La mission d’information a entendu M. Philippe Askenazy, directeur de recherche au CNRS, professeur à l’École d’économie de Paris.
M. le président Bernard Accoyer. Nous accueillons M. Philippe Askenazy, économiste, directeur de recherche au CNRS, professeur associé à l’École d’économie de Paris, qui a enseigné à l’École normale supérieure et à l’École nationale d’administration.
Monsieur le professeur, on sait que vous vous passionnez pour le partage de la valeur ajoutée et que vous vous montrez critique à l’égard du mécanisme de crédit d’impôt recherche et du mécanisme de crédit d’impôt proposé par le Président de la République à la suite du rapport de M. Louis Gallois. Dans une tribune récemment publiée, vous dénonciez l’« arrosage fiscal aveugle ».
Au terme de votre exposé liminaire, les parlementaires membres de cette mission d’information auront certainement des questions à vous poser.
M. Philippe Askenazy. Merci, monsieur le président, de votre invitation.
Je précise que, si j’ai critiqué le rapport Gallois, je ne me suis pas encore exprimé sur les propositions du Président de la République.
Mes recherches portent plus sur le travail que sur l’emploi : je m’intéresse au changement technologique et organisationnel au sein des entreprises et à l’impact des politiques publiques sur l’emploi puis, en retour, aux effets que ces transformations peuvent avoir sur la décision publique.
Le rapport Gallois replace au centre des débats la question du coût du travail. Malgré les analyses de certains de mes prédécesseurs, il me semble utile et pertinent de comparer la France avec l’Allemagne – ce sont deux grandes économies européennes très diversifiées et interconnectées –, plutôt qu’avec des pays de plus petite taille comme ceux de l’Europe du Nord.
Il faut avant tout avoir présent à l’esprit que les coûts sont fondamentalement relatifs aux types de produits et de services que peut offrir une économie, qui dépendent eux-mêmes des dynamiques d’innovation et des choix stratégiques des entreprises, quelle que soit leur taille.
Pour analyser les succès de l’économie allemande, tournée vers l’exportation, il faut revenir sur une quinzaine d’années d’enchaînement de décisions dynamiques. Une telle analyse peut fournir des leçons susceptibles de nous éviter aujourd’hui des erreurs. Au milieu des années 1990, la France et l’Allemagne affichaient des performances à peu près équivalentes en termes d’exportation et de coûts globaux pour les entreprises. L’Allemagne connaissait une nette inflation salariale, tandis que cette inflation se maintenait en France au niveau où elle se situait depuis le premier choc pétrolier. Dans cette période d’équilibre de la balance commerciale, les entreprises allemandes avaient le sentiment d’une moindre compétitivité par rapport à la France et ont alors décidé de jouer sur deux leviers.
Le premier est celui de l’innovation : les courbes de l’effort de recherche et développement dans les deux pays se coupent en 1995 et la part de la richesse nationale consacrée à cet effort, jusque-là supérieure en France, baisse dans notre pays et augmente à vitesse accélérée en Allemagne, comme dans la plupart des pays européens. Nous n’avons jamais rattrapé ce retard ; le gouffre n’a même jamais cessé de se creuser.
Le deuxième levier a consisté à utiliser pleinement l’avantage géographique que donnait à l’Allemagne la proximité de la nouvelle Europe. Le mode d’organisation des entreprises réclame en effet souvent que les sous-traitants soient situés à proximité de l’établissement où est réalisé l’assemblage – souvent à moins de 24 heures de délai de livraison. Les entreprises allemandes ont donc immédiatement adopté une stratégie consistant à délocaliser vers l’Europe de l’Est les opérations à faible valeur ajoutée pour maintenir en Allemagne les segments à forte valeur ajoutée. Ainsi, bon nombre des coûts intermédiaires sont plus bas pour les entreprises allemandes que pour les entreprises françaises ou espagnoles, et les pays européens qui présentent les plus grands succès à l’exportation dans les deux dernières décennies sont précisément ceux qui sont géographiquement proches des pays de l’Est, qu’il s’agisse de la Finlande, de l’Allemagne, de l’Autriche ou de l’Italie.
