L’audition commence à 10 h 10.
M. le président Claude Bartolone. Chers collègues, je suis très heureux de vous présenter ce matin le rapport issu de nos travaux, alors que le Royaume-Uni s’apprête à notifier sa volonté de quitter l’Union.
Depuis le mois de septembre dernier, nous avons auditionné trente personnes à Paris, dont quatre membres du Gouvernement, et avons effectué quatre déplacements à l’étranger, à Londres, à Bruxelles, à Berlin et à Francfort.
Tout au long de ces travaux, nous avons pu observer l’évolution progressive de la position britannique. Lorsque la mission a été créée en juin dernier, au lendemain du référendum, nous nous demandions encore si, un deuxième scrutin était organisé, si le Royaume-Uni adopterait plutôt le modèle « norvégien » ou le modèle « suisse ». Mais la Première ministre Theresa May a rapidement écarté l’hypothèse d’un second scrutin et rejeté l’idée de rester au sein de l’Union européenne par une voie détournée, répétant inlassablement que « Brexit means Brexit », sans pour autant préciser ses intentions. À l’automne, nous avons pu observer, à l’occasion de notre déplacement à Londres, une polarisation du débat entre les partisans d’un Brexit « dur », plaidant pour la renonciation à l’union douanière et au marché unique et ceux d’un Brexit « doux », souhaitant maintenir un statut le plus proche possible de l’existant. Le 17 janvier, la Première ministre est enfin sortie de sa réserve pour tracer les grandes lignes des positions de négociations du Royaume-Uni, confirmant l’hypothèse d’un Brexit « dur », orientations réaffirmées par le Livre Blanc transmis au Parlement britannique le 2 février. Ce discours n’a rien apporté de véritablement nouveau, même s’il a fourni quelques clarifications indispensables. La Première ministre a en fait explicitement confirmé ce que nous savions déjà : le gouvernement britannique souhaite obtenir le plus possible des avantages de l’Union européenne, mais sans en endosser les contreparties. La question de l’association de Westminster au déclenchement de l’article 50 du Traité sur l’Union européenne a d’ailleurs fait l’objet de multiples rebondissements. La Haute Cour puis la Cour suprême ont en effet statué sur la nécessité d’obtenir préalablement l’accord des deux chambres, contre l’avis du Gouvernement. Après ce semestre de grand flou, le Gouvernement britannique devrait déclencher la procédure de retrait au mois de mars.
Que se passera-t-il une fois cette étape décisive franchie ?
Le Conseil européen devra d’abord, par consensus et sans la participation de Mme May, fixer des orientations de négociation. Chaque État membre aura donc de fait un droit de veto sur ces orientations. Sur la base d’une recommandation de la Commission européenne, le Conseil adoptera ensuite, à la majorité qualifiée, le mandat de négociation qui sera confié à Michel Barnier. Son équipe, chargée de la conduite des négociations, travaillera sous le contrôle étroit du Conseil européen et, donc, des États membres. La négociation doit se dérouler dans un délai maximum de deux ans à compter de la notification. À l’issue de ce délai, trois hypothèses sont envisageables : soit un accord de retrait est conclu, soit le Conseil européen décide, à l’unanimité, de proroger ce délai, soit le retrait du Royaume-Uni est automatiquement avalisé, même en l’absence d’accord.
Je souhaite insister sur la distinction claire que nous devons faire entre l’accord de retrait lui-même et l’accord sur les relations futures entre le Royaume-Uni et l’Union.
La négociation qui se déroule selon la procédure et les modalités prévues à l’article 50 devra porter uniquement sur les modalités du retrait sur les plans institutionnel, budgétaire et administratif. La question de la « facture » du Brexit sera sans doute le point le plus sensible de ces négociations. Lorsque nous nous sommes rendus au Parlement européen, nous avons déjà senti à quel point les positions des uns pouvaient être éloignées de celles des autres.
Cet accord sur le « divorce » n’a pas vocation à régler la question des relations futures, même si le traité prévoit qu’il est conclu avec l’État concerné « en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l’Union ».
Politiquement, lier les deux accords ne serait pas souhaitable car cela permettrait au Royaume-Uni de soumettre son accord sur les modalités, notamment financières, du retrait à l’obtention de conditions avantageuses sur la relation future.
Techniquement, il semble totalement impossible de conclure ces deux accords en deux ans, au vu de la durée nécessaire pour conclure à vingt-huit des accords de libre-échange pourtant beaucoup moins complexes – les travaux des membres de la commission des affaires étrangères le montrent bien. Nous devrons cependant nous efforcer de conduire les négociations le plus rapidement possible, pour mettre fin aux incertitudes dont souffrent les citoyens et les agents économiques. Il faut aussi éviter que le Royaume-Uni encore membre de l’Union européenne jusqu’à la fin des négociations de sortie n’influence de l’intérieur une Union européenne dont il a décidé de sortir. N’oublions pas non plus les élections européennes de 2019 : l’accord de retrait devra être conclu auparavant.
C’est la première recommandation issue de ce rapport. Dans l’intérêt de l’Union et dans le respect des traités, il conviendra de veiller à ce que les négociations portent dans un premier temps sur les aspects liés au divorce lui-même. Il faudra que le mandat de négociation confié à la Commission européenne soit très clair sur cette question.
Évidemment, les discussions sur les deux sujets ne peuvent pas non plus être complètement dissociées. Il est en effet nécessaire d’avoir une idée du « point d’atterrissage », pour bâtir certains éléments de l’accord de retrait et prévoir, le cas échéant, des dispositions transitoires. Si période transitoire il y a, elle devra être limitée sur le fond, c’est-à-dire marquer une vraie différence avec le statut d’État membre, et dans le temps.
Enfin, en ce qui concerne le processus de négociation en lui-même, je veux insister sur un point qui est fondamental et qui fait l’objet de plusieurs recommandations du rapport : la question de l’association des parlements nationaux. Nous avons évoqué à de multiples reprises cette question ensemble. Pierre Lellouche m’en a expressément saisi par courrier, et je partage pleinement ses préoccupations. En effet, il serait incompréhensible, dans une période où la légitimité démocratique des processus européens est mise en cause, que les représentants de la nation soient tenus à l’écart des détails d’une aventure historique aux conséquences aussi marquées.
Contrairement à l’adhésion de nouveaux États membres à l’Union, le retrait d’un État ne nécessite certes pas la ratification des autres États membres. Si un accord de retrait est conclu, il devra être approuvé par le Royaume-Uni, par le Parlement européen, à la majorité simple, et par le Conseil, à la majorité qualifiée.
L’approbation des parlements nationaux ne sera pas juridiquement nécessaire, mais il me semble indispensable que les gouvernements entretiennent un dialogue soutenu avec leurs parlements. Même s’ils ne sont pas appelés à autoriser la ratification de l’accord de retrait, les Parlements nationaux voteront sur l’accord définissant le nouveau partenariat entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, puisqu’il s’agira très probablement d’un accord mixte. Une association insuffisante, en amont, des parlements nationaux, comme du Parlement européen, ferait courir un risque inutile sur l’issue du vote final. Aussi notre Parlement devrait-il non seulement être tenu régulièrement informé de l’avancement des négociations, mais également pouvoir s’exprimer sur l’accord de retrait avant son adoption par le Conseil, au moyen d’un débat avec vote, comme le permet l’article 50-1 de la Constitution.
Après avoir rappelé la procédure en elle-même, je voudrais maintenant évoquer avec vous la manière dont, à mon sens, nous devons aborder ces négociations.
Tout d’abord, il faut lutter contre l’idée reçue, qui semble particulièrement répandue outre-Manche, selon laquelle la France aurait une attitude « punitive ». La France n’a pas aujourd’hui une position différente de celle de ses partenaires européens sur les « lignes rouges » des négociations.
Quelles sont-elles ? Trois principes fondamentaux ont été affirmés par les Vingt-Sept depuis le mois de juin : premièrement, pas de négociations sans notification ; deuxièmement, l’acceptation de chacune des quatre libertés est une condition de l’accès au marché unique ; troisièmement, les négociations ne sauraient aboutir à ce qu’un État tiers bénéficie d’un régime aussi avantageux qu’un État membre. Ces principes n’ont qu’un seul but, qui devra être notre fil conducteur dans les négociations à venir : préserver l’intérêt de l’Union avant tout.
Préserver l’intérêt de l’Union avant tout, c’est ce que nous avons déjà réussi à faire en conditionnant l’accès au marché unique à l’acceptation des quatre libertés fondamentales. Ce principe, répété tout au long du semestre avec une unité remarquable, a finalement été entendu par les Britanniques. Il ne s’agit pas d’une position dogmatique : la liberté de circulation est une liberté fondamentale du projet politique européen, le principal acquis populaire de l’Europe, que les jeunes de nos pays se sont pleinement approprié. Cette liberté n’est pas négociable. L’affirmation de l’indivisibilité de ces quatre libertés était un préalable nécessaire, mais ce ne sera pas suffisant. Il nous faudra rappeler sans cesse, au cours de ces négociations, que l’Union européenne est un tout, qu’elle est issue d’une addition de différents points d’équilibre.
