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Mission d’information sur le paritarisme

Jeudi 17 décembre 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 07

Présidence de M. Arnaud Richard, président puis de Mme Françoise Descamps-Crosnier, vice-présidente

– Table ronde, ouverte à la presse, de l’exécutif de l’Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC) et de l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO)

– Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Hourcade, président de Dialogues et M. Jean-Dominique Simonpoli, directeur général

– Audition, ouverte à la presse, de M. Dominique Libault, ancien directeur de la sécurité sociale de 2002 à 2012, et vice-président du Haut Conseil du financement de la protection sociale, directeur général de l’École nationale supérieure de la Sécurité sociale

– Présences en réunion

MISSION D’INFORMATION SUR LE PARITARISME

Jeudi 17 décembre 2015

La séance est ouverte à neuf heures quarante.

——fpfp——

(Présidence de M. Arnaud Richard, président de la mission d’information
puis de Mme Françoise Descamps-Crosnier, vice-présidente)

La mission d’information sur le paritarisme procède à l’audition, en table ronde de l’exécutif de l’Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC) et de l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO) avec la participation de M. Jean-Paul Bouchet (CFDT Cadres), président de l’AGIRC et de M. Frédéric Agenet (MEDEF), vice-président ainsi que M. François-Xavier Selleret, directeur général de l’AGIRC-ARRCO et du GIE (groupement d’intérêt public) AGIRC-ARRCO.

M. le président Arnaud Richard. Nous poursuivons nos travaux avec une table ronde qui accueille trois membres des exécutifs de l’Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC) et de l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO).

Nous recevons ce matin M. Jean-Paul Bouchet, président de l’AGIRC depuis 2014, secrétaire général de la Confédération française démocratique du travail (CFDT-Cadres), depuis 2009 et membre du bureau national confédéral de la CFDT depuis 2010. Il a été vice-président de l’AGIRC de 2012 à 2014.

M. Frédéric Agenet est vice-président de l’AGIRC. Il est également vice-président de la commission protection sociale du Mouvement des entreprises de France (MEDEF).

Le président et le vice-président de l’ARRCO ne pouvaient être disponibles ce matin, mais nous avons entendu, il y a deux semaines, M. Malys, président de l’ARRCO depuis octobre, en tant que négociateur pour la CFDT de l’accord du 30 octobre 2015.

M. François-Xavier Selleret est directeur général de l’AGIRC, de l’ARRCO et du groupement d’intérêt public (GIE) AGIRC-ARRCO.

Messieurs, vous êtes invités par cette mission afin que nous puissions tirer des enseignements sur le fonctionnement du paritarisme et de votre expérience de la gestion au sein de l’AGIRC et de l’ARRCO.

Je tiens, avec le rapporteur Jean-Marc Germain et mes collègues, à vous remercier d’avoir répondu favorablement à notre invitation.

C’est un exercice difficile que le nôtre, s’agissant d’un champ aussi vaste que celui du paritarisme. Nous avons auditionné un certain nombre d’acteurs, mais nous voulons non seulement recueillir votre avis sur la façon dont est géré le paritarisme et sur son avenir, mais aussi nous pencher sur les problématiques de la « nouvelle économie » dans une société tournée jusqu’à présent essentiellement vers le salariat.

M. Jean-Paul Bouchet, secrétaire général de la CFDT-Cadres, président de l’AGIRC. Cette audition intervient peu de temps après une négociation que tout le monde avait qualifiée de difficile et de délicate compte tenu de la situation des régimes. Ceux-ci ont fait la preuve de leur efficacité, mais aussi de la capacité des partenaires sociaux à trouver des solutions permettant de redresser des situations parfois compliquées.

Dans l’expression « gestion paritaire », le mot « gestion » a son importance, car la question des équilibres financiers est incontournable. Dans une période de tension économique, les difficultés sont plus grandes, en raison de la baisse du nombre de cotisants et de l’augmentation du nombre de bénéficiaires. En tant que négociateur pour une organisation syndicale de salariés, il est difficile d’avoir à annoncer des nouvelles qui ne sont pas nécessairement bonnes pour les intéressés…

Cette négociation a abouti à un accord. Mais les trois signataires potentiels, ceux qui, avant le 16 octobre, étaient largement cités dans la presse comme susceptibles de signer, ne sont pas ceux qui ont finalement signé l’accord. En l’espace de trois à quatre semaines, une organisation qui semblait être en position de signer l’accord, Force ouvrière (FO), s’est retrouvée non-signataire. Une autre, la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC), qui avait pourtant indiqué à plusieurs reprises qu’elle ne serait pas signataire, l’a été. Tout cela donne une impression de fragilité, mais le fait est que nous sommes parvenus à cet accord.

Notre capacité à trouver un compromis a fait l’objet d’une grande attention. La puissance publique a probablement été très attentive à l’issue de cette négociation, sans pour autant avoir exprimé le souhait de reprendre la main. Quoi qu’il en soit, une absence d’accord aurait été le signe d’une vraie difficulté pour les partenaires sociaux à assumer leurs responsabilités dans les moments délicats.

J’ai moi-même fait partie de la délégation des négociateurs, mais je n’aurais pu en être le chef de file. Il y a cinq ans, à la CFDT, la règle était même plus stricte encore : dès lors que l’on était président ou vice-président et que l’on faisait partie de la gouvernance, on ne pouvait pas être négociateur.

Nos règles ont un peu évolué, mais mon organisation ne m’aurait en aucun cas désigné comme chef de file. Nous considérons en effet que cela revient à exposer une personne de façon excessive et à la mettre dans une situation qui peut être extrêmement compliquée en cas d’inversion de majorité pour ou contre la signature d’un accord.

L’accent a été mis sur la recherche d’un compromis fondé sur l’équilibre financier, mais il a été aussi question de l’unification des régimes. En ce qui concerne la réplication de nos instances, nous pouvons faire plus simple et plus efficace, il n’y a aucun doute là-dessus !

Il ne s’agit pas seulement d’unifier les règles de gouvernance, mais aussi les règles de gestion. Nous avions déjà largement engagé ce travail d’harmonisation des règles entre l’AGIRC et l’ARRCO, donc entre tous les salariés du privé, puisque tous, y compris les cadres, sont affiliés à l’ARRCO. Cette harmonisation des règles a déjà fait son chemin au fil du temps et elle se concrétisera sans doute davantage dans l’avenir.

J’en viens à la mise en place d’un nouveau système de pilotage. Nous ne pouvons pas rester dans une situation où nous serions conduits à négocier tous les deux ans. J’ai dit voici quelque temps, en manière de boutade, que si nous devions négocier tous les deux ans pendant deux ans, nous serions en permanence en négociation ! Le nouveau système de pilotage pourrait constituer un système de régulation des cycles de négociation, afin d’éviter d’avoir à revenir sur les négociations antérieures.

Enfin, en ce qui concerne les négociateurs et les gestionnaires, j’estime qu’il faut redonner du pouvoir aux gestionnaires en matière de pilotage des régimes. Les conseils d’administration doivent jouer pleinement leur rôle. Ils ne doivent pas être une simple chambre d’enregistrement des décisions prises par les négociateurs.

Les dispositions inscrites dans l’accord en la matière ne sont pas celles qui ont été soulignées dans la presse ou dans les médias, mais elles me semblent extrêmement importantes pour l’avenir. Elles permettront de mieux structurer et de mieux professionnaliser le rôle des administrateurs et des présidences paritaires.

M. le président Arnaud Richard. Vous parlez de pilotage et de cycles de négociations. Ce n’est pas la même chose : le pilotage se fait au quotidien. J’aimerais que vous apportiez des précisions sur ce point.

M. Jean-Paul Bouchet. S’agissant de ce qui figure dans l’accord, nous parlons bien de pilotage stratégique. Il ne s’agit pas de pilotage gestionnaire au quotidien. Dès lors que l’on parle de stratégie, on parle de stratégie à moyen et long terme.

Je prendrai l’exemple de l’accord précédent. Nous avions déjà pris des mesures visant à réduire nos coûts de gestion et élaboré un premier plan d’action, qu’il faudra prolonger. Nous avions envisagé une échéance à 2018-2019, que nous avons reportée à 2022. Quand, en 2015, nous prenons des mesures qui nous engagent sur des durées plus longues, il s’agit certes de pilotage gestionnaire, mais aussi de pilotage stratégique.

L’unification des régimes et des règles de gouvernance nous engage à moyen terme, et je vais prendre un autre exemple. Il va y avoir une négociation sur la question de l’encadrement. Depuis cinquante ans le statut de cadre, qui est une construction de l’après-guerre, n’a jamais vraiment été formalisé. Mais, aujourd’hui, le marqueur de la protection sociale et de la retraite complémentaire ne suffit plus à définir qui est cadre ou qui ne l’est pas. Cela se passe ailleurs, dans les entreprises ou dans les branches professionnelles. Nous commettrions un déni de démocratie sociale si nous écartions ce que nos collègues négociateurs, toutes organisations confondues, patronales comme syndicales, ont défini dans des conventions collectives ou des accords d’entreprise pour indiquer qui est cadre et qui ne l’est pas, avec les différences de traitement que cela induit entre les salariés.

La chambre sociale de la Cour de cassation a rendu, fin janvier, un arrêt qui prévoit que les différences de traitement entre salariés dans les conventions collectives ou dans les accords d’entreprise doivent être justifiées. Cela va nous conduire à tourner la page par rapport à la façon dont nous considérons, depuis soixante ans, le statut de cadre. Certes, il serait difficile de nous engager pour soixante ans, mais nous avons, dans les trois ans à venir, l’obligation de repréciser ce statut dans le cadre d’une négociation nationale.

Il y a bien, je le maintiens, un pilotage stratégique de la part des gestionnaires et des régimes. Il y a aussi le cycle de négociations, dont on peut se demander s’il obéit également à un pilotage, dans la mesure où pilotage veut dire anticipation. Si les négociateurs doivent faire face à des cycles très courts, cela signifie qu’il y a un vrai déficit d’anticipation. En effet, les données sur lesquelles nous allons pouvoir nous appuyer pour prendre des décisions, autrement dit tous les systèmes d’aide à la décision, posent question.

Allons-nous nous appuyer, en fin de compte, sur les bases de données du Conseil d’orientation des retraites (COR), ou sur les données que nous demandons régulièrement aux régimes eux-mêmes ? Quels sont les systèmes et les bases de données qui peuvent constituer pour nous une aide à la décision, à l’anticipation, au pilotage, tant pour la gestion que pour la négociation ?

M. Frédéric Agenet (MEDEF), vice-président de l’AGIRC. L’accord qui vient d’être signé semble être une nouvelle preuve de la vitalité du paritarisme.

Le paritarisme est souvent critiqué. Il n’est pas facile de parvenir à un consensus social sur des sujets sensibles comme la retraite. Mais, au regard de l’histoire de l’AGIRC et de l’ARRCO jusqu’à l’accord de la fin du mois d’octobre, on s’aperçoit que cela a marché, que les régimes de retraite, dans le cadre du paritarisme, ont su s’adapter et trouver les mesures permettant d’assurer leur pérennité, et ce dans des environnements économiques très variables.

Nous avons constitué, dans le cadre du paritarisme, des réserves qui nous permettent de tenir dans la période plus difficile que nous connaissons aujourd’hui, grâce aux 60 milliards d’euros qui ont été accumulés progressivement.

Lorsque la crise est arrivée et qu’il a fallu s’adapter à un environnement économique plus défavorable, nous avons su prendre des mesures techniques et paramétriques qui n’étaient pas simples à faire accepter aux salariés, qu’il s’agisse de jouer sur la valeur de service du point ou sur le prix d’achat du point de retraite. Ce n’étaient pas des décisions faciles à prendre. Mais elles ont été prises et, en fin de compte, le paritarisme, si souvent décrié, a permis aux régimes de s’adapter en trouvant un bon consensus social, sans faire descendre dans la rue des dizaines de milliers de salariés. Cela veut dire que ce mode de gestion permet de gérer des situations très différentes, dans un climat social acceptable.

On peut se demander pourquoi, sur une période aussi longue, nous avons été capables de nous adapter à des contextes si différents.

D’abord, tout le monde est confronté à la réalité de la gestion. Les chiffres sont là et, quelles que soient les opinions et les analyses, il est nécessaire de trouver des solutions à des problèmes relativement faciles à objectiver.

Ensuite, lorsque nous sommes sur le point d’entamer une négociation, nous pouvons demander aux services techniques des fédérations de faire des analyses. Chacun peut ainsi élargir le référentiel à partir duquel il construira ses objectifs de négociation.

Enfin, il y a, dans le paritarisme, le fait de partager un objectif commun. En l’occurrence, il s’agit de la pérennité des régimes de retraite complémentaire, dont nous sommes les garants. Aujourd’hui, des millions de Français attendent de nous que nous trouvions des solutions aux difficultés de ces régimes.

Est-ce à dire que tout est rose dans le monde du paritarisme ? Certainement pas. Le paritarisme va devoir évoluer dans son mode de fonctionnement et dans sa gouvernance, en premier lieu parce que nous vivons des cycles économiques de plus en plus courts, de plus en plus rapprochés, qui nécessitent que nous nous adaptions de plus en plus vite. Or le mode de fonctionnement actuel du paritarisme est assez lourd. Il va falloir réfléchir à le simplifier et à le rendre plus efficace de telle sorte qu’il soit possible de s’adapter à des environnements qui évoluent très rapidement.

Cette évolution est inscrite dans l’accord d’octobre 2015. Dès lors que nous décidons de fusionner les deux régimes – AGIRC et ARRCO –, nous allons être amenés à fusionner un certain nombre d’institutions de retraite complémentaire. Il y aura donc, par définition, moins d’administrateurs qu’auparavant. Nous devrons réfléchir au mode de fonctionnement des instances de gouvernance, à leur taille optimale, à ce qui doit remonter au niveau des instances de gouvernance, à la part qu’on doit laisser à l’orientation stratégique et au pilotage opérationnel, à quel degré on décide d’intégrer dans la gouvernance opérationnelle ce qui relève des conseils d’administration, par exemple, et ce qui relève des directions du nouveau régime unique. Autant de questions que nous devrons définir entre nous et qui devront être traitées.

