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Mission d’information sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi

Jeudi 10 juillet 2014

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 9

Présidence de M. Olivier Carré, Président

–   

–   Présence en réunion

M. Olivier Carré, président. Madame, Messieurs, nous souhaiterions aborder avec vous deux sujets. D’abord, les banques sont elles-mêmes bénéficiaires du CICE. Nous entendons que ce sont elles qui en profiteraient précisément le plus, ainsi que la grande distribution, tandis que l’industrie en bénéficierait beaucoup moins, ce qui va à l’encontre des fins poursuivies. Ensuite, j’aimerais que nous abordions la question du préfinancement de ce crédit d’impôt. Le Gouvernement avait lancé un appel aux banques pour qu’elles préfinancent ces créances jugées certaines, en renfort de l’action de la Banque publique d’investissement (BPI France), qui devait travailler étroitement sur ce sujet avec vos établissements.

M. Jean-Claude Guéry, directeur des affaires sociales de l’Association française bancaire. Sur le premier point, je vais vous livrer les données globales pour la profession bancaire. La BPCE et la Société générale, ici représentées, compléteront pour ce qui les concerne. Tout d’abord, la fédération bancaire française, comme le patronat dans son ensemble, a accueilli favorablement le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Cela étant, l’avantage du CICE étant limité aux salaires qui ne dépassent pas 2,5 SMIC, il ne s’appliquera qu’à hauteur de 40 % de la masse salariale dans le secteur bancaire.

M. Olivier Carré, président. Combien de personnes sont concernées ?

M. Jean-Claude Guéry. Au total, les banques françaises emploient 370 000 personnes, mais c’est seulement sur 40 % la masse salariale que s’appliquera la réduction de 4 % des rémunérations brutes versées en 2013. L’ensemble des versements dont devrait bénéficier le secteur bancaire grâce au CICE, devrait s’élever, au titre de 2013, aux alentours de 300 millions d’euros. Cela correspond à 1,5 % de la masse salariale brute, à ramener à un peu moins de 1 % du coût salarial si l’on tient compte des augmentations en parallèle des charges sociales et de la taxe sur les salaires. Cette dernière, qui représente environ 10 % du salaire brut, a été augmentée en 2013 : non seulement une nouvelle tranche à 20 % a été créée pour les salaires supérieurs à 250 000 euros annuels, mais son assiette a été élargie à l’épargne salariale en général – intéressement et participation –, particulièrement utilisée comme mode de rémunération dans la profession. Cela a généré un coût supplémentaire de 200 millions d’euros, ce qui atténue d’autant les 300 millions de gains attendus du CICE. Sans compter les hausses du versement transport, mais également des cotisations vieillesse : un décret de 2012 a prévu que les carrières longues seraient financées par une augmentation de 0,25 % de la part patronale de la cotisation vieillesse répartie sur cinq ans, de 2013 à 2017.

Enfin, les produits bancaires n’étant pas assujettis à la TVA, le secteur bancaire doit payer sur ses achats ce que l’on appelle des TVA rémanentes, pour un montant total de 1,4 milliard d’euros. Ce montant a crû encore avec le passage du taux supérieur de 19,6 % à 20 % au 1er janvier 2014, affiché comme participant au financement du CICE… À elle seule, cette augmentation mécanique aura un effet négatif de 80 millions d’euros pour la profession. Finalement, pour l’année 2013, les 300 millions d’euros de gains au titre du CICE – qui ne se feront ressentir qu’au titre de l’IS pour 2014 – seront contrebalancés par l’alourdissement de la taxe sur les salaires – 200 millions d’euros, auxquels viendront s’ajouter environ 100 millions d’euros résultant des effets induits des autres dispositions que je viens d’évoquer. Au total, au niveau de la branche prise dans son ensemble, le coût du travail ne bougera pratiquement pas, même si, selon les entreprises, les choses peuvent varier dans une certaine mesure en fonction des structures de salaires.

En tout état de cause, conformément à la législation, les instances représentatives du personnel ont été consultées sur le suivi du CICE. La BPCE et la Société générale vous en parleront plus précisément. Elles se sont prononcées en faveur d’une affectation de son produit à des fins d’investissement, ce qui correspond à l’objectif initial.

