Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la mission d'information

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Mission d’information sur le paritarisme

Jeudi 12 mai 2016

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 22

Présidence de M. Gérard Sebaoun, président d’âge puis de M. Arnaud Richard, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale, et de Mme Elodie Viscontini, chef adjoint du bureau de l'organisation administrative et des ressources humaines à la direction de la sécurité sociale

– Présences en réunion

MISSION D’INFORMATION SUR LE PARITARISME

Jeudi 12 mai 2016

La séance est ouverte à dix heures dix.

——fpfp——

(Présidence de M. Gérard Sebaoun, président d’âge)

La mission d’information sur le paritarisme procède à l’audition de M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale, et de Mme Elodie Viscontini, chef adjoint du bureau de l'organisation administrative et des ressources humaines à la direction de la sécurité sociale.

M. Gérard Sebaoun, président. Mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser notre président, M. Arnaud Richard, qui a été retenu et qui est en route pour nous rejoindre.

Nous recevons ce matin M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale au ministère des affaires sociales et de la santé, et Mme Élodie Viscontini, chef adjoint du bureau de l’organisation administrative et des ressources humaines.

Monsieur le directeur, madame, nous vous remercions d’avoir accepté notre invitation pour cette dernière séance d’auditions qui vise à dresser un bilan de ce qu’est le paritarisme aujourd’hui, de ce qu’il apporte à notre système de protection sociale, et des pistes qui pourraient améliorer son fonctionnement à l’avenir.

Dans ce cadre, votre présence doit nous permettre de prolonger les échanges que nous avions eus avec votre prédécesseur, M. Dominique Libault, ainsi qu’avec les présidents de la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF), de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) et de la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles, sur l’importance des partenaires sociaux dans la gestion de la sécurité sociale. Celle-ci a en effet évolué globalement vers un renforcement du rôle de l’État, que M. Jacques Freyssinet a qualifié devant notre mission de « tripartisme asymétrique masqué ». Cette évolution vous paraît-elle satisfaisante ? Est-elle inéluctable ? Quelles perspectives pour les partenaires sociaux dans ces conseils d’administration ? Y a-t-il, selon vous, des fonctions, comme le recouvrement des cotisations, ou des domaines, comme la santé ou la famille, dont les prestations sont totalement universelles et le financement assuré par l’impôt, qui devraient relever de l’État ?

Peut-on envisager de réorganiser globalement le système de sécurité sociale autour d’un socle de solidarité et de droits fondamentaux d’une part, d’un étage de prestations complémentaires d’autre part, cette réorganisation pouvant être assortie d’une gouvernance mixte entre un État, seul responsable du « socle », et des partenaires sociaux, seuls responsables des prestations complémentaires – un syndicalisme « de services », en quelque sorte ?

Nous cherchons aussi à mieux connaître les interactions de votre administration avec les régimes complémentaires, notamment les régimes de retraite complémentaire.

Enfin, nous sommes attentifs à toutes les remarques qui pourraient nous indiquer comment assurer une meilleure gouvernance de la protection sociale.

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, merci de me donner l’occasion d’évoquer ces différents sujets, peut-être en précisant d’emblée le rôle de la direction de la sécurité sociale (DSS), qui est triple en la matière.

Nous proposons à nos ministres ou au Parlement le cadre juridique législatif et réglementaire du paritarisme et les évolutions des règles de gouvernance, qui ont été régulières ces dix ou quinze dernières années.

Nous exerçons la tutelle des organismes, à la fois au niveau national et au niveau local, à travers la Mission nationale de contrôle et d’audit des organismes de sécurité sociale (MNC), un service à compétence nationale. Celle-ci a réuni des équipes qui étaient historiquement dans les directions départementales (DDASS) et régionales (DRASS) des affaires sanitaires et sociales, et qui relèvent maintenant de la direction de la sécurité sociale. Ce sont « les yeux et les oreilles » de la DSS vis-à-vis des caisses au niveau local.

Enfin, et cela a pris de l’ampleur, nous animons la contractualisation et le partenariat avec les caisses nationales au travers des conventions d’objectifs et de gestion (COG), qui sont un pilier central des relations entre l’État et les caisses de sécurité sociale.

Les sujets que vous abordez sont évidemment très larges. Comme l’ont observé nombre d’acteurs lors des auditions précédentes, quand on parle de paritarisme et de partenaires sociaux, la situation se présente de façon très différente selon qu’on vise l’AGIRC-ARRCO, l’UNEDIC ou la sécurité sociale, voire au sein de la sécurité sociale elle-même, selon que l’on vise l’assurance maladie ou d’autres branches. Ainsi, depuis 2004, les conseils d’administration de l’assurance maladie ont été transformés en conseils et le directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) et de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM), qui est la même personne, s’est vu attribuer des pouvoirs importants. Dans les branches famille, recouvrement et vieillesse, les partenaires sociaux conservent un rôle important en matière de gestion, même si – et c’est là où j’aurais pu reprendre le terme de « tripartisme asymétrique masqué » – c’est bien l’État qui définit le contenu des risques, les prestations associées et les règles du recouvrement.

Si l’on regarde un peu finement les chiffres, on s’aperçoit malgré tout que les partenaires sociaux ont une responsabilité directe, en termes de gestion, sur tout ce qui relève de la gestion administrative et des prestations extra-légales. Les montants sont relativement faibles par rapport à l’ensemble des prestations, mais il n’empêche que le fonds d’action sociale de la branche famille – qui a un rôle majeur en matière, notamment, de création de places et d’animation d’un certain nombre de politiques publiques – dépasse 5 milliards d’euros. C’est un des secteurs où les partenaires sociaux, au sein des conseils d’administration – à la fois au niveau national et local –, ont un rôle de gestion directe très significatif.

Parlons maintenant des évolutions, comme vous m’y avez invité.

J’évoquerai deux types d’évolutions, qui ne sont pas révolutionnaires, mais qui ont tout de même marqué ces dernières années.

