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Mission d’information sur le paritarisme

Jeudi 8 octobre 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 01

Présidence de M. Arnaud Richard, président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Henri Pyronnet, sous-directeur des relations individuelles et collectives du travail à la direction générale du travail et de Mme Anne Thauvin, chef du bureau des relations individuelles du travail

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Paul Guillot, président de Réalités du dialogue social (RDS), de Mme Lydia Zumelli-Brovelli et de M. Jean-François Herlem

– Présences en réunion

MISSION D’INFORMATION SUR LE PARITARISME

Jeudi 8 octobre 2015

La séance est ouverte à neuf heures trente.

——fpfp——

La mission d’information sur le paritarisme procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Henri Pyronnet, sous-directeur des relations individuelles et collectives du travail à la direction générale du travail et de Mme Anne Thauvin, chef du bureau des relations individuelles du travail.

M. le président Arnaud Richard. Nous ouvrons aujourd’hui le cycle des auditions de la mission d’information de la conférence des présidents sur le paritarisme, qui a tenu sa réunion constitutive il y a quelques jours.

Lors de cette réunion, nous avons décidé que nos auditions seront publiques, ouvertes à la presse et feront l’objet d’une retransmission en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale, et de comptes rendus écrits qui seront publiés au fur et à mesure.

Je suis très heureux d’avoir pu convaincre mon groupe de travailler sur le paritarisme. Rendre plus efficace ce qui est aujourd’hui le copilote de notre modèle social me semblerait faire œuvre utile. Dans cette période de crise et de scepticisme maladif, le travail qui nous attend est toutefois d’envergure.

Nous avons décidé, d’un commun accord avec notre rapporteur Jean-Marc Germain, d’inviter d’abord des experts susceptibles de nous dresser un panorama de la situation actuelle du paritarisme.

C’est ainsi que, à tout seigneur tout honneur, nous auditionnons ce matin les représentants de la direction générale du travail (DGT), en la personne de M. Jean-Henri Pyronnet, sous-directeur des relations individuelles et collectives du travail, accompagné de Mme Anne Thauvin, chef du bureau des relations individuelles du travail. Le directeur général du travail sera lui-même invité plus tard dans notre calendrier, lorsque nous commencerons à envisager des propositions.

Je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation et vous propose que, dans votre intervention liminaire, vous établissiez un rapide bilan de ce qu’est aujourd’hui la négociation collective en France, de ses modalités, de ses réussites et de ses limites. Vous publiez un bilan annuel sur ce sujet. Pourriez-vous nous donner la substantifique moelle de la dernière édition de ce document très complet qui date de 2014 ?

Nous serions également intéressés par votre appréciation sur la perception du rôle de l’État et des tiers neutres qui interviennent pour faciliter le dialogue social notamment dans les 90 branches qui ont négocié en 2014 sous la présidence d’un représentant du ministre du travail.

À propos de branches, pourriez-vous également nous parler du processus de restructuration en cours ?

Enfin, pourriez-vous faire un point sur la mise en place du financement du paritarisme avec l’Association pour la gestion du fonds paritaire national (AGFPN) ?

M. Jean-Henri Pyronnet, sous-directeur des relations individuelles et collectives du travail à la direction générale du travail. Pour commencer, je reviens sur le volumineux rapport sur la négociation collective en 2014 dont nous vous apportons un exemplaire papier, dernier du genre puisqu’il a vocation à être remplacé par une version exclusivement numérique dès l’année prochaine. Ce document de plus de 700 pages, qui rassemble les contributions d’une soixantaine de collaborateurs, essaie de proposer un panorama de la réalité de la négociation collective tant au niveau national et interprofessionnel que dans les branches et les entreprises.

Le rapport est synthétisé par la direction générale du travail mais elle reçoit les contributions des partenaires sociaux et la collaboration des services de l’État qui, de près ou de loin, s’intéressent et participent au processus qui aboutit à l’extension d’accords collectifs – notamment la délégation générale à l’emploi, mais aussi le ministère chargé de la sécurité sociale pour la prévoyance, ainsi que les ministères de l’agriculture, des transports et de l’énergie.

Quelques ordres de grandeur : une dizaine d’accords nationaux interprofessionnels sont signés chaque année, dans les domaines correspondant au paritarisme dit de gestion : l’assurance-chômage, les retraites complémentaires, la prévoyance, autant de domaines clés dans lesquels les partenaires sociaux jouent un rôle moteur, l’État étant en seconde ligne.

Entre 950 et 1 000 accords de branche sont conclus par an. Les branches sont aujourd’hui au nombre de 750. Toutes les branches ne négocient pas ; les accords sont le fait d’à peine 150 branches chaque année, certaines négociant très peu, ce qui explique le processus de restructuration en cours.

Enfin, 35 000 à 40 000 accords d’entreprise sont signés.

Les salaires sont le thème central, consubstantiel oserai-je dire, de ces accords. Cette question est historiquement, techniquement et mécaniquement au cœur de la négociation collective. Les salaires restent le domaine privilégié sur lequel les salariés et leurs représentants attendent l’employeur, indépendamment de l’obligation légale de négociation qui s’y rattache.

Le deuxième thème prépondérant de ces accords est la méthode et les conditions de la négociation. Enfin, le troisième thème est lié au paritarisme de gestion – la formation professionnelle, les retraites complémentaires et la prévoyance.

Quelle est la dynamique à l’œuvre dans ces accords ?

On observe ces deux dernières années une baisse du nombre d’accords de branche sur les salaires, qui représentaient jusqu’à présent la moitié des accords – en 2014, sur les 950 accords signés, entre 400 et 450 portent sur les salaires. Cette évolution ne tient pas à un refus de la négociation par les partenaires sociaux mais à la situation économique : dans une période de ralentissement de la masse salariale et de l’inflation, il est difficile de s’accorder sur une revalorisation significative. Le contexte économique influe sur le résultat de la négociation ; il ne pèse pas sur le processus lui-même mais sur son aboutissement.

Cette diminution du nombre d’accords sur les salaires permet de relativiser les considérations selon lesquelles la pression sur la négociation entraîne une rigidité des salaires à la baisse et empêche l’économie de se développer. Nous ne constatons pas aujourd’hui d’accords qui feraient croître la masse salariale de manière inconsidérée dans une période de ralentissement général de celle-ci. Il n’y a pas d’effet anticyclique de la négociation salariale.

Le succès de la négociation collective tient aussi au paritarisme de gestion : les partenaires sociaux sont en charge de la définition des règles qui s’appliquent aux régimes qu’ils gèrent, des avantages qu’ils peuvent accorder aux salariés et des services qu’ils peuvent apporter aux entreprises. L’existence d’un domaine de compétence clairement délimité donne du grain à moudre aux partenaires sociaux. Les partenaires sociaux détiennent une compétence dans le domaine de la protection sociale obligatoire mais, s’agissant de la prévoyance, ils interviennent également dans un domaine dévolu aux marchés. C’est d’ailleurs au nom de la liberté d’entreprendre et de la liberté contractuelle que le Conseil constitutionnel a, en juin 2013, interdit les clauses de désignation d’organismes assureurs dans les conventions collectives organisant un régime de prévoyance. Le rôle des partenaires sociaux ne se cantonne donc pas au domaine quasi régalien de la protection sociale.

Le troisième élément qui contribue à la prospérité de la négociation collective est l’intervention du législateur. Celui-ci invite régulièrement les partenaires sociaux à négocier avec plus ou moins de « carotte » ou de « bâton ». Dans les accords enregistrés en 2012, 2013 et 2014, nous voyons clairement apparaître ce cycle de trois ans de négociations dites administrées, c’est-à-dire impulsées par les pouvoirs publics et assorties d’incitations financières ou de pénalités. Les négociations de cette nature ont porté sur le contrat de génération mais aussi sur l’égalité entre les hommes et les femmes ou encore la pénibilité. On observe une hausse des accords en début de cycle puis une baisse pendant la période triennale. Incontestablement, les partenaires sociaux répondent à l’appel du législateur. Toutefois, avec un peu de recul, si les accords sont au rendez-vous en termes de quantité, leur contenu offre des marges de progression, en particulier dans la définition de véritables politiques de branche qui ne se contentent pas de reprendre les dispositions législatives.

