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Mission d’information sur le paritarisme

Jeudi 10 décembre 2015

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 05

Présidence de M. Gérard Sebaoun, président d’âge puis de M. Arnaud Richard, président

– Table ronde, ouverte à la presse, des négociateurs de la convention Unédic au titre des représentants des salariés, en présence de la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP)

– Table ronde, ouverte à la presse, des négociateurs de la convention Unédic au titre des représentants des employeurs, en présence de la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP)

– Présences en réunion

MISSION D’INFORMATION SUR LE PARITARISME

Jeudi 10 décembre 2015

La séance est ouverte à neuf heures quinze.

——fpfp——

(Présidence de M. Gérard Sebaoun, président d’âge de la mission d’information,
puis de M. Arnaud Richard, président de la mission d’information)

La mission d’information sur le paritarisme procède à l’audition des négociateurs de la convention Unédic au titre des représentants des salariés, en présence de la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) au ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, avec la participation de :

– Mme Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe, accompagnée de Mme Lucie Lourdelle, secrétaire confédérale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) ;

– M. Franck Mikula, secrétaire national chargé de l’emploi et de la formation, trésorier adjoint de l’Unédic, accompagné de MM. Franck Boissart, conseiller technique, et M. Jean-François Foucard, expert emploi de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC) ;

– M. Yves Razzoli, président de la Fédération « Protection sociale et emploi » de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) ;

– M. Éric Aubin, chargé du dossier Retraite, membre de la commission exécutive confédérale de la Confédération générale du travail (CGT) et M. Denis Gravouil, secrétaire général de la fédération CGT-Spectacle, assesseur au bureau de l’Unédic ;

– M. Stéphane Lardy, secrétaire confédéral « emploi-chômage-formation » de Confédération générale du travail-Force ouvrière (CGT-FO), assesseur au bureau de l’Unédic ;

– et M. Hervé Léost, sous-directeur en charge des mutations économiques et de la sécurisation de l’emploi, accompagné de Mme Marie Marcena, adjointe au chef de la mission indemnisation du chômage de la sous-direction des mutations économiques et de la sécurisation de l’emploi (DGEFP).

M. Gérard Sebaoun, président. Notre mission d’information est réunie aujourd’hui pour une table ronde rassemblant les représentants des salariés négociateurs de la convention Unédic d’assurance chômage, ainsi que deux représentants de la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP). Nous entendrons les représentants des organisations de salariés dans l’ordre alphabétique des acronymes de leurs organisations respectives, puis les représentants de l’État.

Mme Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la CFDT. Mon intervention sera axée sur le paritarisme en général et sur la façon dont nous l’envisageons, en particulier depuis les évolutions importantes apportées par l’accord national interprofessionnel de 2012 sur la modernisation du paritarisme.

D’abord, il ne faut pas confondre le paritarisme de négociation, que nous dénommons dialogue social, avec le paritarisme de gestion. Dans le cadre de la gestion d’un organisme paritaire distribuant des prestations sociales, sur la base de droits négociés par ailleurs au titre du dialogue social, la représentativité des interlocuteurs ne se pose pas de la même façon que dans la négociation, où la légitimité des représentants du personnel, et, prochainement, des représentants des employeurs, est fondée sur la mesure de cette représentativité. L’objet des deux organismes n’est, en effet, pas de même nature.

Dans ce que les questions intéressant la mission appellent paritarisme, je répète que le pilier de la légitimité des représentants est bien la mesure de la représentativité, aussi bien à l’échelon de l’entreprise que sur le plan national ou interprofessionnel. Au cours des années passées, la nécessité est clairement apparue, afin de mener à bien des réformes, d’une articulation intelligente entre le dialogue social interprofessionnel et la transposition, dans la loi, des droits ainsi acquis – cela sans pour autant porter atteinte à la souveraineté du Parlement. Dans la perspective des évolutions à venir du dialogue social, susceptibles de résulter de l’application des propositions du rapport de M. Jean-Denis Combrexelle relatif à la négociation collective, au travail et à l’emploi, mon organisation considère l’accord majoritaire comme un préalable. C’est la légitimité démocratique de l’accord majoritaire qui permet de repenser l’articulation entre ce qui relève de la loi et ce qui relève de la négociation dans la branche comme dans l’entreprise.

Les autres enjeux de la négociation portent sur la nécessité de renforcer et de restructurer les branches, mais aussi sur le rôle des organisations syndicales, sans pour autant remettre en cause leur monopole de négociation au sein de l’entreprise et de représentation lors des élections. Nous sommes très attachés à la démocratie représentative : à travers le mandatement, c’est l’intermédiation qui est en cause. Nous sommes opposés au dialogue direct entre employeurs et salariés, fût-ce en recourant au référendum d’entreprise. Enfin, la question du paritarisme de gestion imposera de prendre en compte la nécessité de l’accroissement des compétences des acteurs ainsi que leur nécessaire accompagnement.

À cet égard, l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la modernisation du paritarisme de gestion du 17 février 2012 est exemplaire de la façon dont on a voulu renforcer la légitimité des acteurs.

La première des préoccupations a été de rendre plus visible ce qui est produit par le dialogue social et le paritarisme. Un certain nombre de droits, dans le domaine de l’assurance chômage ou la retraite complémentaire, par exemple, sont construits par le dialogue social et gérés par le paritarisme. Pourtant, les salariés perçoivent ce dernier comme un magma au sein duquel ils ne discernent pas les rôles respectifs de l’État, de la représentation nationale et des partenaires sociaux. Or il nous semble que ce qui légitime l’intervention des partenaires sociaux dans le paritarisme de gestion, c’est précisément leur capacité à représenter, mais aussi à connaître les problématiques à la fois des salariés et des entreprises sur le terrain.

Afin d’établir une distinction claire entre négociation et gestion, il importe que ce ne soit pas les mêmes personnes qui interviennent dans ces deux activités. L’idée nous est souvent opposée que la compétence de gestion prédispose à la compétence de négociation. Nous considérons cependant que ce que nous défendons dans la négociation, ce sont les aspirations des salariés et des entreprises. Autant des gestionnaires peuvent faire partie de la délégation qui négocie, autant ils ne peuvent pas en être les chefs de file. Nous avions demandé que cette distinction soit inscrite dans l’accord de 2012. L’histoire a montré, hélas ! que les impératifs de la gestion peuvent parfois l’emporter sur les objectifs politiques de la négociation.

Dans le cadre des discussions de l’accord du mois de février 2012, nous avions demandé que la gouvernance des instances soit repensée pour renforcer la légitimité des acteurs. Le manque de clarté dans la perception des rôles respectifs de chacun fait le lit de la montée d’une certaine forme de populisme dans notre pays. C’est pourquoi nous avons milité pour que l’accord soit l’occasion de faire la lumière dans les domaines de la limitation du cumul, du non-renouvellement des mandats et de la mixité des conseils d’administration. Nous avons aussi demandé que les représentants syndicaux et patronaux reçoivent, avant et en cours de mandat, une formation dont une partie serait commune, afin qu’ils partagent la connaissance des règles, mais aussi des objectifs, car ceux-ci procèdent de la négociation.

À l’occasion des consultations préalables à l’examen du projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi, nous avons insisté sur la valorisation des compétences acquises au cours de l’exercice des mandats représentatifs dans la gestion des parcours professionnels ; cela était déjà prévu par la loi pour le dialogue social, mais pas pour la gestion.

Enfin, nous avons pointé du doigt ce que nous appelons de façon quelque peu brutale la subordination des conseils d’administration à la « technostructure » des organismes paritaires. Cette situation se vérifie singulièrement à l’Unédic – mais aussi dans la gestion des retraites complémentaires – où le conseil d’administration, dont les membres sont nombreux, ne se réunit que deux fois par an et délègue beaucoup de ses attributions au bureau. Nous avons proposé des solutions de gestion quotidienne propres à rendre leurs prérogatives aux acteurs du paritarisme dans divers domaines : recrutement et rémunération des directeurs généraux, contrôle de certaines procédures financières et administratives, mise en place d’outils informatiques. Nous avons néanmoins conscience qu’au-delà de ces outils techniques, c’est à une révolution culturelle qu’il faudra procéder et que cela demandera du temps.

(M. Arnaud Richard remplace M. Gérard Sebaoun à la présidence.)

M. Franck Mikula, secrétaire national chargé de l’emploi et de la formation à la CFE-CGC. C’est le code du travail qui donne mission aux partenaires sociaux de trouver un accord afin de créer une assurance chômage pour les salariés. L’accord négocié devient une convention agréée par le ministre, et l’assurance chômage est ensuite gérée paritairement.

Le paritarisme est un mode de gestion particulièrement original, que nous souhaitons conserver. À nos yeux, il constitue une voie autonome de régulation sociale, qui trouve sa place entre le tout-marché et le tout-État, en faisant jouer les solidarités professionnelles. Ce paritarisme incarne la conciliation d’intérêts divergents et le dépassement des conflits afin de rendre possible la construction d’un bien commun au service des salariés et des entreprises. Il permet aux bénéficiaires de droits créés par des accords collectifs de gérer, par le truchement de leurs représentants, la mise en œuvre de ces droits ainsi que leur adaptation rapide aux évolutions économiques et sociales. Que les représentants des employeurs et des salariés se côtoient et décident ensemble, au sein des organismes paritaires, augmente les chances de traiter des problèmes complexes par le dialogue social.

Dans la mesure où l’endettement de l’Unédic s’inscrit dans la dette au sens de Maastricht, l’État fait peser sur les négociateurs un certain nombre de contraintes, visant par là un retour à l’équilibre des comptes – pour utiliser un langage politiquement correct. Il est à déplorer que certains ministres, quand bien même l’un est chargé du travail et un autre est le premier d’entre eux, cherchent, par leurs commentaires, à influencer les évolutions du régime d’assurance chômage des salariés français ; l’un faisant remarquer que le taux d’indemnisation, proportionnel au salaire en France, est, pour certains salariés, le plus élevé d’Europe ; d’autres insinuant que, compte tenu du nombre d’emplois non pourvus, il convenait de mettre en œuvre un dispositif d’incitation. Les négociateurs sont indépendants. Ils doivent se détacher de ces tentatives d’influence.

C’est la vertu du paritarisme que de mettre les organismes représentant les salariés et les employeurs en situation de trouver leurs propres compromis avec des accords à durée déterminée, fréquemment renouvelés, ce qui permet de s’adapter au mieux aux évolutions de la conjoncture.

M. Yves Razzoli, président de la Fédération « Protection sociale et emploi » de la CFTC. Les questions qui nous ont été adressées dans le cadre de la préparation de cette table ronde mais ont semblé surprenantes, voire provocatrices, d’autant plus que nous, partenaires sociaux, sommes sérieux dans notre gestion.

Permettez-moi de rappeler que le financement de l’Unédic et du paritarisme provient, pour sa plus grande part, de l’entreprise et des salariés. Aussi, si l’on voulait envisager une autre méthode de gestion que le paritarisme, il faudrait avant tout imaginer un autre mode de financement, par exemple l’impôt, ce qui serait singulièrement difficile.

Vous nous demandez pourquoi les conventions de l’assurance chômage sont subordonnées à des accords interprofessionnels préalables : cela est prévu par l’article L. 5422-20 du code du travail.

À la question consistant à savoir si c’est la première fois que la convention est attaquée devant la juridiction administrative, la réponse est non : le plan d’aide au retour à l’emploi (PARE) avait suscité un tel phénomène. En l’espèce, ce qui sous-tend la démarche est d’une autre nature. Dans une démocratie qui vit et qui fonctionne, il est normal que les choses se passent de la sorte.

S’agissant de savoir si les conventions d’assurance chômage, et plus largement les conventions collectives du travail, devraient relever d’un ordre juridictionnel social, je répondrai en soulignant que la convention d’assurance chômage ressortit au droit privé ; la question ne se pose donc pas.

À nos yeux, le statut associatif de l’Unédic est-il aujourd’hui encore compatible avec des conditions matérielles correctes de fonctionnement ? Je rappelle que l’ensemble des institutions de sécurité sociale relèvent d’un statut associatif et fonctionnent sur un mode paritaire. Le statut de l’Unédic est donc parfaitement compatible avec ses nouvelles conditions matérielles de fonctionnement. D’ailleurs, depuis 2009, on constate que le malade n’est pas l’assurance chômage mais l’emploi, et, par répercussion, l’État. De son côté, l’assurance chômage fait front : elle pratique une sorte de « médecine de guerre » afin de faire en sorte que 10 % de la population française puisse continuer à vivre dignement. Cela n’a pas été le cas dans de très nombreux pays voisins.

De façon assez étonnante, vous demandez si les partenaires sociaux sont susceptibles d’apporter une expertise technique autonome à la négociation de la convention. Nous n’allons pas à la négociation les mains dans les poches ! Nos délégués possèdent une longue expérience du paritarisme ainsi qu’une connaissance approfondie des problèmes de l’emploi. C’est là le fondement du syndicalisme, des salariés comme des entreprises.

M. le président Arnaud Richard. Au regard de ce qu’a indiqué votre collègue au sujet du poids de la technostructure, la question n’est pourtant pas illégitime.

M. Yves Razzoli. Vous posez la question de l’intérêt d’une structure telle que l’Unédic alors que celle-ci a perdu l’essentiel de ses troupes. Cet intérêt réside en premier lieu dans le contrôle financier exercé – c’est d’ailleurs la même chose pour les caisses de retraite et d’allocations familiales. Il n’y a rien de nouveau ; la structure demeure la même. La technostructure est relativement simple : d’un côté, l’Unédic a un rôle de contrôle et de répartition, de l’autre, Pôle emploi a pour mission la mise en œuvre des décisions prises. Au demeurant, chaque organisation syndicale est libre d’avoir son propre avis à ce sujet.

S’agissant de la publicité donnée aux résultats et évaluations des scénarios envisagés, c’est l’accord qui fait l’objet de publicité, pas les hypothèses qui y ont conduit. Le processus est le même que pour la promulgation d’une loi.

Au sujet du paritarisme considéré sous un angle plus général, vous demandez si la faible syndicalisation des travailleurs français du secteur privé, et en particulier des publics les plus exposés au chômage, ne questionne pas le fait que la négociation de la convention d’assurance chômage obligatoire soit menée par les organisations syndicales. Cela est très intéressant. En Belgique, par exemple, le taux de syndicalisation est très élevé parce que, pour percevoir des allocations de chômage dans ce pays, il faut être syndiqué. Il en va de même pour l’assurance maladie complémentaire. Je ne vous rappellerai pas les modes de fonctionnement de la Suède et de l’Allemagne.

L’État organise correctement l’activité syndicale, et chacun est libre d’adhérer ou pas à une organisation syndicale, sachant qu’en cas de problème, il suffit de taper à leur porte pour être accompagné, ce qui n’est pas le cas dans les pays que je viens de citer. Avec plus d’un million d’adhérents, le plus petit de tous les syndicats belges est plus important que le premier syndicat français. Tout simplement parce qu’il négocie, gère et redistribue. Ce n’est pas ce qui est attendu de nous ni ce que nous avons choisi de mettre en place ensemble.

Vous nous demandez enfin si le paritarisme de la formation professionnelle est voué à l’étatisation par Pôle emploi. Je ne comprends pas la question. L’assurance chômage est une chose assez simple : l’Unédic a deux missions premières, la collecte et l’indemnisation, auxquelles viennent s’en agréger d’autres, notamment la formation professionnelle.

M. Éric Aubin, chargé du dossier retraite, membre de la commission exécutive confédérale de la CGT. Le paritarisme est un élément du dialogue social, lui-même constitutif de la démocratie sociale. Notre dialogue social a aujourd’hui besoin d’être rénové. Nous avons formulé un certain nombre de propositions relatives à la négociation interprofessionnelle dont l’assurance chômage fait l’objet. Une discussion sur la réforme des règles est d’ailleurs en cours, bien que, de mon point de vue, elle n’aille pas assez loin.

Le lieu de la négociation n’est pas neutre. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) nous semble particulièrement indiqué : la dernière négociation portant sur le régime d’assurance chômage des intermittents du spectacle s’y est plutôt bien passée.