Ces évolutions sont nécessaires, mais il me semble qu’il y a, là encore, un relatif consensus sur cette nécessité et sur l’objectif vers lequel il faut tendre. Ensuite, il y aura sans doute beaucoup de discussions à mener pour mettre en place une nouvelle gouvernance, mais je crois que nous sommes sur la bonne voie.

Par ailleurs, l’accord qui vient d’être signé différencie le pilotage stratégique du pilotage opérationnel. La volonté d’avoir une vision stratégique à moyen terme me semble être un progrès très important. Nous nous sommes fixé un objectif de quatre ans. Cet objectif et les négociations périodiques que nous aurons au niveau national interprofessionnel sont des éléments importants.

Le problème majeur auquel nous sommes confrontés est celui de la crédibilité de nos régimes de retraite complémentaire par répartition. Le fait de devoir, à intervalles réguliers, entrer à nouveau en négociation, en donnant à chaque fois le sentiment que l’avenir des régimes de retraite complémentaire se joue dans ces négociations, est particulièrement anxiogène. Nous constatons régulièrement, dans les sondages, que les jeunes générations doutent de la pérennité des régimes de retraite complémentaire par répartition. Mais nous sommes capables aujourd’hui de nous diriger vers un mode de fonctionnement et un mode de pilotage qui se feront moins par à-coups, et davantage avec une vision stratégique, c’est-à-dire un pilotage stratégique mené au niveau interprofessionnel par les grandes organisations syndicales et patronales.

Ensuite, à l’intérieur du cadre ainsi défini, qui donne de la visibilité à tout le monde, y compris aux salariés et aux retraités, nous aurons la possibilité d’instaurer un pilotage opérationnel qui sera réservé aux administrateurs. Là encore, il est nécessaire de réfléchir à ce qui mérite d’être traité directement par les administrateurs parce que cela relève de la décision politique, et à ce qui peut être traité par les services techniques du nouveau régime.

Si tout se passe bien, si nous arrivons à mettre ce projet sur les rails, je crois que la situation sera moins anxiogène et que nous parviendrons à rétablir la confiance dans le système de retraite complémentaire par répartition, confiance qui est l’un de ses fondements, car sans la confiance, à commencer par celle des jeunes, il n’y a pas de bon système par répartition.

En ce qui concerne le cumul des fonctions de négociateur et de président ou de vice-président, j’ai moi-même participé, comme Jean-Paul Bouchet, à la négociation patronale, et je le rejoins dans son analyse. Il me paraîtrait dommageable et quelque peu académique de considérer que le président, qui connaît bien la vie des régimes, ne soit pas associé à une négociation et ne puisse pas faire bénéficier sa délégation de l’expérience qu’il a acquise au quotidien dans le fonctionnement des régimes. Pour autant, j’estime que ce n’est pas compatible avec le fait de diriger une délégation, car cela vous place dans un rôle de premier plan et vous amène à prendre des positions éventuellement très tranchées. Or, lorsque vous reprenez ensuite, en tant que président, votre travail au niveau des fédérations ou, demain, au niveau du régime unique, vous devez être le garant de la cohésion de l’ensemble et vous exprimer au nom de tous.

M. le président Arnaud Richard. On peut être à la fois président et négociateur, mais la règle n’a en rien été formalisée, me semble-t-il, par les instances du paritarisme ni par quelque texte que ce soit.

M. François-Xavier Selleret, directeur général de l’AGIRC, de l’ARRCO et du GIE AGIRC-ARRCO. La force du paritarisme, c’est précisément le circuit court entre négociation et gestion, car l’une des grandes difficultés réside dans la mise en œuvre.

Le circuit court permet d’aller de la négociation, donc de la conception d’éléments de pilotage et de réforme, à leur mise en œuvre. Pouvoir garantir cet élément réduit le risque d’écart entre l’objectif du négociateur et la capacité à atteindre cet objectif. C’est pour moi une force du mode de fonctionnement du paritarisme. Dans un système fonctionnant par cycles, le fait que les acteurs soient associés à la fois à la conception et à la mise en œuvre et que la négociation intègre dès le départ les conditions de cette mise en œuvre permet, par rapport aux objectifs que se sont fixés les partenaires sociaux dans la négociation, de donner le maximum de garanties quant à l’atteinte de ces objectifs.

Pour avoir travaillé dans d’autres environnements où, parfois, l’on distingue strictement le champ de la négociation ou de la conception d’une réforme et le champ de sa mise en œuvre, je peux témoigner que le circuit court, au contraire, permet de relier de manière très forte l’intention politique au sens large et les conditions de la mise en œuvre. C’est l’une des forces du modèle de gestion paritaire.

J’en viens à l’accord qui vient d’être signé. Quand on parle de retraite, on évoque souvent la grande réforme systémique qui viendrait tout résoudre sans s’attarder sur les éléments paramétriques. Là, au contraire, la création d’un régime unifié donnera aux acteurs la capacité de trouver des réponses immédiates et de disposer en même temps d’éléments systémiques. Le pilotage pluriannuel, les éléments de retraite à la carte qui reflètent le souhait de chacun d’entre nous de bénéficier d’une sorte de « sur-mesure », sont le produit du circuit court entre négociation et gestion.

On peut se demander comment les acteurs intermédiaires parviennent à continuer, dans notre pays qui connaît une forte crise de l’engagement collectif, de porter une part de l’engagement et de l’intérêt général. Ma réponse est que, dans la négociation, se joue la question de la confiance de nos concitoyens dans la retraite par répartition, mais aussi celle de l’engagement.

En ce qui concerne votre question, monsieur le président, sur l’existence de textes prévoyant le cumul ou le non-cumul des fonctions de président et de négociateur, l’accord national interprofessionnel (ANI) du 17 février 2012 a posé le principe d’incompatibilité entre les rôles de chef de file et de président. Cela étant, d’une organisation à l’autre, la mise en œuvre a été plus diverse, mais s’il y a, dans l’ANI, une dissociation des fonctions, c’est parce que le paritarisme est une formidable machine à produire du compromis. Dans une négociation, en effet, il y a parfois des tensions préalables à l’aboutissement du compromis, alors que la fonction de président est, par construction, une fonction de rassemblement en vue de la mise en œuvre.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Vos analyses confortent ce que nous avons entendu lors des premières auditions.

Ma première question s’adresse au directeur et, bien sûr, au « pilote ». Pouvez-vous apporter des précisions sur le calendrier prévu pour la fusion AGIRC-ARRCO, sur les gains escomptés et sur les éventuelles difficultés ? J’imagine que, s’il y a des gains de productivité, la question des effectifs se pose…

Ma deuxième question concerne le droit à l’information des salariés sur la retraite. J’ai moi-même essayé de calculer mes droits à la retraite, mais je n’y suis pas arrivé. Je n’ai pas non plus réussi à trouver les plateformes qui auraient pu m’y aider. Où en est-on ?

Ma question n’est pas innocente car, si nous avons l’intention de dresser un tableau de ce que représente le paritarisme dans le paysage français, nous souhaitons, au-delà, réfléchir à son évolution dans le domaine de la gestion de la sécurité sociale professionnelle, avec la création du compte personnel d’activité (CPA). Est-il nécessaire, selon vous, de gérer globalement la sécurité sociale professionnelle, ou faut-il continuer à la gérer comme elle l’est actuellement, en dissociant les différents éléments que sont les revenus de remplacement, la prévoyance, la formation professionnelle, le logement, etc. ?

Dans le premier cas, c’est-à-dire si l’on ambitionnait de gérer les personnes dans leur globalité à partir de leurs problèmes au lieu de traiter les différentes thématiques de manière cloisonnée, faudrait-il une gestion paritaire, avec le patronat et les syndicats, ou bien une gestion tripartite, quadripartite ?

Dans ce cadre, le rapport de France Stratégie évoque différentes hypothèses sur ce que pourrait être le CPA, la plus restreinte étant très concentrée sur l’emploi et la formation, et la plus large contenant une information complète sur les droits de chacun en fonction des décisions qu’il prend – par exemple celle de prendre une année sabbatique.

L’une des pistes envisagées, à échéance assez courte, par France Stratégie est que ce compte pourrait contenir une information très précise sur les droits à la retraite et leur évolution. Êtes-vous en capacité d’atteindre cet objectif et dans quel délai, compte tenu de l’expérience du groupement d’intérêt public constitué à cette fin ?

Enfin, j’estime que l’AGIRC et l’ARRCO fonctionnent bien, compte tenu de la connaissance précise qu’elles ont de leur domaine de compétence. Elles ont aussi une forte légitimité, dans la mesure où vous gérez des cotisations patronales et syndicales et que vous définissez, à travers les points de retraite, des droits proportionnels aux contributions. Les cotisations prélevées dans l’entreprise et les droits ouverts aux salariés de l’entreprise font que vous êtes parfaitement légitimes pour prendre des décisions et, comme vous les prenez ensemble, elles sont acceptées sans heurt par la population, même si ce sont des décisions difficiles.

Pensez-vous qu’il faille, au-delà de la fusion AGIRC-ARRCO, étendre le paritarisme, en matière de retraite, du côté des retraites de base ou d’autres régimes, comme celui des indépendants ou celui de la fonction publique ?

Dans la négociation sur les retraites complémentaires, la question de l’articulation avec le régime de base, qui conduit de facto à un recul de l’âge de départ, a été très prégnante. A-t-elle été gênante pour vous ? Un autre mode de gestion faciliterait-il les choses ?

Ma dernière question concerne vos réflexions sur les nouvelles formes d’activité. L’économie collaborative doit-elle verser des contributions ? Si oui, faut-il que ces contributions ouvrent des droits, et faut-il qu’ils soient gérés par des régimes de salariés, ou d’indépendants, ou les deux ? En effet, certaines formes d’activités sont plus proches du salariat, d’autres de l’entreprenariat, sans tomber pour autant dans le champ juridique de l’un ou l’autre régime.

M. François-Xavier Selleret. L’accord prévoit la fusion de l’AGIRC et de l’ARRCO et la création d’un régime unifié au 1er janvier 2019, autrement dit dans trois ans. Il prévoit également qu’un certain nombre de décisions sur les paramètres techniques devront être prises dès l’exercice 2016 afin de préparer la fusion. En effet, la remise à plat des éléments de gouvernance, de réglementation et de « modèle industriel » suppose une bonne anticipation des opérations de fusion – il avait fallu trois ans environ pour préparer dans de bonnes conditions la création du régime unique AGIRC-ARRCO en 1999. L’accord du 30 octobre dernier a prévu la conclusion d’un nouvel accord national interprofessionnel sur le régime unifié lui-même. Certains éléments qui peuvent être fixés de manière technique par les comités paritaires auront vocation à être repris par ce nouvel accord national interprofessionnel d’ici au 1er janvier 2018.

La feuille de route qui a été établie en lien avec la fusion prévoit un nouveau plan d’économies de 300 millions d’euros. Au total, les régimes ont pour objectif de réduire leurs frais de gestion de 600 millions d’euros sur la période 2013-2022, soit d’environ un tiers. Le premier plan est en cours d’exécution. Il fait d’ores et déjà apparaître des gains en matière d’informatique et de communication, ainsi que sur le « métier de la retraite ». Les gains sont surtout rendus possibles par la mutualisation, que l’on peut décliner dans tous les domaines, même si la forme peut varier. En matière d’informatique, nous centraliserons les systèmes d’information. S’agissant du service rendu à nos assurés, nous réfléchissons à la simplification de la réglementation et à l’automatisation d’une partie de nos processus. Nous espérons également obtenir des grains grâce au numérique, puisque, comme dans toute activité de service, celui-ci est amené à remettre à plat toute notre organisation, dans le domaine de l’action sociale comme dans celui de la gestion des réserves.

Le deuxième plan d’économies sera arrêté par les partenaires sociaux dans quelques mois. Le fait de pouvoir connaître tôt le quantum permet de construire une politique de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). C’est ce que nous avons déjà commencé à faire avec l’informatique. L’enjeu sera le même concernant le métier de la retraite, mais on sait bien que, pour être pleinement efficace, une politique de GPEC suppose une grande anticipation.

M. le rapporteur. Cela impliquera-t-il des réductions d’effectifs ?

M. François-Xavier Selleret. Nous avons un turnover assez favorable puisqu’il est de 6 % par an, soit près d’un tiers en cinq ans, la moitié étant des départs à la retraite. L’anticipation permet d’analyser différemment la question de la dimension de notre organisation.

M. Frédéric Agenet. L’analyse en termes de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences a été initiée au niveau des fédérations et dans tous les groupes de protection sociale qui gèrent concrètement les régimes sur le terrain. Il faut jouer sur l’attrition naturelle, le redéploiement et l’accompagnement des personnes qui, à certains moments, vont se retrouver dans des secteurs d’activité orientés à la baisse.

Comme l’a dit M. Selleret, on doit pouvoir gérer cette adaptation de façon progressive dans le cadre des valeurs qui sont celles du paritarisme, en jouant sur l’érosion naturelle et sur le développement de nouvelles activités, à la fois en termes de conseil et d’information des salariés et dans le domaine de l’assurance des personnes au niveau des groupes de protection sociale.

M. François-Xavier Selleret. Depuis une dizaine d’années, dans le cadre des travaux liés à l’interrégime, nous envoyons tous les cinq ans à chaque concitoyen un relevé individuel de situation. Ce document est dorénavant accessible en ligne, ce qui permet à chacun de connaître le relevé de ses droits. Lorsque l’on est à quelques années de la retraite, on peut avoir une estimation indicative globale (EIG).

