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Jeudi 10 avril 2014

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 22

Présidence M. Jean-Paul Chanteguet, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Alexis Degouy, directeur des affaires publiques de l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA), de Mme Vanessa Quéré, responsable « Économie » de l’ANIA, de M. Lionel Deloingce, vice-président de l’Association nationale de la meunerie française (ANMF) et de M. Nicolas Perardel, chargé de mission de l’ANMF 2

Mission d’information
sur l’écotaxe poids lourds

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Mes chers collègues, nous accueillons à présent les représentants de l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA) et ceux de l’Association nationale de la meunerie française (ANMF).

Les activités agroalimentaires représentent le premier secteur industriel français avec près de 495 000 salariés, un chiffre d'affaires supérieur à 160 milliards d'euros et un solde constamment positif en termes de commerce extérieur.

Les membres de la mission connaissent bien vos entreprises.

Nous savons que certaines d'entre elles sont exposées à une forte concurrence, notamment intra-européenne, et qu'elles restent souvent très dépendantes de la grande distribution sur le marché national.

Nous venons de recevoir des représentants de Coop de France qui, dans les activités agroalimentaires, fédère également de nombreuses entreprises.

Concernant l'écotaxe, il nous importe de connaître votre position sur les modalités retenues pour sa mise en œuvre, telle qu'elles étaient prévues jusqu'à la décision gouvernementale de suspension. Je pense notamment au principe de sa répercussion sur les chargeurs conjugué au mécanisme de la majoration forfaitaire.

Plus généralement, estimez-vous possible de procéder à certains ajustements, voire de modifier plus profondément le cadre réglementaire de l'écotaxe, avec pour objectif sa possible relance conditionnée à une meilleure acceptabilité de la part des milieux économiques ?

Autre question : bien que l’ANIA soit une organisation à vocation nationale, considérez-vous que l'écotaxe pose un problème spécifique de compétitivité aux entreprises bretonnes, en comparaison de la situation d'autres entreprises de l'agroalimentaire, tout autant localisées dans des régions éloignées des centres de commercialisation ?

Il existe un grand nombre d'études savantes qui sont parfois trop théoriques sur le transport routier. En fait, les schémas productifs et logistiques de nombreuses activités demeurent assez mal connus. À cet égard, on peut penser qu'une véritable « marche à blanc » nationale sur plusieurs mois permettrait de mieux mettre à jour certaines spécificités.

Les quelques expérimentations conduites au cours de l'automne 2013 n'ont pas permis d'envisager des rectifications probantes. Dans mon esprit, il ne s'agissait pas de véritables « marches à blanc » : elles ne concernaient que très peu d'entreprises et ne visaient principalement qu'à valider, du seul point de vue technique, le système de facturation.

Après vous avoir écouté au titre d’un exposé liminaire, les membres de la mission d’information vous poseront des questions afin d'engager un dialogue que nous souhaitons évidemment le plus constructif possible.

M. Alexis Degouy, directeur des affaires publiques de l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA). Comme vous l’avez rappelé, monsieur le président, les industries alimentaires constituent le premier secteur industriel en termes d’emplois et de chiffre d’affaires. Ce secteur est aussi un des plus présents sur le territoire : son maillage couvre tous les départements, ce qui n’est pas sans conséquence sur l’impact de l’écotaxe. Les salariés sont nombreux dans les postes de production des usines, même dans des bassins d’emploi sinistrés, comme en Bretagne, en Picardie ou dans la région Champagne-Ardenne.

M. Deloingce qui est vice-président de la Meunerie française, pourra vous apporter un exemple tout à fait concret de l’impact de l’écotaxe sur une branche de l’industrie alimentaire française.

Mme Vanessa Quéré, responsable « Économie » de l’ANIA. L’industrie agroalimentaire française rassemble quelque 12 000 entreprises réparties sur tout le territoire, dont 97 % de PME. Ces entreprises de moins de 250 salariés emploient 50 % des effectifs du secteur.