Premièrement : l’affirmation du rôle des caisses nationales et, de fait, des directeurs dans la gestion quotidienne et opérationnelle du service public de la sécurité sociale, dans le cadre des orientations fixées par les conseils ou les conseils d’administration.

Historiquement, la sécurité sociale s’est construite autour des caisses locales, qui bénéficiaient d’une autonomie assez forte. Cette autonomie subsiste mais, ces dix ou quinze dernières années, elle a cédé la place à une animation de réseau. Les exigences de qualité de service, la transformation des systèmes d’information, les contraintes touchant à la maîtrise des coûts de gestion et au respect du principe d’égalité devant le service public ont fait des caisses nationales des opérateurs de réseau. Et si l’on analyse la répartition des rôles, le curseur s’est un peu déplacé vers le niveau national qui, en outre, signe une convention avec l’État et la décline ensuite entre le niveau national et les caisses via les contrats pluriannuels de gestion (CPG), cadre dans lequel agissent les caisses locales.

Les règles de nomination des directeurs au niveau local ont également évolué, en 2004 pour l’assurance maladie, en 2009 pour les autres branches. Elles se sont traduites par un renforcement du rôle du directeur de caisse nationale, en concertation avec les conseils d’administration au niveau local – qui peuvent s’y opposer dans des conditions définies. Ce sont des changements significatifs.

Deuxième évolution : le renforcement du rôle de l’État.

Il s’est fait grâce à deux outils, la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) et les COG, qui sont des éléments structurants : pilotage financier à travers la loi de financement, animation du service public de la sécurité sociale à travers les COG.

Les COG sont un outil central. Il ne faut pas oublier qu’elles sont signées, du côté des caisses, à la fois par le directeur de la caisse nationale et par le président. Ce n’est donc pas seulement un outil technique entre les mains des directions du ministère et des directeurs de caisse. C’est aussi un outil politique entre les mains de l'État, des caisses et de leur gouvernance, même si les points d’accord sont parfois difficiles à atteindre, notamment parce que la contrainte en termes d’économies de gestion s’est renforcée ces dernières années. Par ailleurs, les COG se déclinent au niveau des CPG, qui sont signés au niveau national et au niveau des caisses par les présidents et les directeurs.

Ce sont des outils qui impliquent à la fois les partenaires sociaux et les directeurs. Cela participe d’une responsabilité partagée, qui fait que les caisses emmènent leurs agents ou leur réseau dans une direction qui a été partagée par au moins une majorité des conseils ou des conseils d’administration. On aurait pu être tenté de décider entre techniciens, entre soi, en éloignant les partenaires sociaux et en réduisant leur responsabilité. Ce n’est pas le choix qui a été fait, même à l’assurance maladie où, depuis 2004, le directeur général a vu ses compétences propres renforcées : le président de la CNAM signe la COG, et je pense que c’est un élément de contractualisation extrêmement important.

Maintenant, est-ce que le système fonctionne ?

Il est de bon ton de dire qu’il est complexe, peu transparent, etc. Au risque de passer pour conservateur, ou de sembler faire un plaidoyer pro domo, je considère que ce système un peu original de gouvernance a de nombreux d’atouts, qui se démontrent au quotidien. Les caisses absorbent des transformations très significatives ; par exemple, la branche famille est en train d’absorber la prime d’activité dans des délais resserrés et dans d’assez bonnes conditions, même si la situation peut parfois se tendre dans certaines caisses. La sécurité sociale s’est profondément transformée ces dernières années, dans son organisation comme dans son offre de services, significativement élargie. Nous sommes en train de réussir la déclaration sociale nominative, qui est aussi une œuvre collective de l’État et des caisses. Inutile de revenir sur la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE), sur le chèque emploi service universel (CESU) ou sur la carte Vitale. Et aujourd’hui, vous pouvez obtenir, sur internet, un rendez-vous en moins de sept jours dans une caisse d’allocations familiales (CAF).

Je pense donc que le système fonctionne et qu’il est agile, précisément en raison de la répartition des rôles que je vous ai décrite. Nous n’avons pas en face de nous 90 000 opérateurs, une entreprise unique côté CNAM, et 30 000 personnes côté famille. Nous avons des têtes de réseau et des organismes locaux responsables et autonomes, des conseils d’administration au niveau local, des directeurs. Ce n’est pas forcément toujours simple, le système peut se gripper – c’est rare – mais il permet de concilier souplesse et réactivité et il assure une capacité de transformation qui est intéressante dans l’univers public que nous connaissons.

Dans un tel système, et je réponds là à l’une de vos questions, quelle est la place de l’État ?

La place que nous occupons au travers des COG ne nous installe pas dans un régime de tutelle, au sens que ce mot avait au XIXe siècle, mais fait de nous des partenaires. Les COG sont un outil très intéressant. Nous contractualisons sur les moyens pluriannuels, ce qui nous fait échapper un peu à la rigueur budgétaire annuelle. Nous fixons des objectifs et des indicateurs, ce qui permet aux caisses de planifier des chantiers lourds. Ensuite, nous suivons ces objectifs et ces indicateurs. En effet, la COG ne se termine pas une fois qu’on l’a signée. Nous sommes en ce moment même en train de faire le bilan des COG 2015 ; nous le ferons demain avec l’assurance maladie et la branche vieillesse. J’ajoute que cet outil a essaimé au fil du temps dans la gestion publique. Cette logique de contractualisation avec des opérateurs de l’État s’est en effet progressivement imposée.

Vous m’avez également demandé s’il fallait transformer le système de sécurité sociale, avec une nouvelle répartition : d’un côté ce qui relève de la solidarité et de l’impôt, de l’autre ce qui relève du concurrentiel et du contributif.

Tout cela est très intéressant, mais je vous avoue que je suis un peu sceptique, car ce serait méconnaître ce qu’est la sécurité sociale. La sécurité sociale n’est ni un système contributif, ni un système solidaire. C’est un système mixte, qui repose sur une part de financement par des cotisations, sur une part de financement par l’impôt, sur une part de prestations qui relève d’une logique contributive et sur une part de prestations qui relève d’une logique universelle. Je pense que c’est ce qui fait sa force et qui lui permet de susciter une forte adhésion de nos concitoyens, même si elle doit évidemment faire face à des défis.

