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Mercredi 30 avril 2014

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 23

Présidence M. Jean-Paul Chanteguet, Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie 2

Mission d’information
sur l’écotaxe poids lourds

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Nous recevons ce matin Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie – pour une audition dont c’est peu dire, madame la ministre, qu’elle était très attendue !

Depuis sa création par la Conférence des présidents, notre mission d’information poursuit un objectif de clarification. Notre préoccupation est d’établir un état des lieux, en cherchant à lever certaines incompréhensions et en réfutant ce que l’on doit bien appeler quelques éléments de désinformation.

Pour ma part, j’ai considéré qu’il revenait à la représentation nationale de refonder la légitimité de l’écotaxe, à laquelle il serait plus judicieux de rendre son appellation initiale d’« éco-redevance poids lourds ».

Autre rappel d’importance, le principe de cette redevance d’usage a été approuvé à une très large majorité – pour ne pas dire à la quasi-unanimité – du Parlement dans le cadre de la loi de programmation, dite Grenelle 1, du 3 août 2009. Les dispositions alors adoptées prévoyaient, d’une part, que ce prélèvement interviendrait à compter de 2011 et, d’autre part, qu’il serait neutre pour les transporteurs car « répercuté sur les bénéficiaires de la circulation des marchandises », c’est-à-dire sur les affréteurs et sur les chargeurs.

La même loi « Grenelle 1 » organisait la répartition et l’affectation du produit de cette « écotaxe » ou « éco-redevance », le principe étant d’abonder majoritairement le budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, et de doter les départements d’une autre partie de ce produit. L’AFITF et les départements sont en effet confrontés à un problème majeur : financer l’entretien, la modernisation et le développement des réseaux de transport, nécessaires à la compétitivité de notre économie dans son ensemble, par une recette programmable, donc pérenne.

Interrogé ici même par notre mission, votre collègue Bernard Cazeneuve, alors ministre en charge du budget, avait souligné que la trajectoire de financement de la politique des transports était construite selon un schéma prévoyant une entrée en vigueur de l’écotaxe au 1er janvier 2014. Il ne nous avait pas caché qu’à défaut, l’impasse budgétaire serait difficilement surmontable, compromettant le financement des volets « Mobilité » des contrats de projets entre l’État et les régions, qui mobilisent en moyenne 950 millions d’euros par an.

Dans sa réflexion, la mission n’a pu faire abstraction du double cadre qui s’imposait naturellement à elle : d’une part, les directives européennes dites « Eurovignette » et « Interopérabilité » ; d’autre part, le contrat de partenariat public-privé qui a abouti à la désignation d’un prestataire commissionné de l’État pour la liquidation et la collecte de l’éco-redevance. Ce partenariat a été conclu en janvier 2011, au terme d’un appel à projets comportant de longues phases de discussion avec les candidats, période dite de « dialogue compétitif ».

Le choix s’est porté sur le consortium Ecomouv’, qui a été chargé de bâtir un système sur la base des prescriptions de l’État. Je rappelle qu’Ecomouv’ n’est pas une société étrangère même si son principal actionnaire est Autostrade per l’Italia. En effet, de grands groupes français participent à son capital. Ils ont construit le système dans ce cadre et ils exercent, en outre, des responsabilités importantes en termes de sous-traitance. Il s’agit de Thales, de la SNCF, de Steria et de SFR.

Aujourd’hui, l’État se trouve lourdement engagé, tant vis-à-vis de l’Union européenne que du partenaire et des acteurs choisis et impliqués dans le système par ses soins, sans oublier les personnels qu’ils ont recrutés. Est-il possible de tout « remettre à plat » dans ces conditions ?

Nous nous interrogeons sur les voies et moyens qui permettraient d’effacer purement et simplement un choix aussi lourd de conséquences. Au-delà de la question de la crédibilité de la parole et de la signature des pouvoirs publics, disposons-nous aujourd’hui des moyens financiers de dédommager le prestataire et de vouer à l’inutilité des centaines de millions d’euros d’investissements, puis de relancer la machine pour bâtir à neuf un cadre et des modalités totalement différents ? Cela reporterait d’une année, voire de plusieurs, toute perspective de ressources pourtant indispensables au financement de nos infrastructures. Je ne vous cache pas nos inquiétudes à ce sujet, madame la ministre.

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Monsieur le président, mesdames et messieurs les parlementaires, ma préoccupation aujourd’hui est de rechercher avec vous les moyens de sortir de la situation complexe dont nous héritons. Nous avons en effet l’obligation de dégager les solutions les plus consensuelles afin de pouvoir engager au plus vite, notamment en signant le volet « Mobilité » des contrats de plan État-régions, les investissements d’infrastructures que nos territoires attendent – pour le développement des transports urbains, pour l’entretien du réseau routier et du réseau ferroviaire, etc. Tous ces travaux d’infrastructures nécessitent des moyens et créeront de l’activité, des emplois et du travail pour nos entreprises de travaux publics. Là est donc mon objectif principal.

L’affaire de l’écotaxe confirme ce que tous les élus de terrain savent d’expérience : les meilleures intentions du monde – au cas d’espèce parfaitement consensuelles au surplus, puisque la loi avait été votée à l’unanimité – peuvent se heurter à des réalités humaines, sociologiques ou géographiques bien différentes de ce à quoi on pouvait s’attendre, et c’est un euphémisme pour décrire ce qui s’est passé en Bretagne. C’est pourquoi j’ai cherché d’emblée à comprendre les raisons pour lesquelles cette région s’était si vivement opposée à l’écotaxe.

J’observe d’abord que le dispositif a été voté il y a six ans déjà, dans le cadre de la loi Grenelle, son principe ayant été accepté dès la Conférence environnementale de 2007. Le contrat avec le prestataire a été signé en 2011. Enfin, le 6 mai 2012, soit dans la dernière semaine du quinquennat précédent, un décret en a précisé les modalités d’application. C’est à partir de là que le mot « écotaxe » a cessé de convenir au dispositif mis en place. En effet, une véritable fiscalité écologique a comme premier objectif d’inciter les acteurs à adopter des comportements plus respectueux de l’environnement. Or on sait que, dans l’état actuel de nos infrastructures, les chargeurs n’ont pas la possibilité d’arbitrer en faveur du réseau ferroviaire, étant donné les très faibles capacités en fret de celui-ci. D’autre part, à partir du moment où l’on a pour objectif de financer des travaux d’infrastructures, il faut l’assumer politiquement. Il est très important, vis-à-vis de l’opinion et de nos interlocuteurs, que nous soyons clairs quant aux concepts que nous utilisons et quant à nos objectifs politiques. Or l’idée qui sous-tendait la création du dispositif était simple : il s’agissait de faire payer l’entretien des routes par ceux qui les utilisent, c’est-à-dire par les entreprises de camionnage, et d’étendre ainsi aux routes le principe du péage auquel l’usage du réseau autoroutier est déjà soumis. Pour cela, on a jugé qu’il suffisait d’installer des portiques sur les routes. Le problème, c’est qu’il est beaucoup plus difficile d’imposer des impôts nouveaux en période de crise économique, que ce soit aux entreprises de transport, qui ont déjà des marges très faibles, ou aux chargeurs, c’est-à-dire aux producteurs, sur lesquels cette aggravation de charges a été répercutée en vertu du décret du 6 mai 2012. Dans la situation économique que nous connaissons, l’hostilité très vive rencontrée par cette nouvelle taxation des entreprises est parfaitement compréhensible.

