renvoyer à nos débats franco-français, je constate que des questionnements semblables ont déjà lieu en Grande-Bretagne. Pendant la campagne précédant le référendum, certains – et non des moindres – prétendaient que l’argent qui ne serait pas versé au budget de l’Union européenne serait consacré au système de santé public, le National Health Service. Il n’en est plus question. Imaginons qu’il y ait encore moins de recettes dans les caisses britanniques…

Theresa May a aussi évoqué la question d’une phase transitoire. Sur ce point également, soyons clairs. Nous ne pouvons préjuger aujourd’hui du contenu de l’accord de retrait et de l’accord sur les relations futures. Il est donc prématuré de commencer à parler d’une période de transition. Il faut d’abord réussir l’accord de sortie, puis préciser la nature des futures relations. Plus nous serons rigoureux dans l’application de nos règles et de nos principes, plus nous pourrons discuter franchement avec nos partenaires.

La décision du peuple britannique s’explique d’abord par des raisons internes au Royaume-Uni qui a toujours entretenu une relation particulière avec l’Union européenne, décidant notamment de ne pas participer à nombre de politiques communes. Le peuple britannique entend dire du mal de Bruxelles depuis de nombreuses années. Pour autant, sa décision doit également être vue, plus largement, comme un révélateur de l’érosion de la confiance des peuples dans le projet européen. L’Union européenne a connu de nombreux défis au cours des dernières années ; elle a affronté ce que Jean-Claude Juncker a appelé avec beaucoup de finesse des polycrises – économiques, financières, migratoires, sécuritaires. Les citoyens européens ont de plus en plus de mal à percevoir les réponses apportées par l’Union européenne à ces crises, de sommet en sommet, quelle que soit leur pertinence.

Peut-on en déduire que les peuples européens veulent moins d’Europe ? La question est posée et pas seulement en France. Certaines forces politiques veulent changer fondamentalement les choses. Est-ce le désir des peuples européens ? Je n’en suis pas certain mais je pense qu’il ne faut pas rester inerte. Pour éviter cette fuite en avant que d’aucuns préconisent, les citoyens attendent que l’Europe réponde vraiment à leurs préoccupations quotidiennes.

Lors de mes nombreux déplacements, je rencontre les dirigeants des autres pays membres de l’Union européenne. En Pologne, j’ai discuté avec les dirigeants des divers partis politiques, dont M. Jaroslaw Kaczynski, le président du parti au pouvoir, qui était d’ailleurs étonné que j’aie demandé à le voir. Nous avons eu des échanges très intéressants pendant une heure. Il m’a dit qu’il était européen, qu’il n’avait rien à voir avec M. Trump, Mme Le Pen, M. Farage ou avec « Alternative für Deutschland (AfD) ». « Je suis un patriote polonais et je trouve que l’Europe fonctionne mal », m’a-t-il expliqué. Et de préconiser une remise à plat, une conférence, pour restituer diverses compétences aux États nations avant d’élaborer un nouveau traité… Telle est la position des dirigeants polonais actuels, qui est aussi défendue par d’autres forces politiques en Europe. Certains vont d’ailleurs encore plus loin, parlent de sortir de l’euro, etc.

À entendre de tels propos, on aurait pu craindre un effet de contagion après le référendum britannique. Même si certains ont demandé l’organisation d’un référendum dans leur pays également, le contenu des enquêtes d’opinion se révèle finalement assez rassurant : les sondés manifestent plutôt leur envie de rester dans l’Union européenne et de ne pas prendre le risque de s’engager dans une voie plus qu’incertaine dont les conséquences pourraient être dramatiques. En même temps, il faut que les citoyens européens voient les choses bouger. Leurs attentes légitimes ont été en partie prises en compte lors du sommet de Bratislava en septembre dernier et avec la déclaration adoptée à cette occasion. Répondre aux attentes des citoyens européens est également la voie à suivre pour les célébrations du soixantième anniversaire du traité de Rome, car il ne s’agit pas de se contenter d’en faire une commémoration.

