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Mercredi 5 février 2014

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 12

Présidence M. Jean-Paul Chanteguet, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Bruno Cavagné, président de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) 2

Mission d’information
sur l’écotaxe poids lourds

M. Marc Le Fur. Monsieur le président, je voudrais rappeler au préalable que je vous ai adressé le 6 décembre dernier deux courriers concernant des personnes que nous aurions intérêt à auditionner : M. Philippe Mangin, président de Coop de France, et les institutionnels de Bretagne comme les chambres d’agriculture et tous ceux qui se sont investis dans le mouvement contre l’écotaxe et sont à bien des égards à l’origine de nos travaux. Quelle suite comptez-vous réserver à ces demandes ?

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Je puis déjà vous dire que nous recevrons les dirigeants de Coop de France le 10 avril prochain.

Ce matin, nous accueillons M. Bruno Cavagné, le président de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), qui est accompagné par de proches collaborateurs.

M. Cavagné dirige une société familiale basée à Toulouse. Il préside la FNTP depuis septembre 2013, date à laquelle il a succédé à M. Patrick Bernasconi devenu Vice-président du MEDEF.

Monsieur le président, la problématique de l’écotaxe concerne naturellement votre secteur, qui compte 270 000 salariés.

En premier lieu, la FNTP a fait part de ses interrogations sur la sauvegarde du financement de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF). Devant notre mission, M. Cazeneuve, ministre en charge du budget, a clairement indiqué qu’un report durable de l’écotaxe, a fortiori son abandon, impliquerait une révision de certaines priorités d’investissement.

La semaine suivante, M. Claudy Le Breton, le président de l’Assemblée des départements de France (ADF), nous a fait part de la réduction des ressources disponibles à ce niveau pour l’entretien du réseau routier. Sur 100 euros de chiffre d’affaires dans les travaux publics, le bloc « collectivités locales », qui est de très loin votre premier client, en représente près de 45 euros. Nous comprenons donc l’inquiétude de vos entreprises !

En tant qu’élus, nous les connaissons bien. En dehors de quelques grands groupes internationaux, les entreprises françaises de travaux publics sont à 80 % des petites structures qui travaillent notamment sur des marchés d’entretien, souvent à l’échelle locale.

En second, lieu, vos entreprises ont également une importante activité de transport, le plus souvent pour compte propre.

Ainsi, elles ont pu légitimement s’interroger sur les conditions de la répercussion de l’écotaxe « en pied de facture », même si le secteur paraît principalement concerné par des transports de matériaux sur de courtes distances.

Comment, par exemple, prendre en compte les multiples rotations de camions pour approvisionner un chantier ?

Par ailleurs, il peut être difficile dans vos métiers de distinguer, pour une prestation donnée, ce qui relève précisément des coûts de transport.

Vous nous préciserez donc vos inquiétudes et, peut-être, dessinerez-vous quelques pistes de proposition.

M. Bruno Cavagné, président de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP). Merci de nous recevoir. Je vais d’abord faire un point de conjoncture pour vous expliquer l’importance pour nous de l’écotaxe et du financement des infrastructures.

Notre activité représente 40 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France et, en effet, 270 000 salariés. 80 % de nos entreprises ont moins de 20 salariés et 70 % de notre activité dépend de la commande publique, dont 45 % de celle des collectivités locales, qui sont effectivement notre premier client. Au cours des six dernières années, nous avons enregistré 20 % de baisse d’activité, avec trois conséquences immédiates : une perte de 15 000 salariés depuis 2008 ; un taux de marge qui n’a jamais été aussi bas, soit 1,7 % en 2012 ; un taux de défaillance des entreprises qui est passé de 8 % en 2008 à 20 % en 2012.

Nous avons essayé de comprendre la politique des infrastructures en France et son mode de financement. Nous avons eu d’abord le schéma national des infrastructures de transport (SNIT), fort de 245 milliards d’euros et de 70 projets, qui nous a donné quelques espoirs – certainement beaucoup trop ! Puis on est revenu sur terre, nous a-t-on dit, avec le rapport « Mobilité 21 » résultant d’un travail présidé par M. Philippe Duron, qui a prévu 30 milliards d’euros. L’idée était d’avoir un budget de l’AFITF constant avec en plus 400 millions d’euros à partir de 2017. En juillet dernier, le Premier ministre nous a dit que c’était notre nouvelle feuille de route.