Avant le décret du 6 mai 2012, le dispositif reposait dans ses grandes lignes sur une répercussion au réel, qui nécessitait des calculs a priori de l’écotaxe générée par la prestation de transport, puis des calculs a posteriori de l’écotaxe réellement générée par cette prestation en fonction des trajets réellement entrepris, avec des règles de partage pour les transports impliquant plusieurs clients. Ce dispositif avait été considéré par les transporteurs comme très complexe, très insécurisant et fragilisant leurs relations commerciales, puisque nécessitant de modifier a posteriori le coût de la prestation de transport.

Le décret a fait prévaloir d’autres principes. Premièrement, devait être calculé pour chaque région le montant total de l’écotaxe généré par tous les transports effectués sur son territoire. Deuxièmement, ce montant était rapporté au montant cumulé de ces transports afin de déterminer le taux unique dans la région concernée. Troisièmement, toutes les prestations de transport dans la région, quel que soit le réseau utilisé, étaient affectées d’une majoration sur la base du taux ainsi calculé. En Bretagne, par exemple, il avait été estimé, en intégrant l’abattement de 50 % dont bénéficie la région, que l’écotaxe générée représentait 45 millions d’euros cependant que l’ensemble des prestations de transport se montait à 1 200 millions d’euros. Il en résultait que l’écotaxe représentait en moyenne 3,7 % des prestations de transport. On a donc décidé que tous les chargeurs paieraient pour tous les transports qu’ils commanderaient, y compris pour ceux dont le parcours s’achèverait sur le rail, une majoration de leur facture égale à 3,7 % de la prestation commandée. En conséquence, pour une entreprise bretonne, l’écotaxe devait se traduire – très douloureusement – par une majoration uniforme de 3,7 % de son budget transport. Les chargeurs y ont donc vu une simple taxe sur les prestations de transport, comme si un taux majoré de TVA avait été institué sur cette activité.

On comprend par cet exemple que le dispositif, déjà extrêmement complexe, était devenu, en outre, totalement incompréhensible sur le plan des principes, en particulier pour une région périphérique. Tout le monde étant assujetti, et ce quel que soit le mode de transport, il avait perdu tout caractère d’incitation à adopter des comportements écologiquement vertueux. Or, pour qu’un dispositif de ce type soit accepté, il faut qu’il soit clair, que ses objectifs soient précis et qu’on puisse démontrer qu’il permet de les atteindre.

D’autres points m’ont posé question. Je précise qu’à ce stade, je me contente de vous faire part de mes interrogations et que le Gouvernement attendra les conclusions de votre mission d’information et celles de la commission d’enquête sénatoriale pour prendre des décisions. Je rappelle qu’après que le gouvernement Ayrault a suspendu la mise en œuvre de l’écotaxe, Ecomouv’ a accepté de s’engager dans une négociation amiable, à laquelle participe un conciliateur que j’ai mandaté à cet effet, M. Pierre-François Racine, dans le cadre d’un comité présidé par M. Daniel Labetoulle. Pour l’heure, je me contente de poser sur ce dossier un regard neuf, loin de toute considération partisane. Mon but est de comprendre ce qui s’est passé et surtout de trouver les moyens pratiques et si possible consensuels de sortir de la situation actuelle, sans avoir à passer par des textes législatifs ou réglementaires.

Cela étant, les termes du contrat liant l’État à Ecomouv’ ont de quoi surprendre. Ainsi les capitaux propres de cette société sont rémunérés à hauteur de 17 %, ce qui est très rare, surtout dans une activité sans risque. En outre, le coût de la collecte représente 25 % de son montant, soit au minimum 270 millions d’euros pour une recette de 1,15 milliard d’euros. C’est un coût extrêmement élevé. D’autres points posent question, comme l’engagement d’assurer un taux de recouvrement supérieur à 99,8 %. Par ailleurs, l’exécution de certaines prestations par l’entreprise a connu des retards.

J’entends dire aussi – mais ce point est à vérifier – que les technologies mises en œuvre ne sont pas forcément les plus efficaces ni les plus récentes. Je pense notamment aux portiques. Dans certaines communes, les habitants et les maires ont mal vécu le fait qu’ils aient pu être installés sans permis de construire alors même qu’ils agressent le regard plus que bien des aménagements soumis à cette contrainte. En outre, ayant eu la curiosité de visiter une entreprise de transport, j’ai constaté qu’elle parvenait très bien à suivre l’itinéraire de ses camions sans avoir besoin de tels équipements. Ceux-ci pourraient enfin poser problème à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, dans la mesure où ils permettent de contrôler les déplacements de tous les véhicules sans distinction.

À ceux qui m’objectent qu’une dénonciation du contrat d’Ecomouv’ entraînerait des frais d’indemnisation élevés pour l’État – certains parlent de 800, voire de 900 millions d’euros –, je réponds que l’État aussi a subi des préjudices, en raison notamment des retards dans l’exécution du contrat ou de certains engagements mirobolants de l’entreprise quant aux performances techniques des installations. Il ne s’agit pas pour moi d’entrer dans une logique contentieuse, qui n’est pas souhaitable en ce qu’elle ralentirait encore la prise de décision ; je veux simplement indiquer qu’il y a un espace de négociation qui permettra à toutes les parties prenantes, si on trouve un dispositif plus astucieux, de se mettre autour de la table pour discuter. Je pense que nous sommes entre protagonistes intelligents, capables de remettre à plat les choses dans le respect des intérêts de chacun. La mission qui est la nôtre, comme elle est celle de la Représentation nationale, est de défendre prioritairement l’intérêt général, d’assurer la protection des entreprises en période de crise économique et de faire en sorte que les travaux d’infrastructures soient rapidement engagés.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Vos réserves quant aux performances d’Ecomouv’ ne risquent-elles pas d’apparaître comme une mise en cause des sociétés françaises qui ont mis au point les technologies utilisées, comme Thales ou Steria ? Je rappelle que les portiques ne sont pas là pour assurer la tarification ; ils sont là pour contrôler si les véhicules sont correctement équipés. Quant à la CNIL, elle a considéré, s’agissant du système de contrôle, que la solution mise en œuvre était conforme. Les rapports de passage sont automatiquement détruits en local dans l’équipement de contrôle automatique pour les véhicules non assujettis ou en situation régulière.

