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Mission d’information sur les coûts de production en France

Jeudi 29 novembre 2012

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 13

Présidence de M. Laurent Furst Vice-Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Gilbert Cette, Professeur associé de sciences économiques à l’Université d’Aix-Marseille II.

La mission d’information a entendu M. Gilbert Cette, Professeur associé de sciences économiques à l’Université d’Aix-Marseille II.

M. Laurent Furst, président. Nous accueillons aujourd’hui M. Gilbert Cette, professeur d’économie associé à la faculté de sciences économiques de l’université d’Aix-Marseille II, qui exerce également les fonctions de directeur des études microéconomiques et structurelles de la Banque de France. C’est en votre qualité de chercheur que vous allez nous parler de l’évolution de la situation financière des entreprises, de l’effet de la crise sur l’accès au crédit des PME, et nous faire part de vos analyses sur le coût du travail en France.

M. Gilbert Cette, professeur associé de sciences économiques à l’université d’Aix-Marseille II. Ces questions peuvent être envisagées sous différents angles. Je commencerai par dire quelques mots de la situation financière des entreprises, avant d’évoquer la question du coût salarial. Je finirai mon exposé par quelques mots sur l’accès au crédit.

La situation financière des entreprises se mesure d’abord au taux de marge, soit la part des profits dans la valeur ajoutée. Or, suivant le champ d’étude retenu, cette part s’accroît, se réduit ou reste stable depuis la fin des années quatre-vingt jusqu’à la crise actuelle.

Le diagnostic le plus solide me semble devoir porter sur le champ restreint des sociétés non financières, qui génèrent 60 % du PIB. En tenant compte des incertitudes statistiques et des modifications de la fiscalité qui ont eu lieu durant cette période, on peut considérer que leur taux de marge est relativement stable depuis la fin des années quatre-vingt, avant de connaître un effondrement à partir de 2008.

Si on élargit le champ de l’analyse en y intégrant les sociétés financières, on observe que le taux de marge diminue. C’est qu’il est délicat de mesurer la valeur ajoutée des sociétés financières et la rémunération de leurs salariés, notamment lorsqu’elle se fait sous forme de stock-options. Si on élargit le champ à toutes les entreprises du secteur marchand, le diagnostic est encore différent, puisqu’on constate alors que le taux de marge augmente. La différence s’explique principalement par la prise en compte des entrepreneurs individuels : dans leur cas, il est difficile de distinguer entre la rémunération du travail et celle du capital. Enfin, si on étend le champ de l’étude à l’ensemble de l’économie, en y intégrant les administrations publiques, on constate encore une augmentation de la part des profits.

On voit qu’un indicateur aussi simple que la part des profits dans la valeur ajoutée peut déjà considérablement varier selon le champ auquel on s’intéresse. Le champ d’analyse que nous privilégions, avec Philippe Askenazy et Arnaud Sylvain, dans notre ouvrage sur Le partage de la valeur ajoutée, est celui des sociétés non financières, parce qu’il s’agit du plus fiable sur le plan statistique pour appréhender la part des profits dans la valeur ajoutée.

Les comparaisons des taux de marge dans différents pays sont à prendre avec beaucoup de précautions, une même situation financière des entreprises pouvant se traduire par des taux de marge variables en fonction de l’organisation de la fiscalité. Ces réserves n’affectent cependant pas significativement la validité de la comparaison avec l’Allemagne. Or, avant la crise actuelle, le taux de marge des sociétés non financières allemandes est supérieur de dix points à ce qu’il est en France, et on observe en Allemagne une augmentation continue du taux de marge des sociétés non financières depuis la réunification. La crise a provoqué un effondrement du taux de marge dans les deux pays, qui se rétablit légèrement en 2010 en France et plus fortement en Allemagne.

L’évolution du même indicateur dans d’autres pays montre que la crise y est effacée. Aux États-Unis, le taux de marge s’est totalement rétabli en fin de période, en l’occurrence au cours de l’année 2011, dernière année pour laquelle nous disposons de comptes définitifs. Quant à l’augmentation considérable du taux de marge observée en Espagne à la fin de la période, elle s’explique par la disparition des entreprises espagnoles les plus malades.