Si l’agroalimentaire reste un secteur fort en France et s’il résiste mieux que d’autres à la désindustrialisation du territoire, sa situation économique est toutefois inquiétante en raison de la forte volatilité du prix des matières premières depuis 2008 et des relations très tendues que cette volatilité induit avec nos principaux clients que sont les distributeurs : l’industrie agroalimentaire leur sert en effet d’amortisseur et de variable d’ajustement. Entre 2008 et la fin de 2012, la marge brute des entreprises du secteur s’est dégradée de 14 %, et leur trésorerie a été fragilisée : en 2013, le secteur a enregistré 316 défaillances – un nouveau record –, qui se sont traduites par la perte de 4 824 pertes d’emplois. Depuis le début de l’année 2014, 1 000 emplois demeurent sous tension sur l’ensemble du territoire national.

Dans un tel contexte, le dispositif de l’écotaxe pose de nombreuses difficultés à nos entreprises car il fragilise, je le répète, leur position dans des relations commerciales déjà tendues.

M. Lionel Deloingce, vice-président de l’Association nationale de la meunerie française (ANMF). La meunerie française est une industrie agroalimentaire de première transformation, composée de 441 unités de production réparties sur l’ensemble du territoire, qui transforment 5,5 millions de tonnes de blé pour 2,15 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Elle représente 6 000 emplois directs.

La meunerie française, dont l’activité est principalement régionale, approvisionne quotidiennement toutes les boulangeries françaises. Le fait que les volumes transportés soient souvent inégaux n’est pas sans conséquence sur les coûts de production et donc sur le calcul des prix de revient. Une taxe supplémentaire pèserait lourdement sur des coûts de production déjà fortement affectés depuis 2008 par la forte volatilité du prix des matières premières.

Notre secteur a subi une forte dégradation de sa rentabilité. Il lui est par ailleurs difficile d’imaginer des modes de transport substituables, dans la mesure où son activité est très locale.

Les rythmes de livraison sont soutenus et si les volumes transportés sont inégaux – je tiens à le répéter –, c’est qu’ils nous sont imposés par nos clients, aux demandes desquels nous sommes dans l’obligation de nous adapter.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Pouvez-vous nous donner des précisions sur votre organisation logistique et votre système de production ?

M. Lionel Deloingce. L’organisation logistique comprend deux parties : l’approvisionnement et la distribution.

Notre seule matière première est le blé, que nous transformons en farine.

L’approvisionnement se fait par transport pour compte d’autrui sur des zones aussi locales que possibles, afin de diminuer les coûts de transport qui représentent généralement une charge importante pour les entreprises. Il convient évidemment de tenir compte de l’implantation des bassins de production de blé : les entreprises de meunerie éloignées d’un bassin de production ont des coûts de transport plus importants.

La distribution, quant à elle, se fait par transport pour compte propre : nous disposons de nos propres flottes de camions. Nos livraisons sont quotidiennes, en fonction de la demande de nos clients, ce qui peut entraîner des coûts logistiques importants, puisque nous ne choisissons pas les volumes transportés. De plus, la plupart de nos farines étant livrées dans des citernes-vrac spécifiques à la farine, les retours sont systématiquement effectués à vide. C’est pourquoi l’écotaxe, telle qu’elle a été imaginée, représenterait une double peine pour la meunerie française : selon les projections que nous avons établies, elle pèserait pour moitié sur le résultat courant avant impôt des entreprises du secteur.

Si, en tant qu’utilisateurs, nous ne contestons pas la nécessité de devoir participer à l’entretien du réseau routier, nous pensons toutefois qu’il convient de rester dans l’esprit du développement économique de nos régions. Comme l’a souligné M. Degouy, il est nécessaire, pour favoriser le développement régional, de repenser complètement les principes qui ont présidé à la mise en place de l’écotaxe.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur Combien de kilomètres effectuent mensuellement, d’une part, un camion qui approvisionne une unité de production de farine et, d’autre part, un camion qui distribue cette farine chez le boulanger ?