Autre sujet, les commissions mixtes paritaires (CMP). Elles réunissent les partenaires sociaux d’une branche qui ne parviennent pas à se parler sans un tiers facilitateur. Ceux-ci sollicitent alors la présence d’un représentant de l’État. Ils demandent à celui-ci de les réunir, de fixer l’ordre du jour de leurs travaux et de les aider à dialoguer. Le président de la commission s’interdit de prendre parti évidemment, mais aussi de donner son onction ou de censurer un accord, même s’il est manifestement illégal. Il est là uniquement pour faciliter la négociation. Il s’agit pour lui d’une mission originale et très enrichissante.

M. le président Arnaud Richard. Ces présidents sont-ils issus de la DGT ?

M. Jean-Henri Pyronnet. Ils proviennent de l’ensemble du ministère du travail. Nous pouvons compter sur un réseau d’une centaine de personnes pour exercer ces fonctions, qui ne sont pas rémunérées, dans 90 CMP aujourd’hui.

L’objectif de ces CMP est de parvenir, après une ou plusieurs années, à ce que les partenaires sociaux se réunissent sans l’intermédiation de l’État pour poursuivre leurs négociations. Nous obtenons quelques résultats positifs.

En 2014, on constate trois nouvelles entrées en CMP – commerces de quincaillerie et de fourniture industrielle, industries céramiques, géomètres experts – et six sorties – commerce de gros, habillement, mercerie ; mareyage ; agences de voyages ; industries de la cimenterie ; transformation de la volaille ; organismes de formation –, ces dernières revenant maintenant en commission paritaire simple. Certaines branches emblématiques ou qui regroupent un nombre important de salariés sont actuellement en CMP : les services à la personne, les particuliers employeurs, la production cinématographique ainsi que le travail temporaire. Le réseau de présidents facilitateurs accompagne donc une centaine de branches avec cinq à dix entrées et sorties par année.

Troisième sujet, le processus de restructuration des branches. Les CMP nous incitent, lorsque le blocage perdure, à envisager un rapprochement avec une autre branche. Je prends l’exemple de la branche parfumerie qui, depuis des années, ne parvient pas à trouver un accord sur les éléments minimaux d’une convention collective – les salaires et les classifications.

En 2013, il nous est apparu que le ministère du travail n’avait pris aucun arrêté de représentativité dans 179 branches inscrites à l’inventaire des branches – moins de onze suffrages avaient été valablement exprimés pendant quatre ans – ou qu’aucun accord n’avait été signé depuis vingt ans. Or, les branches qui disparaissent n’envoient pas d’avis de décès.

En avril 2014, le ministre du travail a annoncé devant la Commission nationale de la négociation collective (CNNC) son intention de resserrer le paysage conventionnel en partant de ces 179 branches. En octobre 2015, nous sommes en mesure de dresser un constat de décès effectif pour 37 branches.

On nous reproche la lenteur du processus. Mais, pour opérer cette restructuration, l’administration doit s’efforcer de respecter la volonté des partenaires sociaux, lorsqu’elle existe. Les branches sont traitées au cas par cas au sein des sous-commissions de la CNNC en examinant pour chacune d’entre elles les possibilités de rattachement. Ce travail nécessite d’autant plus d’efforts que les partenaires sociaux de la branche ont souvent disparu.

Ce long processus suscite des inquiétudes chez les organisations syndicales, d’une part, et chez les organisations patronales, d’autre part. Les premières craignent que le rapprochement avec d’autres branches ne conduise à un alignement par le bas. Nous sommes prêts à accompagner autant que nécessaire le processus afin que l’intégration dans une branche plus large permette le maintien des avantages particuliers des salariés des branches vouées à disparaître. Les secondes redoutent de perdre la maîtrise de la régulation économique que leur confère l’existence de la branche et d’être avalées par des opérateurs plus importants. Cette réticence des organisations patronales à voir leur légitimité remise en cause et à perdre leur capacité à maîtriser l’organisation collective de la profession ne doit pas être sous-estimée.

M. le président Arnaud Richard. Combien de salariés comptent ces 179 branches ?

M. Jean-Henri Pyronnet. Moins de 100 000 salariés, peut-être 50 000.

M. le président Arnaud Richard. Le processus conventionnel de dissolution ou de fusion est nécessairement très long.

M. Jean-Henri Pyronnet. Il a néanmoins été accéléré récemment : une disposition législative permet au ministre de prendre un arrêté prononçant la fusion des branches six mois après la décision, contre un an auparavant. Malgré tout, le processus reste long et suscite des questions. Certaines inquiétudes sont plus catégorielles. Ainsi, la CFE-CGC appréhende la fusion des conventions collectives des différentes catégories d’une même branche à l’issue de laquelle elle risque de perdre sa légitimité pour défendre les conditions de travail des cadres qu’elle représente. Nos statistiques sont encore loin d’être brillantes mais nous avançons.

Dernier sujet, le financement du paritarisme qui compte trois enveloppes : la première résulte d’une volonté claire du Gouvernement et de la majorité que la formation professionnelle ne s’occupe que de formation professionnelle et pas d’autre chose. Celle-ci n’a pas vocation à être l’une des principales sources de financement du paritarisme en France. C’est ce qu’affirme la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale. Beaucoup d’efforts avaient déjà été accomplis en faveur de la transparence. Mais le législateur a choisi de supprimer le « préciput OPCA » – un prélèvement de 0,75 % sur la collecte des organismes paritaires collecteurs agréés – et de lui substituer une contribution des entreprises de 0,016 % de la masse salariale totale du secteur privé, recouvrée par les URSSAF et versée au fonds paritaire de financement.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. À quelle somme cela correspond-il ?

M. Jean-Henri Pyronnet. La première enveloppe représente 73 millions d’euros. Cette somme est répartie entre le niveau national et interprofessionnel, à hauteur de 37 millions d’euros, et les branches, à hauteur de 36 millions. Une première répartition des encaissements de la nouvelle contribution effectués par l’URSSAF a eu lieu en juillet entre les branches sur la base des identifiants des conventions collectives – codes IDCC. 26,9 millions d’euros ont été encaissés et mis en paiement. Le montant encaissé pourrait être supérieur à 73 millions d’euros mais, dans tous les cas, les branches percevront au minimum 36 millions d’euros.

D’autres encaissements devraient intervenir aux troisième et quatrième trimestres. Une régularisation sensible pourrait intervenir en début d’année 2016 pour les entreprises qui n’auraient pas acquitté tout de suite la contribution nouvelle.

M. le président Arnaud Richard. Je suppose que vous n’avez pas encore pu dresser un bilan.

M. Jean-Henri Pyronnet. Un bilan pourra être établi en février prochain.

La deuxième enveloppe est dédiée à la formation économique et sociale syndicale. Ce sont des crédits que l’État alloue aux organisations syndicales pour la formation des militants par des organismes agréés par le ministère chargé du travail. La subvention de l’État d’un montant de 29,6 millions d’euros permet de financer les frais de formation, les frais de fonctionnement, les déplacements, etc.

M. le président Arnaud Richard. Cette formation ne s’adresse-t-elle qu’aux adhérents ayant un mandat ?

M. Jean-Henri Pyronnet. Pas nécessairement. Elle est destinée à ceux que les syndicats acceptent de former. La majorité d’entre eux sont des élus mais aucune condition juridique n’est imposée.

12 millions d’euros supplémentaires provenant des entreprises sont attendus pour 2015. Il s’agit de la transformation de l’obligation imposée aux employeurs avant la réforme de prendre en charge le salaire du militant en formation dans la limite de 0,08 pour 1000 de la masse salariale. Ce dispositif est remplacé par une prise en charge du salaire sans limite par le fonds paritaire.