Mme la ministre. Je n’ai pas mis en cause telle ou telle société : j’ai fait état d’interrogations que j’ai entendues et dont j’ai bien précisé qu’elles devaient être vérifiées. Si on devait découvrir après coup des choses dont je n’aurais pas fait état devant la mission d’information, je m’en voudrais. Mon intention est de contribuer à la réflexion collective en vous livrant, je le répète, des interrogations qu’on m’a soumises.

Mme Eva Sas. Je voudrais rappeler en préambule l’attachement des écologistes aux principes à l’origine de la création de la taxe poids lourds : assurer le financement des transports collectifs, à hauteur de 760 millions d’euros pour l’AFITF et de 160 millions d’euros pour les collectivités territoriales, et ce par l’application du principe pollueur-payeur. L’abandon de l’écotaxe signifierait, soit l’abandon des projets de transports collectifs, ce qui est déjà le cas avec le report sine die du troisième appel à projets « Transports collectifs et mobilité durable », soit leur financement par le contribuable.

Je me réjouis de vous entendre dire que vous attendez les conclusions de la mission pour prendre des décisions. Or l’objectif de notre mission d’information est de trouver des aménagements de l’écotaxe qui permettraient d’assurer sa mise en œuvre. Le vôtre est-il bien de remettre en place une éco-redevance sur les poids lourds ?

Deuxième question : les perspectives financières que j’ai rappelées sont-elles maintenues ? Pouvez-vous garantir que nous pourrons dès 2015 dégager les ressources nécessaires pour le troisième appel à projets « Transports collectifs », soit 450 millions d’euros ? Je me demande si les pistes que vous avez évoquées par voie de presse permettront d’atteindre le niveau de financement attendu. Ainsi une taxation des seuls camions étrangers ne toucherait que 250 000 véhicules, au lieu des 800 000 susceptibles d’être assujettis à la taxe poids lourds. Quant à la taxation des bénéfices des sociétés d’autoroutes, les députés écologistes ne peuvent qu’y être favorables, puisque nous avons proposé d’augmenter la redevance domaniale dans le cadre de la loi de finances. Mais cette proposition s’est heurtée à des contraintes juridiques, notamment contractuelles, qui n’ont permis d’augmenter cette redevance que de cent millions d’euros.

M. Olivier Marleix. Vous venez d’annoncer que vous comptiez attendre, non seulement les conclusions de la mission d’information de l’Assemblée, mais également celles de la commission d’enquête du Sénat, ce dont il n’avait jamais été question. L’objectif de cette commission étant d’enquêter sur les conditions de la conclusion du contrat, et non de préparer l’avenir, je crains là une manœuvre dilatoire du Gouvernement, visant à repousser après les élections européennes l’annonce de sa décision. Quel est donc votre calendrier ?

Deuxièmement, votre proposition séduisante de ne faire payer que les camions étrangers ne contrevient-elle pas au droit communautaire, qui prohibe toute discrimination de cet ordre à l’intérieur de l’Union européenne ? Je vous rappelle, par ailleurs, que le mécanisme de répercussion, que vous jugez à juste titre déconnecté de la réalité des entreprises, a été mis en place à l’initiative de M. Cuvillier, qui est aujourd’hui votre secrétaire d’État. Je voudrais souligner enfin que le financement de transports urbains est un détournement de l’objectif initial de l’écotaxe, censée favoriser le report du transport de fret vers le train. Seriez-vous favorable à ce que le produit de l’éco-redevance soit exclusivement affecté aux projets contribuant au report modal ?

M. Éric Straumann. Votre proposition de taxer les poids lourds étrangers montre que vous avez parfaitement compris ce qui a motivé la mise en place de l’écotaxe. Je rappelle que ce sont les élus alsaciens, notamment notre ancien collègue Yves Bur, qui ont les premiers demandé l’instauration d’un tel système en France via un amendement présenté en 2005 contre l’avis du Gouvernement et de l’administration. En effet, la même année, la mise en place de la LKW Maut en Allemagne avait provoqué un report du trafic de 1 500 poids lourds sur les routes d’Alsace. Cette proposition a ensuite été reprise dans le cadre du Grenelle de l’environnement, d’autant plus volontiers que nous étions alors à la recherche de nouvelles sources de financement dans un contexte budgétaire déjà difficile.

Si l’écotaxe est abandonnée, le problème alsacien ne sera pas réglé. Nous, élus alsaciens, nous demandons depuis 2005 que ce dispositif fasse l’objet d’une expérimentation dans notre région, l’affectation du produit de la taxe devant être dans ce cas régionalisée.

Je pense aussi que le Gouvernement pourrait envisager une solution européenne. Ne pourrait-on, en effet, imaginer l’instauration de règles et de techniques uniformes dans l’ensemble de l’Union européenne ? D’autre part, il faut savoir que le niveau élevé des frais de collecte, que vous avez légitimement critiqué, est dû à la faiblesse de la base fiscale en France, à la différence de l’Allemagne où la quasi-intégralité du réseau routier est taxée. Pourquoi ne pas conventionner avec l’entreprise chargée de la collecte de l’écotaxe allemande, qui est d’ailleurs française, afin d’étendre cette collecte à notre pays ?

Je voudrais enfin rappeler que les portiques ne sont pas un moyen de perception, mais un moyen de contrôle, de sorte que leur suppression s’accompagnerait immanquablement d’une explosion de la fraude.

M. Philippe Bies. L’Alsace est certes toujours prête à accueillir une telle expérimentation ; encore faut-il que le système soit au point.

Tout au long de son travail, madame la ministre, notre mission d’information a passé en revue l’ensemble des questions soulevées par la mise en œuvre de l’écotaxe, mais s’est penchée aussi sur celle que posent les engagements pris par l’État dans le cadre du contrat passé avec la société Ecomouv’. Aujourd’hui, alors que vous n’excluez pas de « renverser la table », il paraît indispensable de maintenir les objectifs qui ont présidé à la création de l’écotaxe : un objectif d’aménagement du territoire, via le financement de l’AFITF, après la vente bradée de notre réseau autoroutier, et un objectif environnemental, qui est de lutter contre la pollution atmosphérique due aux poids lourds, mais que l’on pourrait étendre à la lutte contre la pollution due au parc automobile vieillissant. Ces deux ambitions conjuguées ont trouvé leur formalisation dans la notion de « pollutaxe », en vertu de laquelle ceux qui polluent et détériorent le réseau doivent être les premiers contributeurs à sa remise en état et à sa modernisation.

Pour atteindre ces buts tout en sortant comme vous semblez le souhaiter du dispositif actuel, que penseriez-vous d’instaurer un dispositif qui concernerait, outre les poids lourds, les automobiles, selon un barème prenant en compte la puissance et le niveau de pollution des véhicules ?

