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Mercredi 29 janvier 2014

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 11

Présidence M. Jean-Paul Chanteguet, Président

– Audition, ouverte à la presse, de l’UNOSTRA : M. Roland Bacou, président national transport de marchandises et Mme Catherine Pons, déléguée générale, vice-présidente

Mission d’information
sur l’écotaxe poids lourds

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Nous accueillons, à présent, les représentants de l’UNOSTRA, l’Union nationale des organisations syndicales des transports routiers automobiles, qui est l’une des grandes organisations représentatives du secteur.

Notre mission d’information est, bien évidemment, à l’écoute des professionnels du transport par route. En tant qu’élus, nous avons tous conscience des difficultés d’un secteur qui compte des milliers d’entreprises réparties sur tout le territoire, parmi lesquelles beaucoup d’entreprises familiales.

La crise économique et la concurrence internationale, trop souvent caractérisée par du dumping social, ont considérablement affecté les marges d’exploitation d’un grand nombre de transporteurs. Les revendications de l’UNOSTRA ne nous étonnent donc pas.

Par exemple, votre organisation réclame la suppression pure et simple de la taxe à l’essieu. Cette taxe a pourtant été ramenée, depuis 2009, à son plus bas taux européen. Dans sa plate-forme de revendications, l’UNOSTRA considère que l’impact des charges fiscales et des règles sociales applicables au secteur constituerait « une exception française ». Je ne me prononcerai pas sur cette affirmation, mais sachez que notre mission entend, sur cette question, examiner de près les éléments comparatifs entre les différents pays européens.

S’agissant de l’éventuelle mise en œuvre de l’écotaxe, nous souhaitons que vous indiquiez très librement quelles sont aujourd’hui les remontées de terrain recueillies par votre organisation. Certains de vos adhérents ont-ils participé à des expérimentations à blanc avec Ecomouv’ et les sociétés habilitées de télépéage (SHT) ? À votre connaissance, quels en sont exactement les résultats ?

Selon vous, le cadre actuel de l’écotaxe est-il réformable et, le cas échéant, quelles pistes d’aménagement proposeriez-vous ? Nous l’avons dit et le répéterons à tous les professionnels du transport déjà rencontrés ou qu’il nous reste à rencontrer : nous sommes ouverts aux propositions.

Quelle est votre position sur le principe même d’une contribution de l’usager, qu’il soit routier français ou étranger, à l’entretien et à l’amélioration de l’infrastructure qu’il emprunte ?

Estimez-vous praticable la mise en œuvre de la répercussion de l’écotaxe sur le donneur d’ordres, c’est-à-dire le chargeur, telle qu’elle a été conçue par les textes ? Votre attachement au principe de la majoration forfaitaire est-il aussi fort que celui exprimé par la FNTR ?

Enfin, considérez-vous, comme d’autres acteurs, que l’écotaxe pose un réel problème de distorsion de concurrence entre le transport pour compte propre et le transport pour compte d’autrui ?

Mme Catherine Pons, déléguée générale et vice-présidente. L’UNOSTRA, représentée par le président Roland Bacou, transporteur en Languedoc-Roussillon, et par moi-même, ancien transporteur en Franche-Comté pendant trente ans, vous remercie de la recevoir aujourd’hui.

Vous avez entendu beaucoup de responsables du transport routier de marchandises, et nous apprécions de pouvoir faire entendre la voix des TPE et PME que l’UNOSTRA représente. Si nous sommes ici pour vous parler de notre vision de l’écotaxe dans les TPE, il ne sera pas facile de la dissocier des doléances et des constats répétés à l’envi dans cette enceinte. Nous allons tenter de vous éclairer sur le véritable problème que cette taxe constitue pour les 28 000 petites entreprises du transport routier de marchandises.

Au préalable, permettez-moi de vous présenter la dynamique de l’UNOSTRA.

L’UNOSTRA est née le 25 octobre 1956, de l’union de dizaines de syndicats régionaux de chefs d’entreprises de transport de marchandises et de voyageurs, qui souhaitaient avoir leur propre représentation dans une fédération de transport. Elle compte des adhérents répartis sur l’ensemble du territoire ainsi qu’à La Réunion et en Martinique.

En 1998, sous la présidence de Jean-Louis Amato, l’UNOSTRA a été membre fondateur de l’UETR (l’Union Européenne des Transporteurs Routiers), dont le siège est à Bruxelles. Représentant aujourd’hui seize pays membres et forte de 200 000 entreprises faisant rouler 430 000 véhicules, elle constitue la deuxième fédération européenne du transport routier de marchandises.

Notre organisation professionnelle a pour principale vocation de défendre et d’accompagner les TPE. L’UNOSTRA est plutôt discrète mais elle agit sur le terrain. Outre le dossier de l’écotaxe qui nous réunit aujourd’hui, nous travaillons sur le plan de compétitivité du transport routier de marchandises avec trois autres fédérations – la FNTR, TLF et la Chambre syndicale du déménagement (CSD). Ce plan est soutenu par Frédéric Cuvillier.

Nous intervenons également, avec l’aide de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), dans le dossier d’expérimentation « Regroupement de TPE en régions », qui consiste à réunir des savoir-faire afin de les concentrer, et d’améliorer et développer la productivité d’une communauté professionnelle régionale – 80 % des membres du conseil d’administration de l’UNOSTRA faisant partie de groupements régionaux ou nationaux, voire de coopératives, leur légitimité à porter ce projet ne saurait être contestée. Le regroupement peut être une solution d’avenir pour les petits patrons qui, face aux contraintes du marché, sont voués à disparaître si rien n’est fait.