Il faut que l’Europe protège vraiment ses citoyens, ce qui passe en particulier par une maîtrise de ses frontières extérieures, par une autonomie stratégique en matière de défense, par le renforcement de nos instruments de protection dans le domaine du commerce. L’Europe doit aussi investir réellement dans l’avenir et redevenir un espace de progrès, d’espérance, de croissance, d’emploi. Il s’agit aussi de résorber les différences structurelles qui existent entre les États et qui minent la confiance, et de dégager de nouveaux moyens pour les investissements dans la transition énergétique, l’économie numérique, la recherche.

Il est nécessaire aussi de s’attacher à réduire le dumping, fiscal ou social, qui existe dans certains pays. L’harmonisation doit se faire dans le sens du progrès. En avançant dans cette direction, nous pouvons créer un nouveau climat, provoquer le débat et redonner des perspectives d’espoir. Nous devons nous montrer offensifs et entraînants. Telle est ma conviction. C’est aussi celle du Président de la République qui va rencontrer la chancelière allemande à Berlin demain midi. L’avenir de notre pays passe non pas par moins d’Europe mais par une Europe plus efficace et qui s’assume.

Cette décision du peuple britannique a créé beaucoup d’inquiétude chez nous, mais aussi dans le monde entier. Je reviens d’Inde où l’on m’en a parlé, comme partout. La même question revient : vous n’allez tout de même pas commettre l’erreur d’abandonner l’Europe ? C’est l’organisation qui est perçue comme la plus originale et la plus efficace à l’échelle mondiale, même si elle est souvent critiquée – parfois à juste titre – en interne. À l’heure où le monde semble de plus en plus incertain en raison de la position de la Russie sur toute une série de questions, de l’élection de Donald Trump aux États-Unis, de la volonté de la Chine de jouer son rôle de puissance mondiale, nous ne devons pas commettre cette erreur si nous voulons défendre les intérêts français et ceux de nos partenaires. Ce sont aussi ces arguments que nous devons faire valoir à nos concitoyens, au-delà des clivages politiques qui peuvent exister. La défense de l’Europe peut faire l’objet d’un large consensus pour peu que nous nous montrions exigeants, que nous fassions un peu moins de technique et plus de politique. Peut-être pourrons-nous alors repartir vers un horizon plus positif.

M. le président Claude Bartolone. Je rebondis sur votre conclusion, monsieur le ministre, qui souligne la nécessité de politique mais aussi de psychologie diplomatique.

Jusqu’à présent, le bloc des Vingt-Sept résiste en dépit du jeu auquel s’essaie le Royaume-Uni pour nous faire passer pour les méchants – tantôt nous, tantôt nos amis allemands. Ce petit jeu souligne une nouvelle fois l’importance du couple franco-allemand et le rôle qu’il sera appelé à jouer.

Mais les choses ne sont pas figées. On commence à entrevoir des évolutions : la Conférence de Paris pour la paix au Proche-Orient en est un exemple : nos amis britanniques n’ont pas soutenu, c’est le moins qu’on puisse dire, l’initiative française. Avez-vous le sentiment que sur certains dossiers – le Proche-Orient mais aussi la transition énergétique, par exemple –, la Première ministre May cherche à se montrer plus conciliante avec les États-Unis de Donald Trump dans l’espoir d’un rapprochement ?

Nos auditions nous ont permis d’appréhender les dimensions juridiques, techniques et réglementaires de cette affaire, mais il ne faut pas sous-estimer la partie réellement diplomatique des négociations qui s’engagent.

Mme Élisabeth Guigou. Quelques jours après le discours de Mme May, les hauts fonctionnaires britanniques ont éprouvé le besoin de réunir les ambassadeurs des Etats membres de l’Union européenne pour apporter des clarifications. Comment interprétez-vous cette démarche pour le moins bizarre ?

Il est vrai que si le discours de la Première ministre était très clair sur un point – la sortie du marché unique pour se soustraire à la Cour de Justice de l’Union européenne et à la liberté de circulation des personnes –, pour le reste, tout était très flou ; il laissait à penser que les Britanniques voulaient le beurre et l’argent du beurre, le cherry picking, etc.