Le diagnostic qui doit être posé à partir de l’indicateur du taux de marge est que la situation des sociétés non financières est mauvaise en France. Il faut remonter jusqu’en 1985 pour retrouver ce niveau de taux de marge. La situation est d’autant plus dramatique que toutes les prévisions dont nous disposons indiquent que ce taux continuera de baisser en 2012 et 2013, année où l’on devrait revenir à des niveaux de taux de marge qu’on n’avait pas connus depuis 1983.

Le taux d’épargne (rapport de l’épargne brute à la valeur ajoutée) et le taux d’autofinancement (rapport de l’épargne brute aux dépenses d’investissement) des sociétés, sont d’autres indicateurs de leur situation financière. Rappelons que l’épargne brute est l’excédent brut d’exploitation (soit la valeur ajoutée dont on a retranché toutes les dépenses de personnel) moins la rémunération des actionnaires, c’est-à-dire les dividendes, des prêteurs, sous forme de charges financières, et de l’impôt sur les sociétés. On observe que le taux d’autofinancement s’effondre, pour atteindre, là encore, des niveaux qu’on n’avait pas connus depuis le milieu des années quatre-vingt. Cet effondrement devrait se poursuivre en 2012 et 2013.

On constate par ailleurs que le taux d’épargne des sociétés baisse depuis le début de la décennie 2000. Cela signifie que la forte dégradation de la situation financière des sociétés non financières est bien antérieure à la crise. Cet indicateur fait présager une difficulté croissante à financer l’investissement des entreprises.

Le principal élément du passage du taux de marge au taux d’épargne est la rémunération de la propriété, c’est-à-dire les dividendes et les intérêts versés, ou frais financiers. On observe cette évolution incroyable : les dividendes versés ont triplé depuis le premier choc pétrolier, passant de 3 à 9 points de valeur ajoutée en 2011, cette orientation à la hausse résistant même à la crise actuelle. La rémunération de l’actionnaire a donc augmenté continûment depuis quarante ans.

À l’inverse, le niveau des intérêts versés connaît une baisse marquée dans la décennie quatre-vingt-dix pour se stabiliser ensuite. Cela est dû uniquement à la baisse des taux d’intérêt. En effet, la marche vers l’euro durant cette décennie s’est concrétisée par la disparition des primes de risque pour des pays comme la France ou l’Italie, ce qui a provoqué une baisse très forte des frais financiers, qui passent de 7 points à 2 points de valeur ajoutée.

Du coup, la hausse des dividendes a été contrebalancée par la baisse des frais financiers payés par les sociétés non financières et la rémunération de la propriété a de ce fait connu une orientation à la baisse. Cette situation perdure jusqu’aux années 2000, qui voient une stabilisation des frais financiers, d’où une augmentation des revenus de la propriété (du fait de l’augmentation des dividendes), qui passent de 8 points à 11 points de valeur ajoutée. C’est ce qui explique que le taux d’épargne des sociétés est orienté à la baisse depuis le début de la décennie 2000, alors même que le taux de marge reste stable jusqu’en 2007-2008.

Les taux d’intérêt actuels étant historiquement bas, la baisse des frais financiers est appelée à se poursuivre en 2012-2013, en dépit de la hausse de l’endettement des sociétés non financières. Il faut bien comprendre néanmoins qu’il s’agit d’une situation exceptionnelle qui ne durera pas éternellement : les taux d’intérêt sont appelés à augmenter dans le futur, ce qui, compte tenu des taux d’endettement des sociétés non financières, provoquera une hausse des frais financiers qui va plomber encore davantage la situation financière de ces sociétés.

La comparaison du taux d’épargne des sociétés non financières dans les grands pays industriels montre que l’orientation à la baisse de ce taux ne s’observe en Allemagne que depuis la crise. Dans les autres grands pays industrialisés, on n’observe pas cette évolution à la baisse, ou bien les effets de la crise ont été complètement épongés. La situation est donc particulièrement grave en France et est appelée à s’aggraver encore du fait de la hausse des frais financiers et de la faiblesse de la conjoncture au cours des années 2012, 2013, voire 2014.