Nous considérons comme problématique le fait que la présidence de la négociation soit réservée au seul Mouvement des entreprises de France (MEDEF). Nous sommes dénommés « partenaires sociaux ». Cela suppose que toutes les parties soient à égalité. La présidence exclusive de l’un des négociateurs constitue précisément une rupture de cette égalité. Dans le cadre de la négociation sur l’Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC) et l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO), par exemple, nous avons éprouvé de grandes difficultés à faire entendre la voix des syndicats, particulièrement celle de la CGT, lors de l’élaboration du texte de référence. Il serait loyal de débattre des propositions de chacun.

On sait, par exemple, que l’assurance chômage subit les conséquences de décisions prises par ailleurs. Dès lors, saucissonner les négociations sur l’assurance chômage en l’isolant de son contexte pose problème. Ainsi, lorsqu’un gouvernement antérieur a décidé de porter l’âge légal de la retraite de soixante à soixante-deux ans, cela a eu des répercussions sur l’assurance chômage puisque les employeurs se séparent de leurs seniors et que 56 % des salariés ne sont plus en activité au moment où ils font valoir leur droit à la retraite. Ce phénomène n’est jamais abordé dans le cadre de la convention sur l’assurance chômage.

Il en va de même pour l’institution des ruptures conventionnelles : le coût annoncé par l’Unédic au début de la négociation de la convention précédente, en 2012, s’élevait à 4,4 milliards d’euros pour l’assurance chômage. Il ne pourra qu’augmenter à l’avenir puisque le nombre des ruptures conventionnelles est appelé à croître. Nous devrions pouvoir discuter ce déficit, car la crise, si elle est bien présente, ne fait qu’amplifier les choses. Par ailleurs, le coût de la précarité pour l’assurance chômage est de 8,3 milliards d’euros.

Il faut également que les organisations syndicales puissent être consultées sur les évolutions prévisibles de leur financement, de la formation de leurs militants et de leurs parcours, car le jour où il n’y aura plus de représentants syndicaux, il n’y aura plus de paritarisme. Il est de plus en plus difficile de renouveler les troupes, tant pour les représentants des salariés que pour ceux du patronat, et cette question devrait faire partie des discussions portant sur l’avenir du paritarisme.

Pour répondre à la question portant sur d’éventuels précédents recours contre la convention, je confirme qu’en 2001, le Conseil d’État a été conduit à se prononcer. Nous ne sommes pas des zélateurs de la judiciarisation ; nous considérons qu’aller devant les tribunaux signe un constat d’échec du dialogue social. Cela ne peut advenir que lorsque l’on a le sentiment d’être exclu et pas entendu, ou que le débat est refusé. La rénovation du dialogue social devrait nous garder de la judiciarisation, même si, entre 2001 et 2015, deux recours seulement ont été formés devant le juge administratif.

La question de l’endettement de l’Unédic et de Pôle emploi doit être remise en perspective dans le cadre d’une réflexion sur le service public de l’emploi. La France lui consacre deux fois moins de part de son produit intérieur brut (PIB) que nos partenaires nordiques notamment. À l’occasion de la fusion de l’ANPE et des ASSEDIC, la CGT avait insisté sur la prise en compte des précaires. Or aujourd’hui, le service public de l’emploi se consacre principalement aux demandeurs d’emploi et nombreux sont les précaires qui ne repasseront pas par la case chômage. Il est donc nécessaire de revisiter les moyens et prérogatives de l’ensemble du service public de l’emploi.

S’agissant du statut, je partage les propos d’Yves Razzoli. Je n’y reviens donc pas.

Pour ce qui est de la place de l’État dans le paritarisme, nous sommes confrontés à un vrai problème. Dans le cadre de la négociation de la convention Unédic, notamment, c’est l’État qui détermine les objectifs budgétaires à atteindre avant même que les discussions aient commencé. La dernière fois, il nous a été demandé de réaliser 800 millions d’euros d’économies, et nous les avons atteints. Cette fois, la demande sera la même ; à nous de répartir les restrictions entre l’indemnisation et d’autres postes. Il ne peut y avoir pires conditions pour commencer les négociations. J’entends bien que le budget de la nation est voté par le Parlement, mais comment faire pour que la négociation ne soit pas contrainte par ces décisions ? De fait, cela se traduit par une perte de nos prérogatives.

Nous sommes choqués par le tapage fait autour de la fraude à l’assurance chômage, qui revient à faire passer les demandeurs d’emploi avant tout pour des fraudeurs. Attention à ce genre de procédé, qui peut conduire à des résultats politiques catastrophiques tels ceux que l’on a connus au premier tour des élections régionales de dimanche dernier.

En ce qui concerne la participation des partenaires sociaux à la convention tripartite avec Pôle emploi, je tiens tout d’abord à souligner que nous sommes très critiques à l’égard du fonctionnement des services de l’Unédic qui, contrairement à d’autres institutions, sont partiaux et ne sont pas au service de tous. Nous ne remettons pas en cause le travail effectué par ces services, mais nous avons des preuves factuelles de leur mauvaise volonté à l’égard des organisations syndicales négociatrices.

Au fil du temps, nous constatons que les organisations refusant de signer tel ou tel accord sont frappées d’ostracisme. Nous revendiquons le droit d’être signataires ou non et de ne pas, à ce titre, être tenus écartés des négociations. Si le phénomène n’est pas nouveau, il est de plus en plus fréquent, ce qui est incompatible avec l’esprit de la démocratie sociale.

La CGT présente la particularité d’être dotée d’un comité national des privés d’emploi et précaires, qui travaille avec nous sur les questions regardant l’assurance chômage, ce qui ne nous empêche pas de dialoguer aussi avec les associations. S’il semble difficile d’impliquer les associations dans la négociation de l’assurance chômage, elles ont néanmoins toute leur place dans l’élaboration de la convention. C’est pourquoi nous travaillons avec elles et relayons parfois leurs propositions.

Je n’ai, moi non plus, pas bien compris la question relative à la relation éventuelle entre le taux de syndicalisation en France et notre capacité à être acteurs de la négociation. S’il fallait prendre pour critère d’habilitation un taux de syndicalisation élevé, il n’y aurait plus de négociation chez nous, en tout cas celle de l’assurance chômage perdrait sa particularité. Je partage d’ailleurs pleinement le point de vue exprimé par Véronique Descacq au sujet de la représentativité et de l’accord majoritaire : il existe des règles auxquelles la question de la syndicalisation n’est pas liée, même si sa faiblesse constitue pour nous un problème à part entière, mais sur un tout autre plan.

M. Stéphane Lardy, secrétaire confédéral « emploi-chômage-formation » de CGT-FO. Je souhaiterais préciser ce qu’est le paritarisme, car une certaine confusion règne au sujet de ce que sont le dialogue social, la négociation collective, la gestion paritaire et le paritarisme lui-même.

À nos yeux, le paritarisme est une façon d’administrer des droits sociaux entre les organisations syndicales et patronales. Pour sa part, la négociation collective peut aboutir à des accords susceptibles de conduire à une gestion paritaire ; c’est le cas de l’assurance chômage, des retraites complémentaires et de la formation professionnelle. Mais cela ne se produit pas toujours, et je distingue le dialogue social de la négociation collective : le premier est un mode de formalisation du dialogue entre employeurs et salariés qui peut passer par la négociation collective aussi bien que par la concertation en entreprise, à travers des institutions telles le comité d’entreprise, les délégués du personnel ou les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) notamment.

Pourquoi fait-on de la gestion paritaire ? Force ouvrière y est historiquement attachée, car les syndicats ont des choses à dire sur les questions sociales comme la formation professionnelle, la qualification des travailleurs, l’allocation de la force de travail et le salaire différé. La gestion paritaire est encore une façon d’agir en responsabilité. La gestion d’une caisse, le service d’allocations sont des actes qui amènent à la responsabilité collective. Comme je l’ai entendu tout à l’heure, il s’agit d’une manière de troisième voie entre le tout-marché et le tout-État.

La question posée au sujet du mandat sous-tend le débat relatif à la possibilité d’être à la fois gestionnaire et négociateur. Pour ma part, je suis membre du bureau de l’Unédic et je négocie par ailleurs des conventions d’assurance chômage, situation que je ne vis pas sur un mode schizophrénique. Notre organisation nous confie un mandat dont nous délibérons dans nos instances, et nous le respectons. Ainsi, au moment de la dernière négociation AGIRC-ARRCO, nous détenions la vice-présidence de l’ARRCO, mais nous avons dû nous montrer cohérents : lorsqu’on ne signe pas un accord, on ne revendique pas ensuite la présidence. Au demeurant, cela n’a pas été simple compte tenu de la responsabilité historique qu’avait FO dans le domaine des retraites complémentaires.

Lors de la fusion de l’ANPE et des ASSEDIC, l’Unédic a perdu beaucoup d’expertise. Elle en a recouvré une grande partie et cela est sensible dans le suivi des conventions. Elle a reconstitué un service de l’évaluation et de la statistique qui travaille en bonne intelligence avec les services de l’État et Pôle emploi. Il nous est d’une aide précieuse dans les négociations.

Notre organisation a adressé un courrier à l’ensemble des organisations syndicales et patronales au sujet des procédures de négociation interprofessionnelles, dont nous pensons qu’elles doivent être améliorées des points de vue de la préparation, du mode de négociation, du lieu – qui revêt, en effet, un aspect symbolique – et de la gestion des expertises extérieures. Ces questions, nous les traitons comme des objets politiques et syndicaux, nous ne les amenons pas devant la justice. Nous n’avons pas hésité à saisir la justice au sujet de conventions d’assurance chômage, mais jamais sur des questions de loyauté. D’ailleurs, la CGT a été déboutée par le tribunal de grande instance, la cour d’appel et le Conseil d’État qui a rejeté son argumentation portant sur la loyauté.

En France, le législateur nous délègue la gestion paritaire de l’assurance chômage, et donc le soin de fixer des paramètres d’indemnisation. Votre question sous-jacente porte sur la capacité de la gestion paritaire à s’adapter à un contexte économique et social constamment mouvant. Chaque convention relative à l’assurance chômage ou à la formation professionnelle adapte des paramètres d’indemnisation particuliers. Le schéma n’est pas figé depuis 1958. Par exemple, les activités réduites ont été prises en compte en 1995. Le nombre des filières d’indemnisation a été ramené à une seule en 2009. L’adaptation se fait en permanence par rapport au marché du travail. Les règles d’indemnisation influencent les acteurs économiques, les employeurs comme les demandeurs d’emploi ou les salariés. Il ne s’agit donc pas d’une bulle éthérée, coupée des réalités du marché du travail. Pour autant, ce n’est pas l’assurance chômage qui réglera le chômage de masse qui sévit en France depuis vingt-cinq ou trente ans.

Devant cette situation, l’État et le Parlement nous demandent de répondre à des injonctions paradoxales.

Face au chômage de masse, on est tenté de mettre tout le monde en formation, chargeant ainsi la formation professionnelle d’un fardeau qu’elle ne peut pas porter. Dans le cadre du fonds paritaire, qui gère un peu plus d’un milliard d’euros, les sommes ne peuvent pas être mobilisées sans qu’une convention avec l’État ait été passée. L’assurance chômage ne peut pas fonctionner en l’absence de l’agrément de l’État.

De la même façon, l’assurance chômage ou les retraites AGIRC-ARRCO sont incluses dans le périmètre des dépenses publiques suivies au titre du traité de Maastricht. On dit aux partenaires sociaux qu’ils sont libres de leur gestion et qu’il leur revient de déterminer collectivement, à travers un accord, les paramètres de l’indemnisation. Mais lorsque l’endettement cumulé menace d’atteindre 27 milliards d’euros, on comprend que l’exécutif, quel qu’il soit, ait intérêt à ce qu’un accord soit trouvé, plutôt que de « reprendre le bébé ». À cet égard, je rappelle qu’en 2008, l’assurance chômage était sur le point de revenir à l’excédent et qu’un courrier de François Fillon, alors Premier ministre, nous a enjoints de verser une partie des cotisations du régime à la caisse de retraite. Le système paritaire est ainsi constamment confronté à des demandes qu’il n’est pas en mesure de supporter.

Le chômage de masse influe sur nos relations avec l’État et le Parlement. Dès lors, les négociations sont rendues très difficiles, et les prochaines discussions relatives à l’assurance chômage ne pourront qu’être encore plus complexes que les précédentes. De fait, le régime de l’assurance chômage est particulièrement sensible à la conjoncture économique en entrées – soit en cotisations – et en sorties – soit en indemnisations –, et son déficit ne peut aujourd’hui que s’aggraver. Cela n’est pas le cas pour le régime des retraites complémentaires, qui n’est très sensible qu’aux entrées.

L’ensemble de ces paramètres concourt à perturber la relation entre État, Parlement et gestion paritaire. Tant que le chômage de masse pèsera sur elles, la situation risque de se dégrader. Et la pire des tentations serait de recourir à la complète étatisation de l’assurance chômage et de la formation professionnelle, même si, quelque part, cela pourrait nous faciliter la tâche.

M. le président Arnaud Richard. Votre conclusion montre bien que nos questions, bien qu’un peu provocatrices, ne sont pas illégitimes, et constituent un fil directeur utile pour nos échanges.

M. Hervé Léost, sous-directeur chargé des mutations économiques et de la sécurisation de l’emploi à la DGEFP. Dans le cadre de la négociation paritaire, l’État est susceptible d’intervenir – ce qui ne signifie évidemment pas négocier – à divers titres. Par ailleurs, certaines règles relèvent de la loi et du règlement. Pour entrer en vigueur, la convention doit être agréée : c’est là une partie importante du rôle de l’État, qui peut aussi intervenir lors de sa préparation.

L’agrément est au cœur de la compétence de l’État et, partant, de la DGEFP. En son absence, la convention ne peut pas être appliquée. L’article L. 5422-21 du code du travail précise que l’agrément rend obligatoires les dispositions de l’accord pour tous les employeurs et tous les salariés.

Au titre des critères retenus, l’accord doit avoir été négocié et conclu par des organisations représentatives. Il ne doit pas comporter de stipulations incompatibles avec les dispositions légales en vigueur. À cette fin, un contrôle de légalité des règles établies par l’accord est effectué par la DGEFP. Si des incompatibilités avec des dispositions légales en vigueur sont constatées, le ministre doit refuser l’agrément. Dans la pratique, l’État est conduit à modifier certaines dispositions réglementaires afin de tirer les conséquences de ce qui a été conclu dans la convention. Ainsi, la dernière convention de l’assurance chômage de mai 2014 a donné lieu à des modifications réglementaires portant sur la durée d’indemnisation, à la suite de l’accord conclu sur le mécanisme des droits rechargeables. La convention de 2014 a fait l’objet d’un agrément complet, mais il en existe de partiels.

Le contrôle n’est pas que de légalité, ce que le Conseil d’État avait précisé en 2001. Le pouvoir d’appréciation du ministre est plus large. Il peut aussi s’opposer à l’agrément sollicité pour des motifs d’intérêt général, tels que la nécessité de préserver l’équilibre financier du régime ou la protection des droits des travailleurs privés d’emploi. Si l’agrément est refusé, les règles d’indemnisation sont fixées par un décret pris en Conseil d’État. C’est ce qu’il est advenu de la convention de juillet 2000 : un décret a prorogé la convention précédente de 1997 jusqu’à ce qu’un nouvel accord ait été conclu au début de l’année 2001.

Les exemples de refus d’agrément sont très rares. Il en est d’autres de refus partiel d’agrément, ce qui fut le cas en 2009, au sujet de la durée d’affiliation qui avait été jugée incompatible avec certaines dispositions législatives. Cependant, la stipulation en cause avait été considérée comme détachable de l’ensemble de la convention qui avait ainsi fait l’objet de la délivrance d’un agrément partiel.