M. Lionel Deloingce. Établir une moyenne est difficile, car elle dépend de l’emplacement des entreprises.

En termes d’approvisionnement, l’éloignement des bassins de production de blé est inférieur à 150 kilomètres. S’agissant de la distribution, le rayon oscille entre 200 et 220 kilomètres. Je le répète : ce sont les retours à vide qui pèseront particulièrement sur les entreprises si l’écotaxe est appliquée selon les modalités prévues. Nos camions, pour des raisons de sécurité alimentaire, ne peuvent prévoir aucun affrètement supplémentaire.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Vous n’avez pas répondu à ma question, que je renouvelle : combien de kilomètres effectuent mensuellement, d’une part, un camion qui approvisionne une unité de production de farine et, d’autre part, un camion qui distribue cette farine chez le boulanger ?

M. Lionel Deloingce. Je prendrai l’exemple de mon entreprise.

Je ne saurais vous répondre pour la part approvisionnement, puisque nous faisons appel à des transporteurs extérieurs. S’agissant de la distribution, nos camions effectuent entre 7 000 et 10 000 kilomètres par mois.

M. Marc Le Fur. La logique de l’écotaxe est de faire payer l’aval. Or l’aval est à l’heure actuelle plus fragile qu’il ne l’était lorsque la mesure a été adoptée. Les périodes de grande prospérité qu’ont connues les boulangers sont maintenant terminées : aujourd'hui, des boulangeries déposent le bilan. Quant au pouvoir d’achat du consommateur, il baisse.

Si la France est un grand pays producteur de blé, le blé panifiable n’est produit que dans quelques départements et doit donc parfois être transporté assez loin de son lieu de production. Quelle est la part du rail dans le transport de blé ? Augmente-t-elle ? Selon mes informations, le rail serait totalement déconnecté des besoins de la meunerie.

Une réflexion pour terminer : vous avez évoqué la question des transports spécialisés, qui ne peuvent prévoir de fret au retour. Or elle ne se pose pas seulement pour la meunerie : elle se pose pour tous les transports agroalimentaires, qui ne peuvent transporter aucun produit au retour pour payer ne serait-ce que les frais d’essence – ce problème concerne particulièrement le gigantesque trafic agroalimentaire du grand Ouest vers la région parisienne. Or les transporteurs devront payer l’écotaxe, même lorsqu’ils rentreront à vide, ce qui est aberrant, puisqu’ils devront payer un impôt sur le transport alors qu’ils ne transporteront rien !

M. Lionel Deloingce. Je confirme que la boulangerie est un secteur d’activité qui connaît des défaillances plus nombreuses aujourd'hui que par le passé. Nos encours en boulangerie sont très importants et les risques de défaillances également.

Vous avez raison, monsieur le député : le blé panifiable est produit principalement en Beauce. Pour les meuniers qui sont les plus éloignés de ce bassin de production, les frais de transport sont plus importants que pour les autres. Dans le transport du blé, la part du rail s’élève aujourd'hui à 8 % et concerne des meuneries situées non loin d’embranchements ferroviaires : or elles sont rares. Il faut en effet savoir que les unités de production sont historiquement implantées près des cours d’eau, parce que la meunerie, qui est aujourd'hui électrifiée, utilisait par le passé la force hydraulique. Le déplacement des unités de production engendrerait des coûts insupportables pour leur trésorerie, compte tenu de leur faible rentabilité actuelle.

M. Marc Le Fur. Monsieur le président, sur la question de l’alternative au transport routier, il conviendrait d’auditionner M. Guillaume Pepy, et ce à double titre : en tant que responsable du fret ferroviaire et en tant qu’actionnaire d’Ecomouv’. Il serait tout de même intéressant de savoir pourquoi la SNCF a investi dans Ecomouv’.

