Accueil > Mission d'information sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi > > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Mission d’information sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi

Jeudi 18 septembre 2014

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 23

Présidence de M. Olivier Carré, Président

–  Audition sous la forme d’une table ronde, ouverte à la presse, réunissant Mme Isabelle Martin, secrétaire confédérale de la CFDT ; M. Pascal Pavageau, secrétaire confédéral, et M. Philippe Guimard, conseiller confédéral de Force Ouvrière ; M. Alain Giffard, secrétaire national de la CFE-CGC ; M. René Bertail, conseiller de la CFTC ; et M. Fabrice Pruvost, chargé de mission au pôle économique de la CGT.

–  Présences en réunion 17

M. le président Olivier Carré. Madame, messieurs, pour cette dernière audition de notre mission d’information sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, M. Yves Blein, rapporteur, mes collègues et moi-même avons souhaité organiser une table ronde avec les représentants de l’ensemble des représentations syndicales présentes au sein des entreprises et nous vous remercions d’avoir bien voulu répondre à notre invitation.

Nous souhaitons connaître, sinon le premier bilan – il est un peu tôt pour cela –, du moins les premières impressions que vous tirez des apports du CICE et de son utilisation par les entreprises. Cet outil avait vocation à favoriser le dialogue social, c’est là un point auquel Michel Sapin avait déclaré être attaché lorsque, encore ministre du travail, il était venu s’exprimer à ce sujet devant la commission des Finances. Un an et demi plus tard, pouvez-vous nous dire où en sont les choses de ce point de vue ?

Mme Isabelle Martin, secrétaire confédérale de la CFDT. Avant d’en venir à nos premières impressions sur le CICE, je vais commencer par un bref rappel du contexte. Les questions que nous allons évoquer aujourd’hui ne sont pas sans me faire penser à celles que nous avions commencé à aborder dans le cadre de la mission d’information de l’Assemblée sur les coûts de production et les enjeux de la compétitivité. Le CICE a été décidé par le Gouvernement, puis voté, à l’issue du rapport Gallois, lequel faisait un diagnostic d’ensemble, partagé par la CFDT, comprenant à la fois les éléments de compétitivité-coût, les éléments essentiels de compétitivité hors coût et l’idée que la mesure ne pouvait fonctionner qu’à condition de conclure un pacte de confiance et de réaffirmer l’importance du dialogue social comme facteur de compétitivité.

Depuis, nous sommes passés au pacte de responsabilité, mais pour nous, les enjeux sont restés les mêmes. Si nous sommes évidemment disposés à discuter d’une augmentation des marges de manœuvre des entreprises, nous estimons que cela doit se faire dans le cadre d’une politique d’ensemble au service de l’emploi et de l’investissement, afin de préparer l’avenir et de réorienter le modèle productif vers davantage de qualité. De ce fait, l’un de nos sujets de préoccupation est le suivant : comment nous assurer que les marges dégagées par le CICE aillent bien à la relance de l’activité, à l’investissement productif et à l’emploi sous toutes ses formes, qu’il s’agisse de création d’emploi ou de qualité de l’emploi – par la réduction de la précarité et la formation ?

Comme vous l’avez dit, monsieur le président, il est un peu tôt pour faire un bilan d’ensemble du CICE. En revanche, il est d’ores et déjà essentiel de souligner que, pour la première fois, nous avons vu une mesure de cette nature, représentant une aide publique d’importance, être décidée en même temps que son processus d’évaluation – une évaluation qui ne se limite pas à quelques chiffres, mais vise à déterminer l’efficacité économique et sociale de la mesure votée et la réelle utilisation qui est faite de l’argent public. Ainsi a-t-il été mis en place un comité de suivi au plan national, associant l’ensemble des organisations syndicales, tandis que la loi prévoit qu’une information-consultation portant sur l’usage des crédits doit être organisée au sein de chaque entreprise concernée – les deux dispositifs ayant vocation à se nourrir mutuellement.

La CFDT voit dans le CICE l’un des leviers susceptibles d’améliorer sensiblement le dialogue et la confrontation sur la stratégie des entreprises, en permettant aux instances représentatives du personnel de s’emparer de l’ensemble du dialogue économique et social pour mieux anticiper les projets de l’entreprise et être en mesure de peser sur les décisions à venir. Un tel objectif suppose que soient mis en place des processus d’information-consultation utiles et le cas échéant de les améliorer.

Pour ce qui est des premiers constats que l’on peut faire sur le CICE, en tant que membre – comme la plupart de mes camarades ici présents – du comité de suivi piloté par France Stratégie, je veux d’abord souligner que le suivi constitue une démarche d’évaluation extrêmement sérieuse et ambitieuse, puisqu’il s’agit à la fois de travailler sur une amélioration de l’outil statistique et de se donner les moyens d’envisager une approche qualitative, afin de voir ce qui se passe sur le terrain et de mettre en évidence les différences qui peuvent exister – selon les secteurs ou les régions, par exemple. De ce point de vue, il convient de souligner l’ampleur des moyens déployés ainsi que la cohérence du dispositif.

Je considère que l’on ne pourra sans doute pas dégager avant 2016 des résultats définitifs et consolidés sur les effets du dispositif en 2013-2014. Néanmoins, certains points peuvent d’ores et déjà être soulignés. Premièrement, même si cela ne faisait pas forcément partie des objectifs du CICE, on a assisté, en particulier pour les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI), à une forte montée en puissance du préfinancement : de nombreuses entreprises confrontées à des difficultés de trésorerie se sont emparées du dispositif dans un esprit défensif, afin de préserver leurs emplois, voire leur existence. Ceci et d’autres points seront évoqués dans le deuxième rapport que le comité de suivi est en train de rédiger et qui sera prochainement transmis à la représentation nationale.

Pour ce qui est du dialogue social, cette première année de mise en œuvre est évidemment une année d’apprentissage de part et d’autre, c’est-à-dire à la fois du côté de la direction des entreprises et des représentants des salariés. Cela dit, tant nos équipes – que nous avons largement mobilisées afin de recueillir des renseignements – que le cabinet Syndex, intervenu à la demande du comité de suivi auprès d’un échantillon d’une centaine d’entreprises, font état de situations fortement contrastées. Dans un certain nombre de cas, il n’y a eu aucune information-consultation. Dans d’autres cas – la plupart du temps – les entreprises se sont efforcées, après avoir touché leur chèque, de chercher un moyen de justifier l’utilisation des crédits correspondants en mettant en œuvre une information de qualité inégale.