Mais, depuis, nous avons enregistré de nombreuses annonces : celle d’une deuxième ligne LVG Bordeaux-Dax-Hendaye par le ministre des transports ; le rapport sur le Grand contournement de Strasbourg, qui a dit l’inverse du rapport Duron ; celui de votre collègue Rémi Pauvros, préconisant la réalisation du canal Seine-Nord, compte tenu de ce que les aides européennes sont passées de 6 à 40 % ; la réalisation de la ligne Lyon-Turin, actée par votre Assemblée, et dont le budget a grimpé de 12 à 26 milliards d’euros ; ou encore les travaux supplémentaires de 3 milliards d’euros promis par le Premier ministre à Marseille.

Je serais ravi si tout cela était réalisé. Cependant, le Gouvernement a fait en même temps quatre annonces : une baisse de la dotation à l’AFITF de 660 à 330 millions d’euros ; la suspension de l’écotaxe, qui devait rapporter 800 millions ; une ponction sur les agences de l’eau de 210 millions ; et une réduction d’1,5 milliard par an de la dotation aux collectivités locales, qui se traduit par 330 millions d’euros d’investissements en moins. Cela représente en tout 1,4 milliard d’euros d’activité en moins au départ pour nous.

Si on prend en compte également les effets de levier, c’est-à-dire le fait que les contrats de plan État-région alimentés par l’AFITF sont aujourd’hui suspendus et que Voies navigables de France (VNF) se trouve dans l’incapacité de boucler son budget, vous pouvez comprendre notre inquiétude quand nous avons appris que l’écotaxe était suspendue.

Nous sommes aujourd’hui en conséquence très inquiets. Pour 2014, compte tenu de ces annonces, nous pouvons nous attendre à 12 000 emplois de moins. Notre activité est réellement menacée.

S’agissant de l’écotaxe, si on considère qu’il faut la supprimer – ce qui n’est évidemment pas mon avis –, cela signifie qu’on n’a plus de volonté politique en matière d’infrastructures. Car une telle suppression entraînerait la disparition de l’AFITF, ce qui fera peut-être la joie de Bercy ! Pour 2014, 90 % du budget de l’AFITF est déjà engagé. Si on ne trouve pas de solution, certaines entreprises pourraient ne pas être payées.

J’ai proposé que l’État réduise certaines des participations qu’il détient pour alimenter l’AFITF, mais un éminent spécialiste de Bercy m’a dit que ce n’était pas possible car cela reviendrait à créer de la dette « maastrichtienne ». Cela dit, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas doter des sociétés en capital.

Si on part du principe qu’on ne peut se passer de l’écotaxe, les solutions sont en nombre limité. En premier lieu, on pourrait remonter le seuil de taxation en le faisant passer de plus de 3,5 tonnes à 8 ou 12 tonnes. Pour compenser ce que l’on perdrait ainsi d’un côté, on pourrait prévoir, d’un autre, une taxe additionnelle régionale en vue de favoriser une véritable volonté politique des régions.

Je ne suis pas pour une régionalisation complète de la taxe car cela constituerait un retour en arrière en termes d’aménagement du territoire. Je rappelle que, lors de ces dix dernières années, lorsque l’Île-de-France enregistrait une augmentation de 25 % d’activité en matière d’infrastructures, le Limousin connaissait une baisse dans la même proportion. Il nous faut donc conserver une véritable politique nationale d’aménagement du territoire.

Une autre solution serait de changer l’assiette de l’écotaxe. Il y a en France 1 million de kilomètres de routes nationales et départementales et d’autoroutes. Or l’écotaxe et les autoroutes concernent 23 000 kilomètres : un tel écart pourrait donner lieu à réflexion.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Il y a de fait une certaine contradiction entre certaines décisions tendant à accroître les besoins financiers et d’autres tendant à réduire les budgets mobilisés en faveur des infrastructures nationales.