M. Nicolas Duhamel, conseiller du président du directoire, directeur des relations publiques de la BPCE. Pour le groupe BPCE, pris dans son ensemble, l’avantage fiscal lié au CICE aura représenté 68 millions d’euros au titre de 2013. Encore faut-il le mettre en regard avec les augmentations d’impôt qu’ont dû supporter les banques : pour la BPCE, le relèvement de la taxe sur les salaires aura coûté 50 millions d’euros, et la rémanence TVA un montant du même ordre. Du fait de sa structure essentiellement franco-française, la BPCE se caractérise par un prorata de TVA particulièrement bas : nous récupérons seulement entre 1 % ou 2 % de la TVA sur les facturations de nos fournisseurs. Ajoutons que la surtaxe au titre de l’impôt sur les sociétés est passée en 2013 de 5 % à 10,7 %, soit un coût supplémentaire de 71 millions d’euros pour le groupe. Enfin, la taxe de 3 % sur les dividendes nous aura coûté 62 millions d’euros suite à une distribution exceptionnelle de dividendes aux actionnaires de Natixis – cela devrait nous coûter nettement moins en régime de croisière. Reste que, au total, le CICE nous rapportera pour 2013 68 millions d’euros, face à quelque 230 millions d’euros de suppléments d’impôts divers… Depuis trois ans, les impôts sur les banques se sont considérablement alourdis par rapport à ce que doivent supporter d’autres secteurs. Dans notre établissement, le taux global d’imposition, rapporté au résultat net, s’élève à 70 %.

M. le président. Et comment avez-vous utilisé le CICE ?

M. Nicolas Duhamel. Nous l’avons affecté globalement à l’investissement. Nous avons diffusé l’information au niveau des comités d’entreprise de nos dix-sept caisses d’épargne et nos dix-neuf banques populaires. Le CICE aura servi à renforcer la politique de formation par alternance, à laquelle nous sommes très attachés, mais aussi à moderniser les services d’information dans le cadre d’une digitalisation de nos processus toujours plus poussée, ou encore à équiper les agences de dispositifs d’économie d’énergie. Le CICE aura donc permis de conforter la politique d’investissement globale de chaque établissement.

M. Patrick Suet, secrétaire général de la Société générale. La structure d’activité de la Société générale est assez différente de celle de la BPCE ou d’autres banques, ce qui explique certains écarts notables. Pour commencer, la pyramide de nos revenus salariaux est dans une large mesure tirée par le haut, dans la mesure où nous sommes les seuls à avoir encore une banque d’investissement extrêmement présente à Paris. Pour cette raison, le bénéfice du CICE est pour nous un peu plus faible que la moyenne. En revanche, l’augmentation concomitante de la taxe sur les salaires, et particulièrement la création de la nouvelle tranche à 20 %, a lourdement touché notre groupe. Au total, le CICE aura rapporté à la Société générale, au sens strict, seulement 26 millions d’euros alors que les diverses augmentations d’impôts, parmi lesquelles l’augmentation de la TVA, précisément destinée à financer le CICE, lui auront coûté quelque 50 millions… Et je n’intègre pas à mes calculs les augmentations d’impôt telles que la taxe systémique bancaire et autres.

Sans conteste, le CICE répond donc à un besoin. Pour un groupe tel que le nôtre, en compétition avec Londres, Francfort et le Luxembourg, l’effort de maîtrise des coûts salariaux est un facteur essentiel pour le maintien de l’activité à Paris. Au total, même si le bilan n’est pas aussi satisfaisant qu’on pourrait l’espérer, le CICE a freiné les augmentations d’impôt. De ce fait, il participe d’un bon mouvement, et surtout, la cible est la bonne : car l’allégement du coût du travail est bien la clé du problème. On oublie trop souvent que nous sommes le seul pays du monde où les entreprises financent un versement transport qui représente 4 % de la masse salariale en Ile-de-France et que la taxe sur les salaires représente plus de 10 % de la masse salariale. Cela n’existe pas ailleurs.

Conformément à la loi, le groupe Société générale, comme la BPCE, a consulté avant le 1er juillet les partenaires sociaux, en l’occurrence le comité central d’entreprise, sur le suivi du CICE. Son produit est affecté à l’investissement, mais les ordres de grandeurs ne sont pas comparables : cela ne représente que 26 millions d’euros sur un effort global de 1 milliard d’euros. Quoi qu’il en soit, tout cela a été exposé aux organisations syndicales.