Prenons l’exemple de la Cour de justice de l’Union européenne – j’ai intégré dans le rapport des remarques faites par Mme la présidente Élisabeth Guigou sur le volet « justice » de la question. Le Royaume-Uni souhaite s’en émanciper, mais comment accepter dans ce cas qu’il continue à faire partie intégrante de certaines politiques européennes ? Depuis les Lumières, il n’y a pas d’espace politique sans ordre juridique. L’ordre juridique européen est fondé sur l’unicité du droit et sur son application effective dans l’espace européen : remettre ce principe en cause menacerait sa viabilité.
La cohésion des Vingt-Sept sera une condition absolument déterminante de la réussite de ces négociations pour l’Union. Il sera donc essentiel de maintenir l’approche unitaire qui a prévalu jusqu’à présent. Les négociations bilatérales devront être exclues, et il faudra définir des modes de consultation régulière pour permettre à tous les États de rester en phase avec les négociateurs. Pour prévenir ce risque de division, il me semble également primordial de promouvoir une approche globale des négociations et d’éviter autant que possible de conduire des négociations « secteur par secteur » qui pourraient raviver inutilement certaines tensions. Il faudra de toute façon veiller non seulement à l’équilibre des droits et obligations, mais aussi à ce que l’addition des différents volets produise un équilibre général satisfaisant pour l’Union.
Le couple franco-allemand devra être le ferment de cette unité des Vingt-Sept. Nos deux pays, dont le poids sera mécaniquement revalorisé dans une Union européenne amputée du Royaume-Uni, auront naturellement vocation à produire des positions de compromis acceptables par tous, grâce à un travail de préparation et de conviction des pays dont ils sont le plus proches.
Pour préserver la construction européenne, il faudra en outre éviter de jeter toutes nos forces dans ces négociations, car l’Union européenne doit aujourd’hui se battre sur beaucoup d’autres fronts. Avec ou sans Brexit, l’Union doit continuer à progresser pour le bien-être des citoyens européens.
Au-delà du souci de faire progresser l’Union européenne dès à présent, nous devrons également, tout au long de ces négociations, conserver à l’esprit ses perspectives d’évolution future. Il faudra veiller très attentivement à ce que le résultat des négociations n’affaiblisse pas notre capacité à faire progresser le projet européen.
La colonne vertébrale des quatorze recommandations que je vous soumets est donc claire : préserver avant tout la cohérence et la solidité de l’édifice européen, patiemment construit pierre par pierre depuis plus de cinquante ans. Il est si difficile de construire, et si facile de détruire…
Une fois cette limite posée, nous devrons chercher à obtenir les meilleurs accords possibles. Bien sûr, nous avons intérêt à trouver un accord avec les Britanniques pour faciliter le plus possible nos relations commerciales. Aujourd’hui, aucun pays tiers entretenant une relation privilégiée avec l’Union ne bénéficie d’un statut tel que le souhaite le Royaume-Uni, mais je n’oublie pas non plus qu’aucun de ces pays ne dispose d’un poids équivalent à celui du Royaume-Uni dans l’économie européenne et mondiale. Il va donc de soi qu’un accord final – s’il y en a un – sera nécessairement sur mesure.
Pour autant, l’Union européenne dispose déjà d’instruments compatibles avec son ordre juridique, et il conviendra de les utiliser comme base de négociation.
En effet, l’erreur serait d’entrer dans la négociation en proposant une solution essayant de répondre aux demandes du Royaume-Uni, dont on voit bien aujourd’hui qu’elles visent à obtenir des avantages compétitifs tout en maintenant au maximum l’existant dans les domaines d’intérêt national. Rappelons tout de même que 44 % des exportations britanniques sont aujourd’hui dirigées vers le marché intérieur. Quels que soient les contacts noués par le Royaume-Uni avec l’Australie, l’écart, du point de vue du Royaume-Uni, entre ce que représente l’Australie et ce que représente le marché intérieur est considérable. Ne nous laissons donc pas prendre au piège d’un discours de politique intérieure, qui tenterait de nous faire croire que l’Union a autant besoin de l’économie britannique que l’économie britannique a besoin de l’Union. Ces négociations sur l’accès au marché unique seront les plus difficiles : il y aura inévitablement des perdants. Il nous incombera de nous assurer qu’elles ne conduisent pas à l’appauvrissement généralisé de nos peuples.
En revanche, ce rapport identifie deux sujets sur lesquels les négociations avec le Royaume-Uni peuvent et doivent aboutir à une situation « gagnant-gagnant ».
La priorité absolue sera de trouver le plus tôt possible un accord protégeant les citoyens expatriés des deux côtés de la Manche, parfois depuis très longtemps, pour éviter des situations humaines qui pourraient être très douloureuses. Je vous rappelle que 3,2 millions d’Européens vivent au Royaume-Uni et que 1,2 million de « Grands-Bretons », pour reprendre l’expression d’un membre de cette mission, vivent sur le continent. Plus de quatre millions de citoyens sont donc aujourd’hui directement concernés par le Brexit, et nous devons mettre un terme le plus rapidement possible à l’incertitude dans laquelle ils vivent aujourd’hui. Je propose dans le rapport que la continuité du droit au séjour soit garantie sans conditions aux expatriés résidant depuis plus de cinq ans dans leur pays d’accueil. Par ailleurs, des droits spécifiques devront être octroyés aux citoyens qui ne répondent pas à cette condition mais se sont installés dans un autre État de l’Union européenne avant que les Britanniques ne choisissent de quitter l’Union.
Enfin, dans un contexte où des menaces graves pèsent sur la sécurité de notre continent, il est dans l’intérêt de tous que le Royaume-Uni reste un partenaire privilégié de l’Union européenne et de la France dans ce domaine, quelles que soient les modalités de sa sortie. N’oublions pas que c’est, avec la France, le seul État membre de l’Union disposant d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, le seul doté de l’arme nucléaire et le seul à fournir un effort de défense à la hauteur de nos ambitions stratégiques. Nous devrons donc trouver les moyens d’une coopération intense sur les sujets de sécurité intérieure et extérieure, aussi bien entre le Royaume-Uni et l’Union que dans nos relations bilatérales.
Je vous cède maintenant la parole, chers collègues, pour que nous puissions débattre ensemble de ces conclusions.
Mme Élisabeth Guigou. Je veux d’abord vous remercier, monsieur le président, d’avoir réuni cette mission d’information ; c’était très important. Nous avons travaillé de façon intensive, dans un excellent climat, évidemment avec le souci, d’abord et avant tout, au-delà de nos différences, de faire prévaloir les intérêts de la France dans cette négociation et notre leadership en Europe. J’ai trouvé ce travail passionnant et très utile. Le projet de rapport que vous nous soumettez, monsieur le président, me paraît en tous points excellent.
Il importait, d’abord, que nous puissions exprimer nos exigences avant même que les négociations commencent et, ensuite, que nous restions très vigilants sur la suite des événements, ainsi que vous venez l’indiquer. Je suis tout à fait d’accord avec la réponse que vous avez apportée à la lettre de M. Lellouche : il faudra en effet que notre Parlement puisse, d’une façon ou d’une autre, donner son point de vue sur le déroulement des négociations, ainsi que sur leur aboutissement, car il en va de notre avenir et de celui de l’Union européenne, à plus forte raison dans le contexte international actuel – nous allons être soumis à un certain nombre de secousses ; cela a d’ailleurs déjà commencé avec les déclarations de M. Trump. Ce rapport clarifie considérablement les données que les négociateurs et nous-mêmes aurons à prendre en compte.
Indépendamment des sujets techniques, la négociation sera très difficile. D’une part, il n’y a pas de précédent. D’autre part, ainsi qu’on pouvait le prévoir, le Gouvernement, le Parlement et les diplomates britanniques vont essayer d’avoir « le beurre et l’argent du beurre ». Cela me paraît absolument évident à la suite du discours de la Première ministre britannique. Mme Theresa May n’a clarifié qu’une seule chose : elle a pris acte de la position très ferme exprimée de manière unanime par les Vingt-Sept au sommet de Bratislava sur le caractère indissociable des quatre libertés, ce qui impliquait de refuser au Royaume-Uni l’accès au marché unique s’il n’acceptait pas la libre circulation des personnes et le contrôle de la Cour de justice de l’Union européenne ; elle en a tiré la seule conclusion possible, à savoir que le Royaume-Uni se retirerait du marché unique, ainsi, d’ailleurs, que de l’union douanière. Si ce point est parfaitement clair, son discours laisse en revanche planer un maximum d’incertitudes sur tout le reste. En particulier, elle a déclaré vouloir un accès maximal au marché unique, en mentionnant expressément les secteurs de l’industrie automobile et des services financiers, qui correspondent aux intérêts offensifs de son pays. On voit très bien que les Britanniques vont essayer d’obtenir, sur les éléments qui sont importants pour eux, des négociations qui leur donnent satisfaction.
