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Mercredi 22 janvier 2014

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 8

Présidence M. Jean-Paul Chanteguet, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Claudy Lebreton, président de l’Assemblée des Départements de France (ADF)

Mission d’information
sur l’écotaxe poids lourds

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Nous recevons ce matin M. Claudy Lebreton, président de l’Assemblée des départements de France, l’ADF. Il est accompagné de collaborateurs techniques en charge du dossier au sein de cette organisation. Président du conseil général des Côtes d’Armor depuis 1997, M. Lebreton nous dira sans doute quelles sont, encore à ce jour, les remontées de terrain dont il dispose sur l’écotaxe. Il est certain qu’au sein même de l’ADF ce sujet a été débattu. Il fait sans doute toujours l’objet de vos interrogations et de vos préoccupations.

Nous avons tenu à vous entendre, monsieur le président, car les départements sont une des parties prenantes de ce dossier. En effet, une part du réseau routier départemental est inscrite dans le réseau taxable à l’écotaxe. Il s’agit de 5 000 km, c’est-à-dire d’une petite partie des routes départementales. Sur ce point, nous avons plusieurs questions. Comment s’est effectué le choix d’inscrire ou de ne pas inscrire telle ou telle fraction d’une route départementale ? Les départements ont-ils eu un réel pouvoir de décision sur cette question ? L’État a-t-il suivi à la lettre leurs souhaits au terme de la consultation qui est intervenue ?

Beaucoup de nos interlocuteurs et nos collègues ici présents ont relevé certaines incohérences dans les choix retenus. Un sentiment d’arbitraire, voire d’injustice, a pu naître de cette situation dans certaines parties du territoire.

Pourriez-vous, le cas échéant, illustrer de mémoire des situations qui auraient donné lieu à de vifs débats pour savoir s’il convenait de retenir telle ou telle fraction de route ? Selon vous, la méthode de consultation retenue était-elle la bonne ? Dans l’absolu, vous paraîtrait-il même réaliste d’intégrer davantage de routes départementales et pourquoi pas leur quasi-totalité dans le réseau taxable, à condition de baisser significativement les taux de l’écotaxe ?

Vous comprendrez, monsieur le président, que notre mission cherche à comprendre les causes de ce qui reste à ce jour un échec. En aucune façon, nous n’avons l’intention de faire un procès ou de culpabiliser les départements. Au contraire, nous comptons sur votre aide pour nous donner d’éventuelles pistes de sortie de crise. Certains points doivent pouvoir faire l’objet de simplifications ou d’aménagement. Nous allons donc vous écouter au titre d’un exposé liminaire de dix à douze minutes. Puis les membres de la mission vous poseront différentes questions.

M. Claudy Lebreton, président de l’Assemblée des départements de France (ADF). Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de m’avoir convié à cette audition au titre de l’Assemblée des départements de France. Comme vous avez pu le remarquer, je ne suis pas venu coiffé d’un bonnet rouge, ce qui est un signe positif s’agissant du président du conseil général des Côtes-d’Armor !

Au cours des travaux des Grenelle 1 et 2, les départements ont adhéré à la quasi-unanimité à cette idée d’écotaxe. Nous avons à gérer 380 000 kilomètres de routes départementales, avec un trafic très variable d’un département à l’autre comme à l’intérieur de chaque département. Entre 2004 et 2007, en application de la loi de décentralisation portée par M. Jean-Pierre Raffarin, le Premier ministre de l’époque, plus de 12 000 kilomètres des 30 000 kilomètres du réseau routier national ont été transférés aux départements.

Notre réseau routier départemental mobilise des moyens financiers conséquents. Ainsi, avant 2008 et la crise financière, ceux-ci atteignaient près de 4,5 milliards d’euros, sur les 17 milliards consacrés par les départements aux investissements, pour l’entretien du réseau départemental et les grandes infrastructures – je vise plus particulièrement les travaux neufs pour la mise à 2x2 voies ou l’aménagement de rocades autour des agglomérations. Les départements ont donc été très sensibles aux débats des Grenelle, dans la mesure où ils espéraient un retour financier sur leur propre investissement, lequel n’était accompagné jusqu’alors, directement ou indirectement, que par la dotation de fonctionnement qui leur était attribuée.

