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Mission d’information sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi

Jeudi 11 septembre 2014

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 19

Présidence de M. Olivier Carré, Président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), de M. Renaud Giroudet, directeur des affaires sociales, de M. Antoine Sauvagnargues, responsables des affaires publiques, et de Mme Fabienne Prouvost, directrice de la communication et des affaires publiques..

M. le président Olivier Carré. Les représentants de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) ont souhaité être auditionnés pour expliquer ce que le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) représente pour leur secteur.

M. Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD). Notre secteur est souvent mentionné comme l’un des principaux bénéficiaires du CICE. Il compte 750 000 salariés, dont un peu plus de 600 000 au titre de la convention collective principale. Nous sommes le premier recruteur de jeunes peu qualifiés, et souvent le premier employeur privé sur un territoire donné : nous avons longtemps joué un rôle de stabilisateur social, car nos effectifs ne diminuaient pas ; c’est seulement à partir de 2010 que, pour la première fois, nous avons perdu des emplois.

Notre modèle économique est en plein bouleversement : l’hypermarché hors centre-ville, avec des délais de paiement élevés et une trésorerie abondante, c’est fini. La croissance a disparu aussi, puisque nous connaissons depuis quatre ans une diminution du pouvoir d’achat. Dans ce contexte, la baisse du coût du travail est essentielle pour nous : elle compense les hausses connues les années précédentes – ainsi, l’annualisation du mécanisme d’allègement de charges a représenté pour notre secteur un surcoût de l’ordre de 400 millions d’euros.

Le CICE va donc dans le bon sens. Il ne compense qu’une partie des augmentations de charges, surtout pour un secteur comme le nôtre, où la main-d’œuvre est très importante. Mais nous en voyons les premiers effets : des résultats très provisoires pour 2013 – qu’il faut donc utiliser avec grande prudence – montrent une inversion de la courbe de l’emploi. Au total, plusieurs milliers d’emplois ont sans doute été créés, de l’ordre de 5 000, alors que 10 000 à 15 000 disparaissaient auparavant chaque année. C’est une évolution notable, à mettre en rapport avec le CICE, d’autant plus que, pendant le même temps, la conjoncture s’est aggravée.

Le CICE a d’abord été utilisé pour développer l’emploi : ainsi, Carrefour a fortement augmenté le nombre d’emplois dans ses hypermarchés. Il a ensuite servi à investir. Dans cette conjoncture très difficile, il faut s’adapter, réaménager les magasins, et en créer de nouveaux – ainsi, les réseaux de proximité sont en plein développement, tout comme les drive. Or, pour Auchan, par exemple, un drive représente environ trente emplois, ce qui n’est pas négligeable. Tout cela, ce sont des investissements lourds, et certaines entreprises ont augmenté leurs investissements globaux de plus de moitié. Il faut en outre penser aux restructurations et aux rachats.

Le CICE a encore servi à renforcer la formation et l’intéressement du personnel. Chez Carrefour, par exemple, les heures de formation ont connu une forte augmentation.

Enfin, le CICE a permis de maintenir l’activité : la consommation a pu demeurer stable grâce aux investissements des enseignes. C’est important pour nous, bien sûr, mais aussi pour toute l’activité en amont – les industries agro-alimentaires, l’agriculture, par exemple, ont pu maintenir leur activité. En revanche, en Allemagne, au Royaume-Uni, la consommation alimentaire s’effondre.

Je voudrais, pour terminer, vous faire part d’une inquiétude, liée plus au pacte de responsabilité et de solidarité qu’au CICE. Le Gouvernement a pris des décisions favorables, mais ce mouvement doit se poursuivre. Or un amendement au projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale modifie le mode de calcul des allègements de charges sur les bas salaires : cela revient à annuler presque entièrement les nouveaux allègements prévus par le pacte. C’est une très mauvaise nouvelle, car c’est un retour en arrière. Pour investir, les entreprises ont besoin de visibilité. Si elles doutent de la pérennité des dispositifs mis en place par le Gouvernement, les investissements s’en ressentiront.

Notre secteur joue un rôle social majeur : si nous ne recrutons pas des jeunes peu qualifiés, qui le fera ?

M. François André. Après la mise en place du CICE, on a vu des enseignes qui exigeaient de leurs fournisseurs qu’ils répercutent ce crédit d’impôt dans leurs prix. Ce n’est pas pour cela que ce dispositif a été créé, et les services de l’État ont dû intervenir. Quel est votre point de vue sur cette question ? Ces pratiques ont-elles cessé ?

M. Jacques Creyssel. Nous n’avons jamais eu connaissance de pareilles pratiques, que nous condamnons, et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) vous confirmera que notre secteur n’était pas concerné. Bien sûr, les négociations avec les fournisseurs sont toujours ardues, mais les enseignes ont donné des consignes très claires pour qu’il n’y ait aucune demande de ce type.

M. le président Olivier Carré. La hausse de TVA de 19,6 % à 20 % a-t-elle été répercutée ? Cet élément a curieusement disparu de la réflexion.

M. Jacques Creyssel. Je n’ai pas de données sur la répercussion des hausses de TVA. Le secteur de la distribution est peu concerné par le taux à 20 %, qui ne représente qu’un tiers de notre activité.