C’est pourquoi il est très important, ainsi que vous l’avez souligné, de tenir une ligne extrêmement ferme sur quelques points, sans esprit punitif, naturellement. Il s’agit de rechercher le meilleur accord possible sans brader nos intérêts ni ceux de l’Union européenne.
D’abord, il ne faut pas commencer les négociations sur le statut futur tant qu’un accord n’aura pas été trouvé sur les aspects institutionnel, administratif, juridique et budgétaire de la sortie du Royaume-Uni. Il y a trois grands sujets à cet égard, dont le plus difficile sera la question budgétaire, ainsi que vous l’avez souligné. Il faut vraiment tenir bon sur le principe d’une négociation en deux phases. Les dispositions transitoires figurant dans l’accord de retrait devront être mises au point, elles aussi, indépendamment du futur statut. Si ces dispositions transitoires, demandées par le Royaume-Uni, sont conçues comme des dispositions d’application de l’accord de retrait, pourquoi pas, mais il ne saurait être question de poursuivre indéfiniment les négociations.
La question des droits des citoyens est évidemment l’une des premières à régler, dans un souci de réciprocité. En la matière, je le souligne, il ne peut y avoir qu’une solution européenne, car des accords bilatéraux seraient contraires au droit européen. Raison supplémentaire pour nous de rechercher un accord sur ce point dès le début.
Nous devrons exercer notre vigilance pour que le mandat de négociation donné à la Commission européenne soit parfaitement clair sur le principe d’une négociation en deux temps et très ferme sur les éléments financiers, sachant que l’accord de retrait devra être approuvé par le Conseil à la majorité qualifiée et qu’il ne sera pas soumis, en tout cas formellement, à la ratification des États membres, même si – je suis entièrement d’accord avec vous – nous devons avoir notre mot à dire sur les résultats de la négociation.
Le Royaume-Uni va évidemment essayer de battre en brèche l’unité qui s’est formée à Bratislava et qui est la condition de notre succès. Pour rester uni, il faut à tout prix éviter de se laisser entraîner dans des négociations secteur par secteur ou politique par politique. Si tel est le cas, nous nous ferons couper en tranches ! Les négociations doivent embrasser l’intérêt général commun, l’ensemble de nos intérêts en tant qu’Union européenne.
Cette unité tiendra-t-elle si la menace d’une sortie sèche est brandie ? On ne peut pas tout à fait écarter cette hypothèse, qui est l’une des trois que vous avez évoquées. Au sein de notre mission, nous avons discuté à plusieurs reprises de l’inquiétude que l’on peut nourrir à propos de la fragilité de l’unité européenne. En la matière, nous en sommes réduits à des spéculations. De toute façon, il faut tenir bon sur nos positions.
Un certain nombre d’États membres ont un intérêt évident au maintien de la solidarité, ne serait-ce que du point de vue économique et financier. Je pense notamment aux nouveaux adhérents, qui n’ont pas nécessairement la même conception que nous, Français, de ce que doit être l’Union européenne. Car de nombreux pays du Nord et de l’Est de l’Europe partagent aujourd’hui ce qui a toujours été le point de vue du Royaume-Uni, à savoir que l’Europe doit être une zone de libre-échange et rien d’autre. Pour notre part, nous avons toujours plaidé – cela remonte au général de Gaulle – en faveur de politiques et de normes communes, de mesures de régulation, etc. Nous devrons être très vigilants en la matière. La tentation sera grande, chez nombre de nos partenaires, de démembrer le marché intérieur. Faisons notamment attention à ce qui va se passer avec l’Irlande, qui va essayer d’éviter la constitution d’une frontière avec l’Irlande du Nord, avec toutes les implications que cela pourrait avoir pour nos intérêts. Notons au passage que le Brexit suscite beaucoup d’agitation à l’intérieur du Royaume-Uni, surtout en Écosse et, dans une moindre mesure, au pays de Galles.
Ne nous laissons pas piéger par la menace britannique de chercher ailleurs ce qu’ils n’auront plus à partir du moment où ils quitteront l’Union européenne. Vous l’avez rappelé, chiffres à l’appui : l’économie britannique est fortement dépendante du reste de l’Union européenne. S’agissant des services financiers, il nous a été indiqué que la City subirait de plein fouet l’absence d’accord et de mesures transitoires. Lors de notre déplacement à Londres, les représentants de la City ont évoqué la perte de 70 000 emplois. En dépit d’une révision à la baisse des perspectives de croissance, le Royaume-Uni peut se vanter, pour l’instant, que son économie résiste plutôt bien au Brexit. C’est exact, mais le Brexit n’a pas encore eu lieu. Il ne faut pas se laisser impressionner : le Royaume-Uni sera la première victime du Brexit, même si l’Union européenne en souffrira elle aussi, bien entendu.
Il faudra suivre de très près les difficultés intérieures du Gouvernement britannique. Mais nous ne devons surtout pas donner l’impression, nous Français, que nous adoptons une attitude punitive. Nous devrons le dire au Gouvernement, qui va continuer à négocier après la suspension de nos travaux. Nous n’avons d’ailleurs pas d’attitude punitive. Nous aurions évidemment préféré que le Brexit n’ait pas lieu, nous sommes tout à fait désolés de la situation, mais on ne peut pas non plus nous demander de brader les intérêts de l’Union européenne.
Selon moi, nous devons être très fermes à l’égard des Britanniques, en leur faisant valoir qu’ils n’ont probablement pas intérêt à brandir la menace du dumping, qu’il soit fiscal ou social. D’une part, ils sont eux-mêmes dans une situation de fragilité à cet égard : l’un des principaux arguments de M. Boris Johnson en faveur du Brexit, on s’en souvient, était que le Royaume-Uni allait pouvoir réaffecter le montant de la contribution britannique au National Health Service, qui est en très mauvais état. D’autre part, il est absolument indispensable que nous renforcions l’Union européenne dans des domaines qu’elle a très peu explorés jusqu’ici. Le rapport se conclut – nous l’avons un peu revu en ce sens, et j’en suis heureuse – sur la nécessité de ne pas négliger les éléments fondamentaux qui peuvent être liés, en bien ou en mal d’ailleurs, au vote en faveur du Brexit. Cela impose à l’Union européenne de continuer à se renforcer pour résister à d’éventuels chocs.
Il est nécessaire, d’abord, d’aller au bout de l’union économique et monétaire, avec l’union bancaire. L’union monétaire, nous le savons, reste encore fragile. Si un autre choc se produisait, il serait probablement très difficile d’y faire face, peut-être plus encore que la fois précédente.
Il faut, ensuite, une véritable union économique pour résister à un éventuel dumping fiscal. Pour ce faire, il faut justement empêcher l’utilisation des méthodes de dumping fiscal et social au niveau européen. Nous devons adopter une attitude beaucoup plus ferme en la matière. Nous l’avons fait sur les abus en matière de travail détaché – Gilles Savary a beaucoup travaillé sur ce point –, mais il faut le faire aussi sur les questions fiscales. Et, naturellement, une véritable union économique implique que l’on tienne compte des effets des politiques menées par chaque pays sur tous les autres – je pense évidemment à l’Allemagne.
Si nous voulons parvenir à nous protéger et à protéger nos intérêts, il est absolument indispensable de maintenir, vous l’avez dit, une cohésion très forte avec l’Allemagne au cours de la période qui s’ouvre. Cela sera peut-être plus facile qu’au cours de la période qui s’achève, car l’Allemagne a beaucoup plus besoin de la France aujourd’hui que ce n’était le cas il y a quelques années : elle a compris que sa sécurité dépendait en partie de ce que nous faisons en Afrique, voire au Moyen-Orient, même si nous y avons obtenu moins de résultats positifs ; elle a aussi compris que, pour maîtriser les flux migratoires, elle avait besoin d’un prolongement en matière de politique extérieure, notamment de l’action que nous menons – vous avez pu noter les évolutions qui ont eu lieu sur ce point depuis trois ou quatre ans.
En résumé, il importe de travailler sur l’union économique et monétaire, l’Europe de la sécurité et de la défense et, bien entendu, l’Europe de la justice, sur laquelle vous avez vous-même insisté, et d’être bien en phase avec l’Allemagne.
De ce point de vue, je trouve les dernières déclarations de Mme Merkel très encourageantes : pour la première fois, elle a admis qu’il allait certainement falloir construire une Europe différenciée, que le Brexit nous imposait d’être enfin plus allants dans cette démarche. Celle-ci consiste non pas à exclure tel ou tel, mais, comme nous l’avons fait avec l’euro ou Schengen, à dire ce que nous voulons faire, si nécessaire à quelques-uns, tout en invitant ceux qui le veulent et le peuvent à nous rejoindre. J’espère en tout cas que, quels que soient les résultats des élections à venir, notre pays pourra mener une politique européenne de nature à préserver nos intérêts et à résister aux offensives du Royaume-Uni dans l’immédiat, et à celles de M. Trump qui vont sûrement durer, quelles que soient les vicissitudes de ses déclarations successives.
