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Mission d’information sur le paritarisme

Jeudi 3 décembre 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 04

Présidence de M. Arnaud Richard, président

– Table ronde, ouverte à la presse, des négociateurs des conventions AGIRC-ARRCO représentant les organisations de salariés et d’employeurs

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Françoise Bouygard, directrice de la Direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (DARES)

– Audition, ouverte à la presse, de M. Bernard Vivier, directeur de l’Institut supérieur du travail

– Présences en réunion

MISSION D’INFORMATION SUR LE PARITARISME

Jeudi 3 décembre 2015

La séance est ouverte à neuf heures quarante.

——fpfp——

(Présidence de M. Arnaud Richard, président de la mission d’information)

La mission d’information sur le paritarisme procède à l’audition, en table ronde des négociateurs des conventions AGIRC-ARRCO représentant les organisations de salariés et d’employeurs, avec la participation de M. Jean-Louis Malys, secrétaire national de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), président de l’ARRCO, accompagné de Mme Virginie Aubin, secrétaire confédérale ; M. Pierre Roger, délégué national de la Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres (CFE-CGC) pour le secteur protection sociale, accompagné de Mme Leslie Robillard, chargée d’études ; Mme Pascale Coton, vice-présidente de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) ; M. Éric Aubin, membre du bureau confédéral de la Confédération générale du travail (CGT), accompagné de Mme Sylvie Durand, responsable du secteur retraite à l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens de la CGT (UGICT-CGT) ; M. Philippe Pihet, secrétaire confédéral de Force ouvrière (CGT-FO) pour le secteur retraites ; M. Claude Tendil, président de la commission de la protection sociale du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), accompagné de Mme Valérie Corman, conseillère pour la protection sociale, et de Mme Marine Binckli, chargée de mission à la direction des affaires publiques.

M. le président Arnaud Richard. Nous poursuivons nos travaux aujourd’hui avec une table ronde qui accueille les négociateurs des conventions de l’Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC) et de l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO).

Nous avions invité un représentant de la direction de la sécurité sociale, mais sa venue n’a pas été possible, ce que nous regrettons.

Mesdames, messieurs, nous avons souhaité, avec le rapporteur Jean-Marc Germain, vous inviter afin de tirer les enseignements de votre expérience des négociations sur les retraites complémentaires, et je tiens à vous remercier d’avoir répondu favorablement à notre invitation. Le sujet qui nous rassemble ce matin vous concerne très directement puisque les retraites complémentaires sont, avec l’assurance chômage et la formation professionnelle, l’un des rares secteurs dans lesquels le paritarisme prend tout son sens, tant dans l’élaboration des règles que dans leur mise en œuvre – à cet égard, nous entendrons les membres des exécutifs de l’AGIRC et de l’ARRCO dans deux semaines.

Je vous propose, cette semaine, de donner la parole en premier aux représentants des employeurs. La semaine prochaine, nous inverserons l’ordre.

M. Claude Tendil, président de la commission de la protection sociale du Mouvement des entreprises de France (MEDEF). J’ai conduit la négociation, non pas au titre du MEDEF, mais pour l’ensemble de la délégation patronale. Nous nous étions réunis préalablement avec la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME) et l’Union professionnelle artisanale (UPA) pour en discuter.

Mon expérience en matière de paritarisme est ancienne. Dans mon entreprise, j’ai dû signer, en vingt-cinq ans, entre 200 et 300 accords. Mais, au niveau national, c’était ma première négociation. Je me félicite qu’elle ait porté sur le champ de la retraite, car je crois que c’est le seul vrai champ du paritarisme où les partenaires sociaux aient à la fois le pouvoir de décision et la responsabilité de la gestion. Il y a d’autres secteurs, comme la sécurité sociale, où l’on pourrait parler de « paritarisme de figuration ». La responsabilité et la décision reviennent à l’État, et les partenaires sociaux sont là pour faire entendre une voix qui, souvent, n’est pas écoutée. Dans le cas des régimes de retraite complémentaire, nous avons à la fois la responsabilité de la décision et celle de sa mise en œuvre et de sa gestion.

Si, compte tenu de cette caractéristique du paritarisme en matière de gestion des retraites complémentaires, cette négociation avait échoué, c’est le concept même de paritarisme qui aurait été fragilisé car, faute de décision, il aurait fallu que l’État reprenne la main pour fixer le taux d’appel, le niveau des pensions, donc qu’il se substitue aux partenaires sociaux, mettant ainsi fin à ce qui est aujourd’hui le cœur du vrai paritarisme, et qui relève de la seule responsabilité des partenaires sociaux.

Le succès de cette négociation a-t-il sauvé le paritarisme ou les régimes complémentaires ? Pour moi, le sujet reste ouvert. En tout cas, nous avons évité qu’il ne subisse une avanie et permis aux régimes complémentaires de retraite de continuer à exister.

Il ne faut pas confondre paritarisme et dialogue social. On peut ne pas avoir de paritarisme sans que cela porte atteinte au dialogue social, lequel se situe principalement dans les entreprises. Chaque année, 35 000 accords sont signés au niveau des entreprises, 1 000 au niveau des branches, quelques dizaines au niveau interprofessionnel. Le dialogue social fonctionne et, en France, il est même vivace. Le souhait du MEDEF est que, dans la foulée du rapport Combrexelle, on puisse aller plus loin dans le dialogue social sur le terrain, où les salariés et leurs représentants sont en prise directe avec la réalité des marchés, de la concurrence et de la compétition, et où il faut s’adapter rapidement. Pour moi, le dialogue social est incontournable dans l’entreprise, à condition qu’il ne soit pas entravé dans son champ de responsabilité et qu’il puisse traiter des vrais sujets.

Par contre, le paritarisme fonctionne en matière de retraites. Les régimes complémentaires des salariés du privé n’ont jamais coûté d’argent à la collectivité nationale. Les partenaires sociaux sont arrivés dans le passé à constituer des réserves qui permettent, malgré le déficit « technique » actuel des régimes et sans dotation de l’État, contrairement à ce qui existe dans d’autres régimes – je pense à la fonction publique ou aux régimes spéciaux – d’arriver à l’équilibre en ce qui concerne la retraite payée à l’ensemble des salariés, cadres et non-cadres par l’ARRCO, et en complément aux cadres par l’AGIRC.

Le paritarisme a fait la preuve de son efficacité par sa capacité à gérer ce dispositif avec une vision de long terme et un souci prudentiel. Les partenaires sociaux ici présents et la délégation patronale que je représente sont attachés à cette gestion paritaire qui a fait ses preuves.

L’accord que nous avons signé était nécessaire, mais je ne suis pas certain qu’il soit suffisant. Il était nécessaire pour maintenir vivant – et vivace – le paritarisme et pour sauver les régimes complémentaires, menacés de devoir réduire les prestations versées aux retraités si nous n’avions pas trouvé de ressources supplémentaires. Par définition, un régime par répartition ne peut pas faire faillite, mais il ne peut distribuer que ce qu’il a, en puisant dans les cotisations qui rentrent et dans les réserves qu’il a pu constituer dans le passé.

Aujourd’hui le déficit « technique » est de l’ordre de 5 milliards d’euros par an. Sans les mesures que nous avons prises, il aurait atteint 8 milliards à l’horizon 2020. L’accord qui a été signé permet de résorber, non pas la totalité, mais une très grande partie de ce déficit, et surtout de mettre en place un régime unifié et un système de pilotage tactique et stratégique, ce qui permettra d’anticiper les évolutions démographiques et économiques, et d’agir sur tous les leviers pour équilibrer le régime et en assurer la pérennité.

Les salariés, et notamment les jeunes générations, ont besoin d’être rassurés sur la pérennité et la viabilité de ces dispositifs. Les dispositions prises en matière de pilotage apportent cet élément de sécurisation.

La discussion n’a pas été facile. Nous ne sommes pas passés loin d’un échec. Le sujet est à la fois très simple et très technique. Pour équilibrer un régime de retraite, il y a trois leviers : le niveau des ressources, c’est-à-dire les cotisations patronales et salariales, le niveau des dépenses, c’est-à-dire le niveau des pensions, et l’âge de départ.

Alors que nous venions d’obtenir des pouvoirs publics, à travers le pacte de responsabilité et le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), des mesures qui permettent, même de façon insuffisante, d’améliorer la compétitivité des entreprises françaises, il était difficile de demander des allégements de charges et parallèlement de prévoir des augmentations de cotisations qui auraient altéré ces allégements nécessaires à la croissance et à l’emploi.

De même, il était difficile de baisser le niveau des pensions, comme cela s’est fait dans certains pays. Une telle mesure n’était souhaitable ni socialement ni économiquement. Il était possible d’envisager le gel ou le ralentissement de l’évolution des pensions, mais certainement pas leur baisse. Le levier restant était celui de l’âge. Il ne nous appartient pas à nous, partenaires sociaux, de définir l’âge légal de départ à la retraite. Une étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), publiée hier dans la presse, montre l’écart entre la durée de vie à la retraite en France et dans les autres pays de l’OCDE. L’espérance de vie moyenne d’un retraité en France est de vingt-six ans à compter de sa cessation d’activité. Il faut donc trouver les moyens de financer une durée de vie à la retraite aussi longue.

Pour nous, la solution était, non pas d’imposer, mais d’inciter les gens à prolonger leur période d’activité. Nous avons trouvé un dispositif d’incitation positive et négative équilibré, avec un système de bonus-malus, pour essayer de convaincre les gens de travailler plus longtemps à partir de 2019.

J’ai le sentiment que nous ne pourrons pas faire l’économie de revenir sur l’âge légal de départ à la retraite. La comparaison avec les pays qui nous entourent montre que la situation française de départ à 62 ans est « anomalique ». La durée de cotisation est insuffisante. C’est la combinaison des deux, à savoir un âge légal retardé et une durée de cotisation plus longue, qui permettra d’équilibrer le régime général, qui ne l’est que provisoirement et incomplètement. Il ne faut pas oublier le déficit du Fonds de solidarité vieillesse, qui s’élève à 3,4 milliards d’euros. Il ne faut pas oublier non plus que c’est le report de l’âge de départ à la retraite de 60 à 62 ans et l’absence d’inflation qui permettent temporairement au régime général de paraître à l’équilibre.

De ces mesures, qualifiées de courageuses, je dirai qu’elles sont seulement de bon sens. Depuis 1981, l’espérance de vie a augmenté de huit ans. Il faudrait qu’elle soit partagée entre un temps de travail et un temps de retraite, et non affectée uniquement à ce dernier. Je me félicite donc que cette négociation ait pu aboutir, même si elle a été difficile.

Enfin, toutes les mutations auxquelles nous assistons sur le marché du travail
– l’évolution démographique, la croissance faible, l’évolution de la proportion des salariés dans la population active totale, l’émergence de nouvelles pratiques, communément résumées par le vocable d’« ubérisation », ou de nouveaux statuts, comme celui d’auto-entrepreneur – font que c’est tout le sujet de la protection sociale et de son mode de financement qui est devant nous en matière de gestion des retraites.

Si nous nous reportons à ce que nous avons fait les uns et les autres à l’occasion du 70anniversaire de la sécurité sociale et au texte fondateur de Pierre Laroque en 1945, on constate qu’il y avait à l’époque un lien direct entre cotisations et prestations. Il était normal que les salariés qui cotisent bénéficient d’une couverture dans l’ensemble des branches de la protection sociale.

Dès lors que nous allons vers une universalisation des prestations, il faut en repenser le financement. Il n’est pas forcément logique que ce soit sur le coût du travail et sur les entreprises que repose le financement d’un dispositif de portée générale. C’est sans doute à l’impôt, sous ses diverses formes, qu’il faut recourir.

J’en viens à la question du modèle de protection sociale. Qu’est-ce qui doit être mutualisé et qu’est-ce qui doit relever du choix et de la liberté individuels ? Aujourd’hui, la tendance est d’étendre le champ de la mutualisation, notamment dans le secteur de la santé. Étant donné le déséquilibre des régimes sociaux et l’augmentation de la dette sociale, sans même parler de la trésorerie de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACCOS), on peut se demander si ce modèle est pérenne et s’il ne faut pas repenser son financement et son champ d’application.

M. Jean-Louis Malys, secrétaire national de la Confédération française démocratique du travail (CFDT). À la CFDT, nous avons abordé cette négociation en tenant compte de la situation des régimes, du dialogue social, de la période que nous vivons et du sentiment que le dialogue social est l’objet de doutes et de contestations. Notre secrétaire général, Laurent Berger, parle de « syndicats bashing ». Alors que les corps intermédiaires sont violemment attaqués et que nous vivons une période de tensions et d’anxiété, le rôle de tous ceux qui prétendent agir dans le champ du collectif doit être de dire la vérité et d’apporter des solutions. C’est ce qu’essaie de faire la CFDT dans les domaines qui relèvent de sa compétence. Nous considérons que nous avons un rôle extrêmement important à jouer dans cette période et qu’alimenter les doutes et les suspicions, c’est alimenter tous les extrémismes.

Cette négociation était très difficile, mais nous le savions dès le départ. Nous avions fait un gros travail en amont pour la préparer, avec les services de l’AGIRC et de l’ARRCO. Il nous fallait comprendre ce qu’il se passait afin de déterminer les leviers pour agir. Pour répondre à l’une de vos questions, les données que nous avons utilisées pour négocier ont été objectivées par les services de l’AGIRC et de l’ARRCO. Avoir une sorte de diagnostic partagé avant d’entamer la négociation a été un élément très important. Le Conseil d’orientation des retraites (COR) nous a également aidés. Nous avons adapté les perspectives financières et économiques fournies par lui, en les noircissant un peu pour être le plus près possible de la réalité.

Nous avons préparé la négociation d’un point de vue technique et financier. Nous l’avons également longuement préparée au sein de notre organisation, en indiquant que nous souhaitions un accord. Nous estimions que, dans le cas contraire, il serait extrêmement compliqué d’envoyer des signaux positifs concernant l’avenir des régimes de retraite, en particulier aux jeunes générations. Nous ne voulions pas d’un accord à n’importe quel prix, nous recherchions un compromis. C’est ce que nous avons indiqué aux acteurs dès le début de la négociation.