De ce point de vue, l’un des enjeux majeurs du CICE va consister à passer de cette logique de justification a posteriori à une logique de consultation permettant de débattre de la stratégie de l’entreprise pour l’année qui vient, en fonction de la situation de l’entreprise et du secteur, que ce soit en termes d’investissements productifs, de transition énergétique ou de formation. Il faudrait passer du respect de la forme de la loi à celui de l’esprit de la loi. Accomplir cette évolution culturelle – le montant important d’aide publique que représente le CICE le justifie – suppose que le patronat tienne ses engagements en permettant que l’on discute, au sein de l’entreprise, de la stratégie à mettre en œuvre au cours de l’année à venir et qu’il joue le jeu en matière de transparence et de traçabilité en mettant en place la base de données économiques et sociales prévue par la loi. C’est en s’inscrivant dans cette logique d’approfondissement du dialogue social que l’information-consultation sur le CICE sera utile et efficace.

M. Alain Giffard, secrétaire national de la CFE-CGC. Ayant entendu, lors de réunions du comité de suivi, des statisticiens affirmer que nous ne pourrions disposer de résultats que dans plusieurs années, nous avons décidé d’aller au plus près du terrain, en interrogeant l’ensemble de nos délégués syndicaux, élus au sein des comités d’entreprise. Nous nous sommes également appuyés sur le retour d’expérience exposé par le cabinet Syndex lors d’une audition organisée le 16 juillet 2014 par France Stratégie, qui nous permis de constater une convergence de nos observations respectives.

Notre fédération de la banque a très clairement évoqué un effet d’aubaine. En fait, nous avons même entendu dire, lors de certaines réunions, que le CICE avait vocation à compenser une partie de la charge fiscale actuellement supportée par le système bancaire français – tous les Français aimeraient sans doute pouvoir bénéficier d’une telle compensation ! Sur la forme également, l’information est marquée par une très grande pauvreté – je pourrais vous exposer certains cas témoignant d’une communication réduite à son plus simple degré d’expression.

Dans le secteur industriel, il n’est pas rare que les entreprises ne puissent justifier d’aucune utilisation des crédits du CICE, ou se contentent d’un vague projet de « faire de la formation ». Chez Manpower, un rapport a été fait par un expert comptable, justifiant de 36 % du montant du CICE perçu – quant au restant, nul ne sait ce qu’il est devenu. Enfin, dans certaines entreprises, absolument rien n’a été fait au 30 juin 2014, ce qui est constitutif d’un véritable délit d’entrave à la mission des représentants du personnel.

M. le président Olivier Carré. Ce dernier cas est-il fréquent ?

M. Alain Giffard, secrétaire national de la CFE-CGC. Extrêmement fréquent. En théorie, la constatation de ce délit d’entrave donne la possibilité aux comités d’entreprise concernés de faire usage de leur droit d’alerte auprès du conseil d’administration et de l’assemblée générale. Ce ne sera pas forcément le cas, notamment parce que les techniques de ce dispositif ne sont pas connues de tous, mais un certain nombre de contentieux pourraient tout de même survenir.

Nous nous sommes interrogés sur les raisons de cet état de fait. La première cause qui nous soit apparue réside dans le fait qu’en dépit d’une apparente simplicité – l’entreprise reçoit, à sa demande, un chèque d’un montant déterminé par rapport à sa masse salariale –, le dispositif soulève de multiples questions. Ainsi certains chefs d’entreprises – en particulier de petites et moyennes entreprises – se sont-ils convaincus du fait que, s’ils demandent à bénéficier du CICE, ils vont immédiatement faire l’objet d’un contrôle fiscal. Sans aller jusque-là, d’autres maîtrisent très mal les modalités pratiques du dispositif.

Le contrôle par les instances représentatives du personnel (IRP) consiste simplement en une information-consultation. Or, quand on a dit le mot « consultation », on a tout dit : si l’employeur doit écouter les représentants du personnel, il n’est absolument pas obligé de tenir compte des observations qui lui sont faites.

M. René Bertail, conseiller de la CFTC. Faisant moi aussi partie du comité de suivi, j’estime que la mise en place de ce comité a été d’une extrême importance en ce qu’elle va permettre de disposer – même si ce n’est pas pour tout de suite – d’une vue complète sur le dispositif du CICE. Comme nos collègues, nous nous sommes basés sur les informations que nous ont fait remonter nos représentants élus des comités d’entreprise (CE) et des comités centraux d’entreprise (CCE). Si l’objectif du CICE était d’apporter aux entreprises une aide financière de nature à leur permettre d’améliorer leur compétitivité, ce résultat a été atteint pour les plus importantes d’entre elles, notamment celles dotées d’un service comptable comprenant un directeur financier et des experts en mesure d’analyser et de mettre à profit le dispositif proposé. En revanche, si l’objectif consistait à favoriser l’embauche et, d’une façon plus générale, à améliorer la situation de l’emploi – ce qui était la préoccupation des syndicats comme, je le pense, du législateur –, je considère que nous ne disposons pas des outils qui nous permettraient, le cas échéant, de prouver que le CICE a eu cet effet.

En ce qui concerne les grandes entreprises, les remontées nous confirment les principaux éléments de l’analyse faite par Syndex, à savoir que de nombreuses entreprises estimaient initialement – il y a dix ou douze mois – ne pas être concernées par le CICE. Cependant, le fonctionnement du dispositif a rapidement été assimilé et aujourd’hui, tous ses avantages en sont connus, comme on peut le voir à la lecture du compte rendu de certains comités d’entreprise donnant lieu à des discussions très techniques, portant notamment sur le passage du CICE de 4 % à 6 % de la masse salariale en 2014. Les règles d’affectation sont, elles aussi, très bien intégrées, mais il convient tout de même de préciser que leur connaissance se traduit davantage par un souci de respect formel des dispositions légales que par l’élaboration de projets d’affectation réfléchis : dans la plupart des cas, on affecte a posteriori – en se rabattant sur l’affectation « amélioration du fonds de roulement » quand on n’a pas réussi à trouver autre chose. De ce fait, il est difficile de déterminer si les investissements effectués par les entreprises, notamment en matière de formation, résultent vraiment de l’effet du CICE ou s’ils auraient été faits de toute manière.

Pour ce qui est des petites entreprises, on a l’impression que la mise en œuvre du CICE se fait plus difficilement, la plupart d’entre elles n’osant pas y recourir, soit parce qu’elles ne sont pas dotées de structures comptables et administratives suffisantes, soit parce qu’elles ne sont pas conseillées comme elles devraient l’être – une formation ne serait sans doute pas superflue.

D’un point de vue comptable, les entreprises sont libres d’affecter comme elles l’entendent les sommes reçues au titre du CICE : elles peuvent aussi bien les considérer comme des ressources exceptionnelles que les affecter à la diminution des charges salariales dans le compte d’exploitation – la seconde hypothèse permettant de faire profiter les salariés d’une éventuelle amélioration de l’intéressement.