La troisième enveloppe est attribuée par l’État pour assurer aux organisations professionnelles et syndicales la rétribution de leur participation à l’élaboration des politiques publiques. 3 millions d’euros sont répartis entre les organisations selon deux niveaux de reconnaissance de leur contribution : un premier niveau pour les organisations syndicales et patronales représentatives au niveau national et interprofessionnel – CGT, CFDT, FO, CFE-CGC, CFTC du côté salarial et Medef, CGPME et UPA du côté patronal ; un second niveau pour cinq autres partenaires sociaux : pour les organisations patronales, ce que la loi du 5 mars 2014 précitée appelle le multi-professionnel, c’est-à-dire les professions libérales, les professions agricoles ainsi que l’économie sociale et solidaire ; pour les organisations syndicales, celles dont le niveau de représentativité est suffisant pour les reconnaître
– dépassant les 3 % mais inférieur aux 8 % du national –, c’est-à-dire l’UNSA et Solidaires.

M. le rapporteur. Je ne suis pas sûr que vous puissiez répondre à ma question, mais peut-être pourrez-vous nous aiguiller : existe-t-il une administration au sein de l’État et un document qui recense l’ensemble des activités relevant du paritarisme, une sorte de jaune budgétaire précisant pour l’ensemble des organismes gérés en propre par les organisations patronales et syndicales dans les différents domaines – protection sociale, formation professionnelle, Unédic – les montants alloués, la proportion des prestations, les actions prises en charge, le coût de gestion des organismes, le nombre de salariés, le nombre d’élus syndicaux et patronaux, etc. L’État remplit-il cette fonction ? Est-il capable de peindre un tableau de la situation en distinguant le paritarisme strict, dans lequel l’État n’intervient que pour agréer, vérifier, contrôler et le paritarisme étendu, parfois le tripartisme, voire le quadripartisme, quand les régions sont associées.

Vous évoquez la négociation impulsée par la loi au travers de la formation professionnelle. Une autre loi a cherché à légiférer sur les questions relatives à la négociation collective, la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi. En avez-vous établi un bilan exhaustif ?

Quel est le rôle des partenaires sociaux en matière de contrôle ? Le dispositif du CICE prévoit une obligation d’information et de consultation des représentants du personnel. D’après le rapport de France Stratégie, cette obligation est très mal remplie. Disposez-vous de chiffres ? Le ministère intervient-il pour s’assurer que cette obligation est satisfaite ? Envisagez-vous des évolutions pour qu’elle le soit ?

Votre ministère est-il intervenu dans les négociations en cours à Air France ? L’envisage-t-il et le peut-il compte tenu de ses missions ?

M. Jean-Henri Pyronnet. Je vais m’en assurer auprès de mes collègues de la DARES, mais je ne crois pas qu’un tel document existe, en dépit de consolidations partielles, notamment en matière de gestion de la sécurité sociale dans le PLFSS. Cette consolidation n’est pas faite entre public et privé. On pourrait toutefois envisager de définir son champ à partir de l’accord national interprofessionnel du 17 février 2012 relatif à la modernisation du paritarisme. Dans son annexe, figure une liste d’organismes du paritarisme de gestion. En couvrant ce champ, on aurait déjà bien avancé. Des données existent dans chaque organisme. Le simple fait d’avoir mis en œuvre dans chacun de ces organismes les dispositions de cet accord devrait permettre d’identifier les coûts de gestion, les populations concernées et les contributions reçues dans des conditions qui devraient en permettre la comparaison.

Un bilan de la loi sur la sécurisation professionnelle a été présenté en commission nationale de la négociation collective, mais j’ai un doute sur la date. Il offre un éclairage intéressant sur l’apport des accords conclus dans le cadre des plans sociaux, plus positif même que ce qu’en espéraient ceux qui les avaient initiés.

S’agissant du CICE, la loi prévoit une information des institutions représentatives du personnel. Jusqu’à présent, le ministère du travail n’a pas estimé qu’il lui appartenait d’intervenir pour rappeler les partenaires sociaux à leurs obligations.

L’apport du ministère à cette démarche réside dans la mise en place de la base de données économiques et sociales, prévue par la loi relative à la sécurisation de l’emploi précitée, qui comporte des informations accessibles par le comité d’entreprise sur le montant de tous avantages, exonérations ou subventions au titre des charges sociales dont bénéficie l’employeur ainsi que sur leur utilisation. La loi sur le dialogue social a prévu la reprise de ces données comme support de l’information – consultation sur la politique des salaires dans l’entreprise.

Pour répondre précisément à votre question, le ministère du travail n’a pas considéré qu’il était dans son rôle d’intervenir dans l’application par les entreprises de leur obligation d’information sur le CICE.

M. le rapporteur. Cela relève pourtant de la mission de votre direction : nous parlons d’une information fondamentale des salariés et d’argent public massivement distribué. Aucun autre moyen n’est prévu, ni pour l’administration chargée du travail, ni pour l’administration fiscale, pour obtenir l’information, au bénéfice des salariés et pas seulement des directions. Si cette obligation n’est pas remplie et que l’administration n’a même pas les moyens de le savoir, cela pose un problème au regard des responsabilités de votre direction…

M. le président Arnaud Richard. Il me paraît délicat pour la DGT de donner des injonctions aux salariés sur ce point.

M. le rapporteur. Il ne s’agit pas des salariés mais des directions d’entreprise qui doivent appliquer la loi.

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Sans donner des injonctions, la DGT peut donner des impulsions ou inciter.

M. Jean-Henri Pyronnet. Il ne s’agit pas d’une obligation relative au respect du droit du travail en tant que tel mais au bon usage des fonds publics. Le ministère du travail n’est pas en mesure de s’en assurer.

M. le rapporteur. Je ne parle pas du contenu mais du respect de la procédure d’information.

M. Jean-Henri Pyronnet. Chaque fois qu’un inspecteur du travail contrôle une entreprise, le respect de l’information-consultation des salariés fait partie des points qu’il vérifie mais cette vérification ne fait pas l’objet d’un compte rendu systématique. L’inspecteur s’assure que toutes les obligations d’information – celle-là en fait partie – sont remplies.

M. le président Arnaud Richard. Vous n’avez pas répondu à la question sur Air France.

M. Jean-Henri Pyronnet. Les services de la DIRECCTE géographiquement compétente suivent la question de près. Mais, à ma connaissance, pour l’instant, ils n’ont pas été sollicités pour une médiation ou une intervention dans les négociations en cours. S’il y a un plan social, l’accord sera évidemment soumis à homologation ou validation.

Mme Claudine Schmid. Une réflexion est en cours sur une éventuelle réforme du code du travail. Quelles pourraient être selon vous les relations entre les accords de branche et les accords d’entreprise ? Peut-on instaurer une hiérarchie entre eux ? Au profit de quelle norme ?

M. Jean-Henri Pyronnet. Jusqu’en 2004, nous vivions dans un univers simple : la loi fixe une règle ; l’accord de branche peut y déroger dans un sens favorable aux salariés ; quant à l’accord d’entreprise, il peut déroger à l’accord de branche dans les mêmes conditions. La même règle vaut pour le contrat de travail. Ce monde univoque dans lequel s’appliquait le principe de faveur a évolué avec les lois de 2004 et de 2008.

La loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social a ouvert la possibilité pour l’accord d’entreprise de contenir des clauses moins favorables que l’accord de branche en fixant deux limites : d’une part, quatre domaines sont exclus, à savoir les classifications, les salaires minimaux, la mutualisation de la formation professionnelle, la prévoyance ; d’autre part, la branche ne doit pas s’y opposer en interdisant à l’accord d’entreprise de contenir des dispositions différentes.

La loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail a défini six domaines relatifs à l’aménagement du temps de travail – contingent d’heures supplémentaires, forfait jour ou forfait heure, compte épargne-temps, aménagement du temps de travail, journée de solidarité – dans lesquels l’accord d’entreprise peut établir des règles particulières sans que l’accord de branche ne puisse « verrouiller ».

Le rapport récemment remis par Jean-Denis Combrexelle propose, dans le champ des accords relatifs aux conditions de travail, à l’emploi et aux salaires, de poser le principe général de la loi de 2004 comme étant la règle de droit commun, en maintenant la possibilité pour la branche de verrouiller.

L’exercice se heurte à plusieurs difficultés : les quatre domaines définis dans la loi de 2004 restent-ils interdits à toute variation de la hiérarchie des normes ? Quelle est la force du verrou de l’accord de branche ? Depuis la parution du rapport, plusieurs organisations professionnelles de branches importantes ont réclamé que l’ordre public conventionnel soit défini par les partenaires sociaux. Que peut-on laisser à la main de l’accord d’entreprise ? On peut imaginer de manière caricaturale la répartition suivante : l’accord de branche fixe les règles générales de la branche, de l’univers professionnel tandis que les adaptations et les variations conjoncturelles qu’il est difficile de prévoir hors de l’entreprise relèvent de l’accord d’entreprise. Je pense notamment à la répartition des horaires sur les plages de la semaine en cas d’accord de modulation. Il est difficile pour la branche de prévoir toutes les variations d’activité dans les différentes entreprises. Il existe des domaines dans lesquels l’adaptation est possible. Il faut distinguer ce qui fait la loi de la profession, sa légitimité, des souplesses dont ont besoin les entreprises dans leur fonctionnement quotidien.

Mme Claudine Schmid. Fort de votre expérience, considérez-vous que les lois actuelles sont satisfaisantes ou qu’elles devraient être revues dans le sens d’une plus grande souplesse ?

M. Jean-Henri Pyronnet. Par nature, l’administration est heureuse de l’existant…

J’ajouterai que certaines souplesses qui ont été introduites ne sont pas utilisées tandis que certains freins supposés n’en sont pas. Il est important pour la DGT d’être à l’écoute des difficultés que rencontrent les entreprises dans la mise en œuvre du cadre juridique. Depuis plusieurs années, nous avons identifié certains points. Par exemple, s’agissant de la répartition des horaires sur chacune des semaines de la période de modulation, il est certain que si l’accord de branche peut verrouiller ces dispositions, les entreprises auront du mal à s’adapter. Pour autant, autre exemple, peu d’entreprises ont utilisé la possibilité offerte par le contingent d’heures supplémentaires car la négociation sur l’organisation du temps de travail n’est pas mécanique : elle doit répondre à un besoin, être justifiée, elle demande de la visibilité sur l’activité.

Le cadre légal actuel offre un certain nombre de possibilités. Mais il est manifeste que les curseurs peuvent encore être ajustés. Les outils existent, les champs de l’accord de branche et de la loi sont définis, c’est plutôt une affaire de réglage.

M. le président Arnaud Richard. Ces outils ne sont peut-être pas en phase avec le marché, donc leur souplesse n’est peut-être pas suffisante.

Mme Véronique Massonneau. Le financement par toutes les entreprises de la formation syndicale, y compris celles qui ne forment pas, constitue-t-il un levier pour essayer de convaincre ces dernières de former ou un outil de péréquation ?

De nombreux syndicats s’inquiètent de ne pas retrouver une enveloppe de financement équivalente à la précédente. Les 41 millions d’euros qui ont été évoqués correspondent-ils aux moyens qui étaient consacrés à ce financement jusqu’à présent ?

De nombreux avenants ont été signés sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes mais seulement six accords portent spécifiquement sur cette question en 2014. Le plus souvent, l’égalité est abordée à titre secondaire dans d’autres négociations plus larges. Ne serait-il pas opportun de rendre cette négociation obligatoire au sein des entreprises pour qu’enfin cette égalité soit une réalité ?

M. Jean-Henri Pyronnet. Les craintes que vous évoquez sont compréhensibles. Pour autant, la troisième enveloppe représente 3 millions d’euros supplémentaires. En outre, l’assiette sur laquelle le prélèvement nouveau est effectué est très dynamique, malgré le ralentissement de la masse salariale.

Ceux qui s’inquiètent sont les mêmes qui regrettaient que le financement de l’employeur soit plafonné à un pourcentage de la masse salariale de l’entreprise, ce qui les obligeait à supporter les dépenses supplémentaires. Ce ne sera plus le cas.

La contribution a effectivement été acquittée par tous les cotisants mensuels. On attend une régularisation importante pour les cotisants trimestriels en fin d’année. Mais les encaissements devraient être à la hauteur des prévisions. Pendant le deuxième trimestre 2015, entre la fin de l’utilisation des préciputs anciens et les versements effectués au titre de la nouvelle contribution, il y a eu une période de soudure. Je rappelle que les premiers versements datent de juillet seulement.

Sur le deuxième point, nous essayons de suivre avec précision la question de l’égalité. Deux écoles coexistent, la première défendant la pertinence de la négociation dédiée, la seconde considérant l’approche transversale comme le meilleur moyen d’assurer ou de promouvoir l’égalité réelle. Nous suivons les accords dédiés comme les chapitres relatifs à l’égalité dans les accords dont l’objet est plus large. Les deux écoles ont leurs avantages : l’accord dédié met l’accent sur la nécessité de traiter ce sujet ; le chapitre dans une négociation donne aux partenaires sociaux la capacité sur n’importe quel sujet de pointer les conséquences du dispositif discuté sur l’égalité. La nécessité d’un accord relatif à l’égalité ou d’un plan d’action est clairement affirmée dans la loi, avec une pénalité pour les entreprises qui n’ont pas engagé de négociation ou n’ont pas arrêté un plan d’action. Si cette première étape d’obligation formelle d’engager des négociations est respectée, pour la deuxième étape – la maîtrise des écarts de rémunération –, l’approche transversale peut être vraiment pertinente. Nous disposons, avec les pénalités, des outils pour avancer là où le diagnostic n’est pas posé : les pénalités sont très efficaces : sous la menace d’un prélèvement de 0,75 % de la masse salariale, les entreprises se mettent rapidement en conformité. Je pense que les deux approches sont utiles.

M. le rapporteur. Vous avez évoqué la prévoyance pour illustrer le fait que les partenaires sociaux n’interviennent pas uniquement dans le champ régalien de la protection sociale. Cette question est débattue mais elle n’est pas évidente. Comment permettre, si on le souhaite – c’est un choix politique –, une gestion paritaire de la prévoyance dans les branches professionnelles alors que le Conseil constitutionnel l’a interdite ? Votre ministère s’est-il saisi du sujet après cette décision ? Le texte adopté sur la sécurisation de l’emploi autorisait les partenaires sociaux à définir les contours de la gestion de la prévoyance dans une branche et à mettre en place des institutions paritaires de gestion. L’argument des tenants de cette solution dont je faisais partie était le suivant : pour garantir une prévention efficace et une solidarité entre des travailleurs dans une même branche – afin d’éviter qu’une exposition à des risques de niveau différent ne se traduise par des tarifs différents pour eux –, cette solution peut être une voie utile. Or, elle est aujourd’hui fermée pour des raisons tenant aux normes constitutionnelles et européennes. Quel est l’état de votre réflexion sur ce point ? Avez-vous des discussions au niveau communautaire ?

Une dernière question sur ce qui paraît l’enjeu le plus important pour nous tous des années qui viennent : la protection sociale, qu’elle soit gérée par l’État ou par les partenaires sociaux, est confrontée à une mutation très forte du marché du travail, parfois impulsée par la loi elle-même – les nouvelles formes de rupture du contrat de travail ou le statut d’autoentrepreneur qui crée une nouvelle forme de travailleurs non-salariés qui pourtant ont toutes les caractéristiques du salariat – mais surtout par l’« ubérisation » de la société, avec ses opportunités en matière d’accès à un certain nombre de services pour les citoyens
– transports, logement, musique, etc. – mais aussi un vide sidéral : pas de prélèvement de cotisations ou d’impôt dans les formes les plus extrêmes, pas de contribution à la sécurité sociale et pour un certain nombre de droits qui sont contributifs, pas le droit, par exemple, à être rémunéré quand on est malade ou à contribuer à sa retraite. Votre ministère mène-t-il une réflexion sur ces « trous dans la raquette » qui commencent à être béants ainsi que sur les moyens d’y remédier ?