Si l’on compare, pour l’année 2010, les différents éléments de passage du taux de marge – de 32 % en France en 2010 – au taux d’épargne des sociétés non financières
– dividendes, intérêts versés, impôt sur les sociétés – on s’aperçoit que la part des dividendes n’est pas considérable en France en comparaison des autres pays. Pourtant, comme nous l’avons vu, ceux-ci n’ont pas arrêté d’augmenter dans notre pays, ce qui peut laisser penser que les propriétaires des sociétés non financières « s’en mettent plein les poches » depuis le premier choc pétrolier, plombant, ce faisant, la situation financière de ces sociétés. En réalité, la distribution de dividendes partait de très bas en France, puisqu’elle représentait 2 points de valeur ajoutée au moment du premier choc pétrolier. Même si la rémunération des actionnaires des sociétés non financières françaises ne cesse plus d’augmenter depuis, pour atteindre en 2010 un peu moins de 9 points, elle reste cependant près de 10 points inférieure à ce qu’elle est en Allemagne.

Cette moindre rémunération des actionnaires ne tient pas à une différence dans la structure de financement des entreprises, qui feraient appel davantage à l’emprunt. En effet, la part des intérêts versés ne diffère pas considérablement en France et en Allemagne. Certes, les sociétés non financières recourent plus à l’emprunt en France, mais l’amplitude de l’écart
– les intérêts versés représentent 2,5 points de valeur ajoutée en France, contre 1 point en Allemagne – n’est en rien comparable aux 10 points qui séparent la rémunération des actionnaires dans les deux pays.

La situation financière des sociétés se mesure également au taux d’endettement, soit le stock de dettes en pourcentage de la valeur ajoutée. En 2011, les sociétés non financières sont endettées à hauteur d’environ 130 points en France et de 75 points en Allemagne. Les sociétés non financières américaines sont également moins endettées que les Françaises. En revanche, le taux d’endettement est largement supérieur en Espagne, en Italie et au Royaume-Uni. Cependant, les sociétés non financières espagnoles et italiennes se désendettent rapidement, puisqu’elles ont réduit leur taux d’endettement d’une dizaine de points en période de crise. Cela s’explique, non seulement par la disparition d’entreprises, mais également par un assainissement marqué de la situation financière de ces sociétés.

Il faut noter également que l’écart de taux d’endettement entre la France et l’Allemagne était de 25 points de valeur ajoutée au début de la décennie 2000, et qu’il est désormais de plus de 50 points : alors que les sociétés non financières allemandes se désendettent, les sociétés non financières françaises s’endettent de plus en plus. Cela signifie que ces dernières, partant d’une situation patrimoniale particulièrement dégradée par rapport aux sociétés allemandes, souffriront bien davantage de l’augmentation des taux d’intérêt qui ne manquera pas d’arriver.

Les données de comptabilité nationale que je viens de vous exposer indiquent donc que la situation financière des sociétés non financières françaises est mauvaise. En outre, tous les éléments de prévision dont nous disposons pour les années 2012-2013 ne font qu’aggraver ce diagnostic. Dans un tel contexte, le transfert, via le crédit d’impôt, de 20 milliards d’euros vers les entreprises françaises est bienvenu.

Avant de vous donner quelques éléments relatifs au coût salarial, je voudrais parler de revenu salarial et d’inégalités salariales. Sur ce dernier plan, la situation de la France est singulière, puisqu’elle est le seul pays industrialisé où les écarts salariaux se resserrent, alors qu’ils se creusent dans tous les autres, depuis trois décennies dans les pays anglo-saxons, et depuis une époque plus récente dans les pays du continent européen. La réduction continue des inégalités salariales observée dans notre pays est due à la très forte augmentation du SMIC par rapport au salaire médian depuis le début des années soixante-dix. Depuis cette date, le SMIC a plus vite augmenté que tous les autres indicateurs salariaux – salaire mensuel par tête, salaire mensuel de base ou salaire horaire de base des ouvriers.