M. Joël Giraud. Il faut dire avant tout que le système était vicié dès l’origine, par le fait que la détermination du réseau routier retenu comme base de taxation ne reposait sur aucune logique d’itinéraire, mais sur un simple classement administratif, et exonérait les autoroutes au motif qu’elles sont sous concession et que l’Union européenne s’opposerait à ce que l’écotaxe leur soit étendue. Pourtant, tous les pays d’Europe qui ont adopté un dispositif comparable y ont assujetti l’ensemble de leur réseau autoroutier, fût-il à gabarit réduit et soumis à un régime assimilable à la concession, comme en Autriche avec le système dit de l’usufruit, et cela sans que l’Union y trouve à objecter.

D’autre part, ces pays soumettent à une taxation maximale le trafic international, de manière à rétablir l’équité pour les poids lourds nationaux quand ceux-ci sont soumis à une taxe auquel les poids lourds étrangers échappent – en Autriche et en Suisse, il s’agit d’une taxe à l’essieu. Enfin, ils ont instauré un malus écologique, sous forme d’une taxe différenciée suivant le niveau de pollution du camion. Le système autrichien, d’ailleurs mis en place par Autostrade per l’Italia, est le plus élaboré en ce qu’il cumule logique d’itinéraire, taxation de la pollution et taxe à l’essieu.

J’ai apporté une carte du réseau taxable du massif alpin pour vous montrer les aberrations du système adopté en France. Alors qu’il n’y a aucune taxation à la frontière suisse ou italienne, deux routes seulement sont taxées sans qu’on sache pourquoi : l’une de 25 km desservant la Tarentaise et l’autre, reliant Grenoble et Gap, sur laquelle il ne passe pratiquement pas de poids lourds si ce n’est quelques camions de pommes remontant sur Grenoble. En revanche, alors que les trafics est-ouest s’intensifient entre la péninsule ibérique et l’Italie – et, de là, vers l’Europe centrale et orientale –, un poids lourd pourrait ainsi aller de Barcelone à Turin sans rien payer grâce à l’écotaxe à la française !

Dans la population de cette région envahie par les poids lourds, tout dispositif visant à pénaliser leur trafic bénéficie évidemment d’une acceptabilité très forte. Soit on aménage le dispositif en mettant en place un système similaire à celui que Autostrade per l’Italia a élaboré pour l’Autriche, ce qui éviterait tout paiement de dédit à Ecomouv’ – mais impliquerait de passer avec les sociétés concessionnaires d’autoroutes des conventions leur permettant de percevoir l’écotaxe pour le compte de l’État, ce qui n’est pas du tout incompatible avec le droit européen –, soit on met en place à l’entrée du territoire français une vignette prenant en compte le niveau de pollution et le nombre d’essieux, auquel cas l’État devrait dédommager Ecomouv’.

En tout état de cause, l’écotaxe poids lourds devrait, comme la LKW Maut allemande, concerner tout le réseau autoroutier et routier principal, y compris les départementales relevant de la nomenclature européenne, et privilégier la taxation des poids lourds à itinéraire international – à la différence donc du système actuel, qui revient à taxer les transports locaux à courte distance mais non les transports internationaux. Je précise que la logique d’itinéraire que je défends est évidemment incompatible avec toute régionalisation de la taxe.

M. le Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Le système français est le même que celui qui est en vigueur en Autriche.

M. Marc Le Fur. Madame la ministre, je voudrais saluer votre intuition politique et vous remercier d’avoir compris combien la Bretagne a été blessée par cette affaire. Je voudrais également saluer le courage avec lequel vous osez remettre en cause des principes sacro-saints aux yeux de certains. J’espère que vous aurez l’autorité requise pour aller jusqu’au bout de votre démarche.

J’apporterai quelques éléments qui vont dans le sens de votre propos. D’abord, les Français ne comprendraient pas qu’un gouvernement qui a affirmé son refus de tout nouvel impôt en crée un en restaurant l’écotaxe ! (Exclamations parmi les commissaires du groupe SRC.)

Deuxièmement, la situation économique actuelle n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était lorsque l’écotaxe a été conçue. La priorité aujourd’hui est de ne pas pénaliser la production. Or on sait toute la part qu’y prennent la logistique et les transports. Cet impôt ne pèserait que sur la circulation de pondéreux, c’est-à-dire sur l’agriculture et sur l’industrie, alors qu’il épargnerait des secteurs comme la banque ou l’assurance.

Troisièmement, l’écotaxe n’a plus de fondement théorique. Le report vers d’autres modes de transport n’a pas été vérifié dans les pays où un système similaire a été mis en place. Quant au paiement par l’usager, il n’a pas de sens dans ce cas, les routes ayant déjà été payées par le contribuable.

Quatrièmement, je suis convaincu que les travaux réalisés par Ecomouv’ ne peuvent pas en l’état être réceptionnés : des transporteurs ayant participé à la marche à blanc nous ont indiqué très clairement que celle-ci n’avait pas démontré que le système fonctionnait. Or l’État ne doit rien tant qu’il n’a pas réceptionné les travaux. Vous êtes donc en position de force dans vos négociations avec la société Ecomouv’.

Je voudrais dire, en conclusion, que l’objectif assigné à notre mission – trouver le moyen de rendre l’écotaxe applicable – nous a toujours semblé erroné. Nous considérons en effet qu’il faut rechercher une solution radicalement autre, afin de trouver des sources de financement sans pénaliser l’activité économique déjà en grande difficulté.

M. Gilles Savary. Comme d’habitude, monsieur Le Fur, vous ne voyez pas au-delà de votre électorat breton ! Vous en oubliez que votre camp, hier, a jugé insuffisants les cinquante milliards d’économies du pacte de stabilité.

Le fondement théorique de l’écotaxe est assez simple : il s’agit de trouver une ressource suffisamment durable pour se substituer à l’impôt dans le financement de ce qui constitue le premier atout de compétitivité de la France, à savoir la qualité de ses infrastructures. Aujourd’hui, nous n’avons aucune solution pour financer ces infrastructures, notamment routières. En effet, s’il est vrai que le contribuable a payé leur construction, il reste à financer leur entretien. Il ne faudrait pas que, sous prétexte d’une rébellion de « Bonnets rouges » bretons qui considèrent que tout doit être gratuit pour eux, on laisse nos routes se dégrader comme vous avez laissé se dégrader le réseau ferroviaire.

Ce dont nous avons besoin, madame la ministre, c’est d’abord que vous nous garantissiez d’une façon ou d’une autre une ressource de 1,2 milliard d’euros en année pleine, et ce le plus rapidement possible. Je le dis avec gravité, car je crains qu’à défaut, le secteur des travaux publics ne connaisse à la rentrée de graves difficultés.