Les entreprises françaises, qui ne bénéficiaient pas de ce facteur géographique, ont choisi de baisser la garde dans le domaine de l’innovation. En effet, la politique de réduction du coût du travail qui s’appliquait dans la seconde moitié des années 1990 – avec notamment l’allègement des cotisations sociales mis en place par le gouvernement d’Alain Juppé – permettait un gain de productivité. Le commerce extérieur français était alors florissant, ce qui laissait croire que l’innovation n’était pas nécessaire.
Dans le même temps, pour financer la réduction du coût du travail, l’État français a réduit certains segments de la dépense publique, sacrifiant notamment la recherche publique au motif que la Guerre froide était terminée. Il a également réduit la formation de nouveaux cerveaux, de telle sorte qu’au début des années 2000, lorsque le gain transitoire lié à l’abaissement du coût du travail a commencé à s’effacer, les entreprises ne disposaient plus d’assez de capital humain formé par l’État. Alors donc que les entreprises françaises se trouvaient dans l’incapacité de relancer l’innovation, l’effort public réalisé dans l’intervalle en Allemagne se traduisait par un nombre accru de docteurs et d’ingénieurs, ce qui lui a permis de mettre à la disposition des entreprises, notamment industrielles, le capital humain nécessaire.
Ce n’est que dans un second temps qu’est intervenue une politique de modération du coût du travail, pour parachever en quelque sorte la remontée de la compétitivité allemande. Les salariés allemands ont accepté une certaine modération salariale, dont il ne faut pas exagérer l’ampleur. Les réformes Schröder ont instauré une flexibilisation du marché du travail surtout dans le secteur des services, avec la création des « minijobs », mais elles n’ont pas touché directement à la rémunération des ouvriers. Les syndicats ont accepté cette politique car elle s’est accompagnée d’une modération de la hausse du coût de la vie. Ainsi, le coût du logement, qui absorbe en France un part très importante du budget des ménages et a connu des augmentations spectaculaires, présente en Allemagne une courbe plate depuis 2000. Et, durant les années Schröder, les prix des produits et services ont augmenté en moyenne annuelle de 0,5 point de moins en Allemagne qu’en France, du fait de la déflation salariale, observable dans la grande distribution comme chez les coiffeurs. Le coût social de ces mesures – un doublement de la part des emplois à bas salaires et des travailleurs pauvres – a été principalement supporté par les femmes, tandis que l’ouvrier allemand de sexe masculin a gagné en pouvoir d’achat.
Une telle évolution a été rendue possible parce que l’organisation de l’économie allemande dans le secteur des services est plus concurrentielle qu’en France : la baisse du coût du travail dans la grande distribution se traduit en Allemagne par une baisse des prix, ce n’est pas le cas en France, du fait des choix politiques opérés dans les années 1990 pour préserver les intérêts de certains grands groupes ou de certaines professions.
La réussite allemande fait ainsi intervenir une dynamique et une multitude de paramètres. Si donc l’État peut jouer aujourd’hui sur certains des éléments de coûts que subissent les entreprises françaises, il doit se garder de jouer à l’apprenti sorcier. Il ne faudrait pas que les décisions qui seront prises impliquent des choix structurants qui, pour un bien à court terme, plomberaient l’économie française pour la décennie suivante. Nous devons disposer d’outils de diagnostic aussi complets que possible et exempts des pressions des lobbies qui prétendent que ce qui est bon pour eux est bon pour la France.
M. Thierry Benoit. Avez-vous des préconisations pour la durée hebdomadaire du temps de travail, qui concerne particulièrement l’industrie ?
M. Philippe Askenazy. Si l’on considère l’évolution sur les vingt dernières années, le temps de travail en France est strictement et banalement dans la moyenne des autres pays européens. Notre pays avait pris en la matière un certain retard, par rapport aux Pays-Bas ou à l’Allemagne où avaient été conclus dans les années 1980 des accords, comme celui de Wassenaar. La France se distingue par le fait que les négociations ont été portées davantage par l’État que par les partenaires sociaux, et la politique française a été mise en œuvre principalement dans les entreprises de grande taille, où nombre de salariés dans des emplois de cadres échappaient à une réduction annuelle de leur temps de travail et où des redéfinitions de la durée du travail (exclusion de pauses) ont été réalisées, de sorte que la réduction réelle du temps de travail a été bien moindre que celle qui a été affichée. La baisse historique de la durée du temps de travail s’est poursuivie dans les années 2000 en Europe, à l’exception de la Suède et de la France à partir de 2003. Au terme du mouvement de balancier intervenu entre les lois Aubry et les mesures prises par les gouvernements Raffarin, la situation française est donc parvenue, je le répète, à la moyenne. L’événement des 35 heures est plutôt la généralisation des baisses de cotisations sociales employeurs « Aubry » par François Fillon, qui est entrée en vigueur en 2005.