Cela a été très difficile, car il y avait une équation financière à résoudre et un signal politique à envoyer : la réussite du dialogue social. C’est un signal important, et je partage le propos de M. Tendil sur ce sujet. J’estime, d’ailleurs, que le champ de la négociation doit s’ouvrir, y compris dans les entreprises. Cependant, certaines questions doivent relever de la loi et non être adaptées au plan local, car le risque existe de créer une sorte de dumping social au sein même de nos entreprises : je veux parler du SMIC, de la durée du travail et du contrat de travail. S’agissant, par contre, de l’organisation du travail, il faut ouvrir des espaces de négociation. La fonction fait l’organe, et si l’on veut des syndicats forts, il faut leur laisser des espaces de négociation.

Nous savions que la négociation sur les régimes complémentaires serait difficile. Nous avons donc préparé très en amont l’information pour nos mandants, en expliquant qu’il y aurait un compromis, lequel demanderait forcément des efforts, la question étant de savoir si ces efforts seraient partagés et quels signes politiques seraient donnés.

En ce qui concerne le rapport à l’État, nous considérons depuis toujours que les paramètres principaux des régimes de retraite doivent dépendre du législateur. S’agissant de l’âge, l’interprétation faite parfois par le MEDEF, parfois par des hommes politiques, parfois par des opposants à l’accord, consiste à dire que nous ouvrons la porte au départ à 63 ans. C’est précisément l’inverse : ce que nous proposons dans cet accord est un choix ouvert aux salariés.

Il ne faut pas les priver du choix de partir plus tôt ou plus tard. Si nous avons frôlé l’échec dans la négociation, c’est que les organisations patronales souhaitaient des mesures d’abattement « punitives » pour ceux qui partiraient à l’âge légal, sous la forme d’un abattement de 40 % la première année. Autrement dit, ces mesures les auraient empêchés de partir. Nous avons exigé que le choix de partir existe pour les futurs retraités, afin qu’ils puissent décider de partir à 62 ans, voire à 60 ans, puisque le dispositif en faveur des carrières longues est maintenu – sachant toutefois que, s’ils partent plus tôt, ils devront, compte tenu de la situation financière des régimes complémentaires, accepter de faire un effort, fût-il limité.

L’accord que nous avons signé est à ce jour très incorrectement interprété. Si, demain, le législateur considère que nous avons ouvert la porte au départ à 63 ans, non seulement nous dirons le contraire, mais, comme en 2010, face à une réforme qui, pour nous, a été et reste violente, nous nous y opposerons. La discussion sur les retraites doit tenir compte du fait que le système n’est pas égal pour tous selon les carrières, les profils, mais aussi les aspirations. Nos systèmes de retraite doivent offrir des choix, et non enfermer nos concitoyens dans un dispositif rigide pour des raisons budgétaires.

Décaler de façon uniforme l’âge de départ à la retraite à 63 ans serait profondément injuste et porterait un très mauvais coup à la situation des seniors, qui sont aujourd’hui largement victimes du chômage. L’accord ne s’appliquant pas avant 2019 en ce qui concerne la question de l’abattement, nous avons un travail spécifique à faire, en lien avec les négociations UNEDIC qui vont s’ouvrir. Nous devons exiger – l’accord le prévoit – une contribution des employeurs qui se débarrassent des salariés de façon anticipée, et veiller à ce que ceux qui ne sont pas en emploi aujourd’hui ne subissent pas pleinement l’abattement envisagé.

La négociation a eu lieu entre février et juin 2015. Nous avons eu affaire à une délégation patronale extrêmement dure, qui ne nous a laissé qu’une faible marge de manœuvre. En outre, la négociation a été suspendue le 23 juin, pour ne reprendre que le 16 octobre.

Nous avons mis ce temps à profit pour faire une contre-proposition chiffrée à partir d’éléments fournis par l’AGIRC et l’ARRCO, en nous appuyant sur une mécanique pour l’essentiel reprise dans l’accord, à l’exception d’un point qui nous paraissait très intéressant : la période pendant laquelle il est demandé aux salariés qui partent à l’âge légal d’accepter une contribution provisoire. Nous souhaitions situer cette période entre l’année effective de départ à la retraite – qu’il faut distinguer de l’âge légal – et ce qu’on a appelé l’âge d’équilibre, c’est-à-dire l’âge théorique de départ qui permettrait d’aboutir à un équilibre total des régimes ARRCO et AGIRC. Cet écart est de deux ans.

Nous estimions que les salariés partant à la retraite devaient accepter de faire un effort, limité, mais réel, pendant une période de deux ans, pour contribuer à l’équilibre des régimes. Nous sommes arrivés à trois ans. Nous regrettons qu’on n’ait pas introduit cette notion de décalage entre l’âge effectif de la retraite et l’âge dit d’équilibre.

Comme nous avions formulé ce projet, les mandants de la CFDT – les adhérents, les salariés qui font confiance à notre organisation – n’ont pas été surpris des axes sur lesquels nous avions négocié et abouti. C’est un accord équilibré : des efforts sont demandés aux salariés, mais il est possible d’utiliser les réserves. M. Tendil l’a dit, nous n’avons pas tout résolu, mais nous avons des réserves suffisantes pour envisager assez sereinement l’avenir à partir de 2019 ou 2020. En tout cas, nous avons évité le pire, le plus important étant de faire sortir de l’impasse les régimes complémentaires.

J’en viens à la méthode de négociation.

Pour ma part, je suis en charge du dossier des retraites et j’y travaille depuis 2006, mais nous avons toute une équipe qui travaille pour préparer ces négociations. Il y a d’abord une délégation, composée de deux secrétaires nationaux, moi-même et ma collègue Jocelyne Cabanal qui s’occupe de la protection sociale. Virginie Aubin, quant à elle, est responsable du dossier des retraites au sein du service « Protection sociale ». Il y a également des représentants des régimes, des gestionnaires et des membres du bureau national (BN).

Enfin, il y a ce que l’on appelle le « groupe BN ». Composé d’une quinzaine ou d’une vingtaine de personnes – techniciens, représentants du bureau national et représentants des régimes –, il se réunit tous les mois et suit le dossier des retraites. C’est en quelque sorte un groupe miroir qui nous permet d’avancer dans la négociation.

Le mandat a été défini par le bureau national, instance politique de notre organisation, composée de quarante membres élus par le congrès. Le mandat du bureau national n’est pas précis au sens technique et arithmétique, car donner des chiffres avant une négociation est très compliqué. Pour simplifier, je dirai qu’il fixe des orientations, des limites basses et hautes. Nous avons rendu compte tous les mois au bureau national de l’avancée des négociations.

La décision de signer cet accord a été prise par le bureau national le lundi qui a suivi le 16 octobre, s’agissant des actes principaux. Ensuite, il y a eu un débat au sein de notre organisation. Comme nous avions bien situé les enjeux, l’organisation assume largement cet accord, malgré les efforts demandés aux salariés.

L’accord est conforme à la doctrine de la CFDT sur une réforme systémique allant dans le sens d’un rapprochement des régimes. Sur ce point, nous nous sentons à l’aise. Mais nous savons que d’autres étapes sont nécessaires. Les retraités doivent, eux aussi, être soumis à contribution, comme le prévoit l’accord. Il en va de même pour les entreprises. Nous aurions souhaité que les employeurs soient davantage soumis à contribution, mais nous savions que c’était difficile. Ce qu’a dit M. Tendil n’est pas totalement inexact. Nous l’avons évoqué dès le début de la négociation, la solution de facilité consistant à financer les régimes de retraite par l’augmentation des cotisations a pour double limite le pouvoir d’achat des salariés et la rentabilité des entreprises. C’est pourquoi cet accord, nuancé, est un compromis. Il n’est pas facile à expliquer, mais nous devons dire les choses très clairement aux salariés. C’est ce que nous avons fait tout au long de cette négociation.

M. Pierre Roger, délégué national du secteur protection sociale de la Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres (CFE-CGC). Les partenaires sociaux sont en charge, depuis que le système de retraites complémentaires existe en France, d’une mission d’intérêt général reconnue par la loi. Ils en sont à la fois les initiateurs et les gestionnaires.

On peut globalement se féliciter de la manière dont la gestion a été effectuée par l’ensemble des partenaires sociaux puisque, contrairement à ce que l’on entend trop souvent dans la presse et qui contribue à angoisser les salariés et les Français en général, notre système n’est pas du tout en faillite. Alors que, chaque année, notre système de protection sociale transfère des milliards d’euros à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES), ce n’est pas le cas en ce qui concerne les retraites complémentaires. Le paritarisme a donc montré à la fois sa sagesse et sa prudence, même si des difficultés existent en raison de la situation économique.

Le taux de chômage très élevé a entraîné une baisse des cotisations, d’où notre objectif de parvenir à un système pérenne qui ne grève pas l’avenir des jeunes générations. Dès le début de la négociation, l’ensemble des partenaires sociaux ont eu pour seul souci de trouver des solutions qui permettent à la fois de répondre aux besoins immédiats tout en envoyant aux jeunes générations le signal fort que le système par répartition a un sens et qu’elles en bénéficieront en fonction de leur contribution.

Bien évidemment, dans une négociation il faut tenir compte de ce qui est du ressort de la loi. On ne peut pas imaginer trouver un accord sans tenir compte des contraintes imposées par la loi. Par exemple, c’est le Parlement qui fixe l’âge légal de départ à la retraite. Si nous n’étions pas parvenus à un accord au mois d’octobre, il est vraisemblable que les pouvoirs publics auraient dû reprendre ce dossier, mais je ne pense pas qu’ils l’auraient fait avec enthousiasme. Les négociations ne pouvaient être que difficiles compte tenu du contexte actuel, du sens des responsabilités de chacun et de la nécessité de parvenir à une solution à long terme.

Dans le cadre de cet accord, les partenaires sociaux se sont engagés à mettre en place un système de pilotage qui permette de suivre les engagements et de prendre des mesures si nécessaire. Il est regrettable que la presse, comme à son accoutumée, ait mis en exergue les sujets qui font le « buzz » au détriment de questions plus techniques mais tout aussi importantes.

M. le président Arnaud Richard. J’imagine que le système de pilotage existait auparavant.

M. Pierre Roger. Bien sûr ! Mais il a été rappelé dans l’accord de manière précise. C’est un élément important de la négociation sur lequel je me permets d’appeler votre attention.

Nous n’avons pas découvert du jour au lendemain les éléments du dossier. Ils ont fait l’objet d’études préalables. Avant même de commencer les négociations, nous nous sommes mis d’accord sur un certain nombre d’hypothèses de travail. Nous avons fait appel à l’AGIRC et à l’ARRCO, qui ont des services compétents disponibles pour l’ensemble des partenaires sociaux. De plus, chaque organisation syndicale dispose de ses moyens – nous avons le même type d’organisation que celle décrite à l’instant par M. Malys. Les personnes présentes dans les négociations sont, bien sûr, mandatées par leur organisation syndicale au plus haut niveau, avec des reportings et des suivis. Bien sûr, personne ne ressort d’une négociation en ayant acquis l’ensemble des points qu’elle avait privilégiés dès le départ. Mais une fois les décisions prises de manière paritaire, les organisations salariales et syndicales travaillent de concert et à égalité pour les mettre en œuvre et en assurer le suivi très précis.

Au vu du contexte actuel, cette négociation difficile a fait la preuve que le paritarisme est mature, qu’il a un sens élevé des responsabilités. Après l’émotion suscitée autour de cet accord, si certaines mesures sont diversement appréciées, elles sont tout à fait compréhensibles. Je suis agréablement surpris que l’on soit parvenu à une certaine maturité en la matière, car le sujet était difficile. Nous sommes conscients que cette question est majeure dans la société française. Il aurait été regrettable d’aboutir à un échec.

Vous demandez si, en ce qui concerne le paritarisme, certaines formes d’ingérence des pouvoirs publics seraient nécessaires. Je pense que c’est tout le contraire. Il faut laisser la responsabilité aux partenaires sociaux, dont le temps n’est pas le même que celui des pouvoirs publics, et encore moins que celui des politiques au sens large du terme. Pourquoi ? Parce qu’il revient au monde politique de prendre un certain nombre de décisions, par exemple en matière d’âge de départ à la retraite, de carrières longues, pour des raisons sociales mais parfois aussi électorales, qu’il ne faut pas mésestimer. À chaque fois, les partenaires sociaux ont dû s’adapter en ce qui concernait les retraites complémentaires, et ils l’ont fait. Si, dans un passé récent, des négociations ont eu lieu régulièrement – même si je considère qu’il y en a eu trop –, c’est malheureusement parce que la situation économique et sociale en France le réclamait. Chaque fois que c’était nécessaire, les partenaires sociaux ont été au rendez-vous et ont pris des décisions, dans le cadre d’un accord qui est toujours un compromis entre plusieurs positions. Et, à chaque fois, ces compromis sont mis en œuvre.

Depuis que les partenaires sociaux gèrent les organismes de retraite complémentaire, ils ont démontré qu’ils étaient compétents et qu’ils disposaient d’hommes et de femmes capables de gérer ce type de situation.

Mme Pascale Coton, vice-présidente de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC). Je précise que, depuis hier, je suis aussi vice-présidente du Conseil économique, social et environnemental (CESE).

M. le président Arnaud Richard. Je vous présente toutes mes félicitations !

Mme Pascale Coton. Tout d’abord, je souhaite rappeler quelle a été l’ambiance de cette négociation. On a dit qu’elle permettait de sauver le régime. Il faut cependant savoir qu’il n’est sauvegardé que temporairement et qu’il faudra revenir à la charge.

Le système de pilotage prévoit des procédures de « revoyure », ce qui nous semble extrêmement important. Il vaut mieux dire que l’on sécurise les choses pour deux, trois, quatre ou cinq ans, et que l’on se reverra pour faire le point. Cela permet, en cas de problème, de tirer la sonnette d’alarme et de trouver les bons leviers pour rectifier le tir.

Nos concitoyens ont deux sujets majeurs de préoccupations : l’emploi et la retraite. Dès que l’on touche à la retraite, qui est la récompense d’années de travail, ils sont inquiets.

Pendant près d’un an, j’ai fait un tour de France pour rencontrer les gens et leur parler des retraites. J’ai pu me rendre compte qu’ils ne connaissent pas la différence entre un régime de base et un régime complémentaire, et qu’ils pensent que les partenaires sociaux ne pourront rien faire car tout est de la faute du Gouvernement qui ne sait pas gérer le pays. Il a fallu leur expliquer ce que sont la retraite de base et la retraite complémentaire, ce que sont le paritarisme et la pluralité syndicale, et l’importance pour une confédération comme la nôtre d’être représentative. Lorsque nous leur disons que l’avenir de leurs retraites est entre nos mains et que l’on peut faire quelque chose même si c’est parfois douloureux, la donne change.