Que le fonctionnement du dispositif d’écotaxe consomme 20 % du produit de la collecte, contre 4 % en Suisse, s’explique probablement par le fait qu’on a recherché la perfection technique à la française, comme pour le TGV ou pour le Rafale, mais, comme vient de le rappeler Autostrade per l’Italia, une rupture unilatérale du contrat avec Ecomouv’ nous exposerait à une demande de dédommagement coûteuse pour le contribuable. En outre, ce dédit serait autant de perdu pour le financement de nos infrastructures. Notre mission d’information s’était donc donné comme objectif de réfléchir à des aménagements du dispositif afin d’écarter un tel risque. S’il apparaît qu’on peut « basculer » le contrat, il faut nous le dire.

Je souhaite enfin qu’on n’abandonne pas le choix de la taxation kilométrique, qui a prouvé son efficacité dans d’autres pays, qui ne va pas contre la directive « Eurovignette » et qui n’est pas récusée en tant que telle par les fédérations de transporteurs routiers. Surtout ce mode de taxation est le plus apte à assurer l’égalité de traitement entre transporteurs nationaux et transporteurs étrangers, dont le trafic encombre les routes de régions comme l’Aquitaine. J’aimerais donc savoir si ce choix sera maintenu ou si l’on envisage d’autres modes de taxation, qui devraient en tout état de cause faire contribuer le trafic international à l’entretien de nos infrastructures.

Mme Sylviane Alaux. Au moment même où nous parlons, des manifestations ont lieu dans de nombreuses villes pour réclamer une mise en œuvre rapide de la « pollutaxe ». Nous avons conscience de la difficulté de gérer ce que vous avez en d’autres lieux qualifié de « patate chaude », mais serait-il légitime d’aligner toute notre politique en la matière sur les revendications des « Bonnets rouges », alors même que cette fronde a bien d’autres causes ? Ce que nous entendons s’exprimer sur le terrain, c’est la crainte que nous ne cédions aux lobbies du transport routier, au détriment du fret ferroviaire. En outre, beaucoup réclament un dispositif propre à améliorer la qualité de l’environnement tandis que les contribuables s’inquiètent du coût qu’aurait pour eux la dénonciation du contrat d’Ecomouv’. Le feu qui s’est allumé un peu partout dans notre pays n’est donc pas près de s’éteindre.

En conséquence, madame la ministre, j’aimerais que vous nous indiquiez au plus tôt un calendrier.

Mme la ministre. Madame Sas, je le redis une fois pour toutes : il faut prendre garde au vocabulaire qu’on emploie. Je ne veux pas que l’écologie soit une punition, surtout quand elle devient un prétexte pour créer un impôt qui n’a plus rien à voir avec la réorientation écologique des comportements. En conséquence, quelle que soit la solution finalement retenue, le mot « écologie » ne sera pas accolé à des mots tels que « taxe » ou « impôt ». Si on veut réussir la transition écologique, il faut en donner une idée positive aux acteurs économiques et sociaux. Il faut que l’écologie soit un « plus » en termes d’activités, d’innovation, de recherche et de développement économique, et nous devons pour cela miser avant tout sur des solutions consensuelles.

Vous évoquez les déclarations que j’ai faites devant la commission d’enquête du Sénat, en particulier sur la question du trafic des camions étrangers : je crois n’avoir fait que formuler des remarques de bon sens. Nous pouvons nous accorder à reconnaître que le principal problème réside dans la traversée de notre pays par des camions venus de l’étranger – et qui sont donc bien des camions majoritairement étrangers. Ce problème est, comme vos interventions en témoignent, particulièrement sensible dans les zones frontalières depuis que certains voisins européens ont mis en place l’Eurovignette. Je n’ai pas de réponse toute faite à ce problème et j’aimerais que ma contribution à la réflexion ne soit pas caricaturée. Il me semble simplement que le bon sens nous commande de rechercher une solution du côté de l’instauration d’un péage de transit à nos frontières.

Il n’est pas normal que des camions puissent traverser la France sans rien payer – pas même leur gazole dont ils font le plein en Espagne ou en Belgique – en évitant le réseau autoroutier et en saturant nos routes. Ne serait-ce que pour des raisons de sécurité ou pour limiter la pollution, on pourrait prendre des mesures ciblées pour reporter ce trafic sur les autoroutes quand cela est possible. C’était d’ailleurs l’objectif de l’écotaxe, qui devait aboutir à faire payer à peu près le même prix que les camions empruntent la route ou l’autoroute. Si on atteint le même résultat sans avoir à supporter le coût de l’installation de portiques, ce sera tout bénéfice, puisque nous pourrons consacrer aux travaux d’infrastructures ce qui ne passera plus dans les frais de collecte, dont je rappelle qu’ils absorbent 25 % du rendement de la taxe.

Ma proposition concernant les sociétés d’autoroutes est, elle aussi, de bon sens. Je ne reviendrai pas sur le prix auquel les autoroutes ont été vendues parce que je ne veux pas verser dans la polémique partisane, mais ces sociétés reconnaissent que leur valeur s’en est trouvée considérablement accrue et, de fait, elles dégagent deux milliards de bénéfices grâce à des péages qui, en définitive, sont assimilables aux portiques. Avec la moitié seulement de cette somme, nous couvririons le coût des travaux d’infrastructures auquel nous devons faire face. Un tel prélèvement serait d’autant plus légitime que, si on parvient à reporter une part du trafic des poids lourds vers les autoroutes, le chiffre d’affaires de ces sociétés s’en trouvera accru. En tout état de cause, ce serait du « gagnant-gagnant », puisque les grands groupes de travaux publics qui sont leurs actionnaires bénéficieront des travaux prévus dans le cadre des contrats de projets État-régions et des grands projets de transports collectifs. Il me semble qu’il y a là une voie de négociation avec ces entreprises. J’ai d’ailleurs confié à M. Francis Rol-Tanguy, ici présent, le soin d’engager des discussions en ce sens Il me semble que s’ouvrent là des perspectives intéressantes, même si j’ignore encore si la démarche aboutira.

La voie contractuelle et la recherche du consensus me paraissent préférables à une multiplication des textes et des prélèvements ou encore à un bras de fer avec les entreprises de travaux publics. Nous devons tous ensemble privilégier l’intérêt général de notre pays, qui peut d’ailleurs coïncider avec l’intérêt particulier des entreprises de travaux publics et servir l’aménagement du territoire.

Pour ma part – et je le redirai lors du débat sur la transition énergétique –, je crois beaucoup à la politique contractuelle. Je ne veux plus qu’on accumule les normes et les contraintes. Face à une norme nouvelle, aussi fondée qu’elle soit, la première réaction est d’essayer de la contourner. Je n’ai pas envie que les acteurs économiques gaspillent leur intelligence à ce jeu et nous la nôtre à les contrer : j’ai envie de les impliquer dans des actions positives. C’est pourquoi mon ministère donnera la priorité aux politiques contractuelles, notamment en matière de transition énergétique. Il s’agira de mutualiser les bonnes pratiques des entreprises et des territoires qui ont déjà anticipé cette transition. Nous progresserons beaucoup plus vite en entraînant nos concitoyens vers un horizon positif qu’en les assommant de règles imposées d’en haut.