M. le président. Et qu’en est-il du préfinancement ?

M. Pierre Bocquet, directeur du département banques de détail et banques à distance de la Fédération bancaire française. Dès le premier semestre 2013 pour certaines d’entre elles, et dès le second semestre 2013 pour l’ensemble d’entre elles, les banques de détail ont mis en place une offre de préfinancement du CICE, immédiatement après l’accord de place conclu avec les pouvoirs publics. Cette mesure va dans le bon sens pour améliorer la compétitivité des entreprises ; cela étant, le lancement d’un nouveau produit de préfinancement oblige à adapter les systèmes d’information, à former les équipes, à développer une communication interne, mais aussi une communication dirigée vers les clients. Nous avons ainsi édité des brochures, recouru au mailing et à l’e-mailing, renforcé notre présence sur les sites internet dédiés aux entreprises, grandes utilisatrices des banques en ligne, participé aux réunions d’information tenues dans les préfectures et rencontré les associations représentatives des entreprises pour faire connaître le CICE et ses modalités de préfinancement.

À l’heure du bilan, force est de constater que la demande est faible. Les résultats sont plutôt décevants au regard de l’investissement fourni.

À tort ou à raison, l’offre est ressentie comme trop complexe par comparaison à d’autres modes de financement à court terme. Peut-être le versement concret de la première tranche de CICE amènera des entreprises à reconsidérer ces offres.

L’offre traditionnelle des banques pour répondre aux besoins de financement à court terme apparaît plus intéressante, plus simple, plus compétitive et moins coûteuse que le montage d’un dossier de préfinancement, qui suppose de mobiliser un expert-comptable, ce qui induit un coût, et une procédure qui peut prendre quelques semaines.

Des banques régionales ont passé des accords avec BPI France, notamment pour la question des petits dossiers. Les formules de partage de risques avec BPI France n’ont quant à elles pas rencontré de forte demande. BPI France intervient sans frais de dossier, à la demande des pouvoirs publics, y compris pour des demandes inférieures à 2000 euros qui ne pourraient être satisfaites par le secteur concurrentiel pour des raisons évidentes de rentabilité. Mais elle intervient également, et on peut le regretter, dans des dossiers qui relèvent manifestement du secteur concurrentiel et où les entreprises trouveraient une offre compétitive auprès des réseaux bancaires.

Dans son rapport d’octobre 2013, le comité de suivi du CICE a pourtant souligné que l’offre faite par BPI France sur la base de taux de financement extrêmement compétitifs a pu générer un phénomène d’éviction des banques commerciales du marché du préfinancement alors même que le secteur bancaire présentait des offres de trésorerie tout aussi avantageuses, voire davantage. Enfin, il refuse de voir la faible appétence pour les solutions de préfinancement comme un signe négatif, puisqu’elle peut témoigner de la viabilité d’autres modes de financement existants. Au total, sur les trois millions à trois millions et demi d’entreprises bénéficiaires du CICE, seulement quelques milliers de demandes ont été déposées. Ceci laisse à penser que les entreprises ont trouvé d’autres solutions, plus avantageuses.

M. Patrick Suet. La Société générale a également lancé dès 2013 une offre de préfinancement du CICE, en formant et informant tous ses réseaux d’agences pour qu’elles puissent renseigner au plus vite les entreprises. Au premier trimestre 2014, cette offre a encore bénéficié d’une communication appuyée, en interne comme en externe. La Société générale a ainsi envoyé des courriels à la quasi-totalité des clients concernés. Mais les résultats ne sont pas à la hauteur des efforts déployés.

Pour commencer, le coût unitaire de traitement des dossiers, tant pour les entreprises que pour les banques, prive souvent le préfinancement d’intérêt économique, à moins de recourir à l’intervention gratuite de BPI France. En règle générale, une ouverture de crédits à douze mois s’avère plus simple qu’une opération de cession de créance.

Nous avons développé deux offres de préfinancement pour des créances de CICE supérieures à 10 000 euros. La première concerne les petites et moyennes entreprises ; en pratique, elle préfinance aux entreprises 85 % de leur crédit d’impôt, suivant le dispositif défini par la réglementation applicable. Nous nous heurtons cependant parfois à des lourdeurs administratives dans nos échanges avec les bureaux des finances publiques, plus ou moins rapides selon les lieux.

La deuxième est destinée aux entreprises de taille intermédiaire ou aux grandes entreprises. Il s’agit d’une offre de préfinancement classique, à ceci près que la sécurité en est accrue du fait qu’elle porte sur une créance de l’État plus sûre même que le crédit d’impôt recherche.