L’agrément emporte plusieurs interventions de l’État, en aval ou en amont de la négociation, mais aussi un suivi précis de la progression de celle-ci. En amont de la négociation, et cela a été évoqué ce matin, le ministre peut faire des déclarations publiques ; il peut aussi communiquer des documents d’orientation. En 2013, la négociation de l’accord national interprofessionnel, qui portait sur l’emploi de façon plus générale, avait été précédée par un tel document, lequel concernait des sujets relatifs à l’assurance chômage, notamment la modulation des contributions en fonction de la nature des contrats. Ce document avait été pris en compte dans la négociation de l’ANI, qui avait abouti à la loi de sécurisation de l’emploi ainsi que dans la convention qui a suivi.

Des réunions officielles ou de grandes conférences peuvent aussi être convoquées, ce qui fut le cas en 2007 avec la grande conférence relative à l’emploi et au pouvoir d’achat, dont certains thèmes touchaient à l’assurance chômage. Toujours dans le cadre de l’amont de la négociation, l’État doit remettre à la fois aux partenaires sociaux et au Parlement, un rapport sur la situation de l’assurance chômage, établi sur la base d’un document élaboré par l’Unédic.

La négociation fait l’objet d’un suivi le plus précis possible, l’objectif étant d’anticiper sur l’agrément à venir. Lors de la conclusion de l’ANI – qui, une fois conclu, devait être traduit dans la convention –, des échanges ont eu lieu entre la DGEFP et l’Unédic afin de préparer l’agrément et détecter des risques potentiels portant sur la légalité de la future convention.

Les échanges sont très nombreux en aval de la négociation, tant avec l’Unédic qu’avec Pôle emploi, au sujet de difficultés opérationnelles susceptibles de se présenter. Celles-ci peuvent conduire à la conclusion d’avenants à la convention ou alimenter la préparation de la négociation à venir. Des échanges techniques très nourris permettent aussi de repérer des problèmes de nature à gêner la mise en œuvre de la convention.

Mme Véronique Descacq. L’État intervient dans le cadre de la négociation collective à deux niveaux différents, soit directement, soit à des fins d’articulation. Cette deuxième possibilité est tout à fait légitime s’agissant de la négociation de l’assurance chômage, puisque la convention doit faire l’objet d’un agrément. Ce mécanisme juridique n’est contesté par personne. D’autres articulations existent : le contrôle de légalité au moment de l’agrément, la vérification de la faisabilité pour Pôle emploi, entre autres.

En revanche, je conteste l’idée que les documents d’orientation puissent donner des instructions à la négociation. Je rappelle que ce document est issu de la conférence sociale. Il est fondé sur les propositions des partenaires sociaux qui participent à la conférence. Par ailleurs, pour l’ANI de 2013, le document cité ne concernait en rien l’assurance chômage. L’État n’a pas à intervenir sur le fond des accords politiques, et nous sommes attachés à cette autonomie.

Il est vrai que certaines déclarations de ministres pourraient passer pour de l’intervention. Pour ma part, je considère qu’elles ont un caractère de communication plutôt qu’un réel poids sur la négociation. Elles participent tellement de la communication qu’elles se contredisent parfois. Ce peut être Bercy qui fait état de contraintes financières majeures à respecter, évoquant parfois des engagements pris auprès de Bruxelles qui ne sauraient lier les négociateurs ; mais ce peut aussi être le ministère de la Culture qui nous demande, au contraire, de préserver certains champs de l’assurance chômage, ou encore le ministère du Travail, susceptible d’intervenir sur d’autres sujets. En tant que négociatrice, je suis en mesure de dire que personne ne se permet de nous donner des instructions. D’ailleurs, cela adviendrait-il que l’accueil ne serait guère aimable.

Encore une fois, il convient de bien distinguer ce qui relève de l’articulation entre la démocratie politique et la démocratie sociale, qui se manifeste à travers le rapport de l’État remis au Parlement et la délivrance de l’agrément, et ce qui relève de l’intervention politique brutale, particulièrement malvenue lorsqu’elle se produit, même s’il s’agit plus souvent de communiquer que de peser sur la négociation.

En ce qui concerne l’expertise, je tiens à souligner que, dans la négociation en général, les partenaires sociaux manquent parfois d’experts susceptibles de les assister. C’est probablement une des raisons de l’échec des négociations sur le projet de loi relatif à la modernisation du dialogue social. En revanche, cela ne se vérifie pas dans les domaines de l’assurance chômage ou de la retraite complémentaire, précisément grâce à leur gestion paritaire. Je souscris totalement aux propos de Stéphane Lardy : le degré d’autonomie dans l’expertise acquis dans les négociations portant sur l’Unédic ne peut pas être contesté.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Dans le cadre des travaux de la mission d’information, notre première préoccupation est de comprendre comment sont répartis les rôles respectifs de chacun. À notre grande surprise, nous n’avons trouvé aucun document émanant de l’État établissant un recensement, avec des données quantitatives portant, dans le temps, sur les personnes concernées – quel que soit leur statut – ou l’argent géré ; cela vaut pour toutes les formes de paritarisme connues.

Plusieurs d’entre vous l’ont dit, le système a évolué au fil de l’eau, alors qu’il avait été conçu dans un monde totalement différent de celui d’aujourd’hui, dans lequel toute une carrière se déroulait au sein de la même entreprise, de l’âge de seize ans à celui de la retraite. À l’époque, il était possible de gérer l’assurance chômage comme une caisse indemnisant un accident peu coûteux, et la perspective était de retrouver rapidement du travail. Les partenaires sociaux avaient toute légitimité à gérer le système sans que l’intervention de l’État ou du Parlement soit nécessaire.

La prévoyance devient un élément stratégique de la protection sociale dès lors que les déremboursements sont toujours plus importants et que les divers forfaits existants réduisent la part de l’assurance maladie. Dans un tel contexte, l’intervention du Parlement et de l’exécutif devient nécessaire, ce qui pose la question des interactions évoquée par Éric Aubin. Dans une situation de très fort chômage, repousser l’âge du départ en retraite revient à transférer les déficits de l’assurance vieillesse vers l’assurance chômage, sans pour autant régler les problèmes. Le risque n’est d’ailleurs pas que collectif, il est aussi individuel pour les chômeurs arrivant en fin de droits, qui basculent dans d’autres systèmes, connaissant par là une grave perte de ressources, notamment des droits à l’assurance vieillesse.

Bref, le monde du travail et de l’entreprise connaît des évolutions qui interrogent le système. Conduisez-vous une réflexion sur l’avenir ? Pour ma part, je considère que, dans le cadre d’un paritarisme pur et dur, ce qui est le cas pour les retraites complémentaires et l’Unédic, le système fonctionne : les caisses sont gérées, malgré le déficit de l’Unédic, cependant inévitable au regard de la situation de l’emploi ; l’équilibre est trouvé pour les retraites complémentaires, et nul n’est choqué par l’existence de déficits dans un tel contexte – même le patronat s’y résigne, ce qui constitue une nouveauté.

La gestion paritaire est donc efficace, puisque condamnée à aboutir à un accord, faute de quoi il faut recourir à des expédients et attendre une reprise en main par l’État. Dans le même temps, le paritarisme se trouve confronté à des questions qui concernent l’ensemble de la société. Dans ce contexte, pensez-vous que certaines gestions paritaires devraient devenir tripartites ou quadripartites, en incluant les régions ?

Une deuxième question que nous souhaitons approfondir porte sur la sécurité sociale professionnelle : réfléchissez-vous à une gestion transversale des carrières des salariés qui appréhenderait à la fois l’assurance chômage et l’emploi, à l’instar de la proposition de loi d’expérimentation pour des territoires zéro chômage de longue durée, adoptée hier soir en première lecture, tendant à transformer des allocations de chômage en aides à l’emploi – question que l’Unédic s’est longtemps posée – ainsi que les retraites ? Le compte personnel d’activité que nous tentons de créer nécessiterait une telle forme de gestion, associant les partenaires sociaux au premier chef. Comme l’a souligné Stéphane Lardy, vous avez des choses à dire sur ces questions, et ces choses sont peut-être ici les plus importantes. Menez-vous une réflexion sur ces sujets ?

Ma troisième question concerne les nouvelles formes d’activité – auto-entrepreneuriat et autres plateformes collaboratives – qui, naguère, pouvaient relever du salariat. Ces nouvelles formes d’emploi ne donnent lieu ni à cotisations, ni à contributions sociales, ni à assurances. Vos réflexions sur le régime des intermittents du spectacle, dont la situation est assez proche, peuvent-elles être utiles pour trouver une façon de gérer ce risque ? Faut-il donner à choisir entre salariat ou entreprise par la loi ou faut-il inventer un nouveau secteur ?

Ma dernière question sera un peu plus politique, au sens noble du terme.

En tant qu’organisations de salariés, vous êtes confrontés à des dilemmes. Si vous ne signez pas d’accord avec le patronat, c’est la gestion paritaire et le dialogue social qui s’arrêtent pendant un certain temps. Vous êtes aussi conduits à revenir sur certains principes forts alors que vous ne le souhaitez pas, par exemple réduire les durées de prescription pour les prud’hommes ou réduire les indemnités de chômage. N’avez-vous pas, parfois, la tentation de laisser au législateur le soin de gérer ces questions ? Au fond, un mauvais accord vaut-il mieux que pas d’accord du tout ?

M. Gérard Sebaoun. En matière de formation professionnelle, les partenaires sociaux sont souvent accusés de favoriser les salariés par rapport aux chômeurs. Qu’en pensez-vous ?

Croyez-vous qu’il y ait un niveau de cotisation soutenable ?

Que pensez-vous du fait que le secteur privé vienne remplir partiellement certaines missions de Pôle emploi ?

M. Stéphane Lardy. Depuis 2004, c’est la région qui a la compétence de la formation des demandeurs d’emplois. Cela n’empêche pas que l’on demande aux partenaires sociaux de former les demandeurs d’emplois, ce que fait le fonds paritaire au niveau national. Pour le coup, nous devons avoir une gestion schizophrène.

Plutôt que de parler d’un niveau de cotisation soutenable, il faudrait regarder ce qu’il produit derrière. Il en est de même que pour les prélèvements obligatoires, à propos desquels le Conseil des prélèvements obligatoires a conclu, au terme d’une très bonne étude, que la notion de prélèvement obligatoire n’a pas de sens si l’on ne voit pas ce qu’elle produit derrière.

S’agissant du service public de l’emploi, il n’y a pas d’intrusion plus forte qu’auparavant des opérateurs privés. Il peut être intéressant de faire appel à des opérateurs privés spécialisés dans certains types de placement, mais on ne peut pas dire de manière générale que l’un ou l’autre des secteurs, privé ou public, est meilleur. Le système ne marche pas mieux dans les pays où il est géré totalement par les opérateurs privés. Pôle emploi sous-traite près de 50 % de son accompagnement, mais pas nécessairement au secteur privé. Des associations comme l’Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) interviennent aussi pour son compte.

Je ne sais pas jusqu’où on doit aller pour sauver le paritarisme. C’est une question que nous nous posons lors de chaque négociation. Malheureusement, nous sommes toujours dans des accords de défense. Dans l’accord sur l’assurance chômage que nous avons signé, nous avons, selon nous, évité le pire.

Nous avons abordé les nouvelles formes d’activité lors du débat sur le portage salarial. Certaines personnes qui les pratiquent sont venues à Pôle emploi demander à bénéficier de l’assurance chômage. L’historique du droit du travail montre que tous les corps sociaux ont fait en sorte de tendre vers le salariat. La question des zones grises existe depuis très longtemps ; le livre VII du code du travail en fournit maints exemples. La question qui va se poser, c’est de savoir s’il faut amener ces nouvelles formes d’activité vers le salariat ou vers la protection du salariat. Ce sont des questions qu’il faudra régler de façon globale, au regard tant du droit du travail et du droit social que du droit fiscal et du droit de la concurrence.

Quant aux évolutions que va connaître le paritarisme, j’attends avec impatience la définition que vous allez donner de la gestion paritaire.

M. le rapporteur. Dans l’accord que vous avez signé en 2012, le paritarisme s’entend très largement puisqu’il embrasse la négociation collective, le dialogue social et le paritarisme de gestion.

M. Stéphane Lardy. Signer un accord ne signifie pas que l’on soit d’accord avec toutes les dispositions qu’il contient. Le paritarisme, c’est la gestion entre employeurs et salariés. Pôle emploi, ce n’est donc pas du paritarisme. L’Unédic, c’est du paritarisme, le commissaire du Gouvernement n’étant là que pour le contrôle de légalité.

Le paritarisme, nous y tenons, mais il n’est pas possible de faire abstraction du contexte que nous connaissons. On pourrait changer les règles de l’assurance chômage pour les plus de cinquante ans, par exemple, en conditionnant le versement des allocations non plus à l’activité au cours des trente-six derniers mois mais à l’âge de cinquante-cinq ans, mais ce serait du cynisme pur : les gens seront toujours là. Ce qui changerait, c’est l’articulation puisqu’ils demanderont à bénéficier des allocations de l’État, comme l’Allocation de solidarité spécifique (ASS) ou la prime d’activité. C’est pourquoi je ne crois pas à l’autonomie des partenaires sociaux en matière de gestion paritaire, nous ne sommes pas dans un monde à part. Toute la question est d’articuler les dispositifs qui émanent de l’État, des régions et des départements. Je ne pense pas non plus que ce serait plus simple si l’État faisait tout. En tout cas, ce qui nous pose problème, ce sont les conséquences sur l’assurance chômage qu’entraîne la mise en place d’un dispositif, s’agissant des retraites par exemple.

Enfin, je veux répondre à M. Léost. Cela fait plus de dix ans que l’on parle du bonus-malus à l’assurance chômage. Je suis content que l’État ait repris, dans son document d’orientation, une proposition qui émanait des organisations syndicales et patronales au sujet de la surcotisation pour les contrats courts.

Mme Véronique Descacq. Monsieur Germain, nous vous enverrons les travaux préparatoires à l’accord de 2012. Nous avons dressé un tableau récapitulatif de l’ensemble des formes de paritarisme, qui met en évidence les modalités d’articulation qui existent ou non avec l’État.

L’accord de 2012 propose une définition de ce que sont la négociation, le paritarisme de gestion et le paritarisme pur, c’est-à-dire celui dans lequel l’État n’intervient pas. Il précise, dans son introduction, qu’il ne traite que du paritarisme de gestion. Cet accord a été limité au paritarisme national interprofessionnel. Dans la mesure où il met en œuvre des règles de bonne pratique en matière de gouvernance et de transparence financière notamment, votre mission pourrait suggérer que son contenu puisse être étendu à l’ensemble du paritarisme, y compris régional par exemple.

Nous réfléchissons également à un sujet issu de la réforme de la formation professionnelle et du financement du dialogue social. Pour redonner de la légitimité aux acteurs en assurant la transparence, en particulier sur les questions de financement, la réforme de la formation professionnelle a abouti à la création d’une instance qui gère le financement du dialogue social, qui est nécessaire en amont de la gestion paritaire. La transparence qui existe désormais dans la formation professionnelle devrait être étendue aux autres champs du paritarisme. Certaines modalités de financement de la protection sociale, en particulier, gagneraient à être plus transparentes et rationalisées. Selon nous, ce fonds a vocation à rassembler l’ensemble du financement du dialogue social et du paritarisme.

Vous nous demandez si nous réfléchissons à une évolution de l’articulation entre ce qui relève du paritarisme et ce qui relève de l’État. Bien évidemment, nous le faisons en permanence. Lorsque l’État modifie l’âge légal de départ à la retraite, nous sommes bien obligés d’en tenir compte dans les négociations sur les retraites complémentaires. Par égard pour les salariés que nous représentons, il nous faut précisément organiser cette articulation. Pour notre part, nous nous sommes engagés à prendre en compte les évolutions des régimes généraux de retraite dans la négociation sur les retraites complémentaires, mais le patronat doit en faire autant. Il est hors de question qu’il refuse d’entendre parler des dispositifs issus de la réforme sur les régimes de retraite de 2013, par exemple en matière de carrières longues ou d’âge de départ à la retraite. Nous tenons à cette bonne articulation entre les dispositions légales, l’intervention de l’État et le travail des partenaires sociaux.