M. Pierre Lellouche. Je vous remercie à mon tour, monsieur le président, d’avoir entrepris cet exercice utile et salutaire, qui a abouti à un rapport tout à fait excellent – je rejoins Mme Guigou sur ce point. Le groupe Les Républicains n’aura aucune difficulté à l’adopter s’il est soumis à un vote.
Je fais néanmoins une série de remarques touchant au rapport lui-même.
Commençons par évoquer ce qui se passe aujourd’hui à Strasbourg : le Parlement européen va ratifier l’accord économique et commercial global – Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA) – avec le Canada. J’ai longuement protesté, la semaine dernière, contre cette ratification. Le 1er mars prochain, cet accord sera appliqué à titre provisoire sans avoir été ratifié par les parlements nationaux, ni même examiné en détail par notre assemblée. C’est consternant…
M. Jacques Myard. Absolument !
M. Pierre Lellouche. …et problématique, y compris au regard de cet exercice. C’est pourquoi je vous ai adressé la lettre que vous avez mentionnée. Je vous remercie d’avoir accepté de l’annexer au rapport, sur lequel nous sommes, je crois, tous d’accord.
Dans cette lettre, je soulève trois problèmes.
Premier problème : le mandat. Le mandat qui sera confié à Michel Barnier doit faire l’objet d’un consensus associant les parlements nationaux. Il ne faut pas que nous nous retrouvions dans une situation analogue à celle que nous avons connue avec le traité de libre-échange transatlantique – Trans-Atlantic Free Trade Agreement (TAFTA) – avec les États-Unis : le mandat avait été plus ou moins bricolé à la dernière minute ; on s’est aperçu, en cours de négociation, qu’on ne pouvait plus continuer à discuter, et on a demandé l’arrêt de ladite négociation. Or, dans le cas présent, ce sera impossible : une fois que le mandat sera donné, il sera trop tard pour y revenir. Il est donc très important que le Parlement soit associé à sa préparation. J’ignore comment vous procéderez pour ce faire, monsieur le président, ou comment votre successeur procédera, mais ce point me paraît essentiel.
Deuxième problème : la ratification du premier accord. Je suis heureux de constater que nous sommes tout à fait sur la même ligne à ce sujet : même si l’article 50 du traité sur l’Union européenne ne prévoit pas de ratification nationale, je ne vois pas très bien comment il pourrait être ratifié par la Chambre des communes sans l’être par le Parlement français et les autres parlements nationaux ; il est politiquement impensable qu’il en soit ainsi, notamment en raison de toutes les conséquences juridiques, financières et autres qui en découleront pour nos nations.
Troisième problème : la ratification du deuxième accord. En l’espèce, il faut vraiment éviter la situation que nous avons connue avec le CETA, c’est-à-dire de se retrouver avec un accord mixte, vu la façon dont la Commission européenne joue avec cette notion. Pour ma part, je n’accepterai aucun jeu de ce genre. Vous avez vu comment la Commission s’est comportée dans l’affaire du CETA : dans un premier temps, elle a affirmé que cet accord commercial n’était pas un accord mixte ; puis, les ministres ayant estimé, au mois de mai dernier, qu’il s’agissait bien d’un accord mixte, M. Juncker a fini par ravaler sa copie.
Toutefois, d’après son interprétation, il est possible de « couper » un tel accord mixte. Ainsi, une partie du CETA, à savoir l’essentiel du texte, peut être ratifiée immédiatement par le Parlement européen seul – ce qui va se passer aujourd’hui à Strasbourg – et, pour ce qui est du reste du texte, on verra plus tard avec les parlements nationaux. Il n’est tout simplement plus possible de continuer de la sorte ! Cela contribue massivement, à mon sens, au divorce entre les peuples et l’Union européenne. J’ai rappelé l’exemple du CETA, car il est, selon moi, directement transposable à l’affaire qui nous occupe.
J’en viens à quatre points d’ordre technique, soulevés au fil du rapport, sur lesquels il conviendrait d’apporter des précisions.
Il s’agit, premièrement, du rôle du Royaume-Uni au cours de la période transitoire. Nous allons être dans une situation quelque peu ubuesque : tout au long de la période de négociation, le Royaume-Uni restera associé à toutes les discussions, sauf dans le cas où elles porteront sur l’accord de sortie lui-même ; autrement dit, il sera présent autour de la table même lorsqu’il s’agira d’élaborer des textes législatifs européens. Je me demande si cela a du sens et si, dans le cadre de notre mandat, nous, parlementaires français, n’aurions pas intérêt à dire que cela doit être corrigé. Il me paraît ubuesque, je le répète, qu’un État engagé dans des négociations de sortie continue à travailler à l’élaboration de la législation européenne avec les États qui resteront membres. C’est à n’y rien comprendre.
Quid, ensuite, des milliers de fonctionnaires européens britanniques ? Je parle sans agressivité, mais, dans la logique de la construction européenne, pourquoi la Commission européenne les garderait-elle, à moins bien sûr qu’ils ne prennent une autre nationalité ?
Le rapport précise que le Parlement européen aurait obtenu d’être représenté au sein de l’équipe de négociation. Le mandat devrait à mon sens prévoir également l’association des parlements nationaux.
Quant à l’ardoise que nous allons présenter aux Britanniques à la sortie, vous évoquez un montant de 55 à 60 milliards d’euros. Compte tenu de la dynamique interne de la politique britannique, je ne vois pas comment nous allons récupérer cette somme – cette demande pourrait précipiter de vrais désaccords, voire une sortie plus rapide. Il me semble que le rapport pourrait insister sur cette question.
Le problème des frontières de l’Europe – Mme Guigou a déjà cité Gibraltar et l’Irlande – est essentiel. Il faudrait également y insister.
Vous soulevez la question des conséquences du retrait britannique sur l’équilibre politique entre les nations, en raison du nouveau calcul des votes à la majorité qualifiée. C’est un sujet majeur – qui rejoint d’ailleurs celui de la coopération franco-allemande. Toutefois, je ne suis pas sûr qu’il faille le faire figurer dans notre rapport : avons-nous intérêt à souligner ce point ? Un tel argument pourrait se révéler contre-productif ; si nous voulons conserver l’unité des Vingt-Sept, nous pourrions avoir intérêt, plutôt que de jouer cartes sur table, à garder quelques atouts dans notre manche. Les conséquences du nouveau calcul seront importantes, et certains pays qui soutenaient traditionnellement le Royaume-Uni vont être orphelins, surtout si nous arrivons à constituer une équipe franco-allemande restreinte.
Je souligne d’ailleurs que l’Espagne a déjà brisé l’unité et adopté la rhétorique britannique en souhaitant la négociation d’un seul accord et non pas de deux accords distincts.
Vous reprenez les chiffres de soldes migratoires donnés par Mme Sylvie Bermann. Or, pour la France en tout cas, ils sont contredits par ceux du ministère de l’intérieur. Il y a chaque année dans notre pays 200 000 entrées légales, ainsi que 100 000 migrants accueillis au titre de l’asile. Le solde migratoire est donc à peu près équivalent.
J’en terminerai avec les quatorze recommandations du rapport. Elles sont pertinentes, mais à mon sens il en manque une. Une chose est de dire, comme Mme Guigou ; « Europe, Europe, renforcement de l’Europe ! » ; une autre est de se rendre compte que nous ne nous trouvons pas par hasard dans une telle situation. Si les Britanniques partent, ce n’est pas parce qu’ils sont « affreux » et qu’ils ont depuis toujours un pied dedans et un pied dehors : si nous organisions en France un référendum de ce type, nous ne serions pas bien du tout non plus ! Si nous voulons sérieusement sauver la construction européenne, nous aurions donc intérêt à réfléchir aux leçons à tirer de cette affaire, ainsi qu’aux rendez-vous manqués dans la négociation avec David Cameron.
Je serais donc favorable à une quinzième recommandation : pourquoi ne pas proposer la création d’un comité des sages qui aurait pour mission de s’interroger sur les changements, institutionnels et autres, nécessaires pour poursuivre l’entreprise européenne ? Pour ne pas jouer toujours en défense, la prospective est indispensable. Il faut repenser les frontières de l’Europe, la question migratoire, le gouvernement économique de la zone euro ; il faut redéfinir les négociations commerciales pour qu’elles ne soient pas hors-sol, simplement confiées à un commissaire européen, et pour ne pas entendre à nouveau « circulez, il n’y a rien à voir » ; il faut forcer l’union militaire de l’Europe. Voilà des thèmes auxquels nos gouvernements pourraient réfléchir ensemble, à partir de l’épreuve que nous traversons avec le Brexit. Sans cette réflexion sur l’avenir, tout cela n’aura servi à rien – sinon, certes, à préparer cette négociation si complexe. Nous sommes tous ici attachés à l’effort de rassemblement européen : voilà pourquoi nous devons penser au coup suivant. Ce rapport peut y contribuer, et c’est pourquoi je milite fortement pour cette quinzième recommandation.