Le niveau du SMIC pourrait à lui seul faire l’objet d’une discussion. En tout état de cause, on ne peut pas parler du coût du travail sans poser la question du SMIC. Dans son ultime rapport, qui doit être rendu public la semaine prochaine, l’actuel groupe des experts sur le SMIC, qui a été mis en place il y a quatre ans par le précédent gouvernement et auquel j’appartiens, formule un certain nombre de propositions de réforme du SMIC. Une telle réforme devra faire en sorte que le SMIC plombe moins les comptes des entreprises, sans porter préjudice à une lutte forte et résolue contre la pauvreté.

Si l’on considère l’évolution du coût unitaire du travail dans l’ensemble de l’économie depuis 1999, on voit que, en matière de coûts salariaux, la distance s’est creusée entre la France et l’Allemagne jusqu’à devenir abyssale, puisque l’augmentation du coût unitaire du travail a été de 20 points supérieure en France. Parmi les grands pays de la zone euro, seules l’Espagne et l’Italie ont fait moins bien. Cette différence ne tient pas à de meilleures performances de l’Allemagne en termes de productivité du travail, celle-ci connaissant dans les deux pays une évolution similaire depuis la fin des années quatre-vingt-dix, mais à une modération salariale beaucoup plus forte : d’une bonne quinzaine de points supérieure en Allemagne depuis la fin des années quatre-vingt-dix.

La conséquence en est la dégradation de la compétitivité de la France, comme le montre l’évolution du solde courant des deux pays : le solde courant de l’Allemagne est excédentaire de 6 points de produit intérieur brut, alors que celui de la France est déficitaire de deux points de PIB. Plus grave, on observe une dégradation continue du solde courant de la France depuis la fin des années 1990, où il était excédentaire de 3 points de PIB. L’implosion des économies de l’Italie et de l’Espagne, grands partenaires commerciaux de la France, fait craindre une nouvelle dégradation de notre solde courant dans les prochaines années.

Il faut mentionner ici les conclusions d’une étude de l’INSEE portant sur les différences des coûts unitaires du travail et des salaires dans l’industrie et les services. Cette enquête révèle que, si les coûts salariaux moyens sont les mêmes en France et en Allemagne, le coût du travail dans les services est de 25 % supérieur en France. De ce fait, le coût du travail indirect – c’est-à-dire des services – pour l’industrie manufacturière est beaucoup plus bas en Allemagne. Deuxièmement, l’Allemagne bénéficie de son voisinage avec des pays tels que la Pologne, la Tchéquie, la Slovaquie ou la Hongrie, où le coût du travail est beaucoup plus bas. Cette proximité lui permet de segmenter ses chaînes productives, notamment dans le secteur automobile, délocalisant une partie de la production dans les pays limitrophes tout en conservant sur son sol la plus grande partie de son industrie automobile : l’industrie automobile allemande génère un excédent de 100 milliards d’euros par an, quand l’industrie automobile française, bien que comptant deux constructeurs mondiaux, souffre d’un déficit de 5 milliards d’euros par an. On voit donc que, en réalité, l’Allemagne bénéficie de coûts du travail beaucoup plus bas qu’en France.

Je conclurai en parlant de l’accès au crédit. Dans l’ensemble, les entreprises n’ont pas de problème d’accès au crédit en France. Une étude économique de la Banque de France, réalisée par G. Horny, E. Kremp et P. Sevestre et corroborée par les enquêtes réalisées par la Banque centrale européenne et par Oséo, montre que, même pendant la crise de 2008-2009, il n’y a pas eu de rationnement du crédit accordé aux PME. Il en a été de même pour les grandes entreprises, même si le pourcentage de celles qui n’ont rien obtenu des crédits qu’elles avaient demandé a été un peu plus élevé. Certes, pendant la période avril-septembre 2012, on constate une orientation à la hausse du nombre d’entreprises n’ayant rien obtenu et une orientation à la baisse du nombre de celles qui n’ont obtenu qu’une partie des crédits sollicités. Mais le diagnostic est un peu délicat à établir, puisque, pour les entreprises qui ont obtenu tout ce qu’elles avaient demandé, le niveau reste comparable, à 85 %.

En Allemagne, il n’y a pas de difficultés de financement, mais, dans d’autres pays, comme l’Italie, le pourcentage des entreprises qui n’ont rien obtenu ou qui n’ont obtenu qu’une partie des crédits a considérablement augmenté depuis le début de la crise, alors que le pourcentage de celles qui ont tout obtenu a diminué de quelque 20 points.

