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Mission d’information sur le paritarisme

Jeudi 3 mars 2016

Séance de 9 heures 

Compte rendu n° 13

Présidence de M. Arnaud Richard, Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Nadine Goret, présidente d’Uniformation, OPCA de l’économie sociale (collège salariés – CFDT), de M. Robert Baron, trésorier-adjoint (collège employeurs – UDES), et de M. Thierry Dez, directeur général

– Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Possémé, président du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), de M. Dominique Schott, vice-président, et de M. Philippe Dole, directeur général

– Audition, ouverte à la presse, de M. Alain Lacabarats, membre du Conseil supérieur de la magistrature, ancien président de chambre à la Cour de cassation

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-François Merle, président du Conseil supérieur de la prud’homie, membre du Conseil d’État

– Présences en réunion

MISSION D’INFORMATION SUR LE PARITARISME

Jeudi 3 mars 2016

La séance est ouverte à 9 heures.

——fpfp——

(Présidence de M. Arnaud Richard, président de la mission d’information)

La mission d’information sur le paritarisme procède à l’audition de Mme Nadine Goret, présidente d’Uniformation, OPCA de l’économie sociale (collège salariés – CFDT), de M. Robert Baron, trésorier-adjoint (collège employeurs – UDES), et de M. Thierry Dez, directeur général.

M. le président Arnaud Richard. Nous reprenons nos travaux avec une série d’auditions consacrées à la formation professionnelle et aux conseils de prud’hommes.

Nous commençons par l’audition de représentants d’Uniformation. Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Nadine Goret, présidente, membre du collège salariés du conseil d’administration et du syndicat CFDT, M. Robert Baron, trésorier adjoint, membre du collège employeurs du conseil d’administration et de l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (UDES), et M. Thierry Dez, directeur général.

Uniformation est à la fois un organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) au titre de la formation continue, un organisme paritaire collecteur agréé pour le financement du congé individuel de formation (OPACIF) et un organisme collecteur de la taxe d’apprentissage (OCTA).

Uniformation est un OPCA dit « hors champ », c’est-à-dire hors accords interprofessionnels. C’est un organisme paritaire collecteur des entreprises de l’économie sociale, de l’habitat social et de la protection sociale qui rassemble aujourd’hui plus de 49 000 entreprises adhérentes issues de 21 branches professionnelles et employant au total plus d’un million de salariés.

Uniformation étant un organisme à gouvernance paritaire qui déploie ses activités dans le domaine de la formation professionnelle, où l’État et les régions interviennent aux côtés des partenaires sociaux, il nous a paru important de vous entendre, afin de recueillir votre point de vue sur les avantages et les inconvénients du paritarisme, sur l’efficacité de la gestion paritaire, sur son articulation avec les initiatives étatiques et locales, ainsi que sur ses évolutions souhaitables, notamment au regard du développement de nouvelles formes de travail dans le contexte de l’émergence de l’économie dite collaborative.

Mme Nadine Goret, présidente d’Uniformation. La particularité d’Uniformation est de s’appuyer sur des représentants au conseil d’administration, dans les sections paritaires professionnelles (SPP) et les comités paritaires régionaux, issus des branches professionnelles qui en sont membres.

La gouvernance paritaire renforce la complémentarité, chacun apportant sa connaissance de son champ d’activité afin de déterminer la meilleure réponse aux demandes de formation et de financement.

Notre rôle d’OPACIF et d’OCTA permet de construire des parcours professionnels complets et d’articuler les différents dispositifs.

La gestion paritaire n’est absolument pas une contrainte, au contraire. Elle nous permet de suivre les négociations au niveau des branches qui sont représentatives et d’assurer dans la gestion d’Uniformation une réelle continuité par rapport aux volontés exprimées par les branches. L’articulation entre les deux formes de paritarisme est forte.

Nous sommes également présents en région auprès des adhérents et des salariés. Depuis la réforme de 2014, nous intervenons dans le conseil en évolution professionnelle (CEP) pour aider les salariés dans leur parcours, en prenant en compte la dimension transversale à travers les 21 branches qui nous composent. Notre organisme couvre de nombreux métiers pénibles, dans les secteurs comme l’aide à domicile, l’animation, les régies de quartier mais aussi l’insertion. Nous pouvons proposer des parcours professionnels transversaux à ceux qui ne veulent plus poursuivre leur formation dans leur branche primaire. Notre public est également composé de salariés sans diplôme : la formation continue est donc souvent une formation initiale pour des salariés qui arrivent en seconde partie de carrière, je pense en particulier au secteur de l’aide à domicile.

Nous discutons avec les employeurs pour connaître leurs difficultés. Cette discussion nourrit nos projets. Le paritarisme est donc très important au sein d’Uniformation.

M. Robert Baron, trésorier adjoint. Uniformation est en effet un OPCA « hors champ ». Sa particularité tient à ce que la représentation patronale n’est pas issue de l’interprofession mais des trois principaux pôles de l’OPCA : historiquement, l’économie sociale et solidaire, depuis 1972, rejointe ensuite par l’habitat social – l’Union sociale pour l’habitat – et la sécurité sociale – l’Union nationale des caisses de sécurité sociale (UCANSS).

Dans notre paritarisme de gestion, la représentation patronale est en dehors du champ habituel du dialogue social, ce qui pose quelques difficultés.

Première difficulté éventuelle, alors que la représentation syndicale couvre l’ensemble du périmètre du dialogue social, la représentation des employeurs est moins complète. Toutes les organisations représentatives de salariés sont présentes, qu’elles soient ou non dans le champ – notre OPCA présente ainsi la particularité de compter en son sein l’UNSA, ce qui est lié à sa création avec la fédération de l’Éducation nationale en 1972.

Le paritarisme de gestion que nous mettons en œuvre exige la transposition par la loi des accords interprofessionnels. Ces accords ne nous sont pas étendus d’office. Il faut l’intervention du législateur pour les rendre applicables à nos secteurs d’activité. Nous ne participons pas au dialogue social initial, nous intervenons après la transposition. La difficulté que soulève cette situation se retrouve dans le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP). Notre faible représentation au sein de ce fonds crée des difficultés de compréhension et nuit à la mise en œuvre d’un dialogue social équilibré. Il est ainsi très difficile d’obtenir que l’insertion par les activités économiques bénéficie de la solidarité au travers du fonds.

Ces difficultés ne sont pas insurmontables. Toutefois, le code du travail pose le principe que ce qui relève de la formation est négocié avant d’être transposé dans la loi. Or, il ne s’applique pas à tous les secteurs d’activité. Sont éliminées, au bas mot, l’économie sociale, les professions libérales, l’agriculture, toutes les fonctions publiques. Ce phénomène s’accentue compte tenu de la modification des activités professionnelles existantes sur le territoire. Le périmètre des accords tels que nous les connaissions dans les années cinquante et soixante n’est pas bien reconstitué.

Le paritarisme de gestion n’est pas dépourvu de tout lien avec le paritarisme de négociation. En matière de formation professionnelle, nous devons transformer les accords de branche en actes de gestion afin de garantir l’efficacité du financement pour les salariés et les entreprises. L’articulation permanente entre ceux qui ont la tâche de négocier et ceux qui ont la tâche de gérer nous apparaît particulièrement intéressante, elle comble un vide. Le mode de gestion paritaire de notre OPCA est fondé non seulement sur la loi mais aussi sur des accords négociés. La loi, certes, fixe le cadre de notre action mais elle laisse la possibilité aux partenaires sociaux d’aller au-delà – c’est le cas de notamment la dernière loi sur la formation -  en matière de financement conventionnel ou volontaire. Ce sont des éléments très importants dans la régulation entre les deux formes de paritarisme.

Le paritarisme de gestion permet aussi à un nombre conséquent de personnes d’accéder à des responsabilités auxquelles elles ne pourraient pas prétendre par les voies classiques. Une grande majorité des membres du conseil d’administration d’Uniformation, qui compte 48 personnes – 24 représentants des salariés et 24 représentants des employeurs – a ainsi bénéficié d’une forme de promotion sociale. Le mode de gestion paritaire permet de favoriser l’émancipation des individus. Il a cette vertu de favoriser cet engagement, qui peut aller jusqu’à la responsabilité de la gestion de sommes conséquentes.

La collecte d’Uniformation avoisine les 350 millions d’euros. Comme nous finançons des actions de formation qui sont souvent pluriannuelles, les sommes engagées dépassent aujourd’hui 550 millions d’euros. Ce sont des responsabilités importantes que de gérer des sommes aussi considérables et des centaines de milliers de dossiers de formation.

M. Thierry Dez, directeur général. Le paritarisme de gestion oblige notre organisme à trouver des articulations avec d’autres intervenants.

La première articulation doit être trouvée avec les branches dépourvues de personnalité morale. Les commissions paritaires nationales de l’emploi et de la formation n’ont pas de personnalité morale, elles peuvent prendre des décisions et négocier des accords, lesquels peuvent être étendus, mais elles n’ont pas la capacité de les traduire en termes de paritarisme de gestion. C’est le premier rôle de nos organismes que de transposer ces orientations et décisions de branche.

Deuxième articulation, les relations de l’OPCA avec les pouvoirs publics. Le rôle de nos organismes s’est progressivement déplacé de la formation vers l’emploi. Nous devons nous structurer pour répondre aux demandes et trouver les consensus nécessaires avec les pouvoirs publics, notamment sur la taxe d’apprentissage avec les régions et sur les questions d’emploi avec la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) ou les autres ministères concernés.

Troisième articulation, la relation avec le paritarisme de négociation mais également de gestion, c’est-à-dire le comité paritaire interprofessionnel régional pour l’emploi et la formation professionnelle (COPAREF). De plus en plus, pour être prises en compte par le fonds paritaire, nos préoccupations doivent être validées par les COPAREF.

Je reviens sur la question des branches. Pour tenir compte de l’absence de personnalité morale des branches, figurent, dans l’architecture politique de l’OPCA, des sections paritaires professionnelles (SPP). Ces sections ont deux vocations : traduire les orientations de branches et leur donner une validité mais aussi favoriser les travaux interbranches – sujet incontournable dans le contexte actuel de réunion des branches. Nous avons fait le choix de constituer des sections qui réunissent des branches ayant des choses à se dire, qui partagent des problématiques communes. Par exemple, nous avons une section protection sociale – réunissant la sécurité sociale, le régime social des indépendants (RSI), les mutuelles et les institutions de retraite. Notre rôle est de favoriser les articulations interbranches, à travers des catalogues communs, des certifications communes, un ensemble d’actions que nous essayons de promouvoir. C’est peut-être là le quatrième rôle de l’OPCA.

Notre architecture est nécessairement complexe. Mais le grand nombre d’instances est le prix du consensus et de l’équilibre, pas seulement entre un collège employeurs et un collège salariés mais au regard de toutes les articulations que je viens d’évoquer.

M. le président Arnaud Richard. Quelle place dans votre architecture donnez-vous au Parlement ? Comment situez-vous le paritarisme par rapport à la représentation populaire ?

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Je vous remercie pour votre contribution.

Considérez-vous être bien dimensionné par rapport aux besoins de formation des salariés – protection contre le risque de chômage mais aussi capacité à évoluer professionnellement tout au long de la vie ? On critique souvent le gaspillage des fonds de la formation professionnelle, en pointant le fait que la formation professionnelle ne bénéficie pas à ceux qui en ont besoin, à savoir les chômeurs. Quelle est la part consacrée à la formation des demandeurs d’emploi dans les moyens que vous déployez – on sait qu’un chômeur sur dix n’est pas formé ?

Le paritarisme est caractérisé par son fractionnement : indemnisation-chômage, formation professionnelle, retraite, compte épargne temps sont gérés par des structures distinctes. On a le sentiment que la personne n’est pas au centre de ces dispositifs ou à tout le moins que son parcours professionnel est tronçonné. Peut-on imaginer des structures plus transversales ?

Quelles sont vos réflexions sur le compte personnel d’activité (CPA) ? Comment ont été mis en place le compte personnel de formation (CPF) et sa portabilité ? Quelle doit être selon vous l’articulation entre les deux ?

Comment accompagner une personne tout au long de sa vie ? Pour répondre à cette question, au-delà du FPSPP, ne serait-il pas utile de disposer d’une structure paritaire de négociation et de gestion qui pourrait assurer ce qu’on appelle la sécurité sociale professionnelle, c’est-à-dire suivre un parcours professionnel tout au long de la vie ?

Enfin, avez-vous travaillé sur le compte pénibilité dans les secteurs que vous représentez ? Quel peut être le rôle d’Uniformation en la matière, puisqu’une fongibilité est prévue avec les actions de formation notamment ?

Mme Nadine Goret. Les vingt-et-une branches professionnelles qui composent l’OPCA représentent pour la plupart des métiers autour de la personne. J’ai évoqué la pénibilité dans certains secteurs tels que l’aide à domicile. En matière de pénibilité, il appartient aux branches de construire et de proposer des accords ou des actions de formation qui aident et soulagent les salariés ou qui permettent à ceux qui sont inaptes de se reconvertir.

Les échanges au sein des SPP permettent d’évaluer les besoins d’un secteur d’activité et d’établir des passerelles entre les différents secteurs pour permettre à des salariés de rebondir. La mutualisation au sein de l’OPCA permet de financer ces formations. Nous sommes à l’écoute des branches, nous pouvons les aider dans leurs décisions.

Notre action passe aussi par le conseil en évolution professionnelle (CEP). Grâce à nos délégations interrégionales et à nos conseillers régionaux, nous pouvons être auprès des salariés afin de co-construire leur parcours et auprès des employeurs afin de les aider à bâtir leurs plans de formation dans une vision de long terme et non pas au cas par cas.

La réflexion sur la dernière réforme nous a permis d’installer des groupes de travail paritaires afin de trouver des solutions et d’élaborer des projets permettant de mettre en œuvre la réforme au plus près du salarié. Nous pouvons ainsi répondre au mieux aux problèmes de pénibilité, qui diffèrent évidemment d’une branche à l’autre.

Sur ce sujet, la tâche est loin d’être achevée. Nous continuons à y travailler, ainsi que sur la qualité de la formation. Notre ambition est de trouver la formation idéale pour les salariés.

M. Robert Baron. Sommes-nous un OPCA bien dimensionné ? On ne l’est jamais suffisamment. Il faut avoir l’honnêteté de répondre que nous pouvons encore progresser.

Je tiens à faire une remarque sur l’avant-dernière loi qui a conduit au regroupement des OPCA. Nous avons dans ce cadre accueilli deux OPCA – ceux de l’habitat social et de la sécurité sociale.

Pour redimensionner un outil performant, il faut prendre le temps car chacun a sa propre culture. Il nous a fallu au bas mot deux ans alors même que nous étions proches, nos activités étant caractérisées par l’intérêt public et la non-lucrativité. Deux ans ont été nécessaires pour réaliser la fusion la plus harmonieuse possible en termes de portage politique de la formation professionnelle. Il faut avoir à l’esprit la complexité de tels rapprochements, en dépit de l’évidence de leur pertinence.

Concernant les demandeurs d’emploi ou les personnes en grande difficulté, la particularité d’Uniformation – nous l’avons abondamment développé auprès du FPSPP – est d’accueillir des branches professionnelles dont, par nature, les publics rencontrent beaucoup de difficultés, soit dans l’emploi, soit pour accéder à l’emploi.