Globalement, la politique française s’est donc plutôt caractérisée par une baisse modérée du temps de travail et par une deuxième tranche, massive, d’allègements des cotisations sociales employeur – les réductions « Aubry » et « Fillon » représentant le double de celles auxquelles avait procédé le gouvernement Juppé. On observe donc, quelle que soit la couleur politique des gouvernements successifs, une grande continuité des choix politiques français en la matière et leur approfondissement par les gouvernements Jospin et Raffarin. Les décisions prises aujourd’hui par le gouvernement Ayrault et par le Président de la République s’inscrivent dans cette continuité issue du consensus qui s’est dégagé au début des années 1990, sous l’égide de l’ancien Commissariat au Plan.
M. Michel Destot. Ma question est quelque peu iconoclaste : faut-il, pour aider les entreprises, appliquer des critères universels à l’ensemble du monde économique ? Bien que la culture de notre pays centralisé nous pousse à assimiler la justice à l’égalité de traitement, un plus grand esprit de discernement ne serait-il pas souhaitable ?
M. Philippe Askenazy. La question est complexe. Aujourd’hui, toutes les entreprises, quels que soient leur type ou leur format, subissent le même choc macroéconomique et tendent à être submergées par la stratégie d’austérité qui prévaut globalement en Europe et est aujourd’hui, bien plus que le prix du foncier ou le coût du travail, le principal frein économique. Les chocs globaux appellent des réponses globales.
Une réflexion s’impose sur les secteurs et sur les territoires. De fait, la politique de l’emploi reste très nationale – la formation professionnelle, par exemple, n’est que partiellement déléguée aux régions – et manque de flexibilité, comme le montre notamment le dispositif des emplois aidés, mis en œuvre de Paris, qui applique les mêmes critères à tous les départements. La France, qui est plutôt un grand pays, présente des différences territoriales majeures et l’on ne saurait comparer, par exemple la région Rhône-Alpes – comparable à la Finlande pour la population, le PIB par habitant et le niveau d’innovation et de développement industriel, et voisine de la Suisse et de l’Allemagne – avec la Bretagne. Les politiques françaises de l’emploi et de l’innovation doivent donc donner plus de place aux territoires. Cette approche, qui sera du reste celle de la Banque publique d’investissement (BPI), devrait prévaloir pour toutes les interventions de l’État. Les succès de certaines régions italiennes et de certains Länder allemands tiennent sans doute à l’autonomie dont ils disposent.
M. Laurent Furst. Le temps de travail en France pose question : les Français sont les derniers à entrer sur le marché du travail, travaillent peu quand ils y sont et en sortent les plus jeunes. Le groupe Volkswagen, qui se porte très bien, applique cependant une politique de temps de travail court, tandis qu’Osram ou Siemens ont relevé à 40 heures la durée hebdomadaire du travail pour retrouver de la compétitivité. La vraie question est celle du taux de marge dont disposent les entreprises pour construire l’avenir et du taux d’impôt sur les sociétés (IS) qui leur permet d’être compétitives sur le plan européen.
M. Laurent Grandguillaume. La France est en retard sur d’autres pays en matière de dialogue social. Sans doute faut-il nous doter de plus de flexibilité tout en sécurisant les parcours professionnel. Il faut aussi revivifier la démocratie sociale, notamment territoriale.
Quel est par ailleurs votre sentiment sur la demande exprimée par les entreprises de voir figurer les crédits d’impôt dans les subventions d’exploitation, afin de faciliter leurs négociations avec les banques et d’être plus concurrentielles à l’échelle internationale ?
M. le président Bernard Accoyer. Monsieur le professeur, vous avez présenté les 35 heures comme une mesure aux conséquences plutôt positives et vivement critiqué les exonérations de cotisations sociales patronales Aubry, Juppé et Fillon, ainsi que le crédit d’impôt recherche, que vous avez qualifié dans un article récent d’« arrosage irresponsable ». Que pensez-vous du crédit d’impôt annoncé par le Président de la République dans le cadre de la « trajectoire de compétitivité » ?