M. Olivier Carré. C’est ce qui commence à se passer en France !

M. Gilbert Cette. Certes, l’augmentation du pourcentage des entreprises qui n’ont rien obtenu est plus importante sur la dernière période, mais, pour autant, elle ne paraît pas inquiétante. En Italie, la situation est dramatique. En Espagne, curieusement, nous constatons une certaine stabilité de l’accès au crédit des entreprises. Mais il ne faut pas s’y tromper et négliger l’importance du facteur démographique : l’assainissement de l’économie espagnole prend principalement la forme de disparitions d’entreprises, et en particulier d’entreprises du bâtiment. En 2007, quelque 3 millions de personnes travaillaient dans ce secteur, contre 1,5 million aujourd’hui.

M. Laurent Furst, président. Merci pour cette présentation très complète, qui nous a totalement déprimés. Vous avez clairement indiqué que l’année 2012 était difficile et que l’année 2013 ressemblerait à la précédente.

M. Olivier Carré. Vous avez décrit un impressionnant processus de « smicardisation ». En France, les bas salaires sont concernés par nombre d’aides et d’allègements, et le coût marginal augmente beaucoup plus vite que les salaires, compte tenu des aides qui diminuent à due proportion de la hausse des salaires. À l’heure où l’on est à la recherche de stratégies pour « décoincer » à la fois l’évolution des salaires et le marché de l’emploi, ne faudrait-il pas se pencher sur cette question ?

M. Jean Grellier. Quelle solution recommanderiez-vous aujourd’hui à la puissance publique pour inverser la tendance ? Les décisions qui ont été prises, notamment sur le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), sont-elles suffisantes ? Faut-il des réformes plus importantes ?

Mme Annick Le Loch. Aux États-Unis, dites-vous, la crise est complètement effacée. Pouvez-vous préciser votre propos ?

L’augmentation des taux d’intérêt serait catastrophique. Le scénario est-il plausible à court terme ? Que se passerait-il ? L’économie française s’effondrerait-elle ?

M. Daniel Goldberg, rapporteur. Il n’y a pas, dites-vous, de problème d’accès au crédit en France pour les entreprises, et certains, telle la Fédération bancaire française, font état de résultats importants en termes d’encours global des crédits accordés aux PME ou d’investissement total réalisé pour soutenir l’activité. Mais, sur le terrain, les entreprises ne semblent pas partager ce sentiment.

Vous n’avez pas du tout abordé la question des nouvelles normes prudentielles, dites Bâle III. Sont-elles adaptées ? Auront-elles bientôt un effet ?

Le réseau bancaire français présente-t-il une spécificité par rapport à celui des autres pays européens, s’agissant des modalités dont il dispose pour injecter de la liquidité dans les entreprises ?

Je voudrais également savoir si, selon vous, les entreprises, notamment les PME-PMI, souffrent d’une insuffisance particulière de fonds propres.

Quelle serait la façon la plus pertinente de mettre en place le crédit d’impôt compétitivité, que le Gouvernement a décidé d’intégrer dans le projet de loi de finances rectificative pour 2012 ? On peut s’interroger sur le rôle des banques, en tant que préfinanceurs de ce crédit d’impôt pour un certain nombre d’entreprises. Comment pourront-elles intervenir ? Quelles entreprises pourront en bénéficier ?

Les représentants de l’institut COE-Rexecode, que nous avons auditionnés, ont fait valoir que le crédit d’impôt bénéficierait plus massivement aux entreprises de services qu’à l’industrie – non pas forcément aux entreprises de services destinés à l’industrie, mais aux entreprises de services destinés à la personne ou à la grande consommation. Avez-vous un avis sur le sujet ?

Enfin, vous avez signalé que, depuis plusieurs années, un décrochage s’était produit entre la France et l’Allemagne : ce n’est pas que le coût du travail ait augmenté en France, c’est qu’il a diminué en Allemagne. Comment cela se traduit-il concrètement pour l’économie allemande ? L’Allemagne a-t-elle raison de mener une politique de modération salariale très forte, sur des niveaux de revenus par ailleurs différenciés ? La France et les autres pays européens n’ont-ils pas adopté une solution plus pérenne ?