L’UNOSTRA participe à d’autres solutions novatrices, notamment dans le domaine du transport durable, avec le « rail-route » qui représente un vrai défi pour une PME française. L’entreprise du président Roland Bacou est membre d’un groupement dont l’un des associés est utilisateur de ce mode de transport. Il pourrait vous en parler, si vous le souhaitez.

Notre organisation suit depuis plusieurs années le feuilleton de l’écotaxe, plus communément appelée taxe poids lourds par les chefs d’entreprise du transport routier, aussi bien français qu’européens. À juste titre, puisque ce sont eux qui devront l’acquitter. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir proposé, à maintes reprises entre 2007 et 2009, des solutions alternatives plus simples. Hélas ! elles n’ont pas été retenues.

Depuis 2012, les transporteurs se sont préparés à l’arrivée de l’écotaxe, à reculons, il faut bien le dire, tant les incertitudes étaient grandes. Outre que les principaux textes réglementaires n’ont été publiés qu’avec retard, en septembre 2013, les SHT se sont montrées incapables de répondre aux demandes des transporteurs, que ce soit pour les commandes de boîtiers ou, plus grave, pour les adhésions à la marche à blanc que certaines d’entre elles ont tout simplement refusée. À cela s’ajoute le refus, annoncé dès le départ, des donneurs d’ordre de se soumettre au dispositif de la majoration forfaitaire pourtant inscrit dans la loi.

L’échec du lancement de l’écotaxe ne doit pas cacher le problème principal que nous avons toujours souligné et sur lequel nous souhaitons revenir aujourd’hui : le rôle de collecteur d’impôt assigné au transporteur, sur lequel repose le dispositif. Là est, depuis le départ, la cause principale du malaise des transporteurs, car le rapport de force avec les chargeurs est tel qu’il ne leur permet pas d’assumer ce rôle.

La réalité des pratiques du secteur est celle-ci que les prix sont imposés par les chargeurs ; même lorsqu’il n’y a pas d’appels d’offres, ils sont en position dominante. Trop souvent, les TPE n’ont d’autre issue que d’accepter d’intégrer l’écotaxe dans le prix du transport. Imaginez, dans ces conditions, quel choix ont les transporteurs qui recourent à la sous-traitance en cascade !

En outre, la mise en œuvre de l’écotaxe constitue un véritable défi tant organisationnel et technique que commercial et financier pour de nombreuses entreprises gérant moins de dix véhicules. Vous n’êtes pas sans savoir qu’un transporteur subit, plus que n’importe quel autre chef d’entreprise, un mille-feuille de réglementations : le code de la route, le code du travail et la réglementation européenne. Par obligation professionnelle, il ne peut être que légaliste ; les différents contrôles dont il fait l’objet quasiment toutes les semaines ne peuvent que le lui rappeler.

Lorsque j’entends les chargeurs se plaindre que les transporteurs vont augmenter leurs marges avec la majoration de l’écotaxe, je dis « stop ! ». Ces propos sont insultants pour nos entreprises qui tirent des marges extrêmement faibles – moins de 1 %.

Dès septembre 2013, les négociations tarifaires avec les chargeurs ont été très houleuses et ont rapidement pris l’allure d’un chantage. Ceux-ci ont suggéré avec insistance une baisse des tarifs 2013 équivalente à la majoration de l’écotaxe 2014, soit une opération blanche pour eux ; la prise en compte de 50 % de la majoration par le transporteur lui-même ; une remise annuelle de l’écotaxe de type « marge arrière ». Est venu s’ajouter, en fin d’année, un calcul très personnel du chargeur du coût réel de la taxe intégrant la déduction de certains tronçons routiers. Comme si cela ne suffisait pas, ces exigences étaient assorties de la remise à plat, dans la plupart des cas, des contrats en cours, sous forme d’appels d’offres.

Depuis 1998, avec l’ouverture du cabotage européen, les prix de transport ont progressivement fait l’objet d’appels d’offres permanents, même pour les transports locaux. Les donneurs d’ordre et les affréteurs ont muté en de véritables traders du transport routier, alors même – ce qui rend cette évolution incompréhensible – que le transport ne représente en moyenne que 3 % du coût total d’une marchandise.

L’addition de tous ces éléments ne met pas, convenons-en, le transporteur en situation de collecter une taxe auprès de son chargeur ; il ne peut que la payer à sa place. Puisque c’est là le principal problème à résoudre pour les TPE, l’UNOSTRA pense que le centre de gravité de l’écotaxe doit être déplacé des transporteurs sur les chargeurs.