M. Lionel Deloingce. Si la part du ferroviaire ne représente que 8 % du total, c’est aussi parce que les unités de transports de la meunerie sont bien inférieures aux propositions du rail, qui sont effectivement décalées par rapport aux besoins de notre secteur d’activité.

M. Gilles Savary. Je tiens tout d’abord à rappeler que l’objectif n’est pas de mettre en place une taxe punitive mais de financer les infrastructures routières. Compte tenu du retrait de la subvention publique générale, qui s’inscrit dans la politique d’assainissement des finances publiques et de lutte contre l’endettement, il est nécessaire d’instaurer une recette d’affectation spéciale. L’écotaxe est donc une recette d’« utilisateurs payeurs ».

Si elle est kilométrique, c’est afin de taxer les camions étrangers, qui trop souvent aujourd'hui ne font même pas le plein de carburant en France lorsqu’ils traversent le territoire.

Vous avez affirmé que l’écotaxe représenterait la moitié du résultat courant : cela signifie à la fois que celui-ci est très faible et que c’est le transport qui représente l’essentiel de la production de valeur de votre activité, et non la transformation ou le packaging.

M. Lionel Deloingce. Depuis 2008, le résultat courant de nos entreprises s’est fortement dégradé en raison notamment de la diminution de nos marges due à la forte volatilité des matières premières. En effet, nos acheteurs exercent sur nous des pressions pour nous contraindre à répercuter partiellement les hausses mais intégralement les baisses. Je ne sache pas, du reste, que le consommateur en profite ! Les variations pouvant aller de 15 euros à 20 euros la tonne dans la même semaine, juger de l’opportunité d’acheter nous est impossible, si bien que des entreprises peuvent se retrouver dans des situations financières délicates et doivent entamer leur trésorerie de sécurité. Le résultat des entreprises de meunerie représente aujourd'hui 1 % du chiffre d’affaires. Le transport a donc pris une part beaucoup plus importante que par le passé dans le calcul du prix de revient de nos produits : l’écotaxe, telle qu’elle a été imaginée, pèserait lourdement sur les résultats.

Je le répète : nous avons le souci de l’entretien du réseau routier et serions à l’écoute de solutions de substitution si on nous en proposait. Or on nous en propose peu, pour ce type de transport régional effectué sur de très courtes distances, avec des fréquences importantes et des volumes transportés aléatoires, si bien que nous craignons de devoir subir un système de double peine préjudiciable à la pérennité de nos entreprises.

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. À combien estimez-vous l’impact de l’écotaxe sur le prix de la farine que vous livrez aux boulangers ?

M. Lionel Deloingce. L’impact serait de dix à douze euros la tonne, soit 15 % à 20 % du prix de la farine.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Les chiffres qui nous sont habituellement donnés par le ministère sont les suivants : la part du transport dans le coût du produit étant de 10 % et celle de l’éco-redevance de 4 % à 5 % du prix du transport, l’impact de la mesure sur le prix du produit oscillerait de 0,3 % à 0,5 %. Vos chiffres, que je ne conteste pas, sont bien supérieurs.

M. Hervé Pellois. S’agissant de l’agroalimentaire, il faudrait pouvoir établir la part de l’écotaxe en fonction des marges réalisées pour chaque produit transporté – elles sont très différentes selon les produits.

La meunerie a su changer : certaines farines permettent de réaliser des plus-values plus importantes que la farine classique. J’ai pu observer au cours de la visite d’une meunerie les efforts de recherche réalisés en la matière. Comment est-il possible qu’une telle diversification n’améliore pas vos marges ?