M. Daniel Goldberg, rapporteur. L’extension du crédit d’impôt recherche à l’innovation, qui faisait hier l’objet d’un débat dans l’Hémicycle, invite à se demander ce qu’est l’innovation dans l’entreprise. Le rapport consacré par Christian Eckert à ce sujet permet de réfléchir à ce qui relève de l’innovation ou du marketing et aux critères d’une bonne dépense fiscale dans ce domaine. Il conviendra ainsi de s’interroger sur le fléchage le plus approprié pour le crédit d’impôt annoncé par le Gouvernement en matière de taille des entreprises, d’utilité et de contreparties, ainsi que sur les contrôles à mettre en place.
Quant aux baisses du coût du travail, pour lesquelles le rapport Gallois propose de fixer un seuil à 3,5 SMIC, je rappelle que M. Pierre Cahuc nous a indiqué que, si elle s’appliquait au-dessus de 1,6 SMIC, la baisse du coût du travail ne se traduirait pas par des créations d’emplois. Or, le Gouvernement cible un seuil de 2,5 SMIC. Qu’en pensez-vous ?
Comment concevez-vous la BPI, son format, son adaptation au terrain et ses priorités d’action ?
Comment envisagez-vous enfin, en votre qualité de membre du Conseil d’analyse économique, l’adaptation de notre modèle de protection sociale, en particulier pour de la branche famille ?
M. Philippe Askenazy. Je précise tout d’abord que je ne parle pas au nom du Conseil d’analyse économique, qui ne s’est du reste pas encore réuni.
Les allègements de cotisations sociales patronales Juppé ou Aubry ne sont pas une mauvaise chose, mais c’est un choix politique : alors que l’Allemagne a opté pour une déflation salariale qui a créé de la pauvreté laborieuse, la France a choisi de maintenir le salaire minimum et d’opérer des allègements de « charges ». Les allègements Juppé posent problème parce que, dans le même temps, la France a baissé la garde en matière d’innovation. C’est l’articulation entre plusieurs éléments qui peut engendrer des obstacles insurmontables à plus ou moins long terme : il faut donc veiller à adopter aujourd’hui de bonnes politiques.
L’effondrement du taux d’IS, qui a baissé de 20 points au cours de la décennie 2000, est l’une des grandes politiques mises en œuvre en Allemagne. Avec initialement un taux dans la moyenne, la France se trouve désormais dans une fourchette haute, compte tenu à la tendance à la baisse chez nos voisins. Toutefois, l’instauration de crédits d’impôt atténue la hausse du taux apparent et nuit à la lisibilité de la situation, notamment pour ce qui concerne l’évolution des taux de marge.
Gilbert Cette, que vous auditionnerez bientôt et avec qui je suis co-auteur d’un ouvrage consacré au partage de la valeur ajoutée, tiendra potentiellement, à partir des mêmes chiffres, un langage différent du mien. Le constat sur lequel nous sommes d’accord est que la part de la valeur ajoutée des sociétés non financières qui revient au capital se situe actuellement en France dans le bas de sa fourchette historique, soit 1 à 3 points au-dessous de sa moyenne des vingt dernières années. Pour l’industrie, le niveau est inférieur de l’ordre de 10 points à sa tendance historique – il se situe à son niveau habituel pour certains secteurs industriels comme la pharmacie ou la chimie et, pour d’autres comme l’automobile, à des niveaux très bas, comparables à ceux des années 1980, avant la restructuration.
Sans doute les marges sont-elles insuffisantes en France, mais j’observe surtout que le taux de redistribution des dividendes nets des entreprises non financières a atteint en 2011 le chiffre record de 9 %, alors que ce chiffre était historiquement de l’ordre de 4 % et atteignait à peine 5 % voilà dix ans. On retrouve ici un débat vieux comme l’économie, qui évoque celui opposant en 1925 Keynes, alors partisan de la dévaluation de la Livre, et Churchill, pour qui il fallait plutôt s’occuper des secteurs de l’industrie qui connaissaient des difficultés structurelles. La baisse du coût du travail proposée aujourd’hui est une forme de dévaluation interne. Coexistent aujourd’hui le versement de dividendes record et la difficulté structurelle que rencontrent certains secteurs à dégager des marges suffisantes, à laquelle s’ajoute un choc macroéconomique global. Toute mesure qui viserait à améliorer, par des crédits d’impôt ou des réductions de cotisations, les marges des entreprises risque donc de se traduire par une augmentation des dividendes sans investissements supplémentaires.