M. Philip Cordery. Mme Theresa May l’a dit : « Brexit means Brexit ». Ce Brexit sera complet et assumé ; c’est une décision souveraine du peuple britannique et de ses représentants, dont nous ne pouvons que prendre acte. Face à cette situation sans précédent, tout doit être fait pour que la sortie britannique soit aussi peu douloureuse que possible, pour notre pays comme pour toute l’Union.
Je remercie à mon tour notre président Claude Bartolone de son initiative. Le rapport dresse un tableau exhaustif des enjeux du Brexit et fixe nos lignes rouges. Je me retrouve dans ses conclusions ; il est en effet impératif de maintenir l’unité des Vingt-Sept dans la phase de négociations, afin de préserver les fondements de l’Union, et notamment les quatre libertés. Nous pouvons, je crois, faire confiance à Michel Barnier.
Je voudrais insister sur cinq points.
Tout d’abord, il est indispensable qu’un accord soit trouvé très rapidement sur la question des ressortissants européens au Royaume-Uni, et inversement sur la question des ressortissants britanniques qui résident dans l’Union européenne. Leurs droits sociaux doivent être préservés. Axelle Lemaire et Christophe Premat nous alertent régulièrement sur les inquiétudes des Français vivant au Royaume-Uni. À Bruxelles, j’ai pu constater aussi, lors des quatre dernières cérémonies d’accueil, un grand nombre de ceux qui acquièrent la nationalité française étaient des citoyens britanniques. Les fonctionnaires européens ne deviennent pas seulement belges…
Ensuite, le Royaume-Uni doit payer son dû. Ce n’est pas un divorce à l’amiable, mais un départ unilatéral : les engagements financiers pris par les Britanniques doivent être respectés. Aux 60 milliards d’euros que vous évoquez, on aurait d’ailleurs pu ajouter des dommages et intérêts pour préjudice moral, quand on voit le temps passé par les fonctionnaires européens, et par nous tous, à négocier le Brexit ! Ce sont des heures que nous ne passerons pas à approfondir l’Union européenne.
Je voudrais également insister sur la question de la paix. L’Union européenne, c’est la paix. Il n’est que de rappeler le rôle de l’Union européenne dans le processus de paix en Irlande du Nord. Nous devons être très vigilants pour préserver cette paix, ce qui ne sera pas facile : les divisions nord-irlandaises lors du référendum reflètent exactement les anciens camps belligérants. L’Europe aura, malgré le Brexit, une grande responsabilité.
S’agissant de l’arme que pourrait constituer le dumping – fiscal, social et réglementaire – nous devons nous montrer intransigeants. Il y va de la survie de notre modèle social. Le Parlement français doit rester vigilant : une menace de dumping doit interdire tout accord.
Enfin, nous ne devons pas nous détourner de notre objectif, qui est la réorientation et l’approfondissement de l’Union européenne. Le Brexit, en l’occurrence, peut se révéler favorable. Si l’Union est si impopulaire aujourd’hui, c’est aussi parce qu’elle n’est pas aboutie, parce qu’elle est bloquée au milieu du gué. Nous devons approfondir l’union économique et monétaire, mais aussi Schengen, les politiques en matière de sécurité, de transition écologique et énergétique, de numérique… Il faut aller jusqu’au bout de la logique de la construction européenne et mettre en place des politiques communes.
J’ai ici une phrase de désaccord avec le rapport – ce sera la seule. Vous faites de l’unité un préalable à l’approfondissement ; je crois au contraire que, s’il ne faut pas cesser de rechercher l’unité, il faudra aussi construire des majorités. Dans les décennies au cours desquelles il a appartenu à l’Union européenne, le Royaume-Uni a bloqué l’approfondissement et d’autres, demain, comme le Danemark ou la Pologne, pourront jouer ce rôle de trublion. Nous devons donc trouver des majorités pour avancer, car l’unité ne sera pas possible sur tous les sujets.
Il me paraîtrait opportun que la prochaine législature instaure un suivi de cet excellent travail. Je présenterai ce travail à la commission des affaires européennes, et je proposerai la mise en place d’une cellule de veille jusqu’à la fin de cette législature.
M. le président Claude Bartolone. Si les travaux en séance publique sont suspendus, les commissions continuent en effet de travailler jusqu’à la fin du mandat des députés.
M. Jacques Myard. Je salue le travail de fond que constitue ce rapport. Je partage nombre de vos conclusions, monsieur le président. Il faut évidemment défendre nos intérêts, et la distinction entre les deux procédures – l’une prévue par l’article 50, l’autre par les articles 216 à 218 – devrait nous permettre de négocier pied à pied avec nos amis anglais.
Notre objectif doit être, ce que souligne d’ailleurs le rapport, de conserver des liens forts avec le Royaume-Uni. Vous connaissez la fameuse phrase de Talleyrand, qui, à ceux qui lui reprochaient de se rapprocher de l’Angleterre, avait répliqué d’un ton sec et métallique : « Je fais la politique étrangère de ma géographie. » Le Royaume-Uni quitte une organisation internationale, mais il n’a pas bougé !
Je suis donc de ceux qui pensent que nous devons rechercher une union douanière, notamment pour préserver nos exportations. Nous devons bien sûr régler le problème des personnes : les citoyens européens qui le demeureront, comme ceux qui deviendront les citoyens d’un État tiers, ne doivent pas être pris en otage.
Nous devons aussi, et le rapport le souligne, conserver des liens avec différentes agences – Europol, notamment. Cela me paraît possible, sur la base d’accords bilatéraux, de même qu’il me paraît important de préserver le mandat d’arrêt européen. La négociation se fera au cas par cas.
S’agissant du passeport européen, je rejoins entièrement les conclusions du rapport : nos amis anglais ne peuvent pas avoir à la fois « le beurre, l’argent du beurre et la crémière ! » J’appelle votre attention sur le fait que le passeport européen est fonction de l’entreprise financière en cause, banque ou assurance. Si nous parvenons à un accord, celui-ci doit être très clair : si la législation européenne progresse, alors l’autre partie devra appliquer ces avancées. J’insiste donc sur la précarité de ces accords – je vous renvoie à ma contribution écrite. Il faudra être très ferme sur ce point.
En matière de défense, tout a été dit : le Royaume-Uni est en effet un partenaire incontournable, qu’il s’agisse d’équipements militaires ou de coopération dans la lutte contre le terrorisme.
Quant à associer les parlements nationaux, cela devrait aller de soi. Nous ne pouvons pas transiger sur ce point : il y va de notre crédibilité. Je partage entièrement ce que Pierre Lellouche a écrit.
Mais le rapport omet un point central : le Brexit est un révélateur, celui de la crise de l’Union européenne. Je l’avais dit naguère : l’Europe s’étant élargie, elle doit maintenant s’amaigrir et s’en tenir à l’essentiel. Il y a d’autres crises au sein de l’Union européenne, beaucoup d’autres. Il y a une crise de la gouvernance – le ministre de l’agriculture dit lui-même qu’il a mis un an à convaincre le commissaire européen qu’il y avait un problème dans son secteur. Pour modifier une directive européenne en matière de TVA, il faut dix ans, et même plus ! Il y a une crise de l’euro, et je ne partage évidemment pas sur ce point les conclusions d’Élisabeth Guigou : c’est une crise qui est devant nous, et pas derrière. Nous sommes sur un volcan ! Il y a une crise du contrôle des frontières.
À ce titre, je regrette que ce rapport, notamment dans ses recommandations, présente l’Union européenne un peu comme une Europe assiégée : on se replie sur soi-même, on défend bec et ongles les principes sur lesquels a été fondé un logiciel qui a fonctionné pendant des années et a été très novateur, a fait tomber le chauvinisme économique et l’hyper-réglementation des économies de guerre, mais qui ne fonctionne plus aujourd’hui car nous sommes entrés dans la mondialisation ; le monde a changé. Nous manquons la réflexion que nous devons avoir sur cette organisation internationale.
Certains mots trahissent cette fuite en avant, à l’instar du terme « téléologie ». Ce terme employé dans sa jurisprudence par la Cour de justice, et notamment par le grand juriste Pierre Pescatore, représente pour moi la captation démocratique par excellence : les juristes avancent masqués. Je pense que c’est une erreur.