M. Fabrice Pruvost, chargé de mission au pôle économique de la CGT. Contrairement à mes camarades, je ne fais pas partie du comité du suivi, mais je suis tout de même destinataire des documents qui s’y rapportent, et j’y ai déjà assisté. Comme vous le savez sans doute, la CGT est très critique à l’égard de l’intérêt économique du CICE. Elle ne partage pas le diagnostic ayant présidé à sa création, à savoir qu’une réduction du coût du travail constitue un facteur de compétitivité. Pour nous, le principal problème de l’économie française ne réside pas dans le coût du travail, mais dans le coût du capital.

En 2009, selon les comptes de la Nation, les sociétés non financières ont consacré 77 % de leur excédent brut d’exploitation – c’est-à-dire leur profit brut – à rémunérer leurs actionnaires plutôt qu’à investir ou à innover. Cette proportion n’était que de 17,8 % en 1988, mais n’a cessé de progresser au cours des vingt dernières années, indépendamment des fluctuations économiques. En 2011, la CGT a demandé à une équipe de chercheurs universitaires lillois de travailler sur cette question ; leurs travaux ont conclu à un surcoût du capital compris entre 95 et 133 milliards d’euros. Ce surcoût est constitué de revenus du capital prélevés sur l’entreprise – intérêts et dividendes – sans aucune justification économique et ne rémunérant pas, en particulier, le risque entrepreneurial. À la suite de ces travaux, nous avons lancé une campagne revendicative ayant pour objet de poser, tant au niveau national qu’à celui des entreprises, la question du coût du capital. Pour la CGT, les entreprises françaises ne souffrent pas – globalement, je le précise – d’un taux de marge qui serait trop bas.

Évidemment, nous avons conscience de la nécessité de distinguer la situation des entreprises de taille intermédiaire (ETI), des PME et des très petites entreprises (TPE) de celle des grandes entreprises. Cependant, pour juger d’une façon pertinente de la situation, il faut tenir compte de ce que l’INSEE appelle « l’extrême dualisme du système productif français », imputable notamment au poids des grands groupes. Des travaux récents réalisés par l’INSEE à la suite de la nouvelle définition de l’entreprise introduite par le décret de 2008 font apparaître que, si les groupes français et étrangers ne représentent que 2 % du nombre d’entreprises en France, ils emploient 64 % des salariés et réalisent 70 % de la valeur ajoutée totale – hors le secteur financier et les assurances. Des travaux antérieurs avaient montré que l’explosion du nombre de groupes d’entreprises en France depuis la fin des années 1990 s’expliquait en partie par la diffusion du régime d’intégration fiscale.

J’ai préparé cette audition en contactant plusieurs de mes camarades au sein de différentes entreprises du secteur du commerce et de la métallurgie afin de recueillir leur avis. S’il est un peu tôt pour porter un jugement définitif, ils sont dubitatifs et regrettent la méconnaissance de la dimension « groupe » par le dispositif du CICE – ainsi la mise en place de la base de données économiques et sociales n’est-elle pas obligatoire au niveau des groupes.

M. le président Olivier Carré. En ce qui concerne les remontées d’information dont vous faites état, proviennent-elles de comités d’entreprise de groupes, ou d’entreprises appartenant à des groupes ?

M. Fabrice Pruvost, chargé de mission au pôle économique de la CGT. Les camarades que j’ai contactés appartiennent à différentes instances représentatives du personnel (IRP) et sont, pour l’essentiel, délégués syndicaux centraux (DSC) ou membres de comités d’entreprise. La caractéristique commune des entreprises où ils se trouvent est de faire partie d’un groupe, et ils déplorent tous de ne pas disposer de moyens d’action suffisants.

M. le président Olivier Carré. En matière d’information, voulez-vous dire ?

M. Fabrice Pruvost, chargé de mission au pôle économique de la CGT. Oui. Si le dispositif permet des avancées au niveau de l’entreprise, son effet est beaucoup moins évident au niveau du groupe. Le régime d’intégration fiscale permet de compenser les déficits par les excédents, mais aussi de réduire le poids de l’impôt.

M. Pascal Pavageau, secrétaire confédéral de Force Ouvrière. L’analyse dont je vais vous faire part a été effectuée à partir des données que nous avons recueillies au niveau confédéral, mais aussi au niveau de nos différentes fédérations et syndicats ayant reçu de l’information de la part des chefs d’entreprise et des CE ; une partie des remontées dont nous disposons provient de groupes, bien qu’il soit plus difficile de collecter des informations dans ce cas car, au sein d’un groupe donné, il peut y avoir plusieurs sources de renseignements fonctionnant selon des modes différents – sans parler du fait que nos organisations ne sont pas forcément présentes au sein de toutes les entreprises d’un groupe.

En ce qui concerne le niveau d’information, le Gouvernement avait annoncé des contreparties en matière d’amélioration du dialogue social. De ce côté-là, c’est mal parti : actuellement, ce n’est qu’au prix de demandes insistantes de la part des salariés et des syndicats que nous parvenons à récupérer quelques informations par l’intermédiaire des CE. Il est très rare que la transmission se fasse de manière descendante et automatique, et la transparence sur l’utilisation, parfois même sur le montant des crédits perçus par les chefs d’entreprise au titre du CICE, est loin d’être acquise. Le problème n’est pas limité aux PME et aux ETI : il n’est pas rare qu’on le constate pour de grandes entreprises ou pour certains groupes.

Par ailleurs, nous avons l’impression qu’une faible proportion des entreprises dotées d’un CE – sans doute moins de 20 %, mais il ne s’agit là que d’une estimation – ont répercuté l’information au sujet des crédits perçus au titre du CICE : sur ce point, il semble que nous soyons très loin d’une information s’effectuant de manière descendante et courante, donc d’une amélioration du dialogue social. Quant à un effet supposé du CICE sur le reste du fonctionnement des instances représentatives du personnel et ce qu’il est coutume d’appeler le dialogue social, nous n’avons absolument rien constaté.

En fait, l’immense majorité des entreprises, quelle que soit leur taille, ont recours au CICE pour améliorer leur trésorerie afin de pouvoir faire face à la crise de la commande, au refus de la banque de se voir accorder un prêt, ou à tout autre problème d’ordre conjoncturel. On peut voir un aspect positif dans cette pratique, à savoir le fait que cela contribue à préserver l’emploi, mais il existe pour cela d’autres outils en matière d’intervention publique et ce n’était sans doute pas l’objectif poursuivi par le législateur lors du vote du CICE, qui avait plutôt vocation à soutenir la création d’emploi et l’investissement productif.