Devant le consensus au sein des élus en faveur de la mise en place du dispositif de l’écotaxe, l’UNOSTRA a fait preuve de réalisme et s’est battue pour obtenir une majoration obligatoire et forfaitaire. Le but était d’offrir aux TPE et PME un appui légal pour faire supporter l’écotaxe par les véritables décideurs du choix de mode de transport : les bénéficiaires du transport de la marchandise. À l’issue d’innombrables réunions techniques auxquelles l’UNOSTRA a participé, au cours desquelles ont été présentés maints scénarios, dignes pour certains de véritables usines à gaz, les professionnels ont obtenu un barème de tarification de l’écotaxe lisible et l’inscription dans la loi du principe de la majoration forfaitaire. Ce dispositif permet aux transporteurs de répercuter sur leur prix de vente l’écotaxe ainsi que tous les frais induits pour la mise en place et le suivi de ce dispositif dans leurs entreprises. Entrent, en particulier, dans ces frais induits les kilomètres à vide que personne ne veut jamais payer, ce qui n’est pas un détail.

Avec des marges dépassant rarement 1 % en 2013, sans la majoration aucune des 28 000 TPE et PME de transport ne pourrait absorber le surcoût engendré par l’augmentation prouvée – de l’ordre de 8 à 10 % – des coûts de revient. Cette majoration forfaitaire est un garde-fou indispensable. Qu’elle constitue une obligation légale permet d’imposer, autant que faire se peut, ce que la loi du marché et les acheteurs de transport considèreraient autrement comme un simple élément de négociation. Elle constitue un atout, précaire certes, mais qui a le mérite d’exister, pour des milliers de chefs d’entreprise qui n’ont pas dans leur équipe un commercial rompu aux négociations les plus ardues.

Selon nous, la solution est un système où le transporteur a un rôle déclaratif mais pas de collecteur. Dans l’absolu, cette obligation devrait incomber directement aux chargeurs pour rester dans l’esprit de la loi.

Tout en prenant acte du projet de modification de l’écotaxe, l’UNOSTRA tient à affirmer que certaines conditions ne seront pas négociables à ses yeux : pas de remise en cause de la majoration ; une communication régulière des contrôles effectués par la DGCCRF chez les chargeurs, avant, pendant et après ; la suppression des cautions liées au dispositif ; pas de régime particulier pour le transport pour compte propre en cas d’exonération de certains types de marchandises ; retour au périmètre initial de 10 000 kilomètres du réseau taxé ; révision à la baisse de l’ensemble des barèmes de l’écotaxe ; proposition aux transporteurs d’une période à blanc minimale de six mois. Bien que légaliste, l’UNOSTRA se réserve la possibilité de manifester en dernier recours si ses demandes devaient rester lettre morte.

Le rôle qui nous a été imposé dans le dispositif de l’écotaxe, nous ne l’acceptons pas. Puisqu’il vous appartient aujourd’hui de faire évoluer ce dispositif, nous vous demandons de prendre en compte l’impact qu’il aura sur les TPE du transport routier français. N’oubliez pas que 80 % des camions qui empruntent nos routes nationales et départementales sont français et qu’ils ont une activité régionale ou locale, et que 80 % des entreprises de transport françaises sont des TPE de moins de dix salariés. Ne tirez pas une balle dans les pneus du transport routier, premier vecteur de notre économie !

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. La majoration forfaitaire est manifestement un élément déterminant, puisque la FNTR nous a fait part d’un attachement aussi fort que le vôtre.

Vous considérez que la marche à blanc devrait durer au moins six mois alors que, selon d’autres professionnels, elle pourrait être plus courte. Pourquoi ?

Les professionnels seraient-ils favorables à la réduction des vingt-trois taux de majoration forfaitaire qui existent aujourd’hui – un par région, plus un taux interrégional – à un seul pour l’ensemble des vingt-deux régions ? Il ne s’agit pas, de ma part, d’une question piège, mais plutôt d’un souci de simplification, sachant qu’il existe vingt et un taux d’écotaxe différents.

M. Roland Bacou, président national « Transport de marchandises ». Le secteur du transport étant soumis à une forte saisonnalité et connaissant des modulations en fonction des régions et des activités, une marche à blanc de moins de six mois ne permettrait pas d’évaluer précisément le coût de la taxe poids lourds.

Quant à la réduction à un seul taux de la majoration forfaitaire, l’UNOSTRA ne l’avait pas envisagée, si bien que je ne peux vous donner, à chaud, une réponse personnelle. Permettez-moi de la différer de quelques jours, le temps de procéder à des simulations.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur.  L’idée d’un fonds de modernisation vous paraît-elle intéressante ? Si oui, quel pourrait en être le contenu ?

À condition d’en donner une définition précise, pensez-vous utile de travailler sur l’exonération des petits trajets ?

M. Roland Bacou. Introduire des exceptions aux principes de taxation et de majoration ne peut que créer des complications. Ces deux dernières années, nous en avons connu pour les véhicules de 44 tonnes, qui nous ont immédiatement perdus, les exceptions créant d’autres exceptions. Nous ne pouvons pas nous permettre d’exception : tout le monde est concerné ou personne.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Dans le transport pour compte d’autrui, la majoration forfaitaire s’applique automatiquement qu’on ait payé l’écotaxe ou pas. L’idée d’exonérer les petits trajets ne concernerait donc que l’écotaxe, pas la majoration, ce qui complique énormément les choses, j’en conviens. Nous sommes là face à une vraie difficulté.

M. Roland Bacou. Je maintiens que toute exception posera problème. Ce serait mettre le doigt dans un engrenage dont on ne sortirait plus. Une rétrocession, pourquoi pas, mais pas d’exception.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Mieux vaudrait l’application à tous du droit commun, assortie de mesures de compensation ?

