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Mission d’information sur le paritarisme

Jeudi 28 avril 2016

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 20

Présidence de M. Arnaud Richard, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Louis, président de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Marie-Françoise Leflon, secrétaire générale de la Confédération française de l'encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC)

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Michel Pottier, vice-président chargé des affaires sociales de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), Mme Sandrine Bourgogne, secrétaire générale adjointe, et M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales

– Présences en réunion

MISSION D’INFORMATION SUR LE PARITARISME

Jeudi 28 avril 2016

La séance est ouverte à neuf heures dix.

——fpfp——

(Présidence de M. Arnaud Richard, président de la mission d’information)

La mission d’information sur le paritarisme procède à l’audition de M. Philippe Louis, président de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC).

M. le président Arnaud Richard. Nous poursuivons nos auditions des représentants des grandes organisations professionnelles. Nous commençons, ce matin, avec la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), représentée par son président, M. Philippe Louis, accompagné de M. Michel Charbonnier, conseiller politique.

Monsieur le président, nous vous remercions d’avoir répondu à notre invitation. Nous avions déjà eu l’occasion de vous auditionner, dans le cadre de cette mission, sur la question de l’économie numérique et ses conséquences sur l’emploi.

Aujourd’hui, nous souhaitons que vous nous faisiez part des réflexions de votre organisation sur le paritarisme : son champ, son fonctionnement, les évolutions possibles ou souhaitables, au regard, notamment, de la sécurisation professionnelle telle qu’elle commence à se dessiner autour du compte personnel d’activité (CPA), ou encore de l’« ubérisation » de la société.

M. Philippe Louis, président de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC). Monsieur le président, monsieur le rapporteur, j’évoquerai d’abord le paritarisme de gestion, puis le paritarisme de négociation.

La CFTC est très attachée au paritarisme de gestion, dont elle peut légitimement revendiquer d’être à l’origine puisque c’est le Conseil national de la Résistance (CNR) qui, à la sortie de la guerre, a mis en place toutes sortes d’instances visant à couvrir les risques tout au long de la vie des travailleurs. Ces instances étant financées par une ponction sur les salaires des ouvriers, les organisations syndicales et patronales ont été appelées à en assurer la gestion.

Par la suite, d’autres organismes ont été créés, tels que l’Union nationale pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (UNEDIC), le système de prévoyance ou l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO). Le paritarisme, en trouvant de nouveaux moyens pour protéger les salariés, a donc su évoluer.

Le paritarisme est bien vivant, puisqu’il a su s’adapter. On a ouvert au fur et à mesure la gouvernance de certains organismes lorsque les financements étaient élargis et ne reposaient plus uniquement sur les salaires ou lorsque les enjeux devenaient tels qu’ils dépassaient la seule gestion des organisations patronales et syndicales – je pense notamment à la sécurité sociale.

Les prélèvements opérés sur les salaires sont bien acceptés par nos concitoyens qui, s’ils émettent des doutes sur les impôts qu’ils doivent payer, ne remettent pas en cause les cotisations sociales. En cas de difficultés pour équilibrer les comptes des organismes, les salariés préfèrent, pour les retraites, par exemple, que l’on augmente les cotisations plutôt que de toucher à d’autres paramètres, ce qui veut dire que ce mode de gestion est reconnu par les salariés.

En ce qui concerne les allocations familiales, il a été question de supprimer les cotisations pesant sur les salaires. Nous nous y sommes toujours opposés, partant du principe que les allocations familiales et les allocations logement concernaient directement le salarié.

Le patronat a approuvé la mise en place des allocations familiales, estimant qu’il valait mieux aider ceux qui avaient une famille plutôt que d’augmenter tous les salaires et de les aligner sur ceux des salariés qui avaient des enfants. Il faut conserver le système des allocations familiales, car on ne vit pas de la même façon quand on a deux ou trois enfants et lorsqu’on est célibataire ou en couple sans enfants. On doit pouvoir vivre du revenu de son travail et, pour ce faire, les allocations familiales sont, à nos yeux, essentielles.

Nous sommes donc très attachés aux allocations familiales. Cela étant, nous avons su nous adapter. La gestion menée par les caisses d’allocations familiales dépassant largement le monde du travail, il nous a semblé tout à fait légitime que la gouvernance s’ouvre au-delà du paritarisme.

Comme vous le voyez, nous sommes attachés au paritarisme. La gestion n’est pas le pré carré des organisations syndicales. Nous sommes ouverts. Cela étant, nous préférons que les choses se fassent dans la concertation, car dès lors qu'on nous les impose, cela a du mal à passer. La concertation, au contraire, nous permet d’avancer. J’estime que les organisations syndicales ont dans la gestion la part qui leur revient, ce qui leur permet de suivre les cotisations des salariés.

J’en viens à l’évolution du paritarisme et au compte personnel d’activité (CPA).

Le champ du paritarisme peut encore s’élargir. Il s’agissait, au début, de réparation du risque. Aujourd’hui, on parle plutôt de projet professionnel ou de projet de vie. Pour notre part, nous préférons parler de projet de vie car, dans une vie, il n’y a pas que le professionnel, et la conciliation du temps de vie et du temps professionnel est une réelle attente des salariés. Avec le CPA, on devrait pouvoir trouver des pistes pour un nouveau mode de gestion paritaire.

Je vous donne un exemple, même si, aujourd’hui, il peut paraître utopique.

Autour de l’accord UNEDIC, certains commencent à dire qu’il n’est pas normal que les fonctionnaires ne cotisent pas à l’assurance chômage et que tout le monde devrait contribuer à l’effort.

Certes, tout le monde doit contribuer à l’effort, mais nous comprenons les fonctionnaires, qui ne veulent pas cotiser à une assurance qui ne leur servira à rien, estimant que la solidarité, c’est bien, mais qu’à la limite elle peut être assurée par les autres.

Or si l’on avait une vision beaucoup plus large et si l’on allait vers la sécurisation des temps de vie, les fonctionnaires pourraient aussi bénéficier de cette assurance pour réaliser un projet.

Aujourd’hui, si l’on demande un congé de six mois pour une mission humanitaire, il s’agit généralement d’un congé sans solde, ce qui, de surcroît, pose problème en termes de carrière. Le résultat est que très peu de gens partent.

Si tout le monde cotisait à l’assurance chômage à hauteur de 0,5 % ou 1 % et que ces cotisations puissent servir à remplacer un salaire, qu’il s’agisse d’humanitaire ou de tout autre projet d’un temps de vie, tout le monde bénéficierait d’un retour et accepterait beaucoup plus facilement de cotiser.

En ce qui concerne le CPA, il ne s’agirait plus d’un compte épargne-temps (CET), mais d’un « compte temps », qui permettrait de financer toutes sortes de congés, l’assiette des cotisations étant considérablement élargie.

Un tel système aurait pour avantage de diminuer le nombre de demandeurs d’emploi puisqu’il faudrait remplacer, par exemple, les personnes parties faire de l’humanitaire. On pourrait ainsi libérer plus d’emplois et, en élargissant l’assiette, financer le système d’une façon optimale.

Il y a beaucoup d’autres cas de ce type. Il faut profiter du CPA pour mettre en place un tel dispositif et s’occuper des temps de vie. Je pense que cela répond à l’attente des salariés et que le patronat pourrait accepter la mise en place de ce dispositif, dans la mesure où il ne coûte pas plus cher. Mieux vaut donner aux gens les moyens de s’accomplir plutôt que d’avoir des demandeurs d’emploi dont les perspectives d’avenir sont plus ou moins bouchées.

Le paritarisme peut encore évoluer. D’autres champs peuvent s’ouvrir et ce qui existe doit pouvoir être amélioré.

Nous sommes signataires de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 17 février 2012. Il y a sans doute des points à revoir, mais la négociation et le suivi de l’accord doivent permettre de faire les ajustements nécessaires.

Voilà pour le paritarisme de gestion.

La CFTC est ouverte ; elle tient à ce paritarisme, qui a apporté beaucoup de choses et peut encore en apporter si l’on est imaginatif et dans l’air du temps. Je pense, en l’occurrence, à l’« ubérisation », car la sécurisation des salariés qui se dirigent vers ces nouveaux métiers pose de gros problèmes.

S’agissant du paritarisme de négociation, je serai un peu plus critique.

La négociation interprofessionnelle au niveau national peut aussi se décliner au niveau des branches. Pour moi, les lois Auroux ont plus ou moins réglé le problème au niveau des entreprises. Si l’on avait poussé un peu plus loin la réflexion, elles auraient aussi organisé le dialogue social dans les branches.

Dans le projet de loi « travail », le fameux « comité permanent de branche » s’inspire, selon moi, des revendications de la CFTC. Je vais essayer de vous expliquer pourquoi nous en sommes arrivés à ce comité permanent de branche. Nous appelons également de nos vœux un comité permanent du dialogue social au niveau interprofessionnel.

Aujourd’hui, monsieur le président, j’ai lu, dans une dépêche de l’Agence Éducation Formation (AEF), que vous vous demandiez pourquoi les partenaires sociaux s’emparaient de négociations comme celle portant sur la qualité de vie. Je vais vous donner une explication, qui n’engage que moi et la CFTC. Je pense que cela tient pour beaucoup à l’organisation du dialogue social interprofessionnel.

Quand le Premier ministre ou le Gouvernement décident de saisir les partenaires sociaux pour une négociation, concrètement, le Premier ministre signe huit lettres, qu’il envoie aux cinq organisations de salariés et aux trois organisations patronales. Puis il ne se passe plus rien, parce qu’aucune des organisations ne peut, à elle seule, dire qu’elle veut négocier.

Les choses se passent alors au téléphone. On s’appelle pour se demander ce qu’on en pense. On est dans le flou, et je suis moi-même parfois surpris de voir émerger ou rejeter une négociation.

Tout le monde a les lettres sous le coude, la pile augmente, mais, en réalité, il ne se passe pas grand-chose, sauf si quelqu’un a demandé au Gouvernement de solliciter les organisations pour négocier. Cela ne devrait pas se passer de cette façon.

M. le président Arnaud Richard. Combien de lettres avez-vous sous le coude ?

M. Philippe Louis. Quelques-unes ! Mais il ne se passe rien, parce qu’il n’y a aucune méthodologie.

Ce fameux comité permanent aurait pour avantage qu’il ne serait plus nécessaire d’écrire à chacune des parties. Dès lors que les partenaires sociaux seraient sollicités, le comité se réunirait pour savoir s’il faut s’emparer de la négociation. Si oui, on mettrait en place la négociation.

Dans le cas contraire, la moindre des choses, c’est de répondre à celui qui vous a sollicité pour lui dire pourquoi les partenaires sociaux ne veulent pas s’emparer de la négociation. Mais les choses ne se passent pas de cette façon. Demandez à M. le Premier ministre combien de courriers de ce genre il a reçus ! Je pense qu’il aura du mal à vous répondre…

Il faut donc mettre en place ce comité permanent du dialogue social, qui rendrait tout cela un peu plus formel.

La réussite des lois Auroux a été de mettre en place des instances dans les entreprises et de leur donner des personnalités morales : je veux parler du comité d’entreprise (CE) et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

Imaginez que Jean Auroux se soit contenté de dire : « À partir d’aujourd’hui, il faut négocier dans l’entreprise. » Si la négociation annuelle obligatoire n’existait pas, je ne suis pas sûr qu’on négocierait. Imaginez que Jean Auroux ait seulement parlé de la nécessité de créer des œuvres sociales. S’il n’avait pas mis en place un comité d’entreprise (CE), je ne suis pas sûr qu’il y aurait des œuvres sociales partout…

Tout cela demande de l’organisation. Imaginez la même chose à l’Assemblée nationale, c’est-à-dire que le Gouvernement envoie un projet de loi à chaque groupe, puis attende le retour…

M. le président Arnaud Richard. Je ne peux imaginer qu’aucun ministre du travail ni aucun Premier ministre ne se soit inquiété de cette situation et n’ait proposé une méthodologie aux partenaires sociaux. Ils n’ont peut-être pas toujours été très bien reçus par toutes les organisations syndicales.