Je dois faire mention d’un phénomène que nos unions départementales nous ont signalé après qu’il a été constaté très fréquemment par nos délégués présents au sein des PME et TPE – y compris des établissements non dotés de CE –, à savoir une captation par les donneurs d’ordre des bénéfices du CICE, selon une chaîne descendante : le donneur d’ordre principal contraignant le sous-traitant de rang 1 à répercuter tout ou partie des gains du CICE sur ses prix, ce sous-traitant de rang 1 en fait de même avec celui de rang 2, et ainsi de suite. Je fais deux assemblées générales ou congrès d’unions départementales par semaine, et je peux vous garantir qu’il ne se passe pas une fois sans que l’on me rapporte des pratiques de ce genre, dont se plaignent les chefs d’entreprise qui en font les frais – et même si l’on ne peut garantir à 100 % la véracité de ces allégations, la multitude des témoignages recueillis en des lieux très différents incite à penser qu’ils correspondent à la réalité.

Un tel dévoiement du dispositif est très grave car les plus petites entreprises, qui se trouvent le plus souvent en bout de chaîne, se trouvent privées du bénéfice du CICE alors que ce sont elles qui en auraient le plus besoin, tandis que les plus grosses entreprises, dont on peut penser qu’elles ont déjà, de leur côté, perçu les plus gros chèques au titre du CICE – qu’elles n’utilisent pas forcément pour créer de l’emploi –, s’approprient ce qui devrait revenir aux petites.

Nous avons également reçu quelques témoignages d’un effet « trappe à bas salaires », que l’on peut constater au sujet de toute aide ciblée sur les salaires plafonnés à une ou deux fois le montant du SMIC : certains directeurs des ressources humaines continuent à affirmer sans complexes, lors des réunions de négociation annuelle obligatoire (NAO), que compte tenu de l’ensemble des aides perçues au titre des salaires proches du SMIC, il n’est pas dans l’intérêt de l’entreprise de revoir les grilles de salaires à la hausse. Ce phénomène concerne le CICE, en dépit du fait qu’il vise les salaires allant jusqu’à 2,5 fois le SMIC.

Pour ce qui est de l’utilisation concrète des crédits du CICE, nous avons tous en tête des exemples caricaturaux que nous n’allons pas énumérer. Je me bornerai à signaler que nous assistons à une dérive inadmissible dans le secteur de la banque et des mutuelles, où des dirigeants d’entreprises ne craignent pas d’utiliser les crédits du CICE pour augmenter la sous-traitance dans des pays ou des filiales à bas coût : non seulement on ne crée pas d’emplois, mais on se sert du CICE pour payer le déménageur lors de la délocalisation d’activité.

M. le président Olivier Carré. C’est étonnant, car les entreprises qui font cela perdent ensuite le bénéfice du CICE.

M. Pascal Pavageau, secrétaire confédéral de Force Ouvrière. Il faut croire qu’elles se contentent de le toucher une fois, préférant mettre en œuvre une stratégie à court terme. Je vous garantis que nos délégués syndicaux ont entendu des propos décrivant ce genre de pratiques dans le secteur de la banque, des mutuelles, et dans certains secteurs du BTP.

Par ailleurs, même si nous ne disposons pas forcément de témoignages directs sur ce point, nous sommes persuadés que les pratiques que je viens d’évoquer sont liées à un effet d’aubaine consistant à drainer les fonds ainsi captés vers les dividendes – et nous ne sommes pas les seuls à le penser ; plusieurs chefs d’entreprise – parfois affiliés au MEDEF – nous expliquant même qu’il aurait mieux valu conditionner le bénéfice du CICE au respect de certaines règles contractualisées, afin d’éviter que les actionnaires ne soient tentés de réclamer que l’octroi de fonds publics ne soit utilisé pour augmenter leurs dividendes. De telles pratiques sont minoritaires, certes, mais bien réelles.

Pour sa part, FO défend le Crédit d’impôt recherche, et demande depuis longtemps que ce dispositif soit soumis à davantage de contrôles et devienne le Crédit d’impôt recherche et développement. Nous souhaitons que, dans le cas où la recherche aboutit, l’exploitation des avancées obtenues puisse être réalisée par des sous-traitants ou des filiales en France, afin que les 6 milliards d’euros de fonds publics alloués annuellement au CIR servent à préserver l’emploi en France. L’avantage du CIR, c’est qu’il peut être facilement contrôlé, du fait que son obtention est conditionnée et que chaque dossier est clairement identifié. Ce n’est pas le cas du CICE, qui consiste en la dilapidation de 20 milliards d’euros d’argent public saupoudrés çà et là sans aucun contrôle, puisque l’absence de conditionnalité empêche de connaître l’utilisation qui est faite des crédits obtenus. J’aimerais que le Parlement nous indique, par exemple, de quelle manière La Poste – le plus gros bénéficiaire du CICE – a utilisé les fonds qui lui ont été versés. Nous nous demandons en effet si l’argent obtenu par La Poste ne lui servirait pas à supprimer certaines plateformes industrielles courrier (PIC), par exemple celle d’Arras, ou à fermer et transférer certains établissements.

M. le président Olivier Carré. J’imagine que vous avez posé ces questions au sein de l’entreprise ?

M. Pascal Pavageau, secrétaire confédéral de Force Ouvrière. Bien sûr, mais sans obtenir aucune réponse. L’évaluation parlementaire dont nous nous félicitons, et qui nous paraît être la moindre des choses quand on distribue 20 milliards d’euros d’argent public, doit permettre d’obtenir des informations concrètes sur l’utilisation des fonds du CICE, puisque les entreprises – y compris la très grande entreprise, naguère publique, que je viens d’évoquer – refusent de nous communiquer ces informations.

M. Guillaume Bachelay. Madame, messieurs, ma question est la suivante : quelles suggestions formulez-vous en vue de l’amélioration des processus de consultation et d’information des instances représentatives quant au montant, à l’utilisation et à l’affectation des crédits du CICE ?

M. le président Olivier Carré. En fait, Mme Martin a évoqué cette question en soulignant que nous en étions encore à l’installation du dispositif – son année zéro, en quelque sorte – et à la diffusion brute, donc forcément imparfaite, de l’information. Au cours des années suivantes, l’objectif va consister à passer à l’anticipation de l’utilisation des fonds, donc à la mise en place d’un dialogue portant sur la stratégie à mettre en œuvre. Je compléterai donc la question de M. Bachelay en vous demandant comment vos différentes organisations envisagent leur rôle dans le dialogue qui va devoir s’instaurer entre elles et les instances dirigeantes des entreprises et des groupes.

Mme Clotilde Valter. Ma question porte sur les outils dont disposent actuellement les IRP pour recueillir de l’information : pouvez-vous nous décrire plus précisément ces outils que vous estimez imparfaits pour le moment ?

M. Guillaume Bachelay. Dans la mesure où nous disposons de très peu de recul pour le moment, il serait bon de préciser d’une part, ce qui peut être fait dès maintenant pour améliorer et compléter les outils existants, d’autre part, ce qui ne peut s’envisager que pour les étapes ultérieures.