L’idée de la régionalisation de la taxe a déjà été évoquée par d’autres acteurs. Vous avez raison de dire qu’il faut que la plus grosse partie de l’écotaxe ou de l’« écoredevance » serve à mettre en œuvre une politique nationale des infrastructures. Reste que les régions pourraient, pour financer une partie de leurs propres infrastructures – routières, mais aussi ferroviaires – bénéficier d’une partie de celle-ci.

M. Jean-Pierre Gorges. Je comprends bien vos préoccupations mais il ne faudrait pas laisser penser aux Français que l’écotaxe sert à maintenir votre activité. Il s’agit d’une démarche globale fondée sur le principe utilisateur-payeur, au même titre que celui du pollueur-payeur.

Il faut aussi éviter que l’idéologie ne prenne le dessus. Je rappelle que l’autoroute est financée par l’usager. Sur un projet auquel je réfléchis, portant sur environ 1 milliard d’euros, l’État doit verser une subvention d’équilibre de 30 millions et il touchera 200 millions d’euros de TVA sur les travaux. Le produit fiscal net de cette opération sera donc de 170 millions d’euros. Or cette écotaxe ne concerne qu’un réseau secondaire au regard des grandes artères du pays : il ne faudrait pas qu’on inverse le rôle joué par cet outil.

M. Bruno Cavagné. Si je suis là pour défendre les intérêts des entreprises de travaux publics, mais penser que nous ne soutenons l’écotaxe que pour faire valoir des intérêts de cette nature n’est pas imaginable.

Je ne suis d’ailleurs pas un défenseur de l’écotaxe pour elle-même : je dis simplement qu’elle devait permettre de financer des infrastructures. Et je rappelle que l’AFITF devait être alimentée par les dividendes des sociétés d’autoroutes.

Sur 220 000 ponts routiers en France, on en met un « hors service » chaque jour par manque d’entretien. En outre, la durée de coupure d’électricité, atteint maintenant 70 minutes par an et par abonné, elle a augmenté de 30 % entre 2012 et 2013. Nous avons donc de réels besoins à satisfaire.

Or on sait que le développement des travaux publics conditionne depuis longtemps celui de notre pays. Je suis donc d’accord pour réfléchir à un financement global des infrastructures : encore une fois, je ne défends pas l’écotaxe dans le seul but de servir les intérêts de nos seules entreprises !

M.  Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Il n’y a pas de malentendu à cet égard.

M. Gilles Savary. Je suis d’accord avec Jean-Pierre Gorges. Mais il ne faut pas croire que l’écotaxe sert à taxer à tout prix la population. On a décidé de retirer à l’État certaines dépenses, dans le cadre des nécessaires efforts de diminution de la dépense publique, et de trouver des financements de substitution pour un certain nombre de ses missions, dont celle d’entretenir nos réseaux d’infrastructures.

Dans une période où existe une certaine aversion à l’égard d’infrastructures nouvelles, l’AFITF est de fait en danger si on n’arrive pas à trouver une recette pour compenser la suspension de l’écotaxe. Il s’agit d’un outil opportun, permettant d’utiliser des recettes d’affectation spéciale au financement des infrastructures. Mais il fonctionne en dehors de toute doctrine de l’impôt, notamment de son principe d’universalité, et Bercy l’abhorre. D’ailleurs, depuis que l’agence est en place, elle est sous les foudres de celui-ci et de la Cour des comptes : à la moindre occasion, ils nous expliqueront que s’il n’y a plus de recettes, plutôt que de recourir à une subvention d’équilibre de l’État, il vaut mieux supprimer cette instance – ce qui pourrait entraîner de grosses difficultés.