Il en est de même en ce qui concerne l’assurance chômage. L’articulation actuelle entre le régime d’assurance chômage et la façon dont la solidarité prend ensuite en charge les personnes privées d’emploi n’est pas satisfaisante. Cela fait des années que nous essayons de faire traiter cette question au niveau paritaire. La gestion doit-elle être multipartite ? Je n’en suis pas sûre. C’est d’ailleurs pourquoi, monsieur Germain, le problème ne me semble pas devoir être abordé sous l’angle de la sécurité sociale professionnelle. Ce qu’il faut savoir, c’est de quoi ont besoin les individus pour sécuriser leur parcours : d’une meilleure coordination ou cohérence entre les différents dispositifs de protection sociale existants – étatiques, paritaires ou mixtes ? D’une harmonisation des règles d’entrée dans les dispositifs, par exemple du seuil d’heures travaillées ? Voilà les vraies questions ! Il faut partir du besoin réel des individus, qu’ils soient salariés ou non, plutôt que d’un dispositif institutionnel en s’imaginant que l’on réglera le problème en créant une énième branche de la sécurité sociale. Au contraire, on risque de le complexifier et on ne fera que mettre en œuvre un chantier qui n’aboutira jamais.

À nos yeux, le compte personnel d’activité peut apporter une réponse intelligente à ces questions en partant des besoins et des demandes des individus. La sécurisation des parcours professionnels passe par la capacité à pouvoir se former quel que soit son statut – salarié, indépendant, agent ou contractuel de la fonction publique. Nous réfléchissons autour de l’idée d’un socle de droits communs à tous les travailleurs, qu’ils soient salariés ou dans la zone grise à la frontière du salariat, dans un lien de dépendance non pas juridique avec un employeur mais économique avec un donneur d’ordres. La sécurisation des parcours professionnels passe aussi par les parcours de vie. Pour avoir un emploi, il ne suffit pas d’avoir une bonne formation, une qualification ; il faut avoir accès aux soins, à un mode de garde, entre autres. Mieux vaut une meilleure coordination des acteurs plutôt qu’une tuyauterie institutionnelle supplémentaire qui ne réglera rien.

Lorsque la CFDT s’engage dans une négociation, son objectif est d’adapter le régime de protection sociale aux nouveaux besoins des individus compte tenu de l’évolution de l’économie et du monde du travail. Le statu quo n’est pas possible. Il faut changer les choses parce que le salarié a besoin de sécuriser son parcours et l’entreprise a besoin de davantage de souplesse. C’est à partir de cela que nous élaborons notre cahier revendicatif. Et à la fin, nous regardons si nous avons abouti à une meilleure sécurisation pour les salariés, voire pour les entreprises. C’est la seule question qui vaut. Quel est l’intérêt de gérer un dispositif dont on ne partagerait pas la philosophie ?

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Je veux revenir sur la manière dont vous travaillez. Vous avez évoqué à plusieurs reprises les questions du lieu et du texte de référence. Moi, ce qui m’intéresse, c’est le temps qui s’écoule entre le moment où une idée germe et celui où elle entre en application. Par exemple, le compte personnel d’activité et la sécurisation des parcours sont des expressions qui sont dans le langage courant commun depuis vingt ans.

Deux d’entre vous ont souligné l’intérêt qu’il y aurait à tenir les réunions au CESE. Je suis inquiète que l’on se pose ce genre de question. Ne serait-il pas plus simple qu’elles aient lieu à l’Unédic ? Le niveau de crispation atteint m’inquiète.

Les régions ont toujours eu la responsabilité de la formation des jeunes, elles ont dorénavant celle des chômeurs. Mais personne ne parle de l’articulation avec les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) que nous tentons de mettre en place. Or c’est la grande question, puisque les OPCA s’intéressent aux salariés tandis que la région s’occupe des chômeurs et des jeunes sans emploi. Ceux qui ont construit le système il y a trente ou quarante ans arrivent à la retraite. Il est donc temps de le repenser car les jeunes qui arrivent sur le marché doivent être bien formés au monde d’aujourd’hui, c’est-à-dire aux nouvelles technologies et aux nouvelles formes d’emploi. Dans ma région, je vois bien que le développement de l’emploi individuel est massif. Le portage salarial me semble même être un vocabulaire d’un autre temps.

Enfin, qui écrit les textes de référence, qui les compile ? On voit bien comment fonctionne la COP21, qui est un travail collectif. On ne sait pas s’il va aboutir, mais chacun arrive avec ses positions et ses postures. Aujourd’hui, l’assurance chômage ne semble pas suivre un tel scénario.

M. Éric Aubin. Actuellement, seulement 9 % de ceux qui demandent une formation y ont accès, et pas avant quatre mois. La situation a déjà été améliorée, mais beaucoup reste encore à faire.

En ce qui concerne les financements, il faut responsabiliser les employeurs, car, dans certaines branches, les salariés restent au SMIC toute leur vie, n’accèdent à aucune formation tout au long de leur carrière et se retrouvent au chômage à cinquante ans. Dans ce cas, quelle est la responsabilité des employeurs ? Ne devrait-on pas leur demander de financer la formation des salariés qu’ils n’ont pas assumée pendant la période de travail de ceux-ci ?

La soutenabilité ne peut pas être un point d’accroche de la négociation pour les négociateurs. Du reste, on leur objecterait systématiquement que le niveau de cotisation n’est pas soutenable. Pour notre part, nous défendons l’idée d’une cotisation modulée. S’agissant des contrats courts, par exemple, nous sommes favorables à une vraie modulation qui responsabiliserait les employeurs dans leur politique d’emploi. Ce serait un moyen de combattre les abus en matière de contrats précaires, qui coûtent cher à l’assurance chômage.

La question des opérateurs privés est liée à celle des moyens de Pôle emploi face à la montée du chômage. Nous défendons l’idée d’un grand service public, mais nous voyons bien que c’est difficile. Il faut contrôler les opérateurs privés, les sanctionner le cas échéant. Dans une période récente, on a vu que les opérateurs privés coûtaient bien plus cher à l’Unédic alors qu’ils n’apportaient pas un aussi bon service que Pôle emploi.

S’agissant de la formation des chômeurs, la question de la relation entre donneur d’ordre et sous-traitant est intéressante.

Enfin, pour ce qui est du lieu de la négociation, la question s’est posée d’aller à l’Unédic lorsqu’il s’agit de l’assurance chômage, ou à l’AGIRC-ARCCO quand il s’agit de la retraite complémentaire. À ma connaissance, personne ne s’opposerait à cette solution. La question est plutôt d’ordre matériel.

En ce qui concerne l’élaboration du texte, les travaux du Conseil économique, social et environnemental pourraient nous être très utiles dans la conception des textes de référence pour la négociation interprofessionnelle. Or aujourd’hui on constate que les travaux du Conseil sont peu connus, peu utilisés. Et on ne peut pas y faire référence dans les négociations interprofessionnelles.

M. Denis Gravouil, secrétaire général de la CGT-Spectacle. Nous défendons l’idée d’une sécurité sociale professionnelle parce qu’une course de vitesse est engagée entre les droits attachés au salariat et des droits atomisés. Les nouvelles formes d’emploi sont, certes, légitimes, mais le recours abusif au statut d’auto-entrepreneur fait sortir les salariés de la protection sociale et déshabille totalement les caisses sociales.

Cette question est en lien avec la négociation sur le compte personnel d’activité. Il ne s’agit surtout pas d’aboutir à une modélisation de l’ensemble des droits avec une espèce de compte dans lequel piocherait le salarié. Cela ne ferait que renforcer la précarité, les salariés les plus précaires se retrouvant à devoir choisir entre leur assurance chômage et leurs droits à une retraite future.

Nous avons relevé à plusieurs reprises que nous n’avions pas accès de façon égale aux informations, y compris émanant de l’Unédic. En la matière, l’État, et en particulier la DGEFP, a peut-être son mot à dire. Cela nous éviterait d’avoir le sentiment que le MEDEF a les informations avant nous et cela nous aiderait lors des négociations.

M. Yves Razzoli. L’axiome de base de tous nos débats, c’est que l’entreprise ne crée pas d’emploi si elle n’en a pas besoin. On pourra former tant qu’on voudra, rien n’y fera. Le problème, c’est bien l’emploi qui est totalement lié à la conjoncture. La crise que nous traversons ne permet pas aujourd’hui de mettre en œuvre les solutions pertinentes que vous avez évoquées, notamment la sécurité sociale professionnelle. Sinon, on risque de se retrouver dans la même situation qu’au moment de la création de Pôle emploi. Cet organisme a été mis en place au plus mauvais moment, alors que l’on avait besoin de toutes les troupes de l’ANPE et de l’Unédic sur le pont. On a créé un chaos organisationnel alors qu’on avait besoin de professionnalisme. J’espère cependant que la proposition de la sécurité sociale professionnelle pourra prendre toute sa valeur prochainement.

Pour ce qui est du lieu, bien évidemment que l’on peut se réunir ailleurs qu’au MEDEF ! Nous sommes tous d’accord pour dire que les négociations peuvent avoir lieu dans les bureaux de l’Unédic. Les soucis matériels peuvent être résolus facilement.

Monsieur Sebaoun, l’intrusion du secteur privé dans Pôle emploi n’est pas une nouveauté. En son temps, l’ANPE faisait appel à 3 000 opérateurs privés, car elle ne pouvait pas faire face à toute la demande. Les résultats n’étaient pas forcément meilleurs, mais il en a toujours été ainsi.

M. Franck Mikula. Le reproche adressé aux partenaires sociaux de favoriser les salariés par rapport aux demandeurs d’emploi en matière de formation professionnelle pourrait laisser penser qu’il y a une séparation très nette entre les deux, comme s’il y avait deux équipes. En fait, ce sont bien souvent les mêmes qui passent alternativement de l’une à l’autre. Plus on encouragera et financera la formation professionnelle à l’intérieur de l’entreprise, meilleures seront les chances de reclassement en cas de perte d’emploi. Bien souvent, les demandeurs d’emploi n’ont pas bénéficié de formation professionnelle pendant leur vie professionnelle, ce qui ne favorise pas la sécurisation de leur parcours et leur retour à l’emploi. En licenciant des salariés de cinquante ans et plus alors qu’on n’a pas fait l’effort de leur offrir une formation pour maintenir leur capacité à occuper un emploi, comme la loi y oblige, on crée du chômage de longue durée.

J’ai le sentiment que les nouvelles formes d’emploi ne sont qu’une affaire de dumping social. Elles se développent tout simplement parce qu’il n’y a pas de cotisations sociales à payer. C’est du quasi-travail au noir. En Californie, dès lors que le juge estimera qu’Uber doit payer les cotisations sociales ou les taxes sur l’emploi, l’entreprise fermera. Il faut donner à ces actifs des droits en matière de formation professionnelle, de protection sociale, ce qui aura un coût. Dès lors que l’écart entre le coût du salariat et le coût de ces nouvelles formes d’emploi se résorbera, on verra leur nombre croître moins rapidement.

Quant à déterminer quel est le niveau de cotisation soutenable, mieux vaut interroger le coût global de l’emploi. Il ne faut pas se faire d’illusion : si demain cette assurance ne reposait plus sur les cotisations sociales, elle se traduirait par des impôts, car, dans ce pays, nous avons fait le choix collectif de créer un tel amortisseur social.

M. le président Arnaud Richard. Merci d’avoir répondu à nos questions.

*

* *

Puis la mission d’information sur le paritarisme procède à l’audition des négociateurs de la convention Unédic au titre des représentants d’employeurs en présence de la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) au ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, avec la participation de :

– M. Jean-François Pilliard, délégué général de l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM), vice-président de l’Unédic, accompagné de M. Antoine Foucher, directeur général adjoint du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) ;

– M. Pierre Burban, secrétaire général de l’Union professionnelle artisanale (UPA), accompagné de Mme Caroline Duc, conseillère technique ;

– et M. Hervé Léost, sous-directeur en charge des mutations économiques et de la sécurisation de l’emploi, accompagné de Mme Marie Marcena, adjointe au chef de la mission indemnisation du chômage de la sous-direction des mutations économiques et de la sécurisation de l’emploi (DGEFP).

M. le président Arnaud Richard. Nous poursuivons nos travaux en accueillant les représentants des employeurs dans la négociation de la convention de l’assurance chômage.

Mme Geneviève Roy, vice-présidente de la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME), que nous avions invitée, ne peut malheureusement être présente ce matin pour des raisons de santé.

M. Jean-François Pilliard, délégué général de l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM), vice-président de l’Unédic. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je dois vous faire part de nos interrogations à la lecture du questionnaire que vous nous avez envoyé.

Certaines questions peuvent laisser supposer que nous sommes sur la sellette et que l’exécutif ou l’État serait mieux à même de gérer correctement l’Unédic que les partenaires sociaux. Si l’État gérait mieux que les partenaires sociaux, cela se saurait depuis longtemps ! Quand on regarde comment est gérée la Sécurité sociale versus l’assurance chômage, on se rend compte que si nous devons faire des progrès, ceux-ci peuvent être très largement partagés.

Nous acceptons très volontiers la critique sur le paritarisme et nous sommes conscients des progrès que nous devons réaliser, mais si l’État et le Parlement ont évidemment leur rôle à jouer, les partenaires sociaux ont aussi le leur ; nous sommes convaincus également du rôle fondamental de l’Unédic, et de la valeur ajoutée certaine que constituent les partenaires sociaux dans la négociation.

Ni l’Unédic, ni Pôle emploi ne sont responsables du chômage en France. Si l’assurance chômage est en déficit, c’est bien parce qu’un grand nombre de nos concitoyens sont sans emploi. Il ne faut pas renverser l’ordre des facteurs…

S’agissant du pilotage de Pôle emploi et du rôle des partenaires sociaux, je rappelle que l’Unédic finance Pôle emploi pour deux tiers ; autrement dit les partenaires sociaux apportent 3,5 milliards d’euros dans le fonctionnement de Pôle emploi à travers les cotisations des salariés et des employeurs. Aujourd’hui, la façon dont le système fonctionne aboutit cependant à une sorte de déséquilibre : alors que nous sommes les principaux « actionnaires », c’est l’État qui joue un rôle prédominant dans le pilotage.

Vous vous interrogez sur la raison pour laquelle pourquoi les conventions d’assurance chômage apparaissent désormais comme subordonnées à des accords interprofessionnels préalables et si c’est pour favoriser la formation et la mobilité professionnelle plutôt que l’indemnisation du chômage. Il est important de rappeler que les principes de la négociation de la convention d’assurance chômage sont fixés par l’article L. 5422-20 du code du travail qui prévoit que, dans le domaine de l’assurance chômage, les règles d’application des principes fixés par la loi sont déterminées par des accords conclus entre les organisations représentatives d’employeurs et de salariés. D’ailleurs, ce cadre législatif, qui résulte de l’ordonnance n° 84-198 du 21 mars 1984, donne lieu tous les deux ou trois ans à la conclusion de la convention d’assurance chômage à durée déterminée. Ces conventions constituent finalement l’aboutissement de la négociation des partenaires sociaux. Elles sont toujours précédées d’un accord politique appelé, selon les époques, « protocole d’accord » ou « accord national interprofessionnel ». Il comporte les orientations et les principes caractérisant la convention qui sera issue de la négociation. Cela a d’ailleurs été le cas récemment avec la conclusion de l’accord du 22 mars 2014, suivi de la convention du 12 mai 2014.

Pour les partenaires sociaux que nous sommes, il s’agit avant tout de définir les grandes lignes politiques et les principaux équilibres financiers avant d’entrer dans le détail de l’élaboration et de la réglementation que constituent la convention et les textes qui sont annexés. Depuis 1984, la négociation de la convention est précédée de la négociation d’un accord. Il n’y a donc eu aucun changement. En fait, nous n’avons pas compris le sens de cette question…

M. le président Arnaud Richard. Entendons-nous bien : ce questionnaire n’est qu’un fil conducteur. Ne vous limitez pas à celui-ci.

M. Jean-François Pilliard. Mais cela nous permet de préciser un certain nombre de points, notamment quand la manière dont est posée la question ne nous paraît pas reposer sur une analyse rigoureuse de la situation.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Nous tentons de faire le point sur l’état des lieux du paritarisme. Pour ce faire, nous essayons d’établir une cartographie pour savoir qui fait quoi. Des approches ont été faites lors de l’accord interprofessionnel de 2012, mais ce n’est pas exhaustif ni quantifié.

