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Mission d’information sur le paritarisme

Jeudi 11 février 2016

Séance de 9 heures 10

Compte rendu n° 11

Présidence de M. Arnaud Richard, Président

– Audition, ouverte à la presse, des représentants de l’Institut Montaigne : M. Gérard Adam, président du groupe de travail sur le dialogue social (rapport de 2011), M. Éric Aubry, membre du groupe de travail, Me Franck Morel, avocat associé du cabinet Barthélémy et membre du groupe de travail et M. Marc-Antoine Authier, chargé d’études 

– Table ronde, ouverte à la presse, de présidents de commissions mixtes paritaires de négociation de branche : M. Jean Bessière, commission des transports ferroviaires, M. Didier Caroff, commission des transports routiers de marchandises, Mme Laurence Rivoal, commissions des hôtels-restaurants, des cafétérias, de l’esthétique, de la parfumerie et de la coiffure, et M. Bernard Maurin, ancien président de plusieurs commissions mixtes paritaires 

– Présences en réunion

MISSION D’INFORMATION SUR LE PARITARISME

Jeudi 11 février 2016

La séance est ouverte à neuf heures dix.

——fpfp——

(Présidence de M. Arnaud Richard, président de la mission d’information)

La mission d’information sur le paritarisme procède à l’audition des représentants de l’Institut Montaigne : M. Gérard Adam, président du groupe de travail sur le dialogue social (rapport de 2011), M. Éric Aubry, membre du groupe de travail, Me Franck Morel, avocat associé du cabinet Barthélémy et membre du groupe de travail, et M. Marc-Antoine Authier, chargé d’études.

M. le président Arnaud Richard. Nous sommes très heureux d’accueillir les représentants de l’Institut Montaigne dont deux des rapports font ma lecture de chevet : le premier, publié en 2011, est intitulé Reconstruire le dialogue social, le second date de 2015 et a pour titre Sauver le dialogue social. Nous avons hâte d’entendre leur point de vue sur l’évolution du paritarisme.

M. Gérard Adam, président du groupe de travail sur le dialogue social. Le concept de paritarisme est faussement clair : de quoi parle-t-on ? En annexe à l’accord que les partenaires sociaux ont signé en 2014, figure une longue liste d’organismes présentés comme paritaires alors qu’un certain nombre d’entre eux ne le sont nullement. Les instances de sécurité sociale, par exemple, n’ont jamais été paritaires.

Trois critères peuvent être pris en compte pour définir le paritarisme.

Le premier est l’origine contractuelle du système, ce qui est le cas pour l’Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC), l’Unédic, la formation et aussi l’Association pour l’emploi des cadres (APEC), mais sans doute pas pour l’Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées (Agefiph) qui résulte de la loi du 10 juillet 1987.

Le deuxième critère est celui de l’origine des ressources – proviennent-elles de cotisations et contributions pesant sur les entreprises et les salariés ou de subventions publiques ?

Le troisième est celui de la liberté d’utilisation de ces ressources.

Si l’on cumulait ces trois critères, on pourrait être conduit à considérer que le paritarisme n’existe plus aujourd’hui. La question serait alors plutôt de savoir où placer le curseur entre ce que l’on appelle le paritarisme de gestion et ce qui relèverait d’autres systèmes de concertation sociale.

Quatre questions me paraissent se poser au sujet du paritarisme.

La première porte sur son fonctionnement. On n’a pas encore terminé l’inventaire de l’accord national interprofessionnel sur la modernisation du paritarisme de gestion du 17 février 2012. Cet accord laissait entendre en creux que les mandataires manquaient de professionnalisme, ce qui a entraîné l’adoption de dispositions relatives à leur formation, leur nomination ou leur rôle, avec un flou considérable sur le financement des organisations syndicales et patronales. D’autres mesures sont intervenues depuis, qui n’emportent pas la complète adhésion des organisations représentatives : la CGT a demandé que les subventions soient fonction de la représentativité de chaque organisation, et des démêlés persistent entre les organisations patronales au sujet de la répartition de leur influence respective.

Nombre de rapports ont été publiés sur les organismes paritaires par la Cour des comptes comme par les assemblées parlementaires, mais, à mes yeux, la première question porte sur le bilan du fonctionnement des organismes paritaires ; il y a là une zone opaque qui mériterait d’être éclaircie.

La deuxième question, plus importante, est celle des relations avec l’État. Il faut reconnaître d’emblée que nous connaissons un système de tripartisme larvé ou occulte n’osant pas s’avouer comme tel. Les partenaires sociaux ne souhaiteraient d’ailleurs pas que cela apparaisse de façon trop nette. Les modalités d’intervention de l’État sont multiples, les unes étant très claires, les autres plus subreptices, tels des prélèvements effectués sur des organismes comme l’Agefiph ou l’ancien 1 % logement, au motif, soit que la gestion était déficiente, soit qu’ils devaient contribuer à des objectifs d’intérêt général.

Les règles de procédure d’agrément, par exemple, sont plus claires, mais elles ne concernent pas l’ensemble des organismes paritaires. Je ne reviens pas sur le difficile passage de l’accord à la convention pour l’assurance chômage. Dans les mois à venir, nous aurons une nouvelle illustration de la complexité des rapports entre les partenaires sociaux, dont ceux qui ont signé souhaitent que l’on ne dénature pas leur texte, et le Gouvernement et le Parlement qui entendent jouir de leur totale liberté d’intervention.

Ce qu’il est convenu d’appeler « document d’orientation » constitue un euphémisme pour dire que le Gouvernement tient la main des partenaires sociaux en les invitant à négocier librement, mais selon des modalités et un calendrier qu’il a lui-même fixés. Les discussions relatives au compte personnel d’activité (CPA), qui n’est pas paritaire, montrent bien que les syndicats et le patronat rechignent devant cette pratique du document d’orientation.

La question se pose donc de savoir si l’on évolue vers un système dirigé par l’État ou si, au contraire, il ne serait pas souhaitable de revenir à l’esprit de départ des organismes paritaires, c’est-à-dire à une plus grande liberté de gestion et de décision des partenaires sociaux.

La troisième interrogation porte sur la capacité du paritarisme à assurer des réformes structurelles. À ce sujet, deux points de vue s’opposent. D’un côté, le diagnostic peut être établi que le paritarisme menace de sombrer dans l’immobilisme, particulièrement en période de faible croissance, car les partenaires sociaux manquent de marge de manœuvre. D’un autre côté, il peut être considéré que la gestion par les partenaires sociaux fait précisément la force du paritarisme.

Fait assez unique dans le droit, des syndicats qui ne sont pas signataires des accords participent à la gestion de ces accords. On pourrait considérer qu’il y a là quelque schizophrénie. Le débat a d’ailleurs eu lieu au sein du patronat, il y a quelques années : avec une certaine sagesse, celui-ci a conclu qu’il était préférable d’avoir les opposants dedans plutôt que dehors, et ainsi a-t-il été décidé que les non-signataires devaient continuer de siéger au sein des instances paritaires.

La dernière question est celle de la logique de représentation. Le système tend vers l’universalisation des prestations sociales, alors que l’organisation des organismes paritaires repose sur une vision étroite de la société, comme si elle se limitait à la représentation des salariés, d’un côté, et celle des employeurs, de l’autre. Le monde d’aujourd’hui est plus complexe, mais comment assurer d’autres présences ? Des tentatives ont été faites par le passé pour inclure les chômeurs ou les retraités, mais l’absence de structures représentatives de ces catégories a conduit à un abandon.

Au-delà de la question de la représentation, il convient de définir si les dispositifs considérés constituent des systèmes de solidarité ou d’assurance. La solidarité conduit à envisager l’universalité des prestations, alors que l’assurance réduit cette solidarité aux seuls cotisants et, par conséquent, limite les possibilités de développement des prestations. La création du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) a montré qu’un équilibre restait à trouver entre un système qui resterait dans la main des partenaires sociaux pour les entreprises et les cotisants salariés, et son ouverture à d’autres catégories sociales. De façon quelque peu cynique, les entreprises considèrent ne pas avoir à cotiser pour les jeunes décrocheurs du système scolaire sans formation à qui il conviendrait pourtant de donner un métier ; la tentation est grande d’abandonner à l’État les coûts correspondants.

En définitive, la question demeure posée : faut-il ou non réformer le système paritaire en profondeur ? Deux atouts subsistent en sa faveur : l’un est cette cogestion étrange incluant même ceux qui n’ont pas signé les accords, qui constitue un facteur non négligeable de réduction des tensions et des divergences ; l’autre est que, quelles que soient les majorités politiques, le système paritaire demeure un utile contre-pouvoir social, tant il est vrai que garantir l’autonomie des partenaires sociaux importe beaucoup dans un régime démocratique.

Je me permettrais une référence à Albert Camus pour qui il convenait d’éviter au moins que le monde ne se défasse plutôt que de se hasarder à le refaire ; c’est là le parti auquel je me rangerai.

M. Éric Aubry, membre du groupe de travail sur le dialogue social. Pour faire le lien avec les propos de Gérard Adam, je dirai : « Au commencement était le Verbe », car j’ignore comment on fait ou refait le monde.

En réponse à une question que semble se poser la mission d’information, je souhaite lever d’emblée un malentendu : à aucun moment notre rapport ne propose que chaque entreprise puisse poser son droit interne ; il propose simplement que des accords d’entreprise, que nous avons souhaités majoritaires, puissent fixer un certain nombre de dispositions qui seront applicables dans ces entreprises, qui pourraient concerner le temps de travail, l’organisation des institutions représentatives du personnel ou les motifs de licenciement économique. Il va sans dire que ce surcroît de liberté accordé aux entreprises ne se conçoit que dans le respect d’un ordre public absolu ainsi que d’un ordre social déterminé par le législateur - la souveraineté nationale.

Il faut se garder de diaboliser les accords d’entreprise, qui ont été consacrés en 1982 par l’une des lois dites Auroux. Avant cela, ils n’avaient pas d’existence juridique. Notre rapport doit être considéré dans la perspective d’un temps long. Les accords de la période 1997-2002 relatifs à la réduction du temps de travail ont, eux aussi, privilégié la négociation. L’idée de donner plus de liberté aux acteurs de l’entreprise répond à une aspiration de la société française qui s’inscrit dans la durée.

Pour répondre au questionnement de la mission relatif au droit du travail et à la concurrence, si le rapport de l’Institut propose effectivement de faire de l’accord d’entreprise le socle de la négociation collective, de préférence à la négociation de branche ou interprofessionnelle, il ne s’abstrait pas d’un cadre respectueux des principes de solidarité attachés au droit du travail qui vient tempérer le rapport de subordination caractéristique de la relation existant entre le salarié et l’employeur. Il ne s’agit pas non plus, à travers ces accords, de remettre en cause le principe de concurrence : dans le domaine de la durée du travail par exemple, cette liberté qui leur est donnée s’exercera dans le respect des durées maximales fixées par les directives européennes et le droit national. Il n’existe donc pas de contradiction entre ce droit du travail reposant davantage sur les accords d’entreprise et le droit de la concurrence. Ainsi, en Allemagne, jusqu’à ces dernières années, il n’y avait pas de salaire minimum obligatoire ; il en allait de même au Royaume-Uni jusqu’à l’institution du salaire national minimum par le gouvernement travailliste à la fin des années 1990 ; pourtant, personne ne pensait que le droit de la concurrence n’était pas respecté dans le système allemand du fait de l’absence de salaire national minimum.