M. Lionel Deloingce. Il est vrai que la meunerie a évolué et ne se contente plus de transformer le blé. Les industriels du secteur ont développé des outils de marketing, qui restent souvent de l’habillage, mais permettent à l’entreprise d’améliorer la valeur ajoutée. L’outil de production étant excédentaire – les capacités de production sont bien plus élevées que la consommation –, les effets de concurrence sont de plus en plus importants et les meuniers ont dû se tourner vers des activités de service. Nous avons toutefois face à nous des acheteurs avisés qui pèsent largement et les investissements en produits « marketés » sont supérieurs aux prix de vente, compte tenu de l’importance de la concurrence. Il convient d’ajouter à cela la baisse générale de la consommation de pain en France, qui est de moins en moins considéré comme un aliment de base et de plus en plus consommé pour le plaisir. D’autres produits se sont substitués à sa consommation. C’est pourquoi un grand nombre de boulangeries sont vouées à disparaître.

La conjonction de tous ces facteurs fait de la meunerie un secteur d’activité de plus en plus concurrentiel qui voit sa rentabilité remise en cause.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. La répercussion de l’écotaxe sur le prix de la farine risquerait-elle de poser de vrais problèmes aux boulangers en termes de rentabilité et de peser à terme sur le nombre de boulangeries ?

M. Lionel Deloingce. Si les boulangers acceptent le principe de la répercussion, ils seront obligés d’augmenter en conséquence le prix de leurs produits, ce qui affectera le pouvoir d’achat des consommateurs. Ces derniers sont-ils prêts à payer plus cher encore un aliment qu’ils estiment déjà coûteux ?

Initialement, les transporteurs pour compte propre avaient la liberté de répercuter ou non l’écotaxe sur leurs clients, ce qui faisait de celle-ci un outil de distorsion de concurrence. Le meunier qui décidait de ne pas la répercuter aurait contraint son concurrent à faire de même. En revanche, s’agissant de l’approvisionnement, seules les opérations de transport routier réalisées pour compte d'autrui étant concernées par le dispositif de la majoration forfaitaire, nous étions dans l’obligation d’en assumer la charge.

M. Alexis Degouy. Monsieur le président, il est difficile d’établir des moyennes en raison de la très grande complexité de l’industrie agroalimentaire : il conviendrait de réaliser une étude d’impact secteur par secteur. Certains sont beaucoup plus affectés par le facteur transport que d’autres.

Ce qu’il faut rappeler, c’est que, d’une part, la répartition sur l’ensemble du territoire des entreprises agroalimentaires s’explique par le fait qu’elles transforment 70 % de la production agricole française, et que, d’autre part, si elles utilisent la route, c’est parce que ce moyen de transport n’est pas substituable – c’est évident pour le secteur laitier ou la meunerie. Or, comme ces entreprises ne pourront pas répercuter dans le prix final l’augmentation du coût du transport, cette nouvelle taxe affectera leurs marges et, par-delà, leur capacité à investir dans leur outil de production.

Pour résumer, si l’écotaxe était appliquée selon les modalités prévues avant sa suspension, les entreprises agroalimentaires seraient victimes de leur propre tissu industriel.

M. Lionel Deloingce. Je tiens à signaler une erreur de virgule : l’impact de l’écotaxe représenterait 1,5 % et non 15 % du prix de la farine.

M.  Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Je prends bonne note de cette rectification.

M. Lionel Deloingce. Ce chiffre demeure bien supérieur à celui évoqué par le ministère. Je précise que le résultat courant avant impôt se situe entre 1 % et 3 %.

M. Gilles Savary. Pourrions-nous disposer de comptes de branche sur la formation de la valeur ? Pour les uns, l’écotaxe causerait un sinistre économique généralisé tandis que pour le ministère comme pour certains acteurs de l’industrie lourde – ils me l’ont dit – son impact serait homéopathique. Nous ne pouvons pas en rester à des impressions. L’écotaxe ne doit pas être instrumentalisée dans le cadre d’une stratégie de bouc émissaire.