Il serait potentiellement plus intelligent de baisser le taux d’IS. En effet, on assiste au niveau européen à un dumping fiscal, car les grandes entreprises savent faire circuler les profits d’un pays à l’autre, réduisant ainsi la base fiscale. Ainsi, l’augmentation spectaculaire de 10 points des taux de marge en Allemagne tient pour une part à des multinationales dont les bénéfices ont augmenté dans ce pays alors qu’ils diminuaient ailleurs, au moment même où le taux de marge allemand chutait : les rapatriements permettent d’optimiser la fiscalité en localisant opportunément les profits.
Le deuxième élément qui rend difficile la comparaison des taux de marge est que, dans certains pays, une part du coût du travail figure dans les marges des sociétés non financières. Dans 80 % des entreprises allemandes de taille intermédiaire, la plupart des cadres dirigeants et un grand nombre des principaux ingénieurs ont un statut d’associés, touchant ainsi peu de salaires, mais des dividendes. En France, au cours des dix dernières années, l’augmentation des salaires a en grande partie été absorbée par le « top salariat ». Un travail statistique supposant que l’on dispose à la fois des données fiscales allemandes et françaises reste à mener pour aller au bout du diagnostic. Toujours est-il que si les 1 % de rémunérations les plus élevées n’avaient pas augmenté au cours des quinze dernières années, la part du travail dans les coûts serait inférieure de l’ordre de 2 points à ce qu’elle est actuellement.
Il en va de même pour le dispositif du crédit d’impôt recherche, qui comporte d’importants effets pervers. Il est étonnant que les données qui permettraient de tirer le bilan de ce dispositif dans la forme que lui avait donné la précédente majorité ne soient pas accessibles aux chercheurs, qui doivent pour cela être sous contrat avec le ministère de la recherche et s’engager à ne publier de résultats qu’avec l’aval de ce dernier. Cela peut être une mission du Conseil d’analyse économique d’accéder à ces données pour un traitement public.
Compte tenu des engagements européens pris par la France, une entreprise française peut par exemple sous-traiter des études faisant l’objet du crédit d’impôt recherche à une entreprise norvégienne : il serait intéressant de savoir quels montants le contribuable français consacre au financement de la recherche dans d’autres pays européens.
M. Olivier Carré. Ils figurent dans un rapport parlementaire.
M. Philippe Askenazy. Merci de cette indication. Je consulterai donc ces données même si de mémoire n’est évoqué qu’un chiffre global non ventilé par pays de l’ordre de 100 millions d’euros de CIR – soit tout de même proche de la subvention de l’État à l’Université d’Orléans – et encore pour 2010 alors que les déclarations 2011 ont été déposées mi avril 2012.
Il n’en demeure pas moins que nous n’avons pas accès aux données microéconomiques, qui permettraient d’observer le comportement de chaque entreprise. Au niveau macroéconomique, la recherche et le développement français n’ont pas connu le saut attendu. Un rapport de la Direction du Trésor réalisé juste avant la mise en place du crédit d’impôt recherche prévoyait que ce dispositif créerait une situation très tendue pour les métiers de la recherche et obligerait la France à « importer » des chercheurs du monde entier pour satisfaire les besoins des entreprises. Cela n’a pas été le cas et les entreprises tendent plutôt à optimiser les financements.
Une évaluation de ce dispositif est nécessaire pour en mesurer les effets pervers. En effet, certains laboratoires de recherche publics obtiennent aujourd’hui assez facilement des commandes de la part de laboratoires privés qui externalisent leur recherche pour profiter du fait que le crédit d’impôt recherche est doublé lorsque la recherche est confiée à une entité publique. Paradoxalement, cette politique peut avoir pour effet une diminution de l’effort de recherche global : des fonctionnaires, qui reçoivent moins de crédits de la part des organismes publics dont ils dépendent, effectuent des recherches sous-traitées par le secteur privé, lequel réduit son propre effort de recherche. Cette dynamique est particulièrement visible dans le secteur des sciences de la vie, où certaines grandes entreprises licencient leurs chercheurs et signent des contrats de plus en plus nombreux avec des laboratoires publics. Au total, le capital humain et la capacité de recherche diminuent. Une complémentarité entre recherche publique et recherche privée ne peut se construire par une substitution de l’une par l’autre mais par une montée simultanée des moyens notamment humains, en particulier public vers la recherche fondamentale. Dès lors, compte tenu de son coût – de l’ordre de 4 à 6 milliards d’euros par an – il faut justifier l’utilité du crédit d’impôt recherche d’autant que, à l’échelle macroéconomique, la différence avec nos voisins, et notamment avec l’Allemagne, n’a cessé de se creuser au cours des dernières années.
La question du traitement comptable du crédit d’impôt recherche pose celle de l’accès des entreprises françaises au crédit et des paramètres pris en compte en la matière par les organismes bancaires. La réflexion sur la BPI – organisme qui devra opérer la fusion difficile des deux stratégies différentes que sont les apports en fonds propres et en crédit – doit intégrer ces questions. Ce sont toutefois là des domaines dont je ne suis pas spécialiste.
La question de l’accès au crédit se pose tout particulièrement pour les entreprises exportatrices, car la politique française en la matière a toujours privilégié l’accès aux marchés plutôt que le maintien sur ces marchés. Nous disposons de nombreux outils de diagnostic permettant d’assurer le bon fonctionnement de la BPI, mais il nous faut garder à l’esprit que, si les entreprises sont nombreuses à entrer sur les marchés étrangers, elles sont également nombreuses à en ressortir car bien des opérations sont du type « one-shot ».
On ne peut qu’être favorable au dialogue social territorial, mais la question est de savoir quels outils déployer pour ce dialogue, qui part d’assez bas, avec un taux de syndicalisation très faible. Cette démarche sera longue et il n’existe pas de baguette magique pour améliorer rapidement la situation. Des efforts sont néanmoins possibles sur certains segments. Les pratiques de certains syndicats et de certains employeurs provoquent des blocages néfastes à l’établissement d’un dialogue social. Des travaux récents montrent que, dans leurs entreprises, les délégués syndicaux font souvent l’objet d’une discrimination en termes de salaire ou d’évolution de carrière. Les partenaires sociaux doivent mener une réflexion sur les moyens de renouer des relations de confiance, ainsi que sur la concurrence qu’il conviendrait de développer entre les partenaires sociaux, notamment pour ce qui concerne les organisations patronales, car cette concurrence touche déjà les organisations syndicales de salariés.
Les allègements de cotisations sociales employeur précédemment mises en place se concentraient autour du salaire minimum. De fait, lorsqu’on atteint deux à trois fois le SMIC, celui-ci cesse d’être la référence et l’employeur tient compte du coin fiscal et social, c'est-à-dire de l’ensemble des taxes sur le travail et des cotisations sociales employeur. Dans les pays où, comme en Allemagne, le financement de la branche famille est fiscalisé, l’impôt sur le revenu est plus important mais le coin socio-fiscal pour les ménages est équivalent. Il convient de ne pas trop concentrer les allègements de cotisations au niveau du SMIC, sous peine d’ouvrir une boîte de Pandore et de créer une trappe à bas salaires – les employeurs risquant d’être tentés de ne pas augmenter les salaires si une augmentation d’un euro doit se traduire par deux euros de versements supplémentaires.
Au total, il importe donc de tenir compte de l’ensemble des interactions et du schéma macroéconomique qui accompagnent les choix politiques.
M. le président Bernard Accoyer. Monsieur le professeur, je vous remercie.
——fpfp——
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur les coûts de production en France
Réunion du jeudi 15 novembre 2012 à 10 h 30
Présents. - M. Bernard Accoyer, M. Thierry Benoit, M. Olivier Carré, M. Michel Destot, Mme Jeanine Dubié, M. Laurent Furst, M. Daniel Goldberg, M. Laurent Grandguillaume, M. Jean Grellier, M. Michel Lefait
Excusés. - Mme Marie-Anne Chapdelaine, Mme Annick Le Loch, M. Olivier Véran