Cet outil a donné de la visibilité, de la stabilité et de la prévisibilité au financement des infrastructures, dont dépendent les travaux publics, mais aussi les collectivités locales, qui mettent en place les réseaux de transports collectifs dans des agglomérations. S’il était fragilisé, il faudrait chaque année batailler dans le cadre de l’examen du budget de l’État pour assurer un certain niveau de financement de ces infrastructures, alors que nous nous sommes déjà engagés sur d’assez longues durées dans ce domaine.

Par ailleurs, s’il n’y avait pas d’écotaxe, il faudrait trouver une recette de substitution. À défaut, cela aurait des conséquences considérables sur l’investissement public et l’entretien du réseau existant. Au-delà des solutions que vous évoquez, n’en existe-t-il pas une troisième : accroître le prélèvement sur les autoroutes ?

Enfin, comment voyez-vous l’écotaxe en tant que client de transporteurs ?

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Aucune véritable étude d’impact n’a été réalisée sur l’écotaxe, ce qui soulève des difficultés.

Mais, s’agissant du report du trafic vers les autoroutes, il ressort des analyses qui ont été faites que le trafic sur ces voies devrait augmenter et que le chiffre d’affaires correspondant devrait, selon le ministère, s’accroître d’un montant compris entre 200 et 400 millions d’euros.

Concernant la modification du tonnage, la directive « Eurovignette » prévoit un seuil de 3,5 tonnes. Si demain nous passions à 7 ou 12 tonnes, il faudrait donc le justifier.

M. Marc Le Fur. Monsieur Cavagné, j’ai mieux compris votre réponse à M. Gorges que votre propos initial. Certains propos pourraient en effet être interprétés comme justifiant une écotaxe dont certains de vos collègues chefs d’entreprise ne veulent pas. Si on comprend vos besoins, qu’ils soient financés par le biais de l’écotaxe ou d’une autre recette importe guère. Ce qui compte est que l’on dispose bien des fonds publics permettant de réaliser l’investissement routier.

Deuxièmement, votre activité existait bien avant l’écotaxe et les difficultés que vous évoquez sont antérieures à la suspension de celle-ci. Établir un lien de causalité entre vos difficultés et cette suspension est donc sans fondement.

Troisièmement, passer de 3,5 à 12 tonnes n’est pas objectivement pertinent. D’autres recettes sont envisagées. On a évoqué l’importance du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) : ne peut-on utiliser une partie des 2,5 milliards d’euros dont bénéficie, à ce titre, la grande distribution en faveur des infrastructures ?

Enfin, vous indiquez que vos donneurs d’ordres voient leurs recettes baisser au titre de l’écotaxe : je souhaiterais que vous manifestiez la même protestation au sujet des autres recettes en diminution. La réduction d’1,5 milliard d’euros de la dotation aux collectivités locales a assurément beaucoup plus d’impact que la suspension de l’écotaxe !

M. Jean-Pierre Gorges. J’ai l’impression qu’il y a une opposition entre le système autoroutier et le système routier classique, l’écotaxe ne pouvant être appliquée sur les autoroutes. Ne devrait-on pas avoir une politique s’appuyant sur une généralisation des prélèvements sur les autoroutes, dont l’État récolterait les fonds au niveau national, qu’il redistribuerait en partie pour financer les routes secondaires ? Nous sommes passés à un système inverse, alors que nous avions un produit simple géré par les péages. J’estime, même en tant que libéral, que l’autoroute relève du domaine régalien.

M. Éric Straumann. Je souhaiterais que nous retenions un seuil de 12 tonnes comme l’Allemagne pour éviter des équipements différents d’un pays à l’autre et permettre une uniformisation au niveau européen. La réglementation communautaire ne semble pas poser de problème à ce pays.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Il y est envisagé de passer à 7 tonnes.

M. Éric Straumann. Dans la mesure où il y a une harmonisation européenne, j’en suis d’accord.

Je rappelle que les autoroutes ne sont pas toutes concédées ou gratuites. Par ailleurs, les entreprises de travaux publics que j’ai reçues étaient réticentes vis-à-vis de l’écotaxe et j’ai dû leur expliquer qu’elles en seraient les premières bénéficiaires. Vous avez sans doute un effort supplémentaire de pédagogie à faire à leur égard.