Par ailleurs, d’autres puissances agroalimentaires – l’Allemagne, l’Autriche ou la Suisse par exemple – ont mis en place une taxe similaire. Son instauration a-t-elle eu dans ces pays des effets dévastateurs ? Je me suis rendu récemment en Suisse, qui a instauré une taxe universelle – tout le réseau routier est touché au premier kilomètre sans qu’aucune répercussion ait été prévue : les Suisses ont laissé faire le marché. Quelle est votre appréciation ? Il faut savoir que la répercussion forfaitaire, prévue en France, n’interdit pas aux chargeurs d’exercer des pressions sur les transporteurs.

M. Alexis Degouy. Nous connaissons ces initiatives mais ne les avons pas étudiées dans le détail. Leurs effets ont été inégaux.

Ce qui est spécifique à la taxe française est la possibilité pour les industriels de répercuter son coût. Or cette possibilité pèse sur les relations entre les industriels du secteur et leurs partenaires commerciaux. Si chaque partenaire de la chaîne s’accordait à financer l’entretien du réseau routier, la taxe serait répartie entre tous. Or, tel n’est pas le cas. Les industriels de l’agroalimentaire ont déjà vu leurs marges affectées par la hausse du prix des matières premières que leurs partenaires commerciaux ont refusé de répercuter sur le prix de vente final du produit et ils savent que ces derniers refuseront également de répercuter le coût de l’écotaxe. Nos voisins européens ne sont pas confrontés à la même problématique. Je le répète : les entreprises agroalimentaires seront finalement victimes de leur répartition sur l’ensemble du territoire national. Telle est la raison profonde de l’opposition de l’ANIA à l’écotaxe, que nos industriels ne pourront pas répercuter.

Je tiens à rappeler que les grandes surfaces exigent également des livraisons de plus en plus fréquentes, dont le rythme interdit de pouvoir remplir le camion. Cette problématique s’ajoute à celle des retours à vide.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Nous avons tendance à raisonner comme s’il n’existait pas déjà des routes taxées en France. Or il en existe : ce sont les autoroutes pour leur plus grande part. Avec l’écotaxe, il s’agit donc de passer non pas d’un réseau non taxé à un réseau totalement taxé mais d’un réseau en partie taxé à un réseau plus amplement taxé – 15 000 kilomètres supplémentaires. Tous les transports ne s’effectueront donc pas demain sur un réseau entièrement écotaxé.

M. Lionel Deloingce. Ce que vous dites est vrai, monsieur le président, mais il convient d’y apporter un élément de pondération : l’emplacement géographique des entreprises. Un des sites de production de mon entreprise de meunerie, situé à Pontoise, réalise 80 % de son activité à Paris et dans la région parisienne, dont le réseau, vous le savez, a été largement pourvu de portiques. L’activité de ce site de production sera très affectée par ce maillage.

Le fonctionnement régional de l’écotaxe créerait de grosses distorsions de concurrences entre les entreprises en fonction de leur implantation. Qu’elles se situent d’un côté de la limite du département ou de l’autre côté, l’impact sera différent. Dans un monde idéal, la répercussion des prix devrait aller du producteur au consommateur final. Or la chaîne est inversée. La distribution définit d’abord le prix que devra payer le consommateur puis fait pression sur les industries amont qui, en cas de refus du prix demandé, peuvent se retrouver dans de graves difficultés.

L’écotaxe, notamment en raison de la majoration forfaitaire, aurait un impact considérable sur les industries de première transformation que sont les meuneries, en raison de l’importance tant de la fréquence des livraisons que des charges pondérales.

Mme Émilienne Poumirol. Les auditions successives nous révèlent l’importance de la pression exercée par la grande distribution sur les industriels non seulement en termes de prix mais également de fréquence des livraisons, exigences qui augmentent le prix de revient du produit. Dans un monde idéal, ne faudrait-il pas agir sur la grande distribution ?