Au total, pour 2013, 164 petites et moyennes entreprises ont ainsi souscrit des contrats de préfinancement, garantis pour un quart par BPI France et portant sur un montant global de 5 millions d’euros de créances. 12 autres entreprises de plus grande taille ont souscrit des contrats pour un montant global de créances de 25 millions d’euros. Les deux volets de l’offre totalisent ainsi 30 millions d’euros de créances au titre du CICE, ce qui représente un montant relativement modeste. Ce dispositif n’intéresse finalement que les entreprises qui ont des besoins pressants de trésorerie, ce qui ne correspond pas à la majorité des cas, du moins pour les moyennes et grandes entreprises ; quant aux toutes petites entreprises, elles ont tout intérêt, du fait des coûts de gestion, à recourir aux modes classiques d’aides en trésorerie à court terme.

M. Nicolas Duhamel. Au sein du groupe BPCE, qui est un groupe multimarques, la Banque palatine et les Banques populaires ont développé une offre de préfinancement dès avril 2013. De manière classique, les décrets d’application se sont fait attendre, mais ces difficultés ont été surmontées. Aujourd’hui, le stock de créances concerné par le préfinancement s’élève pour nous à environ 450 millions d’euros pour 150 contrats souscrits, ce qui n’est pas négligeable.

Cela recouvre une réalité hétérogène. Comme la Société générale, nous avons développé deux types d’offre, l’une sur douze à dix-huit mois, l’autre sur trois ans. Pour les très petites entreprises, la solution offerte par BPIFrance, qui a beaucoup communiqué sur le sujet, s’impose comme la plus naturelle. Dans les caisses d’épargne et les banques populaires, dont les clients sont des entreprises dont le chiffre d’affaires va jusqu’à 50 millions d’euros, le stock des créances sous préfinancement est faible. Il est plus important pour Natixis et pour la Banque palatine, qui comptent parmi leurs clients beaucoup d’importantes petites et moyennes entreprises, mieux à même d’engager de manière efficace des démarches administratives.

En règle générale, l’interrogation des services fiscaux se passe dans de bonnes conditions. Ils ne tardent jamais envoyer le formulaire CERFA, une relance n’est presque jamais nécessaire. Il est perceptible que la mesure fait l’objet d’une véritable impulsion politique. Il n’en demeure pas moins que la certification par les commissaires aux comptes alourdit le coût du préfinancement.

Pour la Banque palatine et pour Natixis, elle ne constitue donc qu’un élément d’animation commerciale parmi d’autres. Bien que l’instrument soit parfois compliqué, l’offre sera renouvelée pour 2014, car elle présente l’avantage d’apporter de l’argent frais aux entreprises sans contrepartie dans leur passif, ce qui permet d’optimiser un bilan de fin d’exercice. Les conditions de financement sont en outre favorables, dans la mesure où l’existence d’une créance sur l’État, particulièrement sûre, améliore le spread client. Le préfinancement porte en général sur 85 % à 95 % du crédit d’impôt concerné, sachant que nous restons attentifs à la différence éventuelle entre les créances en germe et les créances définitivement constatées.

Au total, il semblerait que les très petites et moyennes entreprises se soient massivement tournées vers BPI France qui a mis en place un dispositif de communication très soutenu. Une majorité de nos clients TPE, professionnels et petites PME se sont contentés de faire usage des facilités de caisse classiques dont ils bénéficiaient – et nous sommes évidemment restés très actifs dans ce domaine –, ce qui réduit d’autant le besoin d’un préfinancement CICE, à leurs yeux trop compliqué. Quant aux entreprises financièrement solides, elles ne voient pas forcément l’intérêt de mobiliser un mécanisme dont le coût réduira d’autant leur bénéfice fiscal. Au total, le préfinancement du CICE demeure utile, il faut qu’il soit disponible, mais il ne s’adresse en fait qu’à une catégorie bien particulière d’entreprises.

M. Guillaume Bachelay. Ma première question a trait à l’impact du CICE. M. Guéry disait tout à l’heure que le CICE était en général affecté à l’investissement. Quelle nature d’investissements cela concerne-t-il principalement ?

Ma seconde question concerne le préfinancement. La BPI, lorsque nous l’avons auditionnée, avait évoqué le rôle des acteurs bancaires et leurs difficultés à assurer le préfinancement des dossiers de faibles montants. Nous avons nous-mêmes rencontré des entreprises qui ont été confrontées à des difficultés d’accès au préfinancement du CICE par la place bancaire. Cela tient-il à une question de rentabilité pour les banques ou bien de complexité de mise en place d’une ligne de crédit assise sur une seule créance, de surcroît en germe ?