En lien avec la réforme, nous avons été amenés à mettre en ligne un simulateur qui intègre, dans un premier temps sur un modèle déclaratif, les conséquences des éléments de choix permettant aux salariés de pouvoir arbitrer en fonction des différents niveaux. Cet outil avait été développé au sein de l’AGIRC-ARRCO dans un groupe de travail sur la protection sociale. Actuellement, nos concitoyens sont obligés de saisir eux-mêmes leurs données, mais, pour que le système soit le plus simple possible pour eux, nous avons prévu de charger les données réelles d’ici au deuxième trimestre de l’année prochaine. Ainsi, les assurés n’auront plus besoin de ressaisir à chaque fois tous les éléments, et ils disposeront en quelques clics seulement, à partir de la rentrée de 2016, d’un relevé individuel, c’est-à-dire d’un bilan de la période écoulée ; ils pourront également faire des simulations. Tous les éléments que nous évoquons dans le cadre du GIP Union Retraite vont nous conduire à repenser les supports du droit à l’information, ne serait-ce qu’en termes d’actualisation et de rafraîchissement des données.

M. Jean-Paul Bouchet. Notre mission ne peut pas se résumer à un pilotage des plans d’action par la seule rationalité gestionnaire. Il faut prendre en compte le bénéficiaire final, ce qui revient à la question des services qui lui sont apportés. M. Selleret vient d’évoquer le relevé individuel. Pour qu’il y ait retraite à la carte, encore faut-il délivrer une information fiable, mais ce n’est pas simple quand il s’agit d’une personne qui, au cours de sa carrière, a été affiliée à plusieurs régimes qui obéissaient à des caisses de retraite différentes, avec des systèmes informatiques différents. C’est pourquoi la tentation existe de passer à un système unique, mais, je le dis clairement, ce serait la pire des solutions. Le système d’information doit être unifié et le pilotage être assuré par le bénéficiaire final. Cela veut dire que la capacité à coopérer, mais aussi à agréger des données issues de systèmes différents, est un élément important. N’oublions pas, cependant, que nous sommes passés en très peu de temps de quarante-deux ou quarante-trois systèmes informatiques différents à deux ou trois seulement, et que notre objectif est de parvenir à un seul système – je parle, bien sûr, de l’ensemble des retraites complémentaires du privé.

Les décisions à prendre et les choix à faire, qui sont à la fois stratégiques et de gestion, devront d’abord être guidés par la rationalité des bénéficiaires – c’est-à-dire celle du client final. D’autres pourraient s’imposer, mais ce ne seront pas nécessairement les plus efficaces en direction de ces publics-là. La question du continuum de protection sociale est clairement posée, quels que soient les statuts.

M. Frédéric Agenet. Pour que le compte personnel d’activité fonctionne, encore faut-il que le système soit simple.

Vous demandez s’il faut instaurer une gestion globalisée des droits ou, au contraire, maintenir une gestion différenciée par nature de droits. À l’ère du numérique, il me semble que l’on finira par avoir une vision globale de l’ensemble des droits des salariés, étant précisé qu’il faudra savoir ce que l’on veut intégrer et ne pas intégrer dans le compte personnel d’activité.

Je crois qu’il faudra en rester à une gestion différenciée, droit par droit. Une gestion globale me paraît assez antinomique avec l’objectif de simplicité dont j’ai parlé tout à l’heure.

Faut-il étendre le paritarisme à d’autres domaines ? Je serai tenté de répondre oui, tout en étant conscient de la difficulté. On voit bien que le paritarisme ne fonctionne jamais complètement de la même façon. Toutefois, ce mode de fonctionnement correspond à la situation de notre pays. Il permet à tout le monde d’être acteurs et de s’approprier la situation de départ, de faire l’effort de la comprendre. Cela introduit une responsabilité collective dont nous avons besoin. Mais ce n’est pas si facile à faire. Je pense que beaucoup de questions peuvent être réglées de cette manière.

M. Denys Robiliard. Vous dites que le régime unique serait la pire des choses, mais vous avez donné des éléments qui vont dans cette direction. Quand on parle de mutualisation et que l’on passe de quarante-deux à trois systèmes d’information, ce qui ouvre la voie à une situation où il en restera finalement deux, celui de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) et le vôtre, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout et parvenir à un seul système ?

On peut également se demander si l’on doit aller vers une unification statutaire. Ce sont les choix des partenaires sociaux qui font qu’il y a des différences en ce qui concerne les droits et que l’objectivation des choses n’est pas si simple que cela. Il me semble que l’arrêt de la Cour de cassation que vous avez cité est la fin d’une série, que la nouvelle présidence a ouvert une nouvelle ère et que la jurisprudence est en train de revenir petit à petit sur des positions qui avaient été prises. Ainsi, les solutions qui paraissaient acquises ne le sont plus nécessairement.

Selon vous, qu’est-ce qui fonde le maintien de la coexistence d’un régime légal et d’un régime complémentaire conventionnellement défini ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Je souhaite que vous alliez plus loin dans votre réponse à la question de notre rapporteur sur les nouvelles formes de travail. Nous connaissons actuellement de profondes mutations de notre économie, donc de notre société. De nouvelles formes de travail apparaissent avec – pourquoi pas ? – la fin du salariat. Dès lors, comment pourrait se réorganiser le paritarisme ? Vous avez dit tout à l’heure qu’il ne fallait pas de déficit d’anticipation.

M. le président Arnaud Richard. Je souhaite vous interroger sur le sujet extrêmement sensible, et assez peu évoqué, des réserves. J’imagine que vous les gérez bien. Je pense aussi que le Trésor ou d’autres acteurs de l’État peuvent vous donner d’excellents conseils en la matière.

Il y a quelques années, des salariés ont changé de régime et sont passés de l’Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques (Ircantec) à l’AGIRC-ARRCO, ce qui avait donné lieu à quelques difficultés. Ces tensions entre les régimes existent-elles toujours ? Comment, après cet exercice difficile, voyez-vous la gestion de ce type de transfert ?

M. Frédéric Agenet. Les deux régimes obéissent à des objectifs et à des approches différentes qui justifient qu’ils soient conservés, même s’il est évident que le lien entre les deux est très fort et qu’il faudra de plus en plus de coordination en ce qui concerne la façon de faire évoluer ces deux régimes. La négociation qui vient de s’achever s’est articulée autour de l’âge d’ouverture des droits à la retraite du régime général.

Les régimes de retraite complémentaire se veulent contributifs. Ils sont alimentés par les cotisations des employeurs et des salariés, et obéissent donc à une autre logique que celle du régime général qui comporte des notions plus politiques, notamment celle de solidarité.

Vous demandez quelle peut être l’évolution des nouvelles formes d’activité sur le paritarisme. Je ne crois pas, Dieu merci, que l’on aille vers une disparition du salariat. Il est plus vraisemblable qu’un salarié passera par différentes formes d’activité – salariées, indépendantes, combinées – tout au long de sa carrière. Il faut donc prévoir des couvertures en matière de retraite pour ceux qui ne seront plus dans le cadre du salariat et un suivi des droits du salarié tout au long de sa vie professionnelle. Je serai tenté de dire que plus on ira vers des carrières accidentées, comprenant des formes d’activité différentes, plus il sera important d’assurer un bon suivi des droits acquis par le salarié.

Ces nouvelles formes d’activité posent davantage la question de la qualité du système d’information et celle des outils de retraite les plus adaptés que celle de l’évolution du paritarisme en tant que tel.

Vous avez raison, nous sommes dans une période de transition. La jurisprudence initiale était potentiellement explosive en ce qu’elle aboutissait à déstabiliser l’ensemble du système de conventions collectives en France, puisqu’il s’agissait de devoir justifier que toutes les différenciations qui existaient dans ces conventions collectives soient objectivables. Les conventions collectives avaient été largement bâties, pour des raisons historiques, sur une différenciation entre cadres et non-cadres. L’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui reconnaît en quelque sorte le droit aux partenaires sociaux de convenir qu’un certain nombre d’avantages sont réputés objectivement justifiés, constitue incontestablement un facteur de stabilité. Il me semble que la situation est plutôt meilleure qu’auparavant. Sur le plan juridique, nous avions en effet très peu de visibilité et, pour parler très clairement, nous étions dans une situation à risques.

M. Jean-Paul Bouchet. Vous nous demandez pourquoi nous n’allons pas jusqu’au bout lorsque nous mutualisons les systèmes d’information. N’oublions pas qu’il s’agit de systèmes par points et qu’il y a des contrats avec les entreprises. L’hypothèse d’une collecte unique a été envisagée, mais c’est extrêmement compliqué. Cela ne veut pas dire qu’il ne faudra peut-être pas réfléchir à une simplification, mais si nous avons pu transférer à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) une population qui relevait de l’Unédic, c’est parce que nous étions dans des logiques de forfait. On peut appliquer des règles forfaitaires à une population homogène, mais, dès que l’on s’en écarte, cela ne marche plus. Ne cédons pas trop rapidement à la tentation de parer l’unification de toutes les vertus parce que supprimant toute forme de complexité : reconnaissons que la complexité existe.

Un système de retraites complémentaires ne signifie pas qu’il n’y a pas de solidarité, mais que cette solidarité est celle que l’on a choisie, à travers certaines règles. Lorsque l’on est représentant des salariés ou des entreprises, on ne peut pas faire comme si ceux qui nous ont portés à ces responsabilités n’existaient pas. Ils craignent qu’un régime unique soit synonyme de régime de base, c’est-à-dire, dans leur esprit, de nivellement par le bas. Il faut donc conserver une forte proportion de contributif. Nous n’avons pas, aujourd’hui, de mandat pour aller vers autre chose.

M. François-Xavier Selleret. Lors de la création de la sécurité sociale, les cadres s’étaient demandé si leur régime les couvrirait en matière de retraite. Pierre Laroque leur avait répondu qu’il assurait, pour sa part, la couverture de base. Si l’AGIRC a été créée, c’est précisément parce que la sécurité sociale était un régime de base. A-t-on l’expérience, dans le monde de la protection sociale, d’un régime unique qui soit un régime de base ? Le seul exemple existant, en France, était celui de la famille, mais les allocations familiales sont désormais servies sous condition de ressources. En ce qui concerne la maladie et la retraite, on a un système à deux étages.

Oui, en revanche, à la simplicité, oui au guichet unique. C’est un sujet qui revient lorsque l’on veut assurer la gestion du risque pour les classes moyennes.

Les réserves ont fait l’objet de rapports de la Cour des comptes et de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Nous sommes une « maison de verre », une maison transparente. Comme l’a rappelé la Cour des comptes, nous n’avons pas un seul euro de dettes et nous avons 60 milliards d’euros de réserves.

L’allocation stratégique des réserves, qui est en cours de réexamen, est étroitement dépendante de l’horizon temporel de notre actif et de notre passif. La proportion actuelle est environ de 70 % d’obligations et de 30 % d’actions. Plus l’horizon temporel est long, plus la part des actions est grande ; plus l’horizon temporel est court, plus la part des obligations est élevée. Aujourd’hui, nos réserves sont en grande partie confiées, après appel d’offres, aux grands gestionnaires d’actifs de la place, comme Amundi, BNP Paribas, AXA. À la demande des partenaires sociaux, nous réfléchissons à la manière de réduire le coût de gestion de ces réserves. L’allocation stratégique est en cours de réexamen parce que les partenaires sociaux souhaitent privilégier davantage les investissements socialement responsables, ainsi que les grands objectifs de financement de l’économie française. Nous débattons de toutes ces questions de manière très transparente.

Cela ne nous pose aucun problème d’aller chercher la compétence là où elle s’exerce. Autant nous avons des échanges avec la direction générale du Trésor et la direction de la sécurité sociale sur l’action des régimes de retraite, autant il nous semble que la gestion des actifs doit être confiée à des sociétés spécialisées, qui travaillent pour nous comme elles le font pour le Fonds de réserve des retraites.

Nous voulons être d’une parfaite exemplarité en matière de gestion des réserves, car il s’agit de cotisations qui nous sont confiées par les salariés français. Nous leur devons une gestion performante, mais aussi une gestion de père de famille car nous n’avons pas les moyens de jouer avec leur argent.

Les transferts de populations entre l’Ircantec et l’AGIRC-ARRCO donnent lieu à des échanges réguliers et à des calculs de compensation. Nous sommes également en discussion avec cette institution sur la question des contractuels de droit public. Actuellement, les maîtres de l’enseignement privé sous contrat cotisent à l’AGIRC-ARRCO. Or, à partir du 1er janvier 2017, les nouveaux maîtres de l’enseignement privé sous contrat devront cotiser à l’Ircantec. Inversement, des établissements qui ont un statut d’établissement public à caractère industriel et commercial verront leurs nouveaux salariés, qui cotisaient jusqu’alors à l’Ircantec, dépendre de l’AGIRC-ARRCO. Nous réfléchissons donc avec l’Ircantec pour calculer les bonnes modalités de compensation. Nos relations sont de grande qualité. Nous travaillons ensemble parce que nous savons que nous avons une obligation de résultats.

M. le rapporteur. Avez-vous mené une réflexion approfondie sur les nouvelles formes d’activité ? On a constaté un recul du salariat, même s’il n’est pas massif. Le phénomène peut s’accélérer ou non très rapidement. Le fait qu’il y ait un million d’auto-entrepreneurs aboutit-il à une perte de recettes pour l’AGIRC-ARRCO ? Si tous les offreurs de services d’Uber devenaient des salariés, cela générerait-il des recettes supplémentaires ?

Quel a été pour vous l’impact de la loi sur le compte personnel de prévention de la pénibilité ? Faut-il gérer de manière globale les différents risques en partant des personnes ou continuer à distinguer ce qui relève de la formation, de la retraite, etc. ? Le compte de prévention de la pénibilité est un embryon du compte personnel d’activité pour le régime de base, en ce qu’il permet soit de partir plus tôt à la retraite, soit de se former, soit de travailler à temps partiel. Cela crée une fongibilité entre les différents droits, entre les différents comptes.

M. Jean-Paul Bouchet. L’AGIRC et l’ARRCO n’ont pas mené de réflexion approfondie sur les nouvelles formes d’activité ni sur le lien qu’elles pourraient avoir avec le paritarisme. Cela ne veut pas dire que les partenaires sociaux, organisations syndicales ou patronales, n’ont pas abordé cette question. Ce matin, avant de venir, j’ai assisté à une réunion du bureau national de la CFDT où cette question était à l’ordre du jour. Nous sommes aussi fortement impliqués dans la réflexion sur le compte personnel d’activité, ainsi d’ailleurs que sur les nouvelles formes d’emploi. Mais je ne suis pas devin, et il est très compliqué de faire un travail de prospective là-dessus.

Revenons sur les formes d’emploi qui existent en périphérie du salariat, par exemple à travers les coopératives d’activité ou le portage salarial. Le constat que je fais – en tant que membre d’une organisation syndicale et non en tant que président de l’AGIRC – est que ce sont les individus, et pas seulement les institutions ou ceux qui ont une responsabilité, qui finissent par demander une certaine régulation. C’est ce qui s’est passé avec le portage salarial, système qui avait été très controversé et très décrié. Je fais donc le pari que, quelles que soient les formes d’emploi et d’activité, on aura besoin de régulation collective. Nous n’avons pas encore mené cette réflexion, mais nous nous pencherons certainement sur le sujet un jour ou l’autre. Et je ne suis pas certain que le paritarisme sera totalement absent de tous ces mouvements.

M. Frédéric Agenet. Si j’ai bien compris, vous souhaitez savoir quel est l’impact du compte de prévention de la pénibilité sur l’AGIRC-ARRCO. Il est difficile de le dire aujourd’hui, dans la mesure où il n’est pas encore possible de savoir précisément combien de personnes seront concernées, quel est le coût du système ni, par voie de conséquence, quel en sera l’impact sur l’équilibre financier des régimes complémentaires.

C’est un sujet que nous n’avons pas abordé frontalement et directement dans la négociation, faute d’une visibilité suffisante. Il était sans doute sage de procéder ainsi. Si nous avions procédé différemment, nous aurions ajouté un élément de complexité supplémentaire à notre négociation. Le système que nous venons de définir nous permet maintenant de gérer cette question. Dès que nous en connaîtrons l’impact financier, nous serons capables de voir comment le système s’inscrit dans notre trajectoire d’équilibre au cours des quatre prochaines années puis de prendre éventuellement des mesures.

Il m’est donc difficile de vous en dire davantage aujourd’hui. Nous avons bien identifié le sujet, mais nous avons encore besoin d’un peu plus de visibilité pour pouvoir commencer à travailler concrètement sur ce point.

M. le président Arnaud Richard. Messieurs, nous vous remercions. Nous vous enverrons un questionnaire écrit plus spécifique notamment sur la mise en œuvre de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 17 février 2012 qui donne un cadre très clair et très lisible à l’exercice de vos fonctions sur lesquelles nous avons besoin de quelques éclaircissements supplémentaires.

*

Puis la mission entend M. Philippe Hourcade, président de Dialogues et M. Jean-Dominique Simonpoli, directeur général.

M. le président Arnaud Richard. Nous accueillons, en les personnes de MM. Philippe Hourcade, son président, et Jean-Dominique Simonpoli, son fondateur et directeur général, l’association Dialogue, qui permet à des syndicalistes et à des directeurs des ressources humaines d’échanger leurs analyses et leurs points de vue sur le paritarisme ainsi que de sur nombreux autres sujets. M. Hourcade est consultant en relations publiques et ancien secrétaire général de la Fédération des organismes sociaux CGT. M. Simonpoli, ancien secrétaire général de la fédération CGT des banques et des assurances, était membre de la commission Combrexelle, qui a produit le rapport sur la négociation collective, le travail et l’emploi, dont nous avons déjà débattu.

Au regard des questions qui peuvent se poser sur le bilan, l’efficacité, et les évolutions possibles ou souhaitables du paritarisme aujourd’hui, entendu dans un sens très large qui comprend les formes variées de négociations collectives existantes, il nous a paru intéressant de vous entendre sur ces questions en tant qu’observateurs attentifs, mais peut-être aussi en tant qu’anciens acteurs.

M. Philippe Hourcade, président de l’association Dialogues. Nous compléterons votre présentation de notre association afin que vous compreniez le sens que nous avons voulu lui donner à sa création et quels sont ses contours aujourd’hui. Nous sommes observateurs mais aussi acteurs, en effet, puisque nous essayons, au sein de Dialogues, de trouver des voies et moyens permettant aux acteurs du monde de l’entreprise de mieux en mieux se comprendre et de construire des perspectives communes.

M. Jean-Dominique Simonpoli, fondateur et directeur général de l’association Dialogues. Nous travaillons avec les grandes confédérations syndicales et les grandes entreprises sur des sujets tels que la formation des acteurs de la négociation, et notamment des administrateurs d’organismes paritaires – question qui se trouve au cœur de votre mission. En effet, s’il y a des dysfonctionnements dans le paritarisme, c’est, entre autres, parce que les syndicalistes et les entreprises méconnaissent les enjeux de la négociation collective, alors même que cette dernière se développe au sein desdites entreprises. Nous avons donc mis sur pied pour les syndicalistes un dispositif de formation avec l’Institut d’études politiques de Paris, qui est plutôt un succès. Notre idée est de renforcer les compétences de tous les acteurs de la négociation, qu’ils relèvent d’un organisme paritaire ou pas.

M. Philippe Hourcade. Pour en venir plus précisément au thème de vos travaux, on ne peut traiter du paritarisme en soi. Il faut d’abord en avoir une définition partagée et bénéficier de conditions qui permettent de faire vivre le dialogue social dans ce pays et d’obtenir des évolutions contractuelles. Nous sommes de fervents partisans du dialogue social et de la possibilité pour les acteurs de se rencontrer, de discuter et de produire du consensus pour peu qu’ils aient une compréhension réciproque des enjeux en cause. Il arrive que des accords collectifs conclus entre les partenaires sociaux ou des décisions prises par le politique se traduisent par la mise en place d’outils de régulation et de dispositifs impliquant la participation desdits partenaires sociaux à leur gestion.

La capacité des acteurs sociaux à s’approprier le paritarisme a connu des évolutions, dont la plus notable concerne la gestion des régimes obligatoires de sécurité sociale : d’essence paritaire à la Libération, ces régimes ont connu des inflexions telles que leur centre de gravité a été réorienté vers leurs enjeux économiques et sociaux. Si la faculté pour les acteurs de participer à la gestion de ces régimes obligatoires a été maintenue, force est de constater que leur capacité autonome de gestion est aujourd’hui fort réduite : ils ne sont malheureusement que consultés au préalable sur la stratégie de santé. Il est évident que la définition de cette stratégie relève de l’État, mais peut-être pourrait-on renforcer la possibilité d’y associer les partenaires sociaux. Même si, en effet, le régime général couvre toute la population, il continue à prendre ses racines au cœur du salariat et ses mécanismes de financement – contribution sociale généralisée (CSG) comprise – sont conçus en référence au salariat ou aux revenus différés que sont les retraites. J’imagine que les partenaires sociaux ont dû vous faire part de leur insatisfaction de ne plus pouvoir participer pleinement à la politique de santé ni à sa mise en œuvre – les marges de manœuvre qui leur sont laissées dans les organismes paritaires étant de plus en plus réduites.

Au cours de ces vingt dernières années, on a aussi vu surgir la volonté, de la part de l’État, d’associer des personnalités qualifiées aux structures paritaires. Or, on pourrait contester l’essence démocratique de ce troisième collège. Cette association signifie-t-elle que la composition des organismes paritaires ne le serait pas assez ? À l’observation, on s’aperçoit que la nomination de personnalités qualifiées par les pouvoirs publics répond surtout au souhait de voir maintenus certains équilibres.

Je n’irai pas plus loin concernant ce premier point, car vous recevrez Dominique Libault après nous, et je sais que ce grand spécialiste des régimes obligatoires de protection sociale essaie de faire passer certaines idées concernant la formation des administrateurs. Nous lui en laisserons donc la primeur. Mais le nœud du problème est bien le fait que l’on ne peut responsabiliser les acteurs en l’absence de dispositif de formation qui les rende capables de s’occuper de la gestion que le pays, leurs électeurs ou leurs mandants leur ont confiée. Il y a là un vrai déficit, puisque l’essentiel des cursus de formation sont propres aux organisations qui ont présenté des candidats aux postes de représentants. Notre association essaie modestement de combler ce manque, mais nous n’avons pas vocation à nous substituer à d’autres acteurs.

Il manque actuellement un dispositif de formation globale de l’ensemble des acteurs, quel que soit le lieu où ils exercent leurs responsabilités, qui leur permette d’avoir une vision partagée des enjeux économiques et sociaux. Il y a beaucoup à faire en ce domaine ; cela contribuerait aussi à la revalorisation de la démocratie sociale, qui revêt une grande importance à nos yeux. Je n’épiloguerai pas sur les événements que nous avons vécus ces deux derniers dimanches, mais il ne faut jamais négliger le fait que la démocratie sociale est un pilier indispensable de notre République. Et que, contrairement à ce que la surface des choses peut laisser à penser, cette démocratie sociale est très active dans les entreprises, dans les territoires et dans les branches.

J’en viens aux dispositifs pour lesquels les partenaires sociaux ont un peu plus de marges de manœuvre, dans la mesure où ils sont nés de leur volonté commune – qu’il s’agisse de la formation professionnelle, de l’assurance chômage ou des institutions créées pour piloter les régimes complémentaires de retraite, de prévoyance et de santé. Ces dispositifs peuvent toujours être améliorés, mais sous réserve de laisser aux partenaires sociaux le temps de la négociation. L’État peut jouer un rôle de garde-fou mais il conviendrait qu’il soit moins présent et pressant pour laisser plus de liberté aux acteurs concernés.

On touche là à une question qui vous intéresse directement : celle de l’articulation entre la capacité des partenaires sociaux à contractualiser et l’obligation de transposer leurs accords dans la loi. On a pu voir votre assemblée légiférer en des termes qui ne correspondaient pas toujours à ce qu’avaient souhaité les partenaires sociaux. Cette articulation mériterait d’être revue afin de maintenir la liberté de négociation et de faire en sorte que votre fonction de garant de l’intérêt public s’exerce sans trop édulcorer les facultés qu’ont voulu se donner les partenaires sociaux. Ainsi, les débats sur la partie de l’accord national interprofessionnel (ANI) relative à la généralisation de l’assurance complémentaire santé ont abouti au vote d’une loi assez différente des intentions des négociateurs. Il conviendrait peut-être que le législateur travaille plus en amont avec les partenaires sociaux pour avoir une meilleure compréhension de leurs objectifs sans que son rôle soit remis en cause.

M. le président Arnaud Richard. C’est un point très sensible pour les parlementaires, et il faudra que nous y travaillions. De deux choses l’une en effet : soit il y a un ANI et on nous dit de voter l’ANI, tout l’ANI et rien que l’ANI, soit il n’y en a pas et vous venez nous voir pendant les débats en nous indiquant ce que vous auriez aimé voir figurer dedans. C’est un peu fatigant pour nous... Il faut, vous avez raison, que la démocratie sociale s’ancre dans un processus juridique stable. Mais, souvent, lorsque des parlementaires essaient de consulter les partenaires sociaux avant les négociations, ces derniers leur répondent qu’ils doivent les laisser faire et qu’on verra après !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Ayant été rapporteur de la loi transcrivant l’ANI du 17 février 2012, je ne peux qu’appuyer ce que vient de dire notre président – même si je ne l’ai pas entendu à ce moment-là dans l’hémicycle aussi clairement que ce matin… Les partenaires sociaux ont été auditionnés cinq fois avant le vote de la loi, pendant qu’ils négociaient – et, comme l’a dit notre président, cela nous a été reproché. Nous leur avons notamment dit qu’il ne nous paraissait pas légitime qu’ils négocient sur les prud’hommes, c’est-à-dire sur la juridiction dont ils dépendent. Les choses étaient plus compliquées concernant les régimes complémentaires, car le sujet est apparu comme une forme de contrepartie à la libéralisation du droit du travail, sans que l’on se demande que faire de ce « deuxième étage » qui prend de plus en plus de place dans l’assurance-maladie, et sans qu’il y ait de vision transversale. Or, comment couvrir les assurés du monde du travail sans se demander, dans le même temps, que faire des étudiants et des retraités, sachant que les modalités d’assurance des salariés ont des conséquences financières sur les non-salariés ?

Concernant cet accord, la façon dont on a fonctionné est au fond assez saine. Des élections ont eu lieu. Puis le Gouvernement a fixé une feuille de route, demandant aux partenaires sociaux de négocier sur plusieurs sujets. Ensuite, on nous a reproché d’être intervenus mais, pendant six mois, les partenaires sociaux ont bien négocié et sont d’ailleurs parvenus à un accord. De toute façon, ce type de négociations présente toujours les mêmes défauts : on est pendant six mois face à un texte qui suscite beaucoup de polémiques et que l’on finit par modifier complètement au cours de la dernière nuit. Le débat public est alors cristallisé, ce qui empêche les uns et les autres d’avoir des positions convergentes. Mais peu importe : un accord a été signé qui réformait de nombreux domaines importants pour les Français. Ensuite, les parlementaires ont joué leur rôle, et je me réjouis que vous les trouviez légitimes à le faire, car ce rôle me semble essentiel, sous réserve que l’on ne dépasse pas ce que j’appelle la « ligne de crête » et que l’on ne mette pas non plus en difficulté ceux qui ont négocié. Nous ne pouvons évidemment jeter un accord aux oubliettes, mais il me semble capital que nous apportions notre expertise et notre intelligence sur les questions que nous considérons comme relevant de l’intérêt général et non du seul monde du travail. J’ai également revendiqué la volonté de prendre en compte les positions des organisations non signataires. Ce qui compte in fine, c’est que la dynamique de négociation se poursuive et que les lois soient utiles au pays.

Je ne vois pas d’autre solution que d’inventer une sorte de valse à trois temps. Dans un premier temps, une orientation politique est donnée. Puis se déroule la négociation. Le président comme moi-même sommes très attachés à ce que, à chaque fois que c’est possible, les acteurs puissent prendre ensemble les décisions qui les concernent. Le cœur de notre mission d’information consiste à déterminer si les frontières entre ce qui relève du paritarisme, de l’État et du tripartisme sont bien positionnées ou non, et quel mode de gestion inventer face aux nouvelles questions qui se posent à nous – nouvelles formes d’activité, sécurité sociale professionnelle…

Je tenais à préciser ce point de méthode concernant l’ANI, car il est très lié au sujet que nous traitons aujourd’hui.

M. Denys Robiliard. Je pense pour ma part que la démocratie sociale fait partie intégrante de la démocratie politique. Elle en est un des éléments – mais pas sa totalité, naturellement. Vous semblez dire que nous aurions transcrit dans la loi, en nous éloignant de la volonté des partenaires sociaux, la partie de l’accord relative à la complémentaire santé. Cela m’étonne car je n’en ai pas souvenir. Je sais qu’une difficulté s’est posée concernant la clause de désignation des prestataires de complémentaire santé, mais elle était d’ordre constitutionnel et non politique. En dehors de cela, je ne vois pas où le législateur se serait éloigné de la position des partenaires sociaux telle qu’elle résultait de l’ANI. Pourriez-vous nous éclairer sur ce sujet ?

M. Philippe Hourcade. Il serait prétentieux de ma part de distribuer les bons et les mauvais points, mais je visais à la fois le dispositif législatif que vous avez adopté et les mesures réglementaires qui ont été prises ensuite. De cet ensemble – et je sais que les rédacteurs des textes ne sont pas les mêmes – sont nées beaucoup de difficultés. On le voit encore avec le texte réglementaire que le Gouvernement s’apprête à publier sur le chèque santé : il semble perturber jusqu’aux gestionnaires d’organismes paritaires, qui n’ont pas été associés à sa rédaction. Ce n’est pas la finalité poursuivie qui est en cause, mais je pourrais prendre d’autres exemples, comme le décret visant à garantir la transparence des appels d’offres des régimes de complémentaire santé dans les entreprises, qui est une vraie usine à gaz. Certes, on pourra se satisfaire de ce que, l’an prochain, l’ensemble des salariés soient couverts par des régimes obligatoires de complémentaire santé, mais cela a soulevé de nombreuses difficultés, qu’il faudra résoudre très vite pour ne pas trop morceler la société française. Enfin, vous avez créé une obligation pour les entreprises au 1er janvier 2016, mais il conviendra de définir les conditions de contrôle du respect de cette obligation, car rien n’est prévu pour le moment à cet égard. Or il convient d’éviter que des salariés se voient privés de cet avantage.

Je ferme la parenthèse sur ce point, mais les débats relatifs à la désignation des prestataires de complémentaire santé et la censure du texte par le Conseil constitutionnel n’ont pas facilité la mise en œuvre d’un dispositif qui, certes, n’avait été décrit que dans ses grandes lignes dans l’ANI. Il convient de veiller, même si cela vous est reproché, à ce que les partenaires sociaux – signataires et non signataires – soient au plus près de ce qui vous guide quand vous élaborez des lois transposant des accords.

Autre point, il faudra très certainement l’an prochain s’interroger quant à l’incidence sur la gestion paritaire des questions de représentativité. Pour le moment, ce point n’a guère fait l’objet de réflexions : cela remet-il en cause les mécanismes actuels de désignation – puisque les représentants ne sont élus qu’au troisième degré, et en réalité désignés par les confédérations ou fédérations syndicales ? Il semble également urgent de clarifier les conditions de représentativité des employeurs dans la négociation sociale et dans le cadre du paritarisme. Il importe de ne pas négliger les nouvelles formes de salariat, que vous évoquiez tout à l’heure, ni leurs employeurs qui ne sont pas toujours reconnus comme représentatifs. La ministre du travail a certes fait quelques ouvertures vis-à-vis des employeurs de l’économie sociale, de l’Union nationale des professions libérales (UNAPL) et de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Mais il nous semble qu’il faut aller plus loin, pour que les syndicats de salariés négociateurs aient en face d’eux l’ensemble du champ des employeurs. Ils sont, bien sûr, présents au niveau des branches puisque chacun est maître de la sienne, mais, au niveau interprofessionnel, il faut que soient présents l’ensemble des employeurs représentatifs de la diversité de notre pays. Ce sujet devra être abordé dans le courant de l’année prochaine afin que, lors du rendez-vous de 2017, tous les acteurs sachent comment les choses vont se présenter.

Nous voudrions à présent évoquer les questions de formation. Il nous semble essentiel d’instaurer des mécanismes, aujourd’hui encore inexistants, de formation des acteurs sociaux, qui soient coercitifs ou plus incitatifs. Il conviendrait en outre d’inciter au renouvellement des militants investis dans l’exercice de responsabilités syndicales, par exemple en instaurant une limitation du nombre de mandats syndicaux – limitation qui n’existe aujourd’hui que dans très peu de fonctions puisque, au sein de la sécurité sociale, seuls les présidents d’organisme se voient imposer de telles limites. Il ne serait pas inutile d’inciter les partenaires sociaux à renouveler leurs équipes et à revivifier leur pensée.

M. le président Arnaud Richard. Il ne faut effectivement pas avoir peur d’aborder ces sujets sensibles. Sans faire d’analogie avec le monde politique, le statut du représentant syndical est-il stabilisé, clair, précis, encadré ?

Nous avons évoqué avec Jean-Denis Combrexelle la création, sur le modèle de l’institut fondé dans son domaine par le ministère de la défense il y a soixante-dix ans, d’un institut des hautes études du dialogue social – et je crois que d’autres personnes auditionnées y étaient plutôt favorables. Compte tenu du manque de brassage que l’on doit constater aujourd’hui, l’idée serait de réunir chaque année des promotions de cent personnes – des syndicalistes, des dirigeants d’entreprises, des fonctionnaires, des hommes du monde judiciaire, du monde politique, du monde journalistique – et faire en sorte que le dialogue social soit mieux connu dans toutes les sphères de la société. Qu’en pensez-vous ?

M. Jean-Dominique Simonpoli. J’étendrai la réflexion au dialogue social en général : comment concevoir dans notre pays un dialogue social qui corresponde à une répartition des rôles entre les différents acteurs – pouvoir politique et pouvoir de la démocratie sociale ? On ne peut aborder cette question qu’en ayant à l’esprit un enjeu tout aussi important : celui du rôle des acteurs. Si l’on veut, demain, avoir des corps intermédiaires qui fonctionnent, il faut qu’ils aient un réel pouvoir. Or, un des problèmes qui se posent est celui de la sécurisation juridique des décisions prises dans le cadre de la démocratie sociale. Comment faire en sorte que les acteurs s’emparent de certains problèmes s’ils sont toujours exposés au risque de voir leurs décisions remises en cause par l’intervention ultérieure d’un pouvoir juridique ? Si l’on veut redonner du pouvoir au corps intermédiaire que représentent les organisations professionnelles et syndicales, il faut considérer que les décisions qu’elles prennent à l’issue d’une négociation ne peuvent être remises en cause par le juge et que, dès l’instant où un accord est majoritaire, cela assoit la légitimité des acteurs. Si l’on veut que, demain, ces acteurs puissent se développer et jouer un rôle efficace dans l’entreprise, il faut considérer que leurs décisions ne peuvent être remises en cause – pourvu, bien évidemment, qu’elles ne touchent pas à l’ordre public social.

Autre aspect lié au précédent : depuis plusieurs mois, certains se plaignent à juste titre des conditions dans lesquelles se déroule la négociation collective – le plus souvent au siège du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), et à partir d’un projet de texte venant toujours de ce dernier. Ne faudrait-il pas revoir la méthodologie de la négociation ? Au lieu du texte exprimant la position patronale, ne serait-il pas préférable de partir de textes élaborés par les organisations syndicales ? Cela supposerait cependant, sauf à ce que ces dernières se mettent d’accord entre elles, d’avoir à discuter d’autant de textes qu’il y a d’organisations présentes autour de la table. La question centrale est de savoir comment créer un climat de confiance entre les différents acteurs.

La formation à la négociation nous semble décisive. Pour ce qui est des représentants des organisations syndicales et patronales, nous avons en France un appareil de formation relativement déficient. En entreprise, des jeunes à peine sortis de faculté ou de grande école se retrouvent à exercer des fonctions de gestion des ressources humaines sans avoir jamais rencontré un seul syndicaliste pendant toute la durée de leurs études. Et la réciproque est vraie du côté syndical. Quant à savoir s’il faut en passer par un institut, pourquoi pas ? Mais, de manière plus générale, il faudrait que, dès la formation post-baccalauréat, les élèves rencontrent des acteurs de l’entreprise puisqu’ils seront amenés à y devenir acteurs eux-mêmes. La méconnaissance crée inévitablement de la défiance.

Faut-il définir un statut de l’élu ? Il conviendrait déjà de favoriser les allers-retours entre la fonction syndicale et l’activité professionnelle, car lorsque des syndicalistes exerçant un mandat lourd ou permanent, que ce soit dans l’entreprise ou en dehors de celle-ci, perdent leur représentativité ou décident de ne plus exercer ce mandat, ils se voient renvoyés par leur employeur au poste qu’ils exerçaient auparavant. Ils ont donc le sentiment que tout ce qu’ils ont appris dans le cadre de leur mandat d’élu du personnel n’a servi absolument à rien. Cela renvoie à l’ensemble des salariés, de surcroît, l’image d’un syndicaliste qui, dès lors qu’il commence à exercer son mandat, n’évolue plus sur le plan professionnel. Si l’on veut, demain, attirer des jeunes vers le syndicalisme, il faut favoriser le départ des plus anciens de leur poste syndical et faire en sorte que les salariés qui quittent leur mandat n’aient pas le sentiment d’avoir perdu du temps dans leur carrière professionnelle, comme c’est malheureusement le cas aujourd’hui. Il convient donc de mettre en place des dispositifs – il s’avère que nous en avons créé un qui fonctionne – favorisant ces allers-retours et permettant de reconnaître dans l’activité professionnelle les compétences acquises dans l’exercice d’un mandat syndical.

M. Denys Robiliard. La dernière loi Rebsamen portait en partie sur cette question. Qu’elle ne vous satisfasse pas, je peux l’entendre, mais elle apporte au moins un début de réponse à la préoccupation que vous exprimez.

M. Jean-Dominique Simonpoli. Tout à fait. La loi ouvre la possibilité de créer des blocs de compétence et de les faire valider au titre des acquis de l’expérience. C’est une véritable avancée, mais elle est toute récente, de sorte qu’il nous faut gérer le « stock » de ceux qui exercent aujourd’hui une activité syndicale et qui ont du mal à quitter leurs responsabilités par peur d’être renvoyés d’où ils viennent. Les représentants syndicaux ont l’impression que les dix ou quinze années qu’ils ont consacrées à cette activité n’ont servi à rien. Cela dissuade l’ensemble du personnel d’exercer un mandat syndical, car non seulement cela ne leur sera d’aucune utilité, mais cela peut même être un frein à la carrière professionnelle.

Point sur lequel nous avons tous eu un accord de principe largement partagé au sein de la commission – peut-être Jean-Denis Combrexelle vous en a-t-il parlé : tous les aspects que je viens d’évoquer relèvent plus d’un problème culturel que d’un problème juridique ou politique. Il faut véritablement avancer sur ce sujet si l’on veut favoriser le développement de la négociation collective.

M. le rapporteur. Faut-il faire évoluer le système ? Vous avez beaucoup parlé de la capacité des acteurs à négocier et de la nécessité de renforcer leur légitimité. Certains domaines relevant d’une gestion étatique, avec consultation des partenaires sociaux, devraient-ils être gérés paritairement ? Je pense notamment à l’assurance chômage des chômeurs en fin de droits et au régime de retraite de base. Ce qui nous frappe, à ce stade, c’est que soit les acteurs que nous avons auditionnés ne se posent pas cette question, soit ils sont assez conservateurs, considérant que les frontières actuelles, qui ont évolué au cours du temps, sont stabilisées et qu’il y aurait plus d’inconvénients que d’avantages à les faire bouger. Il est frappant de constater que, alors qu’il y a eu des millions des personnes pour contester la réforme Juppé en 1995, pas une voix ne s’élève, à ce stade de nos auditions, pour demander une évolution du système actuel. Faut-il selon vous faire « bouger les curseurs » concernant les branches retraite, santé, prévoyance, chômage et formation professionnelle ?

Au lieu de continuer à gérer les risques de manière segmentée, ne devrait-on pas partir des individus pour apporter des solutions globales à leurs problèmes ? C’est ce qu’on appelle la sécurité sociale professionnelle, approche retenue pour créer le compte personnel d’activité (CPA). On souhaiterait par exemple utiliser les fonds de l’assurance chômage pour aider à l’embauche de demandeurs d’emploi. Mais comme telle n’est pas leur finalité, on ne le fait qu’à la marge – notamment avec le plan d’aide au retour à l’emploi (PARE) il y a quelques années –, au point que l’Assemblée s’est sentie obligée de voter, très récemment, une proposition de loi visant à une expérimentation territoriale dite « zéro chômage de longue durée ». Cela se ferait naturellement dans un système où les partenaires sociaux géreraient de manière globale les salariés – avec leurs opportunités et leurs difficultés, que ce soit en matière de formation professionnelle, d’assurance chômage ou de retraite. Pour les régimes de base, nous avons d’ailleurs créé une certaine fongibilité entre les différents droits en instaurant le compte personnel de prévention de la pénibilité. Vous paraîtrait-il intéressant de concevoir un système de sécurité sociale professionnelle géré de manière unifiée ? Un tel système pourrait-il légitimement être géré de manière paritaire, ou devrait-il l’être plutôt de manière étatique avec consultation des partenaires sociaux ?

Enfin, selon vous, quelle place les nouvelles formes d’activité – notamment celles appelées « économie collaborative » – doivent-elles occuper dans le système de protection sociale au sens large ? Selon France Stratégie, que nous avons auditionné récemment, il convient d’attendre pour voir comment ces activités naissantes vont se structurer. On constate par exemple qu’une organisation des prestataires de services se met en place chez Uber et que des cotisations volontaires sont en train d’être instaurées au titre du tourisme chez AirBnB. Faudra-t-il déterminer si ces activités sont du salariat ou de l’entrepreneuriat ou bien faut-il inventer une troisième catégorie de forme de travail ? Serait-il légitime d’imaginer une gestion paritaire de ces activités ?

M. Philippe Hourcade. Vous nous avez interrogés sur la manière d’articuler droits collectifs et individuels de façon que chacun puisse se projeter dans l’avenir à moyen terme. Je n’ai pas d’avis particulier concernant le champ de l’assurance maladie. Mais, comme vous le disiez tout à l’heure, entre 1995 et aujourd’hui a été assimilée l’idée qu’on ne pouvait contester la légitimité de la représentation nationale ni des pouvoirs publics à fixer les grandes orientations de la politique de santé du pays. En revanche, il conviendrait effectivement de repenser le système pour ce qui est du bloc retraites-chômage-formation professionnelle, compte tenu du niveau de chômage actuel et des perspectives de création d’un « tiers salariat » que vous avez évoquées, car les décisions des uns ont, de fait, un impact sur celles des autres. C’est ainsi que les syndicats non signataires du récent accord sur les retraites complémentaires s’inquiètent fortement de l’incidence qu’aura la fixation de deux âges de départ à la retraite différents selon qu’il s’agit du régime obligatoire ou complémentaire. En outre, comme plus de la moitié des personnes qui partent à la retraite ne sont plus en activité, certains acteurs s’inquiètent de l’incidence qu’aura l’allongement d’un an de ce qui sera in fine une indemnisation au titre du chômage. On ne peut donc plus raisonner en distinguant les branches les unes des autres. Il conviendrait aussi de voir si les fonds de la formation professionnelle ne pourraient pas être mobilisés de façon plus importante pour aider à la formation des jeunes et des chômeurs.

Plus généralement, sachant, d’une part, que l’ensemble du pays a pour objectif de faire sortir de leur situation dramatique ceux qui n’ont pas d’emploi aujourd’hui, et, d’autre part, que les différents dispositifs sont peu clairs aux yeux de nos concitoyens, il conviendrait effectivement d’élaborer un mécanisme novateur qui soit à la fois beaucoup plus contraignant et plus global. Le rôle des collectivités territoriales en la matière pourrait, lui aussi, être repensé. Nous avons besoin de dispositifs nationaux plus lisibles, plus efficaces et plus cohérents entre eux, mais aussi de regarder en détail, au niveau des bassins d’emploi, quels acteurs et quels financements peuvent être mobilisés.

S’agissant des nouvelles formes d’activité, nous n’avons pas de réponse particulière à vous apporter. Nous sommes plutôt observateurs sur ce sujet.

M. Jean-Dominique Simonpoli. La montée du chômage fragilisant la société française et créant des tensions très vives, sans doute faut-il tordre le bras aux partenaires sociaux dans des domaines comme la formation professionnelle. Il n’est pas normal qu’aucune somme ne soit allouée à la formation des chômeurs et des jeunes. Il s’agit de mobiliser toutes les forces en présence pour répondre à l’exigence de création d’emplois et sortir notre pays de cette spirale négative. Si l’on ne s’intéresse pas aux personnes qui sont hors de l’emploi, c’est parce que les dispositions en vigueur favorisent les insiders, et en particulier les salariés des grandes entreprises qui ont les moyens d’accompagner les évolutions sociales et salariales que l’on connaît. La fameuse loi de 2008 sur la représentativité syndicale a eu des effets extrêmement bénéfiques, mais aussi un effet négatif : les syndicalistes, pour être élus, ont besoin de recueillir les voix de ceux qui sont aujourd’hui en activité. Ce sont ces derniers et leurs droits que l’on privilégie. Par conséquent, ceux qui sont en dehors de l’entreprise, en situation précaire – qu’ils soient au chômage ou qu’ils vivent de « petits boulots » – sont exclus du champ des bénéficiaires. Il est nécessaire de mettre chacun face à ses responsabilités et de faire en sorte que des fonds soient alloués à leur formation professionnelle.

Plus globalement, vous nous demandez si les droits sociaux doivent être attachés à l’emploi ou à la personne elle-même. Dans les activités nouvelles que vous avez citées, certaines personnes préfèrent un quasi-statut d’auto-entrepreneur à un statut de salarié. Le directeur des ressources humaines (DRH) d’une grande entreprise me disait que, dans le domaine des télécommunications, il pouvait « piocher », en fonction de ses besoins, parmi plus d’un million de personnes ayant des compétences mais ne souhaitant pas être salariées. Je suis incapable de vous dire s’il s’agit d’un mouvement de fond de la société, mais c’est une réalité qui existe. Votre question est donc tout à fait importante.

M. Denys Robiliard. Dans notre système contemporain, il me semble impossible de nier la place du juge, comme vous avez paru le souhaiter tout à l’heure, mais il est vrai que les arrêts du Conseil d’État relatifs à l’assurance chômage et la jurisprudence de la Cour de cassation soulèvent des questions. Entre autres, la notion de « traitement différencié des salariés en fonction d’une situation objective » est de nature à empêcher certaines conventions de produire leurs effets. La question de la place du juge est également au cœur de la réflexion sur une éventuelle réforme du code du travail, sachant que si ce dernier devenait purement principiel, cela laisserait une énorme place au juge. Constitutionnellement et conventionnellement – au sens des accords internationaux auxquels la France est partie –, on ne pourra jamais réduire la place du juge. On peut discuter avec lui du rôle auquel il veut bien se limiter, et il conviendrait d’ailleurs que, dans le dialogue social, on aborde la question de savoir comment dialoguer avec le juge – y compris lorsqu’on estime qu’il marche sur des platebandes qui ne sont pas les siennes. Sachant que l’on ne peut sortir le juge du jeu, comment composer avec lui, en dehors des recours qui lui sont adressés ? Entre autres, comment discuter avec lui de sa jurisprudence ?

M. Jean-Dominique Simonpoli. Loin de moi l’idée d’empêcher les juges de faire leur travail. Simplement, on pourrait concevoir que, dès l’instant où un accord est majoritaire dans l’entreprise, le juge ait l’obligation, avant de rendre une décision, de rencontrer les partenaires ayant négocié cet accord afin de connaître leur état d’esprit – de même que, lorsque le Parlement vote une loi, les débats ayant servi à son élaboration sont parfois plus importants, aux yeux du juge qui aura à l’appliquer, que la loi elle-même.

M. le président Arnaud Richard. C’est une bonne proposition que vous faites. Vous pourriez rendre vos débats publics ou, au moins, accessibles.

M. Jean-Dominique Simonpoli. Le juge devrait avoir l’obligation de rencontrer les partenaires sociaux ayant négocié l’accord en cause avant de rendre une décision, afin d’avoir à l’esprit leurs motivations. En effet, lorsque l’on écrit un accord, on trouve parfois des formulations qui sont à la limite du compréhensible, voire du légal. Il ne s’agit pas de nier la place du juge, mais de créer une méthodologie favorisant l’échange entre les partenaires sociaux et lui. Une seconde avancée pourrait consister à donner la possibilité aux juristes, au cours de leur parcours de formation, d’aller voir en entreprise comment les choses s’y passent – voire à les obliger à le faire, car leur méconnaissance de l’entreprise est sans doute un autre facteur d’incompréhension.

M. le président Arnaud Richard. Le juge, lorsqu’il interprète une disposition législative, consulte les rapports parlementaires, les débats et les amendements adoptés. On pourrait imaginer que les échanges que vous avez lorsque vous négociez un accord soient publics. Cela obligerait peut-être, au passage, à résoudre le problème du lieu où se déroulent ces échanges...

M. Denys Robiliard. Il existe d’ores et déjà, parmi les dispositions procédurales, des moyens d’intervention volontaire. Dans le cadre d’un litige individuel, les partenaires sociaux peuvent soit intervenir de façon volontaire, soit en tant qu’amicus curiæ. De plus, un mécanisme a été instauré, dans le cadre de la loi Macron, permettant de recueillir, à des fins d’harmonisation jurisprudentielle rapide, l’avis de la Cour de cassation sur l’interprétation de certaines conventions. On pourrait imaginer que, dans ce cadre, la Cour fasse une place aux négociateurs de ces conventions pour être éclairée sur l’intention qui fut la leur, lorsque la lettre n’est pas claire. Ensuite, demeurera toujours le contrôle de la légalité : on ne peut l’écarter et il me paraîtrait malsain d’envisager de le faire. Je pense que le droit positif permet déjà de faire une place au dialogue mais que, pour l’instant, cette place n’est pas prise. Reste à savoir comment construire ce dialogue.

M. le président Arnaud Richard. Messieurs, je vous remercie.

Enfin, la mission reçoit M. Dominique Libault, ancien directeur de la sécurité sociale de 2002 à 2012, et vice-président du Haut Conseil du financement de la protection sociale, directeur général de l’École nationale supérieure de la Sécurité sociale.

(Présidence de Mme Françoise Descamps-Crosnier,
vice-présidente de la mission d’information.)

Mme Françoise Descamps-Crosnier, présidente. En l’absence d’Arnaud Richard, qui vient de partir en séance publique, je vais présider la dernière audition de ce jour et donc de l’année. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Dominique Libault qui fut directeur de la sécurité sociale de 2002 à 2012 et qui, depuis lors, est directeur général de l’École nationale supérieure de Sécurité sociale (EN3S) et vice-président du Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFPS).

À ces titres, monsieur Libault, vous êtes un expert incontestable : vous connaissez l’histoire récente du paritarisme dans la protection sociale, notamment au niveau des caisses nationales, mais vous avez aussi une vision du rôle de l’État dans ce domaine pour avoir participé à nombre de réformes sur le financement de la Sécurité sociale, aux procédures d’extension des accords de retraite complémentaire et au suivi des régimes de prévoyance. Vous venez d’ailleurs de remettre un rapport sur la solidarité et la protection sociale complémentaire collective à la ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

M. Dominique Libault, ancien directeur de la Sécurité sociale, directeur général de l’École nationale supérieure de Sécurité sociale (EN3S) et vice-président du Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFPS). Merci beaucoup de m’avoir invité à participer à votre réflexion sur le paritarisme. En matière de protection sociale, sujet que je connais un peu, le paritarisme se situe à l’articulation entre les solidarités professionnelles et la solidarité nationale. Traditionnellement, il est vu comme un instrument de pilotage des solidarités professionnelles, alors que l’État et la représentation nationale possèdent la légitimité en matière de solidarité nationale.

À la demande des pouvoirs publics, j’ai coordonné le soixante-dixième anniversaire de la sécurité sociale, dont les créateurs, en 1945, avaient bien l’ambition d’en faire un outil de solidarité nationale. Pour ma part, je plaide ardemment pour un niveau élevé de solidarité nationale en matière de protection sociale. J’ai participé à un certain nombre de réformes qui ont conduit la France à évoluer vers un système plus fortement marqué par la solidarité nationale, qu’elles aient porté sur le financement comme la contribution sociale généralisée (CSG), sur les droits comme la couverture maladie universelle (CMU) qui a introduit le principe de droit à l’assurance maladie sous condition de résidence, ou sur le pilotage comme celle des lois de financement de la sécurité sociale.

Ces trois réformes principales – financement, droit et gouvernance – sont liées. Elles ont produit une nouvelle conception de la sécurité sociale française, fondée sur une forte solidarité nationale : l’individu se voit reconnaître des droits à la protection sociale parce qu’il fait partie de la République, au-delà de son appartenance à une catégorie professionnelle. C’est l’aboutissement d’une vision des droits sociaux et d’une certaine conception de la République et du partage. Telle est la force de la solidarité nationale qui est particulièrement adaptée à notre monde contemporain où la puissance des évolutions économiques et sociales peut mettre à mal les solidarités professionnelles : imaginons ce que serait la sécurité sociale des mineurs ou des agriculteurs si elle n’était fondée que sur une solidarité professionnelle. Seule la solidarité nationale permet de concilier l’équité entre tous les citoyens et le respect des évolutions économiques et sociales. Plus on construit une sécurité sociale nationale, plus on est apte aussi à travailler sur les parcours professionnels individuels, à un moment où l’on parle beaucoup de flexisécurité. Alors que nombre de personnes passent d’un statut à l’autre au cours de leur carrière, il devient important de ne pas relier leur protection sociale à leur situation à un moment donné.

Si la solidarité nationale est très importante, il faut néanmoins la faire vivre avec d’autres formes de solidarité – professionnelle, territoriale ou familiale. C’est l’un des défis que doit relever notre société. Au moment du soixante-dixième anniversaire de la Sécurité sociale, cette réflexion a émergé : s’il faut naturellement affirmer la solidarité nationale, encore faut-il qu’elle soit vivante et incarnée dans des militants. La solidarité nationale ne doit pas seulement être un concept qui se traduise par des institutions, des mouvements financiers, des prélèvements obligatoires et des prestations de droits objectifs. Une société qui affirme ces valeurs de solidarité doit les faire vivre à tous les échelons, y compris celui des solidarités professionnelles.

Cependant, il ne faut pas voir ces solidarités professionnelles comme des territoires. Il n’y a pas, d’un côté, la solidarité nationale et, de l’autre, le territoire des solidarités professionnelles et du paritarisme. Là encore, une bonne articulation est nécessaire. Le paritarisme s’incarne naturellement là où les risques sont plutôt de nature professionnelle, où le dialogue social permet d’améliorer les protections : revenu de remplacement en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, etc. Notamment en matière de prévention, les risques relèvent de la solidarité nationale, mais ils peuvent aussi être pris en charge d’une façon ou d’une autre par les branches. Du reste, ce n’est pas sans lien avec la prévoyance. Les initiatives intéressantes qui sont prises dans certaines branches en matière de solidarité ou de prévoyance portent à la fois sur la réparation et la prévention. Comme les exemples ne sont pas si nombreux, on cite souvent celui de la prévention de l’asthme du boulanger. À mon avis, il y a une place pour les partenaires sociaux dans la gestion des risques professionnels.