Par exemple, dans la branche de l’animation, 5 % seulement des effectifs ont plus de 50 ans. La quasi-totalité des salariés ont quitté la branche et se sont reconvertis entre 30 et 45 ans. Cela nécessite donc un effort de formation conséquent. Cette branche a décidé de fixer à 1,82 % son taux légal et conventionnel fusionné, bien au-dessus du taux légal de 1 %. Les partenaires sociaux doivent donc apporter un concours important pour faire face aux besoins de formation. S’y ajoute une politique conduite au travers de l’OPACIF pour permettre aux personnes de se reconvertir en temps et en heure.

Dans certains secteurs professionnels, en dépit de la stabilité de l’emploi, les personnes sont dans l’obligation de quitter la branche et de se reconvertir : on n’est pas animateur à 55 ans…

À l’inverse, dans certaines branches – les régies de quartier ou les chantiers d’insertion – les publics sont majoritairement composés de demandeurs d’emploi, qui, certes, ne relèvent pas de la catégorie A mais qui nécessitent une formation extrêmement importante. Celle-ci est financée grâce à la mutualisation des ressources de l’OPCA. Pour les chantiers d’insertion, il y a deux ans, nous avons décidé d’apporter un montant égal à quarante fois la contribution de la branche. La fongibilité et la mutualisation en direction des publics les plus fragiles fonctionnent, insuffisamment puisqu’on ne peut pas maintenir chaque année un tel effort.

Uniformation a joué son rôle du mieux qu’il l’a pu en matière d’emplois d’avenir. Nous organisons aujourd’hui un nombre important de formations pour les emplois d’avenir. Cette politique repose sur la fongibilité et la mutualisation des fonds, avec une enveloppe commune aux vingt-et-une branches ; elle n’est pas laissée à l’initiative d’un secteur particulier. Chacun met au pot : les emplois d’avenir sont financés de la même façon qu’ils concernent les régies de quartier, la sécurité sociale ou l’aide à domicile et ils sont accessibles à tous.

Nous accueillons également dans nos structures un nombre considérable de contrats d’accompagnement dans l’emploi (CAE) qui demandent un effort de formation très conséquent, avec un fort turnover compte tenu de la durée des contrats.

Toutes ces actions sont le quotidien de l’OPCA. Aux yeux de la puissance publique, nous ne sommes pas des intervenants directs, pour ce qui concerne le plan de formation de 500 000 demandeurs d’emploi par exemple. Mais, nous agissons à chaque fois que nous en avons la capacité en faveur des emplois d’avenir, des contrats uniques d’insertion (CUI), des publics en reconversion et des personnes reprenant une activité. Mais il faut aussi pouvoir répondre aux besoins de formation des salariés dans les entreprises ; le champ d’intervention de l’OPCA compte beaucoup de métiers réglementés : ainsi, dans le secteur du sport, pour pouvoir exercer ne serait-ce qu’une heure d’activité professionnelle, il faut avoir un diplôme. Nous sommes donc obligés de consacrer beaucoup de moyens à la formation dans ce domaine. Celle-ci s’impose à nous.

Notre action reste insuffisante. Les moyens du seul OPCA ne sont pas forcément à la hauteur. Il convient de réfléchir à une mutualisation plus importante, avec des moyens provenant du FPSPP mais aussi éventuellement d’autres sources, pour être plus performants.

M. le président Arnaud Richard. S’agissant du rôle du Parlement, à la fin du document que vous nous avez remis, il est écrit : « il est difficile de faire perdurer l’autonomie et la souveraineté du paritarisme de gestion ».

M. Robert Baron. Je vais prendre un seul exemple. Le législateur a pris la décision, dans la loi du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, de fixer à compter de 2012 le seuil de collecte à 100 millions d’euros, contre 15 millions précédemment, pour qu’un OPCA conserve son agrément. Sur les 43 ou 44 OPCA existants, 23 ou 24 ont dû disparaître, non pas parce qu’ils travaillaient mal, ni parce que leurs moyens étaient insuffisants à l’égard des partenaires qu’ils rassemblaient mais parce que le seuil avait été fixé ainsi. Les organismes de l’habitat social et de la sécurité sociale ont intégré Uniformation parce que leurs collectes respectives s’élevaient à une cinquantaine de millions d’euros. L’intervention du législateur, que je ne conteste pas, s’apparente à une intrusion dans le fonctionnement des OPCA – on mesurera sur la durée la pertinence de ce choix. Mais elle accentue les difficultés à faire perdurer le paritarisme de gestion : deux OPCA ont dû cesser leur activité alors qu’ils ne demandaient rien et que la pertinence de leur intervention n’avait à aucun moment été remise en cause, y compris lors des contrôles de la DGEFP ou de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS).

À l’origine, en 1972, on comptait 400 OPCA, il en reste 20 aujourd’hui.

M. Thierry Dez. On peut illustrer la question de la place du Parlement un peu différemment.

Entre la réforme de 2009 et celle de 2014, on constate que le curseur s’est beaucoup déplacé en matière de responsabilité des uns et des autres. En 2009, le choix a été fait de confier la responsabilité en matière de formation professionnelle à l’organisme collecteur plus qu’à la branche. En 2014, la réforme, par un effet de balancier, renvoie vers la branche cette responsabilité et minimise le rôle de l’OPCA.

Que fait l’OPCA ? Il s’adapte. Il trouve une nouvelle place dans cet ensemble. Aujourd’hui, on évoque la fusion du COPANEF et du FPSPP, l’un relevant plutôt du paritarisme de négociation, l’autre du paritarisme de gestion. Cette fusion aura automatiquement un impact sur le paritarisme de gestion de nos propres organismes, que je ne peux pas mesurer aujourd’hui. Le paritarisme dans les organismes collecteurs s’adapte au gré des réformes.

S’agissant de l’emploi, nous accompagnons souvent des populations qui ne sont comptabilisées nulle part puisqu’elles n’intéressent pas grand monde. Elles suscitent un intérêt dès lors qu’elles entrent dans une case – les premières catégories des demandeurs d’emploi. Beaucoup des demandeurs d’emploi que nous suivons n’entrent pas dans ces catégories, ils sont en bas de la liste, ils ne figurent donc pas dans les trois millions de chômeurs. Que constatons-nous dans la gestion de ces populations ? L’OPCA se trouve assez démuni – de plus en plus, il faut le reconnaître.

Les populations que nous accompagnons n’intéressent plus grand monde. Pour autant, il suffit que demain, elles passent la porte de Pôle emploi pour entrer dans les statistiques et être prises en considération. Il s’agit d’un phénomène majeur dans nos secteurs d’activité.

Je peux vous assurer que, dans notre OPCA, l’argent profite à ceux qui en ont besoin puisque les demandeurs d’emploi concernés appartiennent tous aux catégories 4 et 5
– je caricature un peu –, et qu’ils ont les plus bas niveaux de qualification. De ce point de vue, pour répondre à votre question, l’OPCA est suffisamment dimensionné sur le plan politique, mais absolument pas en matière de gestion. Aujourd’hui, nous faisons face à une vraie carence de fonds mutualisés au niveau de l’OPCA, provenant, soit des pouvoirs publics, soit des autres partenaires sociaux – la dernière réforme a des conséquences non négligeables sur ce plan.

Nous avons malgré tout accompagné plus de 30 000 emplois d’avenir. Nous accompagnons les CUI, les contrats à durée déterminée d’insertion (CDDI), toutes ces populations qui s’inscrivent dans un processus d’insertion et dont plus de 50 % aboutissent à de l’emploi. On a souvent tendance à penser que ces personnes n’accèdent pas à l’emploi, mais elles y parviennent, même si ce n’est pas à hauteur des 100 % souhaités. Mais 50 % pour des populations aussi fragiles, c’est quand même important.

M. le rapporteur. Pouvez-vous préciser les moyens que vous avez perdus du fait de la dernière réforme ?

M. Thierry Dez. La dernière réforme a introduit une plus grande segmentation des fonds ; aujourd’hui, pour schématiser, un organisme collecteur a treize comptes comptables, qui sont hermétiques les uns par rapport aux autres pour l’essentiel. La réforme a séparé la contribution légale des contributions conventionnelles et de ce que nous appelons dorénavant les contributions volontaires, qui relèvent du choix de l’entreprise. Auparavant, il n’existait qu’un seul pot ; le fonds mutualisé permettait d’intervenir pour injecter « 20 » dans un secteur qui contribuait à hauteur de « 1 ».

La réforme a confié de plus grandes responsabilités aux branches. Dans ce contexte, la mutualisation ne porte plus que sur la contribution légale.

Dans notre cas, avant la réforme, les fonds disponibles pour le plan de formation, représentaient 175 millions d’euros ; après la réforme, ce montant tombe à 140 millions. Sur ces 140 millions, seulement 20 à 25 sont mutualisés là où, précédemment, la totalité des 175 millions étaient mutualisés, ce qui nous permettait de réguler d’une année sur l’autre entre les différentes branches. Aujourd’hui, la segmentation des fonds rend presque impossible cette régulation parce que le fonds mutualisé de l’OPCA ne s’élève qu’à 20 millions – mais nous avons fait le choix d’un fonds mutualisé, ce que d’autres n’ont même pas fait ; ils ont rendu à chacune des branches le taux de contribution légale. Aujourd’hui, une branche préfère garder pour elle ce que la loi ne l’oblige pas à donner. Auparavant, l’obligation légale et fiscale imprimait une culture de contribution et de mutualisation. Même dans notre OPCA, marqué par une vraie culture de mutualisation, on observe un changement d’état d’esprit : les branches se recroquevillent sur elles-mêmes. Le paritarisme de gestion peine à trouver des marges pour opérer une régulation. Les fonds que nous sommes capables de réguler seuls sont devenus extrêmement faibles, s’agissant du plan de formation – c’est un peu moins vrai sur les autres sujets. Cet élément est loin d’être neutre : nous ne trouvons plus de solutions pour les populations les plus fragiles parce que les contributions à l’OPCA des branches dont elles relèvent, au regard des masses salariales qu’elles représentent, sont extrêmement faibles. Ainsi, la branche des ateliers et chantiers d’insertion apporte autour d’un million d’euros à l’OPCA alors que ses besoins aujourd’hui sont estimés entre 25 et 30 millions par an. Nous ne pouvons plus assumer seuls une telle charge. C’est la raison pour laquelle un travail doit être mené avec les autres organes paritaires. Les pouvoirs publics doivent intervenir pour tenter de revoir la répartition entre les différents acteurs.

Vous avez évoqué le CPA. L’idée est bonne évidemment. Nous n’avons pas d’interrogations de fond sur le CPA. En revanche, nous attirons votre attention sur un point : le CPF marche, quoi qu’on en dise, il monte en charge, il n’a qu’un an. Au vu des résultats dans notre OPCA, je peux le confirmer, il fonctionne, et ce dans ses différentes modalités
– nous les avons toutes utilisées : pour la validation des acquis de l’expérience, le socle de compétences, la certification nationale, la certification régionale, ou la certification de branche. Il faut lui laisser du temps. Combien d’années a-t-il fallu au droit individuel à la formation (DIF) pour commencer à être utilisé ? Le CPF fonctionne dès la première année.

En outre, il ne faut pas oublier le CEP : il s’agit d’une évolution extrêmement importante qui, encore une fois, marche très bien. Les volumes pour le CEP commencent à être importants, notamment dans sa traduction en formations à l’issue du processus. Le lien entre le CEP et le CPF fonctionne très bien. Pour nous qui sommes à la fois OPCA, OPACIF et OCTA, ce lien permet de jouer sur toutes les possibilités d’accompagnement et de reconversion.

Notre message est le suivant : ne cassez pas le CPF, ne cassez pas le CEP parce qu’ils marchent. Nous n’avons rien à redire à ce que le CPA vienne s’ajouter à ces deux dispositifs ou qu’il devienne une sécurité sociale professionnelle, avec une plateforme d’information pilotée par la caisse des dépôts et consignations. Mais à l’intérieur de ce nouveau dispositif, ne remettons pas en cause ce qui relève de la formation pure, c’est-à-dire le CPF, indéniablement promis au succès, et le CEP, qui constitue la première marche dans la démarche emploi formation que nous mettons en place dans nos organismes. Nous le faisions d’une manière un peu empirique ; désormais nous l’avons structuré, avec des résultats à la clé.

Nous mettons en garde ceux qui souhaitent casser le CEP et faire du CPA un équivalent de la « garantie jeunes », . Le CEP fonctionne mais son modèle économique reste à trouver : on ne pourra pas faire perdurer un prélèvement sur les fonds des OPACIF pour financer le CEP. Dès que le dispositif montera en charge, il faudra trouver un modèle économique, ce qui ne s’annonce déjà pas simple. Si le CPA doit reprendre le CEP et devenir un équivalent de « garantie jeunes » géré par les missions locales, le modèle économique sera très complexe à trouver car on parle de centaine de millions d’euros à financer.

Je reconnais que l’OPCA n’a pas fait de la pénibilité un sujet de réflexion. Je ne dis pas que les branches ne s’en préoccupent pas. Il va falloir que nous avancions sur ce sujet, ne serait-ce qu’à cause de son articulation avec d’autres, mais à ce stade, nous n’en avons rien fait du tout.

M. le président Arnaud Richard. Que pouvez-vous nous dire de vos relations avec les régions ? Je crois que vous n’avez pas employé le mot.

M. Thierry Dez. Nos organismes collaborent depuis longtemps avec les régions. Nous n’avons pas attendu l’évolution de l’organisation territoriale pour travailler ensemble, notamment sur le CPF.

Nous avons beaucoup de projets avec les régions, dont les politiques diffèrent selon leurs particularités. Nous faisons beaucoup de co-financement au titre de l’OPCA, de l’OPACIF et de l’OCTA. La répartition des fonds libres des organismes collecteurs se fait désormais en articulation avec les politiques régionales. Je ne dis pas que c’est simple ; pour être franc, cela ne l’est pas du tout. Mais nous avons franchi la première étape et l’articulation avec les conseils régionaux est une réalité. Nous possédons une vraie culture en la matière.

Notre rôle en matière de conseil en évolution professionnelle nous fait entrer dans le service public régional d’orientation, il nous donne une place plus importante au plan régional. En outre, notre action sur les trois volets, ce qui n’est pas le cas de tous les organismes collecteurs, intensifie les relations avec les conseils régionaux.

M. Denys Robiliard. Vous avez analysé la réforme de 2014 comme un retour de balancier dans les rapports entre OPCA et branches professionnelles au profit de ces dernières.

Comme vous le savez, à la suite du rapport de M. Jean-Denis Combrexelle, un travail sur les branches est engagé – on estime qu’elles sont trop nombreuses, que le paysage est complexe, que certaines n’ont guère de vitalité, voire, pour d’autres, sont mortes, mais elles se défendent quand on veut les couper.

Vous avez parlé des problèmes de mutualisation, faisant en cela un très intéressant travail d’évaluation de la loi du 5 mars 2014 (dite « loi Sapin »).

Je souhaitais connaître votre point de vue sur la politique de réduction du nombre de branches et sur ses incidences sur votre activité.

M. Robert Baron. L’OPCA compte vingt-et-une branches. Les contributions à Uniformation sont dans un rapport de un à quarante entre la plus petite et la plus grande branche. Les écarts sont donc conséquents : les contributions vont de 1,5 à 60 millions d’euros.