Vos conclusions parlent de rêve européen. Non, nous ne devons plus rêver, nous devons être matter-of-fact, objectifs, savoir à quoi ça sert et combien ça coûte, comme disait le vieux Dassault. Cela signifie que nous devons traiter des points précis. Si l’Union européenne n’est qu’un rêve utopique, nous allons dans le mur. Nous n’échapperons pas à une refondation de l’Union européenne, qui est aujourd’hui une construction « kelsénienne » de hiérarchie des normes – ce qui est adopté en haut s’applique jusque sur les trottoirs de Salonique ou de Paris. Il faut sortir de l’intégrisme kelsénien pour retrouver de la coopération européenne. C’est le seul moyen de sauver cette organisation internationale et ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain.
M. Christophe Premat. Merci, monsieur le président, d’avoir lancé cette mission d’information très rapidement, au mois de juillet dernier, au lendemain du vote du 23 juin. Comme mes collègues, je salue un rapport clair, précis, riche, qui sera utile pour la position de la France. Ce rapport fait honneur à notre Parlement car nous avons grand besoin d’une clarification des positions, des moyens et des fins, et c’est ce à quoi il contribue. Quel que soit le Gouvernement que nous aurons demain, vous avez raison de dire qu’il faut une feuille de route rigoureuse.
Vous avez employé la métaphore du divorce en soulignant que, dans une instance de divorce, il faut aboutir à un accord et en même temps protéger l’avenir. C’est la difficulté de notre mission d’information, qui doit à la fois assurer un moyen terme dans la sortie du Royaume-Uni et montrer que l’Union européenne est capable de surmonter ce divorce et d’aller au-delà.
Je ne sais s’il convient d’entrer dans un débat pour savoir si l’on doit être rusé ou non. La ruse peut être intéressante dans le court terme, mais à long et à moyen terme c’est beaucoup plus délicat, et je pense que la France a au contraire eu raison d’adopter une position très claire. L’Allemagne était au départ dans l’attente. Or nous avons besoin de clarté, comme cela s’est avéré par la suite dans les sommets européens : les derniers Conseils ont montré qu’il y avait unité sur la nécessité de préparer l’avenir en saisissant l’opportunité de resserrer le projet européen sur des politiques communes, peut-être des coopérations. Il faut aussi de la clarté dans le couple franco-allemand.
Un mot sur l’approche culturelle de la Grande-Bretagne dans cette négociation. Le rapport rappelle le débat politique dans ce pays, les tergiversations, l’intervention de la Haute Cour et du Parlement. C’est l’esprit de la Common Law qui domine du côté britannique – « les principes d’abord et nous verrons plus tard pour les modalités » – tandis que notre position est plutôt d’examiner comment déconstruire les traités pour faire en sorte que cette sortie soit viable. Il est important de bien appréhender ce différentiel culturel. Culturellement, le droit européen n’est pas compris des Britanniques.
J’apprécie ce que vous avez dit au sujet de la réciprocité, notamment dans la question des Britanniques présents en France et dans le reste de l’Europe et des Français et Européens présents au Royaume-Uni. Il est important d’obtenir, notamment par rapport aux conditions de résidence, non seulement le respect des quatre libertés mais aussi et surtout la réciprocité. Le Home Office britannique avait tout d’abord compliqué les procédures administratives mais il est revenu sur ce durcissement en annonçant qu’il ne demanderait plus de justificatifs de domicile et autres, mais se baserait sur les impôts.
Il existe par ailleurs de nombreux couples franco-britanniques ; ma contribution au rapport a été de tenter de mesurer concrètement les implications du Brexit pour eux. Cela pose des questions d’impatriation, de transfert de capitaux, de transfert de fonds de pension… Beaucoup d’Européens comptaient avoir une retraite complémentaire par capital et cela devient plus compliqué.
Dans la fin de votre rapport, il est question de la diplomatie européenne. Je parlerais même, quant à moi, de médiation européenne, une médiation pour évoluer d’un accord à l’autre, parvenir à un accord de sortie. Je pense que de nouvelles complications vont se présenter très rapidement dans la discussion sur les principes. L’association des Parlements nationaux me paraît fondamentale. Une question qui se posera également est de savoir s’il faut un secrétaire d’État affecté à la question du Brexit et j’aimerais connaître votre avis sur ce point.
M. Pierre Lequiller. À mon tour, monsieur le président, je vous remercie d’avoir constitué cette mission. Le travail que nous avons conduit, avec de multiples auditions, déplacements et consultations, a été passionnant. Le rapport est extrêmement approfondi.
La situation n’est pas figée, ni d’un côté ni de l’autre. Nous pensions que la Chambre des Communes n’aurait pas à être consultée mais les choses ont évolué et Theresa May a finalement été obligée de la consulter. Je perçois une autre évolution en ce moment en Grande-Bretagne. Nous ne discutons plus du Brexit mais de l’option que Mme May a choisie et qu’elle appelle le hard Brexit ; or des personnes en Grande-Bretagne y sont opposées et le font savoir, à la Chambre des Communes, mais aussi en Écosse, en Irlande du Nord, au Pays de Galles. Notre interlocuteur va connaître des évolutions. C’est pourquoi je suis attaché à la consultation du Parlement national mais aussi à ce que cette mission continue de travailler.
J’ai remarqué combien Michel Barnier était prudent quand nous l’avons auditionné. Il a décliné un certain nombre de problèmes : fonctionnaires britanniques, répartition des députés européens, répartition financière… Ce sont des questions qu’il conviendra d’étudier plus tard ; je pense que nous n’avons pas intérêt à les poser dès aujourd’hui.
Je trouve très bien que vous ayez placé en deuxième position le règlement rapide de la question du statut des citoyens européens, mais je m’interroge sur la formulation d’une certaine phrase. Le problème n’est pas entre Britanniques et Français mais entre Britanniques et Européens. Vous écrivez : « La continuité de leur droit au séjour devrait être garantie sans condition aux expatriés résidant depuis plus de cinq ans dans leur pays d’accueil », mais nous n’avons pas consulté les Polonais, qui sont les premiers concernés. Ne transposons-nous pas là une question qui se situe entre les Britanniques et nous, et ne prenons-nous pas position par rapport aux pays qui sont les principaux concernés, comme la Pologne ou la République tchèque ?
Dans les quatorze propositions, il faudrait insister bien davantage sur la défense européenne, dont il n’est question qu’à travers une énumération avec la politique énergétique, la politique industrielle, la mobilité, la gestion extérieure des frontières... Je pense que cela demanderait un quinzième point. On ne parle pas de l’évolution des États-Unis depuis l’élection de Donald Trump, évolution très inquiétante en matière de défense. De même, on omet quelque chose de très important dans le discours de Theresa May, qui a déclaré qu’elle souhaitait maintenir la coopération entre la France et la Grande-Bretagne, dans le cadre des accords de Lancaster House. C’est un point positif, affirmé dès l’abord par la Grande-Bretagne. Je ferais donc un point élargi et précis sur la défense européenne. D’autant plus que l’Allemagne a changé de position sur le sujet, augmente son budget de défense et souhaite, selon les déclarations de Mme Merkel et de Mme Ursula von der Leyen, une coopération plus importante dans ce domaine. De même, je me suis rendu à la grande réunion du Partido Popular en Espagne : les Espagnols sont très demandeurs.
Je suis totalement d’accord avec Mme Guigou sur le fait qu’il ne faut pas se montrer punitif. Avant même que nous ayons commencé nos travaux, j’avais été frappé de constater qu’il existait chez les Britanniques le sentiment que la France était dure et que l’Allemagne était plus souple. L’Allemagne n’a pas pris position avant le déclenchement de l’article 50 ; c’est ce qui a donné l’impression que l’Allemagne était moins « punitive » que nous. J’insisterais donc bien plus sur le fait que notre position n’est pas punitive ; il faut que la coopération franco-allemande soit très forte et nous sommes d’ailleurs à présent sur les mêmes positions.
À cet égard, la rédaction du point 9 des conclusions du rapport me met mal à l’aise. On y lit en effet : « Le Brexit n’est effectivement pas un jeu à somme nulle. Il ne peut cependant être un jeu dans lequel tout le monde gagne. Il y aura des perdants ». Que signifient ces phrases ? Qu’allons-nous perdre ?
M. le président Claude Bartolone. Nous, non. Mais, précisément pour ne pas paraître « punitif », je n’ai pas voulu dire qui allait perdre.
M. Pierre Lequiller. Le Royaume-Uni devrait donc absolument perdre ? Dans l’esprit de ce que j’ai dit précédemment, je ne suis pas favorable à cette formulation qui anticipe les négociations. Je n’en perçois pas l’intérêt.
M. le président Claude Bartolone. Je comprends parfaitement que, pour des raisons diplomatiques, on souhaite ne pas insister sur ce point. Mais ces conclusions sont dans l’axe du rapport, qui fixe de la manière la plus nette qu’un État quittant l’Union européenne ne peut avoir les mêmes avantages que les États qui en restent membres.