De même, le secteur agricole doit prendre conscience que le coût du transport peut être un avantage concurrentiel pour la production locale.

M. François André. Votre propos liminaire, Monsieur Cavagné, a rappelé l’utilité sociale de l’impôt et son effet de levier économique, ce qui n’est pas inutile dans le climat de démagogie qui règne actuellement sur certains bancs !

Vous avez évoqué une perte d’environ 300 millions d’euros d’investissement public local : comment se décompose ce chiffrage ? Ne fait-il pas abstraction des cycles d’investissement local, lequel est, on le sait, corrélé au calendrier électoral ?

M. Olivier Faure. Monsieur Cavagné, merci d’avoir montré l’impact de l’écotaxe sur les entreprises de travaux publics : nous devons en tenir compte.

Je ne souhaite pas ouvrir une polémique avec nos collègues de l’opposition mais je voudrais relever certains propos paradoxaux, dont certains me choquent. En effet, je m’étonne lorsque j’entends certains ayant soutenu le SNIT, dont le projet était pharaonique, s’opposer aujourd’hui à un financement pouvant correspondre, même de façon réduite, à ce qu’ils avaient pu souhaiter et aux priorités du rapport Duron.

De même, je m’étonne d’entendre parler de nationalisation de la part de ceux qui ont hier privatisé les autoroutes et se plaignent aujourd’hui d’un manque à gagner, d’autant que je vois mal avec quels moyens ils pourraient nationaliser des autoroutes encore concédées pour des années.

La véritable question est de trouver un financement alternatif, sachant que nous avons besoin d’infrastructures, qu’il s’agisse de travaux d’entretien ou de construction. Ce financement passe soit par la création d’une taxe affectée, comme l’écotaxe, soit par la mobilisation du budget de l’État et l’augmentation de taxes non affectées. À cet égard, l’écotaxe présente l’avantage de reposer sur le principe de l’utilisateur-payeur : à défaut, on ferait payer des infrastructures à l’ensemble des contribuables alors qu’ils ne les utilisent pas tous de la même façon. Un camionneur étranger empruntant les routes nationales françaises serait ainsi obligé de payer l’écotaxe servant à leur financement. L’autre avantage de celle-ci est de permettre aux transporteurs de la répercuter sur les chargeurs, plutôt que d’avoir demain une augmentation d’impôt ou de taxes payés par toutes les entreprises sans répercussion possible sur les donneurs d’ordres. Ce principe est également important, d’autant qu’il permettrait de faire contribuer la grande distribution.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. De fait, le principe utilisateur-payeur s’apparente au principe pollueur-payeur : la définition du taux de l’écotaxe tient compte des normes Euro.

M. Thierry Benoit. Je suis convaincu que si le Parlement a fait le choix, à la quasi-unanimité, de la mise en œuvre de l’écotaxe, c’est parce qu’il avait compris la nécessité de la conversion écologique de la fiscalité. Il ne s’agit pas d’instaurer une fiscalité « piégeuse », mais d’organiser le report modal et de faire évoluer les pratiques dans le temps.

Si votre fédération regroupe des contributeurs mais aussi des bénéficiaires de l’écotaxe, vos propos ne sont pas ressentis partout de la même manière : les entreprises de travaux publics, qui ont davantage une activité locale, se trouvent dans la situation du contributeur et comprennent mal les bénéfices de ce prélèvement ni comment faire évoluer les pratiques.

Nous disposons de différentes pistes possibles de mise en œuvre de cette taxe, dont nous commençons à identifier des contributeurs potentiels, comme la grande distribution ou les sociétés de péage et de gestion des autoroutes. Par exemple, avez-vous réfléchi au sein de votre fédération à une approche par filières pour voir comment l’écotaxe pourrait frapper le grand transit national et international et comment renforcer les dispositions d’allègement de taxation au niveau des régions ? On pourrait avoir une écotaxe « socle », de base, nationale, et une modulation pour les régions voire certaines filières.