On nous a souvent reproché de demander aux salariés plutôt qu’aux entreprises de faire davantage d’efforts. Il a fallu aussi rétablir certaines informations erronées qui circulent dans la presse, à savoir que notre système serait en faillite, ce qui signifie que nous l’aurions mal géré. Quand on leur explique que s’il y a moins d’argent dans les caisses, c’est parce qu’il y a moins de salariés et davantage de chômeurs, ils se rendent compte que la responsabilité n’est peut-être pas là où ils pensent. Lorsque les jeunes nous disent qu’ils ne toucheront pas de retraite, nous leur répondons que les partenaires sociaux ont précisément réussi à se mettre autour de la table pour faire en sorte qu’ils perçoivent un jour ce dont nous bénéficierons nous-mêmes dans les années à venir, car c’est l’essence même d’une organisation syndicale responsable et d’un véritable paritarisme. Les Français ne savaient pas à quel point le paritarisme pouvait être important en la matière. Il fallait donc leur donner une vraie définition du paritarisme.

Nous avons dû leur prouver que nous n’avions pas touché à l’âge légal de départ à la retraite et que la CFTC continuait de défendre l’idée de la retraite à la carte, c’est-à-dire le fait de pouvoir partir à la retraite lorsqu’on le souhaite. Certes, avec cet accord le salarié sera probablement obligé de travailler une année supplémentaire s’il ne veut pas de décote les deux premières années, mais une certaine liberté de choix lui est tout de même laissée.

La CFTC souhaitait également que l’on ne touche pas aux petites pensions, notamment celles qui ne contribuent pas ou pas en totalité à la CSG, ainsi qu’aux pensions versées aux femmes. Je rappelle qu’une femme sur deux à la retraite vit au-dessous du seuil de pauvreté ! Nous avons obtenu du MEDEF que ne soit pas abaissé le taux de réversion, qui est de 60 %, car c’est une véritable bouée de sauvetage pour beaucoup de femmes.

La semaine suivant cet accord, la CFTC avait un rendez-vous important puisque se tenait son congrès. Naturellement, une négociation aussi importante que celle concernant les retraites avait suscité des inquiétudes, et je dois dire que la décision relative à l’abattement de 10 % a été mal perçue par ceux qui ont eu des carrières longues, mais nous avons expliqué que nous reverrions la question de l’emploi des seniors afin que les carrières longues ne soient pas davantage pénalisées.

L’accord a été difficile à négocier, notamment parce qu’il y a eu une coupure importante aux mois de juillet et août. Ce que la CFTC a apprécié, et moi plus particulièrement, ce sont les intersyndicales entre les uns et les autres. Les réunions bilatérales ont également été positives et permis parfois de faire baisser un peu la tension.

Certains ont tenté de s’immiscer dans les débats – des responsables politiques, ou certains journalistes qui n’y comprenaient rien car ce sont après tout des citoyens comme les autres, envers lesquels il faut faire preuve de pédagogie – et ont présenté négativement le paritarisme, qui est au contraire quelque chose de plutôt positif.

Si nous n’étions pas parvenus à un accord, nous aurions pu craindre de voir sombrer le paritarisme dans son ensemble, mais il fallait mener cette négociation sans avoir à chaque instant cette épée de Damoclès au-dessus de la tête.

Cet accord a été négocié dans un contexte difficile puisque notre pays ne va pas très bien d’un point de vue social. Nous voulions éviter de porter la responsabilité d’un vote aux élections régionales qui pourrait bien avoir des résultats non souhaités, s’agissant notamment des extrêmes. La CFTC voulait éviter que trop de gens mettent dans l’urne un bulletin qui pourrait mettre en danger la fraternité dans notre pays.

Lors de notre congrès, 1 200 délégués étaient présents. Nous avons débattu de la pluralité syndicale, en imaginant quelle aurait pu être l’issue de la négociation si la CFTC n’avait pas eu de représentativité syndicale. Il s’agissait aussi de rassurer les jeunes sur le rôle d’une organisation syndicale, de montrer que l’on pouvait travailler intelligemment avec les autres, dont, naturellement, le MEDEF.

Nous avons voulu montrer que nous n’avions pas abordé cet accord n’importe comment. La CFTC dispose d’une technicienne très compétente sur le sujet, d’un groupe de travail de six personnes en lien avec le bureau confédéral, auquel je faisais un rapport tous les mois sur la négociation, et d’une commission exécutive avec laquelle je faisais le point tous les lundis matin sur l’état d’avancement de cette négociation. Bien évidemment, à chaque fois que nous faisions une proposition, il nous fallait la chiffrer pour voir quelle économie pouvait être réalisée et si la dette pouvait être comblée. Pour ce faire, nous nous sommes appuyés sur l’AGIRC et l’ARRCO ainsi que sur les études du COR, qui continue de dire que la retraite des femmes est en difficulté. Cela a permis d’asseoir nos propositions en sécurisant nos chiffrages.

M. Éric Aubin, membre du bureau confédéral de la Confédération générale du travail (CGT). Mesdames, messieurs les députés, je vous remercie pour votre invitation, même si je suis surpris que l’Union professionnelle artisane (UPA) et la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) soient absentes. La parole du MEDEF n’est pas nécessairement celle de l’UPA et de la CGPME : il peut y avoir des divergences sur certains points et des convergences sur d’autres.

La CGT souhaite, lorsqu’elle entre en négociation, parvenir à un accord. Je le dis parce que j’entends souvent affirmer que la CGT ne signe jamais rien. Or je dois dire qu’elle s’est beaucoup investie dans cette négociation. Nous avons été les premiers et les seuls à proposer, au début de la négociation, un accord structuré comportant quelques innovations que notre organisation soutient.

Nous souhaiterions parvenir, à terme, à un accord qui permette un partage des efforts, c’est-à-dire un accord différent de celui qui a été conclu sur les régimes complémentaires AGIRC et ARRCO.

M. Tendil dit qu’il ne faut pas confondre paritarisme et dialogue social. Je partage cette analyse, à ceci près que le paritarisme fait partie du dialogue social, comme le dialogue social fait partie de la démocratie sociale. Or, en la matière, il y a un problème dans notre pays. Le problème existe moins dans les entreprises, puisque 80 % des accords y sont signés, y compris, le cas échéant, par la CGT – ce qui n’est pas le cas au niveau interprofessionnel. J’utilise souvent trois mots pour définir les conditions nécessaires d’un vrai dialogue social : respect, confiance, durée. Je dois constater qu’aujourd’hui ces trois éléments ne sont pas réunis.

S’agissant de l’organisation de la négociation, un effort a été réalisé au niveau patronal pour changer un peu la donne : je veux parler de l’absence de séances de nuit. Jusqu’à présent, une négociation se terminait à trois ou quatre heures du matin, dans de très mauvaises conditions. En outre, des réunions bilatérales ont eu lieu pendant les séances plénières, ce qui est important.

Mais des efforts sont encore à faire sur trois aspects notamment. D’abord, quant au lieu de la négociation, qui n’est pas neutre. Des tentatives ont été faites, dans le passé, pour qu’elles se tiennent au CESE, par exemple, plutôt qu’au siège du MEDEF. Ensuite, sur la présidence de la négociation, actuellement réservée au seul MEDEF. Nous pensons que la présidence devrait être assurée par une personne neutre, par exemple un représentant de l’État. Enfin, sur la construction du texte de référence. Ces trois aspects méritent d’être analysés et modifiés.

Quand on se retrouve dans une négociation au siège du MEDEF, sous présidence du MEDEF et sur la base d’un texte du MEDEF, les propositions des autres organisations sont trop souvent écartées d’un revers de main au motif qu’elles relèvent d’une autre négociation. Comme je suis également négociateur pour l’assurance chômage, cela me permet de comparer les deux aspects. Je mesure en particulier les conséquences sur l’assurance chômage d’un accord relatif aux retraites complémentaires : elles ne sont pas négligeables, puisque nous les avons évaluées à plus de 3 milliards d’euros, qui viennent s’ajouter aux 20 milliards d’euros de déficit cumulé, qui s’accroît par ailleurs chaque année de 4 milliards environ. Or, quand nous avons soulevé ces questions, notamment celle de l’emploi des seniors, dans le cadre de la négociation, on nous a renvoyés à une autre négociation. Je considère au contraire que l’on aurait dû pouvoir discuter de l’emploi des seniors dans le cadre de l’accord sur les retraites complémentaires, d’autant que 56 % des salariés ne sont plus en activité au moment où ils font valoir leurs droits à la retraite. En effet, les décisions prises dans le cadre de cet accord ne concernent que les 44 % qui sont encore en activité, et qui ont effectivement le choix de partir à l’âge où elles peuvent faire valoir leurs droits à la retraite sans abattement ou de rester un an supplémentaire pour échapper à l’abattement. Les 56 % qui ne sont plus en activité, eux, n’ont pas le choix.

L’autre question soulevée par la CGT est celle de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, qui a fait l’objet de plusieurs lois. L’égalité devait être atteinte en 2015. Or les écarts de salaire sont encore de 20 % en moyenne, les écarts de pension de 40 %, les écarts de retraites complémentaire AGIRC-ARRCO de 60 %. Il est donc temps de se pencher sur cette question. Mais lorsque nous avons soulevé ce problème, en nous fondant sur des études que nous avions demandées aux services de l’AGIRC et de l’ARRCO, on nous a répondu qu’il ne relevait pas de la négociation sur les retraites complémentaires et qu’il devrait être discuté dans un autre cadre. Si la présidence n’avait pas été assurée par le MEDEF, nous aurions pu aborder ces sujets et peut-être les approfondir.

Quelques mots sur les conséquences de l’accord.

Premièrement, il permettra de réaliser une économie de 6 milliards d’euros, ce qui ne comblera pas le besoin de financement, estimé à 8 milliards. Cela veut dire qu’il faudra rouvrir le dossier des retraites complémentaires si l’on veut parvenir à l’équilibre.

Deuxièmement, j’entends souvent dire qu’il ne faut pas toucher aux pensions car elles sont basses – comme l’a rappelé encore tout à l’heure M. Tendil. Pourtant, l’accord aura bien pour conséquence une baisse du niveau des pensions puisque, outre la mise en place d’un bonus-malus, il prévoit une revalorisation égale au taux d’inflation diminué de 1 %, ce qui constitue pour les retraités un manque à gagner de plus de 3 milliards d’euros. En outre, les futurs retraités seront eux aussi concernés, puisqu’il a été décidé une augmentation du prix d’achat du point. De plus, les salariés qui voudront partir à la retraite plus tôt et qui ont acquis tous leurs droits se verront appliquer une décote de 10 %. On ne peut donc pas dire que l’on ne touche pas au niveau des pensions. Je rappelle que le COR évalue à 1 236 euros le montant moyen des pensions, ce qui est effectivement très faible.

Troisièmement, nous sommes en désaccord avec la CFDT car nous estimons qu’un tabou a été levé sur la question de l’âge légal de départ à la retraite, ce que la droite a d’ailleurs exploité puisque le Sénat a décidé de le relever à 63 ans. Demain, certains – je pense aux députés – pourraient être tentés de ne pas faire moins, et même d’aller au-delà puisque le MEDEF avait proposé, au début de la négociation, d’aller jusqu’à l’âge d’équilibre, qui est de 64,5 ans. J’avais d’ailleurs souligné, au cours de la négociation, l’honnêteté du négociateur patronal qui avait affiché clairement son objectif.

Quatrièmement, s’agissant de la fusion de l’AGIRC et de l’ARRCO, la charrue a été mise avant les bœufs. Nous avions proposé une discussion sur les conséquences d’une fusion ou de la création d’un régime unifié et sur les façons d’y remédier. Je pensais notamment à la garantie minimale de points (GMP), au 1,5 % de prévoyance. Nous aurions pu travailler sur ces questions avant d’envisager une fusion. Or, on se dirige vers un régime unifié sans en avoir mesuré les conséquences. Les cadres sont inquiets car ils ont le sentiment que le statut de cadre est remis en cause.

Cinquièmement, on a parlé tout à l’heure de pilotage. En 2010 et en 2013, nous avions proposé la mise en place d’une maison commune des régimes de retraite. Nous croyons beaucoup à un organisme qui permettrait une coordination entre les régimes, de travailler à leur harmonisation et à leur évolution. Il y a actuellement 35 régimes de retraite, et nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faut réfléchir à une évolution, mais dans quel cadre doit-on le faire ? Dans un cadre contraint ? Plutôt qu’un pilotage qui écarte encore un peu plus les ayants droit, il faut un organisme qui leur permette d’être acteurs. La démocratie sociale veut que les salariés puissent donner leur sentiment sur une négociation, y compris interprofessionnelle.

Enfin, j’ai indiqué tout à l’heure que 56 % des seniors n’étaient plus en activité. En la matière, le patronat a une responsabilité qu’il ne veut pas assumer. On nous dit souvent qu’il faut travailler plus longtemps parce que l’espérance de vie augmente, mais il y a des différences considérables d’espérance de vie entre les salariés. Quand je vois se vider petit à petit le dispositif relatif à la pénibilité qui avait été voté, je le déplore, même s’il ne nous convenait pas totalement, et je me dis qu’une fois de plus le patronat n’assume pas ses responsabilités. Or la CGT considère cette question comme primordiale : aujourd’hui, certains salariés ne sont pas capables d’aller jusqu’au bout parce qu’ils ne peuvent plus assumer physiquement leur travail, mais on se voile la face devant cette réalité. Avant 2006, il existait douze dispositifs de départ anticipé, mais ils ont tous été supprimés à l’exception de celui qui concerne les travailleurs exposés à l’amiante. Le fait que le dispositif sur la pénibilité soit vidé de son contenu empêchera que les salariés usés prématurément à cause de leurs conditions de travail partent plus tôt à la retraite. Et la négociation sur les retraites complémentaires a écarté ce sujet, alors qu’il existe un lien entre pénibilité, retraite et emploi. Il faut pouvoir discuter de l’ensemble.

M. Philippe Pihet, secrétaire confédéral de Force ouvrière (FO). Force ouvrière distingue le dialogue social de la négociation collective. À nos yeux le dialogue social est une notion qui recouvre la politique conventionnelle depuis la loi du 11 février 1950, c’est-à-dire les conventions collectives et la hiérarchie des normes, d’ailleurs remise en cause par l’actuel gouvernement, ce qui est regrettable. La négociation, quant à elle, s’apparente à une confrontation, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne se déroule pas dans de bonnes conditions et dans des termes courtois, même si parfois tendus. Le paritarisme ne rentre donc pas dans le champ de la négociation mais dans celui de la confrontation ; il est aussi un mode de gestion, ce qui nous ramène aux deux fédérations – je dis bien « fédérations », car ce sont des fédérations – AGIRC et ARRCO.