La concurrence étant très forte, il est probable que les hausses n’ont guère été répercutées. En tout cas, les indices de prix ne montrent pas d’augmentation. Les marges ont plutôt tendance à se réduire, surtout dans un contexte de consommation atone.

M. Éric Alauzet. Votre secteur a été très critiqué, vous l’avez dit, et vous avez donc tout intérêt à apparaître comme de bons élèves du CICE, ce que vous avez parfaitement fait dans votre propos liminaire. Peut-on vraiment tracer précisément l’utilisation du CICE ?

M. Jacques Creyssel. Les chiffres que je vous ai donnés sont ceux qui ont été présentés aux différents comités d’entreprise : un bilan précis et chiffré est obligatoire.

Il est bien sûr plus facile de rassembler ces données pour des entreprises intégrées que pour des enseignes composées de nombreux magasins indépendants.

M. le président Olivier Carré. Quel est le montant du CICE pour votre secteur ?

M. Jacques Creyssel. Par extrapolation, on peut l’estimer cette année à 400 à 450 millions d’euros, c’est-à-dire un peu moins que les charges supplémentaires des deux à trois années précédentes.

M. Éric Alauzet. Vous citez des évolutions positives, sur l’emploi, sur la formation, mais il est difficile de les attribuer entièrement et uniment au CICE.

M. Jacques Creyssel. Bien sûr. La variable essentielle, c’est tout de même l’activité économique ! Mais ces évolutions positives sont frappantes, dans une période où le pouvoir d’achat et la consommation ont reculé, ce qui n’était pas arrivé depuis un demi-siècle au moins, et alors que notre modèle économique est justement construit sur une augmentation régulière de la consommation. Tous les facteurs qui auraient pu provoquer une baisse du nombre d’emplois sont donc présents, et, malgré cela, le solde net d’emplois est positif. Bien sûr, les cas particuliers sont nombreux.

Mais une entreprise de notre secteur dont le budget consacré à la formation passe de 42 à 49 millions d’euros en un an, ce n’est pas négligeable. Globalement, l’effort de formation et d’investissement est plus important qu’il ne l’était.

M. Guillaume Bachelay. Vous avez rappelé l’importance économique de votre secteur. Comment vos professions interviennent-elles dans le dialogue au sein des branches, notamment dans le cadre du pacte de responsabilité et de solidarité ?

M. Jacques Creyssel. Au sein de notre branche, le dialogue social est fort, depuis longtemps. Nous avons conclu un accord sur les contrats de génération – il prévoit l’embauche de 30 000 jeunes –, mais aussi sur la pénibilité ou le temps partiel. Nous sommes donc de très bons élèves de la négociation sociale. Toutefois, la modification que je signalais tout à l’heure dans le calcul des allègements de charges sociales nous met dans l’embarras : l’effet du pacte est annulé.

M. le président Olivier Carré. Pouvez-vous être plus précis ?

M. Renaud Giroudet, directeur des affaires sociales de la FCD. Afin de favoriser l’emploi, la loi prévoit une réduction progressive des cotisations patronales, donc du coût du travail, sur les salaires allant jusqu’à 1,6 SMIC. Or, pendant longtemps, le calcul de ce que représentait 1,6 SMIC se faisait sur le taux horaire. En 2007, la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat (TEPA), a modifié ce calcul pour prendre désormais en compte le salaire mensuel. Or notre secteur présente une particularité unique en France : les pauses sont payées. Un salarié qui effectue 35 heures de travail par semaine est donc payé 36,75 heures, soit 159,25 heures par mois. Pour éviter toute différence de traitement avec les autres secteurs, le calcul avait été rectifié et la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 avait instauré un mécanisme qui permettait de neutraliser les pauses payées dans le calcul des allègements, et donc de nous offrir le même allègement de charges que celui octroyé aux autres secteurs. Malheureusement, cet été, ce mécanisme particulier a été considéré comme une niche sociale – alors qu’il était au contraire destiné à rétablir l’égalité entre les différentes branches.

M. le président Olivier Carré. Cela fait, si je comprends bien, un écart de 6 % environ : un salarié au SMIC touche dans votre secteur 106 % du SMIC mensuel, grâce à la rémunération des pauses – ce qui n’est plus pris en considération par la législation.

M. Jacques Creyssel. Cette mesure représente au total pour nous environ 180 millions d’euros de charges supplémentaires, ce qui revient à annuler la quasi-totalité des allègements promis.

Nous allons donc continuer à négocier, mais, tant que la loi ne change pas, nous n’avons plus grand-chose à mettre sur la table...

M. Guillaume Bachelay. N’oublions pas que le CICE monte en charge progressivement.

M. Jacques Creyssel. La demande du Gouvernement est bien d’une négociation sur le pacte. Le CICE n’entre pas en ligne de compte.

Mme Christine Pires Beaune. Pouvez-vous nous parler de l’évolution des dividendes depuis la création du CICE ?

M. Jacques Creyssel. En tant que fédération professionnelle, nous n’avons pas de données sur les dividendes versés par nos adhérents, qui sont au demeurant très divers : il y a des entreprises cotées, d’autres qui sont indépendantes, etc. Dans notre secteur, le taux de marge global est faible, de l’ordre de 1 %. Vous pouvez le vérifier très facilement : l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires permet maintenant de disposer de chiffres très précis, comme les marges nettes par rayon.

M. le président Olivier Carré. Merci d’avoir répondu à nos questions.