Honnêtement, je considère que procéder à une telle répartition serait relativement inopérant et que nous y perdrions beaucoup.

La ministre nous a demandé, et cela a été voté dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, une réforme substantielle de la protection universelle maladie (PUMa), qui traduit cette logique universelle de l’assurance maladie. Certes, une prestation en espèces renvoie davantage à une logique contributive, mais faut-il séparer les deux ? À quoi cela mènerait-il, dans un système où l’assuré reçoit de la caisse d’assurance maladie une part de prestations en espèces et une part de prestations en nature ?

Venons-en aux retraites. Une part du système de base s’appuie à la fois sur des validations de trimestres et sur des prises en charge de cotisations, les deux relevant d’un système de solidarité. On a d’ailleurs construit le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) pour essayer de distinguer ce qui relève de la CNAV et du régime général et ce qui relève de la solidarité. Mais en réalité, chaque fois qu’on fait le bilan, y compris financier, on regarde les deux ensemble. Je comprends donc le modèle théorique pur. Mais j’en vois mal l’intérêt ainsi que la faisabilité.

Cela amène à s’interroger sur les doubles niveaux. Car c’est une particularité de notre système d’avoir, pour la maladie et la retraite, un niveau « de base » et un niveau « complémentaire ».

Ce constat recouvre en fait deux réalités différentes. Le système complémentaire de retraite constitue véritablement un deuxième pilier, qui s’imbrique avec le système de base, même si le pilotage est différent pour l’un et pour l’autre. Le système complémentaire de l’assurance maladie est construit avec des opérateurs privés, sur un champ de dépenses privées et de cotisations privées. Cela étant, la généralisation apportée par l’accord national interprofessionnel et la loi de sécurisation de l’emploi amène à se demander si nous ne sommes pas en train d’aller vers un deuxième étage obligatoire.

Il est exact que ce système à deux étages présente deux faiblesses.

D’abord, leur existence aggrave les coûts de gestion, qui doublent. Ainsi, le coût de gestion de la CNAV est d’environ 1,3 milliard d’euros, et celui de l’AGIRC-ARRCO d’environ 1,7 milliard d’euros. Cette double gestion nous pénalise par rapport aux autres pays européens.

Quant aux coûts de gestion de notre système de santé, ils additionnent des coûts privés et des coûts publics. C’est un peu différent, mais, quand on empile les deux, cela peut faire des montants importants.

Il convient tout de même de rappeler que l’une des forces de la sécurité sociale est la modicité de ses coûts de gestion : moins de 3 % ; c’est l’intérêt d’un « monopole ». Ceux-ci sont même en diminution constante grâce aux économies réalisées par les caisses, y compris dans la période actuelle.

Par ailleurs, il est vrai qu’en termes de pilotage, notamment du système de retraite, ce double système peut engendrer des coûts de coordination.

Pour ma part, j’ai tendance à considérer que les partenaires sociaux et l’État trouvent à chaque fois des solutions. Quoi qu’il en soit, la direction de la sécurité sociale n’envisage pas de remettre en cause le rôle des partenaires sociaux dans cette gestion. Je pense que cette responsabilité est assumée au bon niveau. Les points d’articulation se trouvent et je ne crois pas que les problèmes soient insurmontables.

Sur la complémentaire santé, je signale à nouveau que – comme l’ont établi un certain nombre de travaux, notamment ceux de Brigitte Dormont et d’Antoine Bozio – la couverture complémentaire santé représente grosso modo 30 milliards d’euros. Imaginons que quelqu’un ait l’idée de réunir les étages de base et complémentaire : souhaitons-nous augmenter au passage les prélèvements obligatoires de 30 milliards d’euros, et les dépenses publiques d’autant ? N’oublions pas non plus que nous avons en face de nous des opérateurs privés qui exercent une activité commerciale sur un marché. Tout cela est loin d’être anodin.

Cela me renvoie à la question que vous m’avez posée sur le rôle de la direction de la sécurité sociale.

D’une part, nous sommes l’acteur technique de l’État qui définit le cadre juridique de ce qui touche à la complémentaire santé – et aux organismes complémentaires de retraite. De ce fait, nous avons été très actifs dans la mise en œuvre de l’ANI et de la loi de 2013 sur la sécurisation de l’emploi, notamment pour la généralisation de la complémentaire santé dans ses différentes étapes – qui ont rencontré quelques difficultés devant le Conseil constitutionnel, s’agissant des clauses de désignation.

D’autre part, nous animons depuis le début de l’année le Comité de suivi de la généralisation de la complémentaire santé en entreprise, qui rassemble les partenaires sociaux au niveau interprofessionnel, avec la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), l’Union nationale des professions libérales (UNAPL) et les organismes complémentaires – donc les trois familles. Nous avons créé ce comité, précisément pour réunir les acteurs de cette complémentaire santé, pour suivre dans la durée sa mise en œuvre et pour partager nos idées dans le cadre de l’élaboration des textes réglementaires. Il faut dire que le cadre a beaucoup bougé – remplacement des clauses de désignation par des clauses de recommandation, contrats responsables, dispositif du chèque santé, etc. Nous avons tenu une deuxième réunion hier. Je crois que c’est une instance intéressante.

Enfin, nous allons produire ce que nous appelons le « guide de la protection complémentaire en entreprise » car, là aussi, les curseurs ont beaucoup bougé. Aussi bien les entreprises que les syndicats souhaitent que l’on rassemble au sein d’un même document le corpus juridique et ses conditions de mise en œuvre. Nous sommes en train de relire ce guide pratique. Je crois que cela participe d’une interface entre l’État et les différents acteurs de cette généralisation.

Je terminerai sur la thématique d’une gestion de la protection sociale intégrée autour de la personne, en lien avec la question de la portabilité et celle du compte personnel d’activité (CPA), en soulignant deux points.

Premièrement, nous sommes un acteur technique du CPA, au moins sur les briques qui en constituent le cœur, c’est-à-dire le dialogue et l’interface entre compte pénibilité et compte formation. Nous suivons en effet avec nos amis de la direction générale du travail (DGT) le sujet de la pénibilité et nous avons participé aux travaux que France Stratégie mène à ce propos.

Deuxièmement, nous travaillons à une logique de plateforme ou de portail des droits sociaux – qui est aussi en lien avec le CPA – pour donner aux assurés une vision plus transversale de leurs différents droits. Mais ce sur quoi je voudrais insister, c’est le fait que, en matière de portabilité des droits, la sécurité sociale a un temps d’avance. Grâce à la sécurité sociale, vous ne perdez pas votre couverture maladie quand vous changez d’emploi ou quand vous le perdez. Vos prestations familiales sont universelles depuis longtemps. Et votre système de retraite de base va également vous suivre.

Nous allons même plus loin, puisque nous faisons la protection universelle maladie, qui va permettre de simplifier la gestion des droits des assurés, qui sont les mêmes quels que soient les régimes : à part quelques régimes spéciaux, le socle est maintenant universel.

Enfin, nous sommes en train de préparer la liquidation unique des retraites. Cela signifie que, pour les polypensionnés, il y aura une seule liquidation, quel que soit leur parcours de carrière.

Je ne prétends pas qu’il ne faille pas aller plus loin dans les réflexions sur la gestion des droits ou sur les systèmes de fongibilité. Je remarque simplement que, s’il est important d’avoir une complémentaire santé, il est important aussi d’avoir un système maladie de base qui vous couvre à 75 %, et même à 100 % en cas de pathologie chronique ou d’actes coûteux. Ce socle est extrêmement intéressant, il ne faut pas l’oublier.

Cela n’empêche pas que des assurés nous disent : « quand je fais une démarche vis-à-vis des organismes de sécurité sociale, est-ce que je peux ne la faire qu’une seule fois ? » Ou bien : « je voudrais ne déclarer ma grossesse qu’une seule fois et que la déclaration aille à la fois vers la CAF et la CPAM ». Ou encore : « je veux liquider ma retraite, mais je ne veux faire qu’une seule demande », etc. Sur tous ces sujets, nous avons beaucoup fait ces dernières années pour simplifier la vie des assurés. Nous devons bien évidemment continuer pour rendre la gestion des droits plus facile et plus accessible.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Avez-vous connaissance de travaux ou d’études vous permettant d’évaluer les conséquences des activités exercées hors du cadre du salariat ou de l’entreprise classique ? Cela a-t-il un impact sur les contributions reçues par les régimes sociaux, donc sur leurs moyens d’action ? Cet impact est-il quantifié ? quantifiable ? Disposez-vous d’études prospectives en la matière ?

Je voudrais revenir sur trois éléments que vous avez évoqués, en vous remerciant de votre plaidoyer pour la sécurité sociale, que je partage, et sur ce que vous avez dit quant à la capacité du régime public à se moderniser en permanence. Je crois qu’il est important de le dire, même si cela n’empêche pas de pointer les insuffisances.

Bien que, par prudence ou compte tenu de vos fonctions, vous n’ayez pas pris position, vous semblez considérer que le système tripartite convient assez bien à la gestion de régimes sociaux, dans la mesure où il permet à la fois d’associer les partenaires sociaux et d’articuler, notamment par le biais des COG, les actions avec celles de l’État.

Dans notre rapport, nous aurons à trancher. Nous devrons comparer ce modèle à un autre modèle qui est celui de l’UNEDIC, par exemple, où le rôle de l’État est très important puisqu’il y a un agrément, mais pas de convention de gestion et donc pas de moment de discussion d’objectifs partagés – même si cela se fait dans le cadre de Pôle Emploi.

Nous aurons à nous prononcer sur ces deux modèles, qui ont chacun leurs avantages et leurs inconvénients : un modèle purement paritaire avec intervention ex-post de l’État, qui responsabilise les partenaires sociaux sur la capacité de trouver un accord, mais rend évidemment beaucoup plus conflictuelle l’articulation avec l’État. On le voit en ce moment avec la négociation en cours d’une nouvelle convention d’assurance chômage.

Monsieur le directeur, je souhaiterais que vous soyez plus précis sur la comparaison que vous avez développée entre retraite et maladie. C’est une discussion que nous avons déjà eue avec votre prédécesseur.

Au-delà du fait de savoir si un régime unique de retraite serait pertinent ou pas, je voudrais faire remarquer que la création du dispositif d’information sur les droits à la retraite a pris beaucoup de temps. Je crois me souvenir que la loi qui traitait de ce sujet date de 2004…

Comme je le rappelais hier dans une audition, j’ai moi-même essayé de faire l’exercice. Je me suis connecté sur le site « GIP Info-retraite », qui est sympathique mais où l’on m’a demandé d’entrer moi-même toutes mes données pour pouvoir faire des simulations ! Et puis, à force de tâtonner, je suis finalement tombé sur un site de la CNAV qui fait état de manière exhaustive de mes différentes cotisations dans mes différents régimes de retraite. Il n’a pas été capable de me faire des simulations, peut-être parce que j’ai été affilié à des régimes un peu trop compliqués et atypiques...

Quoi qu’il en soit, cela montre qu’on ne dispose toujours pas, en 2016, d’un système d’information unique – comme celui que l’on a pu voir fonctionner au cours d’une mission en Suède, que nous avons faite avec le président – qui permette d’interroger rapidement, sur internet, tous les régimes. Le système suédois interroge plus de 300 régimes différents, au niveau local ou de la branche, et vous fournit non seulement vos relevés exhaustifs, mais aussi des simulations précises si vous partez à la retraite à 61, 65, 68 ou 70 ans.

Cela me semble être une des limites de la grande diversité des régimes, et, malgré les efforts qui sont faits, il n’est tout de même pas normal qu’il faille une vingtaine d’années pour arriver à mettre en place un système d’information.

Je voudrais que vous me donniez votre appréciation là-dessus. Pensez-vous que la conception même du système soit en cause ? Et quelles sont les perspectives d’aboutissement du chantier ?

Ma deuxième question portera sur la comparaison entre le système de retraite complémentaire et celui de l’assurance maladie complémentaire.

J’avais demandé à M. Libault pourquoi on ne pourrait pas créer un système complémentaire qui soit équivalent à celui des retraites complémentaires, c’est-à-dire géré paritairement par les partenaires sociaux. En effet, on voit bien que les complémentaires santé, qui représentent une part de plus en plus importante de la couverture santé des salariés, risquent de générer des inégalités très fortes, malgré tous les efforts faits par le législateur pour les limiter. Par exemple, quand on passe du salariat à la retraite, le tarif des complémentaires peut être multiplié par trois, et parfois, la couverture se trouve réduite. Compte tenu des obstacles que nous avons rencontrés, pensez-vous que ce soit faisable juridiquement ?

Enfin, et c’est ma troisième question, vous avez dit, à propos du CPA, que la sécurité sociale avait un temps d’avance. Nous essayons de faire progresser l’idée d’un système, peut-être pas unique, mais davantage intégré en matière de carrière professionnelle – formation professionnelle, chômage, orientation et gestion du temps – qui permette à l’intéressé de bénéficier de la portabilité de ses droits. Ce qui se passe en matière de sécurité sociale pourrait-il être transposé à ce domaine ? Certes, ce n’est pas le vôtre, mais qu’en pensez-vous, sur le plan de la gouvernance ?

M. Arnaud Richard remplace M. Gérard Sébaoun à la présidence.

M. Thomas Fatome. Dans quelle mesure parvenons-nous à surmonter la diversité et la complexité des régimes et à assurer un service de qualité aux assurés ? Il m’est difficile de vous répondre. Disons tout de même que la situation a progressé ces dernières années, s’agissant de l’information sur la retraite. Je pense plus particulièrement à la loi de 2014, au GIP Union-retraite et à son programme de travail pour 2016-2017. Nous montrons ainsi que nous avons pris acte de la diversité des régimes, mais que nous entendons la dépasser en rendant le système plus transparent.

Certes, nous n’avons pas été très efficaces jusqu’à présent, même si, honnêtement, le défi n’est pas facile à relever. On a pu avoir tendance à s’aligner sur le rythme du plus petit ou du dernier régime – pour être un peu caricatural. Or ce n’est pas ce qu’il faut faire lorsqu’on s’occupe de trente régimes en même temps. Parfois, lorsque l’on a envie d’avancer, il peut être intéressant de réunir au moins autour de la table la CNAV, l’AGIRC-ARRCO et la Caisse des dépôts, qui, à elles seules, représentent beaucoup de monde.

Quoi qu’il en soit, on a donné au GIP Union-retraite des moyens supplémentaires et une mission plus importante, et l’on est en train de construire un compte unique. De cette façon, à un horizon assez rapproché, entre la fin de 2016 et 2017, on aura une offre de services digne de ce nom qui permettra de surmonter cette disparité des régimes.

Je me permets aussi de souligner que, à compter du début de 2017, il y aura une demande unique et une liquidation unique pour les salariés du régime général, de la Mutualité sociale agricole (MSA) et du Régime social des indépendants (RSI). Certains salariés n’auront pas à demander une partie de leur retraite à la CNAV, une partie à la MSA, une partie au RSI. Ce service, que vont leur rendre les caisses, est tout de même assez intéressant.

De ce point de vue, ce ne sont plus des promesses, mais des objectifs tangibles qui sont inscrits sur les feuilles de route des opérateurs. Car ces derniers partagent avec l’État la conviction qu’ils doivent jouer un rôle moteur. L’AGIRC-ARRCO, la CNAV, la Caisse des dépôts, etc. sont des acteurs de cet inter-régime et ils ne sauraient rester dans leur coin. Je n’aurais pas forcément dit cela il y a dix ou quinze ans. Aujourd’hui, une véritable dynamique s’est enclenchée et je suis donc raisonnablement optimiste. Nous allons nous « mettre au standard » d’autres pays que vous avez pu évoquer.

M. le président Arnaud Richard. Je me souviens très bien de ce « petit » amendement sur le droit à l’information, qui avait été déposé dans une loi Fillon, et qui n’avait l’air de rien. Mais c’était en 2003 et, treize ans après, on dit toujours que l’on va y arriver…

M. Thomas Fatome. On ne peut pas dire que l’on n’ait rien fait depuis 2003…

M. le rapporteur. Monsieur le directeur, comment expliquer aux Français qu’il faille treize ans pour aller chercher des données et les mettre à disposition des usagers ? C’est juste incompréhensible.

M. Thomas Fatome. Aujourd’hui, les usagers reçoivent chaque année, à partir de cinquante ou cinquante-cinq ans, des synthèses de leur situation en termes de retraite. On a par ailleurs construit les premiers éléments de simulateurs, même s’ils sont encore un peu basiques. Les usagers disposent ainsi d’un certain nombre d’éléments, qui traduisent la volonté des législateurs de 2003. Ce premier niveau a été atteint. Par la suite, la loi du 20 janvier 2014 a dit qu’il fallait aller plus loin, avec un compte unique, un portail unique, une déclaration unique et des simulateurs.

Certains peuvent penser qu’il faudrait aller plus vite. Mais par ailleurs, nous sommes en train de construire un répertoire unique. Le répertoire général des carrières unique (RPCU) est un élément absolument fondamental, car il permettra de réunir l’ensemble des données de carrière de l’ensemble des assurés de ce pays.

Je rejoindrai les propos de M. le rapporteur : ce sont des sujets objectivement compliqués. Il faut faire dialoguer les systèmes d’information de la Caisse des dépôts, de la direction générale des finances publiques (DGFiP), du service des retraites de l’État, de la CNAV. Et je passe sur la caisse de retraite des personnels de l’Opéra de Paris, ou sur tel ou tel petit régime…

M. le rapporteur. Il me semble pourtant simple d’interroger 200 ou 300 régimes en donnant le nom de la personne et son numéro de sécurité sociale, car ces informations existent dans les caisses, à portée de clic. À ma connaissance, il n’y a plus d’endroit où l’on utilise encore un support papier…

Il n’est pas question de dénigrer ce qui a été fait, mais de comprendre comment on peut mettre treize ans pour faire quelque chose de très simple. S’agit-il d’obstacles juridiques, d’obstacles mis par des institutions soucieuses de garder leurs informations et leurs rapports privilégiés avec leurs cotisants, d’obstacles tenant à la gouvernance du système ? C’est ce que nous essayons de comprendre.

M. le président Arnaud Richard. Le rôle des parlementaires est de s’informer et de vous aider. La loi de 2003 doit être mise en œuvre pleinement. Peut-être nous faut-il insuffler une nouvelle énergie politique pour que ce droit à l’information posé en 2003 puisse se concrétiser ?

M. Thomas Fatome. Lorsqu’on a préparé la loi de 2014, on est parti du même constat que celui que vous avez fait, et l’on s’est dit qu’à rester sur la même logique, un peu trop consensuelle et pas assez ambitieuse, on allait poursuivre sur le même rythme, ce qui était insatisfaisant. On est donc passé d’un GIP qui était tout petit à un GIP qui a des moyens et une capacité d’action plus importants, ainsi qu’une feuille de route à deux ans plus ambitieuse.

Reste que, sans vouloir m’abriter derrière la complexité de la tâche, l’existence de régimes professionnels différents fait que les systèmes d’information sont construits différemment. Comme les règles ne sont pas toujours les mêmes, les données – je ne parle évidemment pas des données standard – ne sont pas structurées de la même façon. La manière dont le service des retraites de l’État (SRE) construit ses systèmes d’information n’a rien à voir avec celle de la CNAM, parce que les concepts de carrière ne sont pas les mêmes, non plus que les droits. Le SRE a besoin de beaucoup plus d’informations pour traiter le cas du pompier, du militaire, etc.

Sans faire preuve de défaitisme, c’est tout de même compliqué en termes de systèmes d’information. En outre, la gouvernance n’est pas évidente. Quand nous allons voir, par exemple, nos amis de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL), il arrive que l’on nous réponde : « on est tranquille chez nous ! »

Quoi qu’il en soit, cette deuxième étape est lancée et elle va produire des effets significatifs pour aboutir au résultat que j’évoquais tout à l’heure.

M. Georges Sébaoun. Il est vrai que la situation a évolué. Je sais ce que c’est que d’avoir liquidé une partie de sa retraite. Effectivement, j’ai bien reçu des décomptes, qui étaient exacts, et j’ai trouvé la réactivité de la caisse plutôt rassurante. Je sais aussi qu’il est extrêmement compliqué de faire se parler des systèmes d’information différents, pas seulement pour des organisations aussi importantes que la vôtre, mais dans n’importe quelle entreprise d’un certain niveau. Ma question portera donc plutôt sur les ressources humaines et financières que vous y mettez. Sont-elles suffisantes par rapport à l’ampleur de votre mission ?

J’ajouterai que nous avons reçu hier le président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), M. Patrick Bernasconi, et que nous avons longuement évoqué ce que pouvait être la formation des partenaires sociaux sur des sujets éminemment complexes. Tout à l’heure, vous avez parlé de la technicité des directeurs et de vos équipes, et de l’implication des partenaires sociaux. Or je ne sais pas si, sur de tels sujets, la technicité des uns et des autres est suffisante pour comprendre, non pas les enjeux, mais la réalité de ce qui est proposé.

M. Thomas Fatome. Nous avons augmenté les moyens. Aujourd’hui, le GIP Union-retraite bénéficie d’à peu près une trentaine d’équivalents temps plein (ETP). On pourra préciser les choses plus finement. Par ailleurs, nous avons fait figurer dans les COG des organismes des moyens dédiés – à la CNAV principalement, mais aussi à un certain nombre de chantiers inter-régimes – précisément pour déployer ces projets. Globalement, nous avons mis les moyens.

Il nous faut réussir des projets de transformation informatique significatifs, qui nécessitent un pilotage stratégique et une maîtrise d’œuvre. Je prends l’exemple du répertoire des carrières, qui est une des clés pour avancer : la maîtrise d’œuvre appartient à la CNAV, la maîtrise d’ouvrage au GIP. J’anime par ailleurs un comité stratégique avec l’ensemble des opérateurs. Les chantiers sont donc lancés. Mais je ne peux pas vous dire que c’est simple.

En conclusion, je ne crois pas que ce soit une question de moyens. Les moyens sont là. C’est à nous d’être collectivement performants pour atteindre des résultats.

M. Gérard Sébaoun. Travaillez-vous avec des moyens internes à vos caisses ? Faites-vous appel à des cabinets experts ou à des sociétés techniciennes, dont le coût est élevé ?

M. Thomas Fatome. Les moyens existent dans les caisses. Malheureusement, dans les services de l’État, nous en avons assez peu, ce qui peut constituer une difficulté pour mener à bien des programmes stratégiques comme ceux-là. Mais c’est la réalité des administrations centrales aujourd’hui.

Les caisses, dans leur pilotage des chantiers informatiques, s’appuient sur un certain nombre d’assistances à maîtrise d’ouvrage. Nous pourrons vous éclairer sur les budgets dédiés à ces projets inter régimes de retraite. L’accompagnement et l’intervention de sociétés spécialisées sont aujourd’hui des éléments majeurs pour des projets de cette ampleur. Cela étant, nous sommes attentifs à ce que les caisses gardent la maîtrise des opérations parce que, parfois, des niveaux de sous-traitance trop élevés peuvent les mettre en situation délicate.

J’aurai peut-être quelque difficulté à répondre sur la technicité des uns et des autres. Par exemple, nous transmettons le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) aux caisses, qui ne disposent que d’une dizaine de jours pour prendre position sur plus de 80 articles dont certains sont effectivement très techniques. C’est un exercice difficile.