M. Roland Bacou. Vous pouvez toujours en faire la proposition. Toute modification visant l’écotaxe ou la majoration devra faire l’objet d’un débat.

M. Gilles Savary. Comme d’autres avant vous, vous nous dites que le rôle de collecteur assigné aux transporteurs constitue un obstacle de taille et qu’il vaut mieux le transférer aux chargeurs. Le problème est que nous sommes un pays de transit ; nous ne voulons pas inventer un dispositif qui nuirait au seul pavillon français.

Avec votre proposition, comment « capture-t-on » un chargeur espagnol ou allemand louant les services d’un transporteur de même nationalité qui ne fait que traverser notre pays, sans même y faire son plein de carburant ? Le transporteur étranger paie l’écotaxe, mais comment fait-il pour la reporter sur le chargeur étranger ?

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Il ne peut le faire que si le contrat de transport est de droit français.

M. Gilles Savary. Absolument ! Et rien ne l’y oblige. Il peut même caboter trois fois sur notre territoire avec un contrat de droit étranger en payant une écotaxe différente de celle qu’acquitterait un transporteur français sur le même parcours. Dans ces conditions, pourquoi faire une telle proposition qui revient à exonérer les étrangers ?

M. Roland Bacou. Le même problème se pose avec la majoration, que les transporteurs français ont beaucoup de mal à répercuter sur le donneur d’ordre étranger. Je réponds à votre question par une autre question. Aujourd’hui, de nombreux gros donneurs d’ordre sont en train de délocaliser en Belgique, au Luxembourg, en Suisse. Nous adressons donc les factures dans ces pays. Comment pourrons-nous répercuter la majoration ? Quel pouvoir aura la DGCCRF pour contraindre ces donneurs d’ordre à la payer ? Non seulement l’État sera perdant sur la taxe, mais nous n’aurons pas de recours pour faire appliquer la majoration, dont les chargeurs usent comme moyen de pression.

Par ailleurs, vous savez bien que nous n’arriverons pas à absorber les 8 à 10 % d’augmentation. Mme Pons a parlé de marges à 1 %, mais il s’agit du haut de la fourchette ; nous sommes plutôt entre 0,5 et 0,8 % sur l’année 2013.

De même que la répercussion de la majoration sur le chargeur sera vaine pour le transporteur, le transfert sur le même chargeur de la collecte entraînera des pertes de recette, nous en sommes bien d’accord.

M. Gilles Savary. Plus que la perte de recette pour l’État, ce qui est choquant c’est que les seuls Français sont touchés et que la concurrence est faussée à leur détriment par les règles de cabotage.

M. Roland Bacou. Nous en sommes d’autant plus conscients qu’un tel déséquilibre existe aujourd’hui dans de nombreux domaines, en particulier fiscal et social. Du reste, vous le savez. Vous savez que la réglementation française nous pénalise par rapport à la réglementation européenne. Nous avons déjà perdu les marchés international et national ; aujourd’hui, nous sommes voués à rester dans nos régions, à y mourir. Comme on a vendu le transport maritime, on est en train d’abandonner le transport routier aux pavillons étrangers, de démolir, en nous laissant souffrir, un maillon de l’économie française. Or, dans cette activité, avons-nous vraiment intérêt à être dépendant des autres pays ? Ce sujet peut sembler en dehors de la problématique de l’écotaxe mais, s’il n’existait pas, peut-être que celle-ci passerait mieux.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Parmi les propositions que vous avez faites figure la diminution du barème de l’écotaxe. Quelle en est la justification ?

M. Roland Bacou. Avant même que l’écotaxe soit appliquée, le barème arrêté en 2012 a subi une augmentation en 2013 ! Cela ne surprend-t-il pas un peu ?

De même, le kilométrage, a d’abord été fixé à 10 000 puis est passé à 18 000. Nous avons dû nous battre sans relâche pour qu’il retombe à 15 000. Nous ne sommes pas des vaches à lait. S’il manque trois sous, allez les chercher là où on peut les récupérer !

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Selon vous, il faut en revenir à un kilométrage de 10 000 ?

M. Roland Bacou. Oui.

Dans le Languedoc-Roussillon, on est allé taxer l’A75 qui déleste l’arc méditerranéen surchargé. Jusque-là, le différentiel de quatre à cinq litres de consommation aux cent kilomètres était compensé par la gratuité de l’A75. Demain, avec 15 centimes d’un côté et 17 centimes d’autoroute, de l’autre, il n’y n’aura plus aucun intérêt à passer par le centre, et l’A7 et l’A9 seront de nouveau surchargées. Peut-être qu’une réflexion mieux conduite aurait permis de trouver une meilleure solution.

M. Gilles Savary. C’est un plaidoyer en faveur de la taxation généralisée. Sans échappatoire, il n’y a pas de report de trafic.

M. Roland Bacou. Tout taxer, mais moins cher. À mon avis, si les textes vous permettaient de tout taxer, vous l’auriez fait. Le principe de libre circulation implique certainement l’obligation de laisser la gratuité sur certaines routes.

M. Gilles Savary. Pourvu qu’il n’y ait pas de discrimination entre étrangers et français, on peut tout à fait taxer l’ensemble du territoire. Le territoire suisse est totalement taxé, l’allemand n’en est pas loin.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. On ne peut pas non plus avoir une vignette et une écoredevance sur le même tronçon, mais il me semble que la directive Eurovignette n’interdit pas de taxer la totalité du réseau français.