Un autre de vos questionnements concerne la place de l’État dans l’élaboration du droit social, qui demeure un sujet sensible et se situe au cœur de votre réflexion sur le paritarisme et la négociation collective. Gérard Adam l’a relevé, et la lecture de vos travaux souligne l’ambiguïté : comment définit-on ces deux notions, notamment le paritarisme de gestion ? Quels sont leurs liens ? Enfin, quelles sont les relations existant entre la négociation collective, le paritarisme de gestion et l’intervention de l’État ?

L’objet de notre rapport n’a pas été de retracer les événements de notre histoire sociale ayant conduit l’État à jouer un si grand rôle, mais de montrer le plus précisément possible les limites comme les défauts du fonctionnement de notre système de négociation collective et de paritarisme actuel. À nos yeux, la place de l’État et de la loi est excessive au regard de la négociation collective, et cette situation diffère totalement de celle des autres pays membres de l’Union européenne, pour ne pas évoquer d’autres cieux tels les États-Unis. Nous avons donc souhaité proposer des solutions propres à remédier à cet état de fait.

Modestement, notre réflexion rejoint les préoccupations qui sont aujourd’hui celles de Pierre Rosanvallon au sujet de la crise de la représentation et ce qu’il nomme le « mal-gouvernement », qui concerne aussi les partenaires sociaux : comment les institutions paritaires peuvent-elles être légitimes et efficaces ? Il me semble que c’est là l’objet des travaux de votre mission d’information : déterminer à quel moment le paritarisme est légitime à intervenir, particulièrement par rapport à l’État, et si les institutions paritaires sont efficaces, transparentes et lisibles afin de remplir leurs fonctions. C’est la réponse à ces questions qui permettra de juger du bien-fondé du paritarisme dans tel ou tel secteur, mais aussi, le cas échéant, de constater son inefficacité.

Je souhaite à nouveau lever un malentendu : notre rapport ne va pas contre l’État ; il livre une réflexion sur les possibilités de mieux articuler les compétences respectives de l’État et des partenaires sociaux. Gérard Adam a évoqué le tripartisme camouflé, que M. Freycinet désignait pour sa part comme un tripartisme asymétrique masqué. Comment sortir de cette hypocrisie dans laquelle on prétend que le paritarisme est le fait des seuls partenaires sociaux, alors qu’il est notoire qu’il s’agit d’un « ménage à trois » au sein duquel l’État est constamment présent ? Reprenant de façon plus générale les propositions de Pierre Rosanvallon, nous nous intéressons à la façon de rendre le système plus transparent et plus lisible par nos concitoyens, afin qu’ils comprennent mieux qui fait quoi et comment cela fonctionne.

MFranck Morel, avocat associé du cabinet Barthélémy et membre du groupe de travail. Mon intervention portera sur certaines questions liées à la relation entre les branches et les entreprises ainsi que sur la place du juge, essentielle lorsque l’on s’attache au paritarisme au sens large du terme. Car on peut considérer le seul paritarisme de gestion – à savoir les organismes paritaires – ou le dialogue social de façon plus générale, c’est-à-dire le paritarisme entendu comme les relations établies entre les partenaires sociaux, à tous les niveaux : national, branche, entreprise, afin d’édicter des règles de droit.

La question de la place des branches dans ce contexte a été posée, et notre rapport - cela fait d’ailleurs l’objet de son sous-titre – insiste sur celle qui revient à l’entreprise. Au sein du système, l’entreprise nous paraît être le degré à privilégier, car il recèle le plus d’efficacité dans la régulation des rapports sociaux et la réponse aux besoins des acteurs économiques comme des salariés. Éric Aubry a souligné qu’il s’agit d’un mouvement de fond en faveur de la négociation d’entreprise courant sur plusieurs décennies. De fait, depuis une dizaine d’années, il y a huit fois plus d’accords conclus chaque année en France que dans les années 1970, quatre fois plus que dans les années 1980. La croissance est linéaire et la courbe dessine un pic au cours de la période de la mise en œuvre des lois relatives aux 35 heures, puisqu’elles ont été à l’origine d’un vaste mouvement de négociations au sein des entreprises. Après une légère décrue, la courbe est ensuite repartie à la hausse, ce qui montre bien qu’il s’agit d’une vague de fond en faveur de la négociation collective en général et de la négociation d’entreprise en particulier.

Il y a à cela de bonnes et de mauvaises raisons. Les mauvaises sont connues : depuis dix ans, la multiplication des obligations de négocier s’est parfois traduite par une logique de « cocher la case », consistant à conclure des accords purement formels simplement pour se mettre en conformité avec ces obligations de négocier. Est plutôt une bonne raison, en revanche, le fait que la négociation peut faire beaucoup plus aujourd’hui qu’il y a trente ou quarante ans. Depuis 1982, et à plusieurs reprises par la suite, le domaine privilégié d’élargissement de cette sphère d’intervention de l’accord collectif a évidemment été le temps de travail. Cette appétence est aussi présente dans d’autres pays européens, par exemple l’Espagne, où des réformes ont privilégié le niveau du terrain, celui de l’entreprise : nous avons la volonté de nous inscrire pleinement dans ce mouvement.

Cela revient à répondre à une question très simple : que doit pouvoir faire demain la négociation collective qu’elle ne pouvait pas faire hier ? À cette fin, nous avons présenté dans notre rapport un tableau recensant les domaines desquels la négociation était absente hier et vers lesquels nous pensons qu’elle devrait aller. Nous avons, par exemple, considéré que les sujets du contrat de travail ou des motifs de rupture du contrat de travail devaient pouvoir être inclus dans le champ de la négociation collective, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Donner la priorité à la négociation d’entreprise ne signifie pas pour autant que les branches n’ont plus aucun rôle à jouer. Les accords d’entreprise sont passés de 500 dans les années 1970 à environ 40 000 aujourd’hui, mais le nombre annuel des accords de branche est resté stable depuis un certain nombre d’années, oscillant entre 800 et 1 200. Plusieurs rapports, dont celui du député Jean-Frédéric Poisson en 2009, se sont penchés sur la question, et il en ressort que les branches s’emparent de la négociation collective de manière assez contrastée. Le rapport de M. Poisson dénombrait à peu près 300 branches qui étaient caractérisées par une atonie quasi totale : rien ne s’y passait.

On pourrait tout à fait considérer, dès lors que l’on privilégie l’accord d’entreprise, que les branches étant en crise, mieux vaut laisser les choses en l’état. Au contraire, privilégier le rôle de l’entreprise signifie que l’on s’interroge sur la valeur ajoutée de la branche dans les domaines qui lui reviennent. Notre rapport renvoie aux sujets que la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social a considérés comme relevant du seul niveau de la branche et sur lesquels l’accord d’entreprise ne peut pas revenir. Le premier de ces domaines est celui de la mutualisation des moyens en matière de formation et de prévoyance. Le deuxième est celui des classifications et des salaires minimums. Nous allons plus loin que la loi en considérant que la branche doit fixer l’ensemble de ces salaires ; ce domaine doit lui être réservé. C’est bien d’ailleurs ce qui s’est produit en Allemagne et en Grande-Bretagne. Le dernier sujet réservé aux branches est celui de la concurrence.

Il nous semble que ces domaines circonscrivent le champ d’action des branches, même si un débat peut avoir lieu au sujet de leur nombre, de leur taille et de leur capacité à tenir leur rôle. La loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, renforcée par celle du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, a donné au ministre du travail des outils pour, de façon quelque peu pressante, favoriser les regroupements de branches : ces outils ont le mérite d’exister, il convient de s’en servir et, en réduisant activement le nombre des branches, de mettre celles-ci à même de remplir leurs missions.

Ces questions posées, on en vient à s’interroger sur la capacité de la négociation collective à jouer pleinement son rôle. L’une des propositions de notre rapport, qui ne se veut pas symbolique, consiste à inscrire l’accord collectif dans la Constitution qui prévoit qu’est réservée à la loi la détermination des droits fondamentaux du travail, où pourtant l’accord collectif ne figure pas. C’est ce qui a permis au Conseil constitutionnel de juger que le législateur avait fait preuve d’incompétence négative en renvoyant à la négociation collective le soin de déterminer les modalités d’organisation du portage salarial, au motif que ce renvoi était insuffisamment cadré par la loi qui lui était déférée. Le message du Conseil était qu’il n’était possible de donner plus d’espaces à la négociation collective qu’en circonscrivant son champ, donc en limitant sa liberté d’action. Il nous semble que mieux tenir compte de l’accord collectif dans la Constitution permettrait d’élargir son domaine de compétence, qui, dès lors, ne serait plus borné que par des dispositions d’ordre public.

La question du rôle du juge a connu un regain d’actualité avec la remise au Premier ministre de son rapport par M. Robert Badinter, avec ses fameux soixante et un principes essentiels du droit du travail. Ce document pose, lui aussi, la question de la négociation collective.

L’exemple du forfait jours conduit à s’interroger sur les relations entre la négociation collective et le juge : plusieurs accords collectifs ont été annulés en justice sur la base, somme toute contestable, de l’interprétation d’une directive communautaire relative au temps de travail, disposant qu’il ne peut être dérogé à certaines règles en vigueur dans ce domaine que sous réserve que les principes généraux de prévention des risques professionnels soient respectés. Cela a été traduit par la nécessité d’introduire dans l’accord collectif des dispositions relatives à la charge globale de travail : on constate que la marge d’interprétation est large.

Beaucoup d’acteurs du droit du travail se sont émus de l’arrêt de la Cour de cassation, dit « Pain », du 1er juillet 2009, qui a remis en cause la capacité des accords collectifs à établir des différences de traitement entre catégories professionnelles, à moins qu’elles ne soient nécessaires et justifiées. À cette occasion, le juge s’est arrogé le droit de vérifier la pertinence de ces différences de traitement, suscitant l’émoi dans le Landerneau : un grand nombre de textes ont alors été passés au crible afin de savoir si les différences conventionnelles établies, entre cadres et non-cadres par exemple, allaient tomber sous le coup de la nouvelle jurisprudence. Puis le juge a nuancé sa position et, par un arrêt fondateur du 27 janvier 2015, la Cour de cassation a consacré la norme conventionnelle en posant pour principe que les différences de traitement, dès lors qu’elles sont conventionnelles, bénéficient d’une présomption de conformité au regard du principe d’égalité. S’il faut saluer cette décision, on ne peut que constater qu’elle ne fait que contrecarrer une difficulté créée par le juge lui-même. Toutefois, cet arrêt va dans le sens de notre proposition qui consiste à poser le principe que la règle négociée ne doit pas être regardée par le juge comme la règle unilatérale. Il faut aller plus loin que la Cour de cassation en appliquant cette présomption de conformité, au-delà de la seule question de la différence de traitement, à tous les principes posés par l’accord collectif ; et il appartiendra à la partie contestant leur légalité de démontrer leur défaut de conformité, avec un renversement de la charge de la preuve.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Merci pour vos exposés ainsi que pour les contributions de l’Institut Montaigne, quand bien même je n’en partage pas toutes les conclusions. Le débat relatif au renversement de la hiérarchie des normes, qu’Éric Aubry a replacé dans une perspective historique, s’apparente à mes yeux à celui portant sur le sexe des anges : depuis trente ans, le législateur s’attache à ouvrir des espaces de négociation ainsi qu’à distinguer ce qui relève des principes fondamentaux de ce qui est susceptible d’être négocié au niveau de la branche ou de l’entreprise.