Les services des caisses viennent tout de même fortement appuyer les conseils d’administration pour leur apporter un éclairage ou une explication. Par ailleurs, il y a des budgets pour accompagner et former les administrateurs. Je crois que c’est nécessaire. Restent que les règles de recouvrement de l’ACOSS ou les règles de prestations familiales sont objectivement complexes, car elles traduisent une volonté de coller au plus près de la situation des assurés.

On m’a également interrogé sur l’assurance maladie complémentaire. Va-t-on vers un deuxième étage obligatoire, un peu sur le modèle AGIRC-ARRCO ? On aurait pu envisager d’aller dans ce sens, notamment par une couverture au niveau des branches professionnelles. Cela ramène au débat qu’il y a eu sur la désignation et sur le fait que cet étage aurait pu se construire progressivement, peut-être de l’entreprise vers la branche, et ensuite au-delà. On est très loin de ce qui s’est passé historiquement pour les retraites complémentaires. En matière d’assurance maladie complémentaire, le Conseil constitutionnel a considéré que l’entreprise devait avoir la liberté de choisir son assureur et n’était pas obligée de prendre l’assureur désigné par accord de branche. Donc, cela ne marche pas.

J’y vois ensuite deux obstacles principaux. Premièrement, on transformerait de façon très significative un champ qui se trouve aujourd’hui dans le secteur concurrentiel. Deuxièmement, on transformerait 30 milliards d’euros de recettes et dépenses privées en prélèvements obligatoires et dépenses publiques supplémentaires. C'est un choix politique qui peut se comprendre, mais qui pose des questions non négligeables.

Je pense que cela rejoint un débat plus fondamental, que les travaux d’Antoine Bozio et Brigitte Dormont essaient d’éclairer, sur le panier de soins. Qu’est-ce que l'on couvre ? Que couvre le système de base ? Que couvrirait le système complémentaire ? C’est peut-être par là qu’il faut aborder le sujet. Mais ce n’est pas beaucoup plus facile.

M. le rapporteur. Je ne sais pas si vous avez un observatoire des inégalités de couverture, mais, tel qu’il est, le système me paraît extrêmement inégalitaire. Et l’on n’en est qu’au début ! Même lorsque l’on parle de 10 % à 20 % seulement de reste à charge, y compris sur des soins ou des traitements de base ou de première nécessité, on voit bien que les personnes les plus faibles ou les plus à risque commencent à payer beaucoup plus cher.

Je vous ai parlé de la mission sur l’assurance chômage que nous avions faite avec le président, et qui nous avait menés en Suède. Nous avions constaté que la baisse des plafonds avait fortement touché les cadres, si bien qu’ils s’assuraient eux-mêmes dans des régimes complémentaires ou surcomplémentaires. Quand on fait l’addition, on s’aperçoit que les cadres sont bien mieux couverts qu’avant, puisqu’ils arrivent à garantir 95% à 99 %, voire 100 % de leurs salaires.

Est-ce un sujet que vous suivez ? Est-ce que vous avez des remèdes, à défaut d’être capables de faire un régime complémentaire ?

M. Gérard Sébaoun. Actuellement, il y a un débat, et presque une polémique, sur les contrats responsables et sur ce que cela a entraîné dans notre système : des honoraires conventionnés et des horaires libres, mais des honoraires libres qui sont parfois obligatoires pour certaines professions médicales, quel que soit le niveau de ressources de celui qui est obligé d’y avoir accès.

On voit bien aujourd’hui que la prise en charge des régimes complémentaires est très différente de ce que nous avions construit. Des simulations ont été faites et il semblerait que tout ce qui était « honoraires libres » fera a priori l’objet d’une prise en charge très inférieure par les mutuelles ou par les assurances, car nous avons mis des cliquets. On peut donc parler d’un effet pervers d’une bonne idée.

Que pouvez-vous m’en dire ?

M. Thomas Fatome. Nous suivons cela de près, surtout avec nos amis de la direction de la recherche, des études et des évaluations statistiques (DREES). En outre, nous disposons des rapports du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) sur les niveaux de couverture.

Je voudrais souligner que, même si la complémentaire ne fonctionne pas de la même façon que la sécurité sociale, nous sommes aujourd’hui sur un taux de couverture dépassant 95 %, que la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) est un filet de sécurité, sans oublier l’aide à la complémentaire santé, qui a fait l’objet d’une importante réforme l’année dernière, permettant d’améliorer les contrats et de baisser les coûts.

En poussant à la généralisation via l’entreprise, l’ANI favorise une mutualisation tout de même intéressante. Nous pensons que l’on pourrait la pousser davantage encore. Si l’on croit à la sécurité sociale, on croit à la mutualisation : plus elle est large, plus elle est efficace.

Tout cela va dans le même sens : disposer d’une couverture, y compris complémentaire, qui soit déconnectée le plus possible de l’état de santé, voire de l’âge du salarié. Nous sommes également en train de développer le label « senior », qui figurait dans le PLFSS pour 2016, pour permettre aux retraités de bénéficier de meilleurs rapports qualité-prix.

Nous suivons donc le sujet et un certain nombre de réformes récentes produisent leurs effets.

Je rappellerai aussi que le principal bouclier contre un reste à charge élevé reste l’assurance maladie de base. On a tendance à l’oublier, mais, si les maladies chroniques n’étaient plus couvertes à 100 %, on mesurerait – comme d’autres pays – ce que signifie un reste à charge élevé. Or depuis deux ans, le reste à charge diminue dans notre pays, comme les comptes de la santé l’ont bien montré.

Sur les contrats responsables, honnêtement, nous manquons un peu de reculs. Je vous remercie d’avoir dit que c’était une bonne idée. J’espère qu’elle n’aura pas d’effets pervers. Personnellement, je trouve qu’il était pertinent de mettre le holà à l’augmentation constante de la couverture complémentaire, notamment collective, qui est un élément de solvabilisation ayant parfois pour conséquence des niveaux de tarifs et de prix élevés. L’une des raisons pour lesquelles les prix de l’optique ont progressé assez fortement ces dix dernières années est qu’ils s’appuient sur une solvabilisation qui a, elle aussi, augmenté.