M. Jean-Henri Pyronnet. Sur ces deux sujets, c’est au sein du ministère chargé de la protection sociale que les réflexions sont les plus avancées.

Après la décision du Conseil constitutionnel relative à la gestion paritaire et mutualisée de la prévoyance, la définition de modalités de gestion permettant la recommandation d’un organisme assureur reste d’actualité, notamment en reprenant les éléments que vous avez évoqués : la possibilité d’une réelle politique de prévention, des éléments de solidarité et de mutualisation des risques, notamment pour les personnes qui connaissent un accident dans leur parcours professionnel ou pour les personnes retraitées. Les services du ministère de la solidarité poursuivent la réflexion et essaient de promouvoir au niveau européen – c’est bien à ce niveau que la question se pose – la possibilité de clauses de recommandation dans le champ de la prévoyance. Il faut convaincre nos partenaires d’appuyer cette réflexion avant d’envisager une évolution des textes. Il ne fait aucun doute que, dans la réglementation européenne, la santé a par nature vocation à être un domaine traité par le marché et, seulement par exception, un domaine autorisant des entraves à la libre concurrence à travers des clauses de désignation. C’est bien cette articulation qu’il faut faire évoluer.

Sur la deuxième question, les services de l’inspection du travail sont particulièrement sensibles à l’évolution des nouvelles formes d’emploi dans la mesure où ces nouvelles formes peuvent s’accompagner dans certains cas de situations d’abus de faiblesse, de logement indigne ou de rémunération indécente.

M. le rapporteur. Avez-vous une idée du volume de travail que représentent ces nouvelles formes de travail – en simplifiant, un travail qui n’est pas exercé par un salarié en CDI à temps plein ?

Mme Anne Thauvin, chef du bureau des relations individuelles du travail. Une réflexion est en cours au sein du Conseil national de l'information statistique (CNIS), avec un travail préalable sur la définition du champ des nouvelles formes d’emploi qui ne recoupe que partiellement la question de l’« ubérisation » de la société car on peut y faire entrer beaucoup de choses – services à la personne, temps très partiel, CDD très courts, etc.

M. Jean-Henri Pyronnet. Dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, il me semble que figure une disposition qui se rapporte à ce sujet. Lorsque ces formes d’emploi s’appuient sur un opérateur unique, qui facilite la mise en relation avec le client et centralise les versements, les échanges entre le client et le prestataire de services, l’opérateur est tout à fait même de connaître les détails de toutes les transactions, donc d’être un interlocuteur faisant fonction soit de tiers, s’il s’agit d’une véritable relation de travail, indépendant, soit d’employeur, s’il organise le service. Mais, dans tous les cas, il est à même de pouvoir procéder au précompte des versements sociaux et fiscaux. Nous soutenons, avec nos collègues du ministère des affaires sociales, le projet d’assujettir à prélèvements sociaux et fiscaux les transactions réalisées sur les plateformes ou par l’intermédiaire des plateformes numériques, dès lors qu’elles excèdent un montant minimal. Si cette mesure est mise en œuvre, nous disposerons d’une traçabilité significative dans les secteurs dans lesquels interviennent des opérateurs facilitant la mise en relation entre les clients.

M. le président Arnaud Richard. Madame, monsieur, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation. Nous allons écrire au ministre pour disposer d’informations complémentaires sur l’annexe de l’ANI sur le paritarisme, annexe passionnante que j’invite mes collègues à consulter. Il sera également certainement intéressant pour nous d’entendre un certain nombre de présidents de CMP.

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Puis la commission entend M. Jean-Paul Guillot, président de Réalités du dialogue social (RDS), ainsi que Mme Lydia Zumelli-Brovell, et M. Jean François Herlem.

M. le président Arnaud Richard. Après les représentants de l’État, nous sommes heureux d’accueillir des experts, praticiens du dialogue social. Nous allons ainsi entendre M. Jean-Paul Guillot, président de l’association Réalités du dialogue social (RDS), structure qui existe depuis vingt-cinq ans et vise à favoriser le dialogue social en associant toutes les parties dans des lieux où il n’y a pas d’enjeu immédiat de négociation. M. Guillot est accompagné de Mme Lydia Zumelli-Brovelli et de M. Jean-François Herlem, qui ont mené les travaux d’un groupe de travail consacré à l’efficience des mandats, lequel a produit le Dictionnaire des instances d’exercice des mandats, plus connu sous l’acronyme de DIEM, ainsi que le Mandascop, élaboré avec toutes les organisations syndicales d’employeurs et de salariés représentatives au plan national.

Nous attendons de M. Guillot qu’il nous présente les travaux de RDS et son activité dans le dialogue social, et qu’il nous donne sa perception personnelle et professionnelle du paritarisme, de ce qui fonctionne ou non.

Vous êtes également, monsieur Guillot, tiers facilitateur du dialogue social, nommé par la ministre de la culture pour organiser une conférence pour l’emploi dans les métiers du spectacle. Nous serions heureux que vous nous éclairiez sur le rôle des tiers de confiance, en vous conviant éventuellement pour une autre audition, en compagnie de tiers facilitateurs intervenant dans différentes branches.

M. Jean-Paul Guillot, président de Réalités du dialogue social (RDS). Mesdames et messieurs les députés, merci de nous accueillir. Je tenais à vous rappeler en préambule que vous êtes invités à cette conférence pour l’emploi dans les métiers du spectacle, qui se tiendra les 15 et 16 octobre prochains et sera ouverte par le Premier ministre.

Pour en revenir à RDS, c’est une association de personnes morales – entreprises publiques ou privées – qui réunit l’ensemble des organisations d’employeurs et de salariés représentatives au plan national, auxquelles s’ajoutent la FSU et l’UNSA pour le secteur public, ainsi que Sud-Solidaires, qui participe à nos activités lorsqu’elles concernent ce dernier secteur. RDS constitue donc un lieu où tout le monde arrive à se réunir et à échanger hors du champ des négociations, hors de la scène publique, ce qui permet de travailler sans être soumis à la pression des échéances ou des effets de théâtre.

RDS est une association indépendante, qui vit exclusivement des cotisations de ses membres, à l’exception d’une subvention qui nous avait été accordée une fois par le ministre chargé du travail pour le Mandascop, sans que nous l’ayons demandée. Si j’y insiste, c’est que les partenaires sociaux sont très jaloux de cette indépendance, en particulier dans leurs rapports avec l’État.

Notre vocation est, comme l’indique notre logo, d’« échanger pour agir », dans le but de promouvoir un dialogue social loyal et efficient. Les termes ont été pesés, car l’efficience a longtemps été taboue pour un certain nombre d’acteurs, mais il est bénéfique que les uns et les autres, organisations patronales comme syndicats de salariés, s’interrogent sur le fait de savoir si les échanges ont été productifs. Quant à la loyauté, il faut, pour que le dialogue social soit productif dans la durée, que les parties tiennent leurs engagements.

Votre mission porte sur le paritarisme : il convient donc de s’entendre sur le terme. Le paritarisme n’est qu’une des composantes du dialogue social, lequel regroupe une multitude d’activités, de la communication et de l’information à la négociation, en passant par la consultation ou la concertation. Il s’agit de différentes langues du dialogue social, et les règles du jeu ne sont pas les mêmes. Par ailleurs, le dialogue social ne résume pas les relations sociales qui, par exemple en cas de crise, se déploient hors du dialogue.