M. Philippe Louis. Pour l’instant, aucune méthode n’a été retenue.

Les conférences sociales ont été mises en place pour pallier ce manque, puisque ce sont elles qui tracent les pistes, et des négociations figurent dans l’agenda social pour l’année en cours. Mais nous avons du mal à suivre l’agenda social et à traiter tous les sujets. Là encore, je pense que c’est le manque d’organisation qui est en cause.

J’ai été, pendant dix ans, membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE). On peut travailler dans ce cadre. On est saisis d’une négociation et on décide de la mener. Dans presque tous les cas, on entre tout de suite « dans le dur ».

Il y a eu des tentatives de délibération, ce qui est une bonne chose, mais, pour nous, ce n’est pas tout à fait une méthode de travail. Quand on se saisit d’un sujet, au CESE, comme sans doute à l’Assemblée, on essaie de mettre toutes les personnes qui sont autour de la table au même niveau d’information. Ensuite, on partage ou non les informations, mais on entend les spécialistes et les personnes concernées.

Quand nous nous lançons dans une négociation au niveau interprofessionnel, nous sommes entre nous. Le patronat s’empare de la chose, fait une proposition d’accord, met un texte sur la table, et nous travaillons sur ce texte, que nous n’avons pas élaboré ensemble. Pour nous, il y a un réel problème de méthode.

Nous devons organiser un comité permanent, avec différentes sections pour traiter du temps de travail, de l’assurance chômage et de la santé. Chaque section travaillerait toute l’année, procéderait à des auditions, préparerait et suivrait les accords. C’est bien de conclure des accords, mais il vaut mieux les suivre plutôt que de remettre l’ouvrage sur la table trois ans après et de commencer à faire l’état des lieux. Tout cela doit être permanent. Mais ce n’est pas comme cela que c’est organisé.

Il faut mettre en place une méthodologie, comme on l’a mise en place dans les entreprises. Même chose au niveau des branches : il faut créer un comité permanent de branche.

J’ai rencontré Mme la ministre, que j’ai mise au défi d’écrire à une branche. Une branche, c’est virtuel. Il n’y a ni adresse ni numéro de téléphone. Si vous voulez recueillir l’« avis » de la branche, vous ne pouvez pas recueillir l’avis d’un seul partenaire de cette branche. Il faut avoir l’avis de tous ceux qui y siègent.

C’est ce qui explique l’échec du Pacte de responsabilité et de solidarité. On a écrit à tous les acteurs des branches. Mais comme il y a 700 branches et huit organisations syndicales, faites le calcul, il faut faire ça par mailing, alors que, logiquement, 700 courriers auraient suffi. Un comité permanent de branche obligerait les branches à se réunir et à avoir une gouvernance « collégiale ».

Si notre idée de comité permanent n’est pas passée au niveau interprofessionnel, cela veut dire aussi qu’on remet un peu en cause l’hégémonie du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) sur la négociation.

M. le président Arnaud Richard. Manifestement, cette méthodologie ne plaît pas à tout le monde.

M. Philippe Louis. Nous avons commencé à parler de ce comité permanent quand la loi Larcher a été adoptée, parce qu’il fallait organiser les choses. À cette époque, le président Larcher était dans le même état d’esprit. Une table ronde a d’ailleurs été organisée au Sénat, mais si le président Larcher avait bien introduit le sujet, tout le monde s’en est très vite écarté par la suite !

M. le président Arnaud Richard. Jean-Claude Mailly nous a dit hier que son organisation avait été très volontariste sur la question de la méthode.

M. Philippe Louis. Oui, mais de là à institutionnaliser…

Cela a évolué depuis la loi Larcher. Même la Confédération générale du travail (CGT) commence à dire qu’elle ne veut plus aller négocier au MEDEF. Tout le monde sent bien qu’il y a quelque chose qui ne colle pas, mais personne ne propose quoi que ce soit en termes de méthode.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Vous aviez engagé des discussions interprofessionnelles sur cette question ?

M. Philippe Louis. Nous avons engagé des discussions interprofessionnelles sur la méthode. Nous sommes arrivés à un processus de bonne conduite plutôt qu’à un processus de négociation. Il y a eu une réunion, mais le projet est retombé dans les oubliettes.

M. le président Arnaud Richard. C’est tout de même un peu inquiétant !

M. Philippe Louis. Je ne suis pas en train de jeter le bébé avec l’eau du bain ! On pourrait améliorer les choses et former des gens, dans les organisations syndicales, pour qu’ils deviennent des spécialistes. Ils pourraient faire des auditions et suivre les sujets. Personnellement, je n’ai jamais autant appris que pendant les dix années que j’ai passées au CESE.

M. le président Arnaud Richard. Imaginons que le CESE soit le lieu de ce dialogue. Certains l’ont proposé et je trouve que c’est une très bonne idée.

M. Philippe Louis. En effet. Nous l’avions également proposé, car nous y voyions des avantages. Chaque organisation syndicale y a déjà un bureau, un groupe et un secrétariat.

Cela étant, il faut veiller à ne pas mélanger les genres, car il s’agit bien d’un comité permanent paritaire. Utiliser les lieux, c’est bien. On peut aussi profiter du CESE, dans la mesure où il y a des rapports qui intéressent les partenaires sociaux, tout en veillant à ce que la négociation reste paritaire pour les sujets qui relèvent du paritarisme. Il ne faut pas faire l’amalgame, car ce n’est pas au CESE qu’on doit négocier les accords interprofessionnels. Par contre, le lieu nous paraît idéal. C’est d’ailleurs ce que nous avions proposé.

M. le président Arnaud Richard. S’agissant seulement d’une méthode de travail, faut-il un garant ?

M. Philippe Louis. Je ne le pense pas. Dès lors qu’il y a une méthode dans un CE, il n’y a pas besoin de garant. Le garant, à la limite, c’est l’inspecteur du travail, auquel on fait appel quand ça ne va plus. Mais je pense qu’il ne faut pas en arriver là.

Par contre, nous estimons que les accords interprofessionnels doivent être retranscrits dans la loi. Doivent-il être retranscrits tels quels ? Pour notre part, nous pensons que c’est le législateur qui doit avoir le dernier mot. Toutefois, il doit aussi s’emparer de l’esprit qui sous-tend l’accord. Nous avons donc proposé que se tienne une réunion tripartite avec les parlementaires afin qu’ils aient une idée de l’accord et de ses points d’équilibre et qu’ils puissent apporter des modifications, tout en conservant les points d’équilibre. Il n’y a rien de pire que de se retrouver devant un accord déséquilibré. Certains même ont l’impression d’être trahis.

M. le président Arnaud Richard. Pensez-vous que l’obligation, inscrite dans la réforme de 2008, de mener une étude d’impact pour élaborer un projet de loi, soit une bonne idée ? Que pensez-vous d’une telle obligation pour les accords, afin d’éclairer, au-delà de la rencontre avec les parlementaires, la représentation nationale ?

M. Philippe Louis. L’étude d’impact est une bonne chose, car il faut recueillir le maximum de renseignements. Ce qui se passe aujourd’hui avec le projet de loi « travail » est terrible. Il y a de la désinformation et personne n’y comprend plus rien. Hier, j’ai vu circuler sur internet un excellent montage de quelques pages du projet de loi faisant croire que tous les jours fériés, y compris Noël, seraient supprimés. C’est n’importe quoi ! On est dans l’irrationnel…

Certes, il y a, dans ce projet, des mesures préoccupantes, mais il faut les expliquer. À la CFTC, la première mouture passait mal. Mais aujourd’hui, quand on explique le texte – je l’ai moi-même fait devant des militants –, elle est acceptée.

Il faut expliquer les contraintes qu’elle peut imposer, mais aussi ce qu’elle peut apporter, comme le CPA. Le monde est en train de changer, les aspirations sont autres. Il faut créer de nouveaux droits, qui ne seront pas forcément des coûts supplémentaires. Ce sera une autre organisation, une autre ouverture d’esprit. La loi travail permet d’entrouvrir la porte pour aller dans ce sens.

Je suis outré d’entendre le MEDEF demander le retrait du CPA. Cela se retournerait d’ailleurs contre lui…

M. le rapporteur. Sauf certains au MEDEF, personne ne conteste le bien-fondé du CPA. Intellectuellement, cette idée est largement partagée au sein du patronat.

En revanche, ce qui me frappe, à propos des lettres sans réponse que vous évoquiez tout à l’heure, c’est l’absence totale de concertation. Cela étant, pourquoi n’avez-vous pas répondu à la ministre que vous vouliez vous saisir de la réécriture du code du travail ? Pourquoi ne pas dire, si l’on entend donner plus de place aux accords d’entreprise, que vous voulez en discuter entre vous et avec le patronat ? Pourquoi n’avez-vous pas répondu positivement à cette demande puisqu’en l’occurrence, vous avez été saisis formellement du rapport Combrexelle ?

J’ai beau suivre le sujet depuis longtemps, je serais incapable de répondre à un salarié qui me demanderait si tout ce qui est réécrit sur le temps de travail est à droit constant. Vous avez des experts, qui ont sans doute épluché le texte. Pour ma part, des parlementaires m’ont demandé si j’étais sûr que le texte ne changeait rien à la question des astreintes. En réalité, je ne sais pas vraiment ce qu’il en est.

Ce qui m’inquiète plus, ce n’est pas tant que les choses bougent, c’est que vous, les partenaires sociaux, organisations de salariés ou d’employeurs, vous n’ayez pas eu un délai suffisant – trois mois ou six mois, par exemple – pour étudier le texte, en peser les conséquences, voir si les entreprises, sur tel ou tel sujet, en fonction de leur taille, de la présence syndicale, sont armées pour discuter de telle ou telle mesure.

Je pourrais dire la même chose sur la question du licenciement : fixer des critères valables pour toutes les entreprises de France, qui rendront les licenciements automatiques, ce n’est pas rien !

Qu’il n’y ait pas un temps pour la négociation – qu’elle aboutisse ou non – n’est pas une bonne chose pour le pays, quelles que soient les idées qu’on a sur le sujet. Pour ma part, en tant que parlementaire, j’ai l’impression de légiférer un peu à l’aveugle.

C’est pour cette raison que je suis très sensible, ainsi que le président de la mission d’information, aux questions de méthode. Pour moi, cela suppose une obligation de se réunir et, au-delà des études d’impact, des moyens en termes d’expertise juridique et de simulation. Il faut, en effet, pouvoir évaluer le coût de telle ou telle idée, par exemple, en matière d’assurance chômage.

En ce qui concerne l’articulation entre les partenaires sociaux et le Parlement, je me réjouis que vous portiez cette vision du rôle du parlementaire et du négociateur. C’est ce que j’appelle une « valse à trois temps ». Nous devons à la fois respecter les accords qui nous sont transmis et être libres de modifier ce qui ne nous paraît pas conforme à notre vision des choses.

Pour ma part, je ne voterai jamais une mesure autorisant des lettres de licenciement non motivées, même s’il arrive que des employeurs soient condamnés alors qu’il y a faute manifeste du salarié. Je pense que la plupart des parlementaires ne la voteraient pas non plus. C’est une sorte de ligne rouge que nous nous sommes fixée, pour éviter de nous retrouver dans une situation où vous signeriez un accord en contradiction avec ce que nous aurions voté.

Cela étant, je serais prêt, intellectuellement, à envisager la situation inverse. Si ce comité permanent était créé, vous pourriez auditionner un rapporteur ou les groupes politiques de l’Assemblée nationale pour leur demander leur avis, puis prendre en compte cet avis lorsque vous négociez.

Il nous faut inventer une articulation intelligente. Je porte depuis longtemps l’idée d’une institutionnalisation du dialogue social au plan interprofessionnel, avec des comités de rédaction. Car, aujourd’hui, ce sont des textes du MEDEF que nous avons jusqu’à une heure avant la signature d’un accord. Les négociations se font en back office, les syndicats sachant très bien comment elles vont se terminer car, la dernière nuit, tout change. Nous vivons dans un système médiatique, et ceux qui ont émis des critiques, même si l’accord final leur convient, ont du mal à changer de position parce que le débat s’est figé dans l’opinion publique. Ce serait très différent si nous avions un comité de rédaction et un texte qui converge vers le point d’arrivée, au lieu d’un texte du MEDEF amendé.