J’ajoute qu’entre 2008 et 2011, dans l’ensemble des départements de France, les investissements routiers ont diminué de 22 %, pour s’établir aujourd’hui à 3,2 milliards d’euros. Et cette baisse drastique a affecté davantage les investissements en travaux neufs que les investissements d’entretien.

Enfin, depuis de nombreuses années, dans le cadre des contrats de projets État-région successifs, les départements participent à l’amélioration du réseau routier national. Il avait pourtant été prévu, dans les lois de décentralisation, que l’État financerait son propre réseau à 100 %, tandis que les départements se préoccuperaient du leur. Mais il n’en a rien été. Quels que soient les gouvernements qui se sont succédé depuis, les intercommunalités, les départements, et même les régions sont fréquemment sollicités.

Ainsi les départements ont-ils adhéré au principe de l’écotaxe qui leur assurerait, en retour, des subsides, au moins pour financer les grandes infrastructures. Nous savons que sur le produit attendu de l’écotaxe, à savoir 1,24 milliard d’euros en 2014, 138 millions d’euros, soit 11 %, auraient été transférés aux budgets départementaux. À l’origine, aucune participation financière directe n’était prévue pour les départements. C’est un amendement soutenu par des parlementaires « bienveillants » à la demande de l’ADF, et auquel le Gouvernement s’est montré favorable, qui a prévu de distraire une partie de l’écotaxe au bénéfice des départements. Au regard du nombre de départements, la somme est d’ailleurs modeste – je précise que 62 départements sont concernés par la taxe poids lourds.

Monsieur le président, vous m’avez interrogé sur le déroulement des négociations entre le ministère – M. Borloo à l’époque – et l’ADF – représentée notamment par M. Yves Krattinger, sénateur et président du conseil général de Haute-Saône. Nous avions proposé que 9 000 kilomètres de routes départementales soient soumis à l’écotaxe alors que l’État, dans un premier temps, s’était fixé un objectif de 2 000 kilomètres. Et nous sommes parvenus à un compromis : 5 400 kilomètres. La volonté de progresser pour définir les axes départementaux éligibles à la mise en œuvre de cette taxe poids lourds était en effet partagée. Une des raisons de notre adhésion était qu’en vertu d’une clause de revoyure, un nouveau décret pourrait aller un peu plus loin, après évaluation : on vérifierait si les axes qui avaient été retenus au moment de la discussion avec le Gouvernement remplissaient bien les conditions fixées et si d’autres, qui ne l’avaient pas été, pourraient être rendus éligibles. À ce propos, si ma mémoire est bonne, en Bretagne, le réseau départemental n’est pas du tout concerné.

J’observe qu’au niveau local, la discussion s’est déroulée de façon très diverse. Parfois c’est le préfet de région qui a conduit la négociation avec les départements du territoire régional, mais dans d’autres cas la négociation a été menée au niveau du préfet de département. Quant aux propositions faites par les présidents de conseil général et leur assemblée, elles ont parfois été entendues, parfois pas du tout.

Un partenariat existe aujourd’hui entre l’Assemblée des départements de France et la Fédération nationale des travaux publics, qui s’intéresse bien évidemment aux donneurs d’ordre que sont les départements. De nombreuses entreprises de ce secteur font en effet 50 % de leur chiffre d’affaires avec les collectivités territoriales, et donc avec les départements, notamment sur le réseau routier.

Pour terminer, je tiens à dire que les collectivités territoriales ont exprimé leur mécontentement lorsque le Gouvernement a mis en place la mission dirigée par M. Philippe Duron, composée d’inspecteurs de l’administration et des finances et de représentants du Parlement. Une délégation de l’ADF, à laquelle participaient M. Krattinger et M. Bussereau, a alors exprimé vertement sa réprobation à M. Cuvillier. En effet, nous ne comprenions pas que les financeurs des grandes infrastructures, qui sont à plus de 50 % des collectivités territoriales, ne soient pas représentés dans cette mission. Nous avons ensuite été entendus et invités à plusieurs reprises, mais c’était là un véritable manque de considération, alors même qu’une grande partie de l’écotaxe devait alimenter l’Agence de financement des infrastructures de transport en France (AFITF).