Monsieur le président Chanteguet, je rappelle, pour faire suite aux propos de Marc Le Fur, que vous avez été saisi par un collectif d’entrepreneurs bretons : je souhaite que notre mission puisse auditionner tous ceux désirant nous exposer la façon dont ils perçoivent l’écotaxe. La meilleure manière de faire accepter celle-ci est en effet qu’elle soit bien comprise de tous.

M. Bruno Cavagné. Je rappelle d’abord que les infrastructures sont un facteur de compétitivité de nos entreprises.

S’agissant des concessionnaires d’autoroutes, une partie de leurs filiales fait partie de notre fédération. Comme elles payent déjà la redevance domaniale, je ne sais pas si elles seraient ravies de payer aussi l’écotaxe…

Il y a eu en effet un manque de pédagogie sur l’écotaxe et j’ai dû moi-même déployer beaucoup d’efforts dans ce domaine au sein de ma fédération, les entreprises de travaux publics n’ayant pas toutes pris conscience que cette taxe allait financer une partie de nos infrastructures. Leur problème était surtout de savoir comment la refacturer. J’ai demandé à Bercy qu’elles puissent le faire en « pied de facture » : si on y parvient, elles seront satisfaites.

Nous n’avons pas travaillé sur les filières, mais augmenter le seuil de tonnage pourrait être une idée intéressante.

Je suis choqué d’entendre qu’il n’y aurait pas de lien entre la baisse de notre activité et l’écotaxe : je rappelle que, jusqu’à présent, l’AFITF était financée ! Si on ne trouve pas de solution de remplacement à l’écotaxe, nous allons nous trouver dans une situation intenable, avec de nombreux chômeurs de plus – ce que nous ne pouvons accepter. En revanche, que l’usager paye ne me choque pas.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Je rappelle que l’AFITF, dont le budget global s’élève à 2, 2 milliards d’euros, est financée par plusieurs ressources : la redevance domaniale versée par les sociétés d’autoroutes, qui est passée de 100 à 300 millions d’euros ; la taxe d’aménagement du territoire, prélevée sur les concessionnaires d’autoroutes, qui rapporte 610 millions d’euros ; et une partie du produit du dispositif de contrôle et de sanction automatisés que constituent les radars fixes, pour 227 millions d’euros. Si demain ce budget n’est pas alimenté par les recettes de l’écotaxe, il sera très déséquilibré, alors que l’AFITF a déjà pris de nombreux engagements.

M. Gilles Lurton. Monsieur Cavagné, vous avez dit que l’écotaxe ne constituait plus un problème si elle pouvait être refacturée au client. Or, tous les transporteurs que nous avons reçus nous ont exprimé les difficultés qu’ils auraient à opérer cette refacturation, les pertes de marge que celle-ci entraînerait – sans parler des entreprises exportant « franco de port » qui sont dans l’impossibilité de réaliser cette opération. Il s’agit d’un problème majeur.

M. Bruno Cavagné. Il s’agit essentiellement d’un problème technique, qui doit pouvoir être réglé. Si on garantit aux entreprises de travaux publics qu’elles peuvent refacturer l’écotaxe, les trois quarts des problèmes seront résolus.

Monsieur André, les 300 millions d’euros de baisse des investissements en travaux publics correspondent à environ 20 % de la diminution d’1,5 milliard de la dotation aux collectivités locales. S’ajoute à cela le fait que les périodes électorales prévues en 2014 et 2015 ne sont pas très propices pour notre activité, alors que 2013 a été l’année préélectorale la moins faste depuis trente ans.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Le fait de faire figurer le coût du transport « en pied de facture » permettrait-il de répondre à vos difficultés et à vos interrogations ?

M. Bruno Cavagné. Nous avons demandé à Bercy, sans avoir été entendus, que l’on puisse faire figurer chaque mois le coût réel en « pied de facture ». Je le répète : si on y arrive, avec un peu de pédagogie, on parviendra à régler l’essentiel des problèmes.

M. Jean-Pierre Gorges. Monsieur Faure, il n’y a pas lieu d’entrer dans des clivages politiques si on veut faire un travail objectif.