Cela étant dit, j’insiste sur la question des moyens. En tant que parlementaires, nous souffrons, par rapport à l’appareil d’État, d’une insuffisance de moyens. Malgré la grande qualité de nos administrateurs, les moyens de l’Assemblée sont, en termes quantitatifs, cent fois moins importants que ceux de l’État, et cela nous bride dans notre capacité d’expertise des textes qui nous sont proposés. Je pense que cette question sera fondamentale pour vous.

Pensez-vous que ce comité rapatrierait en son sein les groupes paritaires de négociation concernant les retraites complémentaires ou l’UNEDIC et tous ceux qui sont associés à des organismes de gestion paritaire ?

M. Philippe Louis. Oui. Pour moi, cela fait partie de la négociation interprofessionnelle. En ce qui concerne l’accord UNEDIC, d’ailleurs, l’ANI de 2012 prévoit la séparation entre l’administration des organismes et les négociateurs, même si l’on doit garder un lien.

Au niveau des organisations syndicales, le financement a été très critiqué, mais je pense que la loi sur le financement a apporté de la transparence.

Une autre partie du financement, qui nous permet d’avoir des conseillers techniques, nous est apportée par des organismes comme l’UNEDIC ou les caisses d’allocations familiales. C’est ce qui nous donne l’expertise

Les conseillers techniques de la CFTC, qui ont généralement un bon niveau – bac+4 ou bac+5 – et une expertise, nous aident à bâtir les négociations. Je pense pouvoir dire que nous avons l’expertise et que nous pouvons légitimement négocier aussi bien techniquement que politiquement. Cela se passe plutôt bien. Mais il ne faut pas non plus que ce soit remis en cause toutes les cinq minutes.

M. le président Arnaud Richard. J’en reviens à ce comité permanent, qui serait presque « de salut public », et à la loi « travail », qui ne me satisfait pas plus que mon collège Jean-Marc Germain, alors que nous sommes, l’un dans la majorité, l’autre dans l’opposition. Je ne fais pas là une critique du Gouvernement, mais une critique de la méthode et de la situation dans laquelle nous sommes. Cela aurait pu arriver de la même façon à un gouvernement de droite.

Croyez-vous que le moment soit bien choisi, à la veille d’une élection présidentielle, alors que des acteurs très puissants, candidats, voire ancien Président de République pour l’un d’entre eux, souhaitent mettre à mal le paritarisme ? C’est inquiétant. Mais ils ne l’ont pas dit par hasard… Peut-être l’ont-ils dit parce que c’était le fruit d’une expérience ?

Y a-t-il un moyen d’arriver à ce que des acteurs paritaires aient une méthode leur permettant de négocier efficacement dans le cadre de leurs responsabilités ? Ce serait une révolution heureuse puisqu’on demanderait à ceux qui ont des responsabilités de les exercer. Tous ceux qui sont amoureux du dialogue social, comme votre serviteur, sont malheureux de la situation actuelle. Comment accepter, lorsque le Premier ministre vous écrit, le fait que personne ne réponde, que tout le monde s’en fiche et qu’on garde les lettres sous le coude ? Je schématise, mais j’assume mes propos.

Nos compatriotes ne le comprennent pas. Le paritarisme est un vaste sujet. Notre constat est qu’il est très efficace, mais qu’il n’y a ni synthèse ni capacité à travailler ensemble pour faire avancer la société.

M. Philippe Louis. Nous sommes persuadés qu’il faut, quel que soit le temps politique, régler ce problème en mettant en place des structures qui permettent de fonctionner.

Notre problème, c’est qu’on ne sait pas suffisamment s’écouter, se mettre à niveau, et qu’on est sans arrêt bousculés par l’agenda social… Du coup, on a très peu de monde sur tous les sujets. À la CFTC, comme dans les autres organisations syndicales, on voit toujours les mêmes. Essayez de vous remémorer qui sont les négociateurs pour chacune des organisations : vous en trouverez, au mieux, trois ou quatre par organisation. Cela pose aussi le problème de la relève et celui du professionnalisme des organisations syndicales. Il faut avoir le temps de former des militants. C’est tout cela qui est en jeu.

Le syndicalisme, aujourd’hui, doit prendre plus d’ampleur. Nous nous plaignons tous d’avoir de plus en plus de mal à trouver des militants. Nous devons y réfléchir. Aujourd’hui, on est militant cinq ou six ans par conviction, puis on patine un peu pendant cinq ou six ans. Ensuite, on est militant par obligation, parce qu’on ne sait plus quoi faire d’autre ni où se recaser.

Il faut assurer des déroulements de carrière. Dans l’ANI de février 2012, comme dans la loi, il est question de la validation des acquis de l’expérience (VAE). Il faut mettre tout cela en place. Il s’agit de parcours de vie. J’ai l’impression, aujourd’hui, quand on va dans une direction, qu’on se dirige à chaque fois vers une impasse et qu’il faut faire marche arrière pour pouvoir prendre une autre direction.

Faisons en sorte qu’on puisse aller dans une direction, puis dans une autre, sans être obligés de faire marche arrière. Il faut créer des passerelles. C’est le problème dans le syndicalisme, dans les filières et dans la formation. En cas d’échec, on ne devrait pas être obligé, à chaque fois, de repartir de zéro.

M. le président Arnaud Richard. Le contrat première embauche (CPE), qui n’était pas un franc succès, a eu pour conséquence l’article L.1 du code du travail, ce qui est plutôt une bonne chose. Pour autant, on ne peut pas dire qu’on l’applique souvent aujourd’hui.

M. le rapporteur. Les articles 2, 11 et 30 du projet de loi El Khomri posent des questions fondamentales sur le code du travail.

L’article 2 concerne l’articulation entre la négociation de branche et la négociation d’entreprise. On renverse totalement les choses, sur un sujet qui n’est pas mineur puisqu’il concerne la vie des salariés et l’organisation quotidienne du travail.

L’article 11 propose que l’accord collectif prime sur le contrat de travail. Vous avez négocié pendant des mois pour que cette disposition ne s’applique que dans les cas « pathologiques » où l’entreprise et sa pérennité sont remises en cause, ce que nous avions admis à l’Assemblée nationale. On peut imaginer, par exemple, baisser les salaires et le temps de travail pendant deux ans si la situation est réversible.

Puis il y a eu ouverture totale : cette disposition pouvait s’appliquer dans n’importe quelle situation. Dès lors qu’il y avait un accord majoritaire, il primait sur le contrat de travail, sauf si le salaire baissait, et encore, tout cela étant fixé par décret. Bref, on ne sait pas comment tout cela va se terminer.

Enfin, l’article 30 introduit des critères « automatiques » de licenciement, qui font de la main-d’œuvre une variable d’ajustement plutôt qu’un dernier recours. Personnellement, je ne connais pas de PME qui n’ait pas un trimestre de baisse de chiffre d’affaires dans l’année, parce qu’en général c’est ce qui arrive pendant l’été.

Les questions posées par ces trois articles sont fondamentales.

Pour ma part, je me demande pourquoi vous ne vous en êtes pas emparés en écrivant au Premier ministre pour lui dire qu’il s’agissait de sujets très importants, que vous n’étiez pas opposés à des évolutions, mais qu’il fallait que chaque entreprise puisse s’adapter, et prendre le temps de réfléchir à toutes les conséquences de ces mesures.

Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ? Pourquoi ne le feriez-vous pas maintenant ? Il n’est jamais trop tard pour bien faire…

M. le président Arnaud Richard. Dès lors qu’il n’y a pas de méthode, si l’une des huit organisations s’empare du sujet, il s’impose aux autres.

M. Philippe Louis. Si j’écris au Premier ministre pour lui dire que je veux me saisir de la négociation, je ne suis pas sûr, pour autant, que la négociation ait lieu…

M. le président Arnaud Richard. Il faudrait peut-être appliquer la théorie du colibri. Il faut que chacun fasse sa part, même si c’est une petite part.

M. Philippe Louis. Tout à fait ! Dès lors que nous avons des idées, nous les défendons.

J’en reviens aux accords de branche. En ce qui concerne la loi travail, nous tenons au rôle-pivot de la branche. La branche doit rester le régulateur, tout en donnant des possibilités de négocier dans l’entreprise. Nous ne pensons pas que ce soit l’entreprise qui doive décider.

Le projet de loi va un peu plus loin parce qu’il met la négociation au niveau de l’entreprise. Ce que nous revendiquons, si la négociation n’aboutit pas dans l’entreprise, c’est qu’elle remonte vers la branche et que ce soit la branche qui décide. Nous ne voulons pas de décision unilatérale.

Nous aurions voulu que la branche puisse mieux cadrer les négociations dans l’entreprise. Ce droit de cadrage peut porter sur des taquets, mais aussi sur des professions ou des filières. Il y a aujourd’hui certaines catégories d’entreprises, comme les start-up, où le code du travail devient un carcan contreproductif pour les salariés. Du coup, ces entreprises deviennent des zones de non-droit. Les ouvertures doivent être plus larges dans ces entreprises, parce que c’est ce à quoi aspirent les salariés. S’agissant des horaires, par exemple, il n’est pas réaliste d’imposer des règles. Cela étant, il faut que ce soit bien cadré.

On voit de plus en plus de pépinières de start-up. Le village « by CA », par exemple, compte environ quatre-vingts start-up, qui sont ouvertes sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il y a toujours du monde. Tous ces gens-là devraient faire trente-cinq heures, avoir onze heures de repos quotidien et ne travailler ni le dimanche ni la nuit.

À mon avis, ce ne sont pas forcément les patrons qui sont là, ce sont sans doute les salariés. Que faire ? Le plus raisonnable est de ne pas inciter les inspecteurs du travail à y aller, sinon ils vont tout fermer. Mais cela peut se retourner contre les salariés.

C’est la même chose pour le droit à la déconnexion. Il faut faire prendre conscience aux patrons qu’ils ont des obligations. Ce ne sont pas les salariés qui règleront le problème du droit à la déconnexion, ce sont les patrons. Le salarié ne se déconnectera pas de son propre chef. Mais si son patron le lui dit, il changera ses habitudes, sachant qu’on ne lui reprochera pas, le lundi matin, de s’être déconnecté.

Il faut parfois laisser une certaine liberté pour opérer de tels changements de comportement. Du coup, les organisations syndicales doivent jouer leur rôle, c’est-à-dire accompagner tous ces salariés. C’est pourquoi le mandatement est important pour nous. Ce n’est pas pour faire de l’ingérence dans les entreprises, mais il faut que les salariés aient quelqu’un vers qui se tourner, ne serait-ce que pour maîtriser le droit, et surtout pour avoir des contacts avec d’autres salariés qui travaillent dans les mêmes conditions qu’eux.

Le syndicalisme, c’est aussi l’ouverture des entreprises vers l’extérieur. Encore une fois, il ne s’agit pas de faire de l’ingérence, mais de savoir comment les problèmes se règlent ailleurs. C’est à cela que nous croyons. Il faut que le syndicalisme se professionnalise.

Si les gens, au sein du syndicalisme, sont livrés à eux-mêmes, si on ne les accompagne pas, si on ne les forme pas, on va à la catastrophe. Cela étant, on a envie de se former quand on est mis en responsabilité. Si on forme les gens et qu’il n’y a aucun enjeu, cela n’a pas d’intérêt.

Je dis à mes militants que je leur fais confiance, qu’ils ont une énorme responsabilité, mais que je vais les aider à assumer, à faire en sorte qu’il n’y ait pas de dérapage dans une négociation d’entreprise. Nous croyons à la négociation d’entreprise dès lors que nous avons des militants, des délégués qui sont formés, informés, soutenus, et qui peuvent se retourner vers d’autres collègues du syndicat. Nombre d’entre eux, en effet, ont tendance à se dire qu’il vaut mieux refuser la négociation parce qu’elle risque de mal tourner.