Je suis maintenant prêt à répondre aux interrogations des uns et des autres. J’ai remarqué que de nombreux parlementaires bretons, de toutes sensibilités, participaient à cette Mission d’information sur l’écotaxe, et j’imagine qu’ils portent un grand intérêt au sujet. Par ailleurs, je sais que cette audition est publique et doit être très suivie par certains journaux. Je précise donc que je parle ici comme président de l’Assemblée des départements de France. Pour autant, si vous me le demandez, je vous donnerai le point de vue du président du conseil général des Côtes d’Armor…

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. C’est en effet le président de l’Assemblée des départements de France que nous avons invité.

M. Thierry Benoit. Vous avez bien fait d’indiquer, monsieur le président Lebreton, que vous êtes malgré tout issu de la région Bretagne, où ce sujet a fait débat. D’où ma première question : comment avez-vous vécu, à la fois en tant que président de département et comme acteur politique d’une région, ce mouvement d’hostilité à l’égard de la mise en œuvre de l’écotaxe ? Je rappelle qu’à l’origine, le consensus était total, au Parlement, dans l’opinion publique et au sein des médias.

Ma deuxième question portera sur tout ce qui concerne les allégements, les exonérations, la spécificité des territoires, la péninsularité, la périphéricité, etc. Quelle est votre approche ? Que répondez-vous à ceux qui mettent en avant, non pas la spécificité des territoires, mais celle de certaines filières industrielles ? Que répondez-vous au président Chanteguet sur l’éventualité de l’élargissement de l’assiette de la taxe, qui permettrait de limiter l’impact de celle-ci ? Avez-vous imaginé une recette nouvelle qui permettrait de financer les infrastructures en général, et le réseau départemental en particulier ? J’observe enfin que, dans certains départements comme le mien, il n’y a pas d’alternatives – fluviale, maritime ou ferroviaire – au réseau routier, alors même que c’était pour financer de telles alternatives que M. Borloo avait imaginé l’écotaxe et soutenu le principe du Grenelle 1 puis du Grenelle 2.

M. Gilles Savary. L’écotaxe est une taxe kilométrique dont le poids est exactement proportionnel à l’usage de l’infrastructure. Elle sera due par tous les usagers concernés, y compris par les étrangers qui traversent notre pays et qui, jusqu’à présent, s’exonèrent de toute contribution à l’infrastructure nationale ; or la France est un pays « carrefour ». Enfin, son impact sur la concurrence sera à peu près neutre, puisque la plupart des grands pays, dont l’Allemagne, notre plus grand concurrent économique, ont mis en place une taxe équivalente. Mais bien sûr, d’autres formules existent.

J’en viens à ma première question. Devant les réticences de certaines régions, certains se sont demandé s’il ne serait pas judicieux de régionaliser l’écotaxe, solution conforme aux principes de responsabilité et d’autodétermination fiscale. Les régions qui ne voudraient pas « écotaxer » n’« écotaxeraient » pas ; seulement, elles auraient moins de ressources pour financer les infrastructures. Le problème est que si l’on régionalise l’écotaxe, les départements demanderont qu’on la départementalise, ce qui serait extrêmement complexe ! Que penseriez-vous d’une régionalisation d’une partie importante de l’écotaxe ? Chacun assumerait ses responsabilités dans une fourchette établie par le législateur.

Ma seconde question est la suivante : les Bretons ont-ils conscience que si l’on ne règle pas par l’écotaxe l’important problème de financement des infrastructures, il faudra trouver autre chose ? Par exemple, nous avons voté, en loi de finances 2014, le principe de la taxe carbone, avec ristourne pour les transporteurs routiers, et il suffirait de lever cette ristourne pour avoir une recette. Si nous avons renoncé à appliquer la taxe carbone aux transporteurs routiers c’est parce que nous lui avons préféré une taxe kilométrique, plus juste et concernant aussi les étrangers. Reste que nous avons les moyens de contourner les difficultés budgétaires que nous rencontrons au plan national, en particulier pour financer l’AFITF et les contrats de plan État-région. J’observe que l’aménagement du réseau routier était sorti du périmètre des contrats de plan. Maintenant qu’il en fait à nouveau partie, il serait malheureux de ne pas pouvoir le financer !

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Le montant de la « ristourne gasoil » pour les transporteurs est aujourd’hui de l’ordre de 381 millions d’euros. Avec la mise en place de la fiscalité carbone et d’une base carbone sur la fiscalité des énergies fossiles, à l’horizon 2016, le montant de la ristourne sera de 780 millions d’euros. En effet, le prix de la tonne de carbone devrait passer de 7 euros à 21 ou 22 euros.