Un certain nombre de nos branches sont de petite taille – les régies de quartier rassemblent 140 entreprises, les foyers services de jeunes travailleurs, 300, les chantiers urbanisme et environnement, une petite centaine. Ces petites branches ont la particularité de connaître un dialogue social et d’être signataires d’accords de façon régulière. Cela ne signifie pas qu’elles sont à terme capables de maintenir un dialogue social de qualité et de répondre aux demandes qui leur seront adressées en termes de formation, de qualification ou de reconversion.

Certaines branches ont déjà commencé à réfléchir à un rapprochement. Nous plaidons pour que les rapprochements s’opèrent selon la méthode la plus douce possible.

On sait aujourd’hui qu’un certain nombre de branches devront se rapprocher. Un exemple : est-il raisonnable dans les dix ans qui viennent de conserver une branche « animation » et une branche « centres sociaux petite enfance » alors que les métiers et les certifications sont très proches et que l’on peut passer d’une structure à une autre sans besoin de reconversion ou de requalification important. Pourquoi deux branches existent-elles ? Parce qu’une branche a décidé la première, celle des centres sociaux, de délimiter son périmètre en 1983. Est-il logique de voir coexister une branche du sport et une branche du golf ? Cela correspond à des constructions historiques. Conscients de ces difficultés, nous avons souhaité créer des SPP transversales. Faire discuter ensemble la sécurité sociale, le RSI, les institutions de prévoyance et la mutualité française, ce n’était pas gagné au départ. Aujourd’hui, ils commencent à travailler sur des certifications communes. Nous privilégions cette voie plutôt que des rapprochements autoritaires. Le travail en commun amène à réfléchir à un certain nombre de choses qui deviennent évidentes. C’est toujours un peu long mais cela porte ses fruits.

Pour une branche qui compte aujourd’hui 3 000 salariés et 200 entreprises, la capacité à conserver un dialogue social de qualité à l’horizon de cinq ou dix ans est fortement mise en question. Nous en sommes conscients.

Mais ces branches correspondent aussi à des courants de pensée, elles s’appuient souvent sur des institutions ou des structures dont les projets sont importants. Elles souhaitent pouvoir rester dans des secteurs qui leur conviennent et ne pas être noyées dans d’autres branches dont elles ne seraient que des appendices. Il convient de veiller au respect de leur identité.

M. le président Arnaud Richard. Je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation.

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Puis la mission entend M. Pierre Possémé, président du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), M. Dominique Schott, vice-président, et M. Philippe Dole, directeur général.

M. le président Arnaud Richard. Nous accueillons à présent les représentants du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), créé en 2010 à la suite de l’accord national interprofessionnel du 7 janvier 2009 sur le développement de la formation tout au long de la vie professionnelle et de la loi du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie.

Nous recevons ainsi M. Pierre Possémé, président et membre du Mouvement des entreprises de France (Medef) ; M. Dominique Schott, vice-président et membre du syndicat Confédération générale du travail - Force ouvrière (CGT-FO) ; et M. Philippe Dole, directeur général.

Messieurs, le fonds paritaire que vous représentez est une association constituée entre les organisations d’employeurs et de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel. Elle est habilitée par la loi à recevoir un certain nombre de ressources pour contribuer au financement d’actions de formation professionnelle, assurer la péréquation des fonds par des versements complémentaires aux organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) au titre de la professionnalisation, et animer le réseau des OPCA et des organismes paritaires agréés au titre du congé individuel de formation (OPACIF) du champ interprofessionnel. Il nous a donc semblé essentiel de vous entendre.

Nous souhaiterions connaître votre bilan du paritarisme dans le domaine de la formation professionnelle : quels sont, de votre point de vue, ses avantages et inconvénients ? Quelle est son efficacité ? Quelles en sont les évolutions possibles ? Quel regard portez-vous sur son « architecture politique », sur l’intervention de l’État et des régions en matière de formation professionnelle, et comment pensez-vous que cet écheveau puisse travailler dans l’intérêt de nos concitoyens ?

M. Pierre Possémé, président du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels. Merci de nous recevoir. Je connais la formation professionnelle pour avoir été entrepreneur de bâtiments et travaux publics en Champagne-Ardenne, à Reims. J’ai créé une entreprise qui travaille entre autres sur les monuments historiques, dans le bois, la pierre et les innovations technologiques. Depuis deux ans, j’ai laissé les rênes du groupe à mon fils aîné.

Je suis au service du FPSPP après avoir été vice-président de la Fédération française du bâtiment Champagne-Ardenne pendant douze ans, président de l’Union de la maçonnerie et du gros œuvre et président de l’OPCA Bâtiment et du Groupement pour la formation continue dans le bâtiment et les travaux publics. J’étais déjà à la tête d’un OPCA il y a douze ans ; c’est donc tout naturellement que le Medef m’a demandé, avec la Fédération française du bâtiment, de prendre la tête du fonds paritaire au mois de janvier dernier, après en avoir été administrateur pendant trois ans.

Je prends le temps de ce rappel car il me paraît important d’avoir l’expérience professionnelle adéquate lorsque l’on s’occupe d’organismes paritaires. Trop de personnes parlent de sujets qu’ils ne connaissent pas. Pour ma part, j’ai laissé une entreprise de deux cents salariés en étant parti de rien. Dans mon entreprise, nous avons toujours fait beaucoup de formation, parce que nous considérions que c’était un investissement ; c’est le message que l’on peut donner après une longue carrière dans une profession. J’ai commencé comme apprenti à quatorze ans, j’ai donc beaucoup pratiqué la formation par alternance et la formation continue au cours de ma vie. Aussi, le service que je peux rendre aujourd’hui de manière bénévole au sein des structures du paritarisme est d’apporter mon savoir et mes connaissances.

Avant de laisser mes collègues se présenter, je tiens à dire que la formation professionnelle est un élément essentiel si on la considère comme un outil, et non un moyen de réduire le chômage. C’est un outil au service de l’économie d’un pays, et si nous sommes capables d’imaginer l’économie de demain, nous remettrons les gens au travail car nous les aurons formés pour un emploi durable.

M. Dominique Schott, vice-président du FPSPP. J’ai été salarié de la FNAC, où je m’occupais plus spécialement des nouvelles technologies. En vingt ou trente ans, j’ai tout vu passer, du VHS au Super-8 et au DCC, autant d’innovations merveilleuses dont les deux tiers n’ont pas duré plus de cinq ans. Je suis donc issu d’un milieu où il fallait sans cesse s’adapter : les nouveautés étaient permanentes.

La formation professionnelle me convient donc bien, et j’ai exercé plusieurs fonctions dans ce domaine. J’ai notamment été président d’Opcalia, deuxième plus grand OPCA interprofessionnel. Au sein du FPSPP, je pense qu’il faut que nous revenions à l’essentiel : nous pouvons expérimenter des choses, mais il faut tout de suite les évaluer pour en tirer les conséquences, et réaffecter les sommes lorsque l’expérimentation ne fonctionne pas. C’est ce que nous avons essayé de faire au cours de l’année 2015.

Nous avons entre les mains l’outil de la promotion sociale, et je suis très bien placé pour le savoir puisque j’ai quitté le système éducatif sans diplôme. Toute mon évolution tient à cette promotion sociale. Il faut donc faire comprendre aux gens que grâce aux dispositifs que nous finançons, il est possible de se former tout au long de la vie, tout le temps. C’est possible, personne n’est nul. Par exemple, dans les entreprises, tout le monde se sert de l’informatique. Or les deux tiers de ces personnes n’ont jamais appris l’informatique, une partie de la formation s’est donc faite de manière spontanée. Les techniques changent de plus en plus rapidement ; partout on dit qu’au cours de sa vie, un salarié devra changer deux ou trois fois de métier. Ce n’est pas un problème si l’on a les outils pour accompagner et former les travailleurs.

Sur ce point, un des éléments très importants de la dernière réforme est la création du conseil en évolution professionnelle (CEP). Ce n’est pas parce que l’on est ferblantier aujourd’hui que l’on doit passer le reste de sa vie professionnelle dans la métallurgie. Il faut savoir se remettre en question et se projeter, se demander ce que l’on aimerait faire demain. Un ferblantier peut devenir infirmier. Il faut parfois remettre les compteurs à zéro et donner aux gens l’opportunité d’évoluer. C’est ainsi que nous aurons des personnes efficaces, parce qu’elles seront enthousiastes. Seul l’enthousiasme peut porter les gens ; lorsque l’on envoie les gens en formation de manière contrainte, les résultats sont médiocres. Il faut donc donner à tout le monde l’envie de se former, mais pour cela il faut faire entrevoir des horizons nouveaux.

C’est ce à quoi nous nous attachons avec M. Pierre Possémé, car nous avons l’avantage d’être deux personnes extrèmement pragmatiques, qui ne sont pas issues des appareils.

M. Philippe Dole, directeur général du FPSPP. Pour ma part, je viens du monde de la fonction publique, où j’ai exercé dans des fonctions territoriales tout au long de ma carrière, notamment comme directeur du travail et inspecteur du travail. Je connais donc bien le monde paritaire, et surtout le monde de l’entreprise.

J’ai également été chargé de mission au sein de l’inspection générale des affaires sociales, sur la formation professionnelle et ensuite sur les reconversions, ce qui m’a amené à travailler sur les sujets qui viennent d’être évoqués. Ce n’est donc pas par hasard que j’ai rejoint le FPSPP : cela répondait à mon souhait de travailler auprès du monde paritaire pour être plus près encore du terrain.

Le FPSPP est au service de l’ensemble des réseaux que vous avez cités, en cherchant à être évolutif et proche du monde des salariés et des entreprises.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur le bilan que vous tirez de votre action ? Notre mission est de faire l’état des lieux du paritarisme, notamment sous sa forme la plus aboutie, le paritarisme de gestion. Combien coûte-t-il ? Est-il efficace ?

Par ailleurs, concernant l’architecture et la gouvernance, pensez-vous que des évolutions soient nécessaires ou le paysage vous semble-t-il stabilisé ?

Nous avons le sentiment diffus que notre système de protection sociale souffre d’une organisation trop compartimentée. Parmi les besoins de formation, nous distinguons ceux des salariés et ceux des demandeurs d’emploi. Au sein des salariés, de nouvelles distinctions sont faites selon les différentes branches professionnelles, alors que certaines d’entre elles ne représentent pas une réalité très prégnante pour les salariés. Les demandeurs d’emploi sont également distingués selon leurs différents statuts. Les travailleurs ne sont pas considérés dans leur unité, selon leur parcours professionnel. Et ce que nous constatons pour la formation concerne aussi l’indemnisation du chômage ou les retraites.

Il faudrait être capable de prendre en compte les personnes dans leur globalité, ce qui permettrait par exemple d’utiliser la totalité des fonds disponibles pour former davantage les demandeurs d’emploi, mais la diversité des modes de financement rend cela plus difficile. Le compte personnel d’activité (CPA) incarne cette démarche d’un point de vue administratif, et nous avons le sentiment que le FPSPP constitue un embryon de prise en compte globale de la personne, permettant de financer tout type d’action en prenant pour point de départ les difficultés constatées.

Je souhaitais également vous interroger sur la capacité à accompagner les personnes. Vous avez rappelé les évolutions récentes, telles que le conseil en évolution professionnelle (CEP). Sur ce sujet, pensez-vous qu’il serait pertinent de mettre en place un organisme de sécurité sociale professionnelle unifié, forme de FPSPP étendu à l’ensemble du domaine de la protection sociale, et un organisme d’accompagnement unifié rassemblant Pôle emploi et la formation ? Un tel organisme pourrait d’ailleurs être géré de manière totalement paritaire. Quelle efficacité a le FPSPP pour accompagner les parcours ? Une extension du modèle du FPSPP vous semble-t-elle pertinente ?

M. Pierre Possémé. Nous sommes à la tête du FPSPP depuis un an, et nous ne sommes pas là pour thésauriser. Nous avons affecté beaucoup de moyens sur le terrain depuis notre arrivée, et l’annexe que nous avons signée il y a trois semaines avec la ministre du Travail – qui détermine notre programme – va dans ce sens puisqu’elle prévoit de mobiliser une masse financière nettement supérieure aux moyens que les cotisations annuelles nous procurent.

Notre démarche consiste donc à affecter des sommes importantes sur le terrain, conformément à cette annexe qui a été discutée entre les partenaires sociaux et l’État. Mais nous sommes là pour gérer au mieux les fonds qui nous sont attribués, et comme je l’ai dit à la ministre du Travail, l’effort qui a été fait en 2016 ne pourra pas être répété en 2017, car nous aurions un problème de ressources. Nous ne devons pas mettre en déficit un organisme dont le but est d’allouer au mieux les sommes qui lui sont affectées.

Nous avons réalisé un effort particulier en 2015. Nous devons bien sûr penser aux demandeurs d’emploi, mais aussi aux salariés qui sont aujourd’hui en entreprise et qui pourraient devenir à leur tour demandeurs d’emploi si nous ne les formons pas aux innovations technologiques. Le FPSPP a donc orienté des fonds en direction des entreprises en difficulté, mais aussi vers les entreprises qui s’intéressent beaucoup au numérique, à l’économie verte et au développement durable.

Le FPSPP a aussi pour mission de préserver les emplois de demain, car dans une période économiquement difficile comme celle que nous connaissons, les entreprises qui n’ont pas su innover au bon moment tombent les unes après les autres. Celles qui ont maintenu leur chiffre d’affaires et continuent à travailler sans souci ont fait les efforts pour s’équiper, se robotiser. Même dans le bâtiment, les entreprises bougent, et ceux qui continuent de travailler sans chercher à s’adapter n’existent plus, ou n’en ont plus pour très longtemps.

Nous devons avoir une vision de l’avenir. Nous étions en Guadeloupe et en Martinique il y a quinze jours, nous avons aussi visité la Guyane et les autres régions de France. Partout où nous passons, nous expliquons que pour bien former, le fonds paritaire doit faire de plus en plus d’évaluations. Il ne suffit pas de financer, nous devons évaluer la valeur ajoutée de nos actions. Nous demandons à toutes les régions de France de mener une vraie réflexion sur l’avenir de leur territoire, car on ne forme pas forcément aux mêmes métiers à Marseille et à Reims : l’économie n’est pas la même. Il faut que les préfectures, les conseils régionaux et les partenaires sociaux travaillent aujourd’hui sur les prospectives à dix ou quinze ans – c’est pour cela que les comités paritaires interprofessionnels régionaux pour l’emploi et la formation professionnelle (COPAREF) ont été mis en place. Le problème dans ce pays est que l’on ne s’est jamais suffisamment intéressé au moyen et au long terme, mais toujours au court terme. Or nous savons où nous conduit le court terme : lorsqu’un entrepreneur investit dans des machines très chères, il est bien obligé de penser à moyen terme, sinon il ne peut pas amortir complètement son investissement.

Au sein de la Fédération française du bâtiment, nous avions fait il y a plus de dix ans un exercice de prospective avec une équipe d’entrepreneurs et d’artisans. Nous avions travaillé sur l’hypothèse d’une forte hausse du prix du baril de pétrole afin de déterminer ce que l’industrie du bâtiment pouvait faire pour réduire la consommation d’énergie et que nos concitoyens continuent à se chauffer sans dépenser trop d’argent. C’était en 1998, et ce sujet n’était pas courant à l’époque. Mais grâce à cette étude, nous avons mis en place de nombreuses formations adaptées aux besoins du terrain permettant de construire de façon à moins consommer. Si nous ne l’avions pas fait, nous aurions connu de très gros problèmes et beaucoup plus d’entreprises auraient disparu dans cette période compliquée.

Le rôle du FPSPP sur le terrain est donc de faire passer le message qu’il faut arrêter de dépenser sans avoir déterminé un objectif à atteindre. Il n’y a rien de plus décevant pour une personne que de se former dix fois pour retourner toujours au chômage : les gens sont dégoûtés. On parle des « chômeurs professionnels », mais beaucoup subissent cette période difficile qui pose des problèmes sur les plans familial et social. Je suis persuadé qu’il existe un avenir pour toutes les professions, à condition que nous – État, régions, branches professionnelles – soyons capables d’y réfléchir.

À quoi bon dire que nous allons former 500 000 personnes si c’est pour les orienter vers des « formations parking » ? On aura dépensé pour placer des gens en formation, mais pour quel résultat ? C’est pour cela que l’évaluation est essentielle.

Enfin, il faut une vraie réforme des méthodes des formateurs. J’ai été compagnon du devoir avant de créer ma propre entreprise, j’ai donc formé beaucoup de gens. Et je constate que nous formons encore comme il y a quarante ans. Nous avons énormément progressé dans nos entreprises, nous nous sommes modernisés et nous avons trouvé de nouvelles façons de travailler pour être productifs au bénéfice de nos clients, mais je ne pense pas que le même effort ait été fait au niveau du système de formation.

En formation professionnelle, l’avenir consiste à faire beaucoup plus avec moins. Il faut y réfléchir : nous devons être capables de former avec d’autres méthodes pédagogiques. Nous nous adressons à des personnes qui se sont éloignées du système scolaire, mais nous les envoyons dans des formations modelées sur ce système.

Au niveau paritaire, c’est un sujet qu’il va falloir faire évoluer. Il a été décidé de s’intéresser à la qualité des formateurs et j’en suis ravi. Je me plaignais déjà des insuffisances dans ce domaine il y a quinze ans, lorsque j’étais président de l’OPCA Bâtiment, mais on me disait alors que mon rôle n’était pas d’évaluer la qualité des formations. Pourtant, en tant que chef d’entreprise, j’envoyais des personnes en formation, et à leur retour je me disais que cela avait coûté cher pour pas grand-chose.

M. le rapporteur. Je partage totalement votre façon de voir les choses sur la capacité de l’économie française à aller de l’avant pourvu qu’elle mise sur l’innovation ; ainsi que sur la nécessité de définir la direction que prend l’économie française avant de déterminer les besoins et de savoir comment former les personnes, ou encore sur le fait que la formation est un investissement majeur. Je me réjouis de vous l’entendre dire.

Je partage aussi votre souhait de voir la formation innover. D’après Jeremy Rifkin, la formation est de l’économie à coût marginal nul, on peut placer 10 000 personnes face à un même outil de formation sur internet sans multiplier les coûts. Dès lors, pourquoi le système n’arrive-t-il pas à innover en matière de formation ? Pourquoi les exigences que vous exprimez ne sont-elles pas entendues ? Quelles évolutions seraient nécessaires pour que vous, en tant que financeur, puissiez porter ces exigences et entraîner ces innovations ? Quels sont les blocages qui vous empêchent d’aller beaucoup plus vite dans cette direction ?

M. Pierre Possémé. Selon moi, c’est par facilité que nous en sommes arrivés là. Dans le cadre de mes fonctions à l’OPCA et au FPSPP, j’ai noté que la première question des formateurs concerne les moyens dont nous disposons : ils s’intéressent tout de suite à l’argent que nous allons mettre sur la table. J’ai connu cela avec les contrats de qualification : dès que l’OPCA augmentait les sommes allouées de deux ou trois euros de l’heure, les prix des formations augmentaient de la même somme.

Dans une entreprise qui a été confrontée à la concurrence toute son existence, nous savons qu’il est possible de faire de très belles choses, mais que cela ne sert à rien si personne ne peut les acheter. Il faut donc savoir innover pour rester compétitif. C’est la même chose pour la formation. C’est pour cela que nous avons décidé de lancer un concours de l’innovation pédagogique, parce qu’il faut montrer des exemples. Heureusement, tous les formateurs ne sont pas tels que ce que je viens de vous décrire, quelques-uns sont très bons, et certaines branches professionnelles ont décidé de changer les choses.

Par exemple, la branche du bâtiment est en train de monter des films qui pourront être vus sur les chantiers pour apprendre à poser correctement les matériaux. À l’époque où je travaillais à la Fédération française du bâtiment, j’avais fait élaborer des « calepins de chantier », en m’inspirant de mon grand-père qui utilisait toujours des croquis pour expliquer le travail. Dans nos professions, il y a beaucoup de personnes illettrées mais les gens comprennent les croquis. Actuellement, la Fédération française du bâtiment (FFB) et l’Union de la maçonnerie et du gros œuvre (UMGO) sont en train de monter un programme de formation. Vingt-deux films seront réalisés, et les chefs de chantiers pourront réunir les équipes pour leur montrer ces films sur les lieux de travail, afin de montrer la bonne façon de faire. Le chantier deviendra un lieu de formation. Dans ce pays, on a oublié depuis des années que l’entreprise est formatrice. On a pensé qu’il fallait envoyer les gens dans des stages organisés, qui sont coûteux car il faut faire se déplacer les stagiaires, alors qu’il vaut mieux déplacer le formateur sur un chantier, dans un atelier ou une usine, parce qu’ainsi les travailleurs pourront apprendre avec leurs propres machines. L’innovation pédagogique commence comme cela.

M. le président. Dans votre exemple, c’est le chef de chantier qui est formateur ?

M. Pierre Possémé. Tout dépend de la taille des entreprises. Les entreprises importantes comptent dans leurs rangs des formateurs qui peuvent former le personnel sur le chantier. Les plus petites entreprises peuvent se rassembler pour prendre un formateur unique. Mais grâce à ce que nous avons mis en place, un chef d’équipe qui connaît parfaitement son métier sera capable d’expliquer à ses propres équipes comment éviter des malfaçons. Ainsi nous allons gagner sur les tarifs d’assurance, car ce sont les malfaçons qui coûtent cher : elles peuvent représenter 5 à 6 % du coût d’une opératin.

Sur ce sujet de l’innovation, il y a un domaine où vous pouvez apporter quelque chose en tant que députés. Si l’on considère la formation comme un investissement, et c’est mon cas, il faut mettre en place un système de cautionnement auprès des banques pour permettre aux entreprises d’emprunter pour financer des actions de formation, car les banques ne prêteront jamais sans une caution, surtout avec les règles de solvabilité de Bâle III. Cela permettrait à de nombreuses petites et moyennes entreprises de faire de la formation en la considérant comme un investissement, financé par un emprunt sur trois ou quatre ans, ce qui libérerait leur trésorerie sachant que l’on a souhaité rendre l’entreprise responsable de sa formation. Cela leur éviterait de devoir mutualiser des ressources alors qu’elles peuvent assurer leurs propres formations. Il est facile de trouver les emprunts nécessaires pour acheter des machines, mais tout le monde déserte lorsqu’il s’agit de financer la formation de son personnel au numérique.

M. Denys Robiliard. J’aimerais entendre les autres points de vue, car les enseignements de vos expériences sont très intéressants. Pourriez-vous également développer les politiques menées actuellement par le fonds ?

Mme Fanélie Carrey-Conte. Pour mieux comprendre votre gouvernance et vos relations avec l’État, je souhaitais vous interroger sur les marges de manœuvre dont dispose le conseil d’administration du fonds pour le choix des publics prioritaires. Nous avons eu des échanges lors d’une précédente audition sur l’insertion par l’activité économique (IAE), et il me semble que, lors de sa dernière réunion, le conseil d’administration du fonds a décidé que les demandeurs d’emploi au titre de l’IAE seraient éligibles aux actions prioritaires en matière de financement des formations. Cette décision a-t-elle été prise sur recommandation de l’État, ou de manière complètement autonome ?

Par ailleurs, pourriez-vous nous dire quelques mots de vos relations avec Pôle emploi ?

M. Philippe Dole. Sur la question de l’orientation des fonds et de nos relations avec l’État, tout découle de l’accord interprofessionnel passé entre organisations syndicales, qui détermine ce que nous appelons « l’annexe financière », dans laquelle figurent les priorités que les partenaires sociaux souhaitent retenir aussi bien en direction des salariés que des demandeurs d’emploi, chacune étant déclinée par dispositifs.

En ce qui concerne les demandeurs d’emploi, deux dispositifs imposent des relations avec Pôle emploi. Le premier a pour objet le retour à l’emploi des personnes licenciées pour motif économique : c’est le contrat de sécurisation professionnelle. Le second est la préparation opérationnelle à l’emploi, qui accompagne l’entrée dans l’entreprise sous forme individuelle ou collective.

En ce qui concerne l’IAE, nous avons en fait deux filières. La première relève d’une activité économique de type entrepreneurial qui place le FPSPP dans un rapport de sous-traitance à l’égard de donneurs d’ordres. Dans ce cadre, il y a un accompagnement de ces activités, qui sont des activités au même titre que d’autres, par des actions de formation. Nous sommes dans le secteur hors-champ, qui est en fait bien pris en compte par les investissements que le fonds paritaire consacre à la formation.

Les discussions ont été plus difficiles lorsqu’il s’est agi de faire passer les personnes qui étaient en chantier d’insertion en régime salarié, alors que ce sont fondamentalement des demandeurs d’emploi. L’impact en termes de dépenses n’a pas été mesuré, et c’est pour cela que le système est aujourd’hui sous tension. En fin de compte, le niveau d’appel du FPSPP pour satisfaire aux besoins de formation de ces publics est supérieur au niveau de contribution que les organisations consacrent au dispositif, ce qui créé un déséquilibre. Le Parlement doit donc se saisir du sujet afin de contribuer à déterminer comment rééquilibrer ce système.

En ce qui concerne les priorités, les analyses que nous avons faites, confortées par le dialogue de gestion que nous avons instauré cette année avec les OPCA, font apparaître qu’une majorité d’OPCA sont concernés par l’IAE, soit parce qu’il y a des activités de sous-traitance dans des filières industrielles et des filières de service, soit pour répondre aux besoins d’insertion des personnes handicapées qui travaillent en milieu protégé – dans les entreprises adaptées, pas dans les établissements et services d’aide par le travail (ESAT). Ce public requiert un même accompagnement que l’insertion par l’économie. Le choix du conseil d’administration a été de soutenir l’ensemble de ces activités, en portant une attention particulière au suivi et à l’évaluation, comme l’a souligné M. Pierre Possémé.

Je saisis cette occasion pour vous dire que du fait de la loi du 5 mars 2014, nous devons rendre cette année un rapport au Parlement, que nous sommes en train de préparer. Ce rapport sera plus complet qu’un rapport d’activité, il inclura également le témoignage des relations entre le fonds paritaire et l’ensemble des acteurs avec lesquels il travaille : les OPCA, les Fongécif, les Opacif, les régions et Pôle emploi. Nous travaillons en effet avec les régions depuis 2015, dans le cadre de la dotation pour les demandeurs d’emploi au titre du compte personnel formation. Nous leur avons alloué 89 millions d’euros en 2015, dans le cadre de conventions bilatérales signées par la présidence du fonds paritaire avec la plupart des régions de France. Seules quatre régions n’ont pas souhaité en bénéficier, ou ont manifesté leur intention trop tard.

Pôle emploi fait aussi partie des opérateurs qui reçoivent des financements du fonds paritaire. Nous avons alloué à Pôle emploi une dotation, au titre du compte personnel formation pour les demandeurs d’emploi, de 78 millions d’euros en 2015, auxquels peuvent s’ajouter les forfaits en faveur du « plan 40 000 formations pour les très petites entreprises (TPE) », que l’État a souhaité mobiliser l’an dernier. Cet effort s’est traduit par des dispositifs supplémentaires sur la préparation opérationnelle à l’emploi et une dotation directe sur les moyens que Pôle emploi mobilise au titre des actions individuelles de formation. Au total, l’an dernier, nous avons alloué plus de 120 millions d’euros à Pôle emploi.

En 2015 comme en 2016, nous avons souhaité un co-investissement de l’État et des partenaires sociaux pour financer la rémunération de fin de formation. Aujourd’hui, nous n’avons pas reçu les bilans d’exécution de l’année 2015. Nous avons donc retenu la dernière tranche de paiement pour cette raison. En termes d’évaluation et de suivi, la responsabilité du FPSPP est de s’assurer du bon usage de ces fonds. Il peut donc arriver dans certains cas que nous procédions de la façon que je viens d’énoncer, parce qu’il nous semble légitime de pouvoir tracer l’ensemble des dépenses, y compris celles-ci.

La rémunération de fin de formation pose de vraies questions de gouvernance dans la mesure où un récent rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) a mis en évidence que 80 % des bénéficiaires de ce dispositif relevaient des filières de formation des demandeurs d’emploi aux métiers de la santé. Cela peut s’expliquer parce que notre système, comparé à celui de nos voisins européens, est beaucoup plus dispendieux. C’est dû pour partie aux interruptions liées aux vacances scolaires, et parce qu’il faut trois ans en France pour accomplir les études en soins infirmiers au lieu de deux ans dans la plupart des autres pays de l’Union européenne, à contenu identique. Ces différences entraînent une dépense d’allocation, car il faut bien rémunérer les gens. C’est une des raisons pour lesquelles le régime de la rémunération de fin de formation est aujourd’hui un sujet de discussion difficile entre les pouvoirs publics et le fonds paritaire.

L’innovation doit permettre d’adapter la formation aux personnes. Nous savons depuis longtemps qu’il existe plusieurs manières d’apprendre, liées à l’expérience des personnes, à leur capacité à transposer cette expérience en savoir, et le pédagogue doit s’adapter à ces différentes formes d’apprentissage. Mais la capacité à s’adapter se heurte à la prégnance du modèle dominant. L’enjeu est donc d’inciter les organismes de formation à emprunter des voies différentes. C’est un premier champ d’innovation.

Par ailleurs, notre système d’emploi recrute principalement sous des statuts précaires, puisque 85 % des personnes sont recrutées en CDD ou en contrat d’intérim, alors que 87 % des personnes qui travaillent sont en contrat à durée indéterminée. Il existe donc un processus de transformation permanent des recrutements sous contrat précaire en contrats à durée déterminée. Il faut donc savoir si les modèles de formation proposés aux personnes en contrat à durée déterminée sont adaptés. Si l’offre de formation est structurée sur des formations longues, elle n’est absolument pas adaptée aux cadres de vie dans lesquels évoluent la plupart de nos concitoyens.

Au sein du FPSPP, nous réalisons des études sur le CIF-CDD (congé individuel de formation pour CDD), et nous essayons de faire bénéficier plus de personnes de cette mesure qui permet d’élever le niveau de qualification et de progresser. Mais nous voyons que les personnes concernées arbitrent toujours en faveur de l’emploi : ils entrent dans un processus de formation mais en sortent très rapidement, car s’ils doivent choisir entre poursuivre leur formation ou prendre un emploi, ils choisissent l’emploi qui est plus avantageux au niveau de la rémunération et des perspectives d’activité.

Dans ce contexte, nous ne capitalisons pas sur l’effort de formation. Il y a donc un problème d’adaptation de l’offre et du modèle de certification. Il devrait permettre d’accompagner la personne dans son évolution par une voie de capitalisation et de certification partielle.

Nous avons décidé de nous emparer de ce sujet cette année, à la demande de la présidence, et nous sommes en train d’y travailler. Mais certaines responsabilités sont à chercher ailleurs : dans les ministères qui tiennent les modèles de certification nationaux, et dans les branches professionnelles qui sont en train de travailler à scinder en unités de certification partielles les certificats de qualification professionnelle. C’est un chantier lourd, complexe, pour lequel il faut beaucoup de détermination et de constance. Mais la question de l’innovation pédagogique participe aussi du modèle de certification et de la qualité des certifications.

M. le rapporteur. Pourquoi est-ce lourd et complexe ? Ce n’est tout de même pas la mer à boire d’adapter le rythme des séances de formation aux périodes d’emploi ? Si nous prenons l’exemple de formations à l’anglais ou à l’informatique, il est techniquement très facile de rendre ces formations modulaires.

Pourquoi, alors que vous avez les idées très claires sur ce qui doit être fait, n’arrivons-nous pas à le faire ? Ne faut-il pas faire évoluer les modes de gouvernance pour mettre rapidement des solutions en place lorsque de bonnes idées sont proposées ?

M. le président. Sur cette question précise, vous estimez que c’est dans des directions d’administrations centrales que se trouve le blocage qui empêche les modèles de certification de bouger suffisamment vite ?

M. Philippe Dole. J’ai réalisé il y a deux ans une mission sur ce sujet à la demande de M. Michel Sapin, alors ministre du travail. La question était de déterminer comment le compte personnel formation pouvait améliorer la qualité de l’offre de formation, et quel était l’impact du dispositif sur l’offre.

Ce rapport aborde donc toutes les problématiques que nous venons d’évoquer.
En ce moment, les ministères agissent. Pour les diplômes de niveau 4 et 5, soit certificat d’aptitude professionnelle (CAP) et baccalauréat professionnel, le ministère de l’Éducation nationale est en train de définir des unités d’employabilité, ou blocs de compétence, avec des certifications partielles, ce qui permet l’obtention du diplôme. Vous savez que les Français sont très attachés au diplôme. D’autre part, des branches professionnelles travaillent activement pour découper en unités partielles les certificats de qualification professionnelle.

Mais tout cela ne relève pas du fonds paritaire, cela relève des prérogatives de puissance publique des différents ministères et, pour les partenaires sociaux, du champ des conventions collectives, donc des commissions paritaires nationales de l’emploi. Le travail est en cours, mais le chantier est immense : plus de 20 000 certifications ont été publiées au répertoire national des certifications professionnelles. C’est un chantier considérable. Notre idée est donc d’analyser la gestion actuelle, et d’amener progressivement des éléments de solution.

Par ailleurs, si ces réformes ne se font pas, c’est aussi parce que les contraintes liées à l’offre sont très structurantes de l’offre. Le modèle économique de l’offre de formation est beaucoup plus simple à gérer quand vous proposez des formations de 1 200 heures, car cela correspond à une unité annuelle dont vous déduisez les congés payés, les jours de récupération et les temps de préparation. Tous les dispositifs ont été construits de longue date sur un modèle économique équilibré avec un niveau de dépenses et un niveau de contribution. Mettre en place un processus intégrant des entrées et des sorties régulières, qui correspondrait bien mieux à la vie économique et à la demande sociale, impose de repenser le modèle de financement. C’est pour cela que ce n’est pas simple.

M. Dominique Schott. Permettez-moi de mettre les pieds dans le plat : pourquoi ne peut-on avoir un système d’entrées et de sorties permanentes des formations ? Nous nous plaignons car dès que les personnes en formation trouvent un emploi en CDD, elles quittent la formation sans rien valider. De ce fait, elles n’ont aucun acquis et devraient repartir de zéro si elles voulaient reprendre leur formation.

Il faut donc inventer un système qui permette des validations partielles. Il faut que les organismes de formation se mettent à la page en permettant des entrées et des sorties permanentes. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire, il suffit d’aller voir comment les choses se passent à l’AFPA ou chez d’autres.

M. le rapporteur. Surtout, il ne faut pas que les personnes en formation arrêtent ! Si elles reprennent le travail, elles doivent pouvoir continuer leur formation. C’est cela la formation tout au long de la vie ! Bien sûr, les rythmes doivent être adaptés, il n’est pas question de leur demander de travailler jour et nuit.

M. Dominique Schott. Dans toutes nos actions, je veille toujours à déterminer au mieux le besoin. La moitié de notre budget est affectée aux demandeurs d’emploi – ce qui me paraît très bien – mais à quoi les forme-t-on ? Il faut qu’il y ait un emploi qui corresponde à ces formations, une demande. Comment mesurer cela, comment faire remonter l’information ?

Dans le budget pour l’année en cours, nous avons décidé d’allouer plus de fonds à la préparation opérationnelle à l’emploi individuelle – qui correspond à un emploi – qu’à la collective. Mais nous nous rendons compte qu’il est plus difficile de faire des POE individuelles. Pour les POE collectives, il suffit de placer vingt-cinq personnes dans une salle avec un formateur. Mais que deviennent ces vingt-cinq personnes à la sortie ? Après six mois ? Après un an ? Après dix-huit mois ?

Je suis administrateur de Fongécif depuis très longtemps, et je me suis toujours battu pour que l’on sache ce que devenaient les gens. On me répondait que ce n’était pas possible car cela coûterait une fortune d’écrire à chacun individuellement. Mais depuis un an et demi, lorsqu’une personne demande une formation, elle donne son adresse de courrier électronique. Six mois plus tard, nous lui envoyons donc un courrier électronique, et le taux de réponse est supérieur à 50 %. Nous pouvons donc suivre le parcours des personnes qui ont reçu des formations après six mois, ou un an. Et alors nous voyons réellement quelle a été la plus-value de la formation.

Il nous faut évaluer le rendement de nos formations pour chaque ligne budgétaire. Nos formations doivent correspondre à un besoin économique, à un emploi. Alors, la formation aura une réelle plus-value. Une personne qui a suivi une formation et qui a trouvé un emploi, c’est positif, mais une personne qui suit une formation, la meilleure soit-elle, mais qui ne trouve pas d’emploi, ce sera nul pour elle. Son image sera dégradée, et elle s’estimera incapable de reprendre des études.

Nous savons très bien qu’il faut réussir à intéresser à nouveau les nombreux jeunes qui quittent le système éducatif sans qualification. Mais pour cela, il faut que nous changions nos méthodes pédagogiques, parce que celle de la formation initiale, qui a échoué pour ces personnes, ne leur est pas adaptée. Il faut donc trouver des méthodes pédagogiques différentes.

Nous avons ouvert un chantier pour évaluer la formation en situation de travail. M. Pierre Possémé rappelait souvent que lorsqu’il envoyait des personnes en formation, les machines sur lesquelles elles se formaient étaient déjà dépassées. Les gens revenaient sans avoir rien appris. L’évolution est de plus en plus rapide, et nos méthodes pédagogiques doivent s’adapter au même rythme.

Il faut donc remettre les choses à plat en considérant la finalité de la formation, qui est de réinsérer les gens dans l’emploi, et changer les méthodes pour se donner les moyens d’y arriver. Si les méthodes classiques et institutionnelles restent efficaces dans certains cas, elles ne sont plus valables pour de nombreuses autres situations qui relèvent de l’adaptation et de l’efficacité à l’emploi.

Cette évolution est déjà engagée. Les jeunes ont aujourd’hui intégré d’autres modes de fonctionnement fondés sur les technologies de l’information, mais nous avons tendance à rester dans un système de formation très institutionnel. Ce n’est plus efficace, or nos fonds doivent être engagés vers l’efficacité et la pertinence. La dignité d’un salarié, c’est d’avoir un emploi, une utilité sociale. Il faut donc que nous soyons suffisamment courageux pour constamment remettre en cause tous nos systèmes de fonctionnement.

M. le président. Est-ce que le paritarisme y est prêt ?

M. Dominique Schott. Je le pense. Les demandes d’emploi ne sont pas les mêmes selon les différents bassins d’emploi. Il nous faut des relais territoriaux, qui connaissent exactement le type d’emploi recherché, et grâce aux comités paritaires interprofessionnels régionaux pour l’emploi et la formation professionnelle (COPAREF) et aux comités régionaux de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles (CREFOP), le paritarisme offre les outils pour cela.

Si l’on évoque souvent l’inadéquation de Pôle emploi pour trouver un travail, c’est parce que l’on ne parle jamais de ceux qui ont trouvé un emploi. On ne porte le regard que vers les métiers en tension, ceux dans lesquels on ne trouve pas d’emploi. Mais cela ne représente que 8 % du total. Or c’est le nombre de personnes qui ont retrouvé un emploi, en passant par Pôle emploi ou pas, qui constitue l’indicateur essentiel pour savoir quels sont les emplois qui existent sur les territoires, et ceux qui sont en train de changer.

Il nous faut donc absolument disposer de ces relais territoriaux que constituent les COPAREF et les CREFOP.

M. Pierre Possémé. La richesse du paritarisme, c’est de réunir des personnes issues de professions différentes et de niveaux différents dans l’entreprise.

Pour en revenir au conseil en évolution professionnelle, c’est une très bonne évolution à condition que les gens qui dispensent ces conseils soient formés eux-mêmes à l’avenir des professions. Rien n’est pire que de venir chercher un conseil auprès de personnes qui ne sauraient pas conseiller. Le fonds paritaire a donc fait un travail important pour former des conseillers dans tous les fonds de gestion des congés individuels de formation de France (Fongécif). Nous souhaitons surtout qu’ils s’informent auprès des branches professionnelles, dans la région où ils se trouvent, sur les grandes évolutions en cours.

M. Dominique Schott. En conclusion, j’estime que réaliser une formation sans déterminer son positionnement initial revient à fiche en l’air la moitié de la dotation. Chaque personne qui entre en formation devrait avoir auparavant été positionnée. Il est inutile de lui faire faire cinquante heures de choses qu’il sait, gardons ces moyens pour faire autre chose. Avec le CEP, c’est ce vers quoi nous devons aller.

M. Philippe Dole. Pour conclure, je voudrais revenir sur vos questions concernant nos relations avec les régions et Pôle emploi. Vous aurez compris que nous nous appuyons sur un grand pragmatisme, une proximité territoriale, et une démarche proactive. C’est la démarche que nous avons empruntée dans les modèles de conventionnement avec les régions, qui sont des acteurs nouveaux avec lesquels nos travaillons en bonne intelligence. Nous nous rendons sur place pour dialoguer sur les conditions d’exécution de ces conventions.

Nous le faisons également avec Pôle emploi sur le terrain, car c’est au cœur des territoires que nous pouvons voir de quelle manière les programmes sont appliqués, et pas au niveau national. Nous sommes donc conscients que si nous ne nous déplaçons pas auprès des acteurs territoriaux, nous aurons du mal à mesurer l’impact et l’utilité des programmes que nous mettons en œuvre. Enfin, avec les OPCA et les Fongécifs, nous maintenons un dialogue constant. Nous avons travaillé tout au long de l’année 2015 à la préparation du plan « qualité de la formation professionnelle continue » exigé par le législateur, ce qui a mobilisé plus de 200 personnes.

Enfin, le dialogue avec l’État est permanent puisque celui-ci est présent dans nos instances. Nous ne travaillons pas dans un esprit de confrontation, mais plutôt dans un esprit de complémentarité. À tel point que dans nos modèles de remontées d’informations et de dialogue de gestion, nous faisons en sorte de ne pas demander simultanément la même chose à l’État et aux fonds paritaires. Nous partageons les informations pour apporter à l’ensemble des acteurs l’ensemble des données dont nous avons besoin pour ce pilotage.

M. le président. Je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation.

*

La mission procède ensuite à l’audition de M. Alain Lacabarats, membre du Conseil supérieur de la magistrature, ancien président de chambre à la Cour de cassation.

M. le président Arnaud Richard. Mes chers collègues, nous quittons le sujet de la formation professionnelle pour aborder celui non moins important de la prud’homie avec un premier invité, M. Alain Lacabarats, membre du Conseil supérieur de la magistrature et ancien président de la troisième chambre civile puis de la chambre sociale de la Cour de cassation.

Nous vous remercions, monsieur le président, d’avoir accepté notre invitation. Nous souhaitions être éclairés sur une institution plutôt ancienne au regard du champ historique de cette mission et néanmoins très importante : le paritarisme dans les conseils de prud’hommes. Nous aurons besoin de votre appréciation d’éminent juriste sur ces questions, largement abordées dans un rapport que vous aviez remis à la garde des sceaux en juillet 2014 et qui avait pour titre L’avenir des juridictions du travail : vers un tribunal prud’homal du XXIe siècle.

Nous aimerions que vous nous rappeliez ce que suppose selon vous ce principe du paritarisme, sa valeur juridique, la manière dont il se décline dans les juridictions, les propositions que vous aviez faites pour améliorer ce paritarisme ; nous souhaiterions aussi que vous nous donniez votre avis sur les mesures qui ont été prises depuis la remise de votre rapport.

M. Alain Lacabarats, membre du Conseil supérieur de la magistrature et ancien président de chambre à la Cour de Cassation. Merci, monsieur le président, de m’avoir invité à venir parler devant la mission d’information du paritarisme au sein des conseils prud’homaux. On ne peut pas dire que la juridiction du travail au sens large, c’est-à-dire incluant tous les degrés de juridiction, de la première instance en passant par l’appel jusqu’à l’instance en cassation, fonctionne bien. La situation s’aggrave même. Il est donc plus que temps de prendre des mesures pour assurer l’efficacité de cette justice, fondamentale pour nos concitoyens.

Le paritarisme est ancien. Le premier conseil prud’homal a été constitué à Lyon en 1806 avec un objet davantage commercial que purement juridictionnel : composé de négociants-fabricants et de chefs d’atelier, il avait pour but de fixer le prix des soieries. Des conseils de prud’hommes ont ensuite été créés tout au long du XIXe siècle pour répondre aux besoins exprimés par les municipalités. Le paritarisme n’a été institué que sous la IIe République en 1848 et il a été maintenu depuis, exception faite du Second Empire. Il a même été étendu puisqu’en 1982, il a été appliqué à l’Alsace et à la Moselle où il a remplacé le système de l’échevinage. Le mécanisme du juge départiteur, quant à lui, n’est apparu qu’en 1905. Auparavant, il semblerait que les décisions relevaient d’un mécanisme de voix prépondérantes attribuées au président ou au vice-président. La mission de départage a d’abord été confiée à un juge de paix puis à un juge d’instance.

Le paritarisme prud’homal fait l’objet de critiques très anciennes.

La plus fondamentale à mon sens a été formulée par Pierre Laroque, alors président de sous-section à la section du contentieux du Conseil d’État, dans un article publié en 1953 dans les Études du Conseil d’État puis en 1954 dans la revue Droit social sous le titre « Contentieux social et juridictions sociales ». Précisons qu’il avait une vision large du contentieux social, qui recouvrait le droit du travail, la sécurité sociale et tous les contentieux périphériques. Il est intéressant de noter que les problèmes actuels dont souffre le contentieux du travail étaient déjà pointés. Outre la technicité du droit, il évoquait en effet la dispersion des compétences entre le droit public et le droit privé, entre l’ordre administratif et l’ordre juridictionnel judiciaire et au sein même de ce dernier. Il proposait de créer une juridiction sociale qui ne soit rattachée ni à l’ordre administratif ni à l’ordre judiciaire, avec des juridictions de première d’instance, d’appel et de cassation spécifiques, soit un système proche de celui qui prévaut en Allemagne où il existe une juridiction du travail autonome couvrant tous ces degrés. Il me semble que selon lui – mais je ne suis pas absolument certain de mon interprétation –, le système idéal était l’échevinage mêlant juges professionnels et juges représentant les employeurs et les salariés. Il insistait, par ailleurs, sur un point très important : la formation des juges au droit social, à tous les niveaux. Précisons pour finir, que cet article n’a eu aucune suite alors que Pierre Laroque était une autorité dans le monde juridique.

Je citerai maintenant Alain Supiot, Professeur au Collège de France, qui a publié en 1992 un article au titre pessimiste – « L’impossible réforme des juridictions sociales » – soulignant les difficultés attachées à une telle réforme. Il formulait cependant des propositions constructives en soulignant notamment la nécessité de simplifier les compétences, de rendre plus efficace la procédure devant les juridictions, en particulier prud’homales, et d’améliorer la formation de tous les juges, professionnels ou non.

Le troisième jalon est le rapport Marshall qui, en 2013, proposait la création d’un tribunal social, fondé sur l’échevinage, regroupant tous les contentieux sociaux – droits du travail, sécurité sociale, incapacités. Pour rationaliser les questions de compétences en matière de droit du travail, ce tribunal social aurait à connaître des droits individuels du travail, des relations collectives du travail, réparties actuellement entre le conseil prud’homal et le tribunal de grande instance (TGI), et des élections professionnelles, qui relèvent depuis la loi du 6 août 2015 du tribunal de grande instance.

Lorsqu’en 2014, Mme la garde des sceaux m’a demandé de travailler sur les conseils prud’homaux, la commande était claire : comment améliorer le fonctionnement des juridictions du travail en l’état actuel du système ? Autrement dit, il ne fallait pas envisager d’évolution vers l’échevinage, réforme compliquée à maints égards : ce type d’organisation rencontre de multiples oppositions, les juges professionnels n’y sont sans doute pas favorables et nous n’avons pas les moyens de la mener à bien.

Les travaux préliminaires d’auditions m’avaient plutôt porté au pessimisme, mais celui-ci a été fort heureusement tempéré par l’optimisme des jeunes rapporteurs qui m’assistaient. Et, de fait, il est apparu qu’il était possible de trouver des voies d’amélioration du système actuel, à condition toutefois que les acteurs acceptent certaines réformes – et il me semble que c’est l’esprit de la loi du 6 août 2015.

Les réactions ont été très négatives – le président du Conseil supérieur de la prud’homie que vous recevez après moi vous le confirmera. La crainte qui s’est exprimée de façon récurrente est de voir les juges professionnels mettre la main sur les conseils de prud’hommes. Il y a une première objection à cet argument : je ne suis pas certain que cette volonté existe. Et une deuxième : en droit du travail, une minorité d’affaires sont jugées par les juridictions paritaires ; elles finissent pour la plupart devant les juridictions composées de juges professionnels. Le taux de départage est relativement important, se situant autour de 20 % en moyenne, et comme le montre la lettre Infostat du ministère de la Justice publiée en août 2015, le taux moyen d’appel est de 67 %.

Actuellement, nous ne fonctionnons pas sur des bases raisonnables et il faut apporter au système des modifications importantes.

Lors de l’audience solennelle de rentrée du tribunal de grande instance de Paris en janvier dernier, son président a pointé une augmentation sensible des affaires civiles traitées par le tribunal qu’il explique principalement par l’augmentation des actions en responsabilité de l’État pour dysfonctionnement de la justice du travail, en première instance comme en appel. Certaines cours d’appel sont en effet actuellement incapables de traiter les affaires prud’homales dans un délai satisfaisant. Je cite souvent le cas de la cour d’appel de Paris où il faut deux à trois ans avant que les affaires soient appelées à l’audience. Sa présidente a cependant obtenu, grâce à un contrat d’objectifs et de moyens, un renforcement des effectifs des douze formations sociales. Il est trop tôt pour en apprécier les effets, mais nous pouvons espérer que le stock des affaires, qui a encore augmenté entre 2014 et 2015, commencera bientôt à décroître.

On peut comprendre les actions en responsabilité de l’État. Que la juridiction compétente en première instance soit le conseil de prud’hommes de Paris ou celui de Bobigny, les délais moyens de traitement sont supérieurs à quinze mois. Et encore, n’est prise en compte dans le calcul de ces délais que la partie de l’affaire qui va de l’enregistrement de la requête jusqu’au prononcé du jugement. Or il peut s’écouler un laps de temps non négligeable entre le prononcé du jugement et la mise à disposition effective du jugement parce que les motifs ne sont pas rédigés ou qu’il y a des délais de notification. Les statistiques ne rendent donc pas véritablement compte des réalités. En outre, s’il y a départage – et le taux de départage à Paris et Bobigny est très important –, il y a entre quinze mois et deux ans de délai supplémentaire. En effet, même s’il y a six juges départiteurs à temps plein à Paris, ils sont totalement submergés par des affaires relevant en particulier de séries comportant de multiples demandeurs. Voilà qui porte le délai global à quatre ans. Si vous y ajoutez trois ans pour la procédure devant la cour d’appel, vous imaginez ce que cela peut donner, sans compter l’instance en cassation et éventuellement le renvoi devant une autre cour d’appel.

Quelles sont donc les voies d’amélioration ?

La première passe par l’instauration d’obligations déontologiques pour les conseillers prud’homaux. Avec cette proposition, quelles choses épouvantables n’ai-je pas entendues de la part des juges prud’homaux qui considéraient que cela revenait à brider leur liberté ! Rappelons qu’ils sont des juges à part entière et qu’ils ne sont pas mandataires des organisations qui les ont désignés. La loi rappelle que le mandat impératif est prohibé et l’expérience montre qu’il n’est pas pratiqué : un strict paritarisme dans lequel les conseillers agiraient comme s’ils avaient un mandat impératif aboutirait à un taux de départage de 100 %, or il est de 20 % en moyenne comme je le disais. Cela montre bien que les conseillers prud’homaux savent qu’il leur faut se comporter autrement que comme des mandataires. Ils doivent avoir conscience qu’ils appartiennent à l’ordre judiciaire et combattre une certaine tendance à se sentir à part, tendance nourrie par une ambiguïté liée aux textes les concernant, lesquels sont répartis entre le code du travail et le code de procédure civile. Pour certaines questions, ils relèvent des attributions du ministère du travail – organisation de la juridiction, élections, désignations ; pour d’autres, de celles du ministère de la justice, lequel, pendant longtemps, n’a mené aucune action prioritaire dans leur direction. Cette appartenance à l’ordre juridictionnel implique que des obligations déontologiques s’imposent à eux comme aux juges professionnels.

Depuis la loi du 6 août 2015, ils sont tenus d’exercer leurs fonctions en toute indépendance, impartialité, dignité et probité et sont tenus à une obligation de réserve et au secret des délibérations, ce qui me paraît aller dans le bon sens. A été pointé du doigt le fait que leur soit interdite toute action concertée de nature à entraver le fonctionnement des juridictions. Il faut savoir que de telles actions ont pu bloquer pendant un an certaines juridictions. Cette même loi a instauré une procédure disciplinaire en cas de manquements déontologiques d’un conseiller, qui sera confiée à une commission nationale de discipline alors qu’auparavant il n’y avait pas de véritables sanctions puisqu’elles étaient prononcées, après de multiples étapes, par le conseil lui-même.

L’amélioration absolument fondamentale concerne la formation. Cela fait près de quarante ans que je suis dans la magistrature et je suis de plus en plus convaincu que la formation initiale et la formation continue sont essentielles dans ce métier où l’on apprend à tous les stades d’une carrière. Nous avons une obligation impérieuse de nous former. Il y va de notre crédibilité.

En ce domaine, j’ai eu des surprises. D’abord, la formation des conseillers est assurée par les organisations professionnelles. Parfois, elle est déléguée à des instituts universitaires du travail. Or, j’ai appris qu’ils ne formaient que les conseillers salariés, le plus souvent syndicat par syndicat. Il n’est pas question de former conjointement conseillers issus du collège des salariés et conseillers issus du collège des employeurs. Comment voulez-vous qu’il y ait un minimum de culture de juridiction si à aucun moment de la formation les divers conseillers ne sont pas mis en présence les uns des autres ? S’il y a un terrain sur lequel cela me paraît indispensable, c’est tout ce qui concerne le statut des juges, l’organisation des juridictions, la procédure, la rédaction des jugements. Je suis désolé, mais ce ne sont pas les organisations professionnelles qui peuvent former à la rédaction des jugements. C’est un travail qui suppose l’intervention de l’autorité publique, en l’espèce l’École nationale de la magistrature pour la formation aux règles de procédure et à la technique de rédaction ainsi que l’École nationale des greffes car les conseillers prud’homaux ont souvent quelque difficulté à comprendre le rôle des greffes dans leur juridiction.

Cette formation, la loi du 6 août 2015 la prévoit enfin, à peine de non prise de fonctions pour le conseiller qui se déroberait à ses obligations en la matière.

Rappelons qu’auparavant, il n’y avait guère plus de 30 % des conseils prud’homaux qui suivaient régulièrement une formation, ce qui est proprement effrayant. Quand je pense que ce n’est que lorsque j’ai pris la présidence de la chambre sociale de la Cour de cassation que j’ai vraiment pu connaître le droit du travail, droit particulièrement complexe, j’ai du mal à concevoir que des conseils prud’homaux n’ayant aucune formation juridique puissent siéger utilement, d’autant que certains ne rédigent jamais de jugements. C’est le cas notamment à Paris parce que, par tradition, c’est une prérogative du président de la section. Or nous savons bien que dans notre métier, plus on rédige, plus on apprend.

Autre point essentiel en matière de formation : la formation continue, que ne prévoit pas la loi du 6 août 2015 – je ne crois pas que cela relève de la loi, du reste. Le meilleur vecteur serait une formation déconcentrée au niveau régional organisée par l’École nationale de la magistrature, via ses coordonnateurs régionaux, qui rassemblerait magistrats des cours d’appel, juges départiteurs et conseillers prud’homaux. Réunir tous les acteurs de la juridiction est le meilleur moyen de créer une culture du droit du travail. Nous avons pu constater dans les ressorts qui ont expérimenté ces formations qu’elles donnaient de bons résultats.

Outre la formation, il faut améliorer le traitement de la procédure, ce que prévoit la loi du 6 août 2015. La Cour de cassation a été consultée à la fin du mois d’août, le projet de décret devait être soumis au Conseil d’État le 15 septembre. Je ne sais où nous en sommes de la mise en application.

Il importe également de rationaliser les questions de compétences. La loi du 6 août 2015 y a contribué pour ce qui concerne les élections professionnelles, qui relèvent désormais des tribunaux de grande instance. En l’état actuel, sans compter le Conseil constitutionnel, qui a un rôle à jouer en toute matière, sept juridictions sont compétentes en droit du travail : les juridictions administratives, les juridictions judiciaires avec le conseil prud’homal, le tribunal de grande instance pour les litiges collectifs, le tribunal d’instance pour les élections et le départage – compétences transférées au tribunal de grande instance par la loi du 6 août 2015 – ainsi que le contrat de travail des marins, le tribunal de commerce pour ce qui concerne les procédures collectives.

Par ailleurs, la multiplicité des compétences territoriales pour une même affaire pose un problème, sur lequel j’avais été entendu lors des travaux relatifs à la loi de juin 2013 sur la sécurisation de l’emploi. En matière de licenciement économique, lorsqu’il y a un litige sur la cause économique, plusieurs juridictions peuvent se prononcer sur une même question concernant la même entreprise, selon le nombre d’établissements qu’elle compte sur le territoire national. Je cite toujours l’exemple de la série d’arrêts que la Cour de cassation a rendus le 14 décembre 2011 : cinq cours d’appel s’étaient prononcées sur la situation d’une même entreprise, avec des jugements divergents sur l’existence d’une cause économique. De multiples conseils de prud’hommes peuvent être saisis de la même question – concernant par exemple la compensation pour heures supplémentaires ou la rémunération du temps de pause – qui relève d’un seul et même accord d’entreprise s’appliquant à plusieurs établissements. Il faut savoir en effet que le conseil de prud’hommes normalement compétent pour le salarié est celui dans le ressort duquel se trouve le siège de l’établissement dans lequel il travaille.

J’ai fait des propositions sur ce point dans mon rapport de juillet 2014 et l’inspection générale des services judiciaires a fait un rapport présenté à Mme la garde des Sceaux pour traiter ce que l’on appelle les séries : regroupement légal de compétences en certaines matières – il est possible de déterminer, par exemple, qu’en cas de licenciement économique, c’est la juridiction du siège qui est compétente pour apprécier l’existence d’une cause économique ; désignation d’une juridiction compétente par le premier président de la Cour de cassation ou son délégué pour connaître d’une affaire afin de centraliser le contentieux pour qu’une décision crédible puisse être prononcée. Comment voulez-vous que les employeurs et les salariés comprennent quelque chose au système lorsqu’ils entendent qu’à tel endroit l’un a gagné, l’autre a perdu et qu’à tel autre, c’est le contraire, et qu’ils doivent attendre des années pour que la Cour de cassation se prononce ?

La loi du 6 août 2015 a prévu, ce qui paraît très intéressant, une saisine pour interprétation de la Cour de cassation, y compris pour les accords collectifs. Pour un juge, un accord collectif n’est pas ce qu’il y a de plus simple à interpréter : autant pour la loi, il peut s’appuyer sur les travaux parlementaires pour éclairer le texte ; autant pour un accord collectif, il n’a aucune base pour savoir pourquoi telle ou telle rédaction a été retenue. Or il est très fréquent que les accords collectifs ne soient pas clairs – on comprend bien pourquoi. Il est arrivé à la Cour de cassation de passer des après-midi entiers à essayer de comprendre un seul article d’une convention collective. La Cour de cassation aura à présent trois mois pour donner son avis. Ce ne sera qu’un avis, bien évidemment, mais il faut savoir qu’un avis vaut jurisprudence pour la Cour. Il n’y a aucun cas où, lorsqu’elle a eu à juger des pourvois, elle se soit écartée d’un avis qu’elle avait formulé auparavant. Cela permettra de savoir tout de suite comment interpréter un texte, même si cet avis ne s’impose au juge.

Il y a encore beaucoup de choses à faire de mon point de vue mais j’estime que la loi du 6 août 2015 va dans la bonne direction en l’état actuel du système.

Il faut que l’institution prud’homale ait bien conscience qu’elle doit saisir cette chance si elle veut continuer à fonctionner sous forme paritaire. Le danger immédiat auquel elle est exposée n’est pas l’échevinage, à moins que des moyens ne soient miraculeusement débloqués pour faire fonctionner l’institution judiciaire, mais la privatisation du contentieux. La procédure participative a été rendue possible par la loi du 6 août 2015 en matière de droit du travail. On peut aussi imaginer qu’un jour l’arbitrage soit introduit dans les litiges du droit du travail, avec l’autorisation de faire figurer une clause compromissoire, jusqu’ici interdite dans les contrats de travail. Or ce type de procédure alternative ne bénéficiera qu’à une seule catégorie de salariés – probablement les cadres supérieurs – alors que les autres salariés continueront de relever de l’institution judiciaire actuelle. Il faut donc l’améliorer si l’on ne veut pas créer une justice à deux ou trois vitesses.

Un autre point mériterait d’être développé, la médiation, à condition que les conseillers prud’homaux l’acceptent. Actuellement, elle ne donne pas de bons résultats dans les contentieux jugés par les juges professionnels, car il n’y a pas de culture suffisante de la médiation chez les magistrats, pas plus que chez les avocats. Je suis persuadé qu’il y a une place à lui faire malgré le fort caractère contentieux du droit du travail. La lettre Infostat Justice d’août 2015, que j’ai déjà citée, souligne à cet égard que s’il y a une légère baisse du nombre d’affaires nouvelles dans les conseils prud’homaux, elles sont de plus en plus complexes. Dans leur quasi-totalité, elles impliquent des avocats et pour une part moindre, et décroissante, des défenseurs syndicaux. En outre, elles aboutissent pour la plupart à des conclusions écrites, comportant des demandes précises. Tout cela montre la nécessité d’avoir une formation particulière pour connaître du contentieux du travail.

La médiation prend du temps. Elle ne peut avoir lieu dans l’espace des dix minutes que les conseils prud’homaux consacrent à chaque affaire, à moins, fait rare, que les avocats des deux parties n’arrivent en affichant une intention de conciliation. Les conseils prud’homaux objectent que ce serait un manquement à leur mission. J’estime que ce n’est pas le cas, car tous les juges ont le devoir de rechercher une conciliation, comme le prévoit le code de procédure civile. Ils objectent encore que faire appel à un médiateur serait coûteux, or rien n’est moins sûr. Il faudrait comparer coût de la médiation et coût du procès – avec l’appel et la cassation. Il me semble que la pratique instaurée dans certaines cours d’appel traitant du droit du travail qui consiste à envoyer les parties vers le médiateur présent dans la salle d’audience va dans le bon sens.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Monsieur le président, on sent poindre chez vous le regret que votre rapport ait dû s’inscrire dans un cadre aussi contraint. Il me semble que vous auriez souhaité une réforme allant dans le sens d’un système d’échevinage et d’une unification des juridictions sociales.

Je vous remercie de nous avoir fait part de vos remarques sur la loi du 6 août 2015. Pensez-vous qu’elle est de nature à combattre les maux que vous avez décrits, notamment les délais de jugement, ou estimez-vous plutôt que nous sommes au milieu du gué ?

Ma deuxième question porte sur un point que vous n’avez pas évoqué : que pensez-vous du projet de plafonner les indemnités de licenciement prud’homales eu égard aux grands principes du droit français ? Cette mesure serait-elle efficace, d’après vous ?

Ma troisième question renvoie à une disposition que j’avais déjà abordée avec vous lorsque j’étais rapporteur de la loi sur la sécurisation de l’emploi et qui est à nouveau d’actualité avec l’avant-projet de loi du Gouvernement dont vous m’excuserez de ne plus savoir le nom exact : l’inscription dans la loi de critères définissant ce qu’est un licenciement économique. Compte tenu de ce que sont les juridictions aujourd’hui et de la capacité des entreprises à faire en sorte de correspondre aux critères, cette mesure vous paraît-elle pertinente ? Je pense, par exemple, à des critères tels qu’une baisse du chiffre d’affaires pendant quatre trimestres.

M. Alain Lacabarats. Je dois d’abord vous dire que plus j’avançais dans mes travaux pour le rapport, plus je considérais qu’améliorer le système dans le cadre du paritarisme m’apparaissait possible. Il ne me semble pas évident que l’on fasse mieux avec l’échevinage. La loi d’août 2015 me paraît aller dans le bon sens, à condition que les conseils de prud’hommes s’approprient la réforme et acceptent de jouer le jeu. Elle donne des possibilités en matière de procédure qui permettent de traiter efficacement les affaires. Les parties ont désormais l’obligation de fournir leurs pièces avant même la première convocation pour conciliation. Je n’arrive pas à comprendre comment on pourrait tenter une conciliation sans savoir quel est le fond de l’affaire – c’est pourtant la position défendue par certains. Ensuite, le conseil a la possibilité de fixer des délais contraignants pour les échanges des écritures entre les parties et des documents justificatifs, avec une date de clôture passée laquelle il n’est plus possible de présenter de nouvelles pièces, ce qui me paraît essentiel pour éviter les renvois qui perturbent considérablement le fonctionnement des juridictions. Possibilité est également donnée d’utiliser des circuits diversifiés : juger immédiatement si le défenseur ne comparaît pas me paraît important puisque le conseil sera dorénavant déjà en possession des pièces, en gardant à l’esprit qu’il s’agit davantage d’inciter le défenseur à comparaître ou à se faire représenter pour organiser, le cas échéant, une conciliation voire une médiation. Le conseil a justement la possibilité de consacrer du temps à la conciliation. Il a encore la possibilité d’utiliser des circuits courts. Certaines affaires, ne méritant pas d’être renvoyées devant un bureau formé de quatre personnes, peuvent être jugées par deux personnes. Pour d’autres, le conseil prud’homal sait par expérience que le bureau de jugement se mettra en départage : pourquoi ne pas renvoyer directement à la formation présidée par le juge départiteur ?

Il ne s’agit pas de mettre sous contrainte ou sous tutelle l’institution prud’homale mais de lui donner une palette de solutions pour mieux traiter le contentieux. Il lui appartiendra de s’approprier ces nouvelles possibilités.

S’agissant de la barémisation, monsieur le rapporteur, nous pouvons dire que le Conseil constitutionnel, s’il s’est montré défavorable à l’un des critères retenus, ne s’est pas prononcé contre son principe. Je préférerais un système où il y aurait une possibilité pour le juge de sortir du barème dans des circonstances particulières.

Autre point important : il ne faut pas penser que la barémisation de certains types d’indemnités va forcément simplifier le travail des juges prud’homaux et assurer une prévisibilité certaine pour les entreprises. De plus en plus, les chefs de demande sont multiples – harcèlement, manquement à l’obligation de sécurité, manquement à l’obligation de prévention contre le risque de santé. On ne peut pas tout barémiser.

M. le rapporteur. Y a-t-il d’autres matières où s’applique un plafonnement, autrement dit où il n’y a plus de possibilité de réparer le préjudice subi ? Dès lors qu’on pose le principe que deux ans d’ancienneté ouvrent droit à trois mois maximum d’indemnités, on ne prend en effet plus en compte le préjudice lié à la perte de l’emploi comme, par exemple, une perte du logement. Cela vous paraît-il contrevenir de manière forte aux principes fondamentaux du droit français ou bien, au contraire, s’inscrire dans notre tradition juridique ?

En outre, il ne faut pas oublier le fait que le plafonnement peut conduire les entreprises à décider de licenciements en calculant leurs risques en fonction du barème.

M. Alain Lacabarats. Pour moi, le principe fondamental est l’indemnisation intégrale du préjudice. Simplement, j’ai cru comprendre à la lecture de la décision du Conseil constitutionnel que ce principe ne paraissait pas aussi absolu que je le pensais. Je ne crois pas qu’il existe de barémisation dans d’autres matières.

M. Denys Robiliard. En matière de réparation du préjudice corporel à la suite d’un accident d’avion, il existe des plafonds. En matière d’utilisation de l’énergie atomique, il y a un système dit de responsabilité spéciale qui comprend un plafonnement des indemnités.

La réparation du préjudice corporel est le principal chef de réparation que l’on connaisse. Nous avons assisté, avec l’instauration de la nomenclature Dintilhac, à l’émergence de barèmes inter-cours d’appel, qui ne plafonnent pas, qui ne lient pas le juge, mais qui sont utilisés pratiquement sans exception. Et leur application n’exclut pas la réparation intégrale du préjudice puisque se pose toujours la question de l’indemnisation de la douleur, du préjudice moral, y compris en matière de licenciement. Les choses sont relativement complexes, de ce point de vue.

Je ne suis pas favorable au plafonnement en matière de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse mais il faut relever que la barémisation n’est pas une forme absente de notre droit.

M. Alain Lacabarats. Pour les accidents de la circulation, la loi de 1985 avait même prévu la publication d’un barème qui n’a jamais été mis en œuvre. Ensuite, nous avons assisté à une double évolution qui a favorisé la barémisation : l’émergence de la nomenclature Dintilhac et une meilleure connaissance par les cours d’appel de la jurisprudence des autres cours d’appel puisque désormais elles peuvent avoir accès à l’ensemble des décisions rendues par les autres cours grâce à un site exploité par la Cour de cassation.

Il me paraît cependant important de souligner que la barémisation reste indicative. Elle n’exclut pas la réparation intégrale du préjudice, d’autant qu’il y a de plus en plus de multiples chefs de demande.

M. le rapporteur. La réparation du préjudice est sans rapport avec des plafonds impliquant, par exemple, une indemnité de 3 000 euros au titre de trois mois salaire. La barémisation est surtout là pour protéger les compagnies d’assurances.

Permettez-moi, monsieur le président, de vous rappeler ma troisième question : que pensez-vous de l’inscription dans la loi de critères définissant le licenciement économique ? Prenons le critère d’une baisse de chiffre d’affaires sur quatre trimestres : si la santé économique d’une entreprise n’est plus appréciée au niveau mondial mais au niveau de chaque établissement français, on voit bien quelle stratégie d’optimisation peut être déployée pour faire en sorte qu’il y ait quatre trimestres de baisse de chiffre d’affaires. N’est-ce pas plutôt au juge d’apprécier la réalité du motif économique ?

M. Alain Lacabarats. Il sera très difficile d’énumérer dans un texte de loi des critères exhaustifs recouvrant toutes les situations pouvant justifier un licenciement économique. Il y aura toujours place à discussion, à interprétation, à moins de donner un caractère limitatif à ces critères. Autrement dit, élaborer une telle rédaction sera très compliqué.

Laisser au juge la possibilité d’apprécier, c’est bien. Ce qui serait mieux encore, en ces domaines-là en particulier, c’est qu’il ne soit pas isolé pour statuer. Il me semble que l’avenir de la justice française passe par une évolution qui fasse du juge une sorte de chef d’équipe entouré d’un groupe d’assistants spécialisés. Cela se fait déjà en matière pénale pour les affaires financières mais il y a beaucoup d’autres domaines où le juge pourrait ou devrait avoir le concours d’équipes de spécialistes : je pense au droit de la concurrence où nous jugeons de pratiques anti-concurrentielles qui relèvent avant tout de l’économie.

Par ailleurs, limiter l’appréciation de la cause au niveau national, monsieur le rapporteur, n’impliquera pas que les groupes seront à l’abri. La responsabilité des sociétés-mères pourra être recherchée d’une manière ou d’une autre. Restera toujours la possibilité pour les demandeurs d’agir en responsabilité civile contre les sociétés-mères comme cela se fait en matière commerciale, lorsqu’il est constaté qu’une société-mère a mis ses filiales dans l’impossibilité de fonctionner.

Pourquoi la jurisprudence est-elle allée au-delà ? Parce que la notion de groupe telle que la loi la définit ne se limite pas en l’état actuel des choses au niveau national. Nous sommes très souvent confrontés à des affaires dans lesquelles les filiales ont été mises dans l’impossibilité de poursuivre leur activité par décision d’une société se trouvant dans un autre pays. Il sera probablement difficile de comprendre que l’on ne puisse plus rechercher la responsabilité des sociétés-mères dans ce type de situation.

M. Denys Robiliard. Je crois très clairement, monsieur le président, que nous aurons matière à vous réentendre sur le droit du licenciement économique et la définition de la cause réelle et sérieuse. Il y aura en effet toujours la possibilité d’engager la responsabilité d’une société mère quand elle a coupé les vivres à sa filiale dans des conditions fautives. Cela renvoie à la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation et même à un article célèbre sur la disparition de la théorie du coût-emploi avec le retour à l’article 1382 du code civil, si ma mémoire est bonne. Je pense que Jean-Marc Germain est ravi de la réponse que vous venez de lui faire.

Vous avez une longue expérience de juge social en tant que président de la chambre sociale de la Cour de cassation et j’aimerais savoir si vous considérez le paritarisme en matière judiciaire comme positif ? Quels sont ses avantages et ses inconvénients ? Et je ne parle pas seulement des conseils prud’homaux mais aussi du tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) et du tribunal paritaire des baux ruraux.

Vous avez rappelé, à travers l’évocation des grands articles de Pierre Laroque et d’Alain Supiot, une réflexion globale sur un ordre social, reprise récemment par Pierre Joxe. D’un point de vue concret, j’aimerais avoir votre avis sur l’appel, degré de juridiction que vous n’avez que peu évoqué dans votre rapport car son cadre était expressément limité au premier degré de juridiction. La seule réforme qu’il connaît est l’instauration d’une obligation de présence d’un représentant, avec une procédure écrite et non plus orale, ce qui constitue un changement très profond dans la culture des chambres sociales. Cela aura peut-être pour conséquence la création d’une filière pour les magistrats spécialisés en matière sociale avec le rattachement des juges départiteurs au tribunal de grande instance et non plus au tribunal d’instance. Pensez-vous que tout cela soit de nature à réduire les délais de jugement devant les chambres sociales ? Estimez-vous nécessaire de réformer également la Cour de cassation ?

M. Alain Lacabarats. Vous m’interrogez sur le paritarisme en matière judiciaire et je dois préciser que le tribunal des affaires de sécurité sociale et le tribunal paritaire des baux ruraux reposent sur un système échevinal. La mixité de composition est un principe très intéressant : le juge professionnel est là pour sécuriser, par sa connaissance des règles de procédure, de déontologie, de rédaction du jugement, par sa connaissance aussi du fond du droit, qu’il peut nourrir de l’expérience des professionnels du domaine concerné, par exemple le droit des affaires en matière prud’homale. Le tribunal pour enfants est un très bon exemple de juridiction fonctionnant avec une composition mixte. Et l’on pourrait imaginer voir ce principe étendu à d’autres domaines. La réforme de 2000 des tribunaux de commerce reposait ainsi sur cette idée. Il a même été proposé d’introduire cette mixité au niveau des cours d’appel en matière commerciale, ce qui aurait été une bonne réforme. Pour la Cour de cassation, le problème est différent car nous jugeons des questions de droit. Mais nous pourrions toujours y réfléchir. Pierre Laroque, par exemple, y était favorable.

En ce qui concerne les cours d’appel, il faut impérativement qu’il y ait des magistrats spécialisés en droit du travail, ce qui n’est pas le cas actuellement. Un magistrat nommé dans une cour d’appel peut tout à fait être amené à y découvrir le droit du travail. Que la loi d’août 2015 ait prévu qu’un vivier de juges dotés de compétences dans cette matière soit mobilisé dès la première instance me paraît absolument indispensable, notamment pour asseoir leur légitimité vis-à-vis des conseils de prud’hommes, qui peuvent toujours opposer aux juges qu’ils ne connaissent pas le droit du travail plus qu’eux-mêmes. Beaucoup de cours d’appel sont confrontées à des barreaux spécialisés en droit du travail et l’on ne peut laisser des juges généralistes « amateurs » face à des cabinets d’avocats professionnalisés.

La procédure écrite constitue une avancée importante pour améliorer les délais du fait des contraintes qu’elle implique, même si elle ne va pas régler tout de suite le problème de l’encombrement des cours d’appel. Il faut commencer par la juridiction de première instance si l’on veut limiter le taux d’appel. En réalité, l’instauration d’une procédure écrite s’inscrit dans une évolution plus générale que connaissent les cours d’appel, qui n’ont pratiquement plus à juger d’affaires sans qu’une partie soit représentée ou assistée par un avocat ou un défenseur syndical.

À la Cour de cassation, il importe de poursuivre les travaux entrepris depuis près d’un an dans les groupes de réflexion mis en place par le premier président. Nous pensons qu’il est possible d’améliorer sensiblement notre manière de travailler. Cela repose en partie sur un meilleur filtrage des affaires : il faut impérativement juger rapidement celles qui ne posent que des questions que nous qualifions dans notre jargon de « disciplinaires » – défaut de motif de la décision, non-respect du principe de la contradiction, par exemple. Et je suis conduit à penser qu’il n’y a pas la moitié des pourvois en cassation qui posent de réelles questions de droit : on essaie simplement de nous faire juger pour la troisième fois une affaire, avec un simple habillage juridique. Ce temps ainsi dégagé nous permettra de consacrer utilement nos énergies aux affaires qui le méritent en sélectionnant dans chaque type de contentieux les grandes questions qui appellent un travail approfondi de notre part. Nous nous orientons, pour certaines affaires, vers une motivation de nos arrêts beaucoup plus développée, où seront expliquées plus clairement les raisons pour lesquelles nous parvenons à cette solution sur le plan juridique. Je préside le groupe de travail consacré aux motivations et les expérimentations que nous avons menées ont abouti à de bons résultats. Reste à faire en sorte que l’ensemble des magistrats des chambres de la Cour s’approprient ce travail.

M. le président Arnaud Richard. Je vous remercie, monsieur le président, pour toutes ces réponses.

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Enfin la mission entend M. Jean-François Merle, président du Conseil supérieur de la prud’homie, membre du Conseil d’État.

M. le président Arnaud Richard. Monsieur Jean-François Merle, vous êtes président du Conseil supérieur de la prud’homie, organe consultatif chargé de donner son avis au Gouvernement sur les problématiques de statut, de formation, d’organisation et de procédure des conseils de prud’hommes.

Nous souhaitons vous entendre sur le sens que vous donnez au principe paritaire qui gouverne la composition des conseils de prud’hommes, sur les enjeux que recouvre ce paritarisme, et sur l’appréciation que l’organisme que vous présidez porte sur son fonctionnement, alors même que de nombreuses évolutions législatives et réglementaires sont venues et viendront encore transformer les juridictions du travail.

M. Jean-François Merle, président du Conseil supérieur de la prud’homie, membre du Conseil d’État. Il est une question dont je n’ai pas encore fait le tour depuis bientôt huit années que je préside le Conseil supérieur de la prud’homie. Comment expliquer le décalage entre l’image des juridictions prud’homales auprès des employeurs – je me souviens d’une présidente du MEDEF qui affirmait que les procédures devant les prud’hommes aboutissaient systématiquement à la condamnation de l’employeur, et que, dans 80 % des cas, les conseillers prud’hommes donnaient raison aux salariés –, et l’attachement extrêmement fort à cette juridiction que manifestent les représentants des employeurs qui siègent au Conseil supérieur et dans les conseils de prud’hommes ? N’est-il pas un peu paradoxal de véhiculer des clichés prêtant de multiples tares à une institution à laquelle on marque un réel attachement ? Cet attachement général au paritarisme, qui est même viscéral, tient sans doute à l’histoire complexe de l’institution des prud’hommes autant qu’à celle des relations sociales dans notre pays.

Les représentants des organisations syndicales de salariés considèrent souvent les conseils de prud’hommes comme une conquête sociale du monde du travail, mais, à l’origine, il s’agissait plutôt d’un outil de collaboration entre les classes sociales et d’un instrument de résolution amiable des litiges, par opposition à la lutte des classes.

Au-delà de ses fonctions de conciliation et de jugement, l’institution est devenue une forme de substitut collectif à la relation singulière entre l’employeur et le salarié. C’est probablement ce qui explique l’intérêt que lui portent tous ceux qui sont amenés à exercer les fonctions de juges prud’homaux. Cette relation singulière est, quoi qu’on en dise, profondément inégalitaire – la libre négociation du contrat de travail en période de chômage aigu est évidemment une notion un peu fictive. L’institution prud’homale permet que la résolution des litiges entre employeurs et salariés se déroule non pas en face-à-face, mais dans une représentation collective de leur relation, grâce au paritarisme et à des juges qui sont extérieurs au litige, mais pas étrangers à l’entreprise. Cela explique probablement que les uns ou les autres refusent tout système d’échevinage qui reviendrait à confier la résolution des conflits à un juge professionnel, à la fois extérieur mais aussi étranger à l’entreprise.

On parle souvent de la lourdeur, de la complexité, et de l’instabilité du code du travail. Nous pourrions en débattre, mais, en tout état de cause, nous ne pouvons que reconnaître que le livre des procédures fiscales du code général des impôts n’a rien à lui envier. Pourtant, alors qu’aucun employeur, même dans une TPE, n’aurait l’idée de gérer lui-même sa comptabilité sans faire appel à des experts, ils sont nombreux à considérer qu’il leur revient de gérer eux-mêmes l’embauche ou les relations de travail. Cela montre à quel point ces derniers sujets sont liés aux relations humaines dans l’entreprise, qui échappent à toute logique d’extériorisation.

J’en viens aux critiques exprimées à l’encontre du paritarisme.

Il s’agit d’une exception française, entends-je. Ce n’est pas faux, mais l’argument ne suffit pas à disqualifier le paritarisme qui constitue un héritage de l’histoire sociale singulière de notre pays. Après tout, la Commune de Paris est aussi une exception française qui fait bel et bien partie de l’histoire tourmentée de nos relations sociales. Et puis il existe un lien historique entre les valeurs qu’a voulu promouvoir le Conseil national de la Résistance, et la modernisation de la législation relative aux prud’hommes défendue par certains des ministres des affaires sociales du général de Gaulle comme Robert Boulin ou Jean-Marcel Jeanneney.

Le délai de traitement des affaires pose un problème bien plus concret. Une approche objective devrait amener à consulter les statistiques en tenant compte de la taille des conseils de prud’hommes. Lors de la révision de la carte judiciaire de 2008, on a voulu supprimer les conseils de petites tailles au motif que le faible nombre d’affaires traitées annuellement donnait aux conseillers une moindre expertise juridique, et que leurs décisions risquaient d’être invalidées. Pourtant, c’est dans les plus petits conseils de prud’hommes que les taux d’appel et de réformation sont les plus faibles. Si leurs décisions ne sont pas les plus sûres ou les plus élaborées sur le plan juridique, ils jouent leur rôle historique de juge de paix sociale. En 1790, les prud’hommes ne furent-ils pas les assesseurs des juges de paix en matière de droit du travail ? Les conseils les plus engorgés sont les plus importants : on fait peut-être une erreur d’optique en ne considérant pas cet élément.

En matière de délais, il faut aussi compter avec ceux dus à la mobilisation des juges départiteurs. Ils sont extrêmement variables d’une juridiction à l’autre – du simple au triple. En l’espèce, le paritarisme n’est pas en cause. Il s’agit plutôt d’un problème de fonctionnement de l’institution judiciaire.

On met souvent en avant le nombre d’affaires évoquées en appel. J’ai été frappé par le fait que leur proportion n’était pas différente en Alsace-Moselle, territoire qui a conservé un système d’échevinage, et dans le reste du pays. Cela tend à montrer que la présence permanente d’un juge professionnel dans la juridiction ne limite pas le nombre d’appels. L’échevinage joue moins que la taille du conseil que j’évoquais, car le traitement rapide des affaires permet souvent de faire baisser le taux d’appel.

M. le président Arnaud Richard. Je crois qu’il faut distinguer les renvois en appel du nombre d’affaires réformées en appel.

M. Jean-François Merle. Je ne sais pas si nous connaissons par exemple le succès en appel des affaires selon qu’elles ont fait ou non l’objet d’une départition. L’intervention du juge départiteur en première instance sécurise-t-elle la décision ?

M. Denys Robiliard. J’ai indiqué dans mon rapport sur la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques que « le taux d’appel des jugements rendus par la formation de jugement présidée par le juge départiteur est supérieur de 6 % au taux d’appel des jugements rendus sans départage, sans doute en raison de la nature du litige ». On constate en revanche que le taux de réformation des jugements rendus en audience de départage est moindre, mais sans que cela ne change significativement les choses.

M. Jean-François Merle. Pour être clair, j’ai le sentiment qu’une partie des griefs formulés à l’encontre de la juridiction prud’homale mettent en cause le paritarisme alors qu’ils ne sont pas vraiment imputables à ce dernier.

Enfin, il me paraît mieux fondé de s’interroger sur l’insuffisante motivation des décisions. Ce problème devrait trouver une solution grâce à l’amélioration de la formation des conseillers qui pourra avoir lieu en amont de leur prise de fonctions grâce à leur nouveau mode de désignation. Ce problème est aujourd’hui réel, notamment par rapport aux exigences conventionnelles, mais les marges de progrès sont substantielles.

Je veux évoquer un dernier sujet à titre plus personnel. Je m’interroge, comme l’avait fait le président Laroque à la Libération, sur la possibilité de mettre en place un ministère public auprès des conseils de prud’hommes. Il apporterait une sécurisation juridique sans intervenir dans la formation de jugement, ce qui compléterait et enrichirait le paritarisme sans le mettre en cause dans ses fondements. Dès lors qu’il semble que nous nous orientons vers une distinction de plus en plus marquée dans le code du travail entre ce qui relève de l’ordre public social et ce qui relève de la négociation de branche ou d’entreprise – le Conseil supérieur a été consulté sur l’avant-projet de loi sur le travail et l’emploi –, l’idée d’une intervention du ministère public mérite réflexion.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. La loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques tente de pallier l’effroyable problème de délai qui se pose devant la justice prud’homale de façon pragmatique. M. Denys Robiliard a fortement contribué à une approche qui considère que le système tel qu’il est peut être considérablement amélioré sans que soit remis en cause le caractère paritaire de la juridiction. Avec le recul, quel jugement portez-vous sur la loi d’août dernier ? Vous semble-t-elle de nature à apporter des améliorations en termes de moyens, de formation, et de capacité des juges à accélérer la prise de décision ?

Si les conseils de prud’hommes ne parvenaient pas à juger les affaires dans des délais raisonnables, qui ne soient évidemment pas expéditifs, et à donner le sentiment aux parties qu’ils rendent une bonne justice, nous en arriverions à des solutions qui me paraissent très mauvaises, sur lesquelles je souhaite aussi recueillir votre avis. S’agissant de l’indemnisation des préjudices subis, que pensez-vous du remplacement des barèmes indicatifs par des plafonds, envisagé dans l’avant-projet de loi que vous évoquiez ?

M. Jean-François Merle. La loi du 6 août 2015 a tronçonné les propositions présentées dans divers rapports remis à la Chancellerie dans les mois qui ont précédé sa rédaction – je pense notamment au rapport du président Lacabarats. Ces éléments avaient le mérite de former un tout ; leur éclatement a beaucoup fait perdre en lisibilité, d’autant que de nombreuses dispositions procédurales de nature réglementaire n’ont pas été présentées simultanément.

Je ne pense pas que l’on puisse véritablement évaluer la portée de la loi quelques mois après son entrée en vigueur. Des améliorations substantielles doivent par exemple être apportées en matière procédurale par des textes réglementaires comme ceux relatifs à la formalisation de la mise en état des affaires. Le contentieux devant les prud’hommes ressemble aujourd’hui à un jeu de poker menteur : le salarié a le plus à perdre de l’allongement de la procédure, et l’employeur a le plus à perdre s’agissant de l’incertitude qui pèse sur le montant de l’indemnisation éventuelle à laquelle il pourrait être astreint. Sur ces sujets, les mesures figurant dans la loi de 2015 vont globalement dans le bon sens. Une grande partie des difficultés de leur mise en œuvre ne viendra pas de la justice prud’homale elle-même, mais des problèmes que l’on rencontrera pour disposer de suffisamment de juges départiteurs et de magistrats spécialisés pour les activités de conseil et de formation. La question de l’effectif des pôles sociaux des juridictions est posée. Dans certaines régions, on peut avoir un juge départemental en 4 mois, dans d’autres il faut un an.

Je ne vous surprendrai pas en vous rapportant que, la semaine dernière, lors de la consultation du Conseil supérieur sur l’avant-projet de loi relatif au travail et à l’emploi, les points de vue ont été extrêmement partagés entre les représentants des organisations syndicales de salariés, unanimement opposées au plafonnement, et ceux des organisations d’employeurs, opposées pour leur part aux exceptions au plafonnement prévues par le texte notamment en matière de discrimination. Sur des fondements différents, une unanimité s’est donc établie contre le dispositif tel qu’il nous était présenté.

J’ajoute que la limitation du pouvoir d’appréciation du juge qui découle du texte ne semble pas dépourvue de risques sur le plan conventionnel.

M. Denys Robiliard. Le Conseil supérieur de la prud’homie a-t-il émis un avis s’agissant de la redéfinition, par l’article 30 bis de l’avant-projet de loi, de la cause réelle et sérieuse du licenciement pour motif économique ?

M. Jean-François Merle. Sur ce sujet, les positions des uns et des autres ont été exactement identiques à celles que j’ai décrites concernant le plafonnement des indemnités. Les organisations syndicales de salariés se sont prononcées contre avec une unanimité et une résolution que j’ai rarement observées après huit ans de présidence du Conseil. Quant aux employeurs, ils s’y sont également opposés en considérant que le texte laissait encore une trop large marge d’appréciation.

Mme Claudine Schmid. Monsieur Merle, vous nous rapportez que certains s’opposent au plafonnement des indemnités en considérant qu’il limite le pouvoir du juge. Je ne comprends pas cet argument car il existe déjà des plafonds dans notre droit, par exemple en matière pénale.

M. Jean-François Merle. Les choses sont différentes s’agissant de l’appréciation d’un préjudice subi par un individu. Des critères préétablis peuvent difficilement tenir compte de toutes les situations. Le Conseil constitutionnel a d’ores et déjà écarté celui de la taille de l’entreprise, mais l’ancienneté peut ne pas constituer un élément suffisant pour apprécier le préjudice causé par un licenciement. Les indemnités versées à un salarié de cinquante ans, licencié après deux ans passés dans une entreprise, doivent-elles être plafonnées comme celles attribuées à un débutant, sans tenir compte, par exemple, du bassin d’emploi ou de la formation des individus ?

Le juge ne se contente pas de fixer un quantum ; il apprécie une situation individuelle. Cette individualisation du cas et de la peine est limitée par une réforme qui cherche à faire simple. Cela peut sans doute se justifier, mais cela amène à s’interroger, en particulier sur le plan des critères, car en faisant simple, on fait fruste.

M. le président Arnaud Richard. Nous vous remercions pour cette ultime formule qui résume un peu les choses s’agissant de cette réforme, ainsi que pour l’ensemble de vos propos.

La séance est levée à douze heures cinquante

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Présences en réunion

Réunion du jeudi 3 mars à 9 heures

Présents. – Mme Fanélie Carrey-Conte, M. Jean-Marc Germain, M. Gilles Lurton, M. Arnaud Richard, M. Denys Robiliard, Mme Claudine Schmid

Excusés. - M. David Comet, M. Pascal Demarthe, Mme Michèle Fournier-Armand, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Véronique Louwagie