Le plus sage, j’en suis d’accord, serait d’avoir des délégués bien formés dans toutes les entreprises. Une fois qu’on les a bien formés, on met en place la négociation. Il faut mettre les gens devant leurs responsabilités et les protéger. C’est pourquoi, dans un premier temps, la branche, selon nous, doit rester le régulateur. On doit ouvrir les portes pour qu’il n’y ait pas de dérapage et, une fois que tout sera professionnalisé, on pourra peut-être aller un peu plus loin pour laisser plus de liberté au salarié, qui pourra y trouver son compte.

M. le rapporteur. Je comprends les principes que vous venez d’exposer. Mais si quelqu’un me demande ce que l’on pourra faire, demain, avec la loi « travail », que l’on ne peut pas faire aujourd’hui, par exemple, je suis incapable de le dire.

Aujourd’hui, hormis la rémunération des heures supplémentaires ou les maxima, tout ce qui relève de l’organisation du temps de travail peut être fixé au niveau de la branche, laquelle peut laisser aux entreprises la responsabilité de fixer tel ou tel paramètre. Au-delà du principe selon lequel l’entreprise est dominante et la branche subsidiaire, je ne vois pas ce que cela change concrètement. Pour reprendre l’exemple que vous avez cité, la loi ne changera rien. Si une personne travaille sept jours sur sept, 60 heures par semaine, 365 jours par an, son cas ne rentre pas dans le cadre du code du travail et l’entreprise ne peut pas négocier sur ce point.

Sans parler du fond, ne pas avoir eu de discussions approfondies entre représentants des salariés et représentants des entreprises est très regrettable au regard des sujets traités, car ils sont tout sauf anodins. Quelles que soient nos convictions personnelles, nous avons beaucoup de mal à légiférer sur ces questions.

En ce qui concerne le licenciement, par exemple, je peux dire qu’il ne suffit pas de parler d’une baisse du chiffre d’affaires. Il faudrait parler d’une baisse du chiffre d’affaires trimestriel qui serait substantielle, large, massive, qui correspondrait à une baisse importante d’activité etc. On pourrait s’amuser à déposer une multitude d’amendements de ce type…

Mais, en l’occurrence, on touche à la vie quotidienne des entreprises, à leur capacité à fonctionner dans la mondialisation et à la protection des salariés. Je considère que nous ne sommes pas en mesure de légiférer intelligemment et en conscience, parce que la négociation n’a pas eu lieu. Voilà pourquoi, vous l’aurez compris, je souhaite vivement que vous vous empariez du sujet. Cela me semble particulièrement important, car, l’un comme l’autre, nous croyons au dialogue social, qu’il aboutisse ou non. Nous sommes plus efficaces quand nous légiférons en nous appuyant sur des discussions qui sont allées jusqu’au bout.

C’est la même chose pour le CPA, le compte personnel de formation (CPF) ou le compte pénibilité. Tout le monde est d’accord sur le principe, mais il n’y a pas eu de concertation sur les modalités. Est-ce parce que le sujet a été traité dans le cadre d’une loi sur la Sécurité sociale, alors qu’il concernait en grande partie le champ du travail ?

M. Philippe Louis. Je prends l’exemple de l’ANI du 11 janvier 2013. Quand nous l’avons signé, certains nous ont dit que nous ne verrions jamais se concrétiser tout ce qui est positif, mais seulement tout ce qui est négatif, comme les accords de maintien dans l’emploi (AME).

Or, tout ce qui était positif dans l’ANI 2013 a été mis en place : le CPF, les droits rechargeables, la mutuelle pour tous. Quasiment aucune des catastrophes qu’on nous avait annoncées n’a eu lieu. Il n’y a pas eu beaucoup d’AME, alors qu’on nous avait dit que tout le monde allait y recourir. Je dirais même qu’il n’y en a pas eu assez. Si on avait pu avoir quelques accords à la hauteur de l’accord signé à Saint-Nazaire, on aurait peut-être plusieurs « Saint-Nazaire » en France.

Les accords que l’on retrouve dans la loi El Khomri ne sont pas contre nature, parce qu’il y a beaucoup d’endroits où les salariés sont prêts à faire des sacrifices pour créer de l’emploi. Ce que nous demandions, c’est que la notion de retour à meilleure fortune soit clairement actée. Si ça va mieux, ça veut dire qu’on a embauché plus, qu’on produit plus et qu’on a amélioré les marges. Il faut que les salariés puissent, eux aussi, avoir un retour à meilleure fortune, dans le cadre d’un retour à la bonne santé de l’entreprise. Ce qui peut se faire, par exemple, par l’intéressement. Il faut que tout cela soit acté. Dès lors que ça va mieux, les salariés qui ont fait un effort doivent pouvoir bénéficier, eux aussi, des fruits de la croissance. Cela pourrait aussi être inscrit dans la loi.

M. le président Arnaud Richard. Monsieur le président, je vous remercie pour la franchise et la pertinence de vos propos, qui nous rassérènent dans cette ambiance un peu morose liée au projet de loi travail.

*

Puis la mission entend Mme Marie-Françoise Leflon, secrétaire générale de la Confédération française de l'encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC).

M. le président Arnaud Richard. Nous vous remercions, madame, d’avoir accepté notre invitation à contribuer aux travaux de notre mission d’information. Cette audition a pour objet de connaître le regard porté par la CFE-CGC sur ce qu’est devenu le paritarisme, sur ses fondements, son fonctionnement, ses dysfonctionnements et les évolutions qui vous paraissent souhaitables. Les fonctions que vous avez exercées, madame la secrétaire générale, à l’Union nationale pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (UNEDIC), à Pôle Emploi, à l’Agence de la formation professionnelle pour adultes (AFPA), et vos fonctions, anciennes et actuelles, à l’Agence pour l’emploi des cadres (APEC), vous ont permis de vous forger une opinion incisive et informée sur ce mode de gouvernance. En un moment politique délicat où le paritarisme est mis à mal, notre mission sera d’autant mieux éclairée que vous parlerez sans langue de bois.

Mme Marie-Françoise Leflon, secrétaire générale de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC). Nous vous remercions de nous avoir invitées à traiter d’un sujet qui nous tient particulièrement à cœur car la CFE-CGC a en quelque sorte le paritarisme dans les gènes. Le dialogue social, c’est la solidarité et un modèle social fondé sur une forme d’intelligence collective plus que jamais nécessaire dans une mondialisation qui chahute les relations professionnelles des individus. Le moment est donc bien choisi pour faire le point et j’admire que vous ayez ouvert cet immense chantier. Vos auditions relatives aux retraites complémentaires, à l’UNEDIC, et maintenant au paritarisme écrivent un livre utile.

Je tenterai dans un premier temps de répondre au questionnaire que vous nous avez adressé. La CFE-CGC s’est inscrite d’emblée dans la sphère du paritarisme, apparu en 1947 avec la création de l’Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC). Il s’agissait de répondre aux attentes et aux besoins par la création d’une organisation qui s’empare du sujet considéré et qui crée ses propres règles ; cela ne doit jamais être oublié. Cet acte fondateur est né de l’idée que des droits complémentaires étaient nécessaires et que, la loi ne pouvant tout régler, les partenaires étaient aptes à les définir. Une fois les normes conçues, on apprend à gérer les droits créés. Si dysfonctionnements il y a, c’est dans la gestion, mais le principe du paritarisme demeure fondamental.

Après l’AGIRC ont été créés l’UNEDIC, en 1958 ; l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO), en 1961 ; l’Association pour l’emploi des cadres (APEC), en 1966 – un modèle de gouvernance exemplaire – ; la formation professionnelle continue, par la loi de 1971 révisée par le texte refondateur de mars 2014. On se gardera d’oublier les organismes du « 1 % logement » : étant donné les difficultés que l’on connaît pour se loger en France, le système paritaire créé en 1953 est singulièrement nécessaire pour accompagner les parcours professionnels tout au long de la vie.

Pour la CFE-CGC, le paritarisme, c’est la définition des normes issues de la négociation collective, l’interprétation de ces normes et la gestion qui en découle. Depuis quelques années, les conférences sociales ont pour rôle de guider l’avenir. Quand les partenaires sociaux sortent d’une conférence sociale munis d’une feuille de route définie grâce à des échanges entre tous les acteurs, ils sont au plus près des attentes des individus. Il peut en découler des accords interprofessionnels puis leur transcription dans la loi. Ce cheminement d’une grande sagesse est un gage de sécurité et de proximité dans l’élaboration des normes. C’est l’armature du paritarisme, qui n’existe que quand il crée des droits, telles l’assurance-chômage ou les retraites complémentaires. Ensuite, les partenaires sociaux savent gérer ce qu’ils connaissent et ils le font bien – j’en donnerai pour exemple le projet d’accord qui s’est trouvé cette nuit même sur le régime d’assurance-chômage des intermittents du spectacle. Il faut nous faire confiance. On ne peut pas se passer du paritarisme, forme de régulation sociale permettant de concilier les intérêts divergents d’un patronat qui a des exigences nées de son modèle économique et de salariés en souffrance parce que ce modèle n’est plus adapté et doit être revu, mais avec des sécurités dont la définition justifie une réflexion des partenaires sociaux.

Enfin, pour nous, militants, le paritarisme est l’école du respect et de l’écoute de l’autre. Décider ensemble, c’est un modèle qui guide la France et qui ne réussit pas si mal, une méthode qui est confrontée à la réalité ou, si l’on préfère, une réalité qui conduit à une méthode ; dans tous les cas, c’est une façon de faire que nous défendrons toujours.

Mais, vous avez raison, nous sommes à un tournant. Le champ du paritarisme est-il satisfaisant ? Faut-il l’étendre ? Faut-il le restreindre ? La réflexion sur le compte personnel d’activité (CPA), outil de sécurisation du parcours professionnel tout au long de la vie, nourrit ce questionnement. Pour autant, il est difficile de répondre à la question telle qu’elle est posée puisque, pour les salariés, le champ du paritarisme ne sera jamais satisfaisant et que le patronat le jugera toujours encombrant, lourd et contraignant. Mieux vaut donc s’interroger sur la légitimité du paritarisme. Là est peut-être la faiblesse des organisations syndicales, et aussi celle d’un État qui reconnaît cette légitimité dans les textes mais pas dans la pratique. Le dispositif n’est pas clair. Ainsi, la loi dit la légitimité du dialogue social, mais si la représentativité des organisations syndicales est mesurée depuis 2008, celle des organisations patronales ne le sera qu’à partir de 2017. Des décalages permanents de calendrier et la dispersion des instances de décision empêchent de dessiner, dans la sérénité, des schémas durables. Aussi, c’est sur le rôle réel du paritarisme qu’il convient de s’interroger, d’autant qu’il existe beaucoup d’accords interprofessionnels, des systèmes de paritarisme pur – tel celui de l’APEC –, des systèmes de paritarisme mixte, et encore des systèmes plus diversifiés, plus compliqués et certainement moins efficaces. Il y a aussi le niveau interprofessionnel et désormais le niveau régional, et l’on doit apprendre ; la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle y aidera.