Je pense qu’on va se diriger vers deux systèmes routiers opposés : le système autoroutier et le système éligible à l’écotaxe. Le fait que celle-ci entraîne un report de trafic de l’un vers l’autre montre qu’ils seront en concurrence.

De toute façon, le coût sera répercuté sur le client, et la grande distribution, comme tous les autres secteurs, le refacturera.

Mme Catherine Beaubatie. La plupart du temps, les entreprises mettent l’accent sur les déplacements de courte distance pour alimenter des réseaux commerciaux ou des chantiers. Vos services ont-ils travaillé à une évaluation des déplacements de la plupart de vos entreprises entre les régions et au sein de chacune d’elles ? Si oui, ces données sont-elles disponibles ?

M. Gilles Savary. Nous n’avons pas les moyens de nationaliser les autoroutes, compte tenu de leur valeur et de la durée des concessions, même si je peux comprendre qu’on n’aurait jamais dû s’en séparer.

Si aussi peu de réseaux sont soumis à l’écotaxe, je crains que le report de trafic ne soit massif. Pour le grand transit international, il serait plus avantageux de prendre l’autoroute, quitte à payer un peu plus cher, car cela est plus rapide. Une solution consisterait donc à étendre l’assiette à tout le réseau.

Je ne sais si la directive « Eurovignette » nous interdit de cumuler deux taxes, car les Européens ont toujours distingué et estimé compatibles la taxation de renouvellement des infrastructures et la taxation des effets externes – tels que la congestion ou la pollution –, qui est la cible de l’écotaxe. Il faudrait donc examiner la nature précise d’un péage autoroutier pour être sûr qu’on ne peut étendre l’écotaxe aux autoroutes.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. On me dit que c’est techniquement impossible, ce qui n’empêche pas de continuer à y réfléchir.

M. Bruno Cavagné. Madame Beaubatie, nous sommes en train de collecter des données sur les déplacements de nos entreprises.

Au-delà de l’écotaxe, il convient de réfléchir au financement des infrastructures, qu’il faut peut-être remettre à plat. Reste que nous sommes confrontés au problème urgent de notre activité pour l’année à venir, qui justifie, en attendant, une solution de court terme.

À cet égard, je ne peux que vous inviter à conserver des taxes dédiées, car lorsque cela passe par Bercy, c’est catastrophique !

M. Olivier Marleix. Que la mise en place de l’écotaxe entraîne un report sur le réseau autoroutier n’est pas une découverte. Mais en taxant le réseau autoroutier, on maintiendrait la situation actuelle, dans laquelle le réseau routier secondaire coûte moins cher que le réseau autoroutier, avec les effets d’éviction que l’on connaît – ce qui ne me paraît pas souhaitable.

En termes de financement des infrastructures routières, il y a bien un moment où il faudra choisir entre l’écotaxe et la concession autoroutière. Or il est difficile d’être à la fois contre l’écotaxe et contre les autoroutes – je rappelle que la Commission Duron était défavorable à celles-ci.

Enfin, j’émets une réserve sur le fait que le produit de l’écotaxe puisse, par l’intermédiaire de l’AFITF, servir à financer du transport urbain : cela s’éloignerait du but de la taxe.

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Réunion du mercredi 5 février 2014 à 11 h 30

Présents. - M. François André, Mme Catherine Beaubatie, M. Thierry Benoit, M. Florent Boudié, M. Xavier Breton, M. Jean-Paul Chanteguet, Mme Françoise Dubois, M. Olivier Faure, M. Jean-Pierre Gorges, M. Jean Grellier, M. Michel Heinrich, Mme Joëlle Huillier, Mme Viviane Le Dissez, M. Marc Le Fur, M. Jean-Pierre Le Roch, M. Gilles Lurton, M. Olivier Marleix, M. Hervé Pellois, Mme Émilienne Poumirol, M. Gilles Savary, M. Éric Straumann

Excusés. - M. Guénhaël Huet, M. Bertrand Pancher, M. Jean-Marie Sermier

Assistait également à la réunion. - M. Philippe Noguès