Quels dysfonctionnements reprochez-vous aux SHT ?

Mme Catherine Pons. Lors d’une réunion au ministère des transports avec le ministre, M. Frédéric Cuvillier, et les SHT, il est apparu très rapidement que celles-ci se répartissaient en deux catégories : celles qui avaient joué le jeu avec les entreprises, proposant des marches à blanc et du retour rapide sur activité ; celles qui avançaient à reculons, prenant leur temps pour mettre à disposition les boîtiers et instruire les dossiers, et refusant de procéder à des marches à blanc qui auraient nécessité, selon elles, l’embauche de plusieurs personnes. Manque d’organisation, manque de personnel, manque de communication, rien dans leur attitude ne correspondait à l’esprit de partenariat que nous avait promis le ministère.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur.  Si, demain, on devait organiser une marche à blanc de plusieurs mois, il faudrait donc faire obligation aux SHT d’y participer.

Vous avez mentionné un plan de modernisation du transport. Quels sont les éléments qui pourraient y figurer ?

Mme Catherine Pons. Le plan de compétitivité que nous avons élaboré avec la FNTR, la Fédération des entreprises de transport et de logistique de France (TLF) et la CSD vise à sortir la compétitivité des TPE et PME de l’état de latence dans lequel la plonge le contexte fiscal, réglementaire et social. Il faut absolument qu’on arrive, avec l’administration et le ministère, à trouver des portes de sortie pour que nos entreprises ne soient plus à la traîne des autres pays européens. Dans le dernier tableau de compétitivité des pays européens publié par le Comité national routier (CNR), en matière de cabotage, les pays de l’Est prennent la tête et la France se retrouve à la vingt et unième place sur vingt-quatre !

Le problème dans notre pays, c’est que la réglementation nationale en matière de transport routier de marchandises est beaucoup moins favorable aux transporteurs que dans les autres pays européens, avec des écarts de zéro à vingt. Autrefois, ces écarts n’étaient ressentis que dans les grands groupes qui avaient une activité à l’international ; dans les régions, les PME n’étaient absolument pas touchées. Puis le cabotage a été ouvert, se développant progressivement des frontières à l’intérieur du territoire. Il y a encore une dizaine d’années, les UNOSTRA d’Auvergne, Limousin ou Poitou-Charentes n’avaient jamais vu de camions Willi Betz (WB) : les étrangers ne trouvaient pas de fret en repartant de ces régions. Aujourd’hui c’est fini, le plus petit transporteur dans la région la plus reculée ressent vivement la concurrence étrangère sur son marché local. L’écart de prix est tellement énorme avec les pays qui viennent caboter chez nous que nous perdons nos marchés locaux : à 20-25 %, on ne peut pas jouer dans la même cour.

M. Gilles Savary. Vous parlez du cabotage ouvert aux transporteurs internationaux ou de cabotage intérieur effectué en fraude par des opérateurs low cost ?

Mme Catherine Pons. J’ai envie de vous dire : les deux.

M. Gilles Savary. Le cabotage a été ouvert à la concurrence pour des raisons environnementales, afin d’éviter que les internationaux ne reviennent à vide, mais pas le cabotage national. Et il ne peut être caboté que trois fois sur un trajet international. Les pratiques dont vous parlez semblent plutôt être le fait de groupes nationaux qui font venir des pays de l’Est des salariés détachés pour faire du cabotage national.

M. Roland Bacou. Ces pratiques, on les subit de plein fouet en Languedoc-Roussillon, mais pas seulement. Avec les Espagnols, ce n’est pas le différentiel social qui pose problème, car il est assez faible ; c’est qu’ils ont créé une activité qu’on désigne au CNR sous le vocable de « Espagne low cost », en délocalisant des entreprises en Roumanie ou en Pologne. Avec des chauffeurs dont le coût de revient est de 45 % par rapport à celui d’un chauffeur français, ces gens-là, par le biais du cabotage, pompent aujourd’hui tout le travail français.

Le gros inconvénient du cabotage, c’est qu’il n’a pas été assorti de garde-fou. Selon l’UNOSTRA, il devrait être soumis à l’obligation de rentrer dans le pays d’origine, quitte à l’aménager en autorisant jusqu’à cinq cabotages sur la totalité de l’Europe plutôt que trois sur sept jours.

M. Gilles Savary. Les Français aussi mettent le doigt dans la confiture.

Mme Catherine Pons. Oui. C’est pourquoi c’est compliqué.

M. Roland Bacou. Ces pratiques déstabilisent totalement le marché national, et même régional. La Belgique n’était jusqu’à présent pas concernée par le cabotage, n’étant pas vraiment un pays de transit. Aujourd’hui, elle voit s’installer des entreprises roumaines, polonaises ou bulgares qui ont trouvé là un bon moyen de faire trois cabotages. Car il est très simple de faire du transport international en Belgique. De même, sur la frontière espagnole, il suffit de faire cinquante kilomètres entre Figueras et Perpignan pour avoir le droit d’effectuer trois transports sur une durée de sept jours en national en France. Autrement dit, pour cinquante kilomètres en international, on peut couvrir 3 000 kilomètres sur le territoire français avec un coût de revient moindre. Qui plus est, en cas d’infraction, il est toujours plus compliqué d’aller chercher un contrevenant étranger que quatre sous chez un Français.

La faute européenne est donc de n’avoir pas prévu l’obligation de revenir systématiquement dans le pays d’origine.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Que pensez-vous des modes de paiement prévus pour l’écotaxe, l’un passant par les SHT et permettant à l’entreprise de bénéficier d’une réduction de 10 %, l’autre s’effectuant par prépaiement avec dépôt d’une caution ? Selon vous, serait-il possible d’unifier ou d’homogénéiser ?

Mme Catherine Pons. En soi, le double système ne nous pose pas de problème. L’abonnement avec boîtier est beaucoup plus pratique pour le transporteur qui couvre de nombreux kilomètres sur les routes taxées ; pour le transporteur qui agit localement ou pour les étrangers qui viennent ponctuellement en France, il n’est pas gênant de passer par une borne.

Nous sommes beaucoup plus réservés au sujet de la caution. Pour couvrir chaque besoin de son activité, le transporteur est sommé de fournir une caution, et l’addition de ces cautions finit par composer une liste à la Prévert : carte de carburant, carte d’autoroute, encours chez un vendeur de pneus, encours chez un garagiste, tout est soumis à caution. En face, les clients paient quand ils ont le temps. Nous sommes donc totalement opposés à toute possibilité de caution s’agissant de l’écotaxe. Il faut arrêter ! D’ailleurs, si nous sommes très attachés à la majoration forfaitaire, c’est non seulement parce qu’elle va nous permettre de payer la taxe, mais aussi tous les frais, très conséquents, induits pour l’entreprise, parmi lesquels précisément la caution et la formation des salariés.

M. Roland Bacou. Alors que nous facturons au mois et encaissons à trente jours pour 80 % de nos clients, nous devons payer à quinze jours, ce qui signifie que nous avançons de l’argent sur la première quinzaine. Là-dessus, on nous demande encore des cautions ! Avec toutes ces cautions et garanties exigées par nos fournisseurs, nous sommes aujourd’hui confrontés à des problèmes de couverture SFAC (Société française d’assurance-crédit) qui peuvent tout bloquer. Chaque fournisseur est en droit de demander des garanties sans vous en informer, si bien qu’un beau jour, vous pouvez découvrir que votre fournisseur de carburant vous coupe votre carte parce que vous n’êtes plus couvert par votre assurance-crédit. Du jour au lendemain, une entreprise saine peut devenir en difficulté parce qu’on la prive des moyens de fonctionner. Ce n’est qu’au bout de maints coups de téléphone que vous finissez par trouver un interlocuteur qui vous explique les raisons de votre situation. Comment voulez-vous que les TPE s’en sortent sans accompagnement ? Ajoutez à cela le pouvoir du banquier et du gros chargeur, et vous comprendrez que le transporteur ne fait que subir !

De surcroît, les quelques textes qui nous protègent ne sont pas appliqués. Nous avons beau relever des infractions, personne n’intervient ou de façon si peu discrète que le chargeur contrôlé sait immédiatement d’où vient la plainte : quinze jours après, vous êtes mis dehors. Quant à la DGCCRF, elle est aujourd’hui quasiment réduite à néant et manque de monde pour travailler. À voter des textes sans mettre en œuvre les moyens de les faire appliquer, on joue avec la vie des entreprises. Avez-vous conscience quelle est la vie des entrepreneurs et de leurs familles ? Ces gens ne sont pas aussi vicieux que les grandes entreprises ; le jour où ils tombent, ils se retrouvent une main devant, une main derrière, sans rien ! Croyez bien que c’est triste, après une vie de travail.

M. Jean-Paul Chanteguet président et rapporteur. Les messageries express que nous avons rencontrées, en particulier DHL, Fedex et UPS, demandent à ne pas se voir appliquer la majoration forfaitaire. Ces messageries comptent peut-être dans leur chaîne des entreprises adhérentes de l’UNOSTRA ou de la FNTR qui, compte tenu des procédures, se voient dans la quasi-impossibilité d’appliquer cette majoration forfaitaire. Qu’en pensez-vous ?

M. Roland Bacou. Vous me prenez au dépourvu. Je peux dire qu’aujourd’hui, on se rend compte que ces grosses entreprises de messagerie deviennent des quasi-monopoles et contribuent à la disparition de toute activité parallèle dans la livraison de colis. Nous venons d’apprendre que, dorénavant, les avis de passage en cas d’absence du client à livrer n’étaient plus rémunérés. Vous avez quand même fait des kilomètres ! Si la situation se reproduit pour dix ou trente clients, c’est encore cela en moins. Petit à petit, les entreprises structurées se font rogner jusqu’à être déstabilisées pour être mieux exploitées. C’est une vraie tristesse.

Je ne vous répondrai pas aujourd’hui sur une éventuelle exonération, car j’ai bien peur que cette demande ne fasse partie d’une stratégie visant encore à payer moins cher. Ce qui est désolant, c’est que, de la surcharge carburant à la majoration demain, le transporteur affrété en cascade est en train de se faire grignoter tous ses acquis. Il ne pourra plus vivre. C’est grave.

M. Jean-Pierre Gorges. Plus je vous entends, plus je me demande dans quels draps nous nous sommes mis et, même si je l’assume, j’ai un peu honte d’avoir voté la taxe.