J’insiste enfin sur la diversité des situations. Selon qu’on a affaire à une entreprise de vingt-cinq personnes ou à un groupe international, à une entreprise en péril ou en bonne santé, les problématiques ne sont pas les mêmes, tout comme sont différents les enjeux à l’œuvre dans le secteur public ou le secteur privé.

On a tendance en France à avoir une vision unitaire des relations sociales, qui recouvrent en fait des réalités complexes et diverses. À ce sujet, nous avons publié il y a trois ans, avec une collègue et un comité de pilotage composé de partenaires sociaux issus du monde des PME, un petit ouvrage intitulé Les Petites Entreprises dans le dialogue social, d’où ressortait l’idée, partagée par tous, qu’il serait souhaitable que le dialogue social interprofessionnel, au lieu de prendre appui sur les grands groupes, se développe sur la base de ce que vivent les petites entreprises, qui sont les plus nombreuses et emploient à elles seules une bonne moitié des salariés. En d’autres termes, la norme conventionnelle devrait d’abord être pensée pour le plus grand nombre, quitte à ce que l’on crée des exceptions pour les grandes entreprises, au lieu de faire l’inverse.

Pour en revenir au paritarisme, il y a le paritarisme de gestion et le paritarisme de négociation. Dans certaines instances, comme l’Unédic, les partenaires sociaux sont à la fois négociateurs et gestionnaires, et nous avons d’ailleurs affaire ici à un paritarisme composite, puisque, si la gestion est strictement paritaire, en matière de négociation, l’État définit des éléments de cadrage et qu’il agrée ensuite.

Si l’État n’est jamais très loin, c’est un héritage de la loi Le Chapelier, qui considérait les corps intermédiaires comme inutiles et a longtemps irrigué notre culture sociale, ce qui fait que le rôle des partenaires sociaux dans la construction de la norme s’est développé beaucoup plus tard en France que dans d’autres pays d’Europe. Il faut assumer notre histoire. Mais Henri Rouilleault, que vous avez prévu d’auditionner et dont l’ouvrage Où va la démocratie sociale ? retrace cette histoire des relations tripartites saura mieux que moi vous éclairer sur le sujet.

Mme Lydia Zumelli-Brovelli. Il y a une petite dizaine d’années, nous avons constaté que les organisations salariales et patronales ressentaient le trop-plein de lieux comme un élément de vulnérabilité du dialogue social. Ce sentiment rejoignant des sollicitations que pouvaient nous adresser les pouvoirs publics, nous avons réalisé une enquête, avec Jean-Paul Guillot et Benoit Brunet, qui travaillait alors à la direction des ressources humaines chez PSA. Il est ressorti des entretiens que nous avons menés que les organisations salariales et patronales éprouvaient les plus grandes difficultés à recenser les lieux dans lesquels elles désignaient des mandataires et qu’aucune ne possédait une liste globale de ces lieux. Les représentants de la métallurgie nous ont par exemple expliqué qu’ils devaient pourvoir trente mille mandats, ce qui revenait, du fait des cumuls, à désigner cinq mille mandataires, dans des instances qui, au fil des années, se sont empilées à la manière d’un millefeuille, compromettant gravement la qualité du dialogue social.

M. le président Arnaud Richard. À combien estimez-vous le nombre total de mandats en France ?

M. Jean-François Herlem. Hors institutions représentatives du personnel (IRP) qui, à elles seules, représentent plus de sept cent mille mandats, leur nombre se situe vraisemblablement entre cent et deux cent mille, sachant, d’une part, que, dans une instance, siègent plusieurs personnes ayant des mandats identiques puisque chaque organisation peut y disposer de plusieurs représentants, et que, d’autre part, les mandataires ont en général plusieurs mandats dans différentes instances.

Mme Lydia Zumelli-Brovelli. Nous avons donc entrepris de réaliser un inventaire. Notre objectif était de recenser les lieux dans lesquels syndicats de salariés et organisations patronales désignaient des représentants, ce qui nous a conduits à explorer un champ bien plus large que celui du paritarisme, puisque le dictionnaire recense des instances paritaires, comme l’Unédic, l’AGIRC ou l’ARRCO mais également des organismes mixtes où siègent à côté des salariés et des employeurs, d’autres représentants – c’est le cas de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), où siègent des représentants de l’Union nationale des associations familiales (UNAF), ou encore des organismes tripartites, dans lesquels siège l’État. Le dictionnaire recense enfin des organismes dans lesquels seuls les employeurs sont représentés, comme les chambres de commerce et d’industrie, ou qui ne comportent que des salariés, comme les comités d’entreprise.

Les huit organisations engagées dans le projet ont mutualisé leurs informations, selon un même format de description permettant les comparaisons, dans une base de données unique, qui ne se contente pas de recenser les instances mais détaille également leurs activités, leurs missions, leurs statuts et leurs organismes de tutelle.

Le DIEM a ainsi été mis en ligne et accessible à tous en 2010 sur le site de RDS. Il recense trois cents instances génériques, c’est-à-dire trois cents types d’instances, certaines étant uniques – par exemple, la Commission nationale de la négociation collective –, d’autres étant aussi nombreuses que les entités auxquelles elles sont rattachées – il y a ainsi autant de comités d’entreprise que d’entreprises de plus de cinquante salariés.

Il est rapidement apparu cependant que le dictionnaire en tant que tel ne suffisait pas et qu’il ne permettait pas à lui seul de répondre aux objectifs poursuivis, à savoir une meilleure gestion des mandataires, une amélioration du recrutement, de la formation, du reporting mais également de la reconversion professionnelle grâce à une meilleure validation des acquis de l’expérience.

D’où la seconde étape, qui a consisté à élaborer un outil commun aux salariés et aux employeurs, leur permettant de mieux cerner les profils et les compétences attendues des mandataires. En nous inspirant du Répertoire opérationnel des métiers et des emplois (ROME), nous avons donc élaboré le Mandascop, conçu par un comité de projet comportant là encore les huit organisations professionnelles représentatives ainsi que l’UNSA. De son côté, RDS a passé une convention avec le CEREQ – Centre d’études et de recherches sur les qualifications – et le CEDAET – Conseil, étude et développement appliqués aux entreprises et aux territoires – pour sa réalisation. Ont ainsi été regroupés en sept familles trente et un mandats types, validés par l’ensemble de partenaires.

Nous avons donc désormais avec le DIEM et le Mandascop deux outils-supports permettant une meilleure gestion des mandataires. La tâche néanmoins est loin d’être achevée, un effort de rationalisation restant à accomplir, tout comme un travail sur le statut des mandataires, l’idée de départ étant de mettre en place une charte du mandataire.

M. Jean-Paul Guillot. Le Mandascop a été évoqué dans l’accord national interprofessionnel de 2012 sur le paritarisme, et nous pouvons constater, à notre grande satisfaction, qu’il est utilisé sur le terrain.

M. Jean-François Herlem. La réalisation du DIEM s’est apparentée à un travail de bénédictin même si nous en mesurons aujourd’hui les lacunes. Il est notamment pauvre sur certains secteurs comme la fonction publique, où les instances de représentations sont extrêmement nombreuses. L’agriculture reste également un secteur à mieux explorer, tout comme les départements d’outre-mer qui ont des instances spécifiques.

Une des difficultés majeures de notre travail a tenu à la pluralité de statuts des instances représentatives, qui peuvent avoir des finalités très différentes et dont il n’a pas toujours été facile de récupérer les éléments de signalétique. Cela étant, chaque fiche est censée présenter les missions de l’instance, son statut juridique, sa tutelle éventuelle, les textes fondateurs, le nombre de mandats patronaux et salariaux, leur mode de désignation, le type de fonctions exercées et des éléments aussi pratiques que les modalités de remboursement.