Le questionnaire que vous avez reçu, établi en ce sens, appelle davantage des réponses écrites, qui serviront de support à la partie descriptive de notre rapport. Du reste, si certaines formulations peuvent vous paraître connotées négativement, ce qui n’était pas notre souhait au président et à moi, elles n’appellent que des réponses purement techniques.

Après avoir établi une cartographie, nous souhaitons réfléchir à la façon dont les choses peuvent évoluer. Le système a été conçu à partir d’un mode d’organisation de la production qui est celui de l’après-guerre. Ce modèle avait une cohérence forte, parce qu’il est né du terrain, souvent d’expériences de branches professionnelles qui ont été généralisées. Mais les bouleversements actuels ont provoqué une multiplication des interactions entre politiques de solidarité dans tous les domaines : l’assurance chômage, les retraites de base, les retraites complémentaires, la protection sociale, etc. Et la montée du chômage fait que sitôt que l’on touche un bout du système, on percute tout l’ensemble.

Certes, peu ou prou, le système fonctionne : les choses sont gérées, les droits évoluent, des accords sont trouvés, le déficit demeure, mais des solutions sont recherchées, entre assurance chômage, retraite complémentaire, prévoyance, formation professionnelle et autres. Mais ce champ est-il le bon ? Doit-il évoluer ? Ce qui est paritaire ne doit-il plus l’être ? Faut-il tendre vers le tripartisme voire le quadripartisme avec les régions ? Sommes-nous capables aujourd’hui de suivre la vie d’une entreprise ou d’un salarié de manière globale ? Les nouvelles formes d’activité, l’économie relationnelle, l’ubérisation de la société sont-ils des phénomènes marginaux ponctuels comme toute activité naissante qui finiront par trouver leur place, soit dans le salariat, soit dans l’auto-entrepreneuriat, ou faut-il inventer temporairement ou durablement une tierce forme de sécurité sociale ?

Je le répète, le questionnaire que vous avez reçu servira essentiellement à alimenter plus précisément notre rapport qui se voudra complet, ne vous sentez pas liés par celui-ci dans votre présentation liminaire.

M. Jean-François Pilliard. Je vous remercie d’avoir précisé l’environnement dans lequel se situe le débat, ce qui est de nature à faciliter nos échanges. J’étais d’autant plus surpris que lorsque j’avais été auditionné en tant que vice-président de l’Unédic, la tonalité des échanges était d’une nature assez différente.

Comme nous avons préparé des réponses à vos questions, nous vous les remettrons. Je vais donc reprendre avec un peu plus de hauteur les enjeux dont vous venez de parler.

Commençons par la question du fond des accords. L’assurance chômage, telle qu’elle a été conçue à l’époque, est-elle de nature à répondre à l’environnement d’aujourd’hui ? Nous pourrons aussi rappeler le contexte dans lequel les partenaires sociaux et vous-mêmes êtes placés lorsque nous devons traiter ces questions et de la gestion.

L’assurance chômage a été conçue, comme d’ailleurs bien d’autres éléments de la protection totale en France, à une époque dont les caractéristiques économiques et sociales étaient très différentes de celles que nous connaissons aujourd’hui. C’était un mécanisme d’assurance typique : la croissance était alors régulière et s’il se produisait parfois un accident de conjoncture, il était en général très limité dans le temps. On était donc capable d’absorber assez facilement l’accident et on revenait sur un cycle de croissance.

Ce qui se passe depuis mi-2008 est autre chose qu’une crise au sens classique. On assiste à une transformation très importante de l’environnement en raison de la globalisation de l’économie, et beaucoup d’entre nous ont encore du mal à y répondre. L’émergence de ce que l’on appelle une économie du partage modifie les grands équilibres que l’on connaissait jusqu’à présent. Du côté de l’emploi, on voit s’accumuler au fil des ans des éléments de nature conjoncturelle, mais également structurelle : une part du chômage trouve ses causes ailleurs que dans la baisse du volume d’activité, et notamment dans cette formidable inadéquation entre l’offre et la demande. Entre 150 000 et 170 000 jeunes sortent chaque année sans aucune qualification et 90 000 étudiants quittent l’université en milieu de cursus, donc sans aucun diplôme. Une étude de France Stratégie sur l’illettrisme, réalisée récemment, rappelle que non seulement le niveau d’illettrisme en France est élevé, mais qu’une partie non négligeable des actifs ne possèdent même pas le socle de compétences minimales en français et en mathématiques. Et après, on parle du scandale de la formation… Le véritable scandale, c’est que le système éducatif n’est plus en mesure de produire des hommes et des femmes armés pour aborder l’environnement dans lequel il nous faut désormais évoluer. C’est vrai, l’environnement a profondément changé et l’assurance chômage, telle que nous l’avons conçue, pose question.

Les partenaires sociaux ont pour mission de négocier l’indemnisation. Mais l’accompagnement est totalement absent du champ de la négociation. Et du coup, dans bien des domaines, on s’excuse de la faiblesse de l’accompagnement en surindemnisant – il n’est qu’à comparer avec ce qui se passe autour de nous, en Europe. La France a fait le choix de la dualité du marché du travail : d’un côté, elle protège certaines catégories de concitoyens qui ont accès au travail et, de l’autre, elle protège ceux qui n’y ont pas accès en les indemnisant. La France n’a pas fait ce qu’il fallait. Mais nous avons aussi notre part de responsabilité puisque nous n’avons pas fait collectivement ce qu’il fallait pour que les gens privés d’emploi puissent y revenir rapidement.

J’ai été le négociateur du dernier accord d’assurance chômage. Il est clair que quand vous êtes négociateur et qu’avant même que vous ayez ouvert la bouche, l’exécutif au niveau le plus élevé vous annonce d’emblée – et c’est vrai quel que soit le gouvernement – que le chômage est très élevé et que, dans ces conditions, il n’est pas question de toucher à quoi que ce soit, cela ne facilite pas la recherche de réponses innovantes et courageuses aux problèmes posés !

Lorsque s’est posée la question délicate des intermittents du spectacle, on a laissé les partenaires sociaux traiter le sujet dans des conditions relativement éprouvantes. Ils avaient finalement trouvé un accord, mais l’exécutif est passé derrière, s’est saisi du sujet et, après une concertation assez minimaliste, leur a imposé un système d’une grande complexité qu’ils vont devoir eux-mêmes mettre en œuvre…

Tous ceux qui sont venus à cette table, y compris les organisations syndicales représentants des salariés, vous l’ont sans doute dit : le paritarisme n’est pas sans faiblesses, il doit incontestablement progresser, mais il a également certaines vertus. La première est qu’il amène ceux qui prennent des décisions politiques à en assumer ensuite la gestion ; c’est probablement un levier extrêmement utile pour nous responsabiliser. Il a été question, à un moment, de laisser les partenaires sociaux mettre en place le cadre politique par voie d’accord puis de le sous-traiter à d’autres organismes ; je crois pour ma part qu’il y a un lien très fort entre la prise de décisions politiques et la gestion. Les personnes qui prennent de bonnes décisions sur le plan stratégique et politique en général comprennent comment cela marche et ceux qui exécutent la gestion le font bien parce qu’ils sont clairement associés à la décision. Le paritarisme, en particulier dans le champ de l’assurance chômage, a permis de responsabiliser les acteurs sociaux que nous sommes. Ce n’est pas évident d’être confronté à des arbitrages financiers extrêmement délicats ; nous sommes endettés, il nous faut aller chercher les moyens de remplir notre mission. Cette sensibilisation à l’aspect économique et financier me paraît indissociable des responsabilités qui sont les nôtres.

Je partage tout à fait votre préoccupation sur la question de la protection sociale dont fait partie l’assurance chômage – d’une certaine manière, car elle n’est pas gérée de la même manière que la sécurité sociale, la famille, les retraites ou les accidents du travail. Mais, dans sa finalité, c’est bel et bien un des éléments de la politique de protection sociale d’un pays. Il faut sans doute travailler rapidement pour mieux comprendre en quoi ce que l’on appelle l’économie du partage est susceptible d’affecter à la fois le contenu des systèmes de protection sociale et leur pilotage. N’oublions pas enfin que le temps du politique et le temps des partenaires sociaux sont complètement décalés par rapport au rythme des transformations auxquelles sont soumis notre pays et notre économie. Quid des droits et des contributions demandées à un individu dans un modèle économique où, durant la journée, il sera salarié dans une entreprise selon le modèle traditionnel, avant, le soir, de recevoir chez lui, voire à sa table, des clients, cependant qu’un membre de sa famille s’occupera de la promotion commerciale de sa deuxième activité ? Un nouveau modèle est en train de se développer, qui amène à se poser la question des droits auxquels pourront prétendre les gens qui évolueront dans cette économie du partage, et celle de leur financement : sur tout ce qui touche aux modalités de cotisation et à la fiscalité du système, on en est au tout début des réflexions, mais il va falloir apporter rapidement des réponses.

M. Pierre Burban, secrétaire national de l’union professionnelle artisanale (UPA). Je partage totalement ce qu’a dit Jean-François Pilliard – ce n’est pas toujours le cas.

La France a besoin de confiance. Il faut cesser de passer notre temps à décrédibiliser les uns et les autres, sinon il ne faut pas s’étonner si les extrêmes progressent. Aujourd’hui, la classe politique traditionnelle est décrédibilisée ; et très souvent, les partenaires sociaux le sont aussi. Ensuite, c’est la porte ouverte à tout et n’importe quoi. J’ai bien entendu les remarques qui ont été formulées par M. Germain.

Faisons comme nos amis québécois : positivons ! La France s’en portera beaucoup mieux.

Vous abordez la question du paritarisme sous le prisme de l’Unédic. Mais n’oublions pas que les retraites complémentaires, par exemple, sont elles aussi gérées de façon paritaire. L’UPA est très attachée au paritarisme. Si elle a voulu devenir partenaire social, c’est parce qu’elle a considéré que c’était le meilleur moyen de fixer des règles pour nos catégories d’entreprise. Pendant très longtemps, on a pensé grands groupes. Dans les années soixante-dix, tous les bons économistes soutenaient que l’artisanat et le commerce de proximité étaient appelés à disparaître au profit des grands groupes. Ces économistes avaient certainement raison au vu des éléments dont ils disposaient : l’heure était à la concentration des entreprises et l’informatique était inaccessible pour les petites entreprises, pour des raisons de coût et presque de place. Or ce qui s’est passé dans les années 80-90 a montré l’inverse. Aujourd’hui, 97 % des entreprises françaises comptent moins de 50 salariés, 53 % des salariés y travaillent. Moins de 10 % des salariés travaillent dans des entreprises de plus de 500 salariés. Les partenaires sociaux doivent adapter les règles qu’ils négocient à ces catégories d’entreprise. Ce que nous faisons n’est peut-être pas parfait, mais nous essayons de le faire.

Je ne sais pas si vous connaissez le guide MANDASCOP ; ce document est une première approche du paritarisme – le paritarisme pour les nuls, en quelque sorte… C’est en tout cas un outil intéressant, car on sent parfois une méconnaissance de ce qui est fait dans le cadre du paritarisme.

Vous nous demandez pourquoi les conventions d’assurance chômage apparaissent désormais comme subordonnées à des accords interprofessionnels préalables. Il se trouve que l’UPA n’a commencé à négocier qu’en 1989 ; depuis cette date, nous n’avons connu que ce système. Par définition, la convention est le socle global. On ne renégocie heureusement pas la totalité de la convention – c’est le cas aussi à l’AGIRC-ARRCO. On n’en renégocie que des parties ; du coup, il y a donc systématiquement négociation d’un accord, puis les services de l’Unédic ou de l’AGIRC-ARRCO intègrent les modifications dans la convention de base. Il n’y a donc rien de nouveau sous le soleil.

Votre mission d’information ne peut pas ignorer ce qui est en train de se passer avec le rapport de M. Jean-Denis Combrexelle et la préparation d’un projet de loi par Mme Myriam El Khomri.

Vous nous avez interrogés sur le développement de la judiciarisation – notion que, pour ma part, je préfère à celle de juridisme. Le phénomène n’est pas nouveau, mais il s’est aggravé. En général, ce qui se passe aux États-Unis arrive en France dix ou vingt ans plus tard. La judiciarisation a plutôt commencé du côté des syndicats de salariés, qui sont mis à intenter des recours divers et variés. Mais les organisations patronales que nous sommes y participent aussi. Cela étant, si ce phénomène se développe, c’est aussi parce que les règles votées ici même ne sont pas toujours d’une grande clarté et sont souvent sujettes à interprétation. Le juge doit appliquer les règles de la République telles qu’elles sont écrites. Nous devons faire des efforts pour aboutir à des textes plus clairs qui soient moins sujets à interprétation. La judiciarisation a plutôt commencé dans le cadre des procédures d’agrément ou d’extension, devant les juridictions administratives, en particulier le Conseil d’État. Il se trouve qu’il y a maintenant un développement plus récent dans l’ordre civil. Tout ce qui contribuera à réduire la judiciarisation sera bienvenu. Mais, de grâce, la législation étant déjà très complexe – d’ailleurs les partenaires sociaux ont leur part de responsabilité – n’allons pas inventer un ordre juridictionnel nouveau…

Comme je l’ai dit, l’UPA a souhaité devenir partenaire social parce qu’elle considère, à tort ou à raison, qu’il faut vivre dans un environnement. Nous estimons que l’État doit être présent afin qu’il joue un rôle de régulation, de respect des règles de concurrence. Nous ne sommes pas favorables à la suppression des lois et décrets. Pour autant, ils doivent fixer des grands principes sans intervenir dans tous les aspects de la vie des entreprises. C’est pourquoi nous attachons une grande importance à la négociation. Sans interdire évidemment le développement de la négociation d’entreprise, l’UPA est plutôt favorable à la négociation de branche, alors que le MEDEF est plutôt favorable au tout-entreprise. Je me souviens que lors les débats sur le temps de travail, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, les discussions ont porté sur le temps d’habillage et de déshabillage. Or cette question se pose dans certaines branches mais pas dans d’autres. Ne peut-on pas renvoyer de tels sujets à la négociation ? En tout cas, nous y sommes attachés.

Les partenaires sociaux ont eux aussi évolué ; ils ont su s’adapter, tant dans le champ de l’assurance chômage que dans les autres domaines de la négociation paritaire. Avant les années quatre-vingt-dix, dans la convention d’assurance chômage, on ne définissait que la cotisation qui permettait de financer une indemnité. L’UPA s’est demandé s’il fallait utiliser les cotisations des entreprises et des salariés pour faire autre chose que de l’indemnisation. C’est finalement ce qui a été décidé : désormais, l’assurance chômage finance aussi de la formation, de l’accompagnement.

Toujours raisonner en termes de pouvoir et travailler en silo, c’est-à-dire en ignorant l’autre, sont deux maladies très françaises. Le pouvoir est toujours très relatif, à quelque niveau où l’on se trouve. L’UPA a toujours considéré que nous étions plus intelligents à plusieurs. Quand on regarde ce qui se fait dans le champ des partenaires sociaux, on se rend compte, là encore, que les choses ont beaucoup évolué. Dans le domaine de la formation professionnelle, par exemple, on organise maintenant des réunions quadripartites : l’État, les régions, les partenaires sociaux, employeurs et salariés. Chacun a son rôle et ses missions propres. Plutôt que d’inventer sans cesse de nouveaux dispositifs, de modifier les institutions, de changer les organismes, essayons de coopérer et de faire en sorte que les gens travaillent ensemble. C’est en travaillant ensemble qu’on s’aperçoit finalement qu’on a les mêmes objectifs et que les positions sont moins éloignées qu’on le pense.

Nous-mêmes, nous pratiquons le dialogue social en interne, dans le cadre de nos commissions paritaires régionales interprofessionnelles de l’artisanat, qui ne font d’ailleurs pas toujours plaisir à nos amis du MEDEF et de la CGPME… Faire parler des patrons artisans avec des représentants des salariés a du bon. Il faut sortir de cette confrontation permanente fondée sur l’idée que nous aurions des intérêts totalement divergents, ce qui est faux. Le message à faire passer est le suivant : poursuivons nos efforts – cela a commencé dans le champ de la formation professionnelle – pour travailler mieux ensemble.

L’État ne contraint pas les partenaires sociaux. Il y a la loi « Larcher » que nous avions appelée de nos vœux à l’UPA, pour les raisons que j’évoquais tout à l’heure. Il est préférable que les acteurs qui connaissent le mieux le sujet s’occupent des relations du travail entre employeurs et salariés.

Il faut savoir travailler ensemble. Nous sommes parfois frustrés lorsqu’on nous impose des délais, car les délais des partenaires sociaux ne sont pas ceux du monde politique. Il y a aussi des problèmes de transposition. Mais les choses ont progressé, s’agissant des dernières transpositions, ce qui a abouti à un dialogue plus construit et plus constant.

Pour ce qui est de l’évolution du paritarisme et du dialogue social, globalement, les préconisations du rapport Combrexelle nous vont bien.

J’en viens à la question de l’ « ubérisation » et de l’économie collaborative.

Nous appelons votre attention sur ces nouveaux phénomènes. En ce qui concerne UberPop, on s’est aperçu in fine que ce n’était ni légal ni constitutionnel. Nous avons le sentiment que les pouvoirs publics, aujourd’hui, ne font plus respecter les règles de la République. Autrement dit, ce n’est pas parce que vous avez désormais des plateformes internet qui vous permettent d’avoir des échanges et de faciliter des pratiques – qui existaient avant, sauf que cela se faisait par le bouche-à-oreille – que cela vous exonère des lois de la République : lorsqu’on dégage des revenus d’une activité, ceux-ci doivent être assujettis à l’impôt et aux charges sociales. Ne laissons pas croire que si cette activité se fait par l’intermédiaire d’une plateforme internet, on ne serait assujetti à rien. Et quand je parle de l’impôt et des charges sociales, c’est le haut de l’iceberg : il y a tout le reste, l’ensemble de la réglementation applicable aux activités. Ne laissons pas à penser qu’il y aurait deux poids, deux mesures, au risque de provoquer le mécontentement.

M. Hervé Léost, sous-directeur en charge des mutations économiques et de la sécurisation de l’emploi (DGEFP). Les présents n’étant pas les mêmes qu’à la première table ronde de ce matin, je répéterai partiellement ce que j’y ai dit, et vous prie de m’en excuser.

Il y a deux régimes d’indemnisation des chômeurs : le régime de solidarité, avec la Sécurité sociale (SS), qui dépend de l’État, et le régime d’assurance chômage dont les règles sont fixées au moment de la négociation.

L’intervention de l’État est liée à l’agrément, lui-même lié à un contrôle de légalité réalisé par la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle. Sans cet agrément, l’accord ne peut pas s’appliquer.

La convention de 2014 est un exemple d’agrément total, dans la mesure où nous nous en sommes servis pour modifier certaines dispositions réglementaires. En effet, le ministre ne pouvait pas agréer la convention, puisqu’elle différait de la réglementation sur certains points, la question des droits rechargeables notamment. Très concrètement, nous avons pris une réglementation pour adapter le règlement à ce qui avait été négocié lors de la convention.

Nous avons aussi développé des exemples d’agréments partiels ou de refus d’agréments. Un refus d’agrément, ce qui est rarissime, a eu lieu en 2000. Il a conduit à prendre un décret pour proroger la convention de 1997 jusqu’à ce qu’un nouvel accord soit conclu début 2001. Cela a amené le Conseil d’État à préciser ce que fait l’État en matière de contrôle de la convention puisqu’il s’agit d’un contrôle de légalité. Mais le Conseil d’État a aussi précisé dans sa décision du 11 juillet 2001 que le pouvoir d’appréciation du ministre était en fait un peu plus large puisqu’il pouvait s’opposer à l’agrément sollicité pour des motifs d’intérêt général, avec, notamment, l’objectif de protection de l’équilibre financier du régime et de protection des droits des travailleurs privés d’emploi.

L’agrément peut être partiel dans le cas de clauses incompatibles avec la réglementation, mais détachables de la convention. C’est ce qui s’est passé en 2009.

En ce qui concerne notre relation avec l’Unédic, un contrôle général économique et financier est effectué par le ministère des finances, mais ce n’est pas une relation de tutelle. Il y a une très forte articulation entre les services de la DGEFP et ceux de l’Unédic, qui entretiennent des rapports de travail très étroits ; mais, j’y insiste, ce n’est pas une relation de tutelle.

J’en viens aux différentes phases de la négociation.

Concernant l’amont de la négociation, j’ai évoqué les déclarations des ministres et j’ai donné des exemples de réunions, comme la conférence sur l’emploi et le pouvoir d’achat en 2007 ou la grande conférence sociale en 2012. J’en profite pour rectifier ce que j’ai dit trop rapidement et qui a fait réagir la CFDT et la CGT lors de la précédente table ronde.

En prenant l’exemple de la modulation des contributions patronales, je ne voulais pas dire que l’État avait inventé ce sujet, mais il m’avait semblé intéressant de montrer le mécanisme d’articulation. Car si l’on revient sur ce qui s’est passé en 2012, il y a eu la conférence sociale de 2012, puis le document d’orientation de septembre 2012, qui incluait l’objectif de moduler les contributions patronales pour certains contrats, notamment pour les contrats courts. Est ensuite intervenu l’accord national interprofessionnel (ANI) de 2013, traduit à la fois dans la loi relative à la sécurisation de l’emploi de 2013 et dans un avenant de 2013 à la convention de 2011.

Enfin, toujours en amont de la négociation, il est prévu que l’État remette un rapport sur la situation de l’assurance chômage. Un premier rapport est remis par l’Unédic et, sur cette base, l’État remet son rapport aux partenaires sociaux et au Parlement sur la situation financière de l’assurance chômage.

Sur la négociation elle-même, nous assurons un suivi le plus précis possible, notre objectif étant d’anticiper l’agrément final pour éviter tout problème potentiel. Ce suivi se matérialise notamment au moment de la signature de l’ANI, car une fois signé, celui-ci doit être transposé dans la future convention. C’est à ce moment-là qu’il peut y avoir des échanges techniques entre la DGEFP et l’Unédic sur les différentes clauses de la future convention.

Concernant l’aval de la convention enfin, j’ai expliqué ce matin que nous essayions de travailler, avec l’Unédic, l’État et Pôle emploi, sur les principales difficultés opérationnelles qui peuvent survenir, mais je n’ai pas évoqué la question du contentieux récent. Concrètement, c’est l’État qui est venu défendre un arrêté d’agrément attaqué devant le Conseil d’État. Celui-ci a finalement décidé d’annuler trois clauses de la convention, ce qui a donné lieu à des échanges très étroits entre l’Unédic et l’État sur la façon de tirer les conséquences de cette décision.

M. le rapporteur. Je partage le sentiment de M. Burban : le système prouve sa capacité d’évolution du fait même de son organisation, car nous avons affaire à des gens qui portent une vision politique à travers leur organisation syndicale, mais aussi une gestion et une connaissance des questions, dans la mesure où ils sont confrontés à des entreprises et à des salariés eux-mêmes en butte à des difficultés. Je suis moi-même persuadé que le système a une grande capacité d’adaptation, qu’il a d’ailleurs prouvée.

Au fond, en vous entendant, les uns et les autres, nous ressentons plutôt votre envie de conserver le système, tout en améliorant les coopérations ; c’est l’option vers laquelle nous nous dirigeons. Mais il est de notre devoir de nous demander si une simple coopération permettra de répondre à des questions dont nous percevons les limites : pour ce qui est de la formation des demandeurs d’emploi, par exemple, nous rêvons tous qu’un demandeur d’emploi puisse, le jour même où il se retrouve au chômage, trouver une formation lui permettant de rebondir.

Cela étant, nous connaissons tous les délais. Nous savons que le cloisonnement du système génère délais et problèmes d’organisation, la formation des demandeurs d’emploi relevant de l’État et des régions. Nous avons adopté hier un projet de loi intitulé « Collectivités territoriales : territoires zéro chômage de longue durée », l’idée étant, plutôt que de payer des chômeurs, de les former, voire de subventionner leur emploi.

Aussi, même si je partage en grande partie les arguments que vous avez développés, monsieur Burban, n’envisagez-vous pas des évolutions plus importantes ? Ne faudrait-il pas, notamment, inventer une gouvernance ? Pour ma part, je ne serais pas défavorable à ce qu’elle soit purement paritaire, avec un système d’agrément ou de conférence sociale qui permettrait de cadrer les choses avec le pouvoir politique sur la question de la sécurité sociale professionnelle, c’est-à-dire du parcours professionnel du demandeur d’emploi, en partant de celui-ci et de l’entreprise et en y ajoutant ensuite les volets sur la formation professionnelle, l’indemnisation etc. Sachant que le système est conçu dans l’autre sens : on part de la thématique pour arriver au demandeur d’emploi.

Par ailleurs, cela ressort de cette table ronde comme de la précédente, vous estimez qu’il y a une ingérence de l’État, parfois perçue positivement comme étant naturelle et légitime, en tout cas pas vraiment contestée, au sens où cette ingérence intervient à un moment ou à un autre, et à condition de ne pas perturber la discussion entre les parties.

Mais une question fondamentale se pose, celle des objectifs financiers. La réforme des traités européens fait que la France doit se fixer des objectifs financiers qui concernent l’ensemble des finances publiques, et donc l’Unédic et les retraites complémentaires. Avez-vous réfléchi à un système autre que celui préconisé par Bercy, qui vous demande de faire 800 millions d’euros, voire un ou deux milliards d’économies dans votre prochaine convention ? Ne devrions-nous pas discuter ensemble de la façon dont l’effort global sur les finances publiques, défini par le Parlement, doit être réparti entre les différents niveaux dans le cadre de conférences annuelles, pour éviter que ce soit perçu comme un oukase ?

M. Denys Robiliard. Monsieur Léost, vous dites que, pour la dernière convention, vous avez dû adapter les règlements, et vous avez donné l’exemple des droits rechargeables. Y aurait-il d’autres exemples ? On pourrait voir les choses autrement pour les droits rechargeables. Ils ont été prévus dans l’accord national interprofessionnel de janvier 2013, mais nous avons légiféré à ce propos dans le cadre de la loi relative à la sécurisation de l’emploi. Par conséquent, si les textes ont dû être adaptés, ce n’est pas simplement parce qu’une nouvelle convention a été signée, mais parce qu’il a fallu tirer les conséquences de la loi. Cela étant, dès lors que l’État et les partenaires sociaux peuvent en discuter, il ne me choque pas que l’on adapte la réglementation à des accords collectifs.

Tout à l’heure, certains syndicats de salariés nous ont indiqué qu’ils aspiraient à un renouvellement des formes de la négociation, en posant des questions sur le lieu de la négociation, la présidence et le texte de référence. Je souhaiterais avoir votre position sur ce point. Il y a une histoire de la négociation collective. Doit-on faire en évoluer les formes ?

Enfin, M. Burban a dit que l’État ne faisait plus respecter les règles. Je pense, pour ma part, que s’il y a un affaiblissement de la capacité de l’État à faire respecter les règles, cela tient au fait que nous avons diminué les effectifs de nos corps d’inspection. La diminution du nombre de douaniers et de personnels à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) se traduit par une moindre capacité à faire respecter la loi, ce qui n’est pas bon pour la pratique d’une concurrence loyale ni, s’agissant de l’inspection du travail, pour les droits des salariés. La douane ne gère pas simplement le problème des frontières extérieures ; elle effectue en région toute une série de contrôles extrêmement utiles.

Nous devons tenir compte de cette observation émanant des entreprises, qui pointent l’insuffisance de la surveillance. Sans les corps d’inspection nécessaires, les règles ne seront pas respectées.

Cela étant, s’agissant d’UberPop, l’État a montré sa capacité à faire respecter les règles. Mais peut-être était-ce en raison de la pression exercée par les taxis, qui posait des problèmes d’ordre public. Ce qui montre que l’ordre public peut être mis à mal lorsque les règles économiques ne sont pas respectées.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Première question, un peu brutale : croyez-vous encore au paritarisme ?

Je m’interroge sur le fonctionnement d’un système vieillissant, qui compte, des deux côtés, du personnel et des militants. Ne serait-ce pas la fin d’un cycle ? Ne faudrait-il pas renouveler le système avec des cadres, des salariés, de nouveaux modes de pensée ?

Ma deuxième question porte sur la place que vous donnez dans ce système aux organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), qui sont le bras armé pour résoudre le problème du chômage. Cela étant, les OPCA ne sont pas les seuls outils ; l’investissement, les choix du patronat peuvent également contribuer à faire baisser le chômage. Aujourd’hui, on voudrait que l’État s’occupe de tout, mais sitôt qu’il commence à le faire, on le lui reproche…

(M. Gérard Sebaoun remplace M. Arnaud Richard à la présidence.)

M. Jean-François Pilliard. Je commencerai par la formation des demandeurs d’emploi, en m’appuyant sur l’expérience que j’ai vécue en entreprise, dans une branche et au niveau interprofessionnel.

Une partie du chômage, en France, est un chômage structurel, lié à la qualification très faible, sinon inexistante, des jeunes par rapport aux besoins du monde du travail. Il faut avant tout traiter le mal à la racine.

On a souvent l’impression que les 150 000 jeunes qui sortent du système scolaire sans aucune qualification et les 90 000 jeunes qui sortent de l’université font partie du patrimoine de la France… On devrait se révolter contre cet état de fait et s’attaquer sérieusement à ce problème, qui n’a jamais été réellement pris en compte. Ou, s’il l’a été, les solutions apportées n’ont pas été à la hauteur des enjeux puisque le chiffre est resté pratiquement le même au fil des ans. Le constat est terrible.

Sommes-nous prêts collectivement à travailler sérieusement sur cette question, qui concerne les entreprises ? Les entreprises ont leur part de responsabilité, car elles doivent être en capacité de fournir davantage d’informations pertinentes sur les volumes et la nature des emplois dont elles auront besoin, pour faciliter le travail de ceux qui sont chargés de former ces acteurs. Mais de votre côté, vous avez, en tant que parlementaires, à prendre les décisions qui relèvent de votre compétence, dans le champ de l’orientation professionnelle, par exemple.

Pour avoir présidé pendant huit ans l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), j’ai suivi ces questions de très près. Comment voulez-vous qu’un jeune soit correctement accompagné dans l’orientation, dès lors que celui qui doit l’aider à s’orienter n’a jamais approché le monde de l’entreprise ?

Ensuite, la performance des acteurs, en particulier de Pôle emploi, dans la formation des demandeurs d’emploi, est encore très loin du compte, même si elle s’est améliorée. On a commencé à le faire au sein de Pôle emploi : il faut distinguer ceux qui relèvent quasi systématiquement d’une formation dès le départ et ceux qui n’en ont pas besoin ou qui peuvent y accéder plus tard.

Pour un câbleur ou une câbleuse de cinquante-cinq ans avec un niveau CAP, qui fait depuis trente ans le même métier et qui perd son emploi, on n’a pas besoin de six mois pour savoir qu’il faudra lui donner les bases nécessaires pour aller vers d’autres formations techniques. A contrario, lorsqu’il s’agit d’un jeune cadre de trente ans surdiplômé, qui part d’une grande entreprise dans le cadre d’un départ volontaire et qui passe par la case Pôle emploi, en ayant déjà, en général, un emploi dans une autre société, avec une augmentation de salaire, il n’y a pas besoin d’une étude approfondie pour comprendre qu’il est urgent de ne pas investir pour lui le moindre euro ou la moindre énergie en formation ! Ce sont ces principes de bon sens qui devraient présider aux choix en matière de formation professionnelle.

Enfin, la formation n’est pas la réponse systématique aux demandeurs d’emploi. En admettant que nous ayons les moyens de former la totalité des demandeurs d’emploi, je ne suis pas sûr que ce serait la solution. Le sujet est plus complexe. Il y a la formation, mais aussi la construction du projet professionnel. S’agissant de l’assurance chômage, il y a un vrai sujet que j’appellerai « les droits et les devoirs des chômeurs ».

Notre société a le devoir d’apporter à ceux qui ont perdu leur emploi les moyens d’en retrouver un et d’être indemnisés dans des conditions leur permettant de vivre de façon décente. Mais celui qui reçoit de la part de la société ou, en l’occurrence, du système d’assurance, ses indemnités de chômage, a également des devoirs vis-à-vis de l’assurance chômage. En Allemagne, par exemple, quand vous avez perdu votre emploi et qu’on vous en propose un à moins de 300 kilomètres de votre domicile, avec une baisse de salaire n’excédant pas 20 % par rapport à votre salaire antérieur, vous avez le droit de refuser, mais vous subissez un premier abattement. Si vous refusez une deuxième fois, vous subissez un deuxième abattement. La troisième fois, vous vous retrouvez aux minima sociaux. En France, il existe des règles de ce type, mais elles ne sont jamais appliquées : on trouve toujours de bonnes raisons pour expliquer que ce n’est pas le moment. C’est en tout cas un élément fort en termes de retour à l’emploi.

J’en viens à l’incitation au retour à l’emploi. Aujourd’hui, il est indécent de fustiger les chômeurs. La perte d’un emploi est, pour la majorité des gens, un drame qui a des conséquences sur le plan professionnel, mais aussi personnel. Toutefois, le système, notamment pour les moins qualifiés, est conçu de telle façon, compte tenu du mode d’indemnisation, qu’il encourage davantage à rester dans le système qu’à en sortir. Une personne très peu qualifiée qui a toujours exercé le même métier et qui perd son emploi sait que, quoi qu’il arrive, elle sera indemnisée quasiment au même niveau pendant deux ans. Si vous lui proposez un premier emploi à dix kilomètres de son domicile, dans un environnement de travail différent de celui qui était le sien auparavant, il y a certes une prise de risque. Or la prise de risque du retour à l’emploi est insuffisamment accompagnée. Mieux vaudrait qu’un euro utilisé en matière d’assurance chômage serve à accompagner celui qui prend le risque de revenir à l’emploi, surtout les personnes les moins qualifiées, plutôt qu’à surindemniser.

En ce qui concerne la gouvernance, nous en sommes au stade des moyens. En matière de formation, la gouvernance a beaucoup évolué ces dernières années. Le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels a été mis en place, des articulations se font avec les régions, mais il faut aller plus loin dans ce domaine.

Ensuite, je l’ai constaté à l’occasion de mes nombreuses expériences puisque j’ai présidé l’AFPA et l’Unédic et que je suis vice-président de Pôle emploi, il y a toujours l’envie légitime de mettre autour de la table l’ensemble des acteurs. Mais, je l’ai vécu pendant huit ans quand j’étais président de l’AFPA, dès lors que vous avez autour de la table les organisations syndicales, les organisations patronales, les régions et l’État, il devient difficile de faire vivre la gouvernance de façon active… Nous aurions intérêt à avoir l’ensemble des acteurs parties prenantes autour de la table, mais cela mérite que nous nous interrogions sur l’efficience de la gouvernance.

En ce qui concerne l’assurance chômage, nous avons un bureau et un conseil d’administration, le conseil d’administration étant l’organe souverain. Mais dans les faits, si nous fonctionnions uniquement avec le conseil d’administration, avec cinquante administrateurs autour de la table, la situation serait plus difficile.

Cela m’amène à la question de Mme Le Dain, sur la professionnalisation des acteurs. Nos missions, en tant que partenaires sociaux, contrairement à ce que pensent beaucoup de gens, ne sont pas exercées par des bénévoles. Il ne suffit pas d’être sympathique et disponible. Elles sont devenues de véritables métiers qui exigent une professionnalisation.

J’en arrive à votre question sur l’ingérence de l’État et les objectifs financiers. L’assurance chômage, au même titre que les retraites complémentaires, fait partie du périmètre des dépenses publiques prises en compte au niveau européen dit de Maastricht. Il est donc tout à fait légitime que les partenaires sociaux soient en capacité de travailler et de démontrer qu’ils sont capables de ramener à l’équilibre les régimes dont ils ont la charge. C’est ce que nous avons fait récemment à travers l’accord sur les régimes de retraite complémentaire.

Concernant l’assurance chômage, un taux de chômage d’environ 9 % permet de ne pas compromettre l’équilibre financier. Aujourd’hui, nous avons un dilemme, qui est aussi le vôtre quand vous gérez la dépense publique : si nous voulons ramener le régime d’assurance à l’équilibre et résorber la dette, en nous fondant sur l’hypothèse d’un environnement de faible croissance, avec un taux de chômage élevé, la seule solution qui s’offre à nous est de tailler de façon drastique dans le modèle d’indemnisation. Cela dit, les organisations patronales que nous représentons sont conscientes que l’on ne peut pas imposer à ceux qui ont perdu leur emploi une remise en cause brutale de leur indemnisation.

Nous devons travailler davantage à un meilleur équilibre entre accompagnement et indemnisation. Aujourd’hui, l’accompagnement se traite majoritairement au niveau de Pôle emploi, et l’indemnisation majoritairement, et même exclusivement, du côté des partenaires sociaux. Bien que les partenaires sociaux soient représentés au sein de Pôle emploi, la manière dont est organisé le processus de décision fait que, malgré la qualité de la gouvernance et la volonté de réforme, Pôle emploi s’apparente davantage à un département du ministère du travail et de l’emploi qu’à un organisme paritaire. Une clarification s’impose.

Quant au contrôle, il existe. Mais les corps de contrôle devraient passer plus de temps à expliquer à ceux qui sont chargés d’appliquer les textes comment le faire et à les accompagner dans la résolution des problèmes. Aujourd’hui, il y a peut-être insuffisamment de contrôle, mais le contrôle dans le champ du social est davantage tourné vers la sanction que vers l’accompagnement de ceux qui en ont réellement besoin. Vous ne trouverez jamais un chef d’entreprise ou un salarié en France capable de comprendre, par exemple, la législation en matière d’hygiène et de sécurité. C’est impossible ! Il faudrait avoir quinze traducteurs pour comprendre comment ça marche…

Telle est la réalité. Je viens du monde de l’entreprise et j’ai vécu cela quotidiennement pendant près de quarante ans. C’est un défi, pour vous, comme pour nous. Je rejoins les réflexions du rapport de M. Jean-Denis Combrexelle. Nous sommes dans un monde où on légifère chaque fois qu’il y a un problème. On a perdu la raison et on est en train de tuer la responsabilité individuelle et collective. Aujourd’hui, dans une entreprise, vous ne gérez plus des personnes, vous gérez des normes !

Vous nous demandez si nous croyions au paritarisme. Nous sommes des milliers à y participer, et si nous faisons cela en plus du reste, c’est que nous avons la conviction profonde que notre travail en la matière est nécessaire. En outre, au regard de la situation que nous connaissons à l’heure actuelle, les partenaires sociaux ont, au-delà de la gestion ou de la décision, un rôle à jouer – en complément de celui que vous exercez – en matière de régulation ou de recherche d’équilibre dans le système démocratique, qui est à ce jour fortement mis à mal. Nous y croyons, et c’est parce que nous y croyons que nous considérons que le modèle doit être rénové. Les compétences dont il nous faut faire preuve sont très différentes de celles dont nous avions besoin il y a quinze ans. Dans le conseil d’administration d’un organisme qui gère de la prévoyance, par exemple, si le professionnel qui dirige l’organisme vient consulter ses administrateurs sur le projet de rachat, en milliards d’euros, d’une chaîne de cliniques privées, à l’évidence, l’administrateur n’est pas un homme ou une femme qui se contente de venir s’asseoir à la table et de prendre rapidement connaissance du dossier. Il doit travailler en amont et avoir de très grandes compétences financières et sociales.

Le système tel qu’il existe aujourd’hui a besoin d’être renouvelé en se professionnalisant et peut-être, comme vous l’indiquez, en cherchant une meilleure répartition des rôles entre les différents acteurs. Mais de là à considérer que, parce que nous avons des difficultés aujourd’hui, le système doit disparaître, je ne suis pas d’accord. Il doit se refonder pour s’adapter, comme la classe politique, d’ailleurs – si je puis me permettre – à un environnement qui s’est profondément transformé et dont nous n’avons pas pris toute la dimension.

M. Pascal Demarthe. En ce qui concerne la remarque de M. Pilliard sur le nombre de jeunes qui sortent du système scolaire sans aucune qualification, le ministère de l’Éducation nationale l’estime à 140 000 environ. Mais il a indiqué récemment que ce phénomène était en passe de s’enrayer, grâce, notamment, à la priorité donnée à la jeunesse et au cap fixé par le Gouvernement avec la loi sur la refondation de l’école de la République, qui commence à produire des effets positifs. De nouvelles dispositions ont été annoncées il y a quelques jours par Mme la ministre, notamment en ce qui concerne l’orientation post-bac et la lutte contre toutes les formes de décrochage. Les résultats annoncés prouvent que nous sommes sur la bonne voie.

Je souhaite poser une question récurrente par rapport au nombre de jeunes que je rencontre et pour lesquels j’interviens auprès des entreprises, notamment dans le cadre de l’alternance. Bon nombre d’entreprises rechignent à leur ouvrir leurs portes.

Comment pourrait-on inciter les entreprises à s’engager aux côtés de l’Éducation nationale pour ouvrir plus facilement leurs portes dans le cadre des contrats en alternance ?

M. Pierre Burban. Je n’ai jamais dit que la ministre ne faisait rien : nous nous sommes félicités qu’une ministre de l’Éducation nationale participe, pour la première fois, aux Assises de l’apprentissage le 19 septembre 2014. Nous sommes très satisfaits de son action. Cela dit, je ne crois pas qu’elle ait parlé d’enrayer totalement le mouvement, s’agissant des jeunes qui sortent du système scolaire sans qualification. Elle a dit que leur nombre avait un peu baissé, ce que nous saluons. Mais il y a urgence en la matière.

Avec Mme Myriam El Khomri, M. Emmanuel Macron et Mme Najat Vallaud-Belkacem, nous essayons de trouver des solutions pour développer l’alternance. Des mesures positives ont été prises pour relancer l’apprentissage, mais nous l’évoquions avant-hier avec Emmanuel Macron, il y a encore beaucoup à faire, et nous sommes prêts à nous mobiliser. Il est vrai que certains jeunes ne trouvent pas d’entreprise pour les accueillir. Mais il y a aussi des entreprises qui ont du mal à trouver des jeunes.

En ce qui concerne le triptyque « formation initiale, orientation, formation professionnelle », beaucoup a été fait, mais il faut maintenant faire de l’opérationnel et aller plus loin. J’en reviens à la nécessité d’une mobilisation conjointe de l’État, des partenaires sociaux, des régions et des collectivités territoriales. Car si tout le monde ne s’y met pas, nous n’y arriverons pas.

Pour répondre à votre question, madame Le Dain, nous croyons plus que jamais au paritarisme. Je vais faire de l’optimisme québécois : le dialogue social s’est développé de manière magistrale dans notre pays. Dans les années 1970-1980, on parlait des vides conventionnels. Aujourd’hui, la quasi-totalité des salariés sont couverts par une convention collective. Le dialogue social, qui était plutôt limité aux grands groupes, se développe aussi dans les plus petites entreprises, pour lesquelles nous avons essayé de trouver des solutions adaptées. En ce moment, avec le ministère du travail, nous nous occupons de la restructuration des branches, parce que le dialogue nécessite effectivement que l’on s’adapte, que l’on se modernise, et cela passe aussi par la restructuration des branches. Tout n’est pas parfait, mais des choses positives ont été faites.

Concernant la gouvernance, nous ne disons pas qu’il faut laisser les choses en l’état. Nous avons été l’une des rares organisations à ne pas être hostile à la création de Pôle emploi.

Les OPCA jouent un rôle important. Nous considérons qu’il y a deux OPCA interprofessionnelles. S’il n’y en avait plus qu’un, le système serait sans doute plus efficace. De là à dire que ce serait le grand soir, je n’en suis pas sûr…

Par contre, il apparaît un outil, le compte personnel d’activité (CPA), que nous n’avons pas demandé. Nous avons ouvert la négociation sur ce sujet. La question qui va se poser sera celle de sa gouvernance. Quant à internet, ce n’est jamais qu’un nouvel outil d’échange d’informations ; ce n’est pas cela qui réglera tous les problèmes. L’exemple du compte personnel de formation (CPF) a montré que des problèmes de gouvernance pouvaient se poser, notamment s’il n’y a pas de liens très étroits entre ceux qui ont inventé le système et la manière de le mettre en œuvre. Nous avons de gros efforts à faire dans ce domaine.

J’en viens à l’ingérence de l’État et aux objectifs financiers.

Suivant les moments, on est content, ou non, de l’ingérence de l’État : dans notre beau pays, il en a toujours été ainsi et il en sera toujours ainsi. Nous avons notre culture, notre histoire, Colbert est passé par là… En France, l’État est toujours présent. Cela étant, il y a toujours eu des interactions entre l’État et les partenaires sociaux. Et comme l’a dit le représentant de la DGEFP, quand les partenaires sociaux agissent, aujourd’hui, ils le font dans un cadre juridique.

En ce qui concerne les aspects financiers, on ne peut plus continuer à dépenser plus que ce que l’on reçoit. En tant que partenaire social, nous sommes confrontés à cette réalité. De ce point de vue, le fait que l’État nous rappelle les engagements pris au nom de la France est plutôt une bonne chose. Nous avons beaucoup de chance en ce moment parce que les taux d’intérêt sont très bas et que, malgré sa situation, on prête encore de l’argent à la France. Mais, pour avoir occupé d’autres fonctions par le passé, je peux dire que j’ai eu quelques inquiétudes, y compris pour verser des retraites en temps et en heure. De toute façon, il faudra que nous allions vers des systèmes financiers équilibrés ; cela vaudra pour le chômage comme pour les retraites complémentaires. À cet égard, les partenaires sociaux ont fait un effort considérable en signant un accord qui permet précisément de tendre vers l’équilibre.

(M. Arnaud Richard, président de la mission d’information,
remplace M. Gérard Sebaoun à la présidence.)

M. Jean-François Pilliard. La question de l’apprentissage n’est pas directement liée au paritarisme, mais elle est cruciale par rapport à la situation de non-emploi des jeunes. Nous partageons pour une part ce constat, encore qu’il soit très contrasté pour moi qui dirige pendant quelques semaines encore la branche industrielle de la métallurgie : c’est la seule qui, à l’heure actuelle, voit augmenter le nombre de ses apprentis – il faut reconnaître que nous sommes partis de loin.

Le constat, disais-je, est contrasté puisqu’il y a, d’un côté, des jeunes qui ne trouvent pas d’entreprise pour les accueillir en alternance, de l’autre, des entreprises qui proposent en vain des postes d’apprentis. Cependant, il existe des pistes : puisqu’on parle de coopération entre les différents acteurs, il serait extrêmement judicieux d’intensifier la co-élaboration du contenu des diplômes entre le monde de l’éducation et le monde de l’entreprise. Cela renforcerait incontestablement notre efficacité collective.

Le deuxième sujet sur lequel il y a des progrès à faire, c’est le mode de financement de l’apprentissage. Je parlais tout à l’heure du maquis de la réglementation en matière d’hygiène et de sécurité. Demandez à un chef d’entreprise ou à un salarié quels sont les fondements du financement de l’apprentissage ! C’est un maquis épouvantable…

En Allemagne, où l’apprentissage est particulièrement performant, l’État ne consacre pas un euro à son financement. Le système est financé exclusivement par les entreprises ; en contrepartie, il n’y a aucune intervention de l’État ni des régions dans ce domaine. Dans notre pays, nous sommes dans une situation très ambiguë : on fustige le rôle de l’État, mais en même temps, on le sollicite constamment. Pour notre part, nous souhaiterions, en matière d’apprentissage, un système dans lequel l’entreprise piloterait. Il n’y aurait plus d’aide de la part de l’État et nous instaurerions un copilotage et une coconstruction du contenu des diplômes avec l’Éducation nationale.

Enfin, nous sommes un pays très élitiste où celui qui n’a pas un bac + 5, voire un bac + 7, n’est pas reconnu dans notre société. En Allemagne, pour arriver à des niveaux de responsabilité élevés, on passe par la filière de l’apprentissage.

M. Gérard Sebaoun. Je suis tout à fait d’accord avec vous, monsieur Pilliard, concernant l’idée du parcours professionnel dans l’entreprise ; mais ce n’est malheureusement pas ce que nous constatons sur le terrain. Quelle est la responsabilité des employeurs en la matière ?

En ce qui concerne l’ « ubérisation » du monde du travail, il me semble que vous n’avez pas tous la même position. J’aimerais vous entendre sur ce point.

M. Denys Robiliard. Monsieur Léost et monsieur Pilliard, il me semble que vous n’avez pas répondu à ma question sur les formes de négociation.

Nous pourrions aussi avoir une discussion sur les normes. Je ne suis pas sûr que les normes légales constituent le maquis que vous avez décrit. Les agents de contrôle de l’inspection du travail sont au nombre de 2 200 ; rapporté au nombre de salariés et d’employeurs, c’est très faible. Par ailleurs, les agents donnent aussi des conseils. Fort heureusement, tout contrôle ne se traduit pas par un procès-verbal.

Concernant le travail dissimulé, il faut avoir suffisamment d’agents pour effectuer les contrôles. Sinon, ce sont toutes les entreprises en règle qui en souffrent.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. En 2012 ou 2013, nous avons décidé qu’il y aurait des représentants des salariés dans les conseils d’administration des grandes entreprises françaises. Ne serait-il pas pertinent de faire en sorte, comme en Allemagne, qu’il y ait des salariés dans les conseils d’administration des ETI et des PME ? Nous pourrions travailler sur les seuils. Dans un pays élitiste comme le nôtre, ce serait un moyen de briser une forme d’élitisme et de changer de culture. Mais nous n’avons pas l’impression que le patronat ait eu envie de s’engager sur ce chemin jusqu’à présent…

M. le rapporteur. Pour avoir défendu des amendements qui allaient dans ce sens, je ne peux qu’être d’accord avec ma collègue Anne-Yvonne Le Dain. Nous aurions pu avancer plus rapidement sur ce sujet.

J’en viens à la question de Denys Robiliard. J’estime qu’elle n’est pas simplement technique. Il ne s’agit pas non plus de mauvaise volonté ou du fait qu’il n’y aurait pas de confiance lorsqu’on est dans les locaux du MEDEF ou que c’est le MEDEF qui tient la plume. Elle est plutôt liée structurellement au fait qu’il y ait un processus de négociation.

Avec Pierre Burban, nous avons vécu ensemble l’affaire du non-agrément de la convention d’assurance chômage par Martine Aubry et Lionel Jospin en 2000, puis celle d’un nouvel accord qui satisfaisait l’État et l’ensemble des organisations patronales et syndicales, y compris la CGT et Force Ouvrière. Finalement, chacun ayant eu une interprétation qui s’écartait du texte, les uns désavouant les autres, cela s’était terminé par la victoire du patronat, et l’accord n’avait pas été signé.

En ce qui concerne l’ANI, il y a eu un peu de cela. Il y avait au départ un texte patronal, qui a très peu évolué au fil de la négociation. Puis, pendant la dernière nuit, il a très substantiellement évolué et le texte a pu être signé par un certain nombre d’organisations. Sa signature a toutefois été difficile pour d’autres organisations, pour des raisons de fond, mais aussi parce qu’elles avaient combattu un texte qui contenait des idées inacceptables pour elles.

La question de donner des moyens aux négociateurs me semble importante, et la République pourrait les leur donner. On parle du Conseil économique, social et environnemental ; Guy Carcassonne proposait le Parlement. Pourquoi pas ? Nous avons en effet des moyens d’analyse juridique et technique.

Ne devriez-vous pas, à votre tour, nous auditionner, nous, parlementaires, puisque vous avez besoin, parfois, de changer la loi et que vous intervenez aussi dans des domaines qui sont les nôtres ?

M. Denys Robiliard. Masochiste !

M. le rapporteur. Je pense, par exemple, aux prud’hommes, s’agissant de la durée des délais de prescription. Cela peut être utile aux entreprises ou aux salariés pour améliorer leur vie, mais c’est une fonction éminemment régalienne.

Nous sommes très attachés à cette réflexion sur la méthode. Ce n’est pas une question de défiance ; il s’agit seulement de faire en sorte que le processus puisse in fine mieux fonctionner, en termes d’image vis-à-vis de l’opinion publique comme en termes de défense des différents acteurs.

M. Jean-François Pilliard. Je n’ai pour ma part jamais employé le terme d’« ubérisation ». J’ai parlé d’« économie du partage ». Il faut être extrêmement pragmatique : qu’on le veuille ou non, ce mode de fonctionnement économique est en marche, car les clients que nous sommes autour de la table le souhaitent. Nier cette réalité consisterait à se programmer de gros ennuis…

Ensuite, il faut trouver un point d’équilibre. Nous sommes le pays de Descartes : cela nous amène souvent à être binaires et cela explique, selon moi, une grande partie des oppositions qui nous caractérisent. La vie est toujours un peu plus compliquée qu’on ne l’imagine et appelle souvent à plus de nuances. Entre dire qu’on va se servir de cette nouvelle forme d’économie pour faire le grand soir et faire dégringoler toutes les règles existantes en matière sociale et fiscale, et dire qu’on va appliquer au nouveau modèle la totalité des règles fiscales et sociales, il y a un juste équilibre à trouver.

Si l’on applique l’ensemble des règles existantes à la nouvelle économie, on la tue ; et en la tuant, on tue les attentes des clients et probablement des réponses aux problèmes d’emploi. Si l’on fait l’inverse, on aboutira au même résultat.

Ce que j’ai voulu dire tout à l’heure de façon nuancée, c’est que nous étions encore insuffisamment armés pour comprendre tout ce que cela voulait dire et qu’il était urgent, à travers des diagnostics, comme le rapport Mettling, de documenter le sujet entre nous et de l’objectiver pour éviter de raconter des généralités. Quand nous aurons instruit rapidement le sujet et que nous aurons compris conjointement ce qu’il veut dire, cela nous permettra de déterminer l’environnement dans lequel ces systèmes doivent évoluer.

Le fait que je n’aie pas répondu à la question sur les formes de négociation doit être révélateur puisque je vais cesser de m’y consacrer dans quelques semaines, alors que, depuis que je travaille, j’ai dû mener 450 négociations en entreprise, en France, à l’étranger, au niveau des branches et de l’interprofession.

Comme nous nous y étions engagés, une réflexion est actuellement en cours avec les organisations syndicales. Nous avons eu une réunion de l’agenda social il y a quelques semaines, et les syndicats qui étaient autour de la table sont convenus que si nous n’étions pas allés au bout de la réflexion, c’était en partie à cause d’eux puisqu’ils avaient évoqué des questions de calendrier qui avaient ralenti le processus.

Il faut mettre les choses au clair. En ce qui concerne les débats sur la loyauté, vous pouvez négocier où vous voulez, quand vous négociez, vous avez en face de vous des interlocuteurs dont certains s’inscrivent dans un processus de construction, tandis que d’autres déclarent d’emblée que, de toute façon, ils n’iront pas vers un accord. Par conséquent, vous pouvez écrire toutes les règles que vous voulez, vous passerez plus de temps avec ceux qui ont envie de construire qu’avec ceux qui ne le veulent pas. C’est une réalité incontournable, quel que soit le lieu où cela se passe.

Le mode de négociation dans lequel on s’inscrit me paraît beaucoup plus important que de savoir si l’on négocie au MEDEF, au Conseil économique, social et environnemental ou à l’Unédic. Aujourd’hui, parce qu’on est dans un pays de droit, on donne, dès le début de la négociation, à mon sens, beaucoup trop d’importance à l’écriture juridique des textes. La première partie d’une négociation doit permettre de voir quels sont les points sur lesquels on converge et ceux sur lesquels on diverge, concernant les enjeux politiques. Une fois que ces éléments clés, qui constituent la colonne vertébrale d’un futur accord, ont été identifiés, et à ce moment-là seulement, on demande à ceux dont c’est le métier d’écrire et de mettre en forme la décision politique pour la sécuriser.

Or aujourd’hui, vous entrez très rapidement dans un débat technique et juridique, ce qui vous amène très souvent à éviter de répondre à la vraie question. J’ai moi-même, car je fais partie du système, signé des textes dont je savais que les interlocuteurs qui les avaient signés avec moi les considéraient comme suffisamment vagues pour que chacun puisse estimer que, finalement, on approuvait sa position. Il y a un moment où la négociation est un acte de courage : il faut être capable de dire que, sur tel ou tel point, on n’est pas d’accord, et que, dans ce cas, on ne signera pas. C’est un élément qui me paraît essentiel.

Pour ce qui est du lieu, il m’est arrivé de négocier dans des ateliers, dans des usines, voire dans la rue. Je ne suis pas sûr que ce soit un élément déterminant. Le vrai sujet, c’est la confiance entre les partenaires sociaux, le diagnostic partagé.

En tout cas, laissons les partenaires sociaux terminer leur travail et, quelle que soit la solution, ce sera notre solution. Je ne pense pas que ce soit le rôle du Parlement que d’intervenir dans un champ qui nous appartient. De notre côté, nous n’intervenons pas pour vous expliquer comment vous devez mener vos débats au niveau du Parlement : c’est à vous d’établir les règles qui vous paraissent les plus appropriées.

M. le rapporteur. Oui, mais nous vous avons délégué un pouvoir, s’agissant de l’interprofessionnel.

M. Jean-François Pilliard. Uniquement dans le champ de l’assurance chômage. Sur les autres sujets, vous ne nous avez délégué aucun pouvoir. Ce sont nos responsabilités, au même titre que vous avez les vôtres. Il est bon de le rappeler.

Enfin, ce sont, avant les parlementaires, les partenaires sociaux qui ont prévu la présence des salariés dans les conseils d’administration. Nous l’avons écrit dans l’ANI, après des discussions qui n’ont pas été simples.

Par ailleurs, il y a un véritable sujet, s’agissant de savoir qui fait quoi. Normalement, le conseil d’administration, tel qu’il a été conçu en France, est un organe dans lequel les représentants des actionnaires sont en face du management de l’entreprise. La représentation du personnel dans les conseils d’administration est-elle cohérente par rapport à cela ? C’est une vraie question. D’ailleurs, certaines organisations syndicales elles-mêmes se la posent. Le sujet n’est pas aussi simple qu’il y paraît.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit ! Je n’ai pas dit que c’était simple, mais que c’était une vraie question.

M. Jean-François Pilliard. Vous vous demandez ce qu’il en est dans les petites et moyennes entreprises. À l’heure actuelle, dans les entreprises de plus de cinquante salariés, il est prévu qu’il y ait une représentation du personnel dans la gouvernance du conseil d’administration. Aujourd’hui, le vrai sujet, pour moi, en partie traité dans la loi de modernisation du dialogue social, concerne plutôt l’optimisation du fonctionnement des instances représentatives du personnel, où il y a des marges de progrès considérables.

M. Pierre Burban. Je suis d’accord avec ce qu’a dit Jean-François Pilliard. Et pour ce qui est des conditions de la négociation, le lieu où elle se tient peut relever du symbole, mais nous sommes en train de négocier sur ce sujet.

En ce qui concerne ce que l’on appelle peut-être abusivement « l’ubérisation du monde du travail », n’oublions pas les plateformes sont des moyens qu’offre aujourd’hui internet pour mettre les gens en relation.

Deux questions se posent. Premièrement, les personnes qui intègrent ces plateformes pour avoir une activité doivent payer pour cela. L’État doit s’interroger sur ce système. Deuxièmement, se pose le principe de l’égalité devant la loi. L’UPA a une position très claire : mêmes droits, mêmes devoirs. Or, que ce soit dans le secteur du bâtiment, de l’alimentation ou dans les transports, ces plateformes ouvrent un champ nouveau pour réaliser des activités. Nous l’avons vu, notamment avec UberPop, les personnes réalisent de l’activité sans respecter la réglementation du métier et sans payer, la plupart du temps, ni impôts ni charges sociales. Pourquoi pas, après tout, si l’on veut mettre à bas tout notre système de protection sociale, nos routes et tout le reste ?

Je ne suis pas d’accord avec Jean-François Pilliard lorsqu’il dit que si l’on applique la totalité des réglementations existantes à ces nouvelles activités, on va les tuer dans l’œuf. Il ne faut pas rêver : il y aura des transferts de marchés. Autrement dit, certaines activités ne seront plus réalisées « normalement ». Du reste, des artisans sont déjà présents sur ces plateformes. Cela leur permet d’accéder à certains marchés, à ceci près qu’eux paient leurs impôts et leurs charges sociales. À l’UPA, nous défendons le numérique et nous le développerons, car c’est une manière, pour nos activités, d’accéder plus facilement à certains marchés. D’ailleurs, si l’on n’utilisait pas le numérique dans l’artisanat, il y a belle lurette que bon nombre d’activités auraient disparu ! Le boulanger, par exemple, programme ses machines la veille, il n’a plus à travailler la nuit pour faire ses pâtons. Les métiers ont changé.

Quand j’expliquais dans mon propos introductif pourquoi les économistes s’étaient trompés, c’est parce que toutes les évolutions technologiques, et en particulier l’informatique, sont devenues accessibles à ces catégories d’entreprises. Aujourd’hui, ce sont les artisans qui se réapproprient les marchés, pour les fabrications de charpentes, par exemple, avec des machines à commande numérique.

Mme Marie Marcena, adjointe au chef de la mission indemnisation du chômage de la sous-direction des mutations économiques et de la sécurisation de l’emploi. Monsieur Robiliard, vous avez raison de préciser que c’est la loi relative à la sécurisation de l’emploi qui a inscrit dans le code du travail le principe des droits rechargeables et qui a prévu à l’article L. 5422-2-1 que le dispositif des droits rechargeables pouvait être pris en compte pour la durée d’indemnisation.

Toutefois, les modalités précises de mise en œuvre du dispositif ont été définies dans le cadre de l’ANI du 22 mars 2014, qui a été repris dans la convention d’assurance chômage du 14 mai 2014. Jusqu’à l’entrée en vigueur de cette convention, c’est l’ancien système de réadmission qui prévalait. Du coup, les articles réglementaires qui portaient sur la durée n’étaient pas invalidés. C’est la raison pour laquelle on a attendu la convention de 2014 pour pouvoir modifier les articles concernés et tenir compte du dispositif des droits rechargeables et des conséquences en termes de durée d’indemnisation.

M. Denys Robiliard. Ma question n’était pas polémique. Elle visait un processus qui supposait d’être poursuivi puisque nous avions seulement prévu le principe, laissant le soin aux partenaires sociaux d’en arrêter les modalités.

Je me demandais si vous aviez d’autres exemples où, suite à la négociation d’une convention Unédic, le Gouvernement aurait été amené à modifier la réglementation de façon à permettre l’agrément de la convention. J’ai indiqué ma position de principe, en indiquant que je n’y voyais pas d’inconvénient, dès lors que cela était accepté par le Gouvernement, qui ne saurait se voir imposer quoi que ce soit, sauf par le Parlement.

M. Hervé Léost. Nous n’avons pas d’autre exemple en tête, mais nous pourrons vous donner une réponse écrite, car c’est un point important.

M. le président Arnaud Richard. Mesdames, messieurs, nous vous remercions pour votre participation.

M. le président Arnaud Richard. Merci.

La séance est levée à treize heures.

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Présences en réunion

Réunion du jeudi 10 décembre 2015 à 9 heures

Présents. – M. Pascal Demarthe, M. Jean-Marc Germain, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Arnaud Richard, M. Denys Robiliard, M. Gérard Sebaoun

Excusée. – Mme Isabelle Le Callennec