On peut essayer de réguler le système, ne serait-ce que parce que l’on y met de l’argent public sous forme d’exonérations fiscales et sociales. Cela représente plusieurs milliards d’euros, ce qui légitime une prise de position de la puissance publique. Il s’agit de dire que, au-delà d’un certain niveau de couverture de la paire de lunettes, le contrat n’est plus responsable. Il en est de même des dépassements d’honoraires.

Bien sûr, c’est une rupture par rapport à une évolution qui était toujours haussière. Nous aurons un dialogue difficile avec nos amis des complémentaires, mais un contrat responsable, c’est aussi un contrat moins cher que d’autres. En revanche, ces contrats concernent bien l’hôpital : nous avons veillé à ce que le forfait journalier soit couvert sans limite de durée.

Je vous rejoins : il convient d’être très attentif à la façon dont le système se déploie. Nous aimerions avoir des données, mais il faudra attendre au moins la fin de l’année 2016 pour apprécier ce qui se passe au niveau des entreprises, la façon dont elles ont négocié les contrats, et le niveau auquel elles l’ont fait. Est-ce que la surcomplémentaire se déploie ? Je suis dubitatif et j’attends d’avoir un peu plus de recul.

M. le président Arnaud Richard. J’ai une question qui n’est pas politiquement correcte, mais, vu la période, c’est le moment : pensez-vous que le paritarisme, dans son acception commune, soit un facteur d’accélération ou un frein ? Est-ce un outil utile pour les travaux que vous menez sur la protection sociale ?

M. le rapporteur. N’oubliez pas non plus de répondre à ma question sur l’économie collaborative !

M. Thomas Fatome. Je commencerai par elle pour ne pas oublier, mais je suis un peu en difficulté pour vous répondre, car c’est vraiment un work in progress, comme disent les Anglo-Saxons. Les administrations centrales y travaillent. De nombreux rapports et de nombreux travaux sont en cours. Je pense plus particulièrement à ceux du Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS) sur les travailleurs indépendants, ou aux travaux sur l’économie collaborative, à la suite du rapport de Pascal Terrasse.

Honnêtement, nous ne sommes pas encore en mesure de chiffrer le phénomène car nous ne disposons pas d’une ventilation ou d’une grille suffisamment fine. Nous savons isoler l’agrégat « auto-entrepreneurs », forme juridique sur laquelle s’appuie une part de cette activité, mais nous ne disposons que de peu de chiffres et nous avons des difficultés pour mesurer, au-delà, les pertes de recettes.

Même si ce n’est pas exactement le même sujet, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) a mené un travail très intéressant d’évaluation du travail dissimulé, rendu public il y a quelques semaines, et assez bien ciblé sur les différents secteurs d’activité.

Voici les travaux que l’on est en train de mener. Je pense qu’il restera difficile de mesurer la réalité de l’impact macro-économique de ces formes d’activité, compte tenu de nos systèmes d’information.

M. le rapporteur. La requalification en contrat de travail quand le lien de subordination est avéré est-elle, ou non, un objectif que vous poursuivez avec d’autres administrations ?

M. Thomas Fatome. Honnêtement, je ne poursuis pas cet objectif. Mon objectif est de participer à la création d’un cadre, pas nécessairement distinct du droit commun, mais qui soit cohérent en matière sociale et fiscale. Ce cadre doit permettre de bien différencier une activité individuelle d’une activité professionnelle. Il doit aussi être favorable à ces activités économiques qui constituent un gisement d’activités et d’emplois, donc de recettes pour la sécurité sociale, tout en apportant des droits aux salariés ou aux indépendants qui s’y livrent.

Nous avons tendance à penser que, comme cela a été le cas, historiquement, s’agissant des indépendants, l’important n’est pas le statut en termes de droit du travail mais la couverture. D’ailleurs, maintenant, les différents risques sont assez uniformisés, ce qui n’était pas le cas il y a vingt ans. En outre, on a su créer des systèmes dans lesquels certaines personnes ont été rattachées au régime général, quand bien même, selon le droit du travail, elles n’étaient pas considérées comme des salariés. Il s’agit d’activité très spécifiques visées par l’article L. 311-3 du code de la sécurité sociale : diffuseurs, mannequins, etc.

Après, on « tire le fil » sur des sujets liés à la relation entre la plateforme et le travailleur : formation, couverture sociale, etc.

Pour terminer, je voudrais reprendre ce que je disais au début.

D’une part, les partenaires sociaux exercent des responsabilités de gestion qu’à mon avis l’État ne gagnerait pas à exercer. Le chantier est déjà suffisamment important, en tout cas pour ce qui me concerne.

D’autre part, du côté de la sécurité sociale, l’organisation spécifique du paritarisme est plutôt un facteur d’adhésion et de partage des objectifs de transformation qu’un frein, même si cela peut exiger du temps, de la concertation, des discussions, des négociations. Il est plus intéressant d’engager des opérateurs dans une contractualisation quand tout le monde est autour de la table que de fixer une norme et de leur dire : « c’est moins 2 %, et on se retrouve dans quatre ans »…

En réalité, compte tenu des enjeux en matière de finances et de politiques publiques, les fondamentaux de la sécurité sociale sont définis, soit par le pouvoir législatif, soit par le pouvoir réglementaire – plus de 400 milliards d’euros pour la politique familiale, l’assurance maladie, les retraites. De ce point de vue, cela reste un « tripartisme asymétrique masqué », qui peut sembler ambigu. Malgré tout, je trouve que cette répartition des rôles fonctionne.

M. le président Arnaud Richard. Je vous remercie.

La séance est levée à onze heures quinze.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du jeudi 12 mai 2016 à 10 heures

Présents. – M. Jean-Marc Germain, M. Arnaud Richard, M. Gérard Sebaoun

Excusés. - M. David Comet, M. Pascal Demarthe