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Mercredi 8 janvier 2014

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 4

Présidence M. Jean-Paul Chanteguet, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Nicolas Paulissen, délégué général, et Mme Florence Berthelot, déléguée générale adjointe de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR)

Mission d’information
sur l’écotaxe poids lourds

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Nous accueillons M. Nicolas Paulissen, délégué général, et Mme Florence Berthelot, déléguée générale adjointe de la Fédération nationale du transport routier (FNTR) qui est l’organisation professionnelle la plus importante par sa représentativité dans les métiers de la route et de la logistique – elle compte en effet plus de 12 000 entreprises adhérentes de toute taille.

Depuis plusieurs années, le transport routier connaît une situation difficile. Les entreprises françaises ont perdu des parts de marché à l’international. Le redressement du secteur constitue une préoccupation majeure de la FNTR, qui travaille en ce sens avec les pouvoirs publics. Cependant, le discours pédagogique que la Fédération a tenu à la profession sur la mise en place de l’écotaxe n’a pas toujours été reçu, compte tenu des informations souvent inexactes diffusées sur ce sujet durant les derniers mois.

La FNTR entend que l’écotaxe n’affecte en aucune façon la compétitivité d’entreprises confrontées à la concurrence des transporteurs étrangers et soumises à la pression des chargeurs sur les prix. Elle a clairement affirmé son attachement à deux principes, d’ailleurs précisés par des textes législatifs : le coût de la taxe doit être répercuté sur le bénéficiaire de la circulation de la marchandise ; une majoration forfaitaire doit compenser les charges qui pèsent sur les transporteurs soumis à l’écotaxe. En d’autres termes, la FNTR plaide pour la neutralité de l’écotaxe poids lourds sur les coûts d’activité des entreprises de transport. À cette condition, elle n’en récuse pas le principe.

L’audition permettra à la mission de mieux comprendre un mécanisme en vue duquel de nombreuses entreprises représentées par la FNTR ont déjà accompli un important travail de préparation technique et de formation. Nous nous intéressons aussi aux retours d’expérience répercutés par les adhérents de la Fédération sur les systèmes comparables mis en place dans d’autres pays de l’Union européenne. Nous voudrions enfin connaître les raisons qui ont compromis l’acceptabilité de l’écotaxe et recueillir des propositions pour lever ces obstacles.

M. Nicolas Paulissen, délégué général de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR). Votre mission a été formée pour réfléchir au devenir de l’écotaxe poids lourds, aujourd’hui officiellement suspendue. Avouons-le : six ans après le début des travaux, et alors que l’écotaxe poids lourds devait entrer en vigueur en 2011, puis en 2013, enfin le 1er janvier 2014, la situation est quelque peu surréaliste. Il n’y a plus que de mauvaises solutions et le risque est grand que toute décision, quelle qu’elle soit, soit rejetée.

L’écotaxe poids lourds est, à nos yeux, incompatible avec la situation de nos entreprises compte tenu des fragilités du secteur, pointées par les études de la Banque de France, de la crise économique qui frappe nos entreprises – dont l’activité a baissé de 21,3 % entre 2007 et 2012 –, du choc économique, commercial et opérationnel que constitue l’écotaxe, enfin de la surfiscalisation qui atteint les limites du tolérable dans notre secteur – nos entreprises sont 4,5 fois plus fiscalisées que la moyenne de l’économie française. Aucun marché ne pourrait encaisser une augmentation de 8 à 10 % de ses coûts et ses prix ni supporter un bouleversement aussi important dans les rapports commerciaux. Aucune PME ne pourrait sans dommage affronter l’usine à gaz que constitue l’écotaxe.

La fiscalité est un enjeu essentiel dans un secteur où le ras-le-bol fiscal est particulièrement vif. En France, l’écotaxe s’ajoute aux péages, ce qui n’est pas le cas en Allemagne. La FNTR a toujours été hostile à cette taxe comme à toute fiscalité supplémentaire ciblant le transport routier.

Dès 2007, nous en avons combattu le principe. Lors du Grenelle de l’environnement, nous avons dénoncé cette nouvelle taxation sur les poids lourds pour financer le mirage du camion sur les trains, les fameuses « autoroutes ferroviaires ».

Lors du débat sur le Grenelle I, en septembre 2008, nous avons écrit dans une lettre ouverte aux parlementaires : « Cette redevance, en frappant la mobilité sur moyenne distance, surenchérit le coût d’acheminement, de fabrication, de transformation et de distribution des marchandises dans les régions et handicape donc l’attractivité et l’aménagement du territoire. » Nous avons martelé ce message à chaque audition parlementaire, notamment en février 2011 devant la commission des finances du Sénat.

La FNTR était alors une des rares organisations à s’opposer à l’écotaxe. Elle est rejointe aujourd’hui par beaucoup de résistants de la dernière heure.

En 2008-2009, l’opinion publique a plébiscité le Grenelle de l’environnement. À l’automne 2008, quand le Parlement a voté à la quasi-unanimité la loi Grenelle I instituant l’écotaxe, la FNTR a obtenu le principe d’une répercussion de l’écotaxe sur le bénéficiaire de la circulation de la marchandise. Ce principe s’inscrit pleinement dans la logique du texte, puisqu’il permet d’envoyer un signal prix au marché pour favoriser le report modal. Par la suite, la FNTR n’a eu de cesse de le traduire dans la réalité, ce qui s’est concrétisé, au printemps 2013, par l’obtention de la loi de majoration forfaitaire qui a été entièrement validée par le Conseil constitutionnel. Je vous renvoie aux motifs éclairants que celui-ci a mis en avant.

Avec la majoration, force est de constater que l’écotaxe est aussi devenue l’affaire de nos clients. En pleine crise bretonne, le 29 octobre dernier – soit deux mois avant l’entrée en vigueur de la taxe, déjà reportée plusieurs fois –, le Premier ministre a décidé de suspendre l’écotaxe en vue d’aménagements sectoriels et géographiques. Il a précisé que les solutions retenues devraient tenir compte des entreprises de transport routier et leur permettre d’exercer leur activité dans un cadre loyal.

Cette suspension de dernière minute a réduit l’acceptabilité de l’écotaxe, que beaucoup jugent insupportable, et accru les incertitudes ainsi que l’instabilité économique des entreprises. Une nouvelle fois, notre marché a été perturbé et les rapports commerciaux ont été bouleversés. Une grande partie de nos entreprises se trouvent piégées, enlisées au milieu du gué, après s’être engagées et avoir investi pour préparer la mise en œuvre de la taxe.

Il vous appartient désormais de vous déterminer sur le sort de l’écotaxe. Deux hypothèses sont envisagées.

En cas de suppression de l’écotaxe, nous nous opposerons à toute fiscalité de substitution non répercutable, et nous demanderons des garanties solides pour que l’écotaxe ne réapparaisse pas sous une autre forme sans majoration forfaitaire ou pour que l’on ne voie pas naître d’autres taxes difficilement répercutables pour nos entreprises.

En cas de refonte de l’écotaxe, nous nous opposerons à toute remise en cause de la majoration forfaitaire, que ce soit dans son principe, ses taux ou son assiette. Nous nous opposerons également à toute exonération qui romprait l’égalité de traitement entre transport pour compte propre et transport pour compte d’autrui. La FNTR sera particulièrement attentive à ce principe d’égalité.

Si l’écotaxe est réaménagée, nous veillerons aussi à ce que toutes les conditions de remise en marche soient réunies pour préserver les intérêts de nos entreprises. Si des aménagements sont envisagés, nous entendons que ce soit pour ramener à son périmètre initial le réseau taxé étendu à des axes de report, pour revoir les barèmes à la baisse, pour simplifier les complexités administratives et pour prendre en compte les délais nécessaires à nos entreprises.

Quoi qu’il en soit, il faut rapidement mettre fin aux incertitudes. L’écotaxe est un boulet que nos entreprises, en mal de stabilité et de visibilité, traînent depuis trop longtemps. Elle est devenue un symbole du ras-le-bol fiscal, un révélateur des difficultés de nos entreprises et un catalyseur de leur souffrance. Celles-ci souffrent non seulement de la crise économique, mais aussi, depuis plus longtemps, de l’iniquité de la concurrence européenne, d’un déficit de compétitivité, ainsi que des excès de la fiscalité et de la réglementation.

Nous portons un message de désarroi pour le présent et d’inquiétude pour l’avenir. Les difficultés économiques, aggravées par la gestion chaotique, pendant sept ans, du dossier écotaxe, ont engendré une véritable crise de confiance à laquelle il faut remédier.

Le 13 novembre, le ministre des transports a répondu favorablement à notre demande et à celle de nos partenaires en acceptant de prévoir un plan de soutien au transport routier.

Depuis dix ans, les rapports succèdent aux missions, qui font suite aux études, mais rien n’a été fait. Pour combler notre déficit de compétitivité, il est temps de traiter les distorsions de concurrence et le défaut d’harmonisation européenne, le problème de la sous-traitance et les excès de la fiscalité comme de la réglementation.

La représentation nationale fera ses choix. Nous avons posé nos lignes rouges. Nos entreprises examineront avec la plus grande vigilance les résultats de vos travaux. Votre marge de manœuvre est étroite, nous le savons, mais plus le temps passera sans prise de décision ni lisibilité, moins il sera possible de relancer opérationnellement l’écotaxe.

Monsieur le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Qu’entendez-vous par « fiscalité non répercutable » ?

M. Xavier Breton. En tant que président du groupe d’études sur la filière véhicules industriels, je vous remercie, Monsieur Paulissen, d’avoir rappelé les difficultés que connaît le secteur du camion, essentiel pour notre économie. Approuvez-vous le choix du réseau éligible à l’écotaxe ? Jugez-vous pertinent de réaffecter une part du produit de l’écotaxe au renouvellement du parc de poids lourds, notamment pour le moderniser dans le cadre de la lutte contre la pollution ?

M. Thierry Benoit. En France, nous avons la mauvaise habitude de laisser passer trop de temps entre le moment où sont prises certaines décisions, notamment fiscales, et celui où elles sont appliquées. Dans le cadre du Grenelle de l’environnement, tout le monde validait le principe d’une conversion écologique de la fiscalité, ce qui explique que l’écotaxe ait été votée à l’unanimité. Mais le monde étant devenu mouvant, notamment sous l’effet de la mondialisation, la vérité d’un jour n’est pas nécessairement celle du lendemain.

Avez-vous recensé l’ensemble des taxes auxquelles sont soumises les entreprises de transport en France ? Avez-vous établi un état comparatif à l’échelon européen ?

Dès lors que nous devons travailler à somme nulle, du moins au jour de la mise en œuvre, à quelle taxe pourrait se substituer l’écotaxe ? Je rappelle que la fiscalité n’a pas pour but de piéger les transporteurs, dont nous avons besoin ; elle doit les aider à s’adapter aux nouveaux modes de transport et permettre au pays d’envisager le report modal.

M. Éric Straumann. Le pavillon français a été exposé, ces dernières années, à une concurrence particulièrement rude. En Belgique, les transporteurs nationaux acquittent une taxe fixe, mais celle qu’acquittent les transporteurs étrangers est proportionnelle à leur circulation sur le réseau routier. Le droit communautaire permettrait-il de taxer davantage les transporteurs étrangers qui circulent en France ?

M. Philippe Bies. L’écotaxe s’ajoute aux péages, qui ont beaucoup augmenté depuis la privatisation des autoroutes, et à la taxe à l’essieu, déjà ancienne, dont la directive européenne signale qu’elle pourrait être reprise dans un nouveau dispositif. Sous réserve de conformité à la réglementation européenne, il semble possible de refonder l’écotaxe et la taxe à l’essieu, la première ciblant prioritairement le transit et la seconde le transport régional. On ferait ainsi payer ceux qui polluent et abîment le réseau, et on lisserait la distorsion de concurrence entre routiers français et européens.

Mme Sophie Errante. Selon M. Dominique Bussereau, il avait été envisagé de compenser la mise en place de l’écotaxe par la suppression de la taxe à l’essieu et l’ouverture du réseau routier aux 44 tonnes. Avez-vous songé à d’autres contreparties ? Est-il facile de faire payer l’écotaxe par les chargeurs ou les bénéficiaires du transport ? Une table ronde autour du transport, permettant une vraie réflexion, ne vaudrait-elle pas mieux qu’une négociation avec les seuls transporteurs ?

Monsieur le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Êtes-vous favorable à la mise en place d’une marche à blanc ? Si oui, doit-elle concerner une région ou l’ensemble du territoire ? Faut-il relever le seuil de l’écotaxe de 3,5 tonnes à 7,5 tonnes, voire à 12 tonnes ?

M. Nicolas Paulissen. À l’origine, le périmètre taxé devait être de 10 000 kilomètres, ce qui correspondait au réseau national non concédé. Au fil des années, on y a inclus 5 000 kilomètres de réseau secondaire, soit les axes dits de report. Dès lors que l’écotaxe ne touchera pas les autoroutes privatisées, elle concernera principalement le transport de moyenne et de courte distance, ce qui signifie que l’extension du périmètre à des routes départementales frappera l’économie des territoires. En s’en tenant au périmètre initial, on réglerait certains problèmes du transport de proximité. L’écotaxe portera à 80% sur des entreprises françaises et à 20% sur des entreprises étrangères, puisque les étrangers empruntent surtout les autoroutes. D’où notre soutien à toute réflexion visant à réduire le périmètre taxé.

Nous sommes également favorables à toute aide au renouvellement de la flotte, qui permettrait à nos entreprises de se doter de véhicules plus performants en matière de développement durable. En 2005, quand l’Allemagne a introduit la LKW Maut (Lastkraftwagen Maut), équivalent de l’écotaxe, elle a versé aux transporteurs une compensation avoisinant 600 millions d’euros.

À ma connaissance, il n’existe pas d’état comparatif de la fiscalité dans les différents pays de l’Union européenne, mais, en 2013, une excellente étude du Comité national routier a pointé les différences de compétitivité d’un État à l’autre, en intégrant la fiscalité.

C’est tordre la vérité historique que de présenter l’ouverture du réseau routier aux 44 tonnes comme une compensation à l’écotaxe poids lourds. Dans un entretien à La France agricole du 30 avril 2010, le Président de la République avait annoncé que les 44 tonnes seraient autorisés à transporter les produits agricoles et agroalimentaires. Puis, sous la pression du Conseil d’État, cette autorisation a été étendue au transport de tous les produits, mais cela n’a jamais été envisagé comme une compensation à l’écotaxe poids lourds. La mesure n’a été présentée comme telle que par la suite, dans les éléments de langage destinés aux écologistes.

Le relèvement du seuil de l’écotaxe de 3,5 à 12 tonnes nous inspire beaucoup de réticences. À recettes constantes, il obligerait en effet certains à payer plus, pour compenser les exonérations. Il aurait un impact important, car les véhicules de 3,5 à 12 tonnes représentent 18% du parc. Enfin, il se heurterait à des incompatibilités européennes, que je laisse à Mme Berthelot le soin de vous présenter.

Mme Florence Berthelot, déléguée générale adjointe de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR). Il existe trois versions de la directive Eurovignette. La première remonte à 1999. La deuxième date de 2006 – le dispositif de l’écotaxe s’est fait dans ce cadre. Quant à la troisième, prévue pour entrer en vigueur au plus tard le 13 octobre 2013, elle a été adoptée en 2011, malgré notre opposition.

Cette directive ne prévoit pas une obligation d’instaurer une tarification des infrastructures ; elle se limite à préciser que celle-ci doit s’exercer dans des conditions uniformes au sein des États membres. Une réflexion est d’ailleurs en cours à Bruxelles, visant à rendre obligatoire la tarification des infrastructures dans tous les États, voire son extension aux véhicules particuliers.

La troisième version de la directive est plus contraignante que la première : un État ne pourra placer la limite à 12 tonnes que s’il démontre à la Commission européenne qu’un seuil inférieur aurait des incidences négatives importantes sur la fluidité du trafic, l’environnement, le niveau de bruit, la congestion, la santé ou la sécurité routière. Le passage d’un seuil à l’autre doit donc être motivé et faire l’objet d’une notification à la Commission.

La directive traite également de la taxe à l’essieu et des redevances d’infrastructures. Dans sa première partie, elle interdit formellement aux États toute exonération de taxe à l’essieu, même s’ils instaurent un nouveau système de tarification des infrastructures. En France, cette taxe est fixée au plancher européen. Nous souhaiterions que la future directive permette aux États de la supprimer.

Enfin, en vertu du principe essentiel d’égalité de traitement entre les nationaux et les non-ressortissants, les textes européens ne permettent pas de taxer les étrangers en exonérant les Français. C’est à tort qu’on donne à la tarification des infrastructures en vigueur en Belgique le nom d’Eurovignette. Il s’agit en fait d’une vignette payable à la journée, au mois ou à l’année, ce qui permet aux nationaux de payer annuellement alors que les autres paient à l’usage. À terme, ce système semble condamné par l’Union européenne. Bien qu’il soit simple et peu coûteux en termes de collecte, il n’est pas possible de l’instaurer en France en raison de l’existence des péages. En effet, la directive Eurovignette interdit de faire payer deux fois sur un même tronçon de route.

M. Nicolas Paulissen. Le relèvement du seuil induirait des effets d’aubaine, qui existeront d’ailleurs déjà, mais de façon marginale, avec un seuil à 3,5 tonnes. Le relèvement à douze tonnes accuserait l’effet d’aubaine : les véhicules compris entre 7,5 et 12 tonnes bénéficieraient à la fois de la ristourne gazole, accordée aux véhicules de plus de 7,5 tonnes par la directive Énergie de 2003, et de l’exonération de l’écotaxe accordée aux moins de 12 tonnes.

S’il ne nous appartient pas de choisir la forme de la fiscalité ou son orientation, il est essentiel que toute mesure fiscale supplémentaire s’effectue à prélèvement constant. On doit mettre un terme à l’augmentation de la fiscalité. Si une nouvelle taxe est mise en place, nous devons pouvoir la répercuter sur nos prix de vente.

Notre secteur est en surcapacité structurelle, car il doit pouvoir répondre à la demande en cas de pic. C’est toujours le cas dans le transport, mais, alors que l’aérien est constitué en oligopole et le rail en monopole, le secteur routier comporte des centaines d’entreprises, ce qui induit une tension très forte, aggravée par la concurrence étrangère. Nos marges étant très faibles – de l’ordre de 1% –, nos entreprises sont sensibles à la moindre variation de coût. Le secteur ne pourrait pas supporter l’écotaxe sans un mécanisme de majoration forfaitaire.

Celui-ci ne constituerait pas, cependant, une solution miracle. Nos entreprises subiront probablement des pressions de la part de leurs clients, qui voudront récupérer en haut de facture ce qu’ils perdent en bas. Reste qu’une majoration forfaitaire serait l’outil le plus efficace pour aider les PME à passer le cap.

Enfin, nous sommes favorables à une marche à blanc nationale et opposés à une expérimentation limitée à l’Alsace. Il n’y a aucune raison que cette région paie avant les autres. L’écotaxe est déjà suffisamment complexe. N’en rajoutons pas ! D’autant que le système impliquerait les autres régions, puisque les transporteurs qui travaillent avec l’Allemagne traversent nécessairement l’Alsace.

M. Marc Le Fur. Merci à M. Paulissen d’avoir tordu le cou à certaines idées, comme celle d’un relèvement du seuil de l’écotaxe de 3,5 à 12 tonnes, et à Mme Berthelot d’avoir rappelé que la directive européenne n’oblige nullement à passer à un nouveau système, mais fixe les règles à respecter si tel était le cas. Il était important que vous affirmiez votre opposition à l’écotaxe, car le ministre des transports a parfois argué d’un prétendu accord de votre part pour défendre son application.

Je comprends la difficulté d’établir un comparatif des fiscalités européennes, mais ce serait pour nous un élément très précieux. J’aimerais aussi connaître la part prise par le transport et la logistique dans le coût final d’un bien. Le chiffre global de 10 % avancé par le ministre n’est pas pertinent, car il faut raisonner par catégorie. Pour les biens pondéreux, le coût du transport et de la logistique peut être considérable, alors qu’il est négligeable, voire nul pour certains biens très onéreux.

Nous pensons tous qu’il nous faut moins dépenser d’énergie dans le transport, mais reste à savoir comment. Les 44 tonnes permettent de transporter beaucoup plus de matière sans consommer beaucoup plus d’énergie. Il faut trouver le moyen d’économiser celle-ci sans recourir à un système fiscal contraignant. Dans ma circonscription, par exemple, un transporteur avait demandé à ses chauffeurs de rouler à 10 kilomètres heure en dessous de la limite. Le transport durait plus longtemps, mais l’économie d’énergie ainsi réalisée compensait largement le recours aux heures supplémentaires qui, à l’époque, étaient moins taxées qu’aujourd’hui. C’était une solution intelligente.

À partir de combien de kilomètres considérez-vous qu’une alternative au transport routier est envisageable ? La fourchette de 300 à 400 kilomètres, qu’on avance parfois, vous semble-t-elle exacte ?

M. Gilles Savary. Il faut dissocier le débat sur la compétitivité du pavillon français et la question de l’écotaxe. Abstraction faite des charges sur les entreprises ou du coût du travail, notre pays est un de ceux dont le dispositif de taxation sur le réseau est le plus limité, du fait de la longueur de son réseau non autoroutier. Le coût élevé d’Écomouv’, rapporté à son rendement, tient à ce que notre taxation, contrairement à la Toll Tax allemande, ne concerne pas les autoroutes. Le rôle de l’écotaxe n’étant pas de financer un gestionnaire de péage, il n’y a pas lieu de réduire le périmètre taxé, ce qui ne ferait qu’augmenter le coût de gestion du dispositif au kilomètre.

Remonter le seuil d’application du dispositif à 12 tonnes peut sembler sympathique, mais cela créerait un effet de seuil entraînant l’intrusion de la concurrence étrangère et une forte dérégulation des petits et moyens transporteurs. Je n’y suis donc pas favorable.

Le raisonnement de M. Le Fur sur les 44 tonnes ouvre la voie aux Mega Liners, probablement moins consommateurs d’énergie par kilo transporté, mais hélas extrêmement destructeurs pour la chaussée ! Méfions-nous du gigantisme auquel nous pousse le lobby suédois, d’autant que nous ne disposons pas du réseau américain. En outre, si j’ai bonne mémoire, les 44 tonnes ont été exonérés d’un essieu pour le calcul de la taxe à l’essieu !

Par ailleurs, dans un pays de transit comme le nôtre, il est impossible d’établir une discrimination en fonction de la nationalité. C’est une solution à écarter.

La question de l’écotaxe doit être posée dans le cadre du financement des infrastructures de transport. Notre absence de compétitivité – je souligne à cet égard que le salaire horaire d’un travailleur polonais représente 19 % de celui d’un travailleur français – est un autre problème qu’il faut traiter de manière indépendante.

On est actuellement en train de découvrir que l’ancien dispositif de l’écotaxe n’était pas si mal. Si 80 % des transports s’effectuent dans les régions, pourquoi exonérer un transporteur breton qui effectue quotidiennement quatre-vingts kilomètres à l’intérieur de la Bretagne, et non un transporteur auvergnat qui parcourt la même distance en Auvergne ? Il y a là un problème d’égalité entre les Français et à l’intérieur des régions ! Rien n’est jamais gratuit, in fine c’est toujours le contribuable qui paie.

Enfin, comment financer les infrastructures ? Peut-on imaginer un dispositif s’adressant directement aux chargeurs ?

M. François-Michel Lambert. Après m’être étonné, au début de l’audition, des arguments développés par les délégués de la FNTR, je me réjouis que nous soyons entrés dans une logique de coopération. Nul ne peut nier que les camions défoncent la chaussée et que l’entretien des voies est payé par le contribuable. La fiscalité écologique ne fait qu’appliquer le principe pollueur-payeur ou « défonceur de route-payeur », qui impose à celui qui détruit la chaussée de prendre en charge, même partiellement, sa rénovation. De même, les trains de fret paient plus chers quand ils sont plus lourds et endommagent les rails ou le ballast.

Je veux par ailleurs souligner que le transport n’est pas une activité en soi ; c’est un support de services qui participe à la performance économique. C’est pourquoi Gilles Savary a introduit dans notre législation la notion de « schéma national logistique », qui nous impose enfin de réfléchir à l’organisation fonctionnelle du territoire autour de l’activité économique. Il faut notamment reposer la question des origines et des destinations. Pourquoi transporte-t-on ? Peut-on le faire mieux ? Comment améliorer la performance ?

Il y a un an, dans cette même salle Lamartine, des experts ont signalé que le coût logistique acquitté par la France s’élevait à 200 milliards par an. Ils ont identifié une marge de progression de la performance de 10 % à 30 %, représentant une économie potentielle de 20 à 60 milliards.

Il faut penser la question de l’écotaxe dans une vision globale centrée sur l’idée de schéma national logistique, sur l’idée de redevance ou sur la prise en compte de l’impact du trafic des poids lourds sur la chaussée. Il faut aussi poser le problème en termes de niveau de pollution et d’aide à la conversion vers la norme Euro 6, comme cela se pratique en Allemagne ou en Suisse. Par ailleurs, les régions doivent être responsabilisées. Si la Bretagne est exonérée, elle prendra encore du retard au lieu de se réorganiser afin d’être plus performante.

À quelle date collectera-t-on le premier euro de la redevance poids lourds ? Quelle est la position de la FNTR sur l’exonération de l’écotaxe dont bénéficient les poids lourds du service public ? Dès lors que ceux-ci transportent des marchandises, par exemple des ordures, ne devraient-ils pas acquitter les mêmes taxes que les camions privés ?

M. Jean-Pierre Gorges. Pour faire avancer la réflexion, il faut avoir en tête le coût du transport. Le passage d’un trente-huit tonnes sur une route équivaut à celui de 1,2 million de voitures légères. La FNTR ne veut pas d’une fiscalité supplémentaire et réclame des outils afin de répercuter le montant de la taxe sur le produit. En somme, les barrières installées sur les routes ne serviraient à rien ; ce sont les produits qu’il faudrait taxer !

Par ailleurs, au lieu de faire rouler des camions sur les routes, il vaudrait mieux revoir notre système pour rapprocher les usines de transformation du lieu de production de la matière première. Qu’en pensez-vous ? La fiscalité doit inciter à choisir le bon mode de transport ou, mieux encore, le non-transport.

M. Nicolas Paulissen. La grande erreur du Grenelle de l’environnement a été d’exclure le transport routier du développement durable, sans prendre en compte nos marges de progression. La démarche « Objectif CO2 : les transporteurs s’engagent » permet de réduire le volume d’émission de 700 000 tonnes par an.

Il faut appréhender notre secteur sous l’angle de l’économie au lieu de le voir sous les seuls prismes des infrastructures et du développement durable. Dès lors qu’elles disposeront des marges nécessaires, les entreprises de transport routier investiront dans le développement durable.

C’est bien pour échapper à la logique du principe pollueur-payeur que nous avons fait introduire, dans la loi Grenelle I, le principe d’une répercussion de la taxation sur le bénéficiaire du transport de la marchandise, ce qui ouvre la voie vers une taxe sur les marchandises.

Nous croyons beaucoup à la R&D, car, bien que favorables à la complémentarité des modes, nous ne pensons pas qu’il faille présenter les autoroutes ferroviaires ou maritimes comme la solution miracle qui permettra de supprimer les camions sur les routes. Des aides pourraient ainsi permettre à nos entreprises de s’équiper, pour la distribution urbaine, de véhicules à motorisation hybride. Dans dix ou quinze ans, le gaz naturel nous aidera à réduire les émissions de CO2. À l’échelon européen, les normes EURO ont permis de grands progrès. Depuis vingt ans, la performance énergétique des véhicules s’est considérablement développée.

En tant qu’administrateurs du Comité national routier, nous demanderons à celui-ci s’il est possible d’établir une comparaison entre les systèmes européens. L’excellent service d’études du ministère des transports peut aussi être sollicité.

Nous ne disposons que d’une moyenne – 3 % à 5% – pour évaluer le coût du transport et de la logistique dans le prix d’un produit. Les principales filières pourraient réaliser des études plus précises, en fonction du type et de la nature des produits. J’insiste sur le fait que l’écotaxe est pour nous une charge considérable, car elle entre directement dans nos coûts, alors que nos clients, par exemple les agriculteurs, la répercutent sur leurs prix.

L’obligation du sixième essieu pour les 44 tonnes était une très mauvaise idée. C’est en découvrant le cadeau fait aux agriculteurs par ses prédécesseurs, que le Gouvernement avait ajouté ce dispositif, en catastrophe, pour protéger les routes. Nous sommes une victime collatérale de ce dossier, puisqu’il a fallu deux ans de travaux pour éviter la naissance d’un véhicule atypique en Europe – on ne le trouve qu’en Angleterre –, et dont la productivité aurait été catastrophique.

Certains d’entre vous ont rappelé à l’envi que les camions endommagent les routes, mais ceux-ci jouent un rôle d’intérêt général : ils transportent 99% de nos besoins quotidiens. Les Français en sont conscients, comme le montrent toutes les enquêtes d’opinion. On ne peut oublier ce rôle social, dont nous sommes particulièrement fiers.

M. François-Michel Lambert. À quelle date collectera-t-on le premier euro de l’écotaxe ?

M. Nicolas Paulissen. Si vous réaménagez l’écotaxe, il faudra prévoir des délais suffisants pour que les entreprises puissent s’y préparer !

Mme Florence Berthelot. Le projet a connu trois reports et une suspension. Au cas où il s’appliquerait – je reste prudente –, il faudrait laisser du temps aux entreprises. Il leur avait fallu au moins quatre à six mois pour se préparer au précédent projet.

Monsieur le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Réunion du mercredi 8 janvier 2014 à 10 heures

Présents. - Mme Sylviane Alaux, M. Thierry Benoit, M. Philippe Bies, M. Florent Boudié, M. Xavier Breton, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Alain Claeys, Mme Françoise Dubois, M. Philippe Duron, Mme Sophie Errante, M. Olivier Faure, M. Jean-Pierre Gorges, M. Jean Grellier, M. Michel Heinrich, Mme Joëlle Huillier, M. François-Michel Lambert, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Viviane Le Dissez, M. Marc Le Fur, M. Jean-Pierre Le Roch, M. Gilles Lurton, M. Bertrand Pancher, M. Hervé Pellois, Mme Eva Sas, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, M. Éric Straumann

Excusés. - Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Richard Ferrand, M. Joël Giraud

Assistaient également à la réunion. - Mme Geneviève Gaillard, Mme Colette Langlade, M. Philippe Noguès, M. Gilbert Sauvan