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Mission d’information sur le paritarisme

Mardi 24 mai 2016

Séance de 19 heures

Compte rendu n° 23

Présidence de M. Arnaud Richard, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. David Dugué, administrateur de la Confédération générale des travailleurs (CGT), et de M. Jean-Philippe Maréchal, conseiller à l’Espace revendicatif confédéral

– Présences en réunion

MISSION D’INFORMATION SUR LE PARITARISME

Mardi 24 mai 2016

La séance est ouverte à dix-neuf heures.

——fpfp——

(Présidence de M. Arnaud Richard, président)

La mission d’information sur le paritarisme procède à l’audition de M. David Dugué, administrateur de la Confédération générale du travail (CGT), et de M. Jean-Philippe Maréchal, conseiller à l’Espace revendicatif confédéral

M. Arnaud Richard, président. Mes chers collègues, nous recevons aujourd’hui les représentants de la Confédération générale du travail, M. David Dugué, administrateur de la CGT – qui remplace Mme Catherine Perret, empêchée –, et M. Jean-Philippe Maréchal, conseiller à l’Espace revendicatif confédéral. Merci d’avoir pu vous rendre disponibles ce soir. Nous ne pouvions évidemment terminer nos auditions sur le paritarisme sans entendre le premier syndicat de France.

Nous avons déjà entendu des représentants de votre organisation dans le cadre de nos auditions thématiques, mais ce que nous souhaitons ce soir, c’est que vous partagiez avec les membres de la mission votre analyse globale de ce qu’est le paritarisme aujourd’hui. En 2006, le secrétaire général de votre confédération, M. Bernard Thibault, avait eu cette formule : « le paritarisme est une institution malade qui permet surtout au patronat d’avoir l’ensemble des pouvoirs ».

Ce mode de gouvernance est-il toujours pertinent, de votre point de vue ? Est-ce qu’il est selon vous bien connu, bien perçu de nos concitoyens ? Faut-il revoir son champ et confier davantage de responsabilités aux partenaires sociaux ?

Quelles sont les mesures qui pourraient améliorer son fonctionnement au quotidien ? Quelles sont les perspectives de ce système au regard de l’émergence d’une sécurisation professionnelle pour tous les actifs ? Comment appréhender le fait que de nombreuses personnes exercent leur activité de manière indépendante, parfois en lien avec une plateforme numérique qui exerce un pouvoir très fort sur elles, alors que notre modèle social qui s’appuie d’abord sur les relations d’employeurs à salariés ?

Sur toutes ces questions assez ambitieuses, qui motivent cette mission, nous aimerions avoir le constat et, le cas échéant, les propositions de la CGT.

M. David Dugué, administrateur de la Confédération générale du travail. Votre mission d'information souhaitant faire « un bilan du paritarisme qui concerne des domaines aussi essentiels de la vie des Français que la formation, l'assurance chômage, les retraites, la prévoyance, etc. Elle s'attache également à retracer l'historique du paritarisme et à en tracer des perspectives d'avenir face à un monde du travail bouleversé par des mutations professionnelles profondes. »

Il nous a semblé nécessaire de vérifier la définition précise du paritarisme. Le Petit Larousse le définit comme « un mode de gestion et de décision dans les organismes paritaires » soit des organismes ou instances décisionnaires composés « d'un nombre égal de représentant de chaque partie : où les deux parties sont représentées à égalité ».

Pour la CGT, il est important de distinguer paritarisme, démocratie et équité.

Si le paritarisme s'appuie sur une représentation égalitaire de deux parties, dont les intérêts sont réputés opposés, la démocratie repose sur une représentation proportionnelle aux orientations portées par la somme des individus qui constituent l’entité à gérer ou à gouverner.

Nous ne devons pas entretenir la confusion entre un mode de gestion et la composition de délégations invitées à négocier des accords, qu'ils soient de branche ou interprofessionnels.

Il nous semble important de dissocier le paritarisme et la négociation, éléments complémentaires du dialogue social, mais différents tant dans leur objet que dans leur modalité de fonctionnement.

La négociation décide de la normalisation des règles sociales dans un périmètre ou un champ professionnel donné. Elle se déroule dans des commissions paritaires de branche ou dans un cadre national interprofessionnel pour produire de la norme sur le périmètre qui est le leur, et parfois plus largement dans le cadre des procédures d'extension.

Ces structures sont composées des différentes parties organisées en deux collèges dont les intérêts sont réputés contradictoires, si ce n'est opposés, mais pas nécessairement de manière égalitaire (le nombre de membre de chaque partie et collège n'étant pas nécessairement le même). En tout état de cause, le poids de chaque partie n'est pas égal et dépend des rapports de force du moment.

Si l'on juge nécessaire d'avoir une négociation équitable, conforme au rapport de force du moment, il est indispensable qu'elle s'appuie sur une représentation démocratique des parties constituées proportionnellement à leur représentativité.

Ceci n'est malheureusement pas le cas aujourd'hui puisque, au niveau national interprofessionnel, le collège salarié est composé égalitairement de représentants d'organisation syndicale dont la représentativité a été mesurée alors que le collège patronal est composé proportionnellement à une représentativité supposée. On peut également s'étonner que les organisations patronales soient consultées sur la représentativité des organisations de salariés et pas l'inverse.