M. Pierre Lequiller. Mieux vaudrait écrire les choses de cette manière plutôt que de mentionner de façon vague « des perdants », sans spécifier de qui il s’agit.
M. le président Claude Bartolone. C’est dit plusieurs fois dans le corps du rapport.
M. Joël Giraud. Ce rapport de grande qualité appelle deux commentaires. Pour commencer, j’ai été frappé de constater combien nos interlocuteurs, qu’ils soient membres d’institutions européennes ou de gouvernements, ont apprécié le fait qu’un parlement national se saisisse du sujet. C’est la démonstration du rôle essentiel – et il devra sans cesse être rappelé – que doivent jouer les parlements nationaux dans le contrôle de l’action des gouvernements européens au cours du processus qui s’engage, pour porter la voix des citoyens. Si cela n’est pas fait, on aboutira au rejet croissant de la démocratie représentative et à la prise de pouvoir d’autres formes de « démocratie » qui relèvent parfois davantage de la dictature, telle celle des réseaux sociaux, ou de l’exercice de minorités de blocage. C’est pourquoi la recommandation de Pierre Lellouche me semble devoir être entendue.
Ensuite, le rapport dit, à raison, la nécessité de poursuivre l’approfondissement de l’Union. Mais on semble s’en tenir un peu trop à l’application de la feuille de route établie dans la déclaration de Bratislava. Or, elle est au minimum évasive, puisque l’harmonisation sociale et fiscale, qui compte pour les Européens et sans laquelle l’Union ne pourra fonctionner durablement, n’y est pas précisément évoquée. Mieux vaudrait citer explicitement les grands chantiers qui nous attendent.
M. Daniel Fasquelle. Je salue le travail accompli. J’approuve les grandes lignes du rapport et les propositions qu’il contient. Je partage le point de vue que les Vingt-Sept doivent rester unis face à un Royaume-Uni qui cherchera à les diviser et à engager des négociations bilatérales ; il en va de l’avenir de l’Union. J’approuve aussi l’idée qu’un État sorti de l’Union ne saurait bénéficier des mêmes avantages que ceux qui y restent. En serait-il autrement que d’autres pays nous quitteraient. La division, d’une part, l’éventualité qu’un État ayant quitté l’Union soit mieux loti en dehors d’elle qu’en son sein, d’autre part, sont pour l’Europe deux dangers mortels. Aussi importantes que soient les modalités techniques de la négociation, elles ne doivent pas masquer la question essentielle, celle de l’avenir de la construction européenne.
Sur un autre plan, en ma qualité de député du Pas-de-Calais, j’invite à tenir compte de l’impact du Brexit sur les zones frontalières du Royaume-Uni. On n’a pas suffisamment conscience des liens très forts qui nous unissent ; ils font que nous sommes particulièrement concernés par le Brexit. On ne saurait, c’est vrai, se lancer dans une négociation secteur par secteur. Cependant, je me dois de tirer la sonnette d’alarme au sujet de l’impact du Brexit pour la pêche : 85 % des poissons ramenés par les marins-pêcheurs de Boulogne-sur-Mer et de la Côte d’Opale proviennent de la zone de pêche britannique.
On ne peut davantage mésestimer les conséquences potentielles du Brexit sur le tourisme, dont de nombreux emplois dépendent, et sur l’économie « résidentielle ». Le rapport évoque les Britanniques qui, ayant choisi de vivre en France, contribuent à son économie. Mais il y a aussi les touristes « ordinaires », et se pose donc la question de l’avenir des accords du Touquet. Il ne faudrait pas que la négociation ait pour conséquence l’allongement des files d’attente aux frontières, car nous serions immédiatement sanctionnés : les touristes britanniques seraient découragés de séjourner dans le Pas-de-Calais, alors qu’ils constituent présentement le quart de la clientèle des hôtels du Touquet.
D’autre part, le problème de Calais n’a été réglé que momentanément : la question du traitement des demandeurs d’asile qui veulent se rendre en Grande-Bretagne se reposera puisque, par le traité du Touquet, on a déplacé les frontières britanniques en France. Au-delà se pose la question des accords de Dublin, dont on ne sait quel sera l’avenir. Comment va-t-on traiter les demandeurs d’asile qui veulent franchir la Manche et qui, en attendant que leur demande d’asile soit examinée, doivent être hébergés ? Certes, le traité du Touquet est un accord de coopération franco-britannique, mais cette très grave question, qui peut empoisonner les relations entre nos deux pays, devra quoi qu’il en soit être réglée au cours de la négociation du Brexit.
Il faudra aussi déterminer comment la France se positionnera pour récupérer l’une au moins des institutions européennes dont le siège est actuellement au Royaume-Uni.
Il est dommage que, comme l’a souligné Mme Guigou, nous subissions le Brexit faute d’avoir suffisamment réfléchi au projet européen. Nous devons à nouveau prendre des initiatives. J’avais dit lors de notre visite à Bruxelles qu’il convient, à mon sens, de réfléchir à une Europe constituée en trois cercles. Autour d’un premier cercle politique formé autour du couple franco-allemand, il y aurait ensuite une zone plus large de pays voulant être dans une zone de libre-échange – ce que souhaitait le Royaume-Uni dès l’origine et qui explique que le Brexit était en réalité en germe dès l’adhésion de ce pays à l’Union européenne. Le troisième cercle serait constitué par une zone encore plus large d’États ayant vocation à coopérer avec l’Europe mais pas nécessairement à l’intégrer ; elle pourrait inclure des pays tels que la Turquie ou l’Ukraine, voire la Russie avec laquelle nous devons construire une relation durable. Il faut non seulement débattre de la manière de négocier le Brexit mais aussi relancer le projet européen.
M. Gilles Savary. Mes compliments s’ajoutent à ceux qui ont été adressés, à juste titre, aux auteurs de ce rapport qui débroussaille la complexe négociation à venir et en éclaire les termes.
Il n’est pas inutile d’associer les parlements nationaux aux accords de sortie de l’Union et pour cela de les consulter. Leur permettre de s’exprimer sur le résultat des négociations ne doit pas les conduire à revendiquer trop fortement la participation à la décision. Procéder de la sorte serait inviter le Royaume-Uni à rejouer les Horaces et les Curiaces, avec le risque qu’un parlement national provoque le blocage de la négociation. La garantie de l’unité des Vingt-Sept est le mandat le plus impératif donné à la Commission et au Parlement européen. Demander que la négociation soit approuvée par des ratifications nationales affaiblirait considérablement la position des négociateurs européens car le Royaume-Uni s’empresserait de conclure des accords bilatéraux avec tel pays ou tel autre. Cela pourrait avoir pour conséquence que, pour une tout autre raison, un pays s’oppose par exemple à l’interdiction du bénéfice du passeport financier européen pour la City, rendant cette interdiction impossible. Gardons à l’esprit que les diplomates britanniques sont de redoutables négociateurs.
Il aurait été judicieux de demander que la conférence interparlementaire prévue par l’article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire soit saisie d’une mission de suivi de la négociation. Cette conférence a toute son utilité : elle permet de prendre la température, en même temps, des différents groupes politiques de l’ensemble des parlements nationaux, et de tisser des liens. Que la position de chacun soit ainsi éclairée permet d’orienter puissamment la diplomatie parlementaire, j’en ai été témoin pour d’autres sujets – le budget et les travailleurs détachés.
Les remarquables travaux qui ont été conduits dans notre instance ne pouvaient, à ce stade, aller plus loin, mais ils ne s’adressent qu’à des spécialistes des questions européennes. Il serait bon de créer un observatoire chargé de mesurer l’impact socio-économique du Brexit pour la France. Pour la raison dite par Daniel Fasquelle, le Brexit est un sujet de panique pour la pêche française, et en ce cas l’impact ne sera pas forcément négatif pour les Britanniques. Le discours selon lequel ils s’abîmeront avec le Brexit est réducteur : ils peuvent aussi nous faire mal.
Ainsi, les principales compagnies aériennes européennes ont demandé que mandat soit confié à la Commission européenne de négocier avec les pays du Golfe, dont les compagnies leur livrent une concurrence résolument déloyale pour les longs courriers. La négociation ne peut être menée que par l’Union ; si elle était faite par chaque État membre séparément, des autorisations de trafic seraient délivrées à nos portes et les compagnies aériennes européennes s’effondreraient toutes, au bénéfice de celles des pays du Golfe. Quand, demain, le Royaume-Uni ne sera plus partie à ce mandat de négociation, l’aéroport de Gatwick s’ouvrira-il massivement à Etihad, Qatar Airways et Emirates ? Voilà une question à suivre de près. Quel sera d’autre part l’avenir d’Airbus, et que deviendra Easyjet, société de droit britannique au poids considérable dans le secteur aérien ? D’innombrables questions de cet ordre se posent à nous, s’agissant de l’impact du Brexit sur nos économies. Celle de nos exportations n’est pas la moindre puisque l’on nous dit que si notre déficit commercial a atteint 48 milliards d’euros en 2016, c’est en partie parce que le Royaume-Uni a importé moins de nos produits. En bref, il ne s’agit pas de surveiller seulement la technostructure bruxelloise mais aussi l’impact du Brexit sur l’ensemble de notre économie. Pour ce faire, l’observatoire du Brexit dont je propose la création devrait, tout au long de la négociation, entendre les représentants socio-professionnels nous éclairer sur leurs inquiétudes.