Le principe d’utilisateur-payeur pour l’écotaxe est compréhensible : en tant que maire, je sais que les routes ont un prix. Que le produit serve à financer les infrastructures va aussi dans le bon sens, à condition toutefois de mettre en place une régionalisation.

Dans le système global, ce qui gêne c’est le transit. À la fin, l’écotaxe est censée être répercutée sur celui qui a choisi le mode de transport, chaque maillon de la chaîne transmettant au suivant. C’est exactement un mécanisme de TVA. Dans l’idéal, on ferait payer un point de TVA correspondant au mode de transport choisi : une livraison à pied n’abîme rien donc ne coûte rien ; à vélo, cela use un peu les trottoirs ; en voiture, cela détériore un peu plus, et ainsi de suite, sachant qu’un camion représente 1,2 million de passages de véhicules légers sur une route. Puisque donc nous recherchons un système incitatif, on pourrait régler le problème  au niveau du produit par une taxe additionnelle différente en fonction du mode de transport choisi. Or il y a le problème  du transit.

Pour traiter l’exception de celui qui rentre dans notre pays et en ressort sans avoir déposé de marchandise, nous sommes en train de mettre en place une usine à gaz qui nous pénalise de l’intérieur. Nous nous trouvons en pleine contradiction : l’Europe nous oblige à traiter tout le monde de la même manière et, en cherchant à nous conformer à cette obligation, nous mettons un désordre terrible en France. Le système finira peut-être par rapporter de l’argent, mais sans doute pas en termes de PIB.

J’ai l’impression que nous nous y sommes pris à l’envers. Au lieu de traiter les exceptions, peut-être vaudrait-il mieux faire payer tout le monde, sur toutes les routes. Plus je vous écoute, plus je pense que nous sommes face à la quadrature du cercle. Si les promoteurs du système, que nous avons entendus ce matin, nous ont convaincus de l’intérêt de cette technologie dans divers domaines, de votre côté, je pense que vous vous en sortirez très mal.

M. Roland Bacou. On n’a pas besoin d’une taxe pour contrôler, il y a déjà beaucoup de moyens pour cela. Je suis d’accord avec vous, pour gagner trois sous demain, on va mettre à mal toute une économie, déjà affectée par le cabotage, alors qu’elle pourvoit et de l’activité et des emplois. Je ne comprends pas pourquoi on veut affaiblir une profession jusqu’à la faire mourir – parce que c’est ce qui va arriver dans cinq à dix ans. Dans ce pays, on ne voit pas à moyen terme, juste à demain.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. J’entends ce que vous dites, en particulier sur la situation des petites entreprises du secteur. Le système de la majoration forfaitaire permet tout de même de régler les problèmes entre transporteurs et chargeurs en imposant le report sur les chargeurs de la majoration forfaitaire.

Mme Catherine Pons. Le dispositif de la majoration forfaitaire nous convient, mais nous avons déjà vécu une expérience similaire avec la surcharge gasoil, en 2006. Si, dans un premier temps, la mise en place s’est plutôt bien passée grâce à l’arsenal juridique qui l’accompagnait, dans un deuxième temps, on s’est aperçu que, progressivement, cette surcharge gasoil était passée du pied au haut de facture et qu’elle redevenait un élément de négociation. Nous avons payé pour apprendre, et nous savons que l’arsenal juridique qui encadre la majoration forfaitaire sera insuffisant. Dans nos discussions avec nos chargeurs des prix de transport, on nous oppose que nous allons faire de la marge avec la majoration parce qu’elle n’est pas égale au prix de la taxe. Nous devons faire un gros travail de pédagogie pour fournir à nos adhérents, qui sont de petits transporteurs,  les éléments leur permettant d’expliquer aux acheteurs tout le mécanisme de la taxe poids lourd et de la majoration, et de les convaincre.

Nous sommes satisfaits de la majoration mais, si une autre taxe arrive demain, le mécanisme actuel ne sera pas suffisant. Il vous faudra inventer un autre moyen pour que les chargeurs la paient vraiment aux petits transporteurs. Sinon, je peux déjà vous dire ce qui va se passer : soit leurs factures leur seront payées déduction faite de la taxe poids lourd, soit le chargeur mettra leurs factures en attente pendant un mois, deux mois, sans jamais dire qu’il refuse de payer la taxe mais en les incitant à se montrer raisonnables sur certains éléments de prix. Les transporteurs auront beau avoir la loi avec eux et le chargeur encourir une amende de 15 000 euros, ils savent très bien qu’ils ne l’emmèneront jamais devant le tribunal car ils le perdraient. Au bout de deux mois – s’ils ont tenu jusque-là –, ils vont lâcher, pressés quotidiennement par leur banquier de remonter leur trésorerie. Vraiment, trouvez un dispositif assez puissant pour que les chargeurs paient cette taxe, car ils sont loin d’y être prêts.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Le mécanisme de la surcharge gasoil fonctionne bien, avez-vous dit.

Mme Catherine Pons. Les premiers temps, oui. Aujourd’hui, il est retombé dans la négociation.

M. Roland Bacou. Pour que nos confrères comprennent comme nous nous battons pour eux, je leur demande régulièrement d’ôter la récupération TICPE (taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques) de leurs 0,8 ou 1 %, exceptionnellement 1,1 ou 1,2 %, de bénéfices. Curieusement, les bilans sont alors négatifs. Il ne faut donc pas cracher dans la soupe sur cette question de la surcharge carburant, même si elle n’est pas appliquée comme elle devrait l’être.