M. Xavier Breton. Un bilan assez sombre a été fait des débuts de la mise en œuvre du CICE. Avez-vous tout de même recueilli des témoignages faisant état d’expériences positives ? Par ailleurs, quelles sont vos propositions en vue d’une meilleure utilisation du CICE et d’une optimisation de ses effets dans le cadre du dialogue social ?

M. René Bertail, conseiller de la CFTC. L’idée d’affecter le CICE uniquement à la ligne des salaires, que j’ai évoquée tout à l’heure, est inspirée par un souci de simplicité. Premièrement, procéder ainsi permet de disposer d’un marqueur : à tout moment, chacun pourra ainsi se rendre compte de l’effet du CICE sur la ligne salariale de l’entreprise. Deuxièmement, au sein des entreprises, cela fournira un élément d’information essentiel aux IRP, qui auront la possibilité de suivre très précisément l’affectation des fonds correspondants. Comme cela a été dit, la procédure prévue est celle d’une information-consultation, et non d’un avis obligatoire du CE, et j’ignore si la représentation nationale a l’intention de faire évoluer les choses sur ce point.

L’une des questions à se poser est de savoir si toutes les entreprises doivent être éligibles au CICE. Les excès constatés dans certains secteurs, notamment celui de la banque, ont été évoqués : on peut se demander s’il est justifié de verser des millions d’euros au titre du CICE à des entreprises parfois condamnées à régler des milliards d’euros d’amende.

M. le président Olivier Carré. La banque à laquelle vous faites allusion n’a été condamnée à régler des amendes qu’au titre de ses activités aux États-Unis.

M. Pascal Pavageau, secrétaire confédéral de Force Ouvrière. Parmi les outils associés au CICE, Force Ouvrière estime que le comité de suivi mis en place depuis un an au sein du Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) et présidé par Jean Pisani-Ferry est intéressant et nécessaire.

Les remontées de l’ACOSS, de l’INSEE et de Bercy, qui parfois se contredisent ou ne se recoupent pas forcément, sont déjà une information. Elles corroborent du reste le sentiment que peuvent inspirer les remontées globales, à savoir l’absence d’information de la part des grandes entreprises, des groupes, qui ont pourtant déjà commencé à bénéficier du dispositif. De fait, entreprise par entreprise, on constate que l’information sur le bénéfice du CICE et son utilisation ne se fait pas de manière naturelle.

Ensuite, lorsque l’information est transmise et que le chef d’entreprise indique la somme qui lui a été versée au titre du CICE, chacune des organisations qui siègent au CE ou qui, en l’absence de CE, sont représentatives au sein de l’entreprise présente ses revendications localement : l’une demandera, par exemple, le maintien de l’emploi dans un atelier, une autre l’amélioration d’un site de production. À Force Ouvrière, nous ne nous inscrivons jamais dans une logique de cogestion au niveau de l’entreprise : nous ne souhaitons pas siéger dans les conseils d’administration, par exemple. En revanche, nous avons un cahier de revendications, qui existe au niveau local.

Par rapport au CICE, les aides de la BPI présentent l’avantage d’être versées à l’entreprise au titre d’un projet. Celui-ci n’a pas forcément été négocié ou discuté avec les représentants des salariés de l’entreprise, mais le chef d’entreprise est obligé de leur en rendre compte. Les délégués syndicaux peuvent être d’accord ou non, mais au moins l’aide est identifiée, et cela permet en outre un contrôle de la BPI. Il en va de même pour le crédit d’impôt recherche (CIR), qui fait de surcroît l’objet d’un suivi fiscal. En revanche, pour le CICE, c’est extrêmement flou : dans l’immense majorité des cas, au demeurant peu nombreux, où le chef d’entreprise nous informe, il se contente de nous dire que le CICE représente une bouffée d’oxygène dans le contexte actuel – en gros, il fait de la trésorerie. Ce n’est pas forcément condamnable en soi, et les représentants syndicaux peuvent concevoir que ce soit utile si cela permet de maintenir l’emploi. Mais, pour ce qui est de la traduction concrète du CICE, qu’il s’agisse de projets, de création d’emplois ou d’investissements : rien !

Dernier point : utiliser le CICE pour augmenter les salaires, pourquoi pas ? De fait, dans le cadre des négociations annuelles obligatoires (NAO), nos délégués demandent au chef d’entreprise s’il a perçu le CICE et, si tel est le cas, ils estiment qu’il dispose d’une marge de manœuvre. Mais est-ce vraiment l’outil approprié pour augmenter les salaires ? On peut légitimement se poser la question, même si, encore une fois, il nous paraît naturel que les revendications, dans le cadre de la NAO, tiennent compte du CICE.

En définitive, le problème de fond ne réside pas tant dans les outils d’évaluation du CICE que dans le fait qu’il s’agit d’argent distribué sans aucune condition et donc utilisé pour tout et n’importe quoi.

M. le président Olivier Carré. Je rappelle tout de même que la loi prévoit notamment que le CICE ne peut financer un accroissement des dividendes et que le contrôle existe : l’inspecteur des impôts se réfère à la loi. Je pourrais vous donner la liste des entreprises contrôlées dans le cadre du CIR…

M. Alain Giffard, secrétaire national de la CFECGC. Mon intervention s’inscrira dans la droite ligne de celle de Pascal Pavageau. En effet, le CICE suscite de vraies interrogations. Mais je commencerai en citant l’exemple d’une entreprise, la SIAGI, une société de caution mutuelle, où les choses se sont bien passées, puisqu’il a été décidé que le CICE perçu serait distribué aux 80 salariés.

Cela dit, Monsieur le président, certains chefs d’entreprise n’ont pas craint d’annoncer, en off évidemment, qu’ils allaient, grâce à ce dispositif, augmenter les dividendes. On peut d’ailleurs le constater à la lecture des bilans. En revanche, au niveau comptable, on ne peut rien prouver : tout cela passe dans un compte de résultat et on ne sait pas ce qu’il est advenu du crédit d’impôt. Certains employeurs prétendent avoir consacré le CICE à la formation ou à l’innovation. Or, nos représentants au sein des conseils d’administration disposent des budgets dans le cadre de la commission économique du comité d’entreprise ; ils peuvent donc faire certains recoupements. Eh bien, je vous assure que ces recoupements ne sont pas toujours plaisants. Sur ce point, des éclaircissements sont donc nécessaires : à quoi doit être utilisé le CICE ? Comment doit-il être justifié en termes comptables ? Nous n’avons pu obtenir aucune présentation comptable de l’utilisation du CICE !