Leur démarche peut être motivée par la volonté de dissiper l’impression négative laissée par le discours, mais elle peut aussi être comprise comme la volonté de déceler des failles et de mettre à l’épreuve l’unité européenne ; heureusement celle-ci ne s’est pas démentie depuis le Conseil européen de Bratislava. Elle peut être la première tentative d’une diplomatie hors pair – pas meilleure mais au moins aussi bonne que la nôtre – pour essayer de jouer de toutes les ambiguïtés que vous avez soulignées.

L’ambassadeur britannique, M. Llewellyn, – c’est une des seules indications qu’il nous a données – a indiqué que le gouvernement britannique essaierait de négocier à la fois le divorce et le futur accord. Avez-vous une idée plus précise de la stratégie de Michel Barnier, qui ne nous a pas trop répondu sur ce point lorsque nous l’avons auditionné, pour éviter que les négociations durent indéfiniment et qu’elles ne laissent de côté des sujets incontournables ? Je vous fais part de cette inquiétude. D’autant que, dans leur volonté de négocier des accords de libre-échange – avec les États-Unis, mais pas seulement –, les Britanniques ont déjà bien avancé, et avec l’aide de Donald Trump. Ils disent vouloir mener des discussions. La Commission européenne les a toutefois avertis que tant qu’ils étaient membres de l’Union européenne, ils ne pouvaient pas engager de négociation ; mais il ne leur est pas interdit d’avoir des discussions…

Il est important que le négociateur européen et les États membres tiennent bon. Il faut veiller à ne pas mélanger indûment les différentes étapes de la discussion et à ne pas faire durer celle-ci indéfiniment sans quoi l’agenda européen et l’état d’esprit des peuples, que vous avez très bien décrit, s’en trouveraient très affectés.

M. Pierre Lellouche. Monsieur le ministre, je retiens de votre exposé très intéressant les principes défendus par la France dans la négociation, qui semblent empreints de bon sens. Nous ne vous chercherons pas querelle sur les objectifs que vous avez définis.

J’ai compris que la négociation devrait aboutir au terme d’un délai de deux ans à deux accords – un accord de retrait et un accord de libre-échange pour organiser les relations avec l’État tiers que deviendra le Royaume-Uni. D’ici là, la négociation est confiée à Michel Barnier, sous le contrôle le plus étroit possible du Conseil, le Parlement européen étant informé.

Je souhaiterais savoir à ce stade quel mandat la France a donné à Michel Barnier et à la Commission. Que veut-on le voir défendre au nom de la France ?

Quand et comment comptez-vous informer le Parlement sur le contenu du mandat donné par la France à la Commission ? Cette information me paraît indispensable pour éviter les mauvaises surprises après celle que nous avons connue avec le TAFTA à cause d’un mandat préparé de façon pour le moins elliptique…

Le mandat donné par la France doit être clair et le Parlement français doit être dans la boucle dès le début. Il ne s’agit pas de nourrir une opposition entre droite et gauche sur un sujet d’intérêt national.

Enfin, j’aimerais connaître la position du Gouvernement sur la ratification par le Parlement français des deux accords auxquels donnera lieu la mise en œuvre de l’article 50.

M. Jacques Myard. Je vais reprendre en partie ce qui vient d’être dit, car nous nous posons tous les mêmes questions.

Vous avez mentionné à juste titre le travail de cartographie des intérêts français que réalise le SGAE. Il faut le rappeler, la France a des intérêts spécifiques dans la relation avec le Royaume-Uni, qui ne sont peut-être pas ceux de ses partenaires européens. Je me félicite de ce travail de réflexion qui ne s’en tient pas à la seule doxa européenne.

Il faut regarder les choses telles qu’elles sont : le Brexit illustre les relations ambiguës qu’entretient le Royaume-Uni avec l’Union européenne, mais aussi la crise intrinsèque de l’Union européenne. Autrement dit, ce n’est pas une « divine surprise » pour reprendre un mot par trop galvaudé.