M. Éric Elkouby. L’excellent rapport qui nous est soumis évoque le déménagement à venir des agences européennes installées au Royaume-Uni. Il serait bon de préciser que l’Agence européenne du médicament aurait vocation à s’installer en France, et plus précisément à Strasbourg. Cela renforcerait le rôle européen de la ville, et par ricochet son importance pour le Parlement européen. La question est cruciale.
Mme Élisabeth Guigou. Je pense, comme Philip Cordery, que l’on pourrait atténuer la phrase selon laquelle « conserver la cohésion des États membres est un prérequis pour les négociations en faveur d’une autre Europe ». Il faut montrer que cette unité peut être préservée justement par la différenciation : nous ne sommes pas obligés d’être d’accord absolument sur tout, mais, pour les négociations avec le Royaume-Uni, il faut tenir sur les lignes fermes exposées dans le rapport.
J’ai la ferme intention que la commission des affaires étrangères suive les étapes de la négociation, et je suis décidée à la convoquer, le cas échéant, d’ici la fin de la législature si quelque chose tournait mal. Je suppose que la commission des affaires européennes et la commission des finances sont dans le même état d’esprit.
La suggestion qui vient d’être faite est bonne. Le Secrétariat général des affaires européennes va établir précisément le tableau des intérêts français et suivre les négociations pas à pas pour chacun. On pourra avoir plusieurs dispositifs.
Je partage les réserves exprimées par Gilles Savary au sujet des modalités d’expression des parlements nationaux. Les Britanniques ne manqueront pas d’entrer en contact avec chacun d’eux et l’on ne peut risquer des surenchères au moment de la ratification de l’accord de sortie. Je suis donc favorable à ce que notre Parlement se prononce et débatte mais défavorable à un mandat impératif – ce que le traité ne permet d’ailleurs pas pour l’instant – aux parlements nationaux. Ce serait périlleux au regard de la ligne à tenir au cours de la négociation.
Enfin, il est vrai que nous restons quelque peu sur notre faim s’agissant de ce que le Brexit dit de l’avenir de l’Union européenne. Le rapport traite de l’union économique et monétaire, de l’Europe de la justice avec le mandat d’arrêt européen et de l’Europe de la défense. Peut-être une proposition complémentaire serait-elle effectivement bienvenue, pour exprimer plus fortement que nous allons non seulement suivre la négociation mais aussi être à l’initiative sur l’avenir de l’Union, tant il est vrai que le Brexit met en lumière une crise préexistante. Il n’importe pas de se prononcer dès à présent sur la formule retenue – comité des sages, conférence, observatoire ? – mais il faut en tout cas manifester que nous, Parlement national, voulons continuer de travailler à l’avenir de l’Union européenne.
Je rejoins Pierre Lellouche : il va falloir travailler sur les frontières et sur nos politiques communes, non parce que c’est notre rêve mais parce que c’est notre intérêt. Par là, je n’entends pas seulement les politiques internes : il est de l’intérêt de la France d’amener tous les Européens à s’intéresser à la politique extérieure de l’Union européenne, à sa politique de sécurité et de défense. Il est aussi de son intérêt de donner une dimension extérieure à toutes ses politiques internes – l’extraterritorialité de l’application des lois américaines met la question à l’ordre du jour.
Peut-être cela pourrait-il faire l’objet d’un dernier paragraphe, sans que soit forcément précisée la forme que cela prendrait, car nous ne disposons plus du temps nécessaire pour en débattre.
M. le président Claude Bartolone. Merci à tous, chers collègues. Vous avez abordé un certain nombre de questions et nous allons voir comment intégrer vos remarques. Cela dit, des développements sont déjà consacrés à la question de la relance de l’Union européenne. Je précise à mes amis de la majorité que je n’ai pas voulu en rajouter en insistant sur ce qui aurait pu être fait depuis le début de la législature, notamment dans le cadre franco-allemand et au moment de la crise de la zone euro. Tout ne date pas du Brexit, et si celui-ci représente un défi pour l’Union européenne, c’est parce que l’enjeu excède le seul accord de retrait du Royaume-Uni. Nous devons faire en sorte que l’Union européenne fasse de nouveau envie. Rendez-vous compte : un pays estime qu’il sera mieux protégé à l’extérieur de l’Union qu’à l’intérieur ! L’idée est assez insupportable.
M. Pierre Lequiller. Monsieur le président, selon des sondages réalisés après le Brexit, notamment en France et en Allemagne, le sentiment européen semble plus fort qu’avant le Brexit. Non seulement les citoyens européens interrogés n’ont aucune envie de quitter l’Union européenne, mais le Brexit fait figure de repoussoir pour un certain nombre d’entre eux.
M. le président Claude Bartolone. C’est évident. Prenons un exemple franco-français : si un certain parti populiste est désormais plus réservé sur l’idée d’une sortie de l’espace protecteur de la zone euro, c’est notamment parce que de nombreux retraités ont compris que cela entraînerait une dévaluation, avec tout ce que cela implique. Alors, bien sûr, la situation dans laquelle nous nous trouvons résulte du choix de nos amis britanniques, mais nous devons aussi nous demander que faire maintenant. Reconnaissons-le les uns et les autres, c’est aussi un document testamentaire que nous laissons. Nous léguons un certain nombre d’indications à la prochaine majorité, quelle qu’elle soit.
Il faudra notamment être très attentif aux efforts diplomatiques que pourront déployer les Britanniques – nous connaissons leur talent en la matière. Prenons-y garde : ils pourraient chercher à profiter de la séquence électorale qui s’ouvre en France et en Allemagne. Cela étant, notre travail et le document qui en est issu témoigneront, pour les spécialistes, de l’existence d’un « centre de gravité » qui nous est commun.
Le défi qui nous est lancé conduira peut-être cette « Assemblée du non-cumul » qui naîtra des prochaines élections législatives à revoir sa propre organisation. Nous mesurons l’importance de la question européenne, une importance qui tient à des facteurs internes, à des facteurs internationaux, à des questions de frontières, à des raisons de sécurité, et à un certain nombre de politiques verticales. À cet égard, j’ai bien entendu les remarques faites par Gilles Savary et Daniel Fasquelle, et je suis bien conscient de certaines préoccupations, que suscite notamment la pêche, mais veillons à ne pas nous laisser entraîner dans un piège. Imaginez quelles possibilités s’ouvrent au Royaume-Uni si nous commençons à négocier politique par politique ! Il faut l’avoir à l’esprit.
Il faut aussi trouver le bon mode d’association des parlements nationaux. La sortie du Royaume-Uni relève d’une décision européenne, mais, comme le suggère Pierre Lellouche dans sa lettre, il ne saurait être question de dire aux parlements nationaux : « Circulez, il n’y a rien à voir ! » Ou alors nous irions au-devant de graves difficultés, notamment lorsqu’il sera question d’envisager la suite. Ce serait une erreur de considérer que la question n’est l’affaire que de l’échelon européen.
Il est bon aussi que ce débat repose la question de l’Europe à plusieurs cercles, de la zone euro à l’Europe des Vingt-Sept, et même au-delà. Songeons au message adressé à l’Ukraine, à un certain nombre de pays d’Afrique du Nord. Il nous faut envisager, c’est inéluctable, quels espaces de coopération sont possibles.
M. Pierre Lellouche. Pensez à cette quinzième recommandation : sortir par le haut !
M. le président Claude Bartolone. C’est un peu l’âme de ce rapport : nous ne dressons pas simplement un constat, à la manière d’un huissier, nous voulons faire quelque chose de tout cela pour donner une espérance européenne.
Mes chers collègues, chacun s’étant exprimé, il revient à notre mission, en application de l’article 145 du Règlement, de voter sur le rapport qui vous est aujourd’hui soumis.
La mission d’information adopte à l’unanimité, moins une abstention, le rapport, autorisant ainsi sa publication.
L’audition est levée à midi.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur les suites du référendum britannique et le suivi des négociations
Présents. - M. Claude Bartolone, M. Christophe Caresche, M. Philip Cordery, M. Éric Elkouby, M. Daniel Fasquelle, Mme Valérie Fourneyron, M. Joël Giraud, Mme Élisabeth Guigou, Mme Marietta Karamanli, M. Pierre Lellouche, M. Pierre Lequiller, M. Jacques Myard, M. Christophe Premat, M. Gilles Savary, M. Michel Vauzelle
Excusés. - Mme Nicole Ameline
——fpfp——