Monsieur le président, vous avez déploré l’absence de représentants de la direction de la sécurité sociale (DSS) ; pour ma part, je m’en félicite, car elle n’a en aucun cas à prendre part aux négociations. Elle doit se borner au rôle qui lui est dévolu, et qui consiste en l’occurrence à vérifier, le 7 décembre prochain dans le cadre de la commission d’extension des accords de retraite et de prévoyance (COMAREP), qu’il est possible, en légalité et non en opportunité, d’étendre l’accord à l’ensemble des entreprises du secteur privé et du secteur agricole.

Ceci m’amène au rôle de l’État. Lorsque, il y a environ dix-huit mois, le Gouvernement a remis sa copie à Bruxelles, il y était indiqué que 2 milliards d’euros d’économies seraient réalisés sur les régimes complémentaires. La Cour des comptes, alors en mission à l’ARRCO a souhaité savoir comment avaient été chiffrés ces 2 milliards : il a fallu la renvoyer à Bercy, car l’ARRCO n’avait pas même été consultée ! Pour Force ouvrière, ce type d’ingérence n’est pas supportable, pas davantage que ne le sont les interférences politiques dans les négociations d’octobre dernier, interférences mises en avant par M. Gattaz en personne lors de la conférence sociale du 19 octobre dernier, qui réunissait autour du Président de la République, du Premier ministre et des ministres concernés, les représentants du patronat et ceux des syndicats : le « patron des patrons », comme on disait autrefois, a pris la peine de remercier le Gouvernement pour avoir facilité la négociation et l’obtention d’un accord – celui du 16 octobre.

Un mot donc sur cet accord. On a le droit de signer ou de ne pas signer un accord, mais personne n’a à juger de la qualité de l’interprétation qu’on en fait. Il n’y a pas de vérité révélée, pas de mauvaise ou de bonne interprétation, mais des positions politiques, que chacun défend selon ses mandats et ses opinions. En l’occurrence, Force ouvrière considère qu’il ouvre la voie à une augmentation de l’âge légal de départ à la retraite.

En effet, l’accord ne parle pas d’âge légal, mais des conditions à remplir pour bénéficier du taux plein, soit l’âge légal et le nombre de trimestres cotisés. Si, par aventure, le législateur décidait d’augmenter l’un ou l’autre de ces paramètres, les termes de l’accord se déplaceraient donc, comme le bouchon de liège dont la ligne de flottaison reste la même, que la marée soit basse ou haute. Ainsi les abattements – puisque les signataires qui se sont exprimés avant moi ont préféré ce terme à celui officiel de coefficient de solidarité – seraient-ils appliqués avec un an de retard si l’âge de la retraite à taux plein devait augmenter.

Un peu de pédagogie enfin. Il faut cesser de penser que partir à la retraite et liquider sa retraite sont la même chose. On part à la retraite lorsque l’on s’arrête de travailler le 31, et que le 1er du mois suivant on est à la retraite ; on liquide sa retraite lorsqu’on a enfin obtenu les conditions permettant de bénéficier du taux plein, ce qui peut survenir après quelques années de chômage. Aussi Force ouvrière considère-t-elle qu’en parlant de liberté le président de la République a eu une parole malheureuse car, si tout le monde ne peut choisir de partir à la retraite quand il le souhaite, nous ne considérons pas qu’il s’agisse d’une réelle liberté.

Nous sommes également très dubitatifs sur l’idée d’un effort partagé, contredite par nos calculs. Le Gouvernement s’est engagé à compenser l’effort patronal par des diminutions des cotisations d’assurance contre le risque d’accident du travail ou de maladie professionnelle (AT-MP), comme il s’était engagé à compenser la double augmentation de 0,15 point des cotisations salariale et patronale prévue par la loi du 20 janvier 2014 portant réforme des retraites. Mais si le surplus de cotisations patronales abondera bien la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) verra ses ressources diminuer d’autant. C’est donc finalement le salarié qui paie, dans un jeu de vases communicants auquel a contribué la réforme de 2010 puisque, en faisant passer l’âge légal de la retraite de 60 à 62 ans, elle a augmenté le nombre d’invalides faisant valoir leurs droits, si bien que ce ne sont plus les caisses de retraite qui financent mais la caisse d’assurance maladie et les complémentaires, ce qui ne garantit pas l’équilibre global de la protection sociale.

J’espère enfin que la signature de cet accord n’augmentera pas chez les salariés, qui sont aussi des citoyens, l’audience des partis qui rejettent l’Autre.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Notre mission d’information s’est donné pour objectif de dresser une cartographie du paritarisme, pour en dessiner les dimensions véritables, en répertorier les acteurs et leur rôle, ainsi que son coût et son efficacité pour la société, ce qui nous permettra, le cas échéant, de suggérer quelques recommandations pour le faire évoluer.

Certains d’entre vous ont évoqué la négociation en pointant une forme d’ingérence de l’État. Pouvez-vous nous en dire plus ? Diriez-vous que le Gouvernement a influencé par ses positions la négociation d’octobre dernier ou vos critiques portent-elles surtout la forme de son intervention ?

J’ai compris à vous entendre, les uns et les autres, qu’au sein de chaque organisation syndicale les mandats de négociation étaient très précisément définis, selon des procédures organisées et à partir d’expertises de qualité, ce qui me donne le sentiment que vos organisations font preuve d’un grand professionnalisme et qu’elles fonctionnent de manière démocratique. Je m’étonne en revanche que subsistent encore, dans le champ de la négociation interprofessionnelle, des blocages qui freinent les avancées du paritarisme, comme, par exemple, cette question récurrente du lieu de négociation, qui pourrait être un lieu neutre – le CESE ou, comme l’avait suggéré Guy Carcassonne, l’Assemblée nationale qui, outre ses locaux, pourrait aussi prêter à la négociation ses capacités d’expertise. Sauriez-vous expliquer la cause de ces blocages, que nous serions heureux de vous aider à dépasser ?

L’articulation entre régime de base et régimes complémentaires est au cœur de vos discussions, le point de cristallisation étant naturellement la question de l’âge légal. En effet, si l’accord du 16 octobre 2015 ne le remet pas en cause, on sait que les salariés vont faire leurs comptes et que la perspective de toucher une retraite diminuée pendant deux ou trois ans les incitera sans doute à travailler plus longtemps. Dans la mesure, donc, où nous sommes face à des problématiques intimement liées, les négociations sur les régimes de base ne devraient-elles pas, comme les négociations sur les régimes complémentaires, relever du paritarisme ? Comment expliquer en effet que ce ne soient pas les mêmes qui décident pour les salariés et pour les retraités ?

Plus largement, comment voyez-vous évoluer le paritarisme de gestion au-delà de l’assurance chômage et des régimes complémentaires ? Dans la perspective de la création du compte personnel d’activité (CPA) et d’une gestion de plus en plus individualisée des parcours professionnels, que l’on l’appelle sécurité sociale professionnelle ou sécurisation des parcours professionnels, le paritarisme ne s’impose-t-il pas, selon vous, comme le format de gestion le mieux adapté ?

Enfin, que vous inspirent les nouvelles formes d’activité résumées sous le terme d’« ubérisation » ? Doivent-elles donner lieu à cotisations et à création de droits ? Des groupes de travail sur le sujet ont-ils été mis en place au sein de l’AGIRC et de l’ARRCO ?

M. Claude Tendil. Je tiens en premier lieu à indiquer à M. Aubin pour le rassurer que je m’exprime au nom du MEDEF, mais également de l’UPA et de la CGPME, par lesquelles je suis mandaté.

Pour ce qui concerne à présent l’intervention de l’État dans la négociation du mois d’octobre, ce dernier s’est légitimement préoccupé de ce que les discussions progressent et aboutissent, dans la perspective de la conférence sociale qui se tenait dans la foulée. Au-delà de ce souci, il n’y a eu de la part du Gouvernement ni injonctions ni pressions sur les partenaires.

On ne peut pas non plus parler de compensation. La branche AT-MP est depuis longtemps, grâce aux efforts de prévention des entreprises, largement bénéficiaire, et il n’y avait donc plus aucune raison de maintenir les cotisations à un niveau qui n’était plus justifié. Si leur baisse va permettre aux entreprises de ne pas voir leurs charges alourdies par la hausse des cotisations patronales, il s’agit là d’une simple concomitance.

Les conditions et la méthode de travail ont été critiquées ; elles ne devaient pourtant pas être si mauvaises puisque, bien que se déroulant dans les locaux du MEDEF et présidées par ce dernier, les négociations ont abouti à un accord. La démocratie sociale ne doit pas être confondue avec la démocratie politique, et nos réunions n’ont pas à être présidées par un représentant de l’État, encore moins à se tenir dans les lieux où s’exerce la démocratie politique.

Régime de base et régimes complémentaires obéissent à deux logiques distinctes. Le régime de base est un système redistributif qui relève de la solidarité nationale, tandis que les régimes complémentaires sont des systèmes contributifs, même si, notamment à travers la réversion, y a été introduite une dose de redistribution, pour protéger les petites retraites.

Nous avons tout intérêt selon moi à préserver ces deux logiques, à moins d’aller vers la création d’un régime unique qui réunirait les 35 régimes de base et qui relèverait tout entier de la solidarité, ce qui impliquerait qu’il soit financé par l’impôt sous ses diverses formes. Cette question de l’articulation entre responsabilité individuelle ou collective et solidarité nationale précède et détermine celle de la gouvernance de l’ensemble du dispositif, et donc celle de l’extension éventuelle du champ du paritarisme.

Enfin, je voudrais faire observer que ce n’est pas la position du patronat qui est dure mais la situation économique, et j’aimerais qu’il soit clair que l’abattement de 40 % que nous proposions ne s’appliquait qu’aux retraites complémentaires, soit 30 % de la retraite totale, laquelle n’aurait donc baissé que de 12 %.

M. Jean-Louis Malys. L’ARRCO gérant par délégation de l’État les retraites complémentaires obligatoires, il est légitime que ce dernier soit attentif aux déséquilibres et aux déficits du régime, a fortiori depuis qu’ils sont intégrés dans le champ d’application des règlements européens. Dans la mesure, de surcroît, où la réforme de 2014 entend assurer la pérennité financière d’un système dont le point faible demeure précisément les régimes complémentaires, le fait qu’il ne s’en préoccupe pas serait même une faute politique. Cela étant, je n’ai pas senti de la part de l’État d’ingérence particulière dans les discussions.

En ce qui concerne les conditions de la négociation, j’ai toujours, pour ma part, négocié dans les locaux du patronat, sans que cela me pose problème. La situation est sans doute différente au niveau interprofessionnel, et on peut sans doute réfléchir à repenser le cadre des négociations, mais je ne suis pas certain que cela changera fondamentalement les choses.

Sur la question de l’articulation entre régime général et régimes complémentaires, la CFDT s’est toujours battue pour que l’âge légal de la retraite et la durée légale de cotisation demeurent l’affaire du législateur, et ce n’est pas aller contre cette idée que de proposer l’instauration d’une contribution provisoire, sachant que les petites retraites en seront exonérées et que la mesure ne touchera que quelques salariés : peu d’entre eux en effet seront disposés à renoncer à faire valoir leurs droits à la retraite pour toucher 50 euros de plus par mois.

Cela étant, il faut cesser de considérer la retraite comme le nirvana, et les hommes politiques et les syndicalistes qui s’accrochent généralement à leurs mandats le plus longtemps possible sont les plus mal placés pour tenir ce type de discours. S’il est normal de permettre à ceux qui ont eu des carrières longues ou qui ont travaillé dans des conditions pénibles de partir à 60 ans, chacun entretient par ailleurs une relation particulière avec le travail et doit pouvoir faire ses choix en conséquence.

Enfin, nous abordons la question de l’« ubérisation » en lien avec celle du CPA, mais également à travers la problématique du lien de subordination qui lie traditionnellement le salarié à son employeur en contrepartie du salaire qu’il touche. Compte tenu de la présomption de subordination – à tout le moins économique – qui existe dans les formes d’emploi que recouvre l’« ubérisation », il paraît indispensable de revoir le champ et les règles de la protection sociale, et la solution peut passer par le CPA.

M. Pierre Roger. Il est évident que l’État a un rôle à jouer en matière de dialogue social, ne serait-ce que pour vérifier la légalité des accords signés, notamment par rapport à la réglementation européenne, mais aussi pour contrôler la gestion des organismes, ce que font l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et la Cour des comptes.

En revanche, le temps de la négociation est celui du paritarisme, et il ne saurait y être question d’interventions directes de l’État. Cela n’exclut pas qu’il intervienne de façon plus subtile et plus indirecte. Nous avons ainsi été très surpris de découvrir que figuraient parmi les recommandations contenues dans l’avis du comité de suivi des retraites publié cet été des idées en cours de négociation entre les partenaires sociaux, ce qui pouvait malencontreusement apparaître comme une incitation à s’y conformer.

Pour ce qui concerne l’articulation entre le régime de base et les régimes complémentaires, ils s’inscrivent respectivement dans le champ du solidaire et du contributif. La CFE-CGC est favorable au maintien de la séparation, car le calcul des cotisations relève dans l’un et l’autre cas de deux logiques différentes. Cela n’empêche pas pour autant de réfléchir, dans l’intérêt des futurs retraités, à des moyens d’améliorer les échanges inter-régimes pour simplifier les démarches et faciliter la liquidation des pensions.

Le paritarisme peut étendre son champ d’action si l’on consent à donner davantage d’audience aux organisations syndicales, qui ont démontré qu’elles étaient capables de négocier et de prendre leurs responsabilités. Je ne doute pas que les renforcer et leur donner les moyens d’exister contribuera à améliorer le dialogue social, pour le plus grand bien de la société française : en la matière, la balle est dans le camp des pouvoirs publics.

Quant à l’« ubérisation », nous sommes conscients des problèmes qu’elle pose en matière de droit du travail et, comme souvent, la réglementation est en retard sur la technologie. Il nous faut donc agir vite si nous ne voulons pas mettre en péril notre système de cotisations et si nous voulons protéger les travailleurs qui choisissent ce type d’activités mais s’installent, ce faisant, dans une zone de non-droit. Il est de notre responsabilité comme de celle des pouvoirs publics de s’emparer du problème.