Il est vrai que les lois instituant le régime des 35 heures ont, à cet égard, constitué une innovation puisqu’il a été décidé que, faute d’accord, un certain nombre de normes devaient s’appliquer. Ce principe est d’ailleurs repris par le rapport de M. Jean-Denis Combrexelle, publié il y a quelques mois, intitulé La négociation collective, le travail et l’emploi. Le sujet n’est donc pas de savoir s’il faut ouvrir tel ou tel espace de développement à la négociation collective, puisqu’elle existe et que ses effets bénéfiques sont reconnus, mais, d’une part, de savoir s’il faut l’ériger en principe général du droit, ce qui semble être l’orientation de votre rapport et, d’autre part, de savoir comment on aborde les sujets concrets : en tant que rapporteur du projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi, j’ai pu constater, par exemple, que les juges et les avocats sont très concernés par la question de la mobilité, qui concerne la vie quotidienne. Nous avons considéré que, s’il était bon d’élargir le champ de la négociation collective, celui-ci n’en devait pas moins être encadré. Ainsi, s’il nous a paru judicieux de négocier au sujet de la mobilité, nous avons cependant souhaité que les salariés ne se trouvent pas en position de faiblesse. Il convient que ces négociations se déroulent lorsque l’entreprise va bien, car, lorsqu’elle se trouve en difficulté, l’alternative imposée est alors les licenciements massifs ou le renoncement à un lieu de travail défini avec des temps de trajet stables entre le domicile et l’entreprise.

Ainsi que l’a relevé M. Adam, chaque acteur doit trouver sa place. Cela pose la question de la légitimité : comment sont élus les représentants syndicaux et patronaux ? Surtout sont-ils légitimes à agir dans tous les domaines ? Par exemple, les partenaires sociaux passent des accords relatifs à la réforme des conseils de prud’hommes alors que, intellectuellement, le sujet relève de la compétence du législateur. Certes, les protagonistes des accords, soumis qu’ils sont aux décisions des juridictions prud’homales, doivent être consultés par le législateur ; il n’en demeure pas moins, qu’à mes yeux, les sanctions applicables à ces acteurs relèvent du pouvoir régalien.

Comme vous, je considère que la question de la légitimité est fondamentale, tout comme, bien que dans une moindre mesure sur le plan démocratique, celle de l’efficacité : nous sommes condamnés à réfléchir à des systèmes qui ne seront jamais parfaits aux yeux de l’ensemble des intéressés.

L’analyse que vous faites du paritarisme et de la négociation sociale laisse l’impression qu’ils sont bien adaptés à des entreprises d’une certaine taille disposant de représentants syndicaux et de la capacité à négocier, et au sein desquelles les salariés passent une partie conséquente de leur vie professionnelle. En revanche, dans le contexte d’une économie nouvelle où les modes de production connaissent des transformations considérables et où les petites entreprises aux statuts juridiques incertains se multiplient, les changements de métier, d’entreprise et de branche professionnelle tout au long de la vie deviennent courants. Une telle situation incite à déterminer les normes à l’échelon national plutôt qu’au sein des branches ou des entreprises, par le seul acteur légitime à embrasser l’intérêt général bien mieux que des acteurs dispersés, quel que puisse être leur ascendant sur des salariés ou leur relation avec des actionnaires. Cela a bel et bien constitué un mouvement puissant qui a conduit à une relative étatisation de la sécurité sociale ou, à tout le moins, au renforcement du contrôle exercé sur certains organismes paritaires.

Par ailleurs, comme vous l’avez souligné en faisant allusion à l’ouvrage de Pierre Rosanvallon, nos sociétés connaissent une demande de participation accrue de la part des acteurs, notamment des acteurs sociaux. Les syndicats représentatifs des salariés et du patronat constituent des corps intermédiaires essentiels : ils doivent donc occuper toute leur place, fût-ce dans le contexte d’une légitimité affaiblie, faute de quoi la capacité d’entraînement du pays, ainsi que l’acceptation et l’efficacité de la réforme seront bien moindres qu’escompté.

Vous avez clarifié la manière dont il convenait de réfléchir à notre sujet tout en formulant des propositions. Dès lors ma question est la suivante : prônez-vous le statu quo en considérant qu’au vu des évolutions du paritarisme, une légitimité et une stabilisation ont été atteintes au fil du temps –  le paritarisme apparaissant très efficient dans les domaines de l’assurance chômage et de la retraite complémentaire, comme dans d’autres secteurs de moindre importance ? Ou au contraire d’autres évolutions vous semblent-elles nécessaires ?

Notre mission réfléchit notamment sur deux sujets. D’abord, à une conception de la vie professionnelle non plus découpée en tranches – assurance chômage, retraite, formation professionnelle –, mais caractérisée par la fongibilité de ces divers éléments. La question est déjà abordée pour l’outil qu’est le CPA ; faut-il la prolonger jusqu’à la gouvernance ? Autrement dit, une gestion unique par un organisme paritaire de sécurité sociale professionnelle intégrant tous les droits concernés aurait-elle un sens ?

Ensuite, l’articulation des relations entre l’État et les partenaires sociaux - marque d’un paritarisme fort dont je suis partisan – doit-elle prendre une forme verticale ou horizontale ? En d’autres termes, faut-il un socle de droits fondamentaux déterminés et gérés par l’État – ce que vous avez appelé la solidarité –, complété par un étage, relevant plutôt de l’assurance et constitué par les régimes complémentaires, notamment l’assurance chômage et la retraite complémentaire ? On peut aussi songer à la santé, car, aujourd’hui, les deux systèmes tendent à coexister ; aujourd’hui, l’Unédic gère l’ensemble du risque chômage pendant un temps avant de « passer la main » à la solidarité, et, pour la retraite, il existe un régime de base et un régime complémentaire.

Enfin, quelle incidence la nouvelle économie collaborative pourrait-elle avoir sur le système paritaire ? À la lecture de votre rapport, et bien que cela ne constituât pas son objet, on constate à quel point la situation nouvellement créée pose des difficultés.

M. le président Arnaud Richard. Monsieur Morel, vous avez précisé la place tenue par le juge. Comment la présomption de conformité que vous évoquez pourrait-elle s’articuler avec l’ordre juridictionnel social actuel ?

Je suis réceptif au concept de libéralisation solidaire accompagnée d’une sécurité sociale professionnelle : pensez-vous que le paritarisme soit mûr pour une structure placée au faîte du système et qui, dans tous les cas, demeurerait à parité ?

Enfin, vous abordez dans votre rapport un sujet qui interpelle tous les acteurs du dialogue social : la suppression du monopole syndical de présentation des candidats au premier tour des élections des comités d’entreprise. Cela serait de nature à provoquer l’explosion du paysage syndical français, ce à quoi, sauf erreur de ma part, personne n’aspire.

M. Gérard Sebaoun. Je retiens surtout, et vous l’avez souligné, qu’un débat existe entre liberté et protection : le degré de liberté est une notion relative selon que l’on est salarié ou pas ; plusieurs champs propres à la nouvelle économie ne sont pas protégés.

Je partage la conclusion de M. Adam, que le rapporteur de votre mission a résumée par le terme de statu quo : finalement, vous considérez qu’il convient de se hâter, mais lentement, car il s’agit d’un champ de mines dont il risquerait de ne plus rien rester si un trop grand nombre explosait.

Par ailleurs, êtes-vous favorables au maintien d’un SMIC national ? Le cas échéant, comment l’articulez-vous avec la notion que vous avez évoquée de salaires minimums dont la négociation serait confiée aux branches professionnelles ?

Mme Claudine Schmid. Vous avez évoqué la liberté accrue donnée aux accords d’entreprise dans le respect de la loi et, par ailleurs, le rôle excessif de la loi même. Pourriez-vous nous dire quelles dispositions du droit du travail sont les plus restrictives pour les accords d’entreprise ?

Ce que je qualifierai de solidarité étatique conduit, comme vous l’avez relevé, à l’universalité des prestations. Bien que cela excède quelque peu le cadre de cette audition, je souhaiterais savoir si l’Institut Montaigne conduit une réflexion au sujet du revenu de base inconditionnel, c’est-à-dire un revenu pour tous. Cette question est déjà en débat dans divers pays européens.

M. Gérard Adam. Le législateur est peut-être allé trop loin, bien au-delà de ce que prévoit la Constitution, puisqu’elle limite ses compétences aux principes généraux du droit du travail. Les réponses législatives apportées à des questions très concrètes et très décentralisées, telle l’organisation du temps de travail, ne sont pas nécessairement les plus adaptées. Ne faudrait-il pas considérer que les partenaires sociaux qui interviennent à tous les échelons – national, branche, entreprise – sont plus aptes à déterminer les bons compromis que le législateur ?

S’agissant du paritarisme, la priorité est de sortir des apparences et de l’hypocrisie qui règnent actuellement. La façon dont se nouent les relations entre l’État et les partenaires sociaux à l’occasion des diverses négociations conduit à se demander si le système est satisfaisant du point de vue de la démocratie et de l’efficacité : avant même que les partenaires sociaux, qui sont censés en détenir le monopole, aient commencé la négociation, ils se trouvent encadrés par une multiplicité de déclarations gouvernementales, qui, d’ailleurs, ne vont pas toutes nécessairement dans le même sens – si l’on songe à celles concernant l’assurance chômage. Un terme doit être mis à l’interventionnisme latent et quelque peu souterrain de l’État, qui mine le paritarisme. Ne pourrait-on pas imaginer une sorte de pacte qui, pendant plusieurs années, laisserait les mains libres aux partenaires sociaux sur des sujets déterminés ?

Contrairement à ce que pensent beaucoup, compte tenu des progrès de la négociation collective et des perspectives du référendum, la fin du monopole pourrait constituer une occasion pour les syndicats de trouver une nouvelle légitimité. La protection juridique qui leur permet d’être seuls à pouvoir présenter des candidats dès le premier tour est-elle conforme aux principes démocratiques ? On verrait mal que, dans une élection politique, la candidature soit réservée à certaines catégories de personnes parce qu’elles auraient le mandat d’une organisation.

M. Éric Aubry. Monsieur le rapporteur, vous avez considéré qu’il convenait d’ouvrir le champ de la négociation, mais à condition de l’encadrer. Cela résume tout, et tout dépend de l’endroit, entre l’ouverture et l’encadrement, où l’on positionne le curseur, avec tact et mesure et en fonction des moments. Ma préférence va à l’ouverture avant l’encadrement, mais, en tout état de cause, M. Sebaoun a bien résumé la problématique : liberté, responsabilité, encadrement.

Je partage l’opinion du rapporteur : pour les PME, l’accord de branche demeure évidemment le cadre de référence. Il faut privilégier l’accord d’entreprise partout où cela est possible. Même dans les entreprises de petite taille, de cinquante salariés, il peut y avoir un dialogue social avec des délégués du personnel ou des représentants syndicaux. Il n’en est pas moins vrai que, pour les très petites entreprises ou les secteurs économiquement et socialement très éclatés, l’accord de branche conserve toute sa légitimité.

M. le rapporteur. Je vous concède qu’il est utile de clarifier le paysage des accords de branche. Cependant, on se gausse régulièrement de l’accord de branche des pipes et fume-cigarettes de Saint-Claude, qui concerne soixante-seize personnes réparties sur quelques entreprises, alors que leur droit à s’organiser est parfaitement légitime. Après cet élagage, aurons-nous gagné en efficacité, et à quel prix ?

Dans un monde où se multiplient les modèles de l’auto-entreprenariat ou de type UberPop, il serait désastreux de supprimer des branches, si petites soient-elles, et d’empêcher ainsi ceux qui en ont besoin de s’organiser entre eux.

M. Éric Aubry. Small peut être aussi beautiful dans le cas des branches. L’objectif n’est pas de n’avoir que cinquante branches comptant 500 000 voire des millions de salariés ; les maîtres mots sont bien solidarité et efficacité.

Vous avez abordé la question de la portabilité des droits sociaux. Nous sommes effectivement en train de passer d’une logique de branche classique – qui conserve toute son utilité et demeurera –, à une personnalisation des droits. La logique du CPA constitue l’un des moyens d’adaptation à la nouvelle économie, car elle garantit la conservation des droits du salarié alors même qu’il est appelé à changer toujours plus souvent d’entreprise et, parfois, à multiplier les activités partielles.

J’ai lu dans l’un des comptes rendus de réunion de la mission d’information que vous considériez, Monsieur le rapporteur, que la sécurité sociale avait été étatisée en 1995 avec les ordonnances dites « Juppé ». Il me semble, au contraire, qu’historiquement la sécurité sociale n’a jamais été paritaire. Elle l’a sans doute été dans l’esprit du président Laroque dans les années 1945-1946, peut-être sous la IVe République – bien que j’en doute –, mais, à compter du décret du 12 mai 1960, qui confère à l’État le pouvoir de nomination des directeurs de caisse de sécurité sociale, et de l’ordonnance du 21 août 1967 relative à l’organisation administrative et financière de la sécurité sociale, cela n’a plus été le cas. Les partenaires sociaux n’ont d’ailleurs pas utilisé les dispositions de l’ordonnance qui leur donnaient la possibilité d’augmenter les cotisations et d’adopter des mesures d’économie.

L’étatisation était en germe dans les fonts baptismaux de la sécurité sociale. Ainsi, en 1982, ce ne sont pas les partenaires sociaux qui ont ramené l’âge de la retraite à soixante ans, mais une ordonnance résultant d’une loi d’habilitation de décembre 1981. La création de la contribution sociale généralisée a largement bouleversé les données de la question. Ce n’est pas à vous, mesdames et messieurs les députés, que je rappellerai que voter le budget constitue la première marque de la démocratie parlementaire ; le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) n’est rien d’autre que cela, quand bien même il s’agit d’un budget ad hoc. En réalité, dans notre système de sécurité sociale, le paritarisme a toujours occupé un strapontin et l’État a toujours joué un rôle majeur.

Mon analyse diffère donc de la vôtre. La réforme de 1995 a mis fin à l’hypocrisie dont chacun s’accommodait : in fine, c’était bien l’État qui prenait les mesures d’économie, d’augmentation des cotisations et décidait de l’abaissement de l’âge de la retraite. Elle a également eu le mérite de la clarification : il a été reconnu que le système n’est pas paritaire, et que c’est bien le Parlement qui adopte le PLFSS et l’État qui prend les décisions.

J’ai fondé mon point de vue sur le temps long, car il permet de mettre en lumière la logique qui sous-tend les évolutions de la sécurité sociale et transcende les clivages partisans. Cela n’exclut pas les divergences de sensibilité, mais signifie qu’il existe une recherche commune de l’intérêt général. Cette mise en perspective montre que les responsabilités reviennent à l’État et au Parlement, ce qu’illustrent à l’envi les réformes des retraites de 2003, 2010 et 2013. Cela ne veut pas dire que les partenaires sociaux ne sont pas consultés, et la répartition des pouvoirs telle qu’elle existe aujourd’hui me paraît très saine, très efficace et très lisible.

La question du monopole syndical a divisé notre groupe – nous sommes deux à penser qu’il convient de le maintenir. Les réformes annoncées, en accord avec la CFDT, par la ministre du travail Mme Myriam El Khomri portent sur la possibilité de procéder à des référendums à la main des syndicats lorsque les syndicats signataires représentent 30 % des salariés. En donnant la parole de manière plus large aux salariés eux-mêmes, le référendum répond en partie à la question du monopole syndical ainsi qu’à celle de la représentativité. Cela montre à quel point il faut être proche de ses mandants, en l’occurrence les salariés. En 1997 et 2000, le Gouvernement avait déjà introduit la possibilité du référendum afin de confirmer les accords passés par les salariés mandatés, mais aussi dans les entreprises où l’accord n’était pas majoritaire.

Aujourd’hui, les deux syndicats numériquement les plus importants, la CFDT et la CGT, tentent, chacun à sa façon, de répondre à la crise de la représentativité : le premier en proposant le référendum, le second en proposant un syndicalisme ramené à la base et très proche des salariés. Les deux centrales ont conscience qu’un écart se creuse avec leur base et cherchent à prouver leur légitimité de représentation. Cette problématique peut être inscrite dans une réflexion plus générale relative aux évolutions de notre société et à la façon dont les citoyens ou les salariés y sont représentés.

Me Franck Morel. C’est avec justesse qu’Éric Aubry a souligné que la question du monopole avait donné lieu à un débat au sein de notre groupe. Le rapport en porte la marque puisqu’il propose deux solutions alternatives, la fin du monopole n’étant que l’une d’elles. À titre personnel, je suis défavorable à la fin du monopole de présentation des organisations syndicales au premier tour. Ce premier tour a deux finalités : l’élection de représentants, certes, mais aussi, depuis la réforme essentielle de 2008, la mesure de la représentativité des organisations syndicales.

La suppression du monopole, outre sa signification symbolique, ne manquerait pas d’avoir des effets pervers peu maîtrisables. Aussi avons-nous formulé une autre proposition préservant le monopole de présentation au premier tour à la condition qu’un seuil minimal de participation soit atteint. Vous avez eu raison, monsieur le rapporteur, d’insister sur la notion cruciale de légitimité ; par notre proposition, nous souhaitons la conforter. On pourrait prendre l’exemple caricatural, mais juridiquement possible, d’une personne qui serait seule à voter, pour elle, au premier tour et, en application des règles de monopole en vigueur, obtiendrait ainsi 100 % des voix. La pratique du référendum apporte, elle aussi, une réponse à la question de la légitimité.

La conformité des accords aux règles qui leur sont applicables est une question de mode d’analyse juridique de la situation soumise à l’appréciation du juge. Celui-ci peut prendre en compte à égalité les éléments apportés par chacune des parties, se forger une conviction et trancher. Il peut aussi, à l’instar de ce qui est pratiqué en matière de discrimination et qui nous vient du droit anglo-saxon, admettre l’inversion de la charge de la preuve. Il pourrait être décidé que c’est à la partie qui conteste la conformité de la règle conventionnelle au droit d’apporter la preuve.

En ce qui concerne la question du SMIC et des sujets susceptibles de relever ou non de la négociation collective, je vous renvoie au tableau très précis figurant dans notre rapport : il propose que le SMIC relève de la compétence des branches. Ainsi, le plancher minimal salarial serait fixé par les branches, comme c’est le cas dans un certain nombre de pays. Il nous semble que cela participerait du processus de promotion des domaines de compétence au sein desquels la branche a une valeur ajoutée. Les pipes de Saint Claude ont été évoquées sous forme de boutade. Ce n’est pas le nombre d’acteurs d’une branche professionnelle qui doit constituer le critère de justification des regroupements, mais la vitalité de la négociation collective. Cela vaut pour bien des conventions collectives, dites « exotiques », car sectorielles et limitées à des zones géographiques très particulières. De telles situations se rencontrent depuis les années 1950. La question est de savoir si une véritable activité conventionnelle soutenue dans la durée est constatée, et si, depuis, il y a eu des avenants et des accords salariaux ou non. Force est de constater que cela n’est pas le cas pour un nombre constant d’accords collectifs. C’est bien le manque de capacité à se saisir des enjeux qui importe alors.

Aujourd’hui, le domaine dans lequel les accords collectifs sont les plus nombreux est celui de l’aménagement du temps de travail, qui constitue pratiquement le seul sujet évoqué. La négociation collective ne peut pas connaître du contrat de travail ou de sa rupture et des motifs de celle-ci. Les interventions de la négociation sont extrêmement limitées dans le domaine des formes du contrat de travail : elle peut créer un CDD à objet défini, avec des règles très rigoureuses portant notamment sur la durée. De ce fait, les contrats négociés dans ces conditions sont fort peu nombreux. La question de l’élargissement du champ de compétence de la négociation collective, vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, pose celle de l’équilibre avec les dispositions relevant du droit absolu. Ainsi, il ne reviendra pas aux partenaires sociaux de définir le pouvoir des juridictions ; l’ordre public absolu doit préserver les garanties essentielles, mais son existence ne doit pas empêcher l’élargissement substantiel de la capacité d’action de la négociation collective.

M. le rapporteur. Je partage, monsieur Aubry, votre analyse de la réforme Juppé : elle a fait prendre acte de la répartition des divers pouvoirs de décision en présence, la part des partenaires sociaux étant amoindrie. Le vaste mouvement de contestation sociale que ce programme a provoqué, mettant des millions de personnes dans la rue, a inscrit cette date dans l’histoire, et celle-ci l’a retenue. Je partage aussi, par ailleurs, votre remise en perspective de l’évolution de notre système de sécurité sociale.

La question du référendum est complexe. Le secrétaire général de la CFDT a indiqué hier au journal Les Échos qu’il n’en était pas demandeur. Cette proposition n’émane donc pas des syndicats, même réformateurs. La situation est délicate, certains accords, notamment relatifs au travail dominical, n’étant toujours pas signés par tous les syndicats. Le référendum constitue, dès lors, une manœuvre de contournement des syndicats non réformateurs. Les limites de cette pratique sont par ailleurs connues, le film Deux jours, une nuit des frères Dardenne en livre la parabole : tout le monde est augmenté mais une employée est licenciée. Certes, une majorité peut se dégager sur la question posée, mais les salariés sont placés devant un choix cornélien. L’idée que l’on puisse recourir au référendum afin de contrer les syndicats majoritaires en opposition me gêne, car elle porte en elle la capacité de faire perdre toute légitimité à la moitié du paysage syndical français. Je suis partagé, car attaché également au développement des possibilités d’expression démocratique. C’est d’ailleurs à juste titre que vous rappelez que la réforme des 35 heures a ouvert la voie à ce mode de consultation, principalement en cas d’absence de syndicat. Je ne pense pas, néanmoins, qu’il s’agissait à l’époque de manœuvres de contournement. Je ne serais évidemment pas hostile à la procédure du référendum si les organisations syndicales non-signataires s’y montraient favorables.

Dans la recherche d’un équilibre, fondamental, entre encadrement et liberté, je considère que l’encadrement doit protéger la partie la plus faible. C’est pourquoi nous sommes très réticents quant à la possibilité de négocier le contrat de travail : dans nos permanences, nous rencontrons des salariés à qui l’on propose des contrats stipulant que, si leur téléphone portable s’éteint au cours de la nuit, cela constitue un motif de licenciement qui ne sera pas économique. Nous savons bien que le salarié à la recherche d’un emploi depuis trois ans n’est pas en position de négocier son contrat de travail lorsqu’il se présente devant un employeur. Contrairement à vous, il ne me paraît pas souhaitable qu’un élément aussi fondamental du droit du travail soit abandonné à la négociation d’entreprise au nom d’une plus grande liberté. Le risque de restriction de liberté de la partie en position de faiblesse – en général, dans le code du travail, le salarié – serait très élevé.

Certes, ce raisonnement ne saurait s’appliquer, par exemple, à une entreprise composée d’un employeur et d’un unique employé, un cadre qui s’approprierait le savoir-faire de son patron et s’engagerait dans un contentieux devant les prud’hommes. Nous ne serions plus dans un contexte d’opposition du faible et du fort, où le faible serait le salarié et le fort l’employeur. Sans remettre en question les principes fondamentaux, nous devons prévoir de tels cas. Nous ne devons toutefois pas faire preuve de naïveté en ignorant les risques que ferait peser sur le contrat de travail une plus grande liberté de négociation. L’enjeu est la vie personnelle des salariés : leur lieu de travail et leurs déplacements, mais aussi leurs conjoints, car désormais les deux membres du couple travaillent. Demander à un salarié d’aller travailler à 300 kilomètres de son domicile bouleverse sa vie familiale.

Gérard Adam a évoqué la nécessaire articulation du paritarisme avec la loi et l’intervention de l’État. L’idée de sanctuariser dans la Constitution ou dans la loi un certain nombre de domaines qui relèverait de la négociation collective me laisse dubitatif, car des évolutions sont susceptibles de survenir au fil du temps.

En tant que rapporteur du projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi, j’ai souhaité laisser beaucoup de places aux partenaires sociaux, sans pour autant faire mine d’ignorer que, in fine, le législateur interviendrait. À l’époque, j’avais évoqué une valse à trois temps, dont l’un est politique, car les majorités, quelles qu’elles soient, une fois aux affaires, souhaitent donner des orientations ; c’est à cela que servent les conférences sociales. Vient ensuite le temps de la négociation, dans lequel, je vous le concède volontiers, les pouvoirs publics ne doivent pas intervenir, notamment dans les domaines de l’assurance chômage et des retraites complémentaires, faute de quoi l’équilibre de la négociation serait rompu. Il est cependant possible d’indiquer, sans nécessairement le faire de façon publique, quelles sont les limites infranchissables. Ainsi, en 2000, nous avions fait savoir aux partenaires sociaux, sans publicité, que nous ne souhaitions pas que les sanctions applicables aux chômeurs, particulièrement la suppression des allocations, puissent être décidées par les partenaires sociaux gestionnaires de l’assurance chômage. L’accord passé ne s’est pas conformé à cette prescription et, pour cette raison, n’a pas obtenu l’agrément ministériel. Enfin, vient le temps du législateur qui pose un certain nombre de règles d’intérêt général. C’est ce que nous avons fait dans le cadre de la loi de sécurisation de l’emploi, en étant néanmoins conscients que bafouer l’engagement des signataires aurait eu des conséquences considérables sur le déroulement des négociations à venir.

Avec beaucoup de rigueur, nous pouvons inventer des procédures proches du dispositif d’agrément que vous évoquiez afin que ce processus demeure respectueux de la négociation sociale et de l’engagement des signataires. Il faudra cependant que le pouvoir politique demeure maître des compétences qui découlent de sa légitimité : personne ne saurait se présenter devant les électeurs en annonçant qu’il abandonnera les questions sociales aux partenaires sociaux.

M. le président Arnaud Richard. Messieurs, nous vous remercions.

*

Puis la mission entend les présidents de commissions mixtes paritaires de négociation de branche : M. Jean Bessière, commission des transports ferroviaires, M. Didier Caroff, commission des transports routiers de marchandises, Mme Laurence Rivoal, commissions des hôtels-restaurants, des cafétérias, de l’esthétique, de la parfumerie et de la coiffure, et M. Bernard Maurin, ancien président de plusieurs commissions mixtes paritaires.

M. le président Arnaud Richard. Nous recevons M. Jean Bessière, M. Didier Caroff et Mme Laurence Rivoal, présidents des commissions mixtes paritaires des branches des transports ferroviaires, des transports routiers et des hôtels-restaurants, cafétérias, esthétique, parfumerie et coiffure. Ils sont accompagnés par M. Bernard Maurin, ancien président de plusieurs commissions mixtes, qui a une grande expérience en la matière.

Nous avions évoqué avec le représentant de la direction générale du travail l’idée d’entendre plusieurs présidents de ces commissions mixtes paritaires au tout début de nos travaux, compte tenu du rôle important de ces présidents désignés par le ministre. Il y a aujourd’hui quatre-vingt-dix commissions mixtes paritaires environ, pour plus de 700 branches.

Nous souhaiterions savoir quels sont l’origine, le rôle et le fonctionnement des commissions que vous présidez. Êtes-vous les représentants du ministère dans ces réunions ? Êtes-vous maîtres de leur ordre du jour, artisans de leurs compromis et rédacteurs de leurs conclusions ? Qu’attendent de vous les acteurs qui demandent votre intervention en tant que tiers de confiance ?

M. Bernard Maurin, ancien président de plusieurs commissions mixtes paritaires. Je commencerai par me présenter. À la retraite depuis un an, j’ai été, de 1998 à 2015, chargé de la section « Aide à la négociation collective et conflits » à la direction générale du travail. Dans ce cadre, j’animais le réseau des présidents de commissions mixtes paritaires pour ce qui concernait le recrutement, la formation et l’affectation à différentes commissions. Dans le même temps, ma section suivait l’évolution des commissions mixtes, tant sur le fond que sur la forme, étant entendu que ces commissions n’ont pas vocation à être pérennes. Enfin, je suis également formateur à l’Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (INTEFP) dans les champs de la formation et des conflits en entreprise.

Durant cette période, j’ai également eu l’occasion de présider des commissions mixtes paritaires de négociation de branche dans l’animation, les entreprises de propreté, le sport, les grands magasins, les hôtels, cafés et restaurants, l’industrie pharmaceutique, la chimie, la distribution directe, le portage de presse, etc. J’ai également effectué divers remplacements.

Je vais vous faire part de deux éléments tirés de ma pratique et de mon expérience de président de commission mixte : d’une part, un état des lieux des différentes commissions mixtes et, d’autre part, une connaissance des savoir-faire et savoir-être des présidents de commissions mixtes paritaires.

Les commissions mixtes paritaires de négociation de branche constituent une sorte d’aide de l’État, le passage en commission mixte entraînant la mise à disposition d’un agent, mais elles sont aussi une exception à la règle du paritarisme de la négociation de branche. D’où l’intérêt de les utiliser avec parcimonie. Cette forme de commission est fréquemment sollicitée pour surmonter une carence persistante, un blocage ponctuel ou une absence de savoir-faire. L’objet d’une commission mixte paritaire est d’aider à la négociation de textes conventionnels de branche susceptibles d’extension, un tiers apportant une compétence technique et juridique pour mettre fin à des situations de blocage parfois passagères.

On peut distinguer quatre types de commissions mixtes : celles qui regroupent des partenaires sociaux n’ayant que peu ou pas d’expérience de la négociation au niveau d’une branche ; celles qui sont mises en place par la direction générale du travail, comme l’y autorise l’article L. 2261-20 du code du travail, à la suite d’une carence ou d’un blocage considéré comme grave au regard des sujets de négociation devant être abordés par les partenaires sociaux d’une branche ; celles qui, malgré de longues années de négociation en formation mixte, et sans trop de difficultés particulières, n’arrivent pas ou ne souhaitent pas fonctionner autrement qu’en commission mixte alors que ce type de fonctionnement n’est pas censé être pérennisé ; enfin, celles dont les organisations représentatives au sein d’un même collège – celui des employeurs ou celui des salariés – n’arrivent pas à s’entendre pour élaborer une position commune vis-à-vis de l’autre collège.

Sauf lorsque ces commissions sont directement mises en place par l’autorité administrative, elles sont, dans la plupart des cas, sollicitées par les organisations syndicales de salariés qui, à divers titres, ne sont pas satisfaites de l’état des négociations de la branche. Les organisations syndicales interviennent alors auprès de l’autorité administrative, toujours sur le fondement de l’article précité. À l’inverse, les organisations d’employeurs n’apprécient guère a priori la mise en place d’une commission mixte. D’une part, parce qu’à de rares exceptions près, elles ne partagent pas l’avis des organisations représentatives des salariés quant à l’état des négociations de leur branche. D’autre part, parce qu’elles sont a priori hostiles à l’incursion d’un tiers, notamment d’un représentant de l’État, au sein de leurs négociations paritaires de branche.

J’en viens aux savoir-faire et aux savoir-être des présidents de commissions mixtes. De manière générale, la tâche du président de commission mixte est d’être un « facilitateur », d’aider à l’établissement ou au rétablissement du dialogue social. Le président offre un cadre de discussion et assure le respect des règles du jeu de la négociation mais ne se substitue pas aux négociateurs dans les débats de fond. Le président de commission mixte a donc un rôle pédagogique essentiel, destiné à favoriser l’émergence d’une dynamique et d’une pratique autonomes de négociation. En tant que de besoin, il est susceptible d’apporter aux partenaires sociaux un appui technique ou une expertise juridique.

Plus précisément, son rôle peut recouvrir trois fonctions essentielles.

Une fonction d’animation, tout d’abord. Le président n’intervient pas directement sur le contenu. Il est plutôt dans le « faire faire » et le savoir-être. C’est ce rôle d’animateur que l’on perçoit d’emblée de la façon la plus évidente. Il ne consiste pas seulement à apparaître comme le simple garant de la discipline des discussions et de la bonne tenue des réunions mais suppose une démarche active au double niveau de la conduite des discussions et de la résolution des conflits. Il appartient en effet au président de commission mixte de diriger et de recentrer les débats en veillant à ce que chacun s’exprime, à reformuler les différentes propositions ou à proposer une synthèse des discussions. Cette fonction exige une grande qualité d’écoute, une certaine sensibilité aux réactions et une capacité à ménager les sensibilités. L’équilibre d’une négociation est extrêmement fragile. Un événement en apparence anodin, une parole maladroite, une prise de position intempestive peuvent être la cause d’un retournement complet de situation. Il importe de demeurer attentif en permanence et d’anticiper le plus possible les réactions des différents intervenants pour en atténuer, le cas échéant, les effets négatifs. Lorsqu’un conflit survient, il est de la responsabilité du président de commission mixte de trouver les moyens de rétablir le dialogue. Une bonne perception de la personnalité des acteurs, la connaissance réelle des enjeux et la mise en évidence des non-dits sont autant d’aides à la résolution de conflit. Souvent, la suspension des négociations est souhaitable pour tenter, en dehors des réunions formelles et par des contacts bilatéraux, de rétablir les bases d’une reprise des discussions. De même, le recours à une autorité supérieure ou extérieure est parfois un moyen de nature à permettre de renouer les fils d’une négociation interrompue.

Le président de commission mixte exerce également une deuxième fonction, d’expert ou de conseil qui, de mon point de vue, n’est pas forcément indispensable et ne devrait pas empiéter sur le rôle d’animateur qui doit rester dominant. Souvent, les partenaires sociaux nient leur difficulté à dialoguer et ont tendance à vouloir nous enfermer dans un rôle d’expert qui ne les aidera pas forcément à dégager un consensus. En effet, l’expert porte un jugement ou un avis sur le contenu des décisions à prendre. Il est détenteur du savoir. Il peut se retrouver en position d’arbitre du seul fait de la réponse qu’il apporte sur le fond. Ce faisant, il peut donner tort ou raison à l’une ou l’autre des parties. C’est pourquoi nous recommandons aux présidents de commission mixte d’être équidistants de chacune d’elles et parcimonieux en analyses.

Ce rôle est lié aux compétences qu’a le titulaire de la fonction de président de commission mixte dans le domaine du droit du travail et du droit social. Le président étant souvent perçu d’abord comme un juriste attaché à l’administration du travail, son expertise peut être précieuse pour les partenaires sociaux. Mais, d’une part, elle n’est pas toujours sollicitée sans arrière-pensées et, d’autre part, le président de commission mixte ne peut pas répondre à toutes les questions. Pour autant, dans certaines branches où les représentants sont peu ou mal informés, l’intervention pédagogique du président peut être déterminante. Il est donc conseillé de l’utiliser avec parcimonie, de préférer l’intervention d’experts extérieurs et de ne pas hésiter à faire faire les expertises par les parties qui les demandent, en dehors des réunions si nécessaire. Cela peut constituer un premier pas vers l’autonomie que nous recherchons. En effet, les organisations que nous rencontrons ne sont souvent pas suffisamment équipées sur le plan juridique. Elles attendent donc du président de commission mixte qu’il joue le rôle de juriste de service, mis à leur disposition par le service public. Or, telle n’est pas, loin de là, l’entièreté de sa fonction.

Enfin, le président de commission mixte exerce une fonction d’acteur, à condition qu’un contenu ait déjà été élaboré par les parties. Paradoxalement, le président doit, dans cette situation, rester très humble. Un tel rôle ne s’improvise pas et ne peut être joué qu’à l’occasion voire à l’issue de débats et d’un processus de négociation qui tende effectivement vers une solution acceptable par l’ensemble des parties. Dans ce cas, le président de commission mixte intervient sur le contenu, donc sur la « propriété » des parties, en proposant une solution voire une rédaction susceptible d’emporter l’accord de tous ou d’une majorité. La qualification d’acteur peut paraître inappropriée au regard des véritables acteurs de la négociation que sont les représentants des organisations syndicales d’employeurs et de salariés. Pour autant, il peut être naturel de penser que, par sa position centrale, le président de commission mixte est aussi le mieux placé pour extraire des débats la motion de synthèse sur laquelle une certaine convergence est susceptible de s’exprimer.

En conclusion, je citerai mon ancien sous-directeur, selon qui le président de commission mixte est un peu un « mouton à cinq pattes ». L’intervention de chaque président est d’ailleurs marquée par la singularité de sa personnalité. Et pour répondre à votre question, monsieur le président, les présidents de commission mixte sont effectivement souvent perçus comme des représentants du ministère, bien qu’ils soient, en tant que conciliateurs, dans une position particulière. Les présidents ont en effet des marges de manœuvre beaucoup plus larges que s’ils s’exprimaient directement au nom de l’administration.

Mme Laurence Rivoal, présidente des commissions des hôtels-restaurants, des cafétérias, de l’esthétique, de la parfumerie et de la coiffure. Actuelle responsable de la section « Aide à la négociation », j’ai remplacé Bernard Maurin dans ses fonctions. Ce dernier vous ayant présenté le rôle du président de commission mixte et ses domaines d’intervention, j’évoquerai les évolutions récentes du réseau des présidents de commission mixte, les grands chantiers de négociation liés à l’actualité sur lesquels travaillent nombre de branches qui fonctionnent en commission mixte paritaire et, enfin, les cinq commissions que j’ai le plaisir de présider.

S’agissant des évolutions du réseau, en 2015, ont effectivement été en commission mixte paritaire quatre-vingt-quatorze des 300 branches nationales que l’on qualifiera de branches « vivantes » au sens où elles négocient régulièrement. Parmi celles-ci, quarante-sept relèvent du secteur des services, trente-huit du secteur du commerce et seulement sept du secteur de l’industrie. Toujours en 2015, les commissions mixtes ont tenu 647 réunions et signé plus de 200 textes, le premier thème de ces négociations ayant été les salaires, qui doivent faire l’objet de négociations annuelles. Ces quatre-vingt-quatorze commissions sont animées par soixante-huit présidents de commission mixte – certains ont donc le plaisir d’en présider plusieurs. Et 40 % des présidents sont des femmes. Le réseau évolue constamment : en 2014, par exemple, nous avons nommé trente nouveaux présidents et de nouvelles commissions sont mises en place constamment. Ces instances visent le retour à un fonctionnement classique, sans la présence du président de commission mixte. Cinq à six parviennent à ce résultat chaque année, tandis que de nouvelles commissions sont également instaurées tous les ans : cela explique que leur nombre reste important.

J’en viens aux grands chantiers d’actualité.

L’existence de certaines commissions est liée aux négociations salariales. Il peut en effet être décidé de mettre d’office en commission mixte paritaire une branche qui applique des grilles de salaire dont les coefficients sont inférieurs au SMIC.

Le deuxième grand chantier que nous suivons est celui des négociations relatives au Pacte de responsabilité. Toutes les branches ont l’obligation de négocier sur ce thème mais nous effectuons un suivi plus particulier des cinquante branches les plus importantes en taille. Parmi celles-ci, vingt-sept sont en commission mixte paritaire, dont deux ont réussi à conclure un accord sur le Pacte : celles de la restauration rapide et du négoce de l’ameublement. Pour ma part, je préside la branche de la coiffure qui devrait signer un tel accord la semaine prochaine. Les négociations sont également bien avancées dans les domaines des télécommunications, de la restauration de collectivités et de l’hospitalisation privée.

Enfin, le dernier chantier concerne les négociations en cours dans le cadre de l’« Opération spectacle ». Des négociations sont actuellement menées dans les huit branches du spectacle et doivent être conclues avant le 31 mars 2016, à la fois sur les listes d’emplois permettant d’accéder au contrat à durée déterminée d’usage (CDDU) et sur les conditions de recours à ce contrat. Il est demandé aux branches de veiller à ce que ces listes et ces conditions de recours soient les plus pertinentes possible. À ce jour, seule la branche des prestataires techniques du spectacle a réussi à conclure un accord.

Je terminerai en évoquant les commissions mixtes paritaires que je préside.

Il s’agit tout d’abord de la commission « hôtels-cafés-restaurants », branche qui regroupe 800 000 salariés, six organisations d’employeurs et les cinq organisations classiques de salariés. Dans cette branche, mon rôle consiste à aider le collège des employeurs, qui représente des manières très différentes d’exercer le métier de l’hôtellerie-cafés-restaurants, à réunir des positions communes avant de négocier. En outre, depuis les événements de novembre 2015, cette branche connaît un contexte économique difficile de sorte que la négociation des salaires en début d’année a été particulièrement délicate.

Je préside également la branche de la coiffure qui regroupe 100 000 salariés et deux organisations d’employeurs : l’une représente les coiffeurs des petits salons, l’autre, les grandes chaînes. Un travail doit donc être accompli en amont pour arriver à concilier leurs positions.

Fort différente est une autre branche que je préside et qui, à l’origine, était celle de l’esthétique-parfumerie. Cette branche s’est scindée en deux dans la mesure où les métiers de l’esthétique, relevant de l’artisanat, n’avaient pas grand-chose à voir avec ceux, essentiellement commerciaux, de la parfumerie. La convention collective ayant été dénoncée, mon travail a consisté à aider ces deux branches à se doter chacune d’une nouvelle convention. La branche de l’esthétique y est arrivée très rapidement et sans difficulté ; celle de la parfumerie, en revanche, n’y est pas encore parvenue. Il faut donc déterminer si cette branche tentera de se rapprocher d’une autre branche existante, en cohérence avec le processus de réduction du nombre de branches, ou si l’on doit accompagner la parfumerie dans la négociation d’une convention collective propre au secteur.

Enfin, la branche des cafétérias est moins importante en termes de taille : elle comprend une seule organisation d’employeurs et 20 000 salariés. J’accompagne cette branche dans la tenue de ses débats, mon rôle y étant plus en retrait.

M. Didier Caroff, président de la commission des transports routiers. Depuis janvier 2012, j’ai l’honneur de présider la commission paritaire de la branche des transports routiers qui compte en son sein six commissions mixtes paritaires de sous-branche, pour le transport de marchandises, le transport de voyageurs, le transport de fonds et de valeurs, le transport sanitaire, le déménagement et la logistique.

Cette mission de président de commission paritaire requiert beaucoup de temps et s’inscrit à deux niveaux : elle consiste à présider, d’une part, la commission paritaire de la branche dans son entier, sur des thèmes de négociation transversaux tels que la formation professionnelle ou la prévoyance et, d’autre part, les commissions des différentes sous-branches. Cela représente jusqu’à quatre réunions de négociation par mois, sans compter celles des groupes de travail. C’est pourquoi la direction générale du travail a souhaité que cette fonction soit renforcée par la présence de trois autres présidents de commission qui m’aident à animer et à présider ces commissions paritaires. Au total, plus de 140 réunions se sont tenues en 2014, que ce soit pour répondre à des obligations légales de négociation ou pour engager des échanges ou des calendriers de négociation sur des thèmes choisis par les partenaires sociaux de la branche.

Si la commission paritaire de la branche du transport routier est mixte depuis plusieurs décennies, c’est que, de fait, cette branche a des difficultés tant historiques que culturelles à se rendre autonome dans la négociation collective et la construction du droit conventionnel. Ces difficultés sont à mon sens de deux ordres : difficulté de certains à admettre la nécessité de négocier et de trouver des points de convergence sur des intérêts communs aux salariés de la profession ; difficulté liée aussi au nombre de partenaires. Si cette dernière a été réglée pour les organisations syndicales de salariés par la loi de 2008 portant rénovation de la démocratie sociale, elle ne l’est pas encore s’agissant des organisations patronales – au nombre de douze dans la commission mixte paritaire de branche du transport routier. Ces différentes organisations ont naturellement une stratégie, une histoire et des propositions singulières – même si l’on voit, de-ci de-là, se dessiner des fronts ou des propositions communes.

Tout cela a freiné le développement de la négociation collective. Par exemple, la convention collective prévoit douze jours de négociations payés par les entreprises pour les négociateurs salariés. Or il y a eu plus de 140 réunions en 2014, ce qui illustre la difficulté de créer des conditions sereines de négociation.

J’en viens, avec ma modeste expérience au sein de la branche du transport routier, au positionnement qui doit être celui du président de commission mixte paritaire. Passer d’une présidence historiquement assumée par un fonctionnaire du ministère des transports à celle d’un fonctionnaire issu du ministère du travail n’a pas été facile. J’ai dû me faire admettre et gagner la confiance des partenaires sociaux – ce qui s’est fait assez vite d’ailleurs. Mon fil conducteur, universel dès lors que l’on évoque les missions d’un président, a consisté à conserver en permanence un positionnement impartial dans la négociation et les débats. Il en va de notre autorité et de notre crédibilité pour faire avancer les partenaires sociaux sur la voie du dialogue social et de la négociation collective. Il peut arriver qu’il y ait des tensions, des incompréhensions ou des « explications ». Mais globalement, il se crée une confiance réciproque dans les tâches et missions de chacun.

Une commission mixte paritaire se réunit généralement à froid, dans un climat détendu, serein et respectueux, mais parfois aussi à chaud. Ainsi le conflit routier de l’an dernier n’a pas été facile à désamorcer – il a d’ailleurs fallu plusieurs mois aux partenaires sociaux pour rétablir entre eux la confiance et renouer le dialogue.

L’efficacité du président passe aussi par sa propre conviction que des solutions sont possibles, que des points de convergence existent et que la culture du compromis ou de l’accord reste pour certains à acquérir, et pour tous à développer.

M. Jean Bessière, président de la commission des transports ferroviaires. Je préside la commission mixte chargée d’élaborer la convention collective de branche du transport ferroviaire. Cette mission trouve son origine dans la loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire, qui redéfinit le système national ferroviaire et qui prévoit que le groupe public ferroviaire – constitué de trois établissements publics à caractère commercial : la SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilité – emploie des personnels sous statut et peut employer des personnels sous le régime des conventions collectives. La loi précise qu’une convention collective étendue peut compléter les dispositions du statut pour les salariés soumis à celui-ci. Ces dispositions ont des conséquences importantes sur le périmètre de la négociation collective et de la future convention collective nationale. Cette commission mixte ne concerne pas seulement les nouveaux entrants, comme cela a été indiqué dans l’ordre du jour de cette table ronde, mais l’ensemble de la branche professionnelle, certaines dispositions trouvant aussi à s’appliquer au groupe public ferroviaire.

Le deuxième point important de la loi du 4 août 2014 a trait aux questions d’organisation et de temps de travail, en prévoyant une articulation entre un décret « socle », dans lequel l’État doit définir les conditions essentielles de continuité et de sécurité du service, une négociation de branche et des négociations d’entreprise. S’agissant de l’articulation entre ces deux dernières, le code des transports tel qu’issu de la loi précitée prévoit expressément qu’un accord d’entreprise ou d’établissement ne peut comporter de stipulations moins favorables que celles d’une convention ou d’un accord de branche. La loi fixe, pour la conclusion des négociations, la date butoir du 30 juin 2016. Je vous dirai tout à l’heure où en est la discussion de cet objet central de la future convention collective.

Enfin, l’article 35 de la loi du 4 août 2014 prévoit que la négociation se déroule dans le cadre d’une commission mixte paritaire. C’est donc le législateur lui-même qui a décidé de la création d’une telle instance.

M. le président Arnaud Richard. Est-ce la première fois qu’il le fait ?

M. Bernard Maurin. La loi relative à la régulation des activités postales prévoit elle aussi la négociation d’une convention collective.

M. Jean Bessière. J’ai pour ma part reçu une lettre de mission des ministres chargé du travail et chargé des transports dès avant la publication de la loi, en septembre 2013. M’est confiée dans cette lettre l’animation de la commission mixte dans le cadre d’une présidence classique. Il m’y est aussi demandé de veiller à l’articulation entre la négociation collective de branche et les concertations qui auront lieu entre l’État et les partenaires sociaux pour l’élaboration du décret socle précité. J’ai été associé à la préparation de la commission mixte et aux consultations des organisations syndicales sur la loi dès l’année 2013. Et nous avons organisé une première réunion de commission mixte au mois de décembre 2013, quelques mois avant la publication de la loi.

Nous avons à ce jour tenu une vingtaine de réunions au terme desquelles les partenaires sociaux ont abouti à trois accords : l’un portant sur le champ d’application de la future convention collective, un autre, sur la désignation d’un organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) et un autre encore, sur les méthodes et l’organisation du travail au sein de la commission mixte. Cette dernière comprend une seule organisation patronale, l’Union des transports publics et ferroviaires, qui a vocation à représenter et la SNCF et les nouveaux entrants. Du côté des salariés, sont présentes l’ensemble des organisations syndicales représentatives au niveau national : les cinq organisations habituelles ainsi que SUD et l’UNSA. La commission se réunit une fois par mois. Sans doute faudra-t-il accélérer ce rythme lorsque nous aborderons le sujet principal de la négociation : le temps de travail.

Le ministre chargé des transports a annoncé il y a quelques jours son intention de lancer la concertation relative au décret socle le 15 février prochain, précisant que ce texte pourrait être publié dans le courant du mois de mars. Jusqu’à ce jour, les partenaires sociaux ont jugé difficile d’entrer dans la négociation sans que soient précisées les modalités d’élaboration de ce décret. Est donc à l’ordre du jour de notre réunion du 18 février le cadrage de la négociation mais il n’est pas encore prévu d’entrer dans le vif de celle-ci, bien qu’elle doive être terminée au 30 juin de cette année.

Antérieurement au vote de la loi se sont tenues des négociations sur le fret. Quatre accords ont été négociés dans le cadre d’une commission mixte paritaire, qui sont aujourd’hui applicables aux entreprises transportant du fret.

Il va de soi que beaucoup de concertations ont eu lieu avant l’élaboration de la loi et sa publication. Tout ce qui concerne la négociation sociale et le statut social des cheminots revêt un double enjeu de concurrence équitable et de lutte contre le dumping social entre les différents intervenants, d’une part, et de sécurité et de continuité des services, d’autre part. Ces deux enjeux seront au cœur des discussions qui vont s’ouvrir sur le thème de l’organisation et du temps de travail.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Quelle appréciation générale portez-vous sur les commissions mixtes paritaires ? Vous semblez, à en croire vos exposés, les juger utiles, voire indispensables.

Pourriez-vous nous en dire davantage des commissions mixtes paritaires qui se sont réunies dans le cadre du Pacte de responsabilité ? Il ne me semble pas que le Pacte ait prévu de négociations obligatoires ouvrant droit à des exonérations de charges ni que leur absence ait été assortie de sanctions. C’est plutôt dans un relevé de conclusions que les organisations représentatives des employeurs et des salariés ont invité leurs branches à négocier. Pourquoi les négociations n’ont-elles pas lieu ? Sur quels sujets les discussions portent-elles ? Vous paraissent-elles efficaces au regard de l’objectif visé par le législateur – améliorer, grâce à des exonérations de charges, la compétitivité des entreprises et l’emploi et non pas les dividendes et les hautes rémunérations ?

Plus généralement, le système des commissions mixtes paritaires pourrait-il, selon vous, être transposé au niveau interprofessionnel, en cas d’échec d’une négociation ?

M. Bernard Maurin. Comme vous l’aurez compris, nous nous portons généralement volontaires et sommes bénévoles pour exercer la fonction de président de commission mixte parce que nous sommes convaincus de l’efficacité et de l’intérêt de cette méthode. Du reste, bon nombre de négociations n’auraient pas eu lieu à ce jour en dehors du cadre de ces commissions. C’est si vrai que la convention collective du transport routier prévoyait que les organisations représentatives ne négocieraient jamais en l’absence d’un représentant de l’État jouant le rôle de facilitateur. Je citerai également le cas de la branche de l’hôtellerie, des cafés et des restaurants.

M. le rapporteur. Vous citez en exemple de très grosses branches qui auraient les moyens de négocier : est-ce toujours l’éclatement des employeurs et leurs divergences de fond qui expliquent le recours aux commissions mixtes ?

M. Bernard Maurin. Les employeurs sont également demandeurs de ces commissions. Il arrive notamment qu’ils acceptent de négocier, lorsque l’administration les y invite, à la condition d’y être aidés par l’État. Ce dernier ne pouvant pas subventionner une négociation, cette aide prend souvent la forme d’une commission mixte.

Les motifs pour lesquels ils réclament la constitution d’une telle commission sont multiples : il est notamment très pratique de ne pas avoir de convocations à envoyer et d’avoir des salles et un juriste à disposition. Certains s’installent donc dans ce confort – et le reconnaissent ou pas. Ces propos, qui relèvent d’un ressenti, n’engagent que moi mais traduisent, je crois, une réalité.

Et puis il y a ceux qui n’ont pas l’intention de se réunir : ce sont alors les salariés qui demandent la constitution d’une commission mixte, parce que les employeurs ne les convoquent pas, ou pas assez, pour négocier, ou encore parce qu’ils ont des moyens insuffisants pour le faire.

M. Jean Bessière. Dans le secteur de l’agriculture, les négociations se déroulent souvent au niveau départemental ou régional, avec un investissement historiquement très fort des services de l’inspection de l’agriculture. Lorsqu’il y a eu fusion des services de l’inspection du travail en 2009, l’ensemble des partenaires sociaux du secteur de l’agriculture ont fait part de leur souhait que la direction générale du travail veille à assurer une continuité dans l’animation des commissions mixtes. Nous avons ainsi pu mesurer le poids de l’administration dans le fonctionnement de la négociation collective dans ce secteur d’activité, un peu particulier certes.

M. le président Arnaud Richard. Monsieur Maurin, les salariés pourraient se plaindre de ne pas être convoqués par les employeurs, dites-vous. Mais personne n’a à convoquer qui que ce soit : le rôle du président de commission mixte paritaire est de faire en sorte que les parties s’entendent. Le mandat de la DGT ne vous désignerait donc pas obligatoirement comme la personne qui convoque ces réunions et qui met en œuvre la négociation ?

M. Bernard Maurin. Je me suis sans doute mal exprimé : j’évoquais les cas sans commission mixte. Dans le cadre du code du travail, les employeurs ont l’initiative des convocations et de la gestion formelle, mais s’ils ne le font pas, les salariés peuvent demander la mise en place de ce dispositif.

M. le président Arnaud Richard. Le principe d’un président de commission mixte paritaire pour toutes les branches vous semblerait-il utile ?

M. Bernard Maurin. Non. Comme je l’ai dit dans mon exposé liminaire, la commission mixte doit rester l’exception. Le paritarisme est la règle.

M. le rapporteur. Dans le cadre d’une réflexion interprofessionnelle, se pose la question de l’utilité d’un lieu neutre et du partage du stylo pour la rédaction de la première version de l’accord pour éviter que les syndicats, qui manquent souvent de moyens pour négocier, ne soient systématiquement amenés à réagir sur des textes d’origine patronale. Pour éviter ce rapport de force, ne serait-il pas utile, au niveau des branches, qu’un tiers – le Conseil économique, social et environnemental (CESE), par exemple – intervienne ? Ne faudrait-il pas favoriser une forme d’organisation équilibrée entre les deux parties pour faciliter la conclusion de négociations dans le cadre d’un pur paritarisme ?

Mme Laurence Rivoal. Certaines branches réussissent à revenir dans un fonctionnement paritaire classique, et en sont satisfaites. À titre d’exemple, la branche de l’enseignement privé hors contrat, que j’ai présidée, a mis vingt ans à négocier une convention collective, mais depuis qu’elle dispose d’une présidente, les négociations s’y déroulent de manière très satisfaisante : mon rôle ne se justifiait donc plus. Nous n’intervenons qu’en cas de difficulté. Heureusement, le débat se passe très bien dans nombre de branches !

M. le président Arnaud Richard. Mais si un président de commission mixte paritaire était intervenu dans cette branche-là il y a vingt ans, les négociations auraient abouti plus rapidement !

Mme Laurence Rivoal. Tout à fait. Il y en avait eu un, mais la commission mixte n’a pas débouché. Ils ont donc fonctionné en paritaire avant d’en revenir au mixte. Une branche peut repasser au fonctionnement classique quand tout va bien. Lorsque nous recevons des courriers d’organisations de salariés ou d’employeurs demandant la mise en place d’une commission mixte paritaire, nous organisons des réunions préalables, nous étudions les demandes et, si nous estimons que nous pouvons répondre à la difficulté, nous désignons quelqu’un.

M. le président Arnaud Richard. Vous êtes au service du dialogue social : votre objectif n’est pas d’orienter – voire d’amener à – un accord. C’est bien cela ?

Mme Laurence Rivoal. Les deux aspects sont liés, selon moi.

M. Bernard Maurin. Le président de commission mixte paritaire peut être amené à proposer un texte – il est libre de le faire ou pas –, toujours dans la perspective d’une négociation normalement paritaire, en ramenant les partenaires sociaux vers une logique d’autonomie. Même si ce sont principalement les employeurs qui soumettent un texte, les organisations syndicales de salariés font quelquefois des propositions. Dans certaines commissions mixtes, les organisations de salariés et d’employeurs – parfois ensemble, parfois l’une ou l’autre – proposent un texte. Je l’ai vécu. J’ai aussi en mémoire des cas où le président de la commission mixte avait soumis, à partir des éléments qui lui avaient été communiqués, un texte aux organisations en leur laissant la faculté de le discuter et de l’amender.

Il n’est donc pas exclu que le président de commission mixte soit amené, de son propre chef ou sur commande dans le cadre d’une mission particulière, à proposer un texte consensuel après avoir contacté les uns et les autres et à le livrer au débat. Cela évite le biais que vous soulevez, à savoir de toujours réagir sur un texte patronal, ce qui ne facilite pas le consensus.

M. Denys Robiliard. Merci pour vos exposés, car il est particulièrement instructif pour nous de savoir très concrètement comment vous travaillez.

Le législateur et le Gouvernement souhaitent que le nombre de branches diminue. Vous avez indiqué qu’il existe 700 branches, dont 300 « vivantes »…

Mme Laurence Rivoal. Qui négocient régulièrement.

M. Denys Robiliard. Cela signifie-t-il que les 400 autres sont mortes ? Vont-elles ressusciter lorsqu’on prétendra les couper ?

Selon vous, le critère pour redessiner le paysage des branches devrait être celui de la vitalité dans la négociation. Est-ce le seul ?

Vous êtes à la fois des acteurs et des observateurs expérimentés, ce qui vous amène à réfléchir aux évolutions possibles. Avez-vous le sentiment qu’il y a toujours du « grain à moudre » dans la négociation ? Avez-vous noté des évolutions ?

M. Bernard Maurin. Parmi les 700 branches, il faut distinguer celles qui relèvent de l’agriculture – 200 à 300 départementales ou régionales – et les autres. Les 300 ou 350 que nous évoquons, dont environ 90 sont en mixte, renvoient aux conventions collectives, au niveau national, de l’industrie et du commerce.

Si je m’en tiens à mon expérience, le regroupement ne sera pas facile. En effet, le regroupement des organisations d’employeurs n’est pas un mouvement naturel – chaque branche a sa convention collective, sans compter les problèmes d’ego… Ces blocages entraîneront des demandes de commissions mixtes – qui ne résoudront pas forcément les problèmes – pour trouver une position commune aux différentes branches.

Il y a une quinzaine d’années, nous avons commencé à accompagner des prestataires de services de l’entreprise, regroupant les huissiers, les détectives privés et les plateformes téléphoniques… Les choses ont bien fonctionné au départ, mais d’importantes difficultés sont très vite apparues, notamment à propos des salaires. Au niveau des commissions mixtes, les négociations portent principalement sur les salaires. Or, dans les secteurs très diversifiés, il est très difficile de trouver une grille de salaires commune.

Le regroupement apparaît comme une évidence tant il est vrai que certains secteurs ne fonctionnent plus ; d’autres sont morts, mais ressuscitent dès que leur suppression est évoquée… Ce regroupement va générer des commissions mixtes supplémentaires et la nécessité de mettre d’accord en amont les partenaires sociaux, en particulier du côté des employeurs. Pour les salariés, qui sont habitués à travailler en « intersyndicale », cela sera moins nécessaire. En tout état de cause, et même si le regroupement repose sur une réelle cohérence, telle ou telle fédération se sentira amoindrie dans un espace plus grand.

Les petites organisations n’ont pas du tout la même stratégie. Elles ont paradoxalement une stratégie de fidélisation de leurs salariés et sont parfois prêtes à « mettre davantage sur la table », d’autant que les politiques, au sens noble du terme, sont présents pour négocier. Ainsi, elles négocient parfois de façon plus généreuse que des directeurs des ressources huamines de grands groupes qui ont un mandat strict. Pour le président de commission mixte paritaire, cela ne facilite pas non plus l’émergence du consensus nécessaire pour parvenir à un accord.

En définitive, le regroupement devra se faire, mais il sera assez difficile dans la mesure où une décision administrative – que je n’appelle d’ailleurs pas de mes vœux – n’est pas possible. On ne peut décréter que les cordonniers doivent rejoindre les marchands de chaussures : cela se négocie.

M. le président Arnaud Richard. M. Bessière nous a indiqué être mandaté par le ministre. Ses missions font-elles l’objet d’un cadre réglementaire ?

Mme Laurence Rivoal. Vous l’avez compris, le cas de M. Bessière est un peu particulier. Pour la fonction de président de commission mixte, une lettre de désignation officielle est habituellement signée par le directeur général du travail.

En tant que responsables du réseau, nous sommes chargés de recruter et de former les présidents de commission mixte. Tous les ans, nous proposons ainsi un stage d’une semaine - que j’ai coanimé avec Bernard Maurin durant de longues années –, comprenant une formation théorique sur le droit de la négociation collective de branche, et une autre, plus concrète, sur le rôle de président de commission mixte, élaborée au fil des années au travers des expériences des uns et des autres. Nous organisons également plusieurs tables rondes, l’une avec des présidents de commission mixte, expérimentés et débutants, l’autre avec des partenaires sociaux de diverses branches qui peuvent expliquer ce qu’ils attendent d’un président de commission mixte paritaire. C’est très instructif car les attentes sont multiples, contradictoires ou différentes de celles que nous ressentons. À l’issue de cette table ronde, nous avons pour habitude de rediscuter avec les collègues de la manière dont nous concevons le rôle d’un président de commission mixte.

En outre, nous organisons tous les ans une réunion du réseau des présidents de commission mixte. Cela permet aux collègues de faire part de leurs expériences, notamment sous forme d’ateliers qui amènent les uns et aux autres à évoquer les difficultés spécifiques auxquelles ils sont confrontés.

M. Didier Caroff. Nous avons une obligation de moyens, pas de résultat. Le président n’a que sa force de persuasion pour amener les partenaires sociaux à rapprocher leurs points de vue ; nous ne pouvons pas les contraindre à se mettre d’accord. Cela ajoute à la difficulté de l’exercice.

Cela étant, nous constatons des changements d’attitude. Il arrive ainsi que les partenaires sociaux conviennent du besoin de négocier et de conclure, même si les négociations portent en grande partie sur des obligations légales ou sur des thèmes avancés par le patronat. Dans la branche du transport routier, les partenaires sociaux sont aujourd’hui en mesure – alors qu’ils ne l’étaient pas l’année dernière – d’aborder des sujets qui correspondent à un diagnostic partagé par les organisations syndicales et les organisations patronales. Il est admis par exemple qu’un chauffeur routier a besoin de compétences reconnues en matière de facturation, de relations clients, etc., ce qui renvoie à des négociations sur le métier de conducteur, sa classification, sa rémunération, sa formation. Ainsi, des points de convergence commencent à être identifiés dans la branche.

M. le président Arnaud Richard. L’époque étant au « pavé dans la mare » – je pense à M. Macron – est-il possible d’imaginer que les exonérations de charges soient spécifiquement accordées à des secteurs ayant mis en œuvre des accords ?

M. Bernard Maurin. La conditionnalité de certaines aides a été évoquée dans le passé au niveau des cabinets ministériels, notamment en matière de négociations salariales, mais elle n’a jamais abouti.

M. le président Arnaud Richard. Pensez-vous que votre rôle pourrait être plus directif ?

M. Bernard Maurin. Hormis l’équipe de quatre ou cinq présidents à la DGT, tous les autres collègues sont volontaires et bénévoles – seuls leurs frais de transport sont pris en charge. De plus, il faut un « vivier », ce qui impose de ne pas être trop exigeant – pour l’avoir trop été, parfois, j’ai dû trouver un remplaçant très vite à un collègue qui avait « rendu son tablier ».

Je l’ai répété en vain à maintes reprises, le volontariat et le bénévolat pouvaient convenir lorsqu’il y avait trente ou quarante commissions mixtes nationales, voilà vingt-cinq ans. Mais depuis, leur nombre a triplé. Or, les 70 présidents de commission mixte exercent cette fonction en plus de leur travail habituel, parfois même au détriment d’une bonne relation avec leur hiérarchie qui ne voit jamais d’un bon œil le fait de les voir partir une journée – a fortiori si ce président quitte sa province pour venir « faire du tourisme » à Paris. Cette organisation pose aussi le problème de la communication des comptes rendus des commissions car, sauf à l’avoir rédigé dans le train, le collègue, qui reprend son travail habituel dès son retour, tarde parfois à le rendre. Si cette fonction était exercée à temps plein, éventuellement pendant un certain temps et intégrée dans un réseau géré par la DGT, les exigences pourraient être différentes et les présidents travailleraient autrement.

M. le rapporteur. J’avais cru comprendre qu’un fonctionnaire était mis à disposition de la commission mixte paritaire.

M. Bernard Maurin. Quand je parlais d’un fonctionnaire, je faisais référence au président de la commission mixte. Et c’est bien un bénévole car, même si c’est un fonctionnaire et qu’il est payé à ce titre, il fait néanmoins alors une double journée.

M. le rapporteur. Une mise à disposition de moyens par l’administration, pour la rédaction des comptes rendus et l’élaboration d’un projet d’accord, pourrait être envisagée.

M. Bernard Maurin. Nous avons mis cela en pratique pour des commissions très sensibles, où nous allions systématiquement à deux de notre service. Dans l’agriculture, à une époque, le président de la commission mixte se rendait aux réunions avec une secrétaire qui se chargeait de ce travail administratif. Aujourd’hui, il est très malvenu de parler des moyens : la mise à disposition d’un agent auprès des 70 présidents est inenvisageable.

M. le président Arnaud Richard. Dès lors que votre mission est jugée importante, elle ne doit pas relever du bénévolat. Il faut se donner les moyens de la réussite des accords. Certes, vous êtes quasiment tous fonctionnaires, mais cela suppose de lourdes contraintes de temps.

Madame Rivoal, pouvez-vous nous communiquer les comptes rendus ou les bilans des réunions d’étape ou annuelles du réseau ?

Mme Laurence Rivoal. Je vais rechercher les notes que nous avions prises et vous les transmettre.

M. Jean Bessière. Monsieur le président, vous nous avez interrogés sur l’éventualité d’une présidence de commission mixte plus musclée. En la matière, il faut faire attention car la négociation appartient aux partenaires sociaux. Dans ma lettre de mission, les ministres ont d’ailleurs précisé qu’il m’appartenait d’agir « dans le respect de l’autonomie des partenaires sociaux ». Nous devons inciter les partenaires sociaux à trouver un accord, tout en restant en retrait, car c’est à eux de mettre au point le texte, pas à nous.

S’agissant des moyens, pour la commission mixte ferroviaire, le ministère des transports a délégué deux personnes de la direction générale des infrastructures des transports et de la mer (DGITM) qui siègent à mes côtés : elles sont à ma disposition en cours de réunion pour apporter des éléments techniques et, ensuite, pour vérifier mes écrits – comptes rendus de réunions ou relevés de décisions. Cette aide technique du ministère des transports est importante. Aux partenaires sociaux qui les voient comme des « représentants du ministère des transports », je précise cependant qu’ils participent à nos travaux pour m’assister, et non pour représenter le ministère des transports.

M. le président Arnaud Richard. Madame, messieurs, nous vous remercions.

La séance est levée à onze heures cinquante.

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Présences en réunion

Réunion du jeudi 11 février à 9 heures

Présents. - M. Jean-Marc Germain, M. Arnaud Richard, M. Denys Robiliard, Mme Claudine Schmid, M. Gérard Sebaoun

Excusés. - M. David Comet, M. Pascal Demarthe, Mme Michèle Fournier-Armand, Mme Isabelle Le Callennec