Le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt prévoit d’inscrire dans la loi le rôle et les missions du Médiateur des relations commerciales agricoles afin de garantir notamment aux producteurs le prix du lait. Ne conviendrait-il pas d’étendre les pouvoirs de ce médiateur pour lui permettre d’exercer une pression sur la grande distribution, qui a déjà bénéficié du CICE, en termes de prix ou de fréquence de livraison, fréquence qui a de plus un impact écologique ? Certes, ses représentants nous ont dépeint leur situation sous les couleurs les plus sombres …

M. Alexis Degouy. La loi relative à la consommation va déjà dans le bon sens : toutefois elle ne saurait régler le déséquilibre existant entre 12 000 entreprises agroalimentaires et sept grands distributeurs.

La production et la transformation d’un côté et la distribution de l’autre sont deux grands secteurs qui font vivre les territoires avec de nombreux emplois à la clé. C’est donc ensemble qu’ils doivent trouver une solution. Les négociations commerciales ont été particulièrement difficiles cette année en matière de répercussion. Nous sommes engagés dans une inquiétante spirale déflationniste. L’inflation des prix alimentaires due notamment à la hausse des matières premières s’est élevée à 3,7 % en Allemagne en 2013 contre 1,2 % en France, la différence étant prise sur les marges des industriels, dont le tissu finit par se déliter. Comment dans ces conditions investir dans l’outil de production et innover pour rester concurrentiel au plan international ? Il appartient au Parlement et au Gouvernement de trouver des solutions pour instaurer une logique responsable, de l’amont à l’aval jusqu’à la distribution, et enrayer une spirale déflationniste qui n’est bonne pour personne.

La médiation est un outil qui a fait ses preuves. Nous avons rencontré le Médiateur inter-entreprises et le Médiateur des relations commerciales agricoles, dont les démarches vont dans le sens d’une responsabilité partagée tout au long de la chaîne : malheureusement, nous n’y sommes pas encore parvenus.

Monsieur le président, s’il est vrai que tous les axes routiers ne seront pas taxés, les industriels du secteur agroalimentaire sont toutefois opposés à l’écotaxe parce qu’ils savent qu’ils finiront par la payer. Ils seront, je le répète à nouveau, pénalisés de leur présence sur tout le territoire, laquelle se traduit par l’obligation d’effectuer, à la demande de leurs clients, des livraisons courtes, avec souvent des chargements incomplets, ou encore par celle de se rendre dans des zones reculées, notamment pour aller chercher deux fois par jour le lait dans les fermes.

L’écotaxe telle qu’elle est prévue suscite chez les industriels du secteur agroalimentaire un profond sentiment d’injustice.

M. Lionel Deloingce. J’ai dans ma clientèle une grande enseigne de distribution dont je rencontre les responsables une ou deux fois par an, pour les renégociations, à des dates qu’ils décident et qui ne sont pas forcément les plus opportunes en termes de prix d’achat des matières premières. Je suis néanmoins dans l’obligation de faire une proposition de prix indexée sur le marché du blé du moment. Ce prix est unique pour l’ensemble des magasins qui me seront attribués, qu’ils se situent à quarante kilomètres ou à 120 kilomètres de mon site de production. En plus, ma remise de prix doit prendre en compte tous les impondérables, tels que la fréquence de livraison – je dois me soumettre aux exigences du directeur de chaque magasin en la matière – ou les coûts induits par le temps d’attente lors de la livraison. Je dois tout prendre à ma charge.

Si nous ne remettons pas en cause le bien-fondé de l’entretien du réseau routier, nous sommes incapables de supporter le poids de l’écotaxe dans sa forme actuelle, compte tenu des pressions exercées par nos acheteurs.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Madame, Messieurs, je vous remercie.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Réunion du jeudi 10 avril 2014 à 10 h 30

Présents. - M. Jean-Paul Chanteguet, Mme Françoise Dubois, M. Olivier Faure, Mme Viviane Le Dissez, M. Marc Le Fur, M. Gilles Lurton, M. Hervé Pellois, Mme Émilienne Poumirol, M. Gilles Savary

Excusé. - M. Florent Boudié