Mme Pascale Coton. L’État n’est pas intervenu directement dans les dernières négociations, mais le fait que plusieurs membres du Gouvernement aient indiqué par voie de presse que les discussions étaient en bonne voie et qu’ils en validaient les premiers résultats
– alors que la CFTC récusait pour sa part les premiers chiffrages – a évidemment pesé sur l’élaboration de l’accord sans qu’il soit possible ensuite de rectifier le tir.

Si certains considèrent que cet accord recule de facto l’âge légal de la retraite puisque certains salariés seront obligés de travailler une année supplémentaire pour obtenir une retraite à taux plein, je rappelle que plus de 30 % des futurs retraités ne sont pas concernés par la contribution de solidarité.

LA CFTC est tout à fait favorable à l’extension du paritarisme si cela permet de renforcer le dialogue social.

La motion d’orientation proposée lors de notre congrès confédéral va prochainement être éditée sous le titre « Pour un nouveau contrat social dans un monde en bouleversement ». Cela m’amène à l’« ubérisation » et au CPA, qui ne doit pas concerner seulement la formation mais englober l’ensemble des droits à la protection sociale, y compris la retraite de base et la retraite complémentaire, afin que chaque salarié sache où il en est. Il peut aussi, le cas échéant, permettre l’usage du compte épargne-temps (CET) pour un bref laps de temps en cas de nécessité familiale.

Quant à ceux qui ont choisi, faute de trouver un emploi salarié, de travailler pour des plateformes qui pratiquent l’« ubérisation », tous n’ont pas été avertis que, puisqu’ils ne cotisaient pas, ils n’étaient protégés ni en cas de maladie ni en cas de chômage, et je pense qu’ils seraient les premiers à accepter de cotiser en échange d’une protection sociale. Il est plus largement essentiel de simplifier les règles sociales si l’on veut permettre aux jeunes qui le souhaitent de développer une activité économique en dehors du salariat.

Mme Sylvie Durand, responsable du secteur retraites de l’UGICT-CGT. L’efficacité du paritarisme doit absolument être mesurée : le paritarisme n’est qu’un moyen ; il ne doit pas devenir une fin en soi. Le paritarisme de négociations appelle dès lors de multiples réserves, que je résume ici très rapidement.

Le paritarisme a aujourd’hui tendance à ne plus vivre que pour lui-même, ce qui est formalisé dans la doctrine interne du régime AGIRC-ARRCO selon laquelle les régimes doivent être coopératifs, mais non alignés avec les régimes de base de la sécurité sociale, afin de se soustraire à toute reprise en main par l’État et de sauvegarder le paritarisme.

Cette doctrine conduit à laisser de côté une partie des obligations imposées aux régimes de retraite par la loi du 20 janvier 2014 – Dieu sait que la CGT considère cette loi comme bien en deçà des besoins, mais elle aborde tout de même des sujets comme le taux de remplacement du salaire par des pensions, l’égalité entre femmes et hommes… Nous pouvions traiter de ces sujets. Mais nos propositions n’ont pas été débattues.

Ce paritarisme échoue, dans de telles conditions, à protéger les intérêts des salariés : la dernière réforme fait porter les efforts demandés à 87 % sur les salariés actifs et les retraités, et à 13 % sur les employeurs, dont les dépenses supplémentaires seront en outre pour l’essentiel compensées par la branche AT-MP.

Il dessert également les intérêts des entreprises qui ne sont pas affiliées au MEDEF. Ainsi, nous développons depuis de nombreuses années des propositions d’augmentation différenciée des cotisations selon les types d’entreprise. Notre proposition d’égalité salariale entre femmes et hommes ne concernait que 39 % des entreprises, pour couvrir 87 % de la masse salariale. Nous avons également proposé de moduler la hausse des cotisations en fonction de la part des salaires dans la richesse créée par l’entreprise. Ces sujets ne sont pas traités.

Nous considérons donc que le paritarisme doit changer. Une évolution vers un tripartisme n’est pas à exclure : elle permettrait de redonner un ancrage démocratique aux discussions et améliorerait la représentation des salariés.

Le futur régime unifié est sans doute appelé à fonctionner à cotisations définies, ce qui ne nous paraît pas une bonne chose. Une fusion avec le régime de base – qui n’a évidemment pas vocation à fonctionner selon un principe de cotisations définies – ne nous semble pas devoir être exclue. Il est très simple de transformer un régime par points en régime par annuités. Avec la disparition de l’ARRCO et de l’AGIRC, nous amorçons une réflexion sur ce sujet.

La mise en commun des régimes de retraite se ferait sous l’égide d’un organisme de pilotage, avec une représentation des salariés, élue sur liste syndicale, une présence de la représentation nationale, et des représentants des employeurs respectant la diversité des entreprises. Nous voulons entendre l’UPA et la CGPME, car nous avons des convergences avec eux.

M. Philippe Pihet. Je serai très rapide, au risque d’être un peu caricatural.

Sur l’ingérence de l’État, j’attendrai d’être attaqué en diffamation, et j’appellerai comme premier témoin de moralité M. Gattaz…

En ce qui concerne la méthodologie, l’espace neutre ne me paraît pas un point crucial. Ce que nous ne souhaitons pas, c’est l’intervention d’un tiers.

Je me suis déjà exprimé sur les interférences entre régime de base et régimes complémentaires. Nous craignons surtout que l’État ne se serve de l’exemple des régimes complémentaires pour relever l’âge légal de départ.

S’agissant de l’« ubérisation », ceux qui parlent encore quelquefois de lutte de classes ne perdent pas espoir : j’ai lu que les chauffeurs d’Uber cherchaient à construire un collectif afin de défendre leurs intérêts. Nous avons donc encore de beaux jours devant nous.

S’agissant enfin de l’intégration des régimes AGIRC et ARRCO dans le champ des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS), je signale simplement que la Cour des comptes rappelle dans son rapport que ces régimes ont économisé, en vingt ans d’efforts, 192 milliards d’euros, tandis que la CNAV accumulait une dizaine de milliards d’euros de déficits.

M. le président Arnaud Richard. Mesdames, messieurs, nous vous remercions.

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Puis la mission entend Mme Françoise Bouygard, directrice de la Direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (DARES) et M. Patrick Pommier, chef du département « Relations professionnelles et temps de travail ».

M. le président Arnaud Richard. Nous poursuivons nos travaux avec l’audition de Mme Françoise Bouygard, directrice de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), et de M. Patrick Pommier, chef du département « Relations professionnelles et temps de travail ».

Madame la directrice, notre mission s’interroge sur l’état du paritarisme aujourd’hui, sur son efficacité, sa pertinence et ses évolutions possibles ou souhaitables, et en particulier sur son adaptation aux nouvelles formes de travail. Or la DARES publie régulièrement des études, notamment statistiques, et des analyses prospectives sur les relations individuelles et collectives de travail, ainsi que sur l’emploi et la formation professionnelle.

La DARES réalise notamment, tous les six ans depuis 1992, une enquête sur les relations professionnelles et négociations d’entreprise qui fournit une photographie de la situation sociale des entreprises.

En 2011, cette enquête dite « REPONSE » a été menée, pour la quatrième fois, auprès de 4 000 établissements appartenant au secteur marchand non agricole et employant au moins onze salariés. Les éléments que cette enquête a permis de faire ressortir sur les relations sociales au travail ont donné lieu à un colloque en décembre 2014.

Quels sont les enseignements qu’apporte cette enquête en ce qui concerne le paritarisme, à la fois en tant que mode d’élaboration d’un certain nombre de règles et en tant que mode de gestion ?

Mme Françoise Bouygard, directrice de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES). L’enquête REPONSE est micro-économique, c’est-à-dire qu’elle est faite au niveau des établissements : nous interrogeons un représentant de la direction de l’entreprise, un représentant du personnel – s’il y en a un – et un échantillon de salariés. L’enquête apporte donc des enseignements sur le paritarisme, mais elle est loin de faire le tour du sujet.

L’enquête REPONSE, vous l’avez rappelé, existe depuis 1992 : sa longévité permet d’examiner des évolutions. Nous sommes d’ailleurs en train de construire la prochaine enquête – aujourd’hui même se tient la quatrième réunion du conseil scientifique, qui a pour mission d’élaborer le questionnaire de l’enquête qui sera menée à partir de 2017.

Il ressort de cette enquête que, parmi les établissements de onze salariés et plus, six sur dix comptent au moins une forme de représentation du personnel – en creux, cela signifie que quatre sur dix en sont dépourvus. La présence d’institutions représentatives du personnel augmente très significativement avec la taille des établissements : si 63 % des établissements de onze à dix-neuf salariés n’en ont pas, ce n’est le cas que de 6 % de ceux employant cinquante salariés ou plus.

L’examen des enquêtes successives montre que l’implantation de ces instances se stabilise aujourd’hui dans les établissements de vingt salariés ou plus, après avoir fortement progressé entre la fin des années 1990 et le milieu des années 2000, dans un contexte de négociation sur la réduction du temps de travail.

Aujourd’hui, 6 % des salariés interrogés disent détenir au moins un mandat de représentation, ce qui permet d’estimer qu’environ 600 000 salariés du champ considéré, c’est-à-dire du secteur marchand non agricole, sont des représentants du personnel, élus titulaires ou suppléants, ou délégués syndicaux et représentants de la section syndicale. Le nombre de mandats est quant à lui estimé à 767 000 en 2011, un salarié pouvant disposer de plusieurs mandats.

Ces salariés qui représentent leurs collègues de travail sont en moyenne un peu plus âgés qu’eux, ont une plus forte ancienneté, et sont un peu plus souvent ouvriers qualifiés, techniciens ou agents de maîtrise. Ils sont aussi nettement plus souvent syndiqués – à 56 %, contre 8 % pour les salariés ne disposant d’aucun mandat. Parmi les salariés syndiqués, un tiers détient d’ailleurs un mandat représentatif.

Les femmes ne sont en apparence pas sous-représentées au sein des instances représentatives du personnel : elles sont 37 % parmi les représentants des salariés, alors qu’elles représentent 41 % de l’ensemble des salariés du champ considéré. Mais, toutes choses égales par ailleurs, une femme a 20 % de chances de moins d’être représentante du personnel qu’un homme.

S’agissant des moyens d’action des salariés détenteurs d’un mandat de représentation, on peut dire que, à caractéristiques données des établissements et des entreprises, les pratiques des représentants des salariés et les ressources dont ils disposent varient selon qu’ils sont syndiqués ou non : les représentants syndiqués bénéficient plus souvent de formations à leurs fonctions représentatives ; ils recourent davantage aux experts et à diverses ressources d’action ; ils sont aussi davantage en contact avec les salariés. Au total, ils disposent d’un répertoire d’actions plus large.

J’appelle votre attention sur le fait que ces salariés sont plutôt plus âgés que la moyenne de ceux qu’ils représentent : la question du renouvellement des représentants des salariés va se poser – question qui touche d’ailleurs également le monde associatif, par exemple.

J’en arrive à la représentation patronale. En 2011, 44 % des établissements de onze salariés ou plus du secteur marchand non agricole, employant 56 % des salariés, signalent l’affiliation de leur entreprise à une organisation d’employeurs. Pour éviter toute ambiguïté, je souligne ici que, l’enquête REPONSE portant sur les établissements de plus de onze salariés, les organisations patronales qui s’adressent plutôt aux petites entreprises ne se retrouvent pas dans ces chiffres, mais que c’est inhérent au champ de l’enquête.

Nous avons publié au mois de septembre dernier une étude sur les affiliations patronales. Elle a pu dégager certaines spécificités, à commencer par l’adhésion indirecte : 34 % des établissements adhèrent de manière indirecte, c’est-à-dire par le biais d’autres organisations ou regroupements, à l’une des quatre principales confédérations patronales nationales interprofessionnelles que sont le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), l’Union professionnelle artisanale (UPA) et l’Union nationale des professions libérales (UNAPL). La multiadhésion est une autre spécificité : si 30 % des établissements adhèrent à une seule organisation d’employeurs, 14 % adhèrent à au moins deux organisations différentes.

Le taux d’affiliation varie fortement selon le secteur d’activité : de 50 % pour les établissements de l’industrie, de la construction et des transports, il passe à 43 % pour ceux des services et à 36 % pour les établissements du commerce hors transports.

Dans 36 % des établissements affiliés, un membre de la direction au moins exerce une ou plusieurs responsabilités dans une structure extérieure à l’entreprise – organisation patronale, chambre de commerce et d’industrie, chambre des métiers et de l’artisanat, conseil d’administration d’une autre entreprise, institution paritaire ou tripartite. L’adhésion à une organisation d’employeurs va donc souvent de pair avec l’exercice d’un mandat patronal à l’extérieur de l’entreprise.

Aux yeux de près de trois quarts des dirigeants d’entreprise interrogés, qu’ils soient ou non affiliés à des organisations d’employeurs, qu’ils exercent ou pas des responsabilités au sein de ces mêmes organisations, la représentativité des organisations patronales est « faible ou très faible ». Cette opinion est certes moins défavorable lorsque l’entreprise adhère directement à une organisation d’employeurs. Des travaux sociologiques permettent d’avancer, pour expliquer cette défiance, l’hypothèse d’une distance sociale importante entre les « élites » des grandes fédérations et les chefs d’entreprises représentés.

L’enquête REPONSE nous apporte également des renseignements sur l’état de la négociation collective. Je souligne que d’autres sources administratives permettent d’étudier la négociation, notamment le bilan annuel de la négociation collective auquel contribue la DARES et qui vous a déjà été présenté par M. Jean-Henri Pyronnet. Ce bilan traite uniquement des accords conclus ; l’enquête REPONSE permet également d’approcher les discussions qui ont lieu de façon informelle. Elle présente donc une vision plus large.

Entre 2008 et 2010, 90 % des établissements de onze salariés et plus ont « négocié ou discuté » au moins une fois avec des représentants ou d’autres salariés sur au moins un des thèmes étudiés – salaires, temps de travail, conditions de travail… Dans un tiers des cas, ces négociations ou discussions ont impliqué la participation de délégués syndicaux. Le degré de formalisme croît bien sûr avec la taille des établissements et le cadre légal qui lui est associé : si, dans les établissements de moins de cinquante salariés, les discussions informelles sont très majoritaires, la négociation formalisée est surtout le fait des établissements plus grands, notamment ceux où la négociation est obligatoire chaque année du fait de la présence de délégués syndicaux.