M. Éric Alauzet. Lorsqu’il s’est agi de mettre en place le pacte de responsabilité, il avait été envisagé de « mettre à plat » le CICE pour fondre l’ensemble en un seul dispositif d’allègement de cotisations sociales. Mais un certain nombre d’acteurs économiques ont souhaité préserver le CICE en l’état. De quel côté vous êtes-vous rangés à l’époque ?

Ma seconde question concerne la perception qu’ont vos salariés, dans les différentes instances de concertation, lorsque vous faites le point sur le CICE, les recettes, les dépenses et la façon dont il est utilisé. Quelles sont les principales observations qu’ils formulent ?

M. Philippe Kemel. Selon les derniers indicateurs connus, il semble que les défaillances d’entreprises soient plutôt en régression sur les trois derniers mois. Confirmez-vous cette tendance ? Peut-on en imputer la responsabilité au CICE ? Autrement dit, le CICE a-t-il eu des effets en priorité sur la trésorerie des entreprises ?

M. François André. Quel est le coût moyen facturé à vos clients qui optent pour le préfinancement ? Comment ce coût se situe-t-il par rapport aux produits classiques de trésorerie immédiate que vous proposez ?

Vous avez évoqué certaines lourdeurs administratives. Quel est le délai moyen qui s’écoule entre la demande de préfinancement du client et l’arrivée des fonds sur son compte ?

M. Yves Blein, rapporteur. Par rapport à l’impact sur votre activité que vous nous avez indiqué, peut-on extrapoler – par une règle de trois – l’impact 2014 sur les comptes de 2015, sachant que le CICE qui équivaut à 4 % de la masse salariale en 2013, sera porté à 6 % en 2014 ?

Êtes-vous en mesure de nous donner une « note d’ambiance » sur l’utilisation que vos clients entreprises comptent faire du CICE ?

M. Pierre Bocquet. Les chiffres des défaillances d’entreprises sont en effet meilleurs ce mois-ci pour les PME, mais pas pour les TPE. Historiquement, nous restons à un niveau élevé, notamment pour les TPE. Il me paraît aujourd’hui hasardeux de faire un lien avec le CICE – nous n’avons pas les éléments pour cela.

Je vous renvoie aux deux rapports que l’Observatoire du financement des entreprises – qui réunit toutes les parties prenantes – a publiés cette année, le premier sur la situation des PME, en février, et le second sur celle des TPE il y a quelques jours. La principale conclusion à en tirer est qu’il est très difficile de généraliser les constats, en raison de l’extrême hétérogénéité qui caractérise les PME comme les TPE, notamment s’agissant de leur situation financière. Le rapport sur les TPE relève qu’un tiers d’entre elles n’ont pas de fonds propres ou ont des fonds propres négatifs – ce qui est inquiétant. On observe la même diversité en ce qui concerne les PME, en fonction des secteurs d’activité et surtout de l’exposition à la consommation – ce sont les entreprises exposées à la consommation des ménages qui souffrent le plus par comparaison avec celles qui ont une activité de « B to B ». Ces dernières se portent bien, voire très bien, se développent et obtiennent des crédits d’investissement. Selon le rapport sur les PME, une partie de celles-ci seraient en situation de sous-investissement, alors que les taux d’accès aux crédits d’investissement sont excellents – un bon projet trouve toujours son financement.

Comme je vous le disais, nous avons besoin de plus de recul pour pouvoir établir un lien entre l’amélioration des chiffres des défaillances d’entreprises sur le dernier mois et le CICE. En tout état de cause, il faut espérer que ce ne soit pas seulement le CICE qui améliore la situation des entreprises.

M. Patrick Suet. Pour la Société générale, les affectations en dépenses ont été centrées sur l’informatique. Les investissements autour de l’informatique se sont élevés à un peu plus d’un milliard d’euros, dont une part – environ 20 % – est constituée d’investissements mobiliers, et le reste d’études et de dépenses informatiques. Ces dernières sont notamment destinées à financer la transition vers le digital dans nos activités. Je vous donne là les éléments que nous avons communiqués au comité central d’entreprise.