Quelles sont vos vues sur cette Union européenne qui doit se réformer sous peine de risquer l’implosion à force de contradictions ?

Il y a quelques années, le président Valéry Giscard d’Estaing disait ici même qu’il faudrait procéder différemment en matière d’élargissement ; il n’en a rien été. L’Europe a conservé son logiciel intégrateur, inadapté à une union à vingt-huit.

Quelle est votre position sur le rôle du Parlement français ? M. Jean-Claude Piris nous a expliqué qu’il s’agissait d’une affaire entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. J’en prends acte. Mais je rappelle que l’adhésion du Royaume-Uni à la Communauté économique européenne a fait l’objet d’un référendum – pour ce qui me concerne, j’avais voté non… Cela m’est souvent arrivé, je vous l’accorde.

M. le président Claude Bartolone. J’allais le dire : ce n’est pas une surprise !

M. Jacques Myard. Je vous l’accorde. Toujours est-il qu’à l’époque déjà, il y avait une ambiguïté dans l’adhésion du Royaume-Uni.

Pour quelles raisons selon vous le Royaume-Uni nous a lâchés lors de la Conférence de Paris – je ne vous reproche pas d’avoir tenté de faire bouger les lignes ; j’ai du mal à en comprendre la raison, si ce n’est celle d’avoir été vexé de ne pas avoir été à l’origine de cette initiative…

M. le ministre. Vous évoquez les conséquences politiques du Brexit. Le changement de pied entre le vote de la résolution condamnant la colonisation israélienne le 23 décembre et la décision de ne venir qu’en simple observateur à la Conférence de Paris le 15 janvier en est une. J’ai entendu des explications très embarrassées de Boris Johnson avec qui je me suis entretenu à plusieurs reprises pour le convaincre de venir à la Conférence.

Rappelons que le Royaume-Uni, avec lequel les convergences étaient nombreuses jusqu’à présent, a participé à la rédaction de la résolution à New York qui correspond à sa position constante sur le Proche-Orient. Ce changement subit a suscité des interrogations très fortes dans le monde arabe ainsi qu’à la table du Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne L’explication se trouve dans la volonté britannique d’aller au bout du Brexit, de s’inscrire dans un partenariat renouvelé avec les États-Unis et d’engager des négociations en vue d’un accord de libre-échange avec ce pays.

Doit-on s’attendre à d’autres conséquences politiques ? C’est possible, mais nous le verrons au fur et à mesure. À ce jour, nous ignorons la position de la nouvelle administration américaine et du nouveau président sur bien des sujets : la lutte contre le terrorisme, les relations avec la Russie, l’accord sur le nucléaire iranien, le dossier syrien ou encore la conception des échanges commerciaux à l’échelle mondiale. Rien ne dit qu’à un moment donné, les positions britanniques traditionnelles ne seront pas mises en difficulté. Pour l’heure, je ne suis pas en mesure de répondre.

Cette tactique britannique est-elle motivée par des considérations de politique intérieure ? C’est possible. Le gouvernement peut ainsi faire valoir, pour justifier la sortie de l’Union européenne, qu’il dispose d’une alternative, que le partenariat avec les États-Unis est une bien meilleure solution et que d’autres accords de libre-échange seront signés avec des pays tels que l’Inde, je m’y suis rendu récemment ; ce ne sera pas aussi facile que Mme May le dit. La Cour suprême du Royaume-Uni a considéré que le Gouvernement devait recueillir l’avis du Parlement avant de notifier sa décision d’enclencher la procédure prévue par l’article 50. Le projet de loi demandant au Parlement l’autorisation de recourir à l’article 50 doit être déposé à la Chambre des Communes aujourd’hui. Ce ne sera pas simple pour autant car de nombreux parlementaires espéraient saisir l’occasion de ce projet de loi pour mener un débat sur le fond, ce que justement la Première ministre veut éviter, mais elle a annoncé un livre blanc qui fera sans doute l’objet d’un débat distinct du vote.