Je ne reviendrai pas sur la captation du crédit d’impôt par des donneurs d’ordres – dont quelques collectivités locales ! –, qui suscitent également des interrogations, ni sur le problème des filiales : j’ai une holding qui compte 32 salariés, je ne suis pas embêté avec un comité d’entreprise, et je n’ai donc rien à justifier.

Par ailleurs, qu’en est-il de l’information sur le CICE dans les entreprises déficitaires ? Au niveau comptable, il peut être reporté pendant trois ans. Ce n’est donc pas très clair.

M. le président Olivier Carré. Il n’existe que deux possibilités d’inscription du CICE dans un compte d’exploitation : en diminution de la masse salariale ou du résultat après impôt. Ce que vous avez dit est néanmoins intéressant : peut-être est-il nécessaire que l’inscription ne porte que sur la masse salariale. Il reste que la créance est exigible ; elle est inscrite dans les livres de l’État et dans ceux de l’entreprise comme une créance due. Après, les conditions de son encaissement diffèrent selon la situation fiscale de l’entreprise et sa taille, qui conditionne la possibilité d’obtenir la restitution.

M. Alain Giffard, secrétaire national de la CFECGC. Autre point qui pourrait faire l’objet d’améliorations : l’effet de seuil. Outre les problèmes évoqués par Pascal Pavageau concernant le CE, se pose la question de la limite fixée à 2,5 SMIC.

M. le président Olivier Carré. C’est un point très important, qui est évoqué ici pour la première fois. Tout à l’heure, nous avons abordé la question des augmentations de salaires. Avez-vous des remontées sur la situation des salariés qui se situent à 2,49 SMIC et à qui l’on refuse une augmentation de salaire parce qu’à 2,51 SMIC, le chef d’entreprise perdrait le bénéfice du CICE ?

M. Alain Giffard, secrétaire national de la CFECGC. La convention collective de la banque fournit un exemple typique à cet égard. Elle prévoit en effet qu’un cadre qui change de catégorie doit être obligatoirement augmenté de 6 %. Or, dans un tel cas, si le salarié est à la limite de 2,5 SMIC, l’entreprise perdra 6 % de CICE. Les DRH qui distribuent 12 % d’un coup sont rares… Peut-être conviendrait-il d’imaginer un système en sifflet plutôt qu’un seuil.

M. le président Olivier Carré. Le problème avait été soulevé en commission des finances au moment de l’instauration du CICE. Le Gouvernement avait répondu qu’il avait réalisé des simulations mais que le système deviendrait trop complexe. Il a donc choisi de mettre en œuvre le dispositif sans le modifier sur ce point, en prévoyant d’analyser par la suite l’impact des effets de seuil. Il n’y a là aucun cynisme : lorsqu’on met en œuvre un dispositif, il présente toujours des avantages et des inconvénients dans les zones de transition. Mais c’est un point important.

M. Alain Giffard, secrétaire national de la CFECGC. La limite fixée à 2,5 SMIC produit un autre effet. Nous avons fait une comparaison entre une entreprise franco-française qui embauche, hélas ! beaucoup de salariés à un salaire inférieur à 2,5 SMIC et une grande entreprise exportatrice dont les produits sont très techniques et qui pèse lourd dans le commerce extérieur de la France.

M. le président Olivier Carré. Airbus et La Poste, par exemple…

M. Alain Giffard, secrétaire national de la CFECGC. Par exemple. Eh bien, vous vous apercevez que le CICE représentera l’année prochaine, pour la première, jusqu’à 6 % de la masse salariale et, pour la seconde, seulement 0,67 %. Imaginez que tous les salaires de l’entreprise soient inférieurs à 2,5 SMIC, le CICE représentera 6 % de la masse salariale ! Certes, c’est un exemple très schématique, mais la situation existe.

Mme Isabelle Martin, secrétaire confédérale de la CFDT. Je rappellerai deux ou trois points qui doivent faire l’objet d’une vigilance particulière.

Tout d’abord, je souscris à ce qu’a dit tout à l’heure Pascal Pavageau à propos de la tentative de captation du CICE des sous-traitants par les donneurs d’ordres. Ce problème a été évoqué non seulement par les organisations syndicales mais aussi par Pierre Pelouzet, le médiateur des relations interentreprises, qui a lancé l’alerte de manière très forte. C’est un point essentiel, car l’objectif du CICE n’est pas de renforcer la domination des sous-traitants par les donneurs d’ordres, mais au contraire de rééquilibrer le partage de la valeur ajoutée.

Ensuite, mais je n’entrerai pas dans le détail car je ne suis pas spécialiste de ces questions, il y aurait bien, selon nos experts, un enjeu comptable autour de l’imputation du crédit d’impôt en tant que tel ou son imputation dans le résultat d’exploitation, surtout pour les grands groupes, dont la fiscalité est pilotée par le haut. Il y va de la traçabilité. Mais ce n’est pas nouveau : cela concerne le CICE comme d’autres sujets.

J’en viens aux préconisations. Il convient d’inscrire la question de l’évaluation dans le cadre de la stratégie. À cet égard, le comité d’évaluation national est important, ne serait-ce que parce que les administrations de l’État, qui n’ont pas forcément l’habitude de parler, peuvent confronter les différentes données. La question de la cohérence de l’appareil statistique est un élément d’évaluation en soi. L’évaluation, au-delà des grands chiffres, est quelque chose d’un peu nouveau dans notre pays. Par ailleurs, le fait que l’ensemble des partenaires sociaux soient associés à ce comité permet de conjuguer des approches différentes. Nous avons d’ailleurs demandé que le champ d’intervention du comité de suivi du CICE soit étendu au suivi de l’ensemble des aides publiques – cela figure dans la feuille de route et il serait bon que ce soit rapidement mis en œuvre – afin que ce dispositif ne soit pas traité de manière isolée. Il y va de la traçabilité, de la transparence et de l’affectation de l’ensemble des aides publiques. C’est important en matière de contrôle, notamment parlementaire, et pour l’efficacité du dialogue social.

J’ajoute que la loi prévoyait la mise en place de comités de suivi régionaux. Or, à notre connaissance, et en dépit de nos demandes, ils n’ont pas été installés, ce qui est regrettable. Ils seraient en effet particulièrement utiles, tout d’abord parce que l’on s’aperçoit que le bénéfice du CICE se concentre sur quelques régions, ensuite parce qu’ils favoriseraient un dialogue de proximité et permettraient à l’État d’examiner la manière dont sont tenus les engagements en régions, enfin parce qu’ils seraient une instance de recours pour les organisations syndicales lorsqu’elles constatent un effet d’aubaine ou un abus manifestes. L’État pourrait donc être un peu plus volontaire en la matière.