M. Alauzet nous interroge sur la réaction de nos salariés. Les organisations syndicales estiment que le CICE est « noyé » dans un volume de dépenses très important. Je vous ai donné les chiffres : 26 millions d’euros d’un côté, 1 milliard de l’autre. Les organisations syndicales souhaiteraient que nous puissions entrer un peu plus dans le détail. En revanche, elles ne formulent pas de demandes particulières quant à l’affectation à tel ou tel poste. Il reste que c’est l’occasion d’un dialogue avec elles sur les stratégies d’investissement en matière de formation ou d’informatique comme dans les autres domaines requis par la loi.

Vous nous demandez quelle était la préférence des banques entre le maintien du CICE tel quel ou son intégration dans un seul dispositif d’allègement de charges sociales. En tant que banquiers, notre préférence va à un allègement de charges linéaire sur l’ensemble des niveaux de salaires, puisque par construction, notre structure salariale fait que nous « sous-profitons » du CICE par rapport aux autres secteurs d’activité. Sur le plan macroéconomique, notre réponse est plus mitigée. Là encore, les structures sont différentes. Nous avons d’ailleurs constaté, à l’occasion des travaux conduits sur le pacte de responsabilité et sur le Pacte de compétitivité, que certains secteurs étaient plus attachés à l’un qu’à l’autre. En termes de politique publique, il nous paraît donc sage d’avoir maintenu un équilibre entre les deux.

M. Nicolas Duhamel. Sur l’arbitrage entre le CICE et d’autres moyens de financement de l’entreprise, il faut prendre en compte les coûts de structure de base du montage d’un dossier CICE. Lorsqu’ils deviennent trop élevés, il est plus facile pour une petite structure de recourir à une avance de trésorerie, déjà encadrée et préfigurée, qu’il suffit d’augmenter. Pour les autres structures, à partir du moment où la banque compense dans le tarif facturé son coût de liquidité de base, point très important – puisque les banques doivent désormais affecter des fonds propres à toutes les mobilisations de liquidités, et disposer de cette liquidité qui est strictement encadrée –, avoir une créance sur l’État permet d’améliorer le spread du client, dans la mesure où, cas de défaillance de l’entreprise, la banque est remboursée par le Trésor.

M. Patrick Suet. Dans la limite de ce qu’il reste au moment de la liquidation.

M. Nicolas Duhamel. En effet. Mais dans cette limite, il y a tout de même un petit avantage à la nature de cette créance.

Vous avez évoqué l’impact du CICE sur l’économie. Pour la Banque Palatine, par exemple, les principaux secteurs d’activité qui recourent au préfinancement sont le travail temporaire, la production industrielle, le commerce de gros et de détail, et le BTP. Sans doute avaient-ils davantage besoin de ce type de préfinancement que d’autres secteurs.

En ce qui concerne les délais moyens entre la demande de préfinancement et l’arrivée des fonds sur le compte, les dossiers sont traités suivant la procédure classique : examen, passage en comité de crédit, préparation de la documentation, convention de cession, acte de cession professionnel, sachant que le bordereau Dailly fait tout de même quinze pages – il y a donc un minimum de formalisme –, et enfin closing de l’opération, avec la signature des parties et la notification de la cession au comptable du Trésor. Une fois le document revenu, ce qui est assez rapide, nous tirons le prix de la cession et mobilisons le préfinancement. Au total, les durées moyennes sont de quatre à six semaines, ce qui est relativement raisonnable, mais parfois un peu moins rapide qu’un financement de type avance de crédit augmentée.

M. Jean-Claude Guéry. Le rapporteur nous a interrogés sur l’anticipation du CICE en 2014. Toutes choses égales par ailleurs, le calcul est assez simple à faire. Nous aurons 50 % de plus, ce qui devrait porter le bénéfice du CICE à 450 millions en 2014 – donc sur l’impôt sur les sociétés (IS) de 2015.

Bien sûr, les augmentations de taxes qui viennent d’être votées au titre de 2013 demeurent en 2014.

Les mesures du Pacte de responsabilité ont été traduites dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative et le projet de loi de finances rectificative. Celles qui auront un effet en 2015 concernent assez peu la profession bancaire : la suppression des cotisations familiales ne concerne qu’une partie des salaires, plafonnée à 1,6 fois le SMIC ; pour ce qui est de la contribution sociale de solidarité des sociétés, la baisse se fera par un abattement à la base de l’assiette, qui aura très peu d’effets sur les grandes entreprises que sont les entreprises bancaires.