Au-delà de cette description, nous avons également essayé de caractériser chaque instance en indiquant son domaine d’intervention, qui relève d’une des sept catégories suivantes : protection sociale et santé, formation et recherche, emploi et formation professionnelle, vie des salariés, économie, société et territoires, dialogue social, fonctions juridictionnelles et contentieux. Cette classification permet notamment de mieux gérer les « profils de carrière » des mandataires, en leur permettant de mieux valoriser les acquis de leurs mandats précédents.

Nous avons également indiqué pour chaque instance quelles étaient ses finalités : information, consultation, concertation, négociation ou gestion. Ce dernier terme étant relativement vague, nous avons tenté de le préciser en distinguant les cas où l’instance s’en tient à une définition de la norme, ceux où elle applique les normes avec des marges d’autonomie préalablement définies, ceux enfin où elle est une instance de contrôle. D’autres instances remplissent des fonctions de régulation, comme les instances juridictionnelles ou les instances paritaires qui ont à connaître des conflits sociaux. Enfin, il convient d’ajouter à ce répertoire les instances dont le rôle est de réaliser des études et celles qui assument une fonction de représentation à l’échelon territorial supérieur, européen notamment.

Nous en arrivons ensuite au cœur de notre sujet avec l’identification des différents types d’instance. À côté des instances composées uniquement soit de représentants des salariés soient de représentants des employeurs se trouvent donc les instances paritaires au sens large. Au sens strict, le paritarisme désigne une proportion équivalente d’employeurs et de salariés, mais certaines formes de paritarisme sont plus souples et s’appliquent à des instances où les représentants des travailleurs et des employeurs représentent ensemble et à parts égales la majorité et peuvent alternativement assumer la présidence. Existent également des instances tripartites dans lesquelles siègent l’État ou la fonction publique déconcentrée, puis des instances mixtes, nombreuses en particulier dans le champ des questions de société, d’environnement ou de gestion des territoires, où sont également représentés des organes non professionnels, comme les associations.

Un autre élément de typologie concerne le champ professionnel dans lequel agit l’instance : celui des employeurs privés pour les IRP, la fonction publique, la branche
– elles étaient en France 784 selon le rapport de votre collègue député M. Jean-Frédéric Poisson, nombre qui s’est légèrement réduit depuis. De nombreuses instances interviennent également au niveau interprofessionnel, dans la mesure où les accords nationaux interprofessionnels sont par nature créateurs d’instance de ce niveau.

Il convient également de préciser le champ territorial dans lequel intervient l’instance, qui se décline de l’échelon international à l’échelon local en passant par les échelons communautaire, national, régional et départemental.

Le dernier élément de typologie concerne enfin la question de la hiérarchisation et de la coordination, permettant de distinguer les instances unitaires de celles qui fonctionnent en réseau : l’AGIRC, par exemple, qui fédère et contrôle les caisses de retraite complémentaire des cadres, ou l’ARRCO, pour la retraite complémentaire de l’ensemble des salariés.

En ce qui concerne le Mandascop, il a été conçu comme un outil pratique à destination des mandataires et des organisations professionnelles, lesquelles se plaignent unanimement du manque de volontaires pour exercer des mandats. Il doit permettre de recruter, de mieux former les mandataires et de les aider à exercer leur rôle, ce qui doit leur permettre de mieux organiser leurs parcours.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Le DIEM permet-il d’évaluer la place qu’occupe le paritarisme dans les relations sociales ? Peut-on chiffrer la masse financière globale qu’ont à gérer les partenaires sociaux, le nombre de personnes employées au titre du paritarisme et ce que cela représente en coûts de gestion ?

On critique certes, comme pour l’organisation des collectivités territoriales, l’empilement et la multiplication des instances. Je fais partie de ceux qui estiment que la démocratie n’a jamais trop de représentants et que tout dépend de la manière dont est géré l’argent public et de l’emploi qui est fait de ces instances. L’un des objectifs de cette mission d’information est de hiérarchiser ces organismes. Dans cette perspective, au-delà d’une évaluation du coût et de l’efficacité des instances paritaires, nous voulons nous interroger sur leur légitimité et leurs liens avec le pouvoir régalien. De manière particulièrement flagrante depuis la réforme Juppé sur la sécurité sociale, l’État occupe une place de plus en plus importante dans le système, ce qui s’explique par le fait que les problématiques en jeu ne concernent plus uniquement des travailleurs mais aussi des chômeurs et des retraités.

Nous voulons également identifier les « trous » du système, la part croissante du travail qui lui échappe du fait du développement de formes d’activité qui ne relèvent pas du salariat ou s’inscrivent à ses marges – je pense notamment aux emplois précaires mais aussi aux auto-entrepreneurs ou à cette pratique désormais nommée « uberisation » dans laquelle des plateformes établissent entre des producteurs ou prestataires et des consommateurs une relation qui n’est à proprement parler ni une relation de travail ni une relation commerciale. Les représentants de la Direction générale du travail, que nous venons d’auditionner, ne savent pas évaluer la part de ces nouvelles formes d’activité dans le volume de travail global ni leurs incidences en matière d’accès à la protection sociale de ces travailleurs.

Mme Claudine Schmid. Vous avez indiqué que le DIEM restait lacunaire pour ce qui concerne les DOM. S’il est compréhensible que ces derniers se caractérisent par un certain nombre de particularismes dans le domaine fiscal, l’organisation du travail n’est-elle pas homogène sur l’ensemble du territoire ?

M. Jean-François Herlem. Les différences avec la métropole ne sont pas énormes mais elles existent.

M. le président Arnaud Richard. Avez-vous des exemples de pays européens dans lequel le pilotage des mandataires est mieux organisé ?

Vos adhérents, c’est-à-dire les organisations syndicales et patronales, font-ils bon usage des outils que vous avez mis à leur disposition ?

M. Jean-Paul Guillot. Pour être franc, nous sommes un peu déçus de l’usage fait de ces outils au regard de l’investissement initial des acteurs. En d’autres termes, chacun s’est lancé dans l’aventure avec de bonnes intentions et a activement contribué à l’élaboration de ces outils, mais il faut désormais franchir une nouvelle étape et accepter de remettre en cause le fonctionnement interne des organisations, et notamment l’articulation entre les élus responsables et les personnels permanents. Des tentatives ont été faites pour prioriser certaines actions au sein d’un même secteur d’intervention : elles se sont vite heurtées au fait que, pour les responsables, toutes les missions étaient jugées indispensables. Comme partout, le changement est très difficile. Il faut donc faire preuve de pédagogie car, lorsque les politiques imposent aux techniciens de terrain des décisions auxquelles ils n’ont pas pris part, l’échec est à peu près certain.

J’ajoute que nous n’avons pas été aidés par le calendrier. La fenêtre de tir dont nous disposions au démarrage du processus s’est refermée, du fait du rythme de renouvellement des directions des représentants patronaux et salariaux, sachant que l’on prend rarement de décision majeure en fin de mandat et que les nouveaux arrivants ont tendance à respecter un temps d’observation avant d’entreprendre de grands changements. L’effort de restructuration reste donc à faire pour rationaliser ces instances, ce qui ne veut pas forcément dire les supprimer mais mieux les utiliser.

En ce qui concerne les comparaisons européennes, je préfère vous renvoyer à des personnes plus compétentes, notamment l’association Astree.

Monsieur le rapporteur, les nouvelles formes de travail sont en effet un enjeu crucial. Le dialogue social ne se légitime qu’entre un employeur et un salarié ; pour le reste, cela relève du droit commercial. Je préside la sous-commission emploi du Conseil national des professions du spectacle (CNPS), qui a lancé une étude sur l’analyse structurelle de l’évolution des emplois et de l’activité dans le secteur. Il ressort de ces travaux que les revenus non salariaux – professions libérales, auto-entrepreneurs, droits d’auteur, droits dérivés – représentent désormais une part assez conséquente des rémunérations, sans que le système d’information actuel permette de déterminer pour chaque travailleur le nombre de catégories au titre desquelles il émarge. Cela génère, au plan microéconomique, des comportements individuels d’optimisation visant à abaisser au maximum le niveau de cotisations versées pour le meilleur niveau de prestations possible, sachant qu’une partie de ces formes d’activité sont beaucoup moins contributives aux régimes sociaux que le salariat.