J’en viens au dialogue social dans l’entreprise, sachant que, pour l’instant, nous en sommes à l’année zéro du dispositif. À cet égard, on ne peut pas se satisfaire d’une justification ex post, qui est toujours plus ou moins sérieuse. Les situations sont extrêmement contrastées en ce domaine. De manière générale, on constate que les entreprises où un dialogue s’est noué autour du CICE sont celles dont les directions acceptent déjà de partager un certain nombre d’informations, sinon sur leur stratégie, du moins sur leur budget. C’est donc la qualité du dialogue social existant, au-delà de la familiarité du dispositif, qui permet de disposer d’une information de qualité. C’est pourquoi je disais que les éléments prévus en la matière par la loi sur le CICE sont fort utiles pour nourrir l’information et la consultation sur la stratégie de l’entreprise. Peu de comités d’entreprise ont formulé des avis, mais ces avis sont intéressants parce qu’ils portent sur les projets de la direction ; un approfondissement du dialogue est donc possible les années suivantes. Il ne s’agit pas forcément de bousculer le dispositif, mais, l’information-consultation devant intervenir avant le 1er juillet, on est plutôt dans une logique de vérification des comptes que dans une logique budgétaire. Ce n’est pas un élément essentiel – il nous avait d’ailleurs échappé à l’époque –, mais il serait peut-être bon que la consultation s’inscrive dans une logique prévisionnelle.

M. le président Olivier Carré. Est-ce une recommandation que vous adressez en ce moment à vos fédérations – puisque nous sommes au mois de septembre ?

Mme Isabelle Martin, secrétaire confédérale de la CFDT. Oui. Nous allons faire en sorte d’intégrer cet élément dans les demandes budgétaires. Toutefois, les directions peuvent s’en tenir strictement à la loi et arguer du fait qu’ayant déjà procédé à l’information-consultation cette année, elles organiseront la suivante l’an prochain. Quoi qu’il en soit, si l’on veut peser sur les décisions, il faut inscrire cette information dans une logique budgétaire prévisionnelle. Nous mesurerons également la loyauté des engagements du patronat à l’aune des progrès réalisés dans la mise en place de la base de données économiques et sociales. C’est en effet un outil essentiel pour garantir la transparence et le suivi de l’information, dans la mesure où elle est de nature à nourrir la consultation. C’est l’enjeu d’une bagarre, je ne vais pas vous le cacher, que nous menons là comme sur l’information-consultation sur la stratégie.

Les outils nécessaires existent ; maintenant, il faut les faire vivre, et cela dépend en partie de nous, organisations syndicales. Nous devons notamment exercer les nouvelles voies de recours qui sont à notre disposition.

Enfin, notamment dans les secteurs ou les entreprises où, à l’évidence, le CICE n’est pas justifié ou produit un effet d’aubaine, nous intégrons – en fonction de la situation du secteur – la question de son suivi dans le dialogue économique des négociations de branche sur le pacte de responsabilité. Pour nous, ce n’est pas dissociable.

Le CICE est une aide publique, dont l’objectif est d’améliorer les marges de manœuvre des entreprises pour relancer l’activité, l’emploi et l’investissement productif. Certes, pour la bonne gestion de l’État, les dispositifs sont différenciés, mais, pour nous, il y a une cohérence. Et c’est forts des premières expériences que nous demandons que, sur les aspects financiers du pacte, la trajectoire soit vérifiée annuellement. Il s’agit d’installer un rapport de force qui permette de s’assurer de l’effectivité des engagements.

M. Yves Blein, rapporteur de la mission d’information sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Peut-on dire que la période 2013-2014 serait celle de la montée en charge du dispositif – qui n’a pas toujours été très bien anticipé et qui permet de répondre à la nécessité de résoudre des problèmes de trésorerie liés à la conjoncture économique – et que les discussions stratégiques pourront intervenir à partir des années 2015, 2016 et 2017, lorsque le dispositif se sera installé dans la durée ?

M. Alain Giffard, secrétaire national de la CFECGC. Il faut sans doute distinguer selon les types d’entreprises, qui n’ont pas toutes la même culture dans ce domaine. S’agissant du secteur bancaire, par exemple, les entreprises n’ont pas eu à improviser : elles maîtrisent parfaitement les choses. Du reste, elles avaient manifestement reçu des consignes de la branche, puisqu’elles nous ont fait les mêmes réponses, en utilisant les mêmes mots. Votre remarque est donc valable pour certaines entreprises, moins pour d’autres mais il est évident que les directions rechignent à répondre à ces questions : elles ont touché un chèque et entendent en faire ce qu’elles veulent sans qu’on vienne les interroger sur le sujet. J’ajoute, comme je l’ai dit tout à l’heure, que nous ne disposons d’aucune traçabilité comptable, laquelle est pourtant parfaitement maîtrisée dans ce type d’entreprises. Certains employeurs vous disent qu’ils ont consacré leur CICE à la formation. Or, vous vous apercevez que leurs dépenses de formation ont diminué par rapport au budget initial. Vous vous demandez donc parfois si on ne vous prend pas pour un imbécile… Certes, nous sommes aidés par des experts-comptables au sein des CE, mais c’est compliqué.

M. le président Olivier Carré. L’information fournie par le commissaire aux comptes dans l’annexe de son rapport vous serait-elle utile ?

M. Alain Giffard, secrétaire national de la CFECGC. C’est une excellente idée !

M. le présent Olivier Carré. Il est vrai que l’information pourrait être donnée à un moment plus opportun.

M. Pascal Pavageau, secrétaire confédéral de Force Ouvrière. Comme l’a dit M. le rapporteur, le dispositif doit monter en charge. Le premier rapport du comité de suivi du CICE montre ainsi qu’une vérification globale, en matière d’emploi et d’investissement, ne sera pas possible avant 2016. D’ici là, pour éviter que les dérives, certainement minoritaires, que l’on a pu constater ne s’étendent ou ne se poursuivent au cours des trois ou quatre prochaines années, il ne faut pas compter uniquement sur l’action des organisations syndicales dans les branches, les CE ou les IRP. Cela nous est impossible ! Je rappelle qu’au niveau de l’entreprise, nos demandes ne sont pas toujours suivies de réponses et, quand celles-ci existent, elles consistent en une simple information sur la façon dont le CICE a été utilisé. Si le délégué syndical n’est pas satisfait du choix qui a été fait dans son entreprise, il fera un tract, mais il ne peut guère faire plus : il n’a aucune marge de manœuvre. Et il ne se lancera pas dans une procédure, quelle qu’elle soit, auprès de l’administration. Premièrement, je le dis très librement, il n’en a pas la capacité, ne serait-ce que sur un plan juridique. Deuxièmement, il a autre chose à faire au quotidien, surtout en cas de plan de sauvegarde de l’emploi.