M. Laurent Furst, président. Si le volume des dividendes a augmenté en France, il reste moins élevé que dans les pays qui nous entourent. Notre pays possède autant de grands groupes internationaux que l’Allemagne, dont l’économie est plus puissante que la nôtre. Ces groupes rapatrient peut-être une partie de leurs dividendes et leurs investissements se font davantage à l’international qu’en France. Par ailleurs, nombre de nos entreprises ont été rachetées par des fonds de pension qui ont des exigences de rentabilité ? Cela ne doit-il pas nous amener à modifier notre perception des dividendes ?

Pour parler de la dynamique de l’économie française, on invoque volontiers des indicateurs économiques. Mais d’autres éléments, peut-être tout aussi importants, ne sont presque jamais cités. Ainsi, l’instabilité du droit français est très mal vécue par les chefs d’entreprises allemands, américains ou anglais installés dans notre pays. Il faut aussi penser qu’il peut être difficile d’être un entrepreneur en France, tant à cause des relations sociales qu’en raison de la façon dont le monde de l’entreprise y est perçu et présenté dans les médias. Tous ces éléments, qui ne seront jamais mis en équation, peuvent avoir des conséquences très négatives pour la dynamique de notre économie. Pourriez-vous vous exprimer à ce propos ?

M. Gilbert Cette. À plus de quarante ans, le SMIC est à un tournant de son histoire. Pendant la campagne présidentielle, François Hollande avait parlé de le réformer et peut-être le moment est-il venu de dépassionner le débat pour adopter une approche réellement économique et sociale de la question. En France, le salaire minimum est plus élevé que dans les autres pays, ce qui plombe la compétitivité de nos entreprises. Cet effet négatif est amorti en bonne partie par des allègements de cotisations, qui représentent plus de 20 milliards d’euros par an, soit plus de deux fois le budget du RSA, mais sans lesquels des centaines de milliers d’emplois disparaîtraient rapidement.

Cependant, le SMIC est un outil totalement inefficace pour lutter contre la pauvreté. Le premier facteur de pauvreté est le rapport à l’emploi – le fait que les gens travaillent 10 ou 50 heures par semaine, 1 000 ou 1 500 heures par an – et pas le niveau du salaire horaire. Le second facteur de pauvreté est le niveau des charges de famille : ce n’est pas la même chose d’avoir à nourrir une personne ou cinq personnes.

Enfin, le SMIC est homogène. Il est le même dans toutes les régions. Or on ne vit pas de la même façon avec un SMIC dans la Creuse ou à Paris. Il est le même quel que soit l’âge, dans un contexte où les jeunes ont difficilement accès à l’emploi. Le thème du « SMIC jeunes » est pourtant difficile à aborder – prenez l’exemple du contrat d’insertion professionnelle (CIP) en 1993 ou du contrat première embauche (CPE) en 2005.

Peut-être faudra-t-il, un jour, songer à lutter plus efficacement contre la pauvreté. Cela pourrait passer par un SMIC plus bas, en termes relatifs, par rapport au salaire moyen ou au salaire médian. Les ressources que l’on dégagerait alors, par la diminution des allègements de cotisations sociales venant contrebalancer le SMIC pour l’instant élevé, pourraient alors être mobilisées pour des politiques de lutte contre la pauvreté très ciblées selon le revenu et selon les charges de famille, voire selon les régions. C’est une voie à discuter, parmi d’autres bien évidemment.

Les membres du groupe d’experts sur le SMIC et leur président Paul Champsaur reviendront sur ces points en présentant leur rapport aux partenaires sociaux, le 4 décembre prochain.

Certains font remarquer que les revenus de transfert, comme le RSA, ne peuvent être assimilés à des revenus d’activité. Certes, pour lutter contre la pauvreté, les revenus d’activité sont préférables, mais ils sont homogènes, alors que les revenus de transfert peuvent être ciblés. Par ailleurs, ils représentent un moindre inconvénient par rapport à la situation actuelle où nous dépensons 22 milliards d’allègements de cotisations pour compenser le niveau élevé du SMIC.