M. Thomas Thévenoud. M. Savary a parlé de la France comme d’un « pays carrefour ». Je vous parlerai quant à moi d’un « département carrefour », la Saône-et-Loire, qui est sillonné par plusieurs autoroutes et par la route Centre-Europe-Atlantique (RCEA), une des plus dangereuses du pays, qui traverse toute la France d’Est en Ouest et où circulent des poids lourds de toute l’Europe. Cette route est doublée par la voie ferrée Centre-Europe-Atlantique (VFCEA), qui attend désespérément des investissements et des travaux d’électrification entre Nevers et Chagny, dernier tronçon manquant qui permettrait de relier le port de Nantes avec les infrastructures ferroviaires d’Allemagne. Donc, oui, nous avons besoin d’une taxe sur les poids lourds !

Nos amis parlementaires bretons voient une injustice dans la péninsularité de la Bretagne, mais il y a aussi une injustice dans le fait que certains départements sont traversés par des poids lourds étrangers qui ne contribuent jamais à l’entretien des infrastructures routières. D’où l’importance de l’écotaxe pour ces départements en général, et pour le mien en particulier. En Saône-et-Loire, cette taxe devait rapporter 2,5 millions d’euros, soit un peu moins de 10 % du budget d’investissement routier. Je rappelle que le département a récupéré la RN 6 qui double l’autoroute – ce n’est pas rien !

Monsieur le président, vous aviez proposé à l’État que 9 000 km de routes départementales soient éligibles à l’écotaxe. Sur quels critères ? Autrement dit, pourrions-nous, dans le cadre de cette mission d’information, reprendre ces critères et relancer l’idée d’une assiette plus large pour rendre cette taxe plus acceptable ?

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Nous sommes confrontés à un vrai problème lié à la mise en place de la majoration forfaitaire. Aujourd’hui, des transporteurs routiers pour compte d’autrui peuvent emprunter un réseau non taxé et soumettre les chargeurs à la majoration forfaitaire. En effet, celle-ci s’applique que le réseau soit taxé ou pas. Je rappelle que si tel est le cas c’est parce que le précédent système était totalement inapplicable. Reste que le dispositif n’est toujours pas satisfaisant. Voilà pourquoi nous sommes un certain nombre, parmi lesquels M. Savary, à réfléchir à un élargissement du réseau taxé. Est-ce envisageable, sachant qu’un tel élargissement devrait s’accompagner de la baisse des taux de l’écotaxe ? C’est une question importante.

M. Jean-Pierre Gorges. M. Savary a posé les vraies questions. Tout le monde était d’accord pour la mise en place de l’écotaxe. Je pense pour ma part que l’on fait une confusion entre l’utilisateur payeur et le pollueur payeur. Ce sont deux notions différentes qu’on ne peut pas prendre en compte en même temps. Imaginez que demain des camions électriques circulent. Ils paieraient l’écotaxe alors qu’en fait, ils ne polluent pas ? D’ailleurs, les problèmes que l’on rencontre en Bretagne s’expliquent en partie par cette confusion, entre des 2x2 voies gratuites et des systèmes autoroutiers, et un risque de report de trafic des uns vers les autres. Comme le disait M. Savary tout à l’heure, pour faire payer les pollueurs, il suffirait d’activer la taxe carbone.

Je ne vous cache pas mon inquiétude car le temps passe, le compteur tourne et, en attendant, les sommes prévues ne rentrent pas dans les caisses de l’État. Nous devons donc trouver une solution sans trop attendre.

En Eure-et-Loir, on discute avec le ministre autour d’une 2x2 voies et d’une concession autoroutière. On va s’orienter vers la concession, système dans lequel la facture est divisée en deux : une moitié pour l’État ; l’autre moitié pour la région et le département. Ensuite, si l’on veut que l’autoroute soit gratuite, la région et le département devront en assumer la responsabilité. Cela me paraît tout à fait raisonnable, et la régionalisation évoquée par M. Savary pourrait être une porte de sortie pour chacun.

Que pensez-vous de la confusion entre le principe utilisateur-payeur – je rappelle que le passage d’un camion de 38 tonnes équivaut à 1,1 million de passages d’une voiture légère – et le principe pollueur-payeur ? On ne peut tout vouloir régler en même temps ! Je m’inquiète par ailleurs des questions liées au diesel, qui sont sous-jacentes et qui conduisent à des clivages politiques forts. Ne pourrait-on pas utiliser rapidement la substitution – qui est en sommeil – pour alimenter les caisses de l’État ? Enfin, en tant que président de l’Assemblée des départements de France, pensez-vous que l’on puisse appliquer le système imaginé sans risquer de déclencher de nouvelles manifestations et de nouveaux défilés de bonnets rouges ?