Vous avez raison de souligner nos relations bilatérales avec le Royaume-Uni, que nous entendons préserver : l’accord du Touquet – dont nous ne souhaitons pas la remise en cause car elle serait lourde de conséquences –, ou encore le traité de Lancaster House relatif à la coopération en matière de défense que les Britanniques n’envisagent pas non plus, semble-t-il, de remettre en cause. Il reste donc des sujets sur lesquels nous pouvons encore nous retrouver : la sécurité, la défense, la lutte contre le terrorisme. C’est possible et en tout cas souhaitable. Mais dans le domaine de la politique étrangère et de la diplomatie, on voit le doute et la confusion s’installer. Dans ce domaine, le Brexit donne à la France des responsabilités particulières, mais aussi une capacité d’action non négligeable, puisqu’elle sera le seul pays de l’Union européenne, également membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies.

La France n’a pas à donner un mandat de négociation : c’est au Conseil européen et au Conseil qu’il appartient d’en donner un à la Commission. Évidemment, nous veillerons à ce que, dans la définition de ce mandat, nos intérêts soient totalement préservés. Je pense notamment à nos intérêts économiques : le Royaume-Uni est pour nous un grand partenaire, notre cinquième marché à l’export – il représente 8 % de nos exportations, avec un excédent de 12,2 milliards d’euros en 2015. Mais ce n’est pas parce que nous avons des intérêts à défendre – le travail du SGAE peut nous aider à préciser le contenu du mandat que nous souhaitons – que nous allons déroger au principe de la solidarité européenne et nous mettre à négocier dans le dos des autres pays. Il ne faut surtout pas entrer dans le jeu de la négociation sectorielle.

S’agissant de l’information du Parlement, le Gouvernement est en permanence à sa disposition – de cette mission ou des commissions compétentes. Nous souhaitons que l’exécutif vienne rendre compte en temps réel des négociations. Nous le devons aux parlementaires français.

Pour ce qui est du vote, le traité prévoit que la négociation ne peut pas durer plus de deux ans. L’accord fixant les modalités du retrait est conclu par le Conseil à la majorité qualifiée ; la France peut toujours s’y opposer. Le Gouvernement britannique peut également rejeter l’accord, au risque toutefois de voir tomber le couperet : à l’issue des deux années de négociation, la sortie de l’Union est automatique et les relations économiques avec le Royaume-Uni ramenées au droit commun de l’OMC ; je ne suis pas sûr que ce soit l’intérêt des Britanniques. La ratification par les parlements nationaux de l’accord de retrait n’est pas prévue par l’article 50. Il ne s’agit pas d’un accord mixte. En revanche, chaque parlement national sera amené à ratifier, comme pour tout traité de libre-échange avec un pays tiers, l’accord qui fixera le cadre des relations futures avec le Royaume-Uni.

M. Pierre Lellouche. La Commission européenne négocie, mais elle est nourrie par les positions nationales. Dès lors la nôtre aura été arrêtée – il ne s’agit pas de définir seulement des principes mais de dire ce que nous voulons –, elle méritera de faire l’objet d’un débat devant notre assemblée, y compris dans l’hémicycle. Car ce n’est pas rien.

S’agissant de la ratification, vous estimez qu’un accord aux termes duquel le Royaume-Uni quitte l’Union européenne, qui emporte des conséquences législatives et financières pour la France, ne peut pas être soumis au Parlement. J’ai pris note de votre position. J’espère qu’elle n’est pas définitive.

M. le ministre. Ce n’est pas ma position : c’est le droit, en l’occurrence l’article 50.

M. Pierre Lellouche. Le droit s’interprète.

M. le président Claude Bartolone. Nous sommes tenus par des textes sacrés. L’article 50 du Traité en est un, mais la Constitution aussi ; or la Constitution, sur cette question, n’oblige pas le Gouvernement à saisir le Parlement.