En revanche, il faudrait absolument éviter que l’un et l’autre soient gérés comme des territoires car il y a des interactions entre ces phénomènes. Certains sujets professionnels ou interprofessionnels comme la retraite sont soumis à des régimes obligatoires et monopolistiques tels que celui géré par l’Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC) et l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO) ; d’autres, comme la protection maladie complémentaire, sont en libre concurrence. Quoi qu’il en soit, il existe des liens avec la protection sociale obligatoire, notamment en matière de financement : on fait appel à des ressources, or il existe une politique globale des ressources issues des prélèvements obligatoires. Les allégements de charges sur les bas salaires ne peuvent être effectués que dans les régimes pilotés par l’État puisque celui-ci est le seul à pouvoir compenser les recettes ainsi perdues par des ressources externes sous forme d’impôt. Aussi est-ce avec un certain amusement que j’ai entendu le président du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) demander des allégements de charges sur celles qui restent au niveau du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), et qui dépendent entièrement du régime paritaire. En termes de ressources et de financement, il faut bien comprendre que l’État et le paritarisme produisent des effets différents.

En outre, les deux systèmes ne couvrent pas forcément les mêmes gens. C’est ainsi que les partenaires sociaux gèrent la partie assurantielle du chômage alors que l’État se charge de la solidarité par le biais de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) et du revenu de solidarité active (RSA). En réalité, le risque social d’insuffisance de revenu lié à l’insuffisance d’activité est partagé entre plusieurs collectivités. On peut s’interroger sur la bonne articulation de la gestion de ce risque, qui est partagée entre les partenaires sociaux, l’État et les collectivités territoriales. Rappelons que l’État est comptable vis-à-vis de l’Union européenne de l’ensemble des finances publiques, et qu’il doit donc indiquer des orientations en matière de prélèvements obligatoires tels que ceux de l’AGIRC-ARRCO. L’État doit donner des orientations totalement fiables tout en respectant la gestion paritaire, ce qui n’est pas évident.

Dans la partie du domaine de la santé qui est soumis à la concurrence, si l’État n’intervient pas d’une façon ou d’une autre, ce sont les règles du marché qui prédominent. On peut l’accepter tout en sachant que si les règles du marché jouent complètement, on peut aboutir à une tarification en fonction du risque, c’est-à-dire que le coût de l’assurance santé variera très fortement selon l’âge des salariés, par exemple. En prévoyance, il pourrait même y avoir des difficultés réelles de couverture de certains risques. Comme son nom l’indique, la complémentaire santé complète la couverture de base. En tant que pilote de l’ensemble de l’économie de la santé, l’État a une légitimité pour intervenir dans le contenu des contrats dits « responsables ».

Les territoires ne sont donc pas totalement séparés, et je ne suis pas sûr que la situation soit vraiment optimale. C’est sans doute l’un des sujets de votre réflexion. À mon avis, les partenaires sociaux ont un rôle à jouer dans le pilotage dans le cadre de la solidarité nationale. Certaines lois sur la sécurité sociale de base ont en effet accru cette solidarité nationale, ce qui a entraîné des conséquences en termes de gouvernance. Il reste à améliorer l’intervention des partenaires sociaux dans la solidarité nationale et je pense qu’il est possible de le faire à trois moments.

En amont, il faut des lieux de réflexion communs sur ces sujets trop importants pour n’être pris en compte que par des administrations ou la majorité politique du moment. Des instances ont été créées pour aborder ces sujets à froid : le Conseil d’orientation des retraites (COR), puis les hauts conseils en matière d’emploi, de famille, de maladie et de financement. J’ai beaucoup contribué à la création du HCFPS dont je suis vice-président. Ce sont des lieux utiles pour la formation et la mise à disposition de connaissances.

Au moment de la prise de décision, il faut consulter. Dans mes fonctions passées, j’ai contribué à instaurer la consultation des caisses de sécurité sociale sur les projets de lois et de décrets concernant leur domaine de compétence. Depuis 1994, leur consultation est obligatoire sur ces sujets, exceptés ceux qui ont trait à la haute finance. On pourrait s’interroger sur la façon d’améliorer ce processus de consultation, de concertation. S’agissant de la loi de financement de la sécurité sociale, les caisses disposent sans doute de délais trop courts pour pouvoir émettre un avis très motivé. En outre, les conseils et les caisses font une addition d’avis de chaque partenaire social alors qu’un avis commun motivé aurait plus d’impact, surtout si sa publicité était bien assurée. Il y aurait aussi matière à concertation préalable dans d’autres circonstances, notamment lorsque la France transmet ses orientations annuelles à Bruxelles.

À l’étape de la gestion, les partenaires sociaux pourraient aussi être mieux associés. Ils sont dans les conseils des caisses, que l’on n’appelle plus conseil d’administration dans la branche maladie depuis la loi de 2004. Il est important que ces conseils puissent jouer à la fois un rôle de commission de recours amiable, de commission d’action sociale et de conseil de surveillance.

D’un autre côté, l’État peut être amené à intervenir dans le registre des partenaires sociaux. À la lecture des comptes rendus de votre mission, j’ai vu que Jacques Freyssinet, président du conseil scientifique du Centre d’études de l’emploi (CEE), qualifie la relation qui existe entre l’État et les gestionnaires de « tripartisme asymétrique masqué ». C’est une assez bonne formule. Asymétrique, cette relation doit le rester : il ne s’agit certainement pas de donner un tiers des voix à l’État dans un domaine donné. Doit-elle rester masquée ? Il me semble nécessaire d’affirmer les règles de ce tripartisme asymétrique. S’agissant d’accords interprofessionnels très importants du type AGIRC-ARRCO, la phase d’extension est un peu formelle : une fois que la négociation a eu lieu, on ne va pas remettre en cause tout ou partie de ces accords. C’est très compliqué.

L’État intervient aussi par d’autres voies : exonérations sociales et fiscales ; assurance maladie complémentaire et prévoyance ; normes de droit à travers les contrats « responsables » ; discussions informelles préalables avec les partenaires sociaux dans le respect des compétences de ces derniers lorsque les sujets sont très importants. Il faut sans doute reconnaître ce tripartisme asymétrique, tout en insistant sur l’intérêt du dialogue social et la nécessité de lui laisser beaucoup d’espace.

Le lieu de ce dialogue social doit-il être l’entreprise ou la branche ? J’ai dû réfléchir, au cours de ma mission, sur la complémentaire santé et la prévoyance. Pour ma part, je trouve que la branche est un lieu très intéressant pour traiter de sujets très complexes, naturellement sous réserve d’une réduction du nombre de ces branches et d’une amélioration de leur gouvernance. Mais, vu l’ampleur de ces sujets, je crois que c’est sans doute là que peuvent avoir lieu les réflexions et les actions les plus intéressantes. En ce qui concerne la solidarité et la prévention, c’est là que les choses peuvent être organisées le mieux.

Venons-en à la décision du Conseil constitutionnel sur les clauses de désignation, qui insiste sur la liberté d’entreprendre, la liberté contractuelle. Je ne remets pas du tout en cause les motivations du Conseil constitutionnel, mais je constate que sa décision crée une situation nouvelle dans laquelle il est plus difficile d’organiser concrètement la solidarité de branche. Dans mon rapport, je préconise quelques solutions pour sauvegarder des éléments de solidarité qui me semblent importants.

S’agissant de formation et de lieux de réflexion, j’ai vu qu’un Institut des hautes études des relations sociales avait été évoqué lors de réflexions antérieures. Claude Évin préside l’Institut des hautes études de protection sociale (IHEPS) que nous avons créé ensemble il y a quelques années. Pour sa septième session, nous réfléchissons sur le thème « entreprise et protection sociale », avec des partenaires sociaux et des représentants des entreprises. Les parlementaires y sont bienvenus, et des députés ont d’ailleurs participé à quelques sessions. Ce sont aussi des lieux intéressants pour faire vivre ce dialogue et éviter une gestion sous forme de territoires disjoints l’un de l’autre, le pire qui puisse arriver.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Même si la troisième partie de votre exposé contredit un peu la première, vous semblez plaider pour une extension de la gestion solidaire, à condition de mobiliser les acteurs sociaux. Reprenons votre raisonnement et appliquons-le à l’assurance chômage et à son rôle d’amortisseur des cycles économiques : 1,5 million de personnes sont au chômage depuis plus de deux ans, période couverte par l’assurance. Ce système et sa gestion paritaire sont fortement questionnés par la durée de la crise et les nouvelles formes d’activités telles que l’intermittence, l’auto-entreprise et autres.

Les dernières négociations sur les régimes complémentaires de retraite sont aussi emblématiques de l’imbrication des différents niveaux, puisqu’elles vont avoir un effet sur l’âge effectif de départ en retraite : les personnes vont tenir compte de la perte financière qu’elles subiront pendant plusieurs années si elles partent à l’âge prévu par la Sécurité sociale. Sans compter que les carrières sont diverses et variées et qu’il existe des régimes différents pour les salariés du privé, les fonctionnaires et les indépendants. Tout ceci incite à des régimes plus solidaires.

Vous avez peut-être travaillé davantage encore sur le système d’assurance santé complémentaire. À une époque, ce système était vraiment complémentaire, une sorte de « cerise sur le gâteau ». À présent, sous l’effet de l’augmentation des forfaits et des restes à charge, la question de la prévoyance n’est plus annexe mais elle devient centrale. Dans votre rapport, vous essayez de traiter de ce deuxième étage du système de santé. Est-il possible d’y développer une offre à la fois privée et publique qui permette de garantir les droits sans engendrer des discriminations insupportables entre les types d’assurés ? Certains nouveaux retraités voient le coût de leur assurance complémentaire tripler pour une protection moindre. Quelle que soit sa sensibilité politique, c’est difficile à accepter.

Partant de ces constats, nous pourrions en revenir à votre premier point et conclure que tous ces régimes doivent devenir solidaires. En même temps, je suis très sensible à votre deuxième point : il faut absolument associer les acteurs, les premiers intéressés. À cet égard, l’exemple des régimes de retraite complémentaire est très instructif. Les partenaires sociaux sont parvenus à trouver un accord sur un sujet difficile, présentant des enjeux financiers importants, sans bouleversements dans la société. S’ils y sont parvenus, c’est sans doute parce qu’ils ont discuté ensemble et qu’ils ont construit des solutions intelligentes.

J’en reviens à ma question : en matière de retraites complémentaires, d’assurance chômage et de prévoyance, préconisez-vous un statu quo, moyennant les améliorations que vous avez prévues sur la répartition des rôles ? Sinon, à quelles évolutions pensez-vous ?

Le système construit à la Libération, sur la généralisation d’éléments qui existaient dans les branches, était adapté à la situation de l’emploi de l’époque : le salarié passait en général toute sa vie professionnelle dans la même entreprise ; en cas de changement, la période transitoire était brève ; il n’y avait pas de chômage de masse. Les différents registres
– santé, chômage, retraite, famille, etc. – ont été traités de manière cloisonnée. Or actuellement, dans le domaine professionnel, tout est lié. Les décisions sur l’âge de départ en retraite ont des incidences sur l’assurance chômage. Pourtant, quand on estime que les chômeurs devraient pouvoir entrer en formation dès leur premier jour de chômage, on se heurte au fait que les fonds d’assurance chômage ne sont pas gérés par ceux qui pourraient prendre une telle décision.

Dans ces conditions, ne faudrait-il pas passer à un système qui parte de l’individu et créer une sécurité sociale professionnelle dont le compte personnel d’activité pourrait être le support, mais pour lequel il faudrait inventer une gestion unifiée des parcours tout au long de la vie ? Le débat sur le compte de prévention de la pénibilité a été un embryon de cette réflexion, mais il n’y a pas été question de la gestion. Qui doit gérer et comment ? Est-ce que la gestion doit être paritaire ou tripartite ? Est-ce que le système doit être unifié ou rester cloisonné entre les différents risques avec la coordination que vous proposez ?

En tant que directeur de l’EN3S, vous devez réfléchir à la manière dont le système est percuté par les nouvelles formes d’activité que sont les auto-entreprises, le portage salarial, et l’économie collaborative. Quelles sont les pertes pour la sécurité sociale ? Faut-il attendre que les choses se régulent d’elles-mêmes comme cela a été le cas par le passé pour un certain nombre d’activités, ou faut-il d’ores et déjà imaginer un tiers secteur qui permettrait de couvrir ces activités naissantes qui ne sont ni salariales ni indépendantes ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier, présidente. Dans votre rapport, vous avez formulé des propositions concrètes à même de maintenir, voire de renforcer, la solidarité professionnelle en matière de couverture collective. L’une de vos préconisations a retenu mon attention, celle qui propose de créer le concept de convention collective de sécurité sociale dont l’un des objectifs est d’encourager le développement de droits non contributifs dans les accords de branche. Pourriez-vous développer ce point ?

M. Dominique Libault. S’agissant de la première question, je crois que nous partageons un peu le même constat, à savoir que la solidarité nationale est extrêmement importante et positive. Pour autant, nous devons absolument veiller à laisser des espaces de responsabilité aux partenaires sociaux dans la gestion du système de protection sociale, comme vous l’avez fort justement rappelé. Le fait d’assumer des responsabilités amène les partenaires sociaux à évoluer. Au sein du COR, quand on évoque des sujets à froid, chacun rappelle ses positions de principe ; en phase de négociation, quand il faut aboutir à une décision, les uns avancent d’un pas vers les autres. Tant qu’ils ne sont pas dans cette situation-là, les partenaires sociaux restent un peu sur leur quant à soi. Cela ne réduit pas l’intérêt du COR car ce sont des lieux complémentaires.

L’interdépendance des différents risques s’accroît, et les gens sont de plus en plus nombreux à changer de statut et à passer d’un régime à l’autre au cours de leur vie. Comment construire un système où chacun ait sa place ? D’une part, il faut renforcer la place accordée aux partenaires sociaux dans le processus de gestion et de pilotage de décisions de solidarité nationale. D’autre part, il faut passer à un tripartisme un peu mieux assumé et travailler réellement sur les conditions dans lesquelles intervient l’État. D’aucuns se plaignent des interventions peu ordonnées et peu prévisibles de l’État. Ces plaintes ne sont pas totalement injustifiées et, en tout état de cause, il faut des lieux pour réfléchir ensemble.

En matière de chômage, la situation n’est pas optimale. Faut-il pour autant retirer la gestion de l’assurance chômage aux partenaires sociaux ? Je ne le crois pas. En revanche, il est essentiel de trouver des lieux et des moments pour resituer ce sujet dans un cadre plus global où sera évoquée aussi l’évolution des autres formes de réponse à l’insuffisance de revenu liée à l’insuffisance d’activité. Sinon, chacun va se replier sur son territoire alors qu’il faut davantage dialoguer. Peut-être faut-il inventer d’autres lieux d’échanges que les hauts conseils ? Peut-être faut-il créer une organisation nouvelle qui nous permette d’avoir une vision plus globale des risques sociaux ?

Une autre question concernait l’exercice des droits de la personne tout au long de la vie, à travers le compte personnel d’activité. On peut tout à fait construire un compte personnel d’activité qui donne à la personne un accès à l’ensemble de ses droits, en faisant travailler ensemble des régimes à la création d’une interface. Il existe déjà de telles interfaces dans notre système social : les travaux du groupement d’intérêt public (GIP) « Modernisation des déclarations sociales » (MDS) ont donné lieu à la déclaration sociale nominative (DSN), ce qui facilite la vie des entreprises confrontées à une multiplicité des gestionnaires ; le GIP Union Retraite vise à donner à toute personne le droit à une information complète et globalisée quels que soient ses régimes d’appartenance pour la retraite. Le compte personnel d’activité doit permettre d’aller beaucoup plus loin vers une interface respectueuse des régimes.

La question de la fongibilité entre régimes est un peu plus complexe. Qu’est-ce qui est fongible dans le compte personnel d’activité ? Jusqu’à quel point donne-t-on la possibilité à la personne d’échanger des droits ? Des masses financières importantes sont en jeu puisque l’on échangerait des droits, donc des prestations, entre des régimes différents. Il faut alors prévoir des constructions financières qui permettent de gérer cette fongibilité nécessaire si l’on veut aller assez loin dans cette voie. Cela ne me semble pas complètement impossible puisqu’il existe, depuis les années 1970, une solidarité inter-régimes pour compenser les évolutions démographiques dans les systèmes de sécurité sociale. On doit pouvoir trouver des solutions pour faciliter la vie des gens, mais cela ne se fera pas d’un coup de baguette magique.

Tout ceci n’est pas sans rapport avec le dernier sujet évoqué par votre rapporteur – les nouvelles formes d’activités, l’économie collaborative – sur lequel le HCFPS va plancher en 2016 autour du thème « travail salarié, travail non salarié ». Sans anticiper sur les résultats de travaux qui ne font que débuter, je peux dire que le sujet nous interpelle de deux façons, qui sont quelque peu liées.

À quel moment une personne passe-t-elle de l’économie domestique au stade professionnel ? Actuellement les règles du jeu en matière sociale ou fiscale ne sont pas si claires que cela. Il faudrait déterminer un niveau d’échanges – et donc de revenus procurés par ceux-ci – à partir duquel l’activité devient professionnelle et doit donner lieu à des prélèvements sociaux. Et il faudrait le faire le plus rapidement possible : plus l’on tarde et plus il sera difficile de réguler ces formes d’activités en fort développement et dotées des caractéristiques propres au monde numérique. Dans l’économie traditionnelle, fondée sur des activités physiques, l’entrepreneur commençait par s’immatriculer au registre du commerce ou des métiers, dans le système d’identification du répertoire des établissements (SIRET). On identifiait l’activité avant même d’en tirer des revenus. Le numérique induit une nouvelle façon d’appréhender les activités économiques professionnelles, et le travail d’identification des revenus avec les plateformes est un sujet en soi.

Est-ce que ce sont des revenus de travailleur indépendant ou des revenus de salarié ? Il s’agit de traiter la question – vaste et complexe – du rapport entre ces personnes et lesdites plateformes, même si, vu sous l’angle de la protection sociale, l’enjeu essentiel est de faire en sorte que l’activité soit déclarée, une fois la règle du jeu définie. Notons que, depuis soixante-dix ans, la protection sociale des travailleurs indépendants s’est beaucoup rapprochée de celle des salariés. Nous ne sommes plus dans les années 1950-1960 où seuls les salariés bénéficiaient d’une telle protection. À titre personnel, je pense que nous devons regarder avec attention tout ce qui peut favoriser l’exercice de ces activités qui contribuent au développement économique. Le plus important est que ces activités soient soumises aux mêmes règles du jeu que les autres : il en va de l’égalité de la concurrence dans la sphère économique et pas seulement des ressources de la protection sociale.

Ces réflexions sont nouvelles en ce sens qu’elles s’appliquent à l’économie numérique mais nous avons eu ce type de questionnement dans le passé pour d’autres secteurs. J’ai eu à m’intéresser aux sportifs de certaines disciplines, au moment où ils sont passés de l’amateurisme au professionnalisme. La même question de graduation se posait : à partir de quel niveau les indemnités versées aux joueurs devaient-elles être considérées comme des revenus de professionnels ? À noter aussi que le législateur intervient parfois pour tracer la frontière entre travail indépendant ou salarié, dans certains domaines où elle n’est pas évidente. Je pense aux intermittents du spectacle, par exemple. Dans certains pays, les gens qui exercent ces activités sont considérés comme des travailleurs indépendants ; en France, ce sont des salariés. Du reste, l’intervention du législateur peut être différente en matière du droit du travail et de la sécurité sociale. La notion d’affiliation au régime général via les articles L. 311-2 et L. 311-3 du code de la sécurité sociale est plus large que la vision du salarié selon le droit du travail.

Madame la présidente, vous m’avez interrogé sur les conventions collectives de sécurité sociale préconisées dans mon rapport. Dans un système régi par la concurrence et le droit des obligations civiles et commerciales, comme le rappelle le Conseil constitutionnel à chaque fois qu’il prend des décisions sur ce sujet, une question se pose : dans quelle mesure peut-on enfreindre certains principes de droit de la concurrence au nom de la solidarité ? L’Europe, notamment la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), y a réfléchi depuis longtemps car elle a eu à se prononcer sur de nombreux contentieux concernant les clauses de désignation dans le domaine des assurances complémentaires santé, avant le Conseil constitutionnel. En cas de haut degré de solidarité, la CJUE admet que soit porté atteinte à certains principes du droit de la concurrence.

Le problème était l’absence de définition de la notion de « haut degré de solidarité » dans notre droit en matière de prévoyance et de complémentaire santé. Certaines branches désignaient un assureur unique sans que ce soit justifié par une prévention collective ou des actions sociales importantes, notamment en cas de faillite d’entreprises. Les accords de branche exemplaires étaient plutôt minoritaires parmi les quelque 250 accords de prévoyance et 60 accords santé signés en France.

Le concept de convention collective, en référence au droit du travail, conduit à définir, à objectiver ce qu’est un dialogue social suffisant pour produire du droit de solidarité et une norme applicable dans un univers en concurrence. À cet égard, je voudrais insister sur la différence qui existe entre la complémentaire santé et la prévoyance qui couvre des risques lourds tels que l’invalidité, l’incapacité et le décès, qui peuvent entraîner le versement de prestations très élevées. Sans une mutualisation à un niveau plus élevé que l’entreprise, les tarifications peuvent être très, voire trop, lourdes.

M. le rapporteur. Pour ma part, je suis assez troublé par les raisonnements des différentes juridictions. Dans cette logique, il faudrait mettre aussi en concurrence l’AGIRC-ARRCO, les crèches associatives, les centres sociaux, etc. Dans le domaine de la protection sociale, cela m’inspire quelques questions. Serait-il envisageable d’avoir une sorte d’AGIRC-ARRCO de la complémentaire santé ? Votre idée de convention collective ne revient-elle pas à préconiser un paritarisme de branche ? Est-ce juridiquement compatible avec le fait que certains organismes de gestion sont aussi les employeurs des salariés qui servent les prestations ?

Ma dernière question porte sur le traité transatlantique. Avez-vous réfléchi à ses conséquences sur le domaine qui nous intéresse ? J’ai eu l’occasion de faire des déplacements et des missions au sujet de ce traité. Les collègues parlementaires américains que j’ai rencontrés m’expliquent que certains mécanismes d’arbitrage pourraient aboutir à des contentieux remettant en cause notre système de protection sociale.

M. Dominique Libault. S’agissant de votre première question, je suis sûr que la réflexion des juridictions intègre une distinction très nette entre les systèmes régis par un monopole comme l’AGIRC-ARRCO et ceux qui sont soumis à la concurrence. Les pouvoirs publics ont le choix d’opter ou non pour un système concurrentiel comme c’est le cas actuellement pour l’assurance complémentaire santé où il existe plusieurs familles. Il est toujours possible de revenir à un système obligatoire. Rappelons que les prélèvements sont obligatoires dans le système AGIRC-ARRCO. Si nous devions aller vers un système AGIRC-ARRCO dans le secteur de la santé, cela aurait des conséquences lourdes sur toute une construction économique et ses acteurs : les sociétés d’assurances, la mutualité, les institutions de prévoyance. Dans ce cas-là, d’aucuns préconiseront de passer directement à un régime unique, et de ne pas construire deux étages obligatoires comme pour les retraites. Didier Tabuteau serait sans doute de ceux-là, et il vous dirait : simplifions et faisons directement un système unique plutôt qu’une assurance de base et une complémentaire en santé.

Je me contente de vous livrer ces réflexions. Quant à mon rapport, il s’inscrit dans un contexte juridique donné : peut-on faire de la solidarité dans un univers en concurrence ? Je réponds que l’on peut en tout cas améliorer les choses dans une certaine mesure, et que l’État n’est pas complètement dénué de possibilités s’il objective ce qu’il attend en termes de solidarité dans cet univers en concurrence. À un moment donné, il peut tout à fait changer les règles du jeu.

M. le rapporteur. Si une branche professionnelle signe une convention collective prévoyant un niveau élevé de solidarité, elle peut choisir un opérateur unique. C’est bien ce que vous dites ?

M. Dominique Libault. Jusqu’à présent, les décisions du Conseil constitutionnel ont été prises en matière de santé et non de prévoyance lourde. Cependant, comme l’article censuré organise les deux domaines, l’organisation en matière de prévoyance a été également implicitement censurée. Dans le domaine de la santé, le Conseil constitutionnel constate que le niveau de solidarité n’est pas assez élevé pour justifier les atteintes aux principes de la liberté d’entreprise et de la liberté contractuelle que représente le choix d’un assureur unique au niveau de la branche. J’en déduis que si l’on reconstruit un système avec un haut degré de solidarité, notamment en matière de prévoyance, il y a moyen de convaincre le Conseil constitutionnel que les éventuelles atteintes à la concurrence sont justifiées, que le système n’est pas aberrant.

Dans mon rapport, je donne une autre piste qui a été évoquée par le Conseil constitutionnel et par l’Autorité de la concurrence : la co-désignation, la co-assurance. D’une certaine manière, c’est la possibilité de faire à la fois du paritarisme de négociation et du paritarisme de gestion. Le Conseil constitutionnel n’est pas contre le paritarisme de négociation et la possibilité pour une branche de déterminer un système. En revanche, il considère que la branche n’a pas le droit de choisir un assureur unique qui, de surcroît, est souvent une institution de prévoyance gérée par les mêmes partenaires sociaux que ceux qui viennent de négocier.

M. le rapporteur. C’est précisément cela le paritarisme !

M. Dominique Libault. C’est le paritarisme de gestion. Dans un univers en concurrence, le Conseil constitutionnel considère que le paritarisme de négociation ne doit pas conduire à confier automatiquement le système mis en place à un assureur unique géré par les négociateurs. Dans un système obligatoire régi par le code de la sécurité sociale, type AGIRC-ARRCO, il n’y a pas de problème. Dans un univers en concurrence, où les opérateurs sont des assureurs privés, le Conseil constitutionnel a mis une limite. Il dit plus ou moins que plusieurs assureurs peuvent assumer cette mission, ce qui est très compliqué.

M. le rapporteur. De mon point de vue, cela revient à imposer la concurrence à des systèmes tels que l’AGIRC-ARRCO ou même l’Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (Unédic). Je trouve incohérent de distinguer la production de normes de la gestion. Si l’on admet l’AGIRC-ARRCO et l’Unédic, on doit pouvoir admettre, moyennant la négociation collective que vous proposez, que les partenaires sociaux s’organisent ensuite pour créer un organisme de gestion du risque qu’ils ont défini dans leur champ professionnel, tout cela étant validé par la loi, par un système d’extension.

M. Dominique Libault. Si je puis me permettre, il faut distinguer le système obligatoire et le monopole de la gestion assurantielle. Il existe d’autres systèmes obligatoires en France : le propriétaire d’une habitation ou d’un véhicule a une obligation d’assurance mais celle-ci peut être obtenue auprès d’une diversité d’assureurs. En matière de santé, nous avons choisi ce système-là, en quelque sorte, alors que l’obligation d’assurance pourrait être exercée par un assureur unique. Le Conseil constitutionnel en tire des conclusions. Dans mon rapport, j’indique que l’on peut construire des espaces de solidarité dans un univers en concurrence, qui seront moins larges évidemment que dans un univers monopolistique. J’insiste aussi sur la nécessité de mieux évaluer et suivre ce secteur. En tout état de cause, il y a matière à faire des observations qui puissent se traduire dans des décisions politiques.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Et quant aux effets du traité transatlantique en matière d’assurance santé ?

M. Dominique Libault. J’avoue ne pas avoir de compétences pour vous répondre sur ce sujet, que je n’ai pas étudié précisément.

Mme Françoise Descamps-Crosnier, présidente. Je vous remercie d’avoir accepté de venir enrichir le travail de notre mission.

La séance est levée à treize heures.

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Présences en réunion

Réunion du jeudi 17 décembre 2015 à 9 heures 30

Présents. – M. Pascal Demarthe, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Jean-Marc Germain, M. Arnaud Richard, M. Denys Robiliard

Excusés. – M. David Comet, Mme Michèle Fournier-Armand, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Véronique Louwagie