Il en va de même dans le domaine qui nous occupe aujourd’hui. Il y a d’un côté des régions, des villes, des départements qui ont besoin d’infrastructures et des entreprises qui ont besoin de commandes publiques, d’un autre côté des Français qui ne veulent plus d’impôts nouveaux et, d’un autre côté encore, des camions étrangers qui ne paient rien. Peut-être qu’en mettant bout à bout toutes ces données, on va finir par trouver une solution …

Il n’est pas question de manœuvre dilatoire, monsieur Marleix. J’aurais préféré que ce problème soit réglé avant mon arrivée au ministère, mais les échéances sont déjà fixées : votre mission fera connaître ses conclusions le 15 mai et la commission d’enquête du Sénat – présidée par une parlementaire UMP – fera de même le 27 mai. Il faudra donc trancher en juin. Que ce soit après les élections européennes me réjouit plutôt : il sera ainsi possible de prendre des décisions courageuses en évitant toute instrumentalisation dans un but électoral.

Les difficultés que vous avez évoquées, monsieur Straumann, se retrouvent dans toutes les zones frontalières et l’institution d’un péage de transit me semble susceptible d’y remédier.

À ce stade, monsieur Bies, j’ouvre des pistes et je recherche en toute transparence les solutions les plus acceptables, sans me préoccuper pour l’instant de leurs modalités techniques – tâche qui revient plutôt à votre mission.

Une des raisons du caractère un peu baroque de la carte du réseau taxable, monsieur Giraud, est que certains départements ont demandé que leur réseau routier soit soumis à l’écotaxe. Mais vous avez raison de mettre en garde contre les dangers d’une régionalisation de ce dispositif : notre pays souffre déjà d’inégalités territoriales et ce n’est donc pas le moment que l’État se désengage. Sous réserve d’un examen plus approfondi tenant compte de la situation particulière des régions frontalières, il me semble que mieux vaut généraliser un système équitable.

Je salue votre honnêteté intellectuelle, monsieur Le Fur : vous avez dressé un véritable réquisitoire contre l’écotaxe pourtant inventée par le gouvernement que vous souteniez ! La réaction de la Bretagne est tout à fait légitime, voire saine s’agissant d’une région périphérique, et devrait nous inciter à prendre en compte l’identité géographique. Une zone périphérique n’est pas dans la même situation qu’une zone frontalière qui subit, elle, la pression forte des camions, et je ne suis pas du tout choquée qu’une région mette en avant sa spécificité. C’est aussi cela la diversité et la richesse de la France.

Il ne faut pas opposer les régions les unes aux autres, monsieur Savary. En revanche, je suis d’accord avec vous sur la nécessité de trouver un système qui mette à contribution le trafic étranger.

Je le redis, madame Alaux : j’attendrai les conclusions de la mission d’information et de la commission d’enquête sénatoriale et les décisions interviendront au mois de juin. J’espère que nous parviendrons à faire émerger des solutions consensuelles qui permettront de mettre en mouvement toutes les forces vives et de lancer au plus tôt les appels d’offres pour les grandes infrastructures que notre pays attend.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. À l’intention de M. Giraud qui a évoqué des dispositions uniquement applicables aux véhicules de moins de 3,5 tonnes, je précise que le dispositif qui nous occupe ne concerne que les véhicules dépassant ce gabarit.

Pour le coût de gestion de la collecte, il me paraît utile d’indiquer un ratio dont on n’a pas fait état jusqu’ici : ce coût s’établit à 0,22 ou 0,23 centime d’euro par véhicule-kilomètre en France, contre 0,26 ou 0,27 en Suisse et en Allemagne.

M. Jean-Pierre Gorges. Madame la ministre, je pense que vous auriez pu attendre de rencontrer les parlementaires avant de vous exprimer sur l’écotaxe dans la presse. En agissant ainsi, vous avez perturbé les travaux de notre mission d’information, dont l’objectif était à l’origine de rechercher des aménagements pour assurer une mise en œuvre de l’écotaxe telle qu’elle a été conçue, comme Mme Sas vous l’a fait remarquer. Je me réjouis que vous ayez maintenant décidé de donner du temps au temps, mais sachez que notre mission a très bien travaillé et que nous avons soulevé toutes les questions que vous vous posez.

Sur le principe, tout le monde est d’accord. Il y a sans doute méprise quand on parle encore de taxe écologique, mais chacun reconnaît que nous avons besoin de ressources pour entretenir nos infrastructures. Tous les acteurs que nous avons auditionnés nous ont dit aussi que le dispositif était prêt à fonctionner ; c’est uniquement pour des raisons politiques, par peur d’ajouter au rejet de l’impôt, qu’il n’a pas été mis en place. Il n’est sans doute pas parfait, mais faut-il vraiment jeter à la poubelle ce qui a demandé six ans de préparation ou faut-il le mettre en œuvre, quitte à l’améliorer au fur et à mesure ? Si on l’arrête brutalement, je vous prédis qu’une commission d’enquête sera constituée dans cinq ans pour en déterminer la raison. Votre rôle n’est-il pas de dire qu’il est temps d’« appuyer sur le bouton » et de le mettre en marche, tout en se préoccupant des modifications à apporter par la suite pour le rendre pleinement opérant ? À défaut, vous devrez nous garantir que la perte de recettes sera compensée sans tarder par d’autres sources de financement.

À la suite de notre président, je rappelle que les portiques ne jouent aucun rôle dans la facturation. Il s’agit de systèmes automatiques pour contrôler l’équipement des véhicules, mais ce contrôle pourrait aussi bien être assuré par la gendarmerie

Mme Corinne Erhel. Je vous sais gré, madame la ministre, de votre souci d’explorer des pistes sans a priori. Il faut maintenant évaluer ces propositions en tenant compte du fait que nous sommes dans un calendrier contraint.

Vous avez souligné que toute politique doit être comprise pour être acceptée par nos concitoyens. Cela peut expliquer ce qui s’est passé en Bretagne. L’audition de la directrice générale des douanes et droits indirects, le 12 février, a mis en évidence la complexité d’un dispositif que l’évolution technologique a peut-être déjà rendu obsolète, d’ailleurs. Mais il semble que ce soit surtout le mécanisme de répercussion forfaitaire qui ait surtout suscité l’opposition, la prestation de transport étant taxée quelle que soit la route empruntée.

Enfin, si M. le président a donné la position de la CNIL quant à la propriété et à la destination des données collectées par Ecomouv’, la question de la propriété des données transmises aux sociétés habilitées de télépéage, les SHT, reste entière. Nous aurions donc besoin d’éclaircissements sur ce point.