M. François André. Vous nous avez parlé des dépenses que le CICE engendrait pour les banques, notamment en termes de formation des agents ou d’information. Mais quel est le coût facturé à un client sur un préfinancement ?

M. Patrick Suet. Par construction, ces coûts varient considérablement en fonction du rating du client ou de l’État. Toute la partie crédit est traitée de la même manière, qu’il s’agisse du CICE ou d’une autre forme de crédit. Il n’y a pas de différence, si ce n’est que dans un cas, nous avons une garantie de l’État – dont nous tenons compte pour alléger la charge pour le client.

Les frais de dossier sont de 0,85 % pour la Société Générale.

M. le président Olivier Carré. En tant qu’employeurs, estimez-vous que le seuil de 2,6 fois le SMIC peut être un frein à une augmentation pour les salariés dont la rémunération approche ce seuil ? Ne risquent-ils pas d’être bloqués dans leur progression de carrière, sachant que le coût du « saut » est tout de même significatif ?

M. Patrick Suet. Ce n’est pas ainsi que nous fonctionnons : nous raisonnons globalement. Nous ne réallouons pas ce type d’économies point par point dans la grille des salaires.

M. le président Olivier Carré. Certes. Je sais que la politique salariale n’est pas uniforme dans l’entreprise. J’aimerais simplement savoir si cet élément entre en ligne de compte dans les décisions d’augmentation individuelles. L’effet de seuil est important, puisqu’au-delà du seuil, nous sortons intégralement de l’assiette.

M. Patrick Suet. Cela n’entre pas du tout en ligne de compte dans la gestion du personnel de la Société Générale. Ce serait du reste très artificiel. Les grilles de revenus ne sont pas liées à cela. Dans la banque, et surtout dans la banque de détail, les carrières sont liées à des paliers de revenus et à des sauts de classe, eux-mêmes liés à l’ancienneté et à de nombreux autres critères. Le CICE a un impact sur le coût global du travail pour la Société générale, mais pas sur la gestion de personnel.

M. le président Olivier Carré. Vous n’en tenez donc jamais compte ?

M. Patrick Suet. Jamais.

M. Jean-Claude Guéry. Les politiques salariales ne fonctionnent pas ainsi. Sur le plan macroéconomique, en revanche, la multiplication des mesures induisant des effets de seuil – car il n’y a pas que celle-ci – a un effet perturbant. Je pense par exemple à ce que l’on appelle la « trappe à bas salaires ». D’ailleurs, les mesures du Pacte de responsabilité sur les cotisations familiales ont aussi des effets de seuil : en 2015, elles sont plafonnées au niveau de 1,6 SMIC ; en 2016, ce sera 3,5 SMIC. Au final, la multiplication de ce type de mesures peut avoir des effets perturbateurs sur l’échelle des salaires et sur les carrières mais seules des études macroéconomiques pourraient le démontrer.

M. Éric Alauzet. Pouvez-vous nous confirmer que les chiffres que vous nous avez donnés – notamment sur ce que vous a rapporté le CICE – concernent bien l’année 2013, et qu’il ne s’agit pas d’une anticipation sur 2014 ? De plus, vous n’avez sans doute pas mobilisé tout ou partie du CICE en 2013 – ou alors sous forme d’avances.

M. Patrick Suet. Aucune banque ne mobilise le CICE pour son propre compte.

M. le président Olivier Carré. Ce sont des montants qui ont été comptabilisés dans le cadre de l’arrêté des comptes au 31 décembre 2013.

M. Éric Alauzet. Les charges que vous avez évoquées sur les salaires sont-elles liées à des changements d’assiette, à des augmentations de taux ? Quelle est la part des deux ?

M. Patrick Suet. Je reviens sur ce que nous avons signalé sur les augmentations de charges, d’impôts ou de taxes liées aux rémunérations. Pour la taxe sur les salaires, cela correspond à la fois à une augmentation du taux et à un élargissement de l’assiette. Les deux phénomènes jouent, avec la création de la tranche à 20 % pour la taxe sur les salaires et l’élargissement de son assiette à toute la participation et l’épargne salariale. Sur le versement transports, il s’agit d’augmentations de taux. Par ailleurs, nous avons mentionné l’impact sur le droit à déduction en matière de TVA – c’est un problème d’assiette – lié non au CICE, mais à sa contrepartie financière, c’est-à-dire à l’augmentation de la TVA, qui précisément était censée le financer…

M. Éric Alauzet. Cela a donc neutralisé les effets du CICE.

M. Patrick Suet. Cela a sur-neutralisé les effets du CICE.

M. Philippe Kemel. Dans la continuité de la remarque faite sur les fonds propres des entreprises, en particulier des TPE, une idée a été évoquée : faire en sorte que sur le plan comptable, le CICE puisse être considéré comme un élément des fonds propres de l’entreprise. Il pourrait être assimilé à des capitaux permanents. Que pensez-vous de cette proposition ?