L’économie française rencontrant un problème structurel de compétitivité, les solutions ne peuvent être que structurelles. Certes, la modération salariale allemande est singulière. De fait, c’est à l’intérieur même de la zone euro – où il n’y a pas de problème de change ni de niveau de la monnaie – qu’apparaissent les déséquilibres. Peut-être les salaires sont-ils un peu trop bas en Allemagne et un peu trop élevés dans notre pays, au regard de ce qui est produit et des performances productives. Autrement dit, en attendant que les effets des réformes structurelles se fassent sentir, nous devons exporter davantage, des produits moins chers et, pour cela, innover.

Pour répondre à notre problème de soldes courants, deux voies complémentaires s’offrent donc à nous : les réformes structurelles et, à moyen terme, une bouffée d’oxygène, car nos entreprises ne pourront pas éternellement rogner sur leurs marges.

Les réformes structurelles, on le sait, passent par le marché du travail et le marché des biens. Dans un pays comme la France, on peut attendre des améliorations considérables d’une réforme du marché des biens : on peut ainsi envisager une dynamisation de la productivité de 0,5 point par an simplement en abaissant les régulations anti-compétitives qui brident les innovations.

Nous avons déjà un peu parlé du marché du travail. Notre droit du travail est le plus complexe de tous les pays industrialisés, le plus difficile à prendre en charge par les partenaires sociaux, qui sont précisément censés s’assurer de sa bonne mise en œuvre dans les entreprises, et le moins protecteur, en raison de sa complexité.

Depuis une dizaine d’années, Jacques Barthélemy et moi-même avons développé la thèse suivante dans plusieurs travaux qui ont été publiés : il est possible d’améliorer non seulement la protection du travailleur, mais aussi la performance économique de notre droit social et de notre droit du travail, en facilitant la conclusion de compromis via des accords collectifs, forcément majoritaires depuis la loi du 20 août 2008. Ces compromis mordraient à la fois sur la réglementation et sur l’autonomie du contrat de travail. Il faut donc s’intéresser à l’articulation des normes.

Nous préconisons que l’accord collectif puisse déroger à de multiples dispositions du code du travail, hormis celles qui constituent le cœur du droit du travail – toutes celles qui relèvent de l’ordre public social et du droit international, dont le droit communautaire. Ceux qui ne seraient pas capables de nouer des compromis se verraient appliquer la totalité du droit du travail.

De la même façon, l’accord collectif pourrait mordre sur l’autonomie du contrat de travail, sans déroger à l’ordre public social ni attenter aux libertés individuelles. L’exemple de l’Allemagne nous montre que la performance de l’accord collectif, quand il mord dans l’autonomie du contrat de travail, est considérable.

Des mesures telles que le choc d’offre, le pacte de compétitivité ou le crédit d’impôt, constituent une réponse transitoire, qui permet d’attendre l’effet bénéfique des réformes structurelles. Le gain que l’on en retirera sera limité dans le temps.

Le crédit d’impôt est une bonne chose, même si l’on peut être surpris que le seuil ait été fixé à 2,5 SMIC. Si, dès qu’ils dépassent 2,5 SMIC, les salariés ne sont plus éligibles au crédit d’impôt, des conséquences négatives risquent d’apparaitre, car, pour 1’euro de salaire mensuel net en plus, le coût du travail augmentera mécaniquement de 200 euros ! Cela concerne, par exemple, les activités de recherche et développement, notamment dans l’industrie. Il ne faut pas négliger les effets de seuil qui peuvent résulter d’un ciblage un peu brutal.

M. Olivier Carré. Y a-t-il davantage de seuils chez nous qu’ailleurs ? En d’autres termes, cette logique des seuils est-elle une spécificité de la culture politique française ?

M. Gilbert Cette. Nous en avons en effet beaucoup.

Sur les effets de seuils, les études sont contradictoires. Il y a encore six mois, la doctrine était que les effets de seuil sociaux pénalisants sur l’emploi – par exemple cinquante salariés pour les comités d’entreprise – étaient assez réduits. Je vous renvoie, notamment à l’étude de l’INSEE publiée dans la revue Économie et Statistique. Néanmoins, une autre étude plus récente, qui établit une comparaison entre la France et les États-Unis, considère au contraire que la France est un pays très pénalisé par les effets de seuil, dont le coût serait de 20 000 à 25 000 emplois.