M. Thierry Benoit. Vous avez fait, madame la ministre, un excellent diagnostic de la situation, parce que vous avez su être attentive à la fronde partie de Bretagne. Vous avez, dans vos premières déclarations, évoqué la nécessité d’une remise à plat. C’est l’avantage des remaniements ministériels que de permettre de telles révisions sans avoir à renier ses prédécesseurs. De même que M. Hamon a su avec élégance proposer un assouplissement de la réforme des rythmes scolaires, et tout en reconnaissant que la mise au point des portiques par Thales et Steria a représenté une prouesse technologique, je pense qu’il va vous falloir annoncer la disparition de l’écotaxe. Mais cela ne réglera pas pour autant le problème posé.

Vous avez, dans votre propos liminaire, distingué l’urgence de la perspective à long terme. L’urgence, c’est de financer le volet « Mobilité » des contrats de projets État-régions, ce pour quoi il serait irresponsable de renoncer à se procurer des ressources nouvelles. La perspective à long terme, c’est celle de la mutation écologique des comportements. À ce propos, je déplore l’agressivité manifestée par certains collègues à l’égard des professionnels du transport routier. De même que le Premier ministre a admis qu’il s’était trompé sur la réforme du scrutin cantonal, il faut reconnaître l’erreur commise avec le décret du 6 mai 2012, inspiré par une conception punitive de l’écologie alors que c’est une écologie incitative qu’il faut mettre en œuvre, en partenariat avec les acteurs de la filière transport, logistique et fret et en reconnaissant que la route est créatrice de richesses. C’est ce volet partenarial que vous seriez donc bien avisée de développer, en collaboration avec M. Montebourg, car il manque à l’éco-redevance.

M. Jean-Marie Sermier. L’écotaxe est victime d’un affreux malentendu, et j’ai ce matin perdu tout espoir d’assister un jour au report du fret de la route sur le rail – je rappelle que l’objectif initial de l’écotaxe était de contribuer à limiter les émissions de CO2. Ce n’est pas le décret de mai 2012 qui a brisé cette idée généreuse, mais la loi du 26 mai 2013, qui a étendu la taxation à l’ensemble des véhicules de transport de marchandises, même quand ils ne peuvent faire autrement qu’emprunter le réseau routier.

Aujourd’hui, madame la ministre, il faut répondre à une question simple : l’écotaxe est-elle un impôt supplémentaire visant à accroître les recettes de l’État afin de financer des projets d’infrastructures, ou est-ce une redevance dont l’objet est d’assurer le report vers d’autres modes de transport que le transport routier, afin de limiter les émissions de CO2 et d’atteindre les objectifs fixés par le Grenelle de l’environnement ? Si nous sommes bien dans ce dernier cas, alors il faut exonérer toutes les prestations de transport qui ne peuvent se faire que par route, surtout si c’est sur de courtes distances.

M. François-Michel Lambert. L’objectif de l’éco-redevance telle que les écologistes la défendent depuis plus de dix ans est de faire payer aux transports routiers inutiles et nocifs pour l’environnement la charge de la transition vers des transports propres, mais aussi de financer l’amélioration du système logistique français. Des experts de ce secteur, auditionnés il y a un peu plus d’un an, nous ont en effet expliqué que rendre ce système plus efficace procurerait à nos entreprises une plus-value de 20 à 60 milliards d’euros ! Gilles Savary, avec mon soutien, a donc fait adopter, précisément dans la loi instituant l’éco-redevance, un amendement instituant un schéma national directeur de la logistique. L’expérience de la Suisse, de l’Autriche et de l’Allemagne le démontre en effet : éco-redevance et efficacité logistique sont indissociables, participant ensemble d’un bon aménagement du territoire.

Mais tout cela ne peut se faire en quinze jours, non plus que venir à bout de l’usine à gaz Ecomouv’. J’ai posé sur les portiques des questions écrites qui sont restées sans réponse. Selon le président du consortium lui-même, auditionné le 29 janvier, ces installations ne servent qu’à contrôler les poids lourds. Coûteuses, elles cristallisent le « ras-le-bol fiscal » et sont attentatoires aux libertés individuelles. Les représentants des salariés du transport, entendus le 9 avril, nous ont dit qu’au surplus, elles n’avaient pas d’utilité réelle et pouvaient tout à fait être remplacées par des contrôles de la police et de la gendarmerie. Quant à la CNIL, elle a, dans un avis du 14 février 2013, demandé la suspension immédiate du dispositif dans la mesure où il enregistrait le passage de tous les véhicules sans distinction. Peut-être a-t-elle changé d’avis, mais je pense, monsieur le président, qu’il serait judicieux de l’auditionner pour le vérifier.

En réalité, la technologie utilisée par Ecomouv’ me semble archaïque. Il en existe aujourd’hui de bien plus avancées, telle Alertgasoil, technologie brevetée proposée par une start-up de ma circonscription, Avenir-Développement durable, et qui, grâce à une sonde embarquée, garantit la géolocalisation des véhicules en temps réel et mesure de plus la consommation de gazole, permettant de réduire de 10 % l’émission de CO2. Je serais très étonné qu’elle ne permette pas de connaître les itinéraires empruntés.

Peut-être la décision de certains de ne pas participer au bureau de la mission y est-elle pour quelque chose, mais nous sommes restés enfermés dans le modèle Ecomouv’, ce qui nous a empêchés de réfléchir comme il conviendrait à ce que doit être l’éco-redevance et à son articulation avec le schéma national de la logistique, dans le cadre de choix politiques assumés. Avez-vous, madame la ministre, une idée de la façon dont nous pourrions nous donner le délai économique nous permettant de nous procurer le milliard d’euros et quelque nécessaire, en mettant à contribution le transport routier inutile, grâce à la juste écotaxe telle que je viens de la définir ?

M. Gilles Lurton. Comme mes collègues bretons, je salue le courage et la lucidité de vos propos, madame la ministre. Les déclarations que vous avez faites dès votre arrivée au ministère ont été accueillies avec un immense soulagement, particulièrement en Bretagne. Aujourd’hui, dans un contexte économique bien différent de ce qu’il était quand ce dispositif a été conçu, relancer ce projet d’écotaxe serait transformer notre pays – et pas seulement la Bretagne – en poudrière. À l’issue de cette audition, je me demande s’il ne faudrait pas réorienter nos travaux vers la recherche de solutions susceptibles de recueillir l’adhésion de toutes les parties prenantes.

M. Philippe Duron. Madame la ministre, je salue votre volonté d’écoute et je me réjouis de votre défense de la contractualisation, mais je voudrais insister sur deux points : l’ampleur du besoin d’infrastructures dans notre pays et l’urgence de trouver des ressources pour le couvrir.