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Aujourd’hui, trois catégories de poids lourds ont été retenues et, pour chaque catégorie, sept taux différents ont été fixés en fonction de la norme Euro. Il y a donc vingt-et-un taux différents : on tient compte à la fois de l’utilisation – c’est-à-dire de la détérioration – du réseau et de la pollution générée. Ainsi, on applique à la fois le principe « utilisateur payeur » et le principe « pollueur payeur ».

M. Richard Ferrand. Il s’agit de trouver des recettes pour financer des travaux dont personne ne discute la nécessité. Pour autant, la régionalisation – en recettes et en dépenses – de cette taxe serait sujette à caution. En effet, cela signifierait que c’est le niveau de recettes liées à cette taxe qui justifierait les investissements à réaliser. Ce serait un critère singulier. En outre, il se trouve que l’engagement des collectivités dans la création d’infrastructures, qu’elles soient ferroviaires, portuaires ou routières, varie selon les régions et les infrastructures ; de fait, dans de nombreux endroits de France, l’État a beaucoup plus apporté qu’ailleurs. Si l’on devait opérer une péréquation de tout cela, l’exercice serait voué à l’échec.

Par ailleurs, l’écotaxe pèse sur la production, alors qu’on attendrait qu’elle pèse prioritairement sur le transport. C’est ce qui a entraîné l’émotion que l’on sait. La grande distribution ne pourrait-elle pas être mise à contribution ? Comment faudrait-il procéder ?

M. Marc Le Fur. S’agissant des routes départementales, je rappelle, monsieur le président, qu’aucun département breton n’a adopté la solution proposée car vous pressentiez des difficultés objectives, qui s’étaient déjà manifestées dans le monde économique et social.

Par ailleurs, vous vous exprimez certes en tant que président de l’ADF, mais vous êtes aussi président d’un conseil général dans une région confrontée à de graves difficultés économiques qui expliquent la remise en cause de l’écotaxe. Objectivement, les termes du débat ne sont pas du tout les mêmes que ceux qui prévalaient à l’époque où la création de cette taxe était envisagée. Il est de votre devoir de le dire à l’ensemble des députés ici présents.

Il y a deux types de régions : les régions de transit, qui sont traversées par les camions, et les régions d’aboutissement comme la Bretagne. Par définition, dans une péninsule, on ne passe pas : on y va ou on en vient. En Bretagne, les produits transportés par les poids lourds sont destinés à la Bretagne ou viennent de Bretagne, et ils impactent donc directement l’économie. Les régions de transit sont favorables à l’écotaxe qui pèse sur ceux qui empruntent leurs routes, c’est-à-dire les autres. Bien sûr, il y a quelques situations singulières, comme celle de l’Alsace qui subit le passage des camions allemands. Reste que la question se pose de façon très différente dans les régions dont l’économie locale risque d’être directement impactée par cette taxe.

Je voudrais rebondir sur l’idée de M. Richard Ferrand de faire payer la grande distribution. N’oublions pas que celle-ci va engranger 2,5 milliards d’euros au titre du CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, initialement destiné à soutenir l’industrie, l’agriculture et l’agroalimentaire. Ne pourrait-on pas orienter une petite partie de cette somme considérable vers le financement de l’aménagement de nos axes routiers ?

Je suis enfin tout à fait d’accord avec M. Jean-Pierre Gorges : nous sommes en pleine confusion ! Fait-on payer l’usager des routes, auquel cas une répercussion n’est pas nécessaire. Ou est-on sur une autre logique ? On est entre les deux, d’où la complication. Voilà pourquoi cet impôt, non seulement n’est pas bien toléré, mais est absolument incompréhensible.

M. Claudy Lebreton. Que les parlementaires bretons se rassurent. Comme je l’ai déjà dit, si le président du conseil général des Côtes d’Armor, par ailleurs président de l’ADF, est interrogé, il pourra s’appuyer sur cet exemple. Je me doutais bien que la question serait abordée…

Avant la fin de vos travaux, M. Yves Krattinger, qui est notre expert, fera un rapport à l’ADF sur l’état des négociations et les propositions que nous serons amenés à porter. Ce rapport vous sera transmis.

Je commencerai par trois observations. Premièrement, nous sommes tous conscients, à l’ADF, de l’extrême hétérogénéité des départements de France. On n’aborde pas de la même façon la question de l’écotaxe quand on est en Lozère, qui est le plus petit département, avec 100 000 habitants, ou dans le département du Nord qui en compte 2,5 millions, ou encore dans les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis ou les Yvelines en Île-de-France, qui sont aussi concernés. Vous pouvez d’ailleurs imaginer ce que sont les débats avec nos 101 présidents de conseils généraux ! Pour autant, comme je l’ai dit tout à l’heure, une très forte majorité s’était prononcée favorablement au principe de l’écotaxe. Il s’agissait d’ailleurs plus de faire payer l’entretien du réseau à ceux qui l’utilisent à des fins économiques que de taxer les pollueurs.

Deuxièmement, lorsque l’on a supprimé la taxe professionnelle, impôt dynamique qui rapportait beaucoup d’argent aux collectivités, soit 30 milliards sur les 60 milliards d’euros de la fiscalité locale, les chefs d’entreprise se sont déclarés satisfaits. Très vite, j’ai mis en garde les représentants des deux grandes fédérations, celle des travaux publics, et celle du bâtiment et du logement, en leur disant qu’ils allaient en payer le prix. Aujourd’hui, ils ont en effet déchanté, d’autant plus que les donneurs d’ordre que nous sommes sont moins allants en raison du contexte économique et social. Si j’évoque cette question c’est parce que j’aurai l’occasion de parler ultérieurement de la deuxième partie de la loi de décentralisation à venir et de l’éventualité d’une réforme de la fiscalité, donc de celle de la fiscalité locale, où il sera possible d’aborder la question des impôts et des taxes.

Troisièmement, dans son principe, le recours à l’écotaxe ne peut relever que de la responsabilité du Gouvernement ou du Parlement. Rien n’empêche, ensuite, d’étudier s’il ne conviendrait pas d’en transférer la gestion – compétence et taxation – aux collectivités territoriales, dans l’esprit de la décentralisation. Mais dans un premier temps, il est déterminant que le Parlement fixe le cap et définisse une stratégie avec le Gouvernement. J’observe que si le principe est que tout véhicule poids lourds doit payer la TPL à partir du moment où il emprunte les routes « éligibles », on n’a pas à se préoccuper de la distance parcourue, ni du fait qu’il roule pour le compte d’un transporteur régional ou d’un transporteur international qui traverse la France. Pour autant, cette façon d’envisager la question n’exclut pas d’éventuelles accommodations. Le Président de la République a en effet émis l’idée de la discussion au Parlement d’un pouvoir réglementaire local d’adaptation. Chiche sur ce dossier, qui peut rejoindre la question de la régionalisation !

Nous avons donc des portes à ouvrir : d’abord, la deuxième partie de la loi de décentralisation ; ensuite, l’éventuelle réforme de la fiscalité locale ; enfin, l’institution, au profit des régions, d’un pouvoir réglementaire local d’adaptation. Mais cela relève de la responsabilité du Gouvernement. Nous donnerons notre point de vue puisque nous participons au dialogue social en tant que partenaires représentant une catégorie de collectivités territoriales. Mais nous ne faisons pas la loi. Chacun son rôle. D’ailleurs, au moment de la décentralisation, les collectivités n’ont jamais revendiqué le pouvoir législatif. Malgré tout, on discute d’un pouvoir réglementaire au niveau régional. Tout en étant à la tête d’un département, j’y ai toujours été favorable. Cela me paraît déterminant.

Pour autant, ne nous leurrons pas. Avec la taxation, c’est toujours le même qui paie, à savoir le citoyen, consommateur et éventuellement contribuable, nonobstant ce qu’en disent les producteurs et les transporteurs. Il y a quelques années, alors que l’on ne parlait pas encore de l’écotaxe, les collectivités ont lancé avec la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) une étude pour connaître la réalité du transport en Bretagne. On s’est alors aperçu que dans 80 % des cas, on transportait un colis d’un poids moyen de 56 kg sur une distance moyenne de 150 km – donc dans les régions de Bretagne, Pays-de-Loire et Basse-Normandie. Comme on l’a dit, la Bretagne n’est pas une région qui se traverse.

Lorsque s’est posée la question de la Bretagne, j’avais aussi mon point de vue d’élu politique local, mais je n’aurais pas pu le défendre si j’avais demandé l’avis de l’ADF. En effet, de nombreux présidents de conseil général m’ont dit que je retardais d’un an le versement d’hypothétiques recettes dont ils avaient bien besoin pour entretenir leurs routes départementales. Beaucoup de départements de l’Est, du Nord, du Sud-Est, du Sud-Ouest, voire de la région parisienne, étaient dans l’attente. Ils espéraient voir augmenter le nombre de kilomètres éligibles et récupérer certaines recettes par l’intermédiaire de l’AFITF, qui finance toutes les infrastructures de transport. Mais attention : pour nous, l’écotaxe est destinée aux infrastructures routières, et nous ne voudrions pas qu’elle soit reportée sur d’autres infrastructures. C’est d’autant plus important que la part destinée aux départements - 138 millions – est déjà bien modeste.

J’en viens aux propos de M. Savary sur la régionalisation de l’écotaxe. L’espace territorial régional est-il le plus pertinent pour aborder cette question ? J’ai en partie répondu avec l’exemple de l’étude faite par la FNTR : effectivement, c’est le niveau régional ou interrégional qui est pertinent. Vous avez d’ailleurs pu observer que certains conseils généraux – je pense à la Vendée et au Maine-et-Loire – n’ont même pas voulu discuter avec le préfet de l’application de l’écotaxe sur leur territoire. Maintenant, cette question peut-elle relever de la décentralisation et de la fiscalité à venir ? Je ne peux pas m’exprimer au nom de l’ADF, car nous n’avons pas suffisamment avancé sur le dossier.

Ensuite, j’ai dit qu’en fin de compte c’était le consommateur qui payait. Cela nous amène à regarder du côté de la grande distribution, secteur d’activité éligible au CICE. Mais la question relève de la taxation des entreprises, et donc de la fiscalité globale.

Monsieur Thévenoud, nous vous donnerons toutes les informations dont nous disposons, à l’ADF, sur la proposition que nous avions faite, et qui consistait à rendre éligibles à l’écotaxe 9 000 km de routes départementales. Quels critères avions-nous retenu ? Le critère du trafic, qui est revenu souvent, est assez simple, mais il n’est pas suffisant. On a en effet constaté dans certains endroits des reports de trafic sur des routes départementales qui étaient d’anciennes routes nationales, à côté de grands sillons autoroutiers.

S’agissant de la gestion de la taxation, j’avoue ne pas comprendre. J’ai monté un cluster sur les systèmes de transport intelligents et je me demande pourquoi on n’a pas trouvé un système plus pertinent et plus efficace que ces portiques. En outre, c’est un tel symbole que ce n’était pas très astucieux. Je ne critique personne, mais nous aurions pu aller sur un autre registre.

Dans le dossier breton, le contexte économique et social du moment a été déterminant. À une époque où la France avait un taux de croissance de 4 % et des rentrées fiscales, la mise en place d’une telle taxe n’aurait pas posé de problème. Et le buzz qui a été fait autour de la fiscalité n’a pas arrangé les choses. Dans les sondages qui viennent de sortir pour les prochaines élections municipales, un Français sur deux répond qu’il se prononcera en fonction de la position des équipes en matière de fiscalité. On a oublié de faire de la pédagogie sur la raison d’être de l’impôt par rapport au service public. Aujourd’hui, dès que vous parlez de fiscalité, tout le monde voit rouge.

Monsieur Le Fur, je ne regrette rien en tant que breton. Je précise que je n’ai jamais plaidé pour la suppression de l’écotaxe ; j’ai toujours souhaité sa suspension. Je pensais que nous pourrions aboutir à un terrain d’entente, d’autant qu’en Bretagne – droite et gauche confondues – nous avions trouvé avec les acteurs économiques des accommodements majeurs, et que les gouvernements – le précédent comme l’actuel – nous avaient prêté un regard bienveillant. On pourra peut-être aborder la question par le biais d’une forme de régionalisation. Se pose alors la question du transfert de compétences à ceux qui portent le patrimoine. Mais comment doter les départements des moyens d’entretenir leur réseau routier ? Aujourd’hui, le foncier bâti ne représente en moyenne que 17 % des recettes des départements – sur un total de 71 milliards d’euros. C’est très peu, même si les départements perçoivent par ailleurs les droits de mutation qui ont été en débat ces dernières semaines. J’observe d’ailleurs qu’à l’initiative, en 1982, les DMTO étaient destinés à l’entretien des collèges ! Les choses évoluent avec le temps, mais la question du financement des infrastructures routières reste pendante. Or, dans de nombreux territoires, le transport routier reste le premier mode de transport – pour 85 %. M. Tardy, qui a été président de la FNTR, m’a dit qu’il faudrait doubler les infrastructures ferroviaires pour permettre un véritable transport de marchandises. Or on ne peut pas dire que la SNCF ait fait preuve d’un grand enthousiasme pour développer ce mode alternatif. En Bretagne, nous avons la chance d’avoir la mer, mais ce n’est pas le cas de tous les territoires de France.

M. Éric Straumann. Monsieur le président, cette mission a été créée en raison des événements qui se sont déroulés en Bretagne. Pensez-vous que cette écotaxe sera un jour acceptable et acceptée par les Bretons ? Sera-t-on obligé de créer un îlot fiscal ?

M. Claudy Lebreton. La Bretagne a été frappée de plein fouet par la mondialisation. L’agroalimentaire étant son industrie dominante, elle pensait être préservée dans la mesure où il faut toujours nourrir la population. Or nous nous sommes retrouvés face à des restructurations industrielles de grande ampleur. Ce qui s’est passé à Rennes, avec Citroën, n’a pas eu les mêmes conséquences sur l’opinion publique. Mais, dans le secteur alimentaire, tous les groupes ont été frappés et des milliers d’emplois ont été supprimés. Cela ne pouvait que secouer la région, alors même que l’application de l’écotaxe était encore à venir. Le contexte était donc propice à une explosion.

L’écotaxe peut-elle être appliquée demain ? L’État français ne peut pas imaginer que certains territoires soient exonérés de taxe nationale. La taxe sera appliquée partout, quitte à opérer une territorialisation – selon les départements, le taux des DMTO peut bien varier entre 3,8 et 4,5 %. C’est un principe de la République, et il ne peut pas en être autrement de l’écotaxe. Quand j’ai parlé tout à l’heure d’accommodements pour la région, c’est à cette philosophie que je me référais.

La Bretagne, conjoncturellement, a été un exemple. Mais si on applique véritablement l’écotaxe, compte tenu du contexte économique, ce qui s’est passé en Bretagne pourrait très bien se passer ailleurs. Je pense, par exemple, à l’est de la France, qui est confronté à des mutations industrielles. Dans le futur proche, il faudra aborder cette question par le biais de la fiscalité, de la décentralisation et du pouvoir de réglementation régionale.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Certes, mais il y a urgence. S’agissant de l’écotaxe, le temps est compté, et je ne suis pas sûr que nous puissions attendre l’examen de certains des textes qui ont été annoncés.

M. Thierry Benoit. Monsieur le président Lebreton, vous représentez une association d’institutions qui représentent elles-mêmes des territoires. Êtes-vous, oui ou non, favorable au maintien d’un dispositif d’allégement ou d’exonération territoriale ?

M. Claudy Lebreton. À l’heure actuelle, je suis mandaté par l’ADF pour dire qu’une grande majorité des départements de France est favorable au principe de l’écotaxe…

M. Thierry Benoit. Avec le maintien d’un système d’aménagement territorial ?

M. Claudy Lebreton. … avec le maintien d’un système d’accommodations.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Monsieur le président, je vous remercie pour votre intervention.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Réunion du mercredi 22 janvier 2014 à 11 h 30

Présents. - Mme Sylviane Alaux, M. François André, Mme Catherine Beaubatie, M. Thierry Benoit, M. Florent Boudié, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, Mme Françoise Dubois, Mme Sophie Errante, M. Richard Ferrand, M. Charles-Ange Ginesy, M. Jean-Pierre Gorges, M. Jean Grellier, Mme Joëlle Huillier, M. Marc Le Fur, M. Gilles Lurton, M. Olivier Marleix, M. Hervé Pellois, M. Gilles Savary, M. Éric Straumann, M. Thomas Thévenoud

Excusés. - M. Xavier Breton, Mme Viviane Le Dissez, M. Bertrand Pancher, M. Jean-Marie Sermier