M. Pierre Lellouche. Rien n’oblige le Gouvernement, j’en conviens. Mais nous savons depuis ce matin que le Parlement britannique sera saisi de l’accord pour le ratifier. Pourquoi la République française n’en ferait pas autant ?

M. le ministre. Je prends note de vos propos. Quant à l’idée d’en débattre, pourquoi pas dans l’hémicycle, de ce que sera le mandat européen pour que le Parlement français soit éclairé, je n’y vois que des avantages. La transparence que j’ai évoquée pour la négociation s’applique à nous-mêmes.

Du côté britannique, le Parlement sera aussi saisi de deux autres projets de loi qui se rapportent au Brexit, le premier visant à annuler l’adhésion de 1972, le second tendant à reprendre dans le droit britannique l’intégralité de l’acquis communautaire. Cette volonté d’intégrer toutes les normes du marché intérieur peut paraître surprenante, mais elle s’explique par deux raisons : d’une part, les Britanniques ne tiennent pas à être en situation de rupture brutale dans la période de sortie qui suivra l’activation de l’article 50 ; d’autre part, ils seront ainsi en mesure de modifier unilatéralement les normes en retrouvant leur totale souveraineté sur la réglementation européenne. Ils vont jusqu’au bout de la logique. Reste que les règles communes sont nombreuses : pour mémoire, la réglementation européenne occupe pas moins de 17 000 pages…

M. Jacques Myard. C’est bien ce qu’on lui reproche.

M. le ministre. Il n’y a pas lieu de faire un tel reproche.

M. Jacques Myard. C’est trop lourd !

M. le ministre. On ne peut développer un marché unique sans normes qui s’appliquent à tous.

M. Jacques Myard. Les normes sont trop nombreuses.

M. le président Claude Bartolone. C’est un débat que nous pourrions avoir en franco-français… Certains de nos textes pèsent lourd dans les rayonnages !

M. le ministre. En tout cas, il va s’écouler un certain temps avant que le Royaume-Uni parvienne à négocier un accord de libre-échange avec les États-Unis. L’alternative à l’appartenance à l’Union européenne n’est pas une voie aussi simple que certains le font miroiter, y compris du point de vue des intérêts britanniques. Les Britanniques ont pris un risque énorme en décidant de sortir de l’Union. Je le dis à Jacques Myard qui était enthousiaste après le vote du peuple britannique.

M. Jacques Myard. Je considère que c’est un signe avant-coureur.

M. le président Claude Bartolone. Jacques Myard défend un point de vue singulier sur la construction européenne…

M. Jacques Myard. Je suis pour la coopération européenne, mais contre l’intégrisme !

M. le ministre. Pour des raisons de politique intérieure, voire de politique interne à un parti, les Britanniques ont pris un risque énorme. Je ne conseille pas de les imiter. Mais c’est un autre débat que nous aurons l’occasion de tenir dans les mois qui viennent.

M. le président Claude Bartolone. En réponse à M. Lellouche, le Parlement britannique doit évidemment s’exprimer puisque l’accord concerne les relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne : c’est parfaitement normal. Nous ne sommes pas dans la même situation. Néanmoins, je vois mal comment le Parlement français pourrait échapper à un débat, dans le cadre d’une résolution ou d’une déclaration ; mais nous n’en sommes pas encore là.

M. le ministre. Pierre Lellouche s’est interrogé sur la stratégie de Michel Barnier. Les choses sont très claires : d’abord l’article 50, ensuite seulement la négociation du nouveau cadre des relations entre l’Union et le Royaume-Uni. Si transition il doit y avoir, ce ne sera qu’après. Il n’est pas question d’en traiter avant.

M. le président Claude Bartolone. Monsieur le ministre, nous vous remercions.

L’audition est levée à 11 h 35.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur les suites du référendum britannique et le suivi des négociations

Présents. - M. Claude Bartolone, Mme Élisabeth Guigou, M. Pierre Lellouche, M. Jacques Myard

Excusés. - M. Philip Cordery, M. Éric Elkouby, M. Joël Giraud, Mme Marietta Karamanli

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