Ce jeu pervers pour la régulation sociale n’est pas le seul fait des employés mais également celui des employeurs. Une récente étude du Conseil d’analyse économique sur l’Unédic fait ressortir qu’entre une personne à mi-temps et une personne qui travaille un jour sur deux les droits et devoirs ne sont pas les mêmes et que l’employeur comme le salarié ont meilleur compte à opter pour la seconde solution, car le revenu global que le salarié va obtenir est supérieur, ce jeu gagnant-gagnant s’effectuant au détriment des caisses sociales.

Il faut donc se garder de négliger ces situations qui n’ont plus rien de marginales et peuvent à terme détruire le système, et c’est pourquoi l’un des trois axes de travail de notre association est d’essayer d’anticiper le plus possible le développement de ces phénomènes et de leur imaginer des parades. Il ne s’agit pas de dénoncer les professions libérales ou les auto-entrepreneurs ; il est bien que la société soit composite mais il faut éviter les effets d’optimisation qui donnent lieu à des inégalités flagrantes.

En matière de hiérarchisation, le travail reste à faire. RDS n’a que trois salariés et une trentaine de contributeurs et, si nous sommes capables d’établir un cahier des charges, établir des consolidations en matière budgétaire ou sur les questions de personnel comme vous l’avez évoqué est hors de notre portée.

M. Jean-François Herlem. Le DIEM ne comporte en effet aucune information concernant les sommes gérées ou les effectifs. En revanche, l’annexe de l’accord du 17 février 2012 sur le paritarisme donne des éléments sur les fonds gérés et la part des frais de gestion attribués aux partenaires sociaux pour les instances reconnues comme paritaires.

Mme Lydia Zumelli-Brovelli. En ce qui concerne les effectifs, les huit organisations qui ont contribué au DIEM auraient dû s’en servir pour établir le listing nominal de leurs mandataires dans les instances répertoriées. En effet, aucune des confédérations ne disposait d’un fichier unique, dans la mesure où, souvent, ce ne sont pas elles qui désignent les mandataires mais les fédérations professionnelles. Un tel listing permettrait de répondre en partie à vos questions mais il reste que tous ces mandataires ont des emplois très divers et que les fonctions d’un administrateur de l’AGIRC n’ont rien à voir avec celles des administrateurs des caisses de prévoyance. Il est donc difficile d’avoir un aperçu global et stratégique de la représentation des organisations professionnelles dans ces instances, pourtant indispensable si l’on veut éliminer les doublons et mieux hiérarchiser les priorités, flécher les moyens vers les lieux essentiels.

J’insiste enfin sur le fait que le statut des mandataires demeure problématique. Certains siègent pendant des années dans une instance où ils acquièrent une réelle compétence, qui ne sert plus à rien le jour où ils quittent leurs fonctions, ce qui est un vrai gâchis. On retrouve d’ailleurs nombre de ces militants syndicaux, qui ont souhaité se reconvertir, employés comme salariés des organismes paritaires, parce que personne n’a voulu d’eux ailleurs.

M. le président Arnaud Richard. Une des enveloppes de financement de l’Association de gestion du fonds paritaire national (AGFPN) sert à contribuer au financement et de l’élaboration des politiques publiques. Ne pourrait-on pas imaginer une enveloppe spécifique destinée à financer l’optimisation du pilotage des mandataires ?

Pourrait-on également envisager une validation des acquis de l’expérience (VAE) ou un diplôme spécifiques permettant aux mandataires de faire reconnaître leur expérience ?

M. le rapporteur. Le DIEM a-t-il été actualisé depuis sa parution ? Connaissez-vous le nombre d’organismes paritaires qui ont été créés depuis ? Ils doivent être nombreux car je ne connais pas une loi sociale que nous ayons votée et qui ne crée pas de structure ad hoc.

M. Jean-François Herlem. J’ai repéré cinquante-huit instances paritaires dans le DIEM de 2010, qui se répartissent comme suit : vingt-quatre dans le domaine de la protection sociale et de la santé, ce qui inclut les caisses et institutions de protection sociale, les offres de soins et d’équipement ou la santé au travail ; une dans le domaine de la formation et de la recherche ; vingt pour l’emploi et la formation professionnelle ; huit qui concernent la vie des salariés (logement, chèques-déjeuner,...) ; deux pour le dialogue social ; trois enfin qui assument des fonctions juridictionnelles, ce qui est une des missions les plus anciennes du paritarisme.

Mme Lydia Zumelli-Brovelli. En matière de VAE, les principes sont actés dans la loi mais il semble que les discussions en cours ne satisfassent pas les parties prenantes. On s’oriente a priori vers un reclassement des mandataires qui abandonnent leur mandat et souhaitent reprendre une activité professionnelle avec la reconstitution d’un déroulement de carrière correspondant à la moyenne de leur catégorie. C’est certes mieux que rien en termes de déroulement de carrière, mais cela ne répond pas au fait que l’expérience acquise au cours du mandat – bien souvent d’une autre nature que les qualifications professionnelles initiales du mandataire – n’est pas validée en tant que telle.

M. Jean-Paul Guillot. Pour preuve que les bonnes intentions ne suffisent pas toujours, je vous citerai l’exemple du secrétaire national d’une organisation dite réformiste en fin de mandat, salarié depuis longtemps d’une grosse entreprise cotée en bourse, qui a dû attendre quinze mois avant que son employeur, pourtant prévenu six mois avant l’échéance qu’il allait réintégrer l’entreprise, lui procure un bureau, un téléphone, une carte de visite et un ordinateur.

J’ai par ailleurs fait partie de la Commission dite du Grand Dialogue mise en place à La Poste par Jean-Paul Bailly après la vague de suicides qui a touché l’entreprise. Or nous nous sommes aperçus qu’un chef de service dirigeant une équipe de quatre cents personnes, dont trois salariés en équivalent temps plein assumant des mandats, et un chef de service dirigeant le même effectif mais sans mandataire avaient les mêmes objectifs, ce qui implique un surcroît de travail pour les salariés de la première entité. C’est pour mettre fin à ces situations problématiques et préserver le dialogue social que Jean-Paul Bailly a reconsidéré les effectifs en tenant compte du temps syndical.

En ce qui concerne l’idée d’un fonds destiné à soutenir l’action des mandataires, il s’agit d’une décision politique, qui se prend donc votre maison… Si l’on croit à l’utilité du dialogue social, il faut en effet tout faire pour encourager l’engagement de gens motivés, bien formés, avec une rotation et un renouvellement suffisants des mandataires, qui n’oblige pas, par exemple à avoir recours à des retraités, lesquels ne sont plus toujours au fait des besoins de leurs collègues en activité. C’est un souhait partagé par l’ensemble des organisations syndicales et patronales, mais il y a un très gros écart aujourd’hui entre ce qui est écrit dans la loi et les moyens dont disposent les confédérations pour aller dans ce sens.

M. Jean-François Herlem. Si rien n’est fait, le paritarisme aura de plus en plus recours soit aux retraités soit aux techniciens des structures patronales ou salariales, avec le risque, dans ce dernier cas, d’une « fonctionnarisation » du système fatalement génératrice de blocages et remettant en cause la nature même du paritarisme.

M. le président Arnaud Richard. Nous vous remercions pour vos éclairages et pour le travail de bénédictins que vous avez fourni.

La séance est levée à midi cinq.

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Présences en réunion

Réunion du jeudi 8 octobre 2015 à 9 heures 30

Présents. – Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Jean-Marc Germain, Mme Véronique Massonneau, M. Arnaud Richard, Mme Sophie Rohfritsch, Mme Claudine Schmid

Excusés. – Mme Valérie Boyer, M. David Comet, M. Pascal Demarthe, Mme Laure de la Raudière, Mme Véronique Louwagie