Les négociations ou discussions aboutissent bien plus fréquemment à un accord collectif lorsque les directions ont pour interlocuteurs des délégués syndicaux. Je pourrai compléter ces informations si vous le souhaitez.

Il faut souligner le rôle structurant des conventions collectives de branche dans les négociations. Elles sont particulièrement utilisées dans le cadre des discussions ou négociations sur le temps de travail : 79 % des établissements de onze salariés et plus déclarent « utiliser » la convention collective de branche sur le temps de travail, qu’ils négocient sur ce thème ou pas. C’est un point à garder à l’esprit lorsque l’on s’interroge sur les différents niveaux de négociation, et sur leur utilité.

L’enquête REPONSE aborde également la perception qu’ont les salariés de leurs représentants, ainsi que la perception qu’ont ces représentants de leur place dans l’entreprise. Ces derniers se montrent plutôt pessimistes quant à leur carrière professionnelle : ils éprouvent davantage le sentiment qu’ils risquent de perdre leur emploi ; ils estiment que leurs perspectives de promotion ou d’augmentation de salaire sont réduites. Ce constat renvoie au thème de la discrimination syndicale, sur laquelle nous ne disposons que de peu d’éléments. Il est possible que le Conseil national de l’information statistique lance une réflexion afin de mieux documenter cet aspect.

Le fait que les représentants soient des salariés à la fois un peu plus âgés et un peu mieux insérés sur le marché de l’emploi pose, j’y reviens quelques instants, la question de leur relève. Dans 38 % des établissements dotés d’un représentant, il nous est répondu qu’il n’y a pas assez de candidats pour occuper les fonctions de représentant du personnel. Un quart des représentants du personnel interrogés disent ne pas vouloir poursuivre leur engagement ; certains envisagent tout de même de continuer, faute de successeur.

En 2011, l’enquête REPONSE, qui portait initialement sur les établissements employant au moins vingt salariés, a été étendue aux établissements employant au moins onze salariés. Cette extension a confirmé des tendances déjà observées : la fréquente absence de toute représentation du personnel dans les petites entreprises – 63 % des établissements de onze à dix-neuf salariés sont dépourvus d’instances, et 27 % d’entre eux sont uniquement pourvus de représentants élus – et la relative modestie de leur activité de négociation.

Par ailleurs, nous avions profité d’une enquête sur les TPE employant d’un à neuf salariés pour les interroger sur les relations sociales. Il en ressortait que les règles qui s’appliquent aux salariés relèvent le plus souvent, dans ces entreprises, de décisions unilatérales de l’employeur ou prises dans le cadre d’échanges individuels. Il n’y a que très peu de représentation organisée des salariés.

S’agissant enfin des nouvelles formes de travail, en particulier le travail indépendant, elles n’apparaissent pas, par construction, dans l’enquête REPONSE, qui interroge des dirigeants d’entreprise et des salariés. La plupart de nos enquêtes sont d’ailleurs tournées vers l’emploi salarié.

D’un point de vue statistique, les données de l’INSEE notamment permettent de constater un léger effritement de la part de l’emploi salarié et une augmentation de la part de l’emploi non salarié. Au sein de l’emploi salarié, la part des contrats à durée indéterminée est stable – elle était en 2012 de 87 % –, mais les embauches en contrat temporaire sont en très forte hausse et leur durée moyenne a nettement baissé. La durée médiane des contrats temporaires s’établissait, en 2012, à deux semaines. Il y a donc une précarisation des salariés qui ne sont pas en CDI.

Cela traduit nombre de phénomènes auxquels nous assistons : développement du statut d’autoentrepreneur, du portage salarial, des plateformes collaboratives, de ce que les juristes qualifieraient de « faux indépendants », de la multiactivité et de la pluriactivité. Aujourd’hui, l’appareil statistique peine à repérer ces dernières situations ; or c’est peut-être là que se situe l’emploi le moins bien protégé.

C’est pourquoi nous avons souhaité, avec d’autres, que le Conseil national de l’information statistique crée un groupe de travail chargé d’examiner les sources statistiques que nous pourrions mobiliser pour étudier ces franges aux marges de l’emploi. Nous espérons recevoir ses conclusions au premier semestre 2016.

La DARES entend travailler sur ces questions, sans espérer produire d’importants résultats dès 2016 – nous avons du mal à dégager des moyens humains… C’est un sujet qui n’est pas traditionnellement au cœur de nos préoccupations : le ministère du travail est surtout le ministère du code du travail, donc des relations entre employeurs et salariés. Mais ces questions nous sont de plus en plus souvent posées, et il est donc nécessaire de les examiner de plus près.

Enfin, nous essaierons également d’avancer sur la question du travail détaché, qui ne me semble pas sans lien avec les évolutions du marché du travail et les questions que vous abordez.

M. le président Arnaud Richard. Madame Bouygard, vous avez une grande expérience dans ces domaines, et vous êtes aujourd’hui membre notamment du Haut Conseil du dialogue social et du Haut Conseil du financement de la protection sociale. En cette qualité, quel regard portez-vous sur le paritarisme ?

Mme Françoise Bouygard. Je dois à la vérité de dire que c’est ma sous-directrice qui représente la DARES dans ces deux conseils. La DARES est présente dans de très nombreuses instances, et nous nous partageons la tâche.

On me dit que le Haut Conseil du dialogue social est un véritable lieu de travail, de coproduction entre les organisations syndicales et professionnelles et l’administration. Ce n’est pas toujours le cas : certaines de ces instances sont plutôt des lieux de représentation, où chacun sait que tout est joué avant la réunion.

Je peux citer d’autres lieux de travail, par exemple la sous-commission de la Commission nationale de la négociation collective (CNNC) qui réfléchit à la diminution du nombre de branches.

D’autres instances sont plutôt consacrées aux échanges entre les partenaires sociaux, les pouvoirs publics et parfois les parlementaires : Conseil d’orientation de l’emploi, comité de suivi du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE)…

On peut se demander en quoi le fait de gérer des fonds qui viennent des entreprises, mais que nous pourrions qualifier de fonds publics puisqu’ils sont issus de contributions obligatoires au financement de l’assurance-chômage ou de la formation professionnelle, améliore la capacité des organisations syndicales et professionnelles à élaborer une politique et à créer des normes. Je ne doute pas qu’il soit utile d’associer organisations syndicales et patronales pour négocier la norme dans des domaines qu’elles sont censées mieux connaître que l’administration, mais je m’interroge sur les effets que peut avoir sur les négociations la gestion financière d’un certain nombre de fonds.

M. Gérard Sebaoun. Vous avez dit que 63 % des entreprises de onze à dix-neuf salariés étaient dépourvues d’instances et que des représentants élus n’intervenaient que dans un quart des cas. Nous devons bientôt débattre ici d’un projet de loi qui pourrait introduire une modification essentielle dans le code du travail : le basculement de la négociation vers l’accord d’entreprise, le cas échéant par l’intermédiaire des branches. Qu’en pensez-vous ?

Mme Françoise Bouygard. En tant que directrice de la DARES, je constate, d’une part, qu’il est difficile de trouver des représentants des salariés dans les entreprises de petite taille, et, d’autre part, que, dans certains secteurs de la négociation, les accords de branche jouent un rôle structurant. Je suis donc assez surprise que l’on puisse opposer accords d’entreprise et accords de branche.

Quelques chercheurs plaident pour le développement de l’accord d’entreprise et sont très critiques sur les effets – notamment économiques – de l’accord de branche, mais il me semble qu’ils oublient un des objets de l’accord de branche, souvent rappelé par les négociateurs eux-mêmes : il doit aboutir à faire en sorte que les termes de la concurrence soient identiques pour tous les établissements et les entreprises dans un secteur d’activité.

Je ne pense pas que l’on puisse choisir de manière catégorique entre l’accord d’entreprise et l’accord de branche. La réflexion devrait porter sur leur articulation, et sur la part plus importante qui pourrait être laissée à l’accord d’entreprise – lorsqu’un tel accord est possible. Or nos statistiques montrent que, dans bien des cas, l’accord d’entreprise n’est pas possible faute de négociateur dans l’entreprise. L’accord de branche retrouve alors tout son intérêt, et je répète qu’il permet à un secteur d’activité de fixer les conditions minimales de fonctionnement pour un certain nombre de sujets.

Si l’on peut critiquer les branches professionnelles, c’est en raison de leur nombre effarant : certaines sont d’ailleurs des « étoiles mortes ». Il n’est pas douteux qu’il faille reprendre et hâter le travail sur le nombre et le champ des branches, mais je ne partage pas la vision binaire qui oppose accord d’entreprise et accord de branche.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Je me méfie beaucoup des visions simplistes de la complexité. Qu’une vingtaine d’autoentrepreneurs fabricants de pipes sur une île paradisiaque décident de se regrouper pour réfléchir sur leur profession, je ne crois pas que ce soit une régression : j’y vois plutôt un progrès. La question n’est pas de savoir combien il existe de branches professionnelles ou combien d’entreprises s’organisent par sous-groupe, mais comment hiérarchiser les choses. Des branches ou des sous-branches devraient travailler ensemble dans des méta-branches. Il faut remettre de l’ordre et créer la capacité à négocier.

Au fond, ce débat rappelle celui sur le code du travail : ce qui importe, ce n’est pas de savoir si la vie de 3 millions de salariés doit être régulée par 800 ou 3 000 articles, certains résumant un siècle d’histoire sociale et de luttes qui ont ainsi trouvé leur conclusion, mais que chacun puisse en connaître les dispositions fondamentales pour le quotidien et avoir accès aux informations nécessaires lorsqu’il faut régler un conflit.

Sur le fond, je voulais d’abord vous interroger sur le paritarisme lui-même. La DARES n’est pas qu’une division statistique, elle réalise aussi des études ; comment situez-vous le rôle des partenaires sociaux dans les décisions affectant la vie des gens ? Paritarisme, négociation sociale, production de normes, notre pays donne-t-il beaucoup de places aux acteurs sociaux – syndicats et patronat – dans la vie quotidienne ? Nous n’avons pas trouvé de travaux permettant de répondre à cette question. Il serait d’ailleurs utile de savoir, en termes de budget, d’effectifs mobilisés et de champ couvert, ce que le législateur ou l’exécutif délègue aux partenaires sociaux.

Par ailleurs, vous avez évoqué l’existence d’un groupe de travail du Conseil national de l’information statistique chargé de quantifier toutes les formes d’activité qui ne relèvent pas du salariat, mais impliquent une forme de subordination. Nous connaissons le nombre d’autoentrepreneurs et le nombre d’entrepreneurs individuels, mais nous connaissons moins leur degré de subordination économique aux donneurs d’ordres ou aux clients. Il est un autre domaine que nous ne connaissons pas du tout quantitativement, c’est celui de la relation directe entre un offreur de services et un consommateur par l’intermédiaire de plateformes numériques – ce que l’on appelle l’économie collaborative. Nous souhaiterions aller vite sur ce sujet, car, si des outils sont mis en place au cours de l’année 2016, nous aurons besoin de disposer rapidement des données sur ce secteur en pleine explosion. Il existe des techniques d’enquête qui permettent de réaliser rapidement une première évaluation.

Avez-vous une idée de la proportion que représente cette forme d’activité par rapport au total ? Vous dites que le salariat régresse à peine, mais il nous semble que le volume de ces activités augmente. Êtes-vous capable de fournir une évaluation, fût-ce sans votre précision habituelle ? Quelle évolution anticipez-vous ? Y aura-t-il 50 % d’activité sous cette forme dans dix ans, ou ce mode de travail restera-t-il une extension de l’activité salariale sans prendre de place prépondérante ? Les visions des économistes divergent à cet égard.

Mme Françoise Bouygard. La négociation sociale est plutôt dynamique et, chaque année, de nombreux accords sont conclus. Il est cependant malaisé de raisonner sur l’évolution du nombre d’accords sans prendre les cycles en considération. Si une loi impose une négociation sur un sujet, nombreux seront les accords conclus l’année suivante, après quoi il faudra attendre qu’ils arrivent à leur terme pour que de nouveaux accords viennent alimenter les statistiques. Il nous faut donc rester attentifs à ces phénomènes cycliques.

Si la négociation est vivante, elle n’est pas très perceptible par nos concitoyens. Il faut en effet compter avec cette particularité française qui consiste à reprendre dans la loi les accords nationaux interprofessionnels (ANI), si bien que, dans l’esprit de nos concitoyens, l’ANI s’efface souvent derrière la loi. Ainsi, on parle de la loi de 1971 sur la formation professionnelle, en oubliant l’ANI de 1970.

Enfin, on parle de paritarisme, mais qu’en est-il de la répartition des compétences entre les organisations syndicales et professionnelles qui gèrent des fonds paritaires, les collectivités territoriales et l’État ? Ce quadripartisme rend particulièrement difficile la mise en œuvre des politiques publiques. Plusieurs échelons de négociation sont nécessaires pour élaborer un consensus. Cela prend du temps, alors qu’il faut traiter sans tarder des thèmes tels que la formation des demandeurs d’emploi.

Nous n’avons pas d’informations sur le volume d’activité que représentent les nouvelles formes d’emploi, question que nous souhaitons étudier au sein du Conseil national de l’information statistique. L’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) devrait bientôt publier un rapport sur l’économie collaborative : comme vous, elle nous a interrogés à ce sujet, et j’ai également eu le regret de répondre que nous ne disposions pas de données statistiques. Ce rapport se fondera donc plutôt sur des données qualitatives, ce qui est une bonne chose, car il permettra de délimiter le champ d’étude. Est-il question de pluriactifs, de multiactifs ou de personnes situées hors du champ salarial ? Nombreux, sans doute, sont ceux qui ont deux statuts : ils sont salariés et ont une activité de complément, le revenu qu’ils tirent de leur activité salariée étant insuffisant. Certains n’ont aucune activité et deviennent autoentrepreneurs ou travaillent avec une plateforme collaborative.