Les seuils sont inévitables : encore faut-il s’assurer qu’ils sont utiles et qu’ils n’introduisent pas davantage d’inégalités. Par exemple, est-il équitable que les salariés d’une entreprise de plus de cinquante salariés aient davantage de droits, en cas de licenciement collectif, que ceux d’une entreprise de moins de cinquante salariés ?

Le seuil du crédit d’impôt compétitivité, tel qu’il est envisagé, aurait un effet d’une ampleur nouvelle que j’ai déjà évoqué.

M. Laurent Furst, président. C’est un peu ce qui se passe, avec le système des tranches, lorsque nous payons nos impôts.

M. Gilbert Cette. En l’occurrence, il s’agit d’un barème et c’est marginal !

Mme Corinne Erhel. À quel niveau auriez-vous fixé le seuil qui a été retenu à 2,5 SMIC ?

M. Gibert Cette. Les propositions que nous avons pu faire, avec Philippe Aghion, Élie Cohen et d’autres, ne concernaient pas les effets de seuil, mais partaient de la nécessité de lier équité et choc d’offre. L’équité suppose que les protections universelles soient financées par une assiette de financement large. Tout ce qui finance la famille
– prestations familiales, et les 13 points de cotisation maladie qui financent la protection universelle non contributive – pourraient donc, à très long terme, être financés sur une assiette correspondant à l’ensemble des revenus, par exemple par la CSG. En renforçant l’équité, on abaisserait ainsi le coût du travail.

Le choix qui a été fait n’est pas pour nous un optimum de premier rang, mais c’est beaucoup mieux que rien. Le crédit d’impôt permet d’anticiper. Les 20 milliards de transferts correspondent à 28 milliards de réductions de cotisations, puisque le crédit d’impôt n’est pas éligible à l’impôt. Enfin, cela permet de laisser le Haut Conseil du financement de la protection sociale réfléchir sereinement, avant de finaliser ses réflexions sur ces aspects.

Enfin, en ce qui concerne l’effet de seuil, je suis un peu sceptique. Il faudrait au moins le lisser.

M. Olivier Carré. On pourrait ne pas prendre en compte les salariés en tant que tels, mais l’ensemble des salaires jusqu’à un montant qui, mathématiquement, devrait être inférieur à 2,5 fois le SMIC. C’est donc la masse salariale qui servirait d’assiette. Ainsi, il n’y aurait plus d’effet de seuil. Le choix a été fait de mettre en place un crédit d’impôt : ce n’est donc pas un allègement de charges, mais une augmentation de l’autofinancement.

M. Gilbert Cette. Oui, on pourrait faire exactement comme pour les impôts : jusqu’à tel niveau de salaire, 2 SMIC ou 2,5 SMIC, on est éligible ; au-dessus, on ne l’est pas. Cela signifie que celui qui gagne dix fois le SMIC serait éligible pour sa partie de salaire.

M. Olivier Carré. Cela contribuerait à augmenter les bas salaires. Contrairement à ce qui risque de se passer, si un salarié gagnant 1 000 euros était augmenté de 100 euros, le crédit d’impôt s’accroîtrait d’autant – jusqu’à 2,5 fois le SMIC. De toute façon, les augmentations de salaire au-delà de ce seuil, comme les embauches, ne sont pas touchées par le coût du salaire. Économiquement, ce serait donc assez vertueux. Mais cela suppose de dépasser certains clivages que j’ai pu percevoir, hier, en Commission des finances.

M. Laurent Furst, président. Monsieur Cette, je vous remercie pour la qualité de votre intervention et pour vos réponses.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information sur les coûts de production en France

Réunion du jeudi 29 novembre 2012 à 9 heures

Présents. - M. Thierry Benoit, M. Olivier Carré, Mme Marie-Anne Chapdelaine, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, M. Laurent Furst, M. Daniel Goldberg, M. Jean Grellier, Mme Annick Le Loch, M. Claude Sturni

Excusés. - M. Bernard Accoyer, M. Frédéric Barbier