En résumé, la légitimité du paritarisme n’est pas contestée, mais son application souffre de la dispersion de la prise de décision. Les partenaires sociaux créent des droits et savent les gérer, mais il vient un moment où tout le monde se prend les pieds dans le tapis en se focalisant sur les déficits des régimes gérés paritairement, observés sur une courte période. Il y a peu d’évaluation du paritarisme de gestion pur : on reporte toujours celle des accords nationaux interprofessionnels et des systèmes, et l’on s’en tient à une analyse faite par le petit bout de la lorgnette, en constatant le déficit d’un organisme paritaire – ce qui fâche l’État, car cela a un impact sur la dette publique. Mais les analyses faites par le Conseil d’orientation des retraites (COR) il y a trente ans sur la base de tables de mortalité sont toujours sensées, comme est toujours sensé le modèle de l’UNEDIC. On oublie que pendant certaines périodes la croissance fait défaut, ce qui entraîne des à-coups pour les régimes gérés paritairement, et l’on reproche aux partenaires sociaux ce qui s’explique par la conjoncture économique. Voyez ce qu’il en est pour l’UNEDIC : tout point de croissance supplémentaire entraîne la création de 145 000 emplois nets, et le modèle fonctionne. C’est pourquoi j’ai supplié le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) de ne pas toucher, en 2011, à la convention d’assurance-chômage, car je savais que la crise de 2008 allait entraîner de nombreux plans sociaux ; j’ai été entendue. De même, les partenaires sociaux vont maintenant mettre au point des modes de financement intelligents de l’accord sur l’indemnisation des intermittents du spectacle. Mais ils sont toujours soumis à des facteurs externes dont on les rend responsables alors qu’ils ne le sont pas. Pour mesurer le rôle qu’ils jouent véritablement, un minimum d’honnêteté s’impose dans l’analyse de l’équation sociale et économique. Les travaux de votre mission y aideront peut-être ; c’est une bonne chose, car il n’y a pas de lieu pour en débattre, singulièrement pour ce qui concerne la sécurité sociale. On pourrait aussi parler de l’inflexion de l’État, de son immixtion, des ponctions opérées à certaines époques sur le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels…

En résumé, le paritarisme a une légitimité ; ensuite, les résultats qu’il obtient doivent être mesurés. À cet égard, n’existerait-il pas que nous serions dans une situation semblable à celle qu’ont connue l’Espagne et l’Italie, pays dont les populations ont gravement souffert des conséquences de la crise. En France, le paritarisme a joué le rôle d’amortisseur social. Si chacun voulait bien en convenir, ce serait un acquis en soi.

Le paritarisme crée des droits, nés d’un accord initial dont le financement est décidé ensemble. Seulement, l’assiette des cotisations se réduit au fil des ans, car les cotisations sont toujours définies sur la base du statut salarié type alors que toutes sortes de statuts et de montages juridiques ont été inventés. Il n’est pas rare que l’on incite un salarié de 57 ans à s’inscrire au chômage tout en lui expliquant que l’on a besoin de ses compétences auprès de clients qui ne veulent avoir affaire qu’à lui ; en conséquence, on lui propose un contrat de six mois complété par du portage salarial et de l’auto-entreprenariat. Du fait de cette imagination débordante, l’assiette de la cotisation s’amenuise. Or les droits doivent être financés ; autant dire que si l’on envisage d’étendre le champ du paritarisme, il faut aussi élargir les assiettes de cotisation. Le CPA permettra que nous ayons ce débat. Dans des systèmes tels que l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS), les caisses de congés payés ou Action Logement, nous ne pouvons pas intervenir : seul le patronat peut décider d’augmenter la cotisation temporairement pour sauver les salaires et de la baisser quand il y a de nouveau des créations d’emplois. Les choses sont particulièrement ardues pour ce qui concerne Action Logement : une réforme compliquée est en cours dans laquelle les partenaires sociaux sont impliqués, mais c’est l’État qui décide de la politique du logement et qui flèche les investissements.

M. le président Arnaud Richard. C’est un bon exemple. J’ai constaté, en étant aux premières loges, la capacité d’innovation des partenaires sociaux, qui ont participé à la rénovation urbaine de notre pays au sein d’Action Logement et contribué à la solidarité nationale alors que ce n’était pas le champ du paritarisme. Considérez-vous que l’on puisse étendre aux fonctionnaires le principe qui sous-tend Action Logement ? Du jour au lendemain, un énorme volant de logements leur serait proposé ; ce serait une innovation considérable.

Mme Marie-Françoise Leflon. En matière de solidarité et de mutualisation, tout est possible. Cela impliquera certes des redéfinitions, mais voyez les réflexions en cours sur le CPA : pourquoi ne pas étendre le bénéfice d’un droit tout au long de la vie à d’autres statuts que celui du salarié classique – fonctionnaires, auto-entrepreneurs… – ? Au tout début de nos travaux sur le CPA, j’avais demandé à nos juristes d’envisager l’inclusion dans le dispositif d’un droit au logement pendant les périodes de transition professionnelle. Seulement, l’enthousiasme se heurte à la réalité. On peut en effet concevoir un droit au logement attaché au salarié tout au long de sa vie ; mais qu’adviendra-t-il de cette belle idée, sachant les difficultés que la CFE-CGE éprouve à faire admettre au patronat que l’on commence par inclure dans le CPA le compte épargne temps ? Pourtant, ce pourrait être un outil formidable en faveur de la reconversion professionnelle. Donc, l’idée est excellente, mais elle est difficile à mettre en œuvre alors que se profile pour Action Logement l’exercice compliqué qu’est la centralisation en un groupe national unique des 22 comités interprofessionnels du logement. Surtout, on s’aperçoit que la distribution des logements par le biais des entreprises ne va pas directement aux salariés qui étaient concernés : les partenaires sociaux conservent la maîtrise de la construction et de la rénovation, mais ce n’est plus le cas de l’aide pure au logement. Le droit initial s’est en quelque sorte perdu en cours de route, notamment pour les personnels d’encadrement.

Cela étant, le paritarisme a su bâtir l’AGIRC et l’APEC, et l’on peut très bien imaginer que les générations qui nous suivront sauront, elles aussi, faire ce qu’il faut. Au demeurant, toute réflexion sur le champ d’intervention du paritarisme amène à réfléchir à la composition des conseils d’administration. Les choses sont très différentes selon qu’y siègent uniquement des partenaires sociaux, ou selon qu’ils sont élargis à des personnalités qualifiées ou qu’y figurent un commissaire du Gouvernement ou des représentants des régions ; dans tous ces cas, l’exercice est plus lourd.

Le logement joue un rôle décisif au service de l’employabilité, la CFE-CGC en est convaincue ; mais, je le redis, nous sommes favorables à l’élargissement des missions du paritarisme si, en parallèle, les financements sont étendus.

La CFE-CGC s’est embarquée dans l’aventure de la formation professionnelle avec l’envie d’améliorer l’outil, mais le financement du dispositif est compliqué. Nous sommes favorables à la transparence car nous voulons rectifier l’image du système de financement de la formation professionnelle par les partenaires sociaux. J’observe toutefois que la loi a été promulguée en mars 2014, que la suppression des anciens mécanismes a été effective le 1er janvier 2015 mais que les décrets d’application du nouveau texte n’ont été publiés qu’un an plus tard, si bien que les organisations professionnelles ont dû justifier a posteriori l’utilisation conforme des fonds qu’elles avaient reçus ; c’est un exercice difficile. D’évidence, les différents volets de tout nouveau système doivent être mis au point en même temps. À cela s’ajoute le fait que la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi a ajouté aux missions du Fonds paritaire le financement de l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) et celui du dialogue social territorial, sans avoir modifié l’assiette du financement ; cela a pour effet de réduire les moyens disponibles. En d’autres termes, il faut toujours vérifier que les mesures proposées sont applicables et, donc, suffisamment financées : penser le paritarisme, c’est ne pas lui allouer une enveloppe étale à vie.

Il faut aussi financer la formation des administrateurs, qui doivent être de plus en plus compétents. Dans une organisation représentative nationale telle que la nôtre, les équipes sont très restreintes, et le détachement pour exercer un mandat syndical n’existe pas dans le secteur privé. Si le paritarisme était mieux financé, les partenaires sociaux pourraient être mieux formés ; la négociation y gagnerait en qualité.

M. le président Arnaud Richard. Je partage ce point de vue. Il est irresponsable de confier la responsabilité de la gestion de milliards d’euros à des hommes et des femmes sans leur permettre d’exercer ce mandat dans des conditions convenables, avec un statut particulier et en leur donnant 40 euros par trimestre pour toute indemnité.

Mme Marie-Françoise Leflon. C’est un fait. On pourrait s’inspirer du détachement pour exercer un mandat syndical qui existe dans la fonction publique. Pour ce qui nous concerne, il n’y a aucune indemnité. Il nous faut pourtant des équipes préparant la réflexion, et il faut donner aux négociateurs les moyens de remplir leur fonction. Nous voudrions nous spécialiser car la compétence des administrateurs est très importante pour la bonne gouvernance d’organismes tels que les caisses de sécurité sociale ou de retraite complémentaire. La dernière réforme des retraites complémentaires est un très bel exemple de ce que peut faire le paritarisme. La fusion de l’AGIRC et de l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO) s’est accompagnée d’une harmonisation financière qui impliquait de se pencher sur les taux de mortalité, de choisir la bonne règle systémique, de calculer des simulations actuarielles… Le paritarisme de gestion demande des compétences ; je me félicite que vous le reconnaissiez, car c’est souvent passé sous silence. Le modèle de dialogue social des pays du Nord nous fait rêver, mais il y a du chemin à parcourir ! Il est fondamental pour l’avenir du paritarisme, dont l’utilité est indéniable, d’engager une réflexion sur les moyens qui doivent lui être alloués pour qu’il s’exerce dans de bonnes conditions, sur le cumul des mandats et sur la validation de l’expérience acquise par les militants dans ces fonctions. La loi dite Rebsamen a commencé de le faire mais il faut aller plus loin.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Indépendamment des moyens alloués au paritarisme, qui nous semblent insuffisants, quel circuit vous semble le meilleur ? Êtes-vous favorable à un Fonds paritaire généralisé, avec des clés de répartition en fonction de l’audience, ou souhaitez-vous que, comme c’est le cas à l’UNEDIC, les conseillers techniques soient financés directement par l’organisme considéré ?

Mme Laurence Matthys, responsable du service Travail-Emploi de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC). La question se pose en pratique puisque le Fonds paritaire peut recevoir des financements de différentes sources : ceux de la formation professionnelle mais aussi, par exemple, ceux de l’emploi. L’idée d’un fonds paritaire est apparue pour en finir avec la suspicion qui entourait le financement de la formation professionnelle ; les autres fonds gérés par les partenaires sociaux – ceux de l’emploi et ceux de la retraite complémentaire – n’étaient pas attaqués. Les chiffres avancés – 30 milliards d’euros – étaient d’ailleurs fantaisistes : les partenaires sociaux ne gèrent pas pareil montant, et ce montant incluait les dépenses de la formation professionnelle gérée par l’État. La CFE-CGC, qui est favorable à la transparence, a parfaitement admis qu’elle figure au nombre des critères de représentativité depuis 2008. Fallait-il pour autant créer un fonds paritaire ? Ce n’était pas obligatoire et l’on pouvait imaginer d’autres leviers, mais le choix du Gouvernement a été celui-là et nous y avons souscrit pour la formation professionnelle.

Mais, comme vient de le rappeler Mme Leflon, la loi date de mars 2014 et les règles permettant qu’elle s’applique n’étaient toujours pas arrêtées en 2015. Les premiers justificatifs ont été produits il y a un mois, alors que les règles ne sont pas encore stabilisées. N’étant pas encore en mesure d’apprécier comment les choses fonctionneront pour la formation professionnelle, nous ne nous prononcerons pas tout de suite sur le point de savoir s’il faut généraliser le dispositif. Nous attendrons que le Fonds paritaire soit complètement installé avant d’envisager éventuellement d’y intégrer d’autres fonds. D’autre part, le Fonds est sous-tendu par une logique d’harmonisation. Or, les financements sont différents selon les types de paritarisme : ainsi, l’AGIRC et l’UNEDIC ont des conseillers techniques, ce qui n’est le cas ni à l’APEC ni dans certains organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA). Si nous constatons, d’ici trois ou quatre ans, que le Fonds paritaire répond bien aux objectifs qui lui ont été assignés, nous pourrons considérer l’idée d’y intégrer d’autres fonds gérés paritairement. Mais l’expérience de la fusion entre l’UNEDIC et l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) a montré que lorsque l’État apporte des fonds, il a tendance à supprimer les compétences mises à disposition pour aider à remplir les mandats d’administrateurs et de négociateurs : c’est ainsi que les conseillers techniques financés par une subvention ANPE ont disparu lors de la fusion avec Pôle Emploi.

M. le président Arnaud Richard. C’est un sujet délicat. Toutes les organisations syndicales, de salariés et d’employeurs, accordent une grande importance aux conseillers techniques. La philosophie générale est-elle vraiment d’allouer les moyens là où ils sont nécessaires ou, pour dire les choses de manière diplomatique, est-ce le fruit d’une histoire et de rapports de forces ?

Mme Marie-Françoise Leflon. Il s’agit de gérer des milliards d’euros. Pour avoir siégé plusieurs années aux conseils d’administration de Pôle Emploi et de l’UNEDIC, je puis témoigner avoir vu passer tous les mois des dossiers énormes. Réfléchir, au sein de Pôle Emploi, à une segmentation de populations demande de très importantes simulations financières et des heures de travail, le tout sans conseillers techniques. En revanche, quand notre négociateur est à l’UNEDIC, une fois par mois, un conseiller technique est là qui peut faire les simulations nécessaires, à plein temps. Si l’on veut prendre les bonnes décisions, on ne peut se dispenser d’étudier sérieusement les documents qui nous sont distribués. C’est pourquoi les partenaires sociaux réclament des conseillers techniques à corps et à cri. J’ai connu les deux organismes et je sais que l’évaluation de l’impact d’une politique publique de l’emploi exige de grandes compétences et une analyse approfondie des dossiers. Un administrateur ne peut donner son aval à une mesure relative au traitement des demandeurs d’emploi sans qu’un travail préalable considérable ait eu lieu. Si, comme l’a indiqué Mme Matthys, la CFE-CGC attendra avant de se prononcer sur la généralisation du Fonds paritaire, c’est que nous avons malheureusement l’expérience d’expérimentations annoncées et qui ne sont pas faites.

M. le président Arnaud Richard. Sans que ses responsabilités soient remises en cause, chacune des huit organisations représentatives d’employeurs et de salariés pourrait-elle mener avec l’État la négociation d’une convention d’objectifs et de moyens relatives aux ressources issues de la contribution de 0,016% de la masse salariale qui lui sont allouées ? Personne n’imaginait que cette contribution supplémentaire destinée à financer le paritarisme puisse exister ; maintenant que cela est le cas, on dira qu’elle doit servir à tout. Les partenaires sociaux doivent avoir les moyens de remplir les importantes responsabilités qui sont les leurs – sinon, le Premier ministre vous écrit et vous ne lui répondez pas, ce qui n’est pas bien.

Mme Marie-Françoise Leflon. Les ressources allouées au paritarisme façonneront son avenir. Nous y avons insisté lors de l’élaboration de la loi Rebsamen : un dialogue social de qualité demande l’allocation de moyens suffisants.

M. le rapporteur. Les conseillers techniques sont-ils permanents de votre organisation, ou sont-ils salariés des organismes considérés ?

Mme Laurence Matthys. Un des principes fondamentaux du paritarisme est que le mandat est gratuit. M. Arnaud Richard a évoqué l’hypothèse selon laquelle, au regard de l’étendue de leurs responsabilités, négociateurs et administrateurs devraient recevoir une contrepartie, mais la philosophie du dispositif est autre. Des moyens financiers sont alloués à l’ensemble des partenaires sociaux par la mise à leur disposition de compétences techniques, non par une rémunération. Les conseillers techniques existent dans tous les cas de paritarisme pur et la formation professionnelle s’en est inspirée. Pour la CFE-CGC, il s’agit de compétences techniques de l’organisation ; j’ai moi-même été conseillère technique UNEDIC, salariée de l’organisation.

M. le rapporteur. Donc, l’organisation reçoit un chèque d’un certain montant, destiné à financer l’emploi annuel d’un conseiller technique, et il n’y a aucun lien de subordination entre ce salarié et l’organisme considéré ? Un autre modèle est possible : un centre de compétences techniques comme il en existe un au sein de l’UNEDIC, à la disposition de tous les négociateurs.

Mme Marie-Françoise Leflon. Dans ce cas, c’est l’organisme lui-même qui est au service des partenaires sociaux et de ceux qui touchent les revenus de remplacement. Nous lui demandons les chiffrages sans lesquels il nous est impossible d’aborder une négociation, mais ensuite notre conseiller technique analyse l’étude des actuaires de l’UNEDIC. Le négociateur a besoin de ces éléments techniques, vérifiés, pour porter un message et pouvoir réagir vite en séance. Ainsi de la taxation des contrats courts : il faut analyser les variantes selon que l’on parle d’un contrat d’un jour ou d’un mois et pouvoir déterminer quelle dépense supplémentaire cela entraîne. Le savoir-faire technique est au sein de l’UNEDIC, mais les partenaires sociaux doivent eux-mêmes pouvoir s’appuyer sur des conseillers compétents capables d’appeler leur attention sur l’incidence des mesures proposées. Alors seulement la négociation est de qualité.

M. le président Arnaud Richard. Peut-on imaginer créer une commission permanente du dialogue social, qui se réunirait en un autre lieu que le siège du MEDEF ? On ne peut avoir autant de responsabilités sans mettre au point des méthodes de négociation efficientes. Le moment est délicat. M. le rapporteur et moi-même sommes très attachés au dialogue social, mais nous savons que certains acteurs qui ont vu vivre le paritarisme sont prêts à dire qu’il ne fonctionne pas et qu’il faut tout arrêter. Si des méthodes obligeant les partenaires sociaux à se rencontrer et à trancher ne sont pas mises au point, tout cela va mal tourner.

Mme Marie-Françoise Leflon. La CFE-CGC dit depuis trois ans que les partenaires sociaux doivent se réunir au Conseil économique, social et environnemental (CESE) et non plus au siège du MEDEF. Alors que nous avions traité d’enjeux autrement plus graves, je pensais naïvement, il y a deux ans, que nous parviendrions à nous entendre facilement sur un lieu de réunion ; il n’en a rien été. Il faut de la bonne volonté de tous les côtés. Nous avons réussi des choses magnifiques, ce qui montre que c’est possible. Personne n’envisageait l’accord national interprofessionnel de 2013 ; pourtant, il s’est conclu. En revanche, l’accord ne s’est pas fait sur la loi Rebsamen, et encore moins sur le contenu du projet de loi El Khomri, qui aurait pourtant pu pour partie être traité intelligemment comme une phase 2 ou 3 de l’accord interprofessionnel de 2013. Les partenaires sociaux savent travailler ensemble ; c’est pourquoi je suis réservée à l’idée d’un accord de méthode imposé par la loi. Que l’État donne des directives, qu’il y ait plus de contacts, soit… et encore, puisqu’il y en a beaucoup en bilatéral, en off. Tout est question de personnes et de volonté de s’entendre. Au conseil d’administration de l’APEC, où je siégeais, s’exerce un paritarisme pur : il est composé des représentants des huit organisations, sans personnalités qualifiées et sans représentant de l’État. Il n’empêche que l’APEC est chargée d’une mission de service public qu’elle s’attache à mener à bien, et la gestion est séparée de la prise de décision politique – sur laquelle nous ne sommes pas toujours tous d’accord, mais nous discutons.

M. le rapporteur. On comprend à vous entendre que, quand les partenaires sociaux sont responsables d’un organisme ou d’un risque, les choses se font. Mais, s’agissant du dialogue interprofessionnel et plus particulièrement du projet de loi El Khomri, il est invraisemblable qu’aucune organisation de salariés ou d’employeurs n’ait saisi le Gouvernement pour indiquer que les partenaires sociaux souhaitaient négocier les sujets faisant l’objet de l’article 2 – qui traite de l’articulation entre la branche et l’entreprise – de l’article 11 – où l’on aborde la question de savoir si l’accord collectif s’impose ou non au contrat de travail – et de l’article 30, qui introduit des critères de licenciement quasiment automatiques et n’apprécie plus les résultats d’un groupe au niveau mondial. Pourtant, ces articles bouleversent le droit du travail, et vos relevés de conclusions sur ces questions comme vos critiques nous seraient éminemment précieux. Pourquoi n’avez-vous pas fait savoir au Gouvernement que vous souhaitiez ouvrir des négociations sur ces trois articles ?

Mme Marie-Françoise Leflon. Je vous trouve sévère. Pour entamer une négociation, il faut un climat qui le permette, autrement dit que tous les acteurs concernés le veuillent. D’autre part, le projet de loi El Khomri remet tout en jeu, et une négociation interprofessionnelle doit avoir un champ déterminé. La CFE-CGC s’exprimera, seule, le 3 mai, sur le licenciement. Je considère que cette question aurait dû être traitée entre partenaires sociaux puisque sont en jeu des critères économiques, question dont traite l’accord interprofessionnel de 2013. Enfin, nous avons été consultés très peu de temps en amont du dépôt du projet de loi et nous n’avions pas tous les sujets en main. La CFE-CGC, n’étant pas dogmatique, est toujours favorable à une négociation interprofessionnelle ; elle l’est bien entendu sur les points précis que vous avez évoqués, mais encore faudrait-il que les autres parties le veuillent.

M. le rapporteur. N’entendez pas mes propos comme une critique à votre égard. D’ailleurs, il est toujours temps d’écrire au Premier ministre pour lui dire que vous souhaitez l’ouverture d’une négociation sur ces articles ! Si le dialogue social était formalisé au sein d’une commission permanente de la négociation, vous auriez été saisis formellement du projet de loi El Khomri, et dans ce cadre, vous auriez dû dire : « Nous voulons négocier. Sur l’article 30 il nous faut dix-huit mois, sur l’article 2 il nous faut trois ans, et sur l’article 11 il nous faut trois mois. » Le Gouvernement serait alors tenu de dire : « Je retire de la loi les articles 2 et 30 et je maintiens l’article 11, mais je tiendrai compte de vos remarques sur cet article au cours de la navette. » Nous avons l’intime conviction que la formalisation de la négociation, étant donné les progrès permis par l’article L. 1 du code de travail issu de la loi Larcher, améliorerait beaucoup les choses.

Mme Marie-Françoise Leflon. Je suis convaincue que cela concourrait à une meilleure intelligence partagée. Faute de négociation, nous avons élaboré de nombreuses propositions d’amendements, et nous continuerons tout au long de la navette. Mais vous avez raison : on a bien, en entreprise, un accord de méthode avant d’engager une négociation. Pourquoi pas ? Tout ce qui contribue à renforcer le paritarisme et à donner plus de poids à la négociation permet un vrai progrès social et permet surtout d’adapter le modèle et le système économique français.

M. le président Arnaud Richard. Je vous remercie. Le chantier dans lequel nous nous sommes lancés est très lourd mais le contenu des articles  1er, 2, 11 et 30 du projet de loi El Khomri nous amène à penser que le travail que nous avons engagé peut être utile, sinon pour la situation présente du moins pour l’avenir. Personne ne doute de notre attachement indéniable au dialogue social. Si l’on peut trouver les voies et les moyens permettant que les acteurs du dialogue social fondent, aux côtés du politique, la réforme de notre pays, nous aurons fait œuvre utile.

*

La mission procède enfin à l’audition de M. Jean-Michel Pottier, vice-président chargé des affaires sociales de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), de Mme Sandrine Bourgogne, secrétaire générale adjointe, et de M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales.

M. le président Arnaud Richard. Nous terminons cette matinée avec l’audition de M. Jean-Michel Pottier, vice-président, chargé des affaires sociales, de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) et Mme Sandrine Bourgogne, secrétaire générale adjointe.

Le mode de gouvernance paritaire vous paraît-il satisfaisant ? Doit-il être transformé dans son fonctionnement ? Son champ doit-il être étendu ? Quelles sont ses perspectives au regard du développement d’une sécurité professionnelle attachée à l’individu et non à l’emploi et de la place de plus en plus importante du travail indépendant ?

M. Jean-Michel Pottier, vice-président, chargé des affaires sociales, de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME). La CGPME défendant de très longue date le paritarisme, je prendrai des exemples concrets illustrant la manière dont elle le met en œuvre, en particulier lorsqu’elle se trouve seule face aux organisations syndicales.

Le paritarisme s’appuie selon nous sur deux conceptions complémentaires qui sont, d’une part, la politique conventionnelle, fondée sur la capacité, aux niveaux interprofessionnel, des branches et des entreprises, de négocier des accords – le sens de l’Histoire semblant être de développer cette capacité au plus près de l’entreprise – et, d’autre part, la gestion paritaire de certains régimes ou organismes. Cette seconde conception découle d’ailleurs souvent de la première : il y a, dans de nombreux domaines, des articulations entre la signature d’un accord national interprofessionnel et sa mise en œuvre par un organisme à gestion paritaire.

S’agissant de la politique conventionnelle, vous remarquerez que, face à la velléité gouvernementale d’augmenter la taxation des contrats à durée déterminée (CDD) par voie d’amendement au projet de loi El Khomri, la CGPME a pris une position claire, la semaine dernière, en commission exécutive et en comité directeur. Nous n’exerçons aucun chantage sur la négociation de l’assurance-chômage. Nous constatons que le Gouvernement souhaite y entrer par effraction par le biais d’un amendement visant à généraliser la taxation des CDD. Mais nous resterons dans cette négociation. Si celle-ci va jusqu’au bout, nous prendrons la décision de signer ou non l’accord en fonction de son contenu – en particulier, nous avons dit que la CGPME ne signerait pas un accord aggravant la taxation des CDD –, quels que soient les événements qui seront intervenus entre-temps. Nous considérons en effet qu’il est inepte de taxer l’accès à l’emploi aujourd’hui en France, compte tenu de la situation de chômage endémique que nous connaissons. Je le dis pour vous montrer à quel point notre conception du paritarisme diffère de celle d’une autre organisation patronale. Nous sommes attachés à la valeur du paritarisme que nous considérons comme un pilier fondamental de l’équilibre social du pays.

Faut-il étendre ou au contraire restreindre le champ du paritarisme ? Nous pensons pour notre part qu’il est a minima trois secteurs dans lesquels le paritarisme doit s’appliquer : la formation professionnelle, le régime des retraites complémentaires et l’assurance-chômage. Nous jugeons nécessaire de sanctuariser ces trois domaines dont la gestion paritaire nous semble tout à fait essentielle. C’est là le dialogue social à la française qui est en jeu.

Comme vous nous avez adressé des questions sur le fonctionnement et le financement du paritarisme ainsi que sur le nombre de mandats exercés et le rôle des conseils d’administration, je vous présenterai trois exemples de gestion paritaire afin de mettre en exergue mes propos et de coller à la réalité du terrain que je vis en tant que responsable, depuis dix ans, de l’emploi, de la formation et de l’éducation puis, depuis de la fin de l’année dernière, de chargé des affaires sociales à la CGPME.

Premier exemple, l’Association de gestion des fonds salarié des petites et moyennes entreprises (AGEFOS-PME) est un organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) interprofessionnel regroupant cinquante branches. Les sièges de son conseil d’administration sont détenus à 50 % par la CGPME du côté patronal et à 50 % par les cinq confédérations représentatives des salariés. Sa gestion est donc intégralement paritaire. Il est d’ailleurs remarquable que dès le départ, il y a près de quarante ans, la CGPME ait opté pour une telle gestion qui implique que toutes les décisions, quelles qu’elles soient, soient sous double signature. Cette gestion paritaire présente aussi la particularité d’être territoriale : cet OPCA dispose de conseils d’administration territoriaux, à raison d’un par région – conformément à leur nouveau découpage. Nous avons en effet tout mis en œuvre pour faire notre propre réforme et ainsi être prêts, dès le 1er janvier, à discuter avec les autorités régionales nouvellement installées. Cette dimension territoriale est très importante pour nous car elle nous permet d’être au plus près de l’entreprise. Elle est nécessaire si nous voulons être capables d’apporter un service de proximité, de conseil, d’assistance, d’ingénierie et de financement sur les questions de formation et d’emploi – l’insertion professionnelle représentant plus de 40 % de l’activité de cet OPCA.

Cette gestion paritaire territoriale s’appuie non pas sur des permanents d’organisation mais sur 500 chefs de TPE et PME siégeant dans ces conseils d’administration et commissions, que ce soit au niveau national ou dans les régions et les départements d’outre-mer : ces chefs d’entreprise prennent ainsi de leur temps pour contribuer à un dialogue social nourri dans tous les territoires sur les questions d’emploi et de formation. On nous a objecté qu’une telle organisation coûtait cher, mais elle est très utile et pertinente, car la définition des besoins en compétences de chaque PME ne peut se faire qu’au plus près du territoire, grâce à une gestion paritaire territorialisée. Je me suis battu bec et ongles avec les gouvernements successifs, toutes couleurs politiques confondues, pour conserver une telle organisation, sans laquelle nous ne serions plus en mesure d’apporter aux chefs d’entreprise et à leurs salariés un accompagnement susceptible d’améliorer la compétitivité et le développement économique des entreprises. Nous continuerons à défendre notre « ADN » coûte que coûte, car nous ne pensons pas que de grands systèmes d’organisation gérés depuis la capitale soient en mesure d’apporter une réponse concrète aux enjeux précités. La qualité de cette gestion est connue et reconnue dans les territoires par les décideurs politiques.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Ne serait-il pas plus simple pour les usagers – entreprises et salariés, voire chômeurs également – qu’AGEFOS-PME absorbe tous les autres OPCA et devienne une agence nationale territorialisée, paritaire et interprofessionnelle, gérant l’ensemble des fonds de la formation professionnelle ? Je suis convaincu de la pertinence et de l’efficacité concrète du modèle que vous avez présenté car lorsque je me suis occupé de la formation dans le cadre du dispositif des emplois d’avenir, la première instance à répondre de manière efficace fut l’AGEFOS-PME. Ce modèle ne pourrait-il pas être généralisé afin de créer une assurance-formation comme il existe une assurance-chômage, ce qui serait beaucoup plus simple pour les chefs d’entreprise ?

M. le président Arnaud Richard. Si l’on optait pour cette solution, on serait confronté à la tension qui peut exister entre les organisations patronales.

M. Jean-Michel Pottier. Cela ne me paraît effectivement pas une bonne idée. Je prendrai, pour vous l’expliquer, le deuxième exemple que je comptais vous citer : celui de Pôle Emploi. Le regroupement de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) et de l’UNEDIC, auquel nous nous sommes toujours opposés, a accouché d’un monstre. Étant moi-même administrateur de Pôle Emploi, je mesure mes propos et pourrais vous citer les propositions concrètes qu’a modestement formulées la CGPME par mon intermédiaire en vue d’améliorer la gestion de l’établissement et de faire en sorte qu’il s’adapte aux réalités du terrain.

La spécificité de l’AGEFOS-PME réside dans sa capacité à répondre aux attentes des TPE et PME. Si l’on noie cet OPCA dans un système plus large, il s’y passera la même chose qu’à Pôle Emploi – qui déroule le tapis rouge pour les grandes entreprises, allant même jusqu’à y placer des agents, et leur apporte toutes les aides possibles tout en enjoignant aux petites entreprises de passer leur chemin. Je me suis battu pendant quatre ans pour expliquer au conseil d’administration de Pôle Emploi que c’est dans les TPE et PME que se crée l’emploi. Il y a trois ans, lorsqu’on s’est enfin décidé à lancer une phase de tests pour vérifier la véracité de mon propos, on s’est aperçu que 51 % des déclarations préalables à l’embauche étaient faites par des entreprises de moins de dix salariés – secteur dont Pôle Emploi ignorait jusqu’à l’existence… Pôle Emploi a donc finalement déployé depuis la fin de l’année dernière 4 000 agents, joignables par téléphone, chargés des relations avec les TPE et PME. Auparavant, les chefs d’entreprise, ne pouvant contacter la personne chargée de traiter leur dossier que par e-mail ou via des plateformes téléphoniques, devaient parfois compter jusqu’à vingt minutes pour s’entendre dire que cette personne était absente.

Bref, il serait catastrophique de reproduire le système de Pôle Emploi, exclusivement conçu au profit des grandes entreprises et inapplicable aux petites. Je défends la spécificité d’un modèle dans lequel des chefs d’entreprise de TPE et PME siègent dans ces conseils d’administration nationaux et territoriaux et animent un véritable dialogue social en étant parfaitement au fait des réalités de terrain de ce type d’entreprises. Il faudra bien, à un moment donné, prendre en compte ces réalités sans quoi on n’avancera pas.

M. le rapporteur. Quel échelon territorial vous paraît le plus adapté ?

M. Jean-Michel Pottier. Notre organisation actuelle s’appuie sur des conseils d’administration et des associations mandataires régionaux. Nous nous sommes alignés sur les nouvelles régions, même si l’amplitude géographique de certaines d’entre elles pose problème. Mais nous avons aussi, au plus près du territoire, des antennes auprès desquelles nous avons placé du personnel permanent. C’est là une vraie nécessité car on ne peut gérer toute une région depuis Bordeaux ou Lille. Vous noterez d’ailleurs que le siège de l’AGEFOS Nord-Picardie a toujours été à Amiens et non à Lille, car nous avons considéré qu’il était plus facile de se déplacer sur un territoire à partir d’un épicentre. Nous avons évidemment une sous-direction importante à Lille, mais nous avons choisi un nœud névralgique qui soit géographiquement cohérent par rapport au territoire.

Nous défendons ce modèle, qui suscite beaucoup de convoitise. Le jour où on le changera pour installer des permanents ou des directeurs des ressources humaines dans les conseils d’administration d’AGEFOS-PME sans tenir compte des spécificités des petites entreprises et qu’on traitera ces dernières comme les grandes entreprises, on aura tout perdu. Nous aurons alors presque intérêt à nous retirer du jeu.

Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, le deuxième exemple précis que je souhaitais présenter est celui de Pôle Emploi, dont je suis administrateur depuis cinq ans – y occupant le seul siège détenu par la CGPME. Pôle Emploi est une instance hybride ne fonctionnant pas de manière concertée puisqu’elle regroupe quatre parties prenantes : l’État, cinq organisations représentatives des salariés, cinq organisations représentatives du patronat, des personnalités qualifiées et des représentants des territoires régionaux et départementaux. Les marges de manœuvre de l’organisme sont limitées dans la mesure où celui-ci est sous le contrôle non seulement de la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) mais aussi de Bercy : le ministère des finances cherche toujours à mettre l’organisme « au ras des pâquerettes » et serait fort satisfait si la trésorerie de ce dernier pouvait être négative.

La dotation de l’État, qui représente moins d’un tiers du budget de Pôle Emploi, a très peu évolué ; les partenaires sociaux, avec une fraction des cotisations d’assurance-chômage, assurent le fonctionnement de la structure. La marge d’ajustement disponible est minime, car les frais de fonctionnement sont incompressibles, Pôle Emploi recourant à 50 000 collaborateurs et devant garantir une indispensable présence territoriale. Le service de l’indemnisation est très bien rendu, mais cette marge d’ajustement porte sur l’accompagnement et, surtout, la formation des demandeurs d’emploi.

Le comportement de l’État est erratique : tour à tour, il diminue le nombre des formations, pour en demander ensuite 100 000, puis 150 000, 350 000 supplémentaires, et même 500 000 aujourd’hui, que doivent financer les partenaires sociaux à travers le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP). Une telle attitude n’est pas à la hauteur des enjeux, et résulte de cette forme de tripartisme soumis à des injonctions de l’exécutif – quelle que soit la majorité aux affaires – qui viennent bousculer le fonctionnement du système, alors qu’elles ne procèdent que d’un souci d’annonce. En tout état de cause, un tel tripartisme ne peut pas fonctionner de façon satisfaisante.

Plutôt que de me rendre à votre invitation, j’aurais pu aujourd’hui participer à la réception conjointe, organisée par Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État auprès de la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargée de la formation professionnelle et de l’apprentissage, du FPSPP et du Comité interprofessionnel pour l’emploi et la formation (COPANEF), dont je suis membre. Il s’agit de présenter un projet du MEDEF et de la CFDT – et non pas de la CGPME – proposant la fusion du FPSPP et du COPANEF, sous prétexte d’alléger le dispositif : c’est là le mariage de la carpe et du lapin ! Toutefois, il se trouve que le COPANEF est un organe politique des négociateurs sociaux : il constitue l’organe de régulation dans le domaine de la formation professionnelle et prend des décisions d’ajustement.

De son côté, le FPSPP collecte l’ensemble des cotisations versées par les entreprises pour la formation professionnelle et anime le réseau des organismes paritaires collecteurs agréés. Il finance ainsi des politiques étatiques, car c’est une longue tradition de l’État que de puiser dans les ressources de la formation professionnelle, tradition qui existait déjà à l’époque du fonds unique de péréquation (FUP). C’est lui qui garantit la pérennité financière de systèmes aussi importants que l’alternance à travers le contrat de professionnalisation, qui peut durer jusqu’à vingt-quatre mois, du compte personnel de formation, des accompagnements de restructuration ou de formation des demandeurs d’emploi en fin de droits.

L’État est représenté au sein du FPSPP par un contrôleur et un représentant de la direction générale des finances publiques (DGFiP), et il pèse sur les décisions ; je rappelle que Bercy s’apprêtait une fois de plus à racler les fonds de tiroir des OPCA et du FPSPP et qu’une mission conjointe de l’Inspection générale des finances (IGF) et de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) travaille à chercher de l’argent au sein du système afin de financer les 350 000 formations supplémentaires que j’ai évoquées. C’est le serpent qui se mord la queue ! Et tout cela sera fait au détriment de la formation des salariés, notamment dans les TPE et PME, alors que, là aussi, une longue tradition républicaine affiche ces formations comme une priorité – sauf que, dans les faits, c’est tout le contraire qui se produit, à cause d’un système paritaire dévoyé au sein duquel un troisième larron vient interférer.

La situation est dramatique, et à l’occasion de la dernière réforme de la formation professionnelle, la CGPME, prenant acte de la fin de la mutualisation des fonds de la formation professionnelle au profit des salariés des TPE et PME, a passé un accord national interprofessionnel avec les cinq organisations syndicales dans le champ de l’AGEFOS-PME. Cet accord institue un dispositif de versement volontaire des entreprises et une garantie formation consistant à accompagner et assurer la bonne fin juridique des nouvelles obligations en matière de formation professionnelle.

M. le président Arnaud Richard. Quel est le statut juridique des diverses ponctions que vous évoquez ?

M. Jean-Michel Pottier. Elles sont fondées sur la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) ; c’est le fait du prince. Ou alors, et c’est le cas depuis la création du FPSPP, on intime aux partenaires sociaux de financer à la place de l’État l’indemnisation de chômeurs privés de droits à travers une action de formation professionnelle, par exemple. C’est un point d’achoppement qui revient chaque année, à travers l’annexe à la LFSS consacrée au FPSPP ; les partenaires sociaux négocient avec l’État, mais j’ai évoqué les appétits de l’État, qui souhaite pratiquer un nouveau prélèvement alors que l’argent n’est plus là.

Dans le cadre de la loi du 5 mars 2014 réformant la formation professionnelle, l’effort financier obligatoire des entreprises a été ramené de 1,6 % de la masse salariale à 1 %, alors que de nouvelles actions doivent être financées, et un petit trognon a été laissé avec 0,1 % de la masse salariale pour les entreprises de 50 à 300 salariés et 0,2 % pour les entreprises de 10 à 50 salariés. Ces montants sont destinés à financer la formation professionnelle des salariés, et les entreprises sont réputées se débrouiller par elles-mêmes. Mais, dans la vraie vie, l’entreprise de plus de 10 salariés n’est absolument pas préparée à affronter l’obligation de formation de tous ses salariés dans un délai de six ans sans accompagnement ; faute de quoi, dans quatre ans, ces entreprises seront dans le mur.

C’est pour parer à ces dangers que nous avons adopté un système fondé sur le volontariat et la mutualisation, car nous considérons que l’avenir consiste à accompagner les entreprises, et lors de la prochaine réforme de la formation professionnelle, nous ferons tout pour revenir au dispositif originel d’assurance formation de l’AGEFOS-PME.

S’agissant du financement du paritarisme, contrairement à ce que persistent à considérer bien des médias et certaines personnes mal informées, un nouveau fonds national a été instauré ; certes des questions de répartition demeurent, qui sont liées à la représentativité des acteurs présents – question toujours mal réglée au sein du patronat. Aujourd’hui, le système est transparent, et l’on ne peut plus prêter à quiconque de mauvaises intentions ou dénoncer une confusion des genres entre fonds de formation, fonds d’assurance chômage et financement d’organisations.

La CGPME a appelé de ses vœux la clarification du système ; il faut désormais laisser celui-ci vivre quelque temps avant de dresser un premier bilan.

Je pense que mes propos relatifs à l’AGEFOS-PME illustrent bien le fait que, si l’on souhaite avoir la qualité et la proximité, on ne peut réduire le nombre des mandats. Il faut faire confiance aux partenaires sociaux, et le dialogue social appelle un nombre suffisant d’interlocuteurs, faute de quoi, le dialogue n’existera plus qu’à l’échelon national et les territoires, qui ne seront plus irrigués, éprouveront un sentiment de confiscation.

Nous appliquons les dispositions de l’accord national interprofessionnel (ANI) sur le paritarisme. A cette fin, nous avons sensiblement réduit le nombre de nos mandataires : à l’AGEFOS, il s’élevait à 1 000 et a été diminué de moitié, car les commissions extérieures au conseil d’administration ont été supprimées. Nous respectons aussi les clauses de mixité, les clauses d’incompatibilité, les clauses d’âge et nous respectons l’obligation faite aux représentants patronaux d’exercer une activité professionnelle patronale.

Du fait de la structure antérieure de l’AGEFOS-PME, le respect des dispositions de l’accord a exigé de nous des adaptations auxquelles nous nous sommes astreints, et nous avons respecté nos engagements.

M. le rapporteur. Ce qu’il est convenu d’appeler l’« ubérisation » de la société constitue-t-elle pour vous un sujet de réflexion, en termes de ressources perdues pour les organismes de protection sociale ?

Réfléchissez-vous à une façon de réguler ces professions afin d’autoriser certaines activités, comme le propose le récent rapport sur le développement de l’économie collaborative de notre collègue Pascal Terrasse ?

Comment, dans ce contexte, la représentation pourrait-elle être pratiquée ? Les auto-entrepreneurs devraient-ils adhérer à des organisations représentatives des salariés ou patronales ? Ces professions devraient-elles disposer de leur propre champ de négociation ?

Considérez-vous qu’au-delà des innovations ponctuelles existantes, il s’agit d’un phénomène marginal et ponctuel, et que les choses rentreront bientôt dans l’ordre ?

M. Jean-Michel Pottier. Nous avons pris à ce sujet des positions affirmées qui ont défrayé la chronique ; nous considérons que toute forme d’activité collaborative – ou tout autre nom que l’on pourrait lui donner – doit contribuer dès le premier euro aux systèmes sociaux et fiscaux de notre pays. Cela nous a valu bien des critiques, mais nous considérons qu’il s’agit d’équité et de loyauté de la concurrence.

Les auto-entrepreneurs sont-ils des salariés ? Certains sont auto-entrepreneurs au titre d’une activité principale et unique, et nous les considérons comme des entrepreneurs. Leur fédération, qui compte plusieurs dizaines de milliers de membres, adhère d’ailleurs à la CGPME. Leur adhésion a été assortie d’une convention aux termes de laquelle ils s’engagent à exercer une réelle activité entrepreneuriale.

D’autres activités, très partielles ou saisonnières, sont exercées au titre de l’auto-entrepreneuriat : il faudra que le législateur tranche, car la question du lien de subordination reste alors posée.

M. le rapporteur. Que faut-il penser d’un salarié employé dans le secteur du bâtiment qui, à ses heures perdues, travaille à son compte sous le régime de l’auto-entreprenariat ?

M. Jean-Michel Pottier. Nous avons proposé un amendement, fondé sur mon propre exemple. L’an dernier, j’ai cédé mon entreprise à l’une de mes salariées dont, il y a cinq ans, j’ai fait une associée – j’avais alors ouvert le capital sans droit de souscription. Elle a donc racheté mes parts et un protocole d’accord prévoit une garantie de passif, une clause de non-concurrence et un accompagnement. Très classique, cet accompagnement était voulu par les deux parties, et il est tarifé. Des juristes m’ont alors indiqué que, dans ce cas, un lien de subordination serait retenu : c’est le monde à l’envers ! J’étais dirigeant et, accompagnant mon repreneur en tant que cédant, l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) considérera que je suis sous le coup d’un lien de subordination et exigera les cotisations au taux plein.

Nous avons donc rédigé un amendement, car une telle situation est défavorable à la cession d’entreprise, dont l’accompagnement constitue un élément important. Soit cet accompagnement n’est pas rémunéré, et il relève du travail dissimulé, soit il l’est, et il relève du lien de subordination !

Pour revenir à votre exemple, je ne suis tout d’abord pas persuadé qu’un ouvrier travaillant à son compte le dimanche s’embarrasse d’un statut d’auto-entrepreneur ; le cas échéant, la question du lien de subordination à son employeur demeurerait posée. C’est cela que la loi aura avant tout à préciser.

M. le rapporteur. Dans l’exemple que j’ai pris, l’intéressé n’est pas lié par la subordination : dans ces conditions, peut-il adhérer à la CGPME ? Vous semblez répondre par la négative, car cette activité est subsidiaire.

Nous connaîtrons des cas encore plus mal définis le jour où apparaîtra un « BlablaBricolage » et que la personne se bornera à évoquer le partage des frais du contenu de sa caisse à outils…

S’agissant de ce type d’activité, il s’agit de déterminer s’il est autorisé ou non, ou seulement autorisé à la marge, et, le cas échéant, dans quelles limites ?

S’agissant d’Airbnb, on considère comme partage de frais la location d’une pièce dans un appartement pendant un trimestre. Dès lors qu’il y a rémunération, des règles doivent être posées ; or, pour ce faire, il faut des acteurs pour négocier, car ce travail ne relève ni du législateur, ni du Gouvernement. C’est pour cela que je posais la question de la représentation de ces travailleurs, quel que soit leur statut.

M. Jean-Michel Pottier. Comme je l’ai indiqué, nous considérons qu’il doit y avoir participation financière dès le premier euro.

M. le rapporteur. Certes, mais à quel titre serait versée la contribution : salarié, auto-entrepreneur, et à quel taux, etc. ?

M. Jean-Michel Pottier. Les adhérents de la CGPME, tant au niveau des branches qu’à l’échelon des territoires, se sont accordés à considérer que toutes ces formes de travail doivent contribuer à partir du premier euro au financement des organisations sociales et à l’impôt.

M. le rapporteur. Ils doivent le faire soit en tant que salariés, soit en tant qu’indépendants ?

M. Jean-Michel Pottier. Les salariés cotisent déjà…

M. le rapporteur. Dans le système BlablaCar, quelqu’un peut disposer de cinq voitures personnelles sans aujourd’hui être ni entrepreneur ni salarié : en revanche, il est, selon toute probabilité, économiquement dépendant de la plateforme. La question qui se pose alors est de savoir s’il faut inventer un tiers régime avec des cotisations ad hoc, ou s’il faut considérer que les deux protagonistes sont des indépendants, et doivent cotiser à ce titre ?

M. Jean-Michel Pottier. Nous pensons que, quelle que soit la forme de l’activité, elle doit contribuer aux régimes sociaux. Par contre, un partage de logement ne peut relever du salariat. Ce qui importe, c’est que la valeur ajoutée dégagée par l’opération soit soumise aux cotisations comme n’importe quelle autre entreprise. Notre préoccupation porte davantage sur la loyauté de la concurrence, chacun doit être soumis aux mêmes conditions, on constate aujourd’hui que le secteur de l’hôtellerie souffre des activités d’Airbnb, et les loueurs de voitures de celles de BlablaCar.

Les statuts existent, c’est le lien de subordination qui doit être clarifié, car il ne correspond plus à la réalité de notre économie ; il faut que la réglementation fasse en sorte que toute valeur ajoutée participe à l’effort contributif.

M. le président Arnaud Richard. Nous vous remercions.

La séance est levée à douze heures trente.

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Présences en réunion

Réunion du jeudi 28 avril 2016 à 9 heures

Présents. – M. Jean-Marc Germain, M. Arnaud Richard

Excusés. – M. David Comet, Mme Michèle Fournier-Armand, Mme Isabelle Le Callennec, M. Denys Robiliard