En 2003, constatant que le budget de la Nation ne pouvait plus couvrir la réalisation des projets d’infrastructures nécessaires, le comité interministériel de l’aménagement et du développement du territoire, le CIADT, a fixé le principe de leur financement par des recettes affectées provenant principalement de la route, qu’il s’agisse des dividendes versés par les sociétés d’économie mixte concessionnaires d’autoroute, les SEMCA, de la taxe d’aménagement du territoire, de la redevance domaniale ou des amendes au titre des radar, complétées par une subvention d’équilibre de l’État. Cependant, les besoins répertoriés dans le Schéma national des infrastructures de transport (SNIT) à partir des demandes des élus dépassaient un montant de deux cents milliards d’euros. Avec la commission « Mobilité 21 », on est revenu à une estimation plus raisonnable, soit 2,1 milliards par an, dans l’hypothèse la plus basse, pour les projets considérés comme prioritaires. Le scénario finalement retenu par le précédent Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, supposait d’engager trente milliards d’euros avant 2030, ce qui exigeait que l’AFITF dispose de 2,5 milliards d’euros par an, pour financer tant les projets lancés par la précédente majorité, dont les quatre lignes à grande vitesse, que les projets à venir.

La suspension de l’écotaxe a rendu ce besoin de financement urgent. L’AFITF n’est parvenue à établir qu’un budget d’attente, voire « de crise » comme je l’ai dit lors de mon audition par la mission d’information. Nous n’avons pu inscrire que 1 milliard 813 millions d’euros de crédits de paiement. Nous avons été contraints de consommer le fonds de roulement de l’agence et de lisser le financement de certains projets tels que des lignes à grande vitesse. Enfin, nous n’avons pu inscrire en autorisations d’engagement ni les contrats de projet ni le troisième appel à projets. Nous ne pourrons pas l’année prochaine continuer à financer les travaux d’infrastructures déjà engagés et ceux qui sont en attente.

Faites-vous vôtre le scénario de financement de l’AFITF de 2,5 milliards d’euros par an, qui avait été retenu par Jean-Marc Ayrault ? Pensez-vous possible aujourd’hui de trouver une source de financement suffisamment robuste pour que l’AFITF puisse construire un budget pour l’année 2015 ?

M. Éric Straumann. Je voudrais redire à l’adresse de M. Lambert que les portiques ne sont pas un outil de perception, mais de contrôle. Les camions étant équipés de GPS, on peut à la limite les supprimer.

Mme la ministre. Si j’ai perturbé les travaux de la mission, monsieur Gorges, je vous prie de m’en excuser. Il s’agissait seulement pour moi d’évoquer des pistes, et non d’aller contre vos prérogatives. Je mesure parfaitement la qualité du travail que vous avez accompli à travers vos auditions. Mais vous m’invitez à « appuyer sur le bouton » : si c’est pour tout faire sauter, j’espère que nous trouverons d’autres solutions ! Ce n’est peut-être pas le moment de mettre un impôt supplémentaire à la charge des PME de transport ou des chargeurs. Nous devons faire preuve de sens des responsabilités compte tenu de la situation économique du pays.

Je partage vos observations, madame Erhel, et je vous remercie de votre contribution.

Puisque le gouvernement de Jean-Marc Ayrault avait suspendu la mise en œuvre de l’écotaxe, monsieur Benoit, il était de ma responsabilité ministérielle de travailler à la « remise à plat » que vous évoquez. Vous me demandez si c’est la fin de l’écotaxe : en tout état de cause, le mot est condamné. Je ne reprendrai pas cette terminologie, car je refuse d’associer le terme « écologie » à celui de taxe. C’est aussi une question d’honnêteté intellectuelle à l’égard des Français et, spécialement, de ceux qui n’ont pas la possibilité d’arbitrer en faveur d’un comportement écologiquement vertueux.

Une fiscalité écologique doit d’abord être positive, c’est-à-dire créer de l’emploi en réorientant les comportements. Ainsi, quand on incite à l’amélioration énergétique des bâtiments grâce à des déductions fiscales, on crée à la fois des emplois dans la filière du bâtiment et du bien-être pour les ménages, et on protège l’environnement. Chacune des décisions que je prendrai à la tête de ce ministère devra satisfaire à ces trois critères : contribuer au développement économique ; accroître le bien-être ou le pouvoir d’achat de nos concitoyens ; contribuer à la protection de l’environnement.

Vous avez raison de souligner l’importance de la filière logistique : ce sont des milliers d’emplois et d’entreprises. Le vrai problème aujourd’hui, c’est celui des « stocks roulants », qui permettent de faire prendre en charge par la dépense publique ce qui devrait relever de la dépense privée. De ce point de vue, les flux de transit constituent de véritables détournements de fonds publics. Il faut, en effet, donner consistance à un schéma national directeur de la logistique, monsieur Lambert, si on veut placer les entreprises devant leurs responsabilités et calculer le coût économique de ces prises en charge indues.

Monsieur Lurton, c’est à ses membres qu’il revient de définir le champ d’investigation de la mission d’information. Pour ma part, je viens simplement apporter, en toute transparence et en toute sincérité, ma contribution à la recherche de solutions intelligentes.

Ayant signé, en tant que présidente de région, le volet « Mobilité » du contrat de projets État-région, je suis parfaitement consciente, monsieur Duron, qu’il est urgent de trouver rapidement des moyens de financement. Conformément au principe de la continuité de l’État, il n’y a aucune remise en cause de l’objectif de financement des projets retenus par la commission « Mobilité 21 » de 2,5 milliards par an. C’est précisément la raison pour laquelle nous cherchons des solutions telles que celles que j’ai évoquées.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Madame la ministre, il me reste à vous remercier chaleureusement au nom des membres de la mission d’information,

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Réunion du mercredi 30 avril 2014 à 11 h 30

Présents. - Mme Sylviane Alaux, M. François André, Mme Catherine Beaubatie, M. Thierry Benoit, M. Philippe Bies, M. Florent Boudié, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, Mme Françoise Dubois, M. Philippe Duron, Mme Corinne Erhel, Mme Sophie Errante, M. Claude de Ganay, M. Joël Giraud, M. Jean-Pierre Gorges, M. Jean Grellier, Mme Joëlle Huillier, M. Jacques Krabal, M. François-Michel Lambert, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Viviane Le Dissez, M. Marc Le Fur, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, M. Gilles Lurton, M. Hervé Mariton, M. Olivier Marleix, M. Hervé Pellois, Mme Émilienne Poumirol, Mme Eva Sas, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, M. Éric Straumann, M. Thomas Thévenoud

Excusés. - M. Richard Ferrand, M. Guénhaël Huet

Assistaient également à la réunion. - M. Serge Bardy, M. Christophe Bouillon, Mme Sabine Buis, M. Vincent Burroni, Mme Monique Iborra, M. Philippe Plisson, Mme Catherine Quéré, Mme Sophie Rohfritsch, M. Gilbert Sauvan