Dans les branches, c’est exactement la même chose. Tout à l’heure, Alain Giffard et Isabelle Martin disaient avoir le sentiment de retrouver, entreprise par entreprise, un discours patronal de branche. C’est de bonne guerre ! Le patronat s’organise pour apporter une réponse standard aux différentes organisations et noyer ainsi le poisson. Nos délégués doivent discuter de sujets si nombreux – y compris en raison de l’agenda social imposé par le Gouvernement au mépris de la liberté de la négociation collective – que l’on s’en tient à l’information. Ce qui manque au dispositif, et c’est de la responsabilité de l’exécutif et du Parlement – je ne parle pas des conditions auxquelles pourrait être soumis le bénéfice du CICE : le Gouvernement a fait un choix –, c’est un véritable contrôle qui permette de mettre fin aux quelques dérives qui existent ou qui pourraient apparaître, sans attendre que le comité de suivi les constate en 2016. Si ce type de contrôle était davantage formalisé, nos délégués syndicaux auraient une plus grande marge de manœuvre au sein des CE pour imposer un dialogue, y compris préalablement à l’affectation du CICE, car ils auraient la possibilité de se tourner vers cette instance de contrôle. Aujourd’hui, on a le sentiment que l’on demande aux CE de faire le boulot de la puissance publique. C’est le monde à l’envers !

M. le président Olivier Carré. Du seul point de vue de la diffusion de l’information, vous pouvez interpeller les DIRECCTE. Plusieurs d’entre vous ont indiqué qu’il était très rare que l’information soit donnée, alors qu’on nous a dit par ailleurs que, généralement, elle est fournie. Après, on peut contester le contenu de cette information ou la qualité du dialogue, dont on sait qu’elle est, en France, très hétérogène. L’un des objectifs du dispositif de favoriser le dialogue social – même si certaines organisations syndicales y sont traditionnellement opposées – et l’implication des salariés dans les processus de décision et de gestion. Toujours est-il que l’information doit être donnée et, si elle ne l’est pas, l’administration du travail peut être saisie.

M. Pascal Pavageau, secrétaire confédéral de Force Ouvrière. Nous ne savons pas quel est le service chargé du suivi du CICE au sein des DIRECCTE. Nous connaissons notre inspecteur du travail ; nous lui faisons part d’innombrables problèmes, qu’il doit traiter, qui plus est dans un contexte où la réduction de leur nombre atteint 30 % dans certains départements. Pour autant, les DIRECCTE ne donnent pas forcément suite. Il manque donc un référent ou une task force qui permette de remettre les chefs d’entreprise dans le droit chemin.

M. René Bertail, conseiller, de la CFTC. Je considère, pour ma part, que l’outil CICE sera performant à moyen terme. Il représentera 6 % de la masse salariale. Même s’il est limité aux salaires inférieurs à 2,5 SMIC, les sommes en jeu sont conséquentes. Je sais que la conditionnalité du CICE a été laissée de côté, mais ne peut-on pas imaginer que, dans le secteur du BTP par exemple, les entreprises qui emploient une main-d’œuvre locale et ne recourent pas à des sous-traitants étrangers, soient avantagées dans le cadre de ce dispositif ? Ce type de mesures aurait à coup sûr un effet positif sur l’emploi local. En tout cas, certains secteurs d’activité ont besoin d’être davantage aidés, compte tenu des difficultés qu’ils rencontrent. Et l’on pourrait également décider de favoriser l’innovation, l’exportation, la création de valeur, etc.

M. le rapporteur Yves Blein. D’autres dispositifs sont à venir. Je pense notamment au dispositif d’exonération des cotisations sociales au 1er janvier 2015.

M. René Bertail, conseiller, de la CFTC. Le CICE présente l’avantage de faire l’objet d’un suivi par des structures qui ont été prévues à cet effet, de permettre les échanges que nous avons aujourd’hui et d’offrir un recul sur une expérience réelle. Il faut utiliser les ressources dont nous disposons aujourd’hui pour suivre, demain, les dispositifs qui seront mis en place, notamment le pacte de responsabilité. Nous sommes des gens responsables et nous avons tous le même objectif : que les entreprises puissent produire de la richesse de manière à créer de l’emploi. Voilà la préoccupation des syndicats ! Nous ne voulons pas être contraints de gérer des PSE.

M. Guillaume Bachelay. Une des réponses aux remarques de M. Pavageau et de M. Bertail réside, pour une part, dans la mise en place effective des comités de suivi régionaux. Cette disposition figurait du reste, monsieur le président, dans l’un des amendements qu’avec d’autres collègues j’avais déposés au moment de l’examen du projet de loi. Je suis en effet convaincu que la dimension territoriale du dialogue social et du suivi est importante. Même si comparaison n’est pas raison, je rappelle que, lors de la création de la BPI, nous avions prévu des outils – je pense notamment au comité régional d’orientation – qui permettent précisément un suivi territorial associant l’ensemble des acteurs concernés. Cette dimension territoriale est revenue régulièrement au cours de nos auditions dans la bouche d’acteurs indispensables au processus lui-même et au renforcement du dialogue social, car, ne l’oublions pas, ce dispositif a aussi pour vocation d’améliorer les conditions du dialogue social.

M. Alain Giffard, secrétaire national de la CFECGC. Je souhaiterais précisément évoquer ce point. Au cours d’une réunion de comité d’entreprise, on aborde aussi bien les horaires d’ouverture de telle agence que la situation économique et le bilan de l’entreprise. La diversité des sujets dont doivent s’occuper nos élus est donc très grande. C’est pourquoi l’idée que vous avez émise tout à l’heure, monsieur le président, me paraît très intéressante. Je veux parler de la communication par le commissaire aux comptes de l’entreprise aux élus du CE d’un compte rendu – il ne s’agirait pas d’un contrôle – de l’utilisation de l’ensemble des aides versées à l’entreprise. L’autre jour, Christian de Boissieu parlait, sur France Inter, de 270 milliards d’euros d’aides, sous forme notamment de niches fiscales, versés aux entreprises chaque année. C’est impressionnant ! Une telle mesure serait d’autant plus utile que les élus que nous sommes disposent de peu de temps pour préparer une réunion du CE et qu’ils n’ont pas tous des experts-comptables dans leurs équipes. Ainsi ils pourraient, forts de ces éléments, poser les questions les plus pertinentes sans risquer de se perdre dans la lecture de documents qui ne sont pas toujours très clairs…

M. le président Olivier Carré. Je vous remercie tous pour les éclairages que vous nous avez apportés.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi

Réunion du jeudi 18 septembre 2014 à 10 heures

Présents. - M. Guillaume Bachelay, M. Yves Blein, M. Xavier Breton, M. Olivier Carré, M. Razzy Hammadi, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Florent Boudié, M. Richard Ferrand, Mme Véronique Louwagie, Mme Christine Pires Beaune, M. Patrick Vignal, M. Éric Woerth