Nous pouvons tirer d’ores et déjà tirer quelques enseignements de l’observation du marché du travail : ainsi, la précarisation croissante de ceux qui ne sont pas en CDI se confirme. Faut-il voir là la préfiguration d’une nouvelle forme d’organisation de l’économie ? À l’évidence, quelque chose s’est profondément transformé dans la relation entre le consommateur et le producteur. Nous achetons désormais par des canaux totalement différents. Cela va-t-il changer durablement la nature de l’emploi et des droits qui y sont attachés ? Je n’en suis pas sûre. Peut-être sommes-nous dans une période de construction de nouveaux producteurs, dans un champ non balisé où le droit peine à s’appliquer, mais peut-être aussi allons-nous entrer petit à petit dans un cadre plus formaté et plus protégé, comme ce fut le cas en d’autres occasions. Cette hypothèse n’est pas moins envisageable que celle dans laquelle le modèle dominant du salariat s’effondre, d’autant que ce n’est pas ce que nous avons constaté aux États-Unis.

M. le rapporteur. Serait-il possible, dans les enquêtes régulières que vous réalisez, et plus précisément dans l’enquête « emploi », de demander, à court terme, si, en plus de leur travail salarié, les personnes interrogées ont des activités de type collaboratif, et quels sont les revenus qu’elles en retirent ?

Mme Françoise Bouygard. Nous nous sommes posé la question très récemment. Nous pensons pouvoir identifier les personnes qui ont deux emplois salariés, mais pas forcément celles qui ont un emploi salarié et une autre activité non salariée. Mais nous allons creuser la question.

M. le rapporteur. Pourriez-vous ajouter une question sur ce point dans l’enquête emploi ?

Mme Françoise Bouygard. L’INSEE doit développer des études sur le sujet. Nous allons négocier avec sa direction générale pour que nous nous partagions la tâche.

M. Patrick Pommier, chef du département « Relations professionnelles et temps de travail ». Cela pourra être une conséquence des conclusions du groupe de travail du Conseil national de l’information statistique.

Mme Françoise Bouygard. Nous attendons ces conclusions avec impatience.

M. le président Arnaud Richard. Au nom de la mission d’information, nous vous remercions beaucoup de cet échange.

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Enfin, la mission reçoit M. Bernard Vivier, directeur de l’Institut supérieur du travail

M. le président Arnaud Richard. Nous achevons notre cycle d’auditions de ce jour par celle de M. Bernard Vivier, qui dirige l’Institut supérieur du travail (IST). Depuis 1969, cet institut développe une expertise dans le domaine des relations sociales et syndicales, à laquelle plus de 300 entreprises font appel chaque année.

Nous avons considéré qu’il serait intéressant d’avoir l’avis de l’Institut supérieur du travail et, au-delà, celui que vous retirez de votre expérience syndicale, sur les sujets qui nous préoccupent, notamment l’état des lieux du paritarisme, son efficience, la pertinence des évolutions possibles, notamment le phénomène de l’« uberisation ».

M. Bernard Vivier, directeur de l’Institut supérieur du travail. L’IST est un institut privé qui a quarante-six ans d’expérience d’observation des questions sociales et du travail. C’est un organisme indépendant, au carrefour entre les entreprises, les organisations sociales et patronales. Mon métier d’observateur a commencé dans le journalisme d’information sociale et syndicale, et, depuis trente-six ans, j’assiste à tous les congrès de toutes les confédérations syndicales.

Si c’est en tant que directeur de l’IST que je m’exprime aujourd’hui, vous avez discrètement souligné mon engagement syndical. Je viens en effet d’entrer au Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans le groupe de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), mais c’est un engagement personnel.

L’IST travaille sur le thème du paritarisme depuis très longtemps. Notre institut, créé en 1969, doit beaucoup au courant réformiste du syndicalisme, que l’on opposait autrefois au courant révolutionnaire. Les choses ont heureusement évolué depuis et, de plus en plus souvent, nous cherchons à résoudre les inévitables conflits qui traversent la société et les entreprises par la négociation, la recherche de compromis durables et le contrat collectif, plutôt que par les grèves, les barricades, la lutte et la séquestration. Ce rappel est important, car il existe un lien étroit entre négociation et paritarisme. Le paritarisme est l’institutionnalisation de ce à quoi la négociation permet d’aboutir. C’est une particularité de notre pays : le paritarisme n’existe pas dans les autres pays européens.

Qu’est-ce que le paritarisme ? Dans le sens que nous lui attribuons, le mot n’apparaît pas avant 1961. Avant cela, le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse le définit comme un « système qui consiste à traiter tous les cultes sur un pied d’égalité », ce qui ne nous concerne évidemment pas. C’est le 19 avril 1961 qu’André Bergeron, qui venait de créer l’Unédic, écrit dans le journal de la CGT-FO que l’assurance chômage est « un succès qu’il faut porter au compte du paritarisme ». Le mot « paritarisme » est donc lancé, mais, comme souvent, il n’est pas défini. Les militants syndicaux sont en effet des pragmatiques : ils font, et c’est ensuite que les uns et les autres, notamment le législateur, essaient de donner forme à une construction empirique. La nécessité de créer un système d’assurance chômage a constitué la conclusion d’une grande négociation. Les acteurs concernés, patronat et syndicats, ont donc décidé de construire un système d’assurance chômage au sortir de la négociation. La formation professionnelle, la protection sociale, le logement, tout cela est issu de l’empirisme.

S’il est né au niveau national interprofessionnel, le paritarisme s’est surtout développé dans les branches. Celles-ci naissent elles-mêmes de façon empirique, ce qui explique que nous ayons aujourd’hui besoin de faire un « nettoyage ». Un éclaircissement a d’ailleurs été apporté sur ce point par plusieurs travaux remarquables : le rapport de votre collègue Jean-Frédéric Poisson, le précédent rapport de Jean-Denis Combrexelle d’octobre 2013 et le rapport de Patrick Quinqueton, qui a été rendu à M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, mais qui n’a pas encore été publié.

Nous devons nous interroger sur l’utilité du paritarisme et de la négociation, sur la frontière entre la loi et le contrat, entre le rôle de la démocratie politique et celui de la démocratie sociale. Si l’on ne veut pas laisser les forces du marché s’organiser par elles-mêmes – c’est-à-dire s’en remettre à la loi du plus fort – ou laisser l’État tout régenter
– c’est-à-dire donner libre cours à la bureaucratie –, il est nécessaire d’organiser la vie collective, de fixer des règles communes, d’échanger et de dialoguer.

Le dialogue social n’est donc pas une fin en soi, il a un but, une finalité économique et sociale. Il évite tout d’abord que le marché ne soit livré à lui-même ou à la tyrannie de l’État. Il apporte un savoir-faire aux partenaires, une façon de vivre ensemble, et c’est une vertu importante pour la négociation, mais aussi pour gérer les instances paritaires. Ainsi, le domaine de la prévoyance pourrait être entièrement confié aux assurances, mais il manquerait ce qu’apportent le paritarisme et l’esprit mutualiste : une capacité à travailler ensemble sur la base de la solidarité, et non pas de l’assurance.

Aussi opposés soient les intérêts, le besoin de travailler ensemble s’impose, pour rapprocher les points de vue, sans effacer les divergences. On ne sort pas indemne d’une institution paritaire dans laquelle on a siégé pendant longtemps. C’est aussi vrai pour la juridiction prud’homale, qui fonctionne depuis longtemps sur le mode du paritarisme.

Si la défiance est encore une caractéristique de notre société, l’esprit de confiance peut trouver dans le paritarisme une façon de se construire. Sur le plan politique, grâce à ses vertus centrales, cet élément de la social-démocratie évite le développement d’idées extrémistes.

Le paritarisme n’est donc pas une anecdote historique. On pourrait être tenté de tout rationaliser, d’en confier la majeure partie à l’État pour en maîtriser les coûts, pour éviter certaines malversations, notamment dans le domaine de la formation professionnelle. Sans doute faut-il corriger quelques problèmes de gestion, mais le paritarisme conserve une vertu centrale.

Quels doivent être les rôles respectifs de la loi et du contrat ? Invité, il y a bientôt deux ans, par le bureau national d’un parti politique à assister à un séminaire intitulé : « Réussir le pacte de responsabilité pour la France », j’ai participé, avec un éminent représentant de ce parti, à une discussion qui avait pour thème : « Construire la République contractuelle ». Cet énoncé m’avait laissé perplexe. En effet, la République fait la loi ; elle ne conclut pas de contrats, lesquels relèvent des partenaires sociaux. Prenons l’exemple de la formation professionnelle. En 1970, les partenaires sociaux concluent un très bel accord national interprofessionnel sur la formation professionnelle continue. L’année suivante, une loi est votée, qui reprend le contenu de cet accord. Depuis, toute loi votée dans ce domaine s’inspire fortement de la négociation, et c’est une bonne chose. À cet égard, l’étude publiée en 1936 par Pierre Laroque sur les rôles respectifs de la négociation et de la loi dans la construction de la règle sociale est toujours d’actualité. Elle souligne parfaitement les caractéristiques du système de relations sociales qui prévaut en France : la loi est préparée par la négociation, mais le rôle de la loi et celui du contractuel ne sont pas distingués. J’ajoute que la dernière loi sur la formation professionnelle a fait l’objet de soixante-dix décrets, si bien qu’elle est aujourd’hui difficile à appliquer.

C’est la négociation sociale qui construit les édifices paritaires. Mais, si on lui donne trop de places, sans l’encadrer par la loi, on risque d’être confronté au conservatisme des partenaires sociaux qui, syndicats comme patronats, préfèrent que rien ne change. Ainsi, ils trouveront toujours une justification à la nécessité de maintenir une branche qui concernait jadis 20 000 salariés et qui, aujourd’hui, n’en réunit plus que 60. Or il faudra réduire le nombre de branches. Telle est, du reste, l’une des préconisations du dernier rapport de Jean-Denis Combrexelle de septembre 2015, qui sera utilement complété, sur ce point, par le rapport précité de Patrick Quinqueton. De fait, nous n’avons pas besoin de 700 branches. Il faudra probablement réduire leur nombre à 150 ou même 100 dans les prochaines années. De même qu’il est nécessaire de resserrer le nombre des collectivités territoriales, de même il faut resserrer celui de ces « communes » du monde du travail que sont les branches, et donner à chacune d’entre elles une autonomie suffisante. Les conventions collectives ont vieilli, il faut les adapter.

Le dernier rapport de Jean-Denis Combrexelle présente un autre intérêt, celui de souligner l’importance de la négociation de branche par rapport à la négociation d’entreprise. Au cours des six derniers mois, plusieurs rapports ont été publiés sur le droit du travail. Une première fusée éclairante les a précédés : le livre de Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen. Tous ces rapports, qui n’arrivent pas par hasard, sont utiles. Ils soulèvent une question très importante, celle des rôles respectifs de l’accord national interprofessionnel, de la branche, de la négociation d’entreprise et, dans un autre registre, de la loi.

Les tenants du tout libéral sont favorables à la primauté des accords d’entreprise – un des rapports s’intitule d’ailleurs Priorité à la négociation d’entreprise. Mais restons prudents : dans notre pays, le monde du travail se compose, à parts égales, de grandes entreprises, où il est possible de négocier, et d’entreprises de moins de cinquante salariés, où le droit de négociation n’existe pas et où, de toute façon, il ne peut pas être effectif. Or les salariés de ces petites entreprises sont souvent parmi les moins favorisés au regard de la protection sociale et des avantages sociaux. Ils ont donc un grand besoin d’être protégés ; c’est la branche qui leur assurera cette protection. Au demeurant, la négociation de branche est avantageuse non seulement pour les salariés, auxquels elle assure une protection minimale – salaire minimum de branche, par exemple –, mais aussi pour les entreprises, dans la mesure où elle permet d’organiser la concurrence sur des bases communes : les règles applicables en matière de salaires, de durée et de conditions de travail ou de sécurité sont les mêmes pour toutes les entreprises rattachées à la branche. On voit donc combien il est important d’étendre cette logique, non seulement à l’ensemble du territoire national, mais aussi à l’ensemble de l’Union européenne et – ne rêvons pas trop, mais après tout, l’Organisation internationale du travail existe et doit jouer tout son rôle – au-delà des frontières européennes. Il est en effet nécessaire d’élever le niveau d’exigence sociale, y compris dans l’intérêt des entreprises.

Bien sûr, dans les grandes entreprises, on a les moyens de négocier, et la négociation doit y être renforcée. Mais, dans les petites, cette possibilité n’existe pas. C’est là que se trouve le curseur du dernier rapport de Jean-Denis Combrexelle. On voit bien, du reste, que le Gouvernement se positionne sagement, en voulant – même si le dispositif n’est pas « calé » – faire de la branche un élément non négligeable de la régulation.

En conclusion, le paritarisme, c’est du pragmatisme. Une construction naturelle qui permet à la société de respirer et de s’organiser, puisqu’il s’agit de confier aux acteurs directement concernés le soin de définir les règles qu’ils s’appliqueront. Or on est souvent beaucoup plus enclin à respecter un contrat que l’on a négocié et qui définit des règles que l’on s’est données, qu’à obéir à une loi dont on se méfie des décrets d’application. Le contrat est un acte de responsabilité. N’est-il pas, en effet, défini par le code civil comme une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’engagent envers une ou plusieurs autres à donner, à faire ou à ne pas faire ? Du reste, les anciens militants syndicaux préféraient parler de « contrat collectif » plutôt que de « convention collective ». Il s’agissait pour eux de souligner que celui-ci est le pendant du contrat individuel, qui s’inscrit dans un rapport du fort – l’entreprise ou la société – au faible – l’individu.

Cependant, parce que le système paritaire est défaillant, il est nécessaire de réordonner tout cela. Mais attention : à chacun son métier et les vaches seront bien gardées ! La représentation nationale fait la loi ; aux partenaires sociaux de faire leur règlement. Pour des raisons historiques, nous avons toujours de grandes difficultés, à la différence des autres pays européens, à distinguer les deux domaines. Cette confusion peut être un facteur de faiblesse.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Merci, monsieur Vivier, pour cet exposé brillant et éclairant. Je crois, comme vous, que ce système s’est construit par la base, au niveau des branches, et sur le terrain. De fait, nombre de dispositifs, notamment dans le domaine du logement, ont été inventés dans le Nord – où j’ai longtemps travaillé –, avant d’être étendus au plan interprofessionnel. On pourrait dire, pour simplifier, que cette construction s’est effectuée jusqu’en 1971 – date du dernier grand accord national interprofessionnel structurant, qui portait sur la formation professionnelle –, c’est-à-dire dans un monde de plein-emploi, dominé par les grandes entreprises et où l’économie était structurée par un petit nombre de branches professionnelles, même si celles-ci étaient déjà nombreuses. Depuis, une forme de conservatisme – ou de conservation, pour ne pas employer de terme péjoratif – prévaut. Le système continue en effet à fonctionner de la même manière : l’assurance chômage est gérée sous la même forme, les retraites complémentaires continuent de relever du paritarisme… Certes, un changement important est intervenu en 1995, lorsque la réforme Juppé de la sécurité sociale a permis à l’État de reprendre la main dans ce domaine. Mais, pour le reste, le mode de gestion est identique à celui de l’après-guerre, alors que le modèle économique s’est transformé.

Tout le monde s’accorde sur l’idée selon laquelle, à l’instar des copropriétaires qui s’efforcent de régler leurs problèmes entre eux en sollicitant, le cas échéant, l’intervention de la mairie ou de l’État, le patronat et les syndicats, ou la branche professionnelle, doivent s’occuper des questions qui ne concernent que l’entreprise. Le problème tient au fait que, dans ce domaine, aucun sujet ou presque ne peut plus être traité isolément. Prenons le cas de l’assurance chômage. Le chômage a augmenté dans de telles proportions qu’il a bien fallu créer un système d’indemnisation des chômeurs en fin de droits : l’allocation spécifique de solidarité (ASS), le revenu minimum d’insertion (RMI) puis le revenu de solidarité active (RSA). Dès lors, toucher à l’un de ces dispositifs a des conséquences sur les autres : si l’on réduit la couverture chômage, le nombre des bénéficiaires du RSA ou de l’ASS augmentera. Il en va de même pour les retraites complémentaires, dont l’importance a crû au fil des réformes successives des retraites, qui ont réduit la proportion du revenu de remplacement correspondant aux pensions. De surcroît, les lois de décentralisation ont confié des compétences importantes aux collectivités territoriales, notamment dans le domaine de l’emploi.

J’en viens à mes questions. Estimez-vous, à partir de ce constat qui, je crois, peut être partagé, que des domaines relevant aujourd’hui du paritarisme doivent faire désormais l’objet d’une gestion tripartite ou quadripartite ? Et, inversement, des domaines actuellement gérés par l’État doivent-ils être confiés aux partenaires sociaux ? Bref, quelle devrait être l’évolution du paysage, sachant que la proximité doit être privilégiée et les acteurs se voir confier la gestion de leurs intérêts, l’État et le législateur intervenant chaque fois que l’intérêt général est en jeu ?

Par ailleurs, quelle réflexion vous inspirent les nouvelles formes d’activité et quelle devrait être, selon vous, leur contribution à notre système de protection ? Faut-il maintenir le système actuel, dans lequel on est soit indépendant, soit salarié ? Il va bien falloir, en effet, qu’Uber, Airbnb et d’autres choisissent leur camp. Enfin, quelle forme doit revêtir la protection correspondant à cette contribution ?

M. le président Arnaud Richard. Nous nous apercevons que les sujets que nous abordons dans le cadre de notre mission d’information sont assez mal connus du monde politique, journalistique et judiciaire. Dès lors, ne conviendrait-il pas, comme l’a suggéré Jean-Denis Combrexelle devant notre mission, de créer, sur le modèle de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), qui existe depuis près de soixante-cinq ans, un institut des hautes études du dialogue social qui permettrait à tous ces acteurs de se connaître, de se parler, de créer des liens et des réseaux ?

M. Bernard Vivier. Dans un passé relativement récent, on a distingué, de façon un peu aléatoire, le paritarisme de gestion du paritarisme de négociation. On a ainsi discuté des moyens, des attributions, des « bons d’essence », mais on n’a pas répondu à la question de fond, celle de la clarification des champs de compétence respectifs du législateur et des partenaires sociaux. Il est vrai que, lorsqu’a été créée l’assurance chômage, les choses étaient assez simples : on ne dénombrait que quelques dizaines de milliers de chômeurs, et il a suffi aux employeurs de mutualiser leurs moyens pour créer ce dispositif. Aujourd’hui, on doit se demander ce qui relève, d’un côté, de la solidarité et, de l’autre, de l’assurance. Qu’il s’agisse de la formation professionnelle, de la protection sociale ou des allocations familiales – on est loin, dans ce domaine, des caisses de compensation créées par le patronat chrétien de Grenoble lors de la Première Guerre mondiale –, les frontières sont plus incertaines.

Actuellement, trois blocs importants constituent le cœur du paritarisme en action : la protection sociale, les retraites complémentaires et la formation professionnelle. Tout ce qui relève de l’assurance maladie, de l’assurance vieillesse et des allocations familiales a fait l’objet d’un « rapt » de l’État, selon la violente expression utilisée par Marc Blondel en 1995. Sur le fond, il n’avait pas tort, mais je ne vois pas très bien comment un budget aussi considérable pouvait échapper à la surveillance de la représentation nationale.

Ni les conférences sociales, d’un côté, ni le Parlement, de l’autre, ne peuvent résoudre le problème que vous soulevez, Monsieur le rapporteur : il doit être traité en commun par la représentation politique et la société civile. À cet égard, même si c’est une institution très décriée – on lui reproche de ne servir à rien et de coûter cher –, le CESE, où je siège par ailleurs, est un lieu extraordinaire de rencontre et de fabrication du consensus. On peut, certes, comme à l’Assemblée nationale, y somnoler – les fauteuils y sont confortables –, mais on peut aussi y accomplir un travail aussi modeste que formidable. Il faut favoriser les rencontres et, à l’issue de celles-ci, probablement opérer un travail de clarification. Attention, en effet, au sens des mots : la démocratie politique et la démocratie sociale sont d’une nature différente. On ne peut pas faire fonctionner une entreprise comme une collectivité territoriale. Jean-Denis Combrexelle, dans son rapport de grande qualité sur la réforme de la représentativité patronale, a buté sur ce problème. On voit bien que la notion d’élection ne peut pas s’appliquer partout : pour qu’une société soit éminemment démocratique et libre, toutes ses composantes ne peuvent pas fonctionner sur le modèle de l’élection – pensons à l’école ou à la famille. Ainsi, la vie économique a ses propres règles. Il est important de bien opérer ce travail de clarification.

Quant aux nouvelles formes d’activité, elles représentent un enjeu crucial. Un certain nombre d’organisations syndicales en ont d’ailleurs pris acte. Lors des derniers congrès de la CFDT, en juin 2014, et de la CFTC, en novembre 2015, des discussions ont eu lieu sur ce point. Ces nouvelles formes de production économique, qui ne peuvent que se développer, doivent contribuer à l’impôt et à la protection sociale. Nous en revenons, là encore, à la régulation internationale. Les États sont, en effet, de moins en moins protecteurs et régulateurs. Le défi doit donc être relevé, non pas à l’échelle étatique, mais à l’échelle mondiale. S’agit-il d’une utopie ? Non, c’est une nécessité. C’est pourquoi il faut commencer par construire une Europe sociale beaucoup plus forte. La régulation de branche présente un intérêt à cet égard, car si l’on incite les secteurs professionnels à s’organiser au niveau européen, la régulation se fera de manière beaucoup plus rapide que si l’on attend l’adoption de directives.

Enfin, Monsieur le président, j’ai eu le grand plaisir de participer, en 1989-1990, à la 42e session de l’IHEDN. C’est vrai, nous avons besoin de favoriser les rencontres des acteurs. L’Institut national du travail et de la formation professionnelle a organisé un dispositif comparable à celui de l’IHEDN, où inspecteurs du travail, syndicalistes, dirigeants d’entreprise, mais aussi avocats et journalistes se rencontrent – j’ai participé à leurs réunions –, mais il est moins performant. Cette proposition de Jean-Denis Combrexelle est donc intéressante. Un tel organisme, placé dans le giron du ministère du travail, pourrait être valorisé, ouvert. Je précise que des instituts privés existent ; l’IST en est un. Ainsi, la semaine prochaine, l’un des adjoints de Philippe Martinez viendra discuter, avec des directeurs des ressources humaines, de l’importance de la négociation. Pourquoi la CGT signe-t-elle peu d’accords au niveau national et beaucoup dans les entreprises ? Nous lui poserons la question, dans ce cadre privé. Il a sa réponse, il suit une logique ; il faut l’entendre. Le CESE est un autre lieu de discussion institutionnel – on pourrait citer également Réalités du dialogue social (RDS), organisme que vous avez auditionné, ou Entreprise & personnel –, mais ils sont très peu nombreux, une dizaine tout au plus.

De manière générale, nous devons développer l’information et la formation économiques des acteurs sociaux. En 1863, Pierre-Joseph Proudhon – je suis très proudhonien, et pas du tout marxiste, vous l’avez compris, car je crois à la construction de la société sur la base du fédéralisme - avait rédigé un petit ouvrage intitulé De la capacité politique des classes ouvrières. Aujourd’hui, c’est l’incapacité gestionnaire des classes patronale et ouvrière que nous devons déplorer, car, cultivant l’une et l’autre la lutte des classes, elles ont beaucoup de difficultés à se faire confiance. Mais nous sommes en 2015 ! Comment vaincre cette défiance ? Par la formation et l’information – merci, Danton ! À cet égard, la base de données économiques et sociales marque une avancée puissante, car elle permet aux chefs d’entreprise et aux syndicalistes de se doter d’outils de connaissance de l’entreprise. Une fois cette connaissance acquise, la relation de confiance peut s’établir, et on peut ouvrir des négociations et contracter. Qu’est-ce que le contrat, en effet, sinon un acte de confiance en l’autre ?

M. Pascal Demarthe. Véritable démocratie sociale, le paritarisme est lié, tout d’abord, à des facteurs sociétaux. Au fur et à mesure que se développe la gestion paritaire, les ayants droit perçoivent l’institution de moins en moins comme une entité politique, fruit parfois de luttes et de dialogues, et de plus en plus comme un prestataire, un service public. N’est-il donc pas temps de mener une démarche informative et pédagogique en direction du public concerné ?

Le paritarisme est également lié à des facteurs politiques. Issu du retour de la démocratie en 1945, personnalisé par le Conseil national de la Résistance, le dialogue social, qui participe de la démocratie sociale, s’inscrit dans une démarche hautement politique. Or le paritarisme se développe dans un univers syndical, patronal et salarié, morcelé ; le jeu politique y trouve naturellement matière à se développer. Les luttes d’influence et la concurrence, au demeurant bénéfiques, entre les diverses organisations syndicales n’incitent guère un exécutif frileux à leur déléguer davantage de responsabilités. Ne pensez-vous pas que cette frilosité, doublée d’une culture de la contestation, soit de nature à conduire, à terme, à la paralysie et, dans l’immédiat, à une gestion restreinte ?

M. Bernard Vivier. Monsieur le député, la nature a horreur du vide, et le besoin crée l’organe. Organiser le marché du travail est une nécessité absolue, afin d’éviter à la fois la concurrence sauvage et la bureaucratie brejnévienne. Or, pour construire une économie sociale de marché – qui est le modèle européen vers lequel nous allons à plus ou moins grande vitesse –, nous avons besoin d’acteurs forts. Aujourd’hui, c’est vrai, le syndicalisme est morcelé et faible. Le taux de syndicalisation est, dit-on, de 7 %, mais il se situe en réalité entre 0 % et 5 %. Le paysage syndical est un archipel, composé de quelques bastions. Néanmoins, cette petite aristocratie syndicale travaille pour l’ensemble des salariés : le taux de couverture conventionnelle est de l’ordre de 94 %, soit l’un des plus élevés du monde industriel. Le système syndical et patronal français n’est donc pas improductif.

Oui, il est nécessaire de renforcer la syndicalisation, notamment le lien entre cotisation et service rendu. Mais, encore une fois, la production sociale des partenaires sociaux est réelle. Ils négocient : 34 000 accords d’entreprise, 900 accords de branche et une petite dizaine d’accords nationaux interprofessionnels ont été conclus. Peu de salariés se syndiquent, mais alors ils produisent. Le système s’essouffle, certes. Mais je ne crois pas que réduire l’offre permette d’accroître la demande : ce n’est pas en réduisant le nombre d’organisations syndicales que l’on augmentera le nombre de syndiqués en France – c’est une vue de l’esprit. Il est vrai que les différentes organisations du paysage syndical doivent converger, mais cette convergence ne se fera pas à marche forcée, même s’il faut parfois encourager certaines évolutions, comme dans le domaine de l’égalité entre hommes et femmes. En tout état de cause, le grand danger réside dans la démobilisation sociale de salariés qui ne croient plus ni aux partis politiques ni aux organisations syndicales et qui se réfugient dans un vote protestataire.

Le paritarisme est un élément d’engagement. Bien sûr, comme dans toute institution, il connaît des dérives – des « bouffe-galettes » siègent dans les instances paritaires pour bénéficier des « bons d’essence » ou pour obtenir une décoration au bout de trente ans – et un certain nettoyage est nécessaire. Mais ceux de mes amis syndicalistes qui président les caisses d’assurance ont l’humilité de savoir qu’ils sont au service de l’institution et, si on les prive de leur voiture avec chauffeur, ils ne s’en offusqueront pas. Le paritarisme reste une belle école de l’engagement collectif, et je suis un grand défenseur de cette réalité.

J’ajoute qu’il faut également corriger un peu l’opinion publique. Il m’arrive, dans le cadre de mes fonctions, d’être invité à la télévision. Or, l’autre jour, dans l’une des émissions auxquelles je participais, Élie Cohen, un économiste pour qui j’ai une immense estime, a affirmé, à l’instar de beaucoup d’hommes publics : « Les 32 milliards d’euros de la formation professionnelle, il faut les donner aux chômeurs ! » C’est ignorer la composition du budget de la formation. Bien entendu, il faut faire des économies et, dans ce domaine, le mouvement est en marche. Le financement syndical et patronal, après celui des partis politiques puis du mouvement associatif, a fait l’objet de mises à jour bienvenues. Et je souhaite que, en matière de transparence, on aille plus loin encore que les conclusions de la commission Perruchot, dans le respect du rôle de ces institutions. Mais ne jetons pas le discrédit sur le patronat et les syndicats ; aidons-les à travailler ensemble !

M. le président Arnaud Richard. Merci, monsieur Vivier. Tel est l’esprit de notre mission d’information.

La séance est levée à treize heures dix.

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Présences en réunion

Réunion du jeudi 3 décembre 2015 à 9 heures 30

Présents. – M. Pascal Demarthe, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Jean-Marc Germain, M. Arnaud Richard, M. Gérard Sebaoun

Excusés. – M. David Comet, Mme Michèle Fournier-Armand, Mme Laure de La Raudière, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, Mme Véronique Louwagie, Mme Véronique Massonneau, M. Philippe Vitel