M. Patrick Suet. C’est déjà le cas dans le traitement comptable. Lorsque le CICE est mobilisé, on inscrit une créance, assimilable à des fonds propres.

M. Philippe Kemel. On nous a expliqué la semaine dernière que l’écriture comptable correspondante était une créance sur l’État au compte de résultat.

M. Patrick Suet. Y compris en cas de mobilisation ? Il me semblait qu’en cas de mobilisation, on devait pouvoir inscrire la créance – il faudrait vérifier avec les autorités comptables si elles valident ce raisonnement. À titre d’exemple, les créances de report en arrière du déficit sont mobilisées selon la même technique : on inscrit une créance au bilan, et ce sont bien des fonds propres.

M. le président Olivier Carré. Il y a toujours une mobilisation, puisque le CICE fait partie du calcul de l’impôt sur les sociétés. Il s’agit de savoir si cela conduit à un reversement de la part de l’État – c’est l’effet de trésorerie. Mais cela n’a rien à voir avec le traitement comptable amont qui, lui, constate la créance. Le schéma se complique lorsqu’il y a une anticipation, puisque l’an dernier, la créance n’était valable qu’à partir du 1er janvier – en tout cas, le lendemain de la clôture des comptes. Il s’agit de savoir si elle pouvait être préfinancée, auquel cas il y a un petit risque, dont nous avons déjà débattu. Mais ce n’est pas la même chose ; quoi qu’il en soit, la créance est toujours inscrite.

M. Philippe Kemel. Certes, monsieur le président, mais le cabinet comptable auquel nous avons posé la question la semaine dernière nous a bien précisé qu’elle était inscrite au compte de résultat, en créance sur l’État, et c’est seulement lorsqu’elle est payée par l’État qu’elle se retrouve dans le compte banque de l’entreprise. Mais à aucun moment on ne verra un versement au titre du CICE figurer dans les fonds propres de l’entreprise. Si nous souhaitons qu’il y ait presque une forme de capitalisation en fonds propres, avec un historique, il faut modifier cette manière de faire.

M. le président Olivier Carré. Cela ne servira à rien. C’est un autre débat.

M. le rapporteur. Je souhaiterais des précisions sur la taxe sur les salaires.

M. Patrick Suet. La taxe sur les salaires est due par toutes les entreprises ou les associations qui n’acquittent pas la TVA sur les prestations qu’elles assurent. Nos clients ne payent pas la TVA sur les intérêts bancaires, puisque ces derniers n’y sont pas assujettis, une part très élevée de nos résultats ne sont pas soumis à la TVA. En application de la réglementation fiscale, nous acquittons la taxe sur les salaires en échange mais n’est pas la même chose : dans le cas de la TVA, l’impôt est payé par le client ; dans celui de la taxe sur les salaires, il est payé par l’entreprise et entre comme tel dans ses coûts de fabrication.

M. le président Olivier Carré. Autrement dit, cela reste une forme de taxation de la valeur ajoutée…

M. Patrick Suet. À ceci près qu’elle est définitivement supportée par l’entreprise – le même problème se pose pour les associations. Les collectivités locales ont trouvé la réponse : elles ont demandé à l’État de créer un fonds de compensation de la TVA. C’est la même logique : comme elles ne récupèrent pas de TVA, elles supportent une charge de TVA d’amont. En ce qui nous concerne, non seulement nous ne déduisons pas la TVA comme le font les collectivités locales sur leurs investissements, mais nous payons en plus la taxe sur les salaires. Ce qui évidemment ne nous satisfait guère…

M. le président Olivier Carré. Je vous remercie.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi

Réunion du jeudi 10 juillet 2014 à 10 heures

Présents. - M. Guillaume Bachelay, M. Yves Blein, M. Olivier Carré, M. Christophe Castaner, M. Hugues Fourage, M. Razzy Hammadi, M. Philippe Kemel, Mme Christine Pires Beaune, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Pascal Cherki, M. Joël Giraud, Mme Véronique Louwagie