Pour la majoration forfaitaire, le texte prévoit bien une amende de 15 000 euros, mais qui va constater les manquements ? Depuis des années, j’encourage les ministres des transports – d’abord M. Bussereau, puis M. Mariani et maintenant M. Cuvillier – à envoyer dans les bourses de fret, deux ou trois heures par jour ou une journée par semaine, un agent de de la DGCCRF qui se ferait passer pour un transporteur. Il verrait qu’on lui refuserait la surcharge carburant, qu’on le ferait tourner à des prix abusivement bas, qu’on lui imposerait des délais de paiement à soixante ou quatre-vingt-dix jours. Il trouverait tous les éléments pour taper un bon coup ! Si la DGCCRF et le ministère faisaient leur travail, après deux ou trois amendes de 15 000 euros, le chargeur finirait pas demander à son responsable du transport de ne plus jouer à essayer de gagner 200, 50 ou 20 euros sur un transport. S’il y a des textes, ceux qui ont à les faire appliquer ne font pas leur travail, sauf quand il s’agit d’infliger une amende de 90 euros à un camion dont l’extincteur est périmé depuis trois jours. Là, c’est évidemment facile !

Cette façon de sacrifier la profession me fait bondir, au point que je me demande si ce n’est pas volontaire, parce que le coût de la protection dont elle a besoin serait trop élevé. Si c’est cela, c’est bien plus grave que je ne le pensais.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Nous avons bien compris qu’il faut donner des moyens à la DGCCRF.

M. Gilles Savary. Si elle est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, l’écotaxe ne semble que très marginalement liée aux difficultés du pavillon français. Je conviens avec vous que tout un ensemble de dérégulations européennes a été mal géré, avec notamment pour résultat que le coût d’un chauffeur polonais représente 34 % du coût d’un chauffeur français.

Vous vous dites favorables à la majoration forfaitaire, mais ajoutez tout de suite après qu’elle est l’objet d’un rapport de forces qui vous échappe. Ce n’est pas avec la DGCCRF qu’on gérera ce problème parce que si le chargeur est amené à payer la majoration forfaitaire, c’est le prix de transport qui servira de variable d’ajustement et la pression commerciale continuera. La difficulté de reporter sur le chargeur, c’est que, pour des questions de souveraineté, on ne peut pas taxer les étrangers. Comment pourrions-nous aller taxer un Roumain, alors que nous-mêmes n’avons jamais vu débarquer les Allemands pour taxer un chargeur français.

M. Jean-Pierre Gorges. Réinstallons les douanes !

M. Gilles Savary. Et pourquoi ne pas abolir l’Europe ! Mais ce serait encore un choc pour le transport routier, dont il ne faut pas oublier qu’il est, en termes de volume d’affaires, le premier bénéficiaire du marché intérieur. Qu’il soit mal organisé et même en train de s’auto-liquider, c’est autre chose. On n’a jamais autant transporté par route. Les transporteurs ne sont pas victimes de l’Europe mais de la dérégulation sociale et fiscale.

Imaginons que l’on renonce à l’écotaxe, trop compliquée à mettre en place, au profit d’une taxe carbone sur le gasoil. À mon avis, cela vous ferait encore plus bouillir.

M. Roland Bacou. Nous ne sommes pas dupes, nous savons très bien qu’en cas d’abandon de l’écotaxe, c’est la taxe carbone qui nous pend au nez. Ce serait encore plus grave. Nous ne pouvons pas être favorables à quelque taxe que ce soit, mais l’écotaxe assortie de la majoration forfaitaire, pourvu qu’elle soit bien encadrée et appliquée à tout le monde, serait un moindre mal. Mais, de grâce, pesons tout pour ne pas trop affecter le vecteur économique qu’est le transport français !

On ne pourrait pas taxer un chargeur roumain, dites-vous ; mais le problème est le même avec la majoration forfaitaire puisque de plus en plus d’entreprises délocalisent vers le Luxembourg, la Belgique, la Suisse et ailleurs. Les factures sont adressées dans ces pays, et qui va aller contrôler là-bas ? Avec une déperdition dans les deux sens, la situation est bloquée. En tout cas, il ne serait pas acceptable que, une fois de plus, le Français paie et pas l’étranger. Si c’est cela, demain nous sommes dans la rue.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Il faut reconnaître que c’est une vraie difficulté. Force est de constater que plus notre réflexion avance, plus elle s’obscurcit. Malheureusement, nous ne pouvons pas nous défaire de deux contraintes : la réglementation européenne et le dispositif technique, juridique et financier arrêté dans le cadre du contrat Ecomouv’.

Madame, Monsieur, il me reste à vous remercier d’avoir accepté notre invitation.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Réunion du mercredi 29 janvier 2014 à 17 h 30

Présents. - M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, Mme Françoise Dubois, Mme Sophie Errante, M. Claude de Ganay, M. Jean-Pierre Gorges, Mme Joëlle Huillier, Mme Viviane Le Dissez, M. Jean-Pierre Le Roch, M. Gilles Lurton, M. Hervé Pellois, Mme Émilienne Poumirol, M. Gilles Savary

Excusés. - M. Florent Boudié, M. Jean Grellier.