D’autres points indispensables à une négociation équitable sont, outre la loyauté de la négociation, le cadre, le contexte et les moyens de la négociation. Il est inéquitable :

– que les négociations se déroulent systématiquement dans les locaux des organisations patronales,

– que les représentants du collège patronal puissent passer le temps qu'ils jugent nécessaire au traitement des dossiers négociés alors que ceux du collège salarié doivent systématiquement traiter ces dossiers dans l'urgence du délai que leur laisse le collège patronal,

– que les représentants du collège patronal puisse participer aux instances comme ils le souhaitent alors que ceux du collège salarié ne peuvent siéger qu'avec l'autorisation des représentants de l'autre collège.

La loi Larcher du 31 janvier 2007 pose entre autres, le problème du lien entre la norme produite par les interlocuteurs sociaux et celle produite par la loi.

Pour nous, le paritarisme, fut-il national et interprofessionnel, n'a pas été élu démocratiquement pour produire les normes sociales de notre pays et ne peut servir d'alibi aux législateurs, seuls responsables du contrat social français.

Pour autant, le paritarisme a vocation à produire de la norme sur des sujets non abordés dans le code du travail et être force de proposition pour améliorer le sort des salariés, dans le cadre du principe de faveur et de la hiérarchie des normes. Sujet d'actualité s'il en est.

Si on en revient au paritarisme, ou du moins aux organismes où siègent les acteurs sociaux, il nous semble important d'en différencier trois types, avec chacun des objets et des types de gouvernance différents : les organismes d'orientation, de gestion, ou de coordination.

Le paritarisme de gestion au sens propre du terme peut se justifier lorsque les fonds à gérer sont issus du travail et qu'ils financent des prestations à destination des salariés dont les intérêts sont partagés entre employeurs et salariés.

C'est le cas de la formation professionnelle des salariés en activité dans l'entreprise, où le développement et le maintien des compétences sont un enjeu commun, et du logement, considérant qu'il est de l'intérêt partagé de l'entreprise et de ses salariés qu'ils soient logés dans de bonnes conditions et à proximité de leur lieu de travail.

La question doit se poser différemment pour des fonds issus du fruit du travail et finançant des prestations au seul bénéfice des salariés. Dans ce cadre, le collège représentant les bénéficiaires devrait bénéficier d'un poids prépondérant dans les décisions de gestion – la présence des autres financeurs (les entreprises, l’État) pouvant se justifier, y compris avec un droit de veto en cas de non-respect des normes légales ou conventionnelles – sauf à considérer que tous ces fonds sont issus d'une communauté unique aux intérêts communs à tous ses membres que serait l'entreprise. Auquel cas, il faudrait une gestion paritaire de l'ensemble des fonds produits par l'entreprise et de l'ensemble des structures intervenant sur le fonctionnement et l'existence de l'entreprise tels que les chambres consulaires et autres tribunaux de commerce.

Outre ces principes généraux, on ne peut traiter le paritarisme de gestion globalement au regard des spécificités et de l'histoire de chaque secteur géré.

Par exemple, le « 1 % logement » est géré paritairement au sein de « Action Logement », mais la présence de représentants du gouvernement peut se justifier compte tenu de ce que la participation des entreprises à l’effort de construction (PEEC) est un des éléments participant à la politique du logement, enjeu de cohésion sociale s'il en est.

La sécurité sociale n'est plus gérée paritairement depuis les lois de 1996 instaurant les lois de financement de la sécurité sociale ; elle ne l'était, au sens propre du terme, que depuis 1967.

La gestion de la sécurité sociale, à l'origine et pendant plus de 20 ans, a été assurée par les représentants des bénéficiaires, avec une représentation démocratiquement élue des organisations de salariés. En devenant paritaire, aucune solution n'a été trouvée pour appréhender les difficultés liées, en outre, à l'évolution de la pyramide des âges et au développement des politiques de santé.

Depuis la mise en place d'une gestion paritaire, soit bientôt 50 années, les comptes restent déséquilibrés.

En créant la CSG en 1991, au lieu de faire évoluer l'assiette des cotisations comme il le faisait jusqu'alors, l'État a fait le choix de modifier la nature des fonds gérés en faisant du financement de la sécurité sociale un financement à caractère fiscal. Les salariés se sont ainsi retrouvés privés de la gestion d'une partie de leur salaire socialisé.

Cependant, la gestion des différentes branches de la sécurité sociale et la nature même de leur financement ne sont pas homogènes, certaines relevant plus de droits universels, d'autres de droits contributifs.

Aussi, pour la CGT, il est indispensable que la représentation des salariés, a minima le poids des voix qu'elle porte, soit proportionnelle à la représentativité et que le collège des salariés ait une prépondérance dans les orientations et décisions à prendre, compte tenu de l’aptitude des organisations représentatives à mesurer les besoins des bénéficiaires.

La retraite complémentaire est le seul secteur de la protection sociale géré paritairement. Ceci peut s'entendre au regard de la nature des fonds qui le finance, mais se conçoit moins si l’on veut prendre en considération les besoins des bénéficiaires. Par ailleurs, les conditions dans lesquelles a été négocié l'accord national interprofessionnel sont largement contestables. Je vous renvoie, sur ce point, à la contribution que notre organisation a dû vous remettre lors de l'audition du 3 décembre 2015.

L'action des acteurs sociaux en matière de traitement du chômage – du point de vue de la gestion – est à considérer à quatre niveaux :

– la collecte et la gestion des fonds au sein de l'Unedic ;

– l'indemnisation des demandeurs d'emploi au sein de Pôle Emploi ;

– le placement des demandeurs d'emploi, également au sein de Pôle Emploi ;

– la formation des demandeurs d'emploi, forcément en lien avec le placement, au sein de Pôle Emploi, mais également du FPSPP et des nouveaux organismes de concertation et coordination que sont les CREFOP et le CNEFOP.

L'Unedic, de par sa mission, justifie d'une gestion paritaire.

Sur la base des principes évoqués précédemment, on peut s'interroger sur la pertinence d'une gestion paritaire de l'indemnisation du chômage. Seuls les représentants des salariés sont fondés à gérer des fonds issus du travail quand les seuls bénéficiaires sont les salariés.

Le placement relève, pour le coup, d'un intérêt partagé indéniable qui justifie d'une gestion paritaire de cette activité.

La gestion de la formation des demandeurs d'emploi est, quant à elle, beaucoup plus complexe car elle implique l'ensemble des parties :

– les entreprises, parce que la formation des demandeurs d'emploi doit être en adéquation avec les besoins d'embauche à court, moyen et long terme ;

– les salariés, parce qu'étant les premiers concernés sur leurs perspectives d'emploi, leurs aspirations, leurs besoins ;

– l'État, en outre, au regard du treizième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui fait de l'accès à la formation une de ses missions régaliennes ;

– les régions enfin, au regard de l'évolution des dispositions légales qui leurs confient la responsabilité de la formation des demandeurs d'emploi.

Dans ce contexte, l'évolution du rôle du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) au fil des réformes successives en a fait un élément structurant de l'intervention des acteurs sociaux en matière de gestion des moyens à destination de la formation des demandeurs d'emploi.

Pour la CGT, la tendance actuelle de l'État à vouloir faire capter les fonds du FPSPP pour financer la formation de demandeurs d'emploi au détriment de celle des salariés en activité pose question – faudra-t-il qu'un salarié se retrouve privé d'emploi pour qu'il puisse accéder à une formation ? –, sans pour autant nier certaines dérives sur l'utilisation des fonds à destination des entreprises, notamment dans le cadre des projets Mutéco.

La gouvernance actuelle de cette instance, avec la présence de représentants de l'État au conseil d'administration, nous semble fondée et équilibrée.

Aussi nous sommes opposés à la fusion du FPSPP, organisme de gestion, et du COPANEF, organisme d'orientation, que certains appellent de leurs vœux au prétexte fallacieux qu’il y aurait une redondance entre les deux structures.

Il n'y a redondance, aujourd'hui, que parce que la présidence du COPANEF s'autosaisit d'une multitude de sujets qui ne relèvent pas de ses attributions (définies par l'article L.6123-5 du code du travail), ce qui a pour effet de contourner les représentants de l'État au conseil d’administration du FPSPP.

Sur la formation des salariés en activité, la gestion paritaire est organisée dans les OPCA et les OPACIF. La réforme de la formation professionnelle de 2014 a modifié en profondeur les attributions et le rôle des OPCA. Nous avons été confrontés à deux orientations différentes :

– faire de l’OPCA un outil de gestion pure avec comme unique objectif l'optimisation financière des « retours » sur la contribution obligatoire ;

– faire de l'OPCA un outil de mutualisation des moyens afin de maîtriser les fluctuations des besoins en formation, conjoncturels ou structurels.

Nous nous sommes engagés sur la deuxième orientation, considérant qu'elle permettait d'atténuer les effets pervers de la réforme, qui conduit à un désinvestissement des entreprises en matière de formation professionnelle. Nous parlons bien sûr de la baisse du taux de la contribution légale au financement de la formation professionnelle, qui a été ramené de 1,6 % ou 1,05% à 1 % de la masse salariale, raison principale pour laquelle nous n'avons pas signé l’ANI du 14 décembre 2013. La collecte 2016 nous conforte dans cette décision, même si nous ne pouvons-nous en réjouir.

Dès lors, le paritarisme au sein des OPCA se justifie puisqu'il fait des fonds de la formation professionnelle, issus du travail des salariés, des moyens pour satisfaire des objectifs partagés entre les employeurs et les salariés pour le maintien et le développement des compétences des salariés en activité.

L'autre option, de notre point de vue, relève moins de la gestion paritaire que de la gestion de l'entreprise, même si nous déplorons son objectif final de contournement de l'obligation de financement de la formation professionnelle.

Les derniers outils de gestion des fonds de la formation professionnelle que nous souhaitons évoquer sont les OPACIF qui, contrairement aux OPCA, gèrent des fonds à destination exclusive des salariés.

À ce titre, il nous semble que rien ne justifie une gestion paritaire – sauf à entretenir là aussi les contournements de la loi en laissant la capacité aux entreprises de capter les fonds du congé individuel de formation pour financer des formations d'adaptation et de maintien au poste de travail, qui relèvent pourtant de l'obligation de former de l'entreprise censée justifier de la baisse du taux de la contribution légale.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Si je comprends bien vos positions, vous êtes, de manière constante, attachés à une forte présence de l’État ainsi qu’à un encadrement législatif au niveau interprofessionnel. Votre organisation syndicale signe d’ailleurs des accords interprofessionnels avec parcimonie, mais elle en signe autant que les autres organisations au niveau de l’entreprise. Selon votre conception, les partenaires sociaux peuvent donc négocier au niveau interprofessionnel ou au niveau de la branche, en vue d’améliorer la situation des salariés, dans le cadre du principe de faveur.

J’ai compris que vous souhaitiez, là où il existe des collèges de salariés, notamment dans les organismes paritaires, remplacer la règle « un syndicat - une voix » par un système de pondération où chaque syndicat aurait un nombre de voix proportionnel à son audience. De ce fait, la CGT ou la CFDT auraient plus de représentants que les autres organisations. Souhaitez-vous que cette règle s’applique à l’Unedic, dans les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), dans les systèmes de retraite complémentaire, voire en matière de logement ?

Vous souhaitez que, dans les organismes gérés de manière paritaire, les salariés aient davantage de poids. J’ai compris que, pour vous, l’assurance chômage, comme c’est d’ailleurs le cas en Suède, devrait être gérée exclusivement par les salariés, dans la mesure où ils sont les seuls bénéficiaires des prestations, même si le financement est partagé entre des cotisations patronales et des cotisations salariales. Vous souhaitez également appliquer le même raisonnement, non pas aux OPCA, mais aux fonds de gestion des congés individuels de formation (FONGECIF).

Par ailleurs, nous constatons que les parcours professionnels ne sont pas suffisamment pris en compte dans leur globalité. Par exemple, la formation des demandeurs d’emploi est notoirement insuffisante et manque de cohérence au regard du parcours des individus. Seriez-vous favorable à une meilleure intégration entre les différents régimes qui traitent des parcours professionnels des salariés – je pense notamment au FPSPP, à l’Unedic, aux OPCA, aux FONGECIF, ainsi qu’à d’autres mécanismes qui sont peut-être à inventer, comme des mécanismes de gestion de l’épargne-temps ? Je remarque qu’aujourd’hui, lorsqu’un salarié quitte une entreprise pour en rejoindre une autre sans avoir épuisé ses jours de RTT et ses congés, il doit monétiser son compte épargne-temps et supporter la charge de la fiscalisation correspondante, et il ne peut donc plus bénéficier du temps libre auquel il avait droit. Que pensez-vous de l’idée d’aller vers un régime unique de sécurité sociale professionnelle – concept d’ailleurs porté depuis longtemps par la CGT ? Est-ce une perspective crédible ou cela conduirait-il à la création d’un « monstre » difficilement gérable ? Plus largement, quelles sont vos réflexions autour de la gouvernance de cette sécurité sociale professionnelle dont vous avez défendu l’idée ?

M. le président Arnaud Richard. Votre collègue Sylvie Durand, que nous avons reçue le 3 décembre 2015, n’excluait pas que le tripartisme puisse mieux protéger les salariés que le paritarisme. Pouvez-vous nous éclairer sur les rapports historiquement complexes qu’entretient la CGT avec le paritarisme, et qu’illustrent les propos de Bernard Thibault ?

M. Jean-Patrick Gille. Finalement, vous semblez être moins attachés au paritarisme qu’à la possibilité, pour les salariés, de gérer le salaire socialisé. Puisque, contrairement à d’autres organisations, vous n’avez pas une vision nécessairement négative de l’intervention de l’État, qui peut être une garantie et une sécurité, pensez-vous que l’on puisse aller vers un système où il y aurait, d’une part, des garanties « universelles » garanties par l’État, c’est-à-dire une sorte de socle, et, d’autre part, une forme de garantie complémentaire, comme en matière de retraites, organisée et prise en charge par les salariés ? L’assurance chômage pourrait fonctionner ainsi, comme c’est le cas dans beaucoup de pays.

M. David Dugué. Je tiens à rappeler que la représentativité des organisations syndicales est mesurée. Cette représentativité entraîne un certain nombre de droits, ainsi que l’application de seuils. Ce n’est pas le cas pour les organisations patronales. C’est en ce sens que la mesure n’est pas équitable.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Concrètement, faudrait-il, en fonction des rapports de force tels qu’ils sont mesurés aujourd’hui, prévoir un système où l’on accorderait, par exemple à l’Unedic, trois sièges pour la CGT, trois pour la CFDT, deux pour FO, un pour la CGC et un pour la CFTC ? Allez-vous jusque-là ?

M. Jean-Philippe Maréchal, conseiller à l’Espace revendicatif confédéral. Si l’on veut adopter une démarche paritaire, faisons un parallélisme de forme avec ce qui est en place pour le collège patronal. Le paritarisme suppose que le nombre de représentants de chaque partie soit égal, mail il peut également signifier une égalité de traitement. Or, il n’y a pas d’égalité de traitement entre le collège patronal et le collège syndical et rien, de notre point de vue, ne justifie cette différence de traitement. Il n’y a aucune raison qu’il y ait quatre postes pour le MEDEF et un pour la CGPME – l’UPA n’étant, je crois, pas présente dans cette instance – et qu’il y ait de l’autre côté un poste pour chaque organisation syndicale. Il s’agit d’une différence de traitement qui, de notre point de vue, ne se justifie pas. Il n’y a pas d’égalité, pas de parité. Or dans « paritarisme », il y a « parité »…

S’agissant de la présence de l’État – qui ne nous effraie pas –, celle-ci doit être déterminée par la nature des fonds et l’utilisation qui en est faite : il est logique que l’État soit présent s’il s’agit d’une mission régalienne, ou, à la rigueur, lorsque les fonds gérés sont de nature fiscale. La place de l’État nous semble également importante en matière de formation des demandeurs d’emploi, mais aussi pour assurer la coordination d’une multitude d’acteurs alors même que la règle est écrite par le législateur.

Nous ne partageons pas l’idée selon laquelle les demandeurs d’emploi ne seraient pas assez formés : leur niveau de qualification – l’un des plus élevés en Europe – est bien souvent supérieur à celui exigible pour les emplois disponibles. Le problème tient au fait que les formations dispensées ne correspondent pas aux emplois et aux rémunérations proposés.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Je suis tout à fait d’accord avec vous : j’ai dit de manière une peu synthétique que les moyens consentis pour les former sont insuffisants et non que les demandeurs d’emploi ne sont pas formés.

M. Jean-Philippe Maréchal. Il faut donc s’intéresser à l’objectif de la formation. Nous avons une vision émancipatrice de la formation, qui ne doit pas se limiter à rechercher l’adaptation au poste de travail ou l’adéquation entre l’offre et la demande de travail – même si c’est indispensable. Nous ne pouvons pas parler de formation lorsqu’il s’agit de former un jeune possédant un bac + 5 au métier de caissier dans un grand magasin. Nous n’adhérons pas à la vision souvent partagée – et caricaturale – selon laquelle la formation ne va pas nécessairement à ceux qui en ont le plus besoin. La formation professionnelle n’est pas l’alpha et l’oméga de la lutte contre le chômage.

Pour ce qui concerne l’Unedic, les fonds de l’assurance chômage n’ont jamais été gérés par les salariés : ils l’ont toujours été de manière paritaire. C’est même en créant l’Unedic que l’on a « inventé » le paritarisme ; c’est après avoir été mis en place à l’Unedic qu’il est devenu le mode de gestion de la sécurité sociale. Pour autant, nous sommes prêts à considérer que les organisations syndicales sont aptes à gérer des fonds qui sont à destination exclusive des salariés, mêmes s’ils ne sont pas exclusivement issus du travail des salariés. L’idée selon laquelle il y aurait des cotisations venant des salariés et des cotisations venant des employeurs est trompeuse : personne n’a jamais vu un employeur faire un chèque tiré sur son compte personnel pour s’acquitter des cotisations dites « employeur ». Toutes les cotisations sont assises sur la richesse créée par l’entreprise, richesse qui est produite par le patron et par les salariés.

Enfin, nous ne sommes pas favorables à un syndicalisme de service, qui correspond à un modèle de gestion pratiqué dans certains pays nordiques. Ce n’est pas parce qu’un salarié n’adhère pas à une organisation qu’il ne doit pas bénéficier des avantages globalement acquis. Pour autant, cela n’empêche pas les organisations représentatives de gérer ces fonds.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Prenons un exemple concret. Si la menace brandie par certaines organisations de ne plus participer à la gestion de l’assurance chômage s’était concrétisée, auriez-vous préféré que la gestion de l’assurance chômage soit confiée aux services de l’État ou aux syndicats de salariés ?

M. Jean-Philippe Maréchal. Pour revenir sur le modèle de la Sécurité sociale, lorsqu’elle fut créée, l’État, considérant que la protection sociale était un besoin, a imposé aux entreprises de contribuer à cette protection sociale, les contributions – même appelées « patronales » – étant issues de la force de travail. C’est donc à l’État de prendre ses responsabilités politiques et de déterminer la part du salaire qui doit être mutualisée pour pouvoir financer la protection sociale.

M. le président Arnaud Richard. La CGT n’a pas signé tous les accords, mais elle participe pourtant à la gestion d’un certain nombre d’organismes créés par ces accords : comment procède-t-on ? Par ailleurs, au sein de votre organisation, de combien de mandats disposent vos membres ? Considérez-vous cela comme une chance pour votre confédération, ou comme un poids à gérer ? Comment désignez-vous les personnes qui sont chargées d’exercer ces mandats ?

M. David Dugué. L’étude du modèle suédois, pourquoi pas ? Mais c’était l’idée de fond qui était importante. Depuis longtemps, nous proposons ce qui s’appelle la « sécurité sociale professionnelle ». Le fait d’avoir choisi ces termes est assez parlant. C’est davantage ce modèle-là qui pourrait se construire sur un socle de garanties universelles. Encore faut-il débattre de ce socle.

Lors d’une précédente audition, notre camarade était intervenue sur ce qu’elle avait appelé la « troisième voie », c’est à dire le tripartisme. Elle avait en fait cité un exemple particulier – celui d’une « maison commune » des régimes de retraite –, mais il n’est pas sûr que toute solution soit bien adaptée à chaque problème. En l’espèce, notre camarade avait évoqué l’intervention des organisations de salariés, des organisations patronales et des parlementaires.

La question se pose de la même manière pour la sécurité sociale professionnelle. Nous avons des propositions, mais certaines sont peut-être hors du champ de notre discussion, comme la réduction du temps de travail. En ce qui concerne la formation des chômeurs, l’attention doit se porter moins sur ceux qui sont hors de l’emploi, mais en ont déjà eu un, que sur ceux qui n’ont pas encore connu l’emploi bien qu’ils soient diplômés ou qu’ils sortent de formation : ajouter de la formation à ces personnes, déjà bien formées, y compris au regard des savoir-faire, ne sert pas à grand-chose alors qu’ils ont déjà du mal à trouver des débouchés sur la base de leurs formations actuelles, qui sont déjà d’un niveau élevé. Donc la formation doit bien bénéficier à tous, mais il ne faut pas que cela dérive : ce n’est pas parce que l’on est confronté à un problème d’’emploi qu’il faut nécessairement y répondre par de la formation. On y répond surtout en ouvrant des portes et en cherchant des politiques qui permettent d’accéder à l’emploi.

Comment gérer un accord que nous n’avons pas signé ? C’est le principe même de la négociation que de se mettre autour d’une table pour discuter et de prendre acte du fait que ce ne sont pas nécessairement nos propositions qui sont validées. On les combat par des arguments et des propositions – lorsque la CGT signe un accord d’entreprise, c’est sur la base de ses propositions et de la réponse aux revendications qu’elle porte au nom des salariés qu’elle représente. Mais une fois que c’est fait, il faut continuer à avancer : on peut chaque jour essayer d’améliorer les choses, même ce qui a été signé ; on peut même, parfois, essayer de revenir en arrière pour obtenir mieux.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Il est néanmoins de tradition, sinon de règle, que quand une organisation ne signe pas un accord, elle ne préside pas l’organisme que celui-ci a créé. C’est un peu étrange.

M. David Dugué. Vous parlez d’un point de vue purement technique, c’est à dire sur les présidents, et sur la répartition des sièges au conseil d’administration.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Certains se sont d’ailleurs interrogés sur la remise en cause de cette règle. Prenons le cas de l’UNEDIC : les partenaires sociaux négocient un accord – sur les cotisations, les prestations, les personnes couvertes, etc. – puis, une fois celui-ci conclu, il faut gérer l’organisme qui est chargé de l’appliquer. Qu’est-ce qui empêche, lorsqu’on n’a pas signé un accord, de participer à la gestion de ses conséquences, importantes pour la vie quotidienne des salariés ? Ne faudrait-il pas totalement dissocier ce qu’est la gestion de ce qu’est la négociation et la conclusion d’un accord ?

M. Jean-Philippe Maréchal. De notre point de vue, c’est dissocié. Quand notre organisation ne signe pas l’accord constitutif d’une structure, elle n’y siège pas ; c’est le cas à OPCALIA par exemple. Mais quand il s’agit d’un accord qui donne des principes ou des modes d’organisation, ça ne remet pas en cause la participation à la structure – sauf si cela venait en contradiction avec l’objet même de la structure ! Tant qu’un accord n’est pas étendu, il n’engage normalement que les signataires, mais dès qu’il est étendu, il a « force de loi » et doit être appliqué par tous, y compris les non signataires. Donc la question ne se pose pas. C’est la manière d’appliquer l’accord qui, éventuellement, peut donner lieu à quelques nuances et amener à rechercher de nouvelles avancées, mais dans le cadre d’actes de gestion uniquement.

La participation à l’administration de la structure est aussi un peu à la main des signataires. A partir du moment où ils décident que la CGT, non signataire, ne doit pas siéger, elle ne siège pas. Il s’agit là d’une clause qui reste contestable dans le sens où, malgré tout, la structure en question gère des fonds qui sont issus du travail de nos adhérents également.

Une meilleure coordination des acteurs est nécessaire : c’est pourquoi les structures quadripartites ont tout leur intérêt, notamment le CNEFOP et les CREFOP. De là à parler d’une structure unique… Cela ne peut pas se faire du jour au lendemain, mais ce n’est pas quelque chose auquel nous serions opposés. Nous portons depuis de nombreuses années l’idée de service public de l’emploi : ce pourrait être l’outil qui réponde à ce besoin.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. L’accompagnement dans le cadre de la formation professionnelle devrait-il être inclus dans le service public de l’emploi ? L’idée du conseil en évolution professionnelle – que notre collègue Jean-Patrick Gille porte depuis longtemps – est essentielle. En même temps, comme nous avons voulu nous appuyer sur l’existant sans renforcer les moyens, il se met en place un peu dans les OPCA, un peu dans les COPACIF, un peu à Pôle emploi – mais par un simple aménagement de leur offre classique de services –, etc. En fait, sans vrai service public, il n’y a pas de vrai conseil en évolution professionnelle, une porte où chacun, salarié ou chômeur, pourrait frapper à tout moment durant sa vie active pour construire un plan de carrière et pour l’aménager. Donc, pour vous, ce service public de l’emploi doit-il intégrer la formation ?

M. Jean-Philippe Maréchal. Absolument, et en associant d’ailleurs l’orientation et l’accompagnement, ce qui est indispensable lorsqu’on individualise les moyens : à partir du moment où les moyens d’accès à la formation sont capitalisés au sein d’un compte, il faut développer l’accompagnement, sinon l’individu est laissé seul face à des moyens qu’il ne sait pas forcément maîtriser. Le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV) avait travaillé, à la demande de l’État, sur le compte individuel de formation. Les conclusions montraient qu’on ne peut pas laisser l’individu seul face à la gestion de son parcours professionnel, sous peine de le mettre en situation d’échec.

Nous sommes justement un peu surpris par le futur portail unique de droits sociaux envisagé avec la mise en place du compte personnel d’activité (CPA). Un outil informatique doit être mis à disposition des travailleurs pour leur permettre de connaître leurs droits. C’est là une décision que nous trouvons pertinente et utile. La surprise est venue du choix de l’opérateur : une banque, la Caisse des dépôts et consignations, qui avait déjà été choisie pour gérer le système d’information relatif au compte personnel de formation. Nous soutenions plutôt le projet de la CNAV, qui a l’habitude de gérer des comptes individuels rattachés à une entreprise. La Caisse des dépôts et consignations a été choisie sur des critères que nous trouvons bizarres, comme le fait qu’elle est déjà gestionnaire des régimes spéciaux de retraite.

Pourtant, plus d’un an s’est écoulé depuis la mise en place du système et il ne fonctionne pas. Pas loin de 50 millions d’euros ont été dépensés pour le compte personnel de formation, mais aujourd’hui, toutes les heures acquises au titre de l’année 2015 ne sont pas intégrés sur les comptes des salariés alors qu’elles étaient censées l’être au mois de mars. Plus grave, les salariés dont les entreprises ne sont rattachées à aucune convention collective n’ont pas de liste dédiée des certifications professionnelles susceptibles de donner lieu à des formations éligibles au CPF. Ce sont les commissions paritaires nationales d’application de l’accord (CPNAA) des deux OPCA interprofessionnelles qui sont censées transmettre les listes interprofessionnelles de certifications et de formations éligibles vers le système d’information de la Caisse des dépôts. Or, celui-ci est aujourd’hui incapable de le gérer, et il n’y a aucune perspective d’amélioration. Le seul moyen de contourner cet obstacle semble être de créer une « boîte » qui renverrait le salarié ne relevant d’aucune convention collective vers l’OPCA interprofessionnel, le salarié étant alors obligé de demander audit OPCA à quelle liste il est rattaché. Il y a, selon nous, une inégalité de traitement manifeste au détriment de ces salariés. Nous nous interrogeons vraiment sur ce qui a présidé au choix de la Caisse des dépôts et consignations, alors que le système d’information de la CNAV nous semble plus performant et plus efficace.

M. Jean-Patrick Gille. Je me permets de réagir par rapport au montant de 50 millions d’euros : une partie est liée au système informatique, mais une partie est aussi liée au choix qui a été fait sur les listes. Tout n’incombe pas au système d’information ! J’avais en tête un montant dix fois moins élevé que celui qui a été mentionné.

M. le président Arnaud Richard. Je réitère ma question sur les mandats. Ensuite, comment percevez-vous les nouvelles modalités de financement du paritarisme ? Croyez-vous qu’elles vont tenir leur promesse ?

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Faut-il étendre le fonds paritaire à d’autres domaines que celui de la formation professionnelle ?

M. Jean-Philippe Maréchal. Il est déjà étendu à d’autres domaines : il me semble que le logement en bénéficie.

Très clairement, le financement du paritarisme depuis la mise en place du fonds paritaire est largement insuffisant. Il y a une perte de moyens conséquente par rapport à la situation antérieure.

La première source de perte concerne les « droits informels ». Dans les entreprises, certains usages faisaient que les salariés venaient siéger dans les instances paritaires et que l’employeur se faisait rembourser ou pas – bien souvent, il ne l’était pas – les rémunérations auprès de l’organisme en question. Depuis l’instauration de la contribution au Fonds paritaire national, toutes les entreprises – en particulier les plus grandes, qui étaient les plus souples – ont fermé les robinets ; aujourd’hui, nous éprouvons de vraies difficultés pour exercer une partie des mandats qui nous sont confiés. Il doit d’ailleurs en être de même pour les autres organisations syndicales. Cependant, cela ne change pas notre souhait d’avoir un nombre de représentants proportionnel à la représentativité.

M. David Dugué. S’agissant de la réforme du financement du paritarisme, nous ne pouvons évaluer son impact que par rapport à l’année précédente ; on y verra peut-être plus clair à la fin du premier semestre. Une certitude : les besoins en formation sont très importants, quels que soient les postes occupés ou les mandats exercés. Or la formation est souvent à la charge de notre organisation : nous formons nos militants, nos adhérents sont des salariés qui prennent des responsabilités et des mandats en plus de leur activité professionnelle. Il faut se poser la question de savoir ce que l’on consacre comme moyens à la formation de ceux qui font fonctionner ce qui va profiter à l’ensemble des salariés. Tous nos camarades doivent être formés de façon à exercer leurs mandats dans les meilleures conditions.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Nous nous sommes souvent interrogés, au cours de nos auditions, sur la façon dont les travailleurs exerçant dans le cadre des « nouvelles formes d’activité » doivent être représentés dans notre société. Par exemple, les chauffeurs d’Uber devraient-ils pouvoir adhérer aux organisations syndicales ? La CGT accepte-t-elle l’adhésion de travailleurs qui n’ont pas le statut de salarié ? Doit-il y avoir des syndicats spécifiques ? Les situations sont très différentes : ce n’est pas la même chose d’être chauffeur salarié, autoentrepreneur chez Uber, sans statut chez BlablaCar, etc., mais on peut tout autant avoir besoin d’être défendu parce qu’on a été déréférencé d’une plateforme collaborative sans justification ou que sa notation a été diminuée.

Ensuite, vous semble-t-il nécessaire d’inventer un nouveau statut du travailleur ? Faut-il se limiter à des procédés comme la requalification ? Faut-il faire une place spécifique à l’économie de « partage de frais » ? Est-ce que l’ordonnancement juridique vous parait satisfaisant ? Ne devra-t-il pas être modifié pour inventer des choses nouvelles ?

M. David Dugué. Rappelons que la CGT est la confédération générale du travail. Dans ce que vous appelez une nouvelle forme de salariat – que l’on pourrait appeler aussi une nouvelle forme de rapport au travail –, nouveau statut ou pas, la question qui se pose est celle du lien de subordination. Quelle est la différence entre un salarié dans une entreprise lambda où il y a un lien de subordination direct vis-à-vis de l’employeur, et un travailleur du numérique ? Au fond, le vrai débat est celui de la numérisation de la société. Le lien de subordination s’établit-il avec l’application informatique au sens strict, qui va noter le travailleur – sachant qu’il y a quand de l’humain derrière – ou avec l’humain qui maîtrise l’application et qui va permettre à un travailleur rejoignant une application dite collaborative de travailler pour lui ?

Nous sommes confrontés à une numérisation de la société qui se présente comme une simple évolution des conditions de travail. Mais bien que le travailleur du numérique puisse penser qu’il est un autoentrepreneur, puisqu’il met à disposition sa force de travail et ses moyens de production, il reste installé dans un lien de subordination, via un programme déshumanisé : le travail qu’il fournit va être jugé, sans qu’il sache qui le juge. Nous sommes, certes, très en avance sur les nouvelles formes de travail et les nouveaux statuts. Mais il faudra toujours prendre en compte ce phénomène subordination – à moins qu’un jour, dans une autre société, il n’existe plus de subordination vis-à-vis de celui qui, en définitive, va gérer l’attribution du salaire.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Concrètement, est-ce qu’un chauffeur Uber qui viendrait taper à la porte de la CGT en se plaignant de ses conditions de travail ou des tarifs perçus pourrait adhérer à votre organisation ? L’UNSA nous a dit que c’était leur politique que de syndiquer les chauffeurs Uber. En revanche, la CFTC nous a dit que leurs statuts le leur interdisaient.

M. David Dugué. Nous sommes une organisation de salariés, même si nous avons aussi des personnes privées d’emploi. Cela répond à une partie de votre question : la CGT n’est donc pas fermée ! Elle est ouverte à l’ensemble des acteurs du monde du travail : salariés, personnes privées d’emploi ou retraités. Les travaux de notre 51ème congrès portent sur le nouveau salariat. Le « nouveau statut du travail salarié » était une idée qui allait de pair avec la mise en place d’une sécurité sociale professionnelle. La société évolue et la CGT ne peut pas rester de marbre. Donc, si un salarié du numérique vient à la porte de la CGT en expliquant que ses droits ne sont pas respectés ou qu’il est en difficulté, il sera accueilli. Nous sommes à l’écoute des salariés.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Dans le cas que j’évoquais, le travailleur n’est pas encore salarié. Par exemple, si le chauffeur a un statut d’autoentrepreneur et désire faire requalifier sa situation de travail en travailleur salarié – ce que commence d’ailleurs à faire l’URSSAF –, est-ce que vous allez accepter de le conseiller, de l’accompagner, voire de le prendre comme adhérent ? Admettons maintenant que les 10 000 chauffeurs Uber adhèrent à l’UNSA. Trouveriez-vous légitime que ces travailleurs soient comptés comme des adhérents dans les élections professionnelles et les mesures de représentativité ? La question est d’autant plus importante que les règles ne peuvent pas « tomber » du Parlement : à un moment donné, il faudra que les solutions émergent depuis les acteurs de terrain, pour que l’on sache par qui ces travailleurs sont représentés. Nous avons néanmoins l’intuition que, même si ces travailleurs ne sont pas des salariés, ils sont économiquement dépendants et que l’organisation la mieux à même de les défendre est un syndicat de salariés plus qu’un syndicat d’employeurs.

M. le président Arnaud Richard. Concrètement, vous n’attendrez pas que la situation d’un travailleur soit requalifiée par le juge pour l’accueillir ?

M. Jean-Philippe Maréchal. Je crois que la question ne se pose pas tout à fait dans ces termes. Comme l’a rappelé David Dugué tout à l’heure, ce qui importe à la confédération générale du travail, c’est de rassembler des personnes qui travaillent. Aujourd’hui, nous syndiquons les salariés privés d’emploi : ils peuvent très bien être demain employeurs ou entrepreneurs. Ce qui différencie le travailleur de l’employeur, c’est que l’employeur a le travailleur à son service, et qu’il lui fournit du travail contre une rémunération.

Il y a également de très nombreux travailleurs indépendants qui, selon nous, parce qu’ils sont dépourvus de statut, subissent une très forte pression de leurs donneurs d’ordres,. À ce titre-là, ils sont forcément les bienvenus dans notre organisation. Rien ne nous interdit de les organiser afin que les personnes qui exercent ce rapport de subordination assument leur responsabilité d’employeur.

M. le président Arnaud Richard. N’y voyez pas une critique mais un simple constat : pendant la crise récente entre les chauffeurs et les taxis, votre organisation syndicale n’est pas tellement intervenue dans le débat. Vous n’avez pas été force de proposition.

M. David Dugué. Certes, mais encore faut-il savoir qu’ils sont venus à notre rencontre et que nous avons discuté avec eux. Cette crise résulte de la confrontation entre deux mondes que l’on voudrait à tout prix séparer – ce qui n’est pas le cas de la CGT : le monde industriel du siècle dernier et un monde numérique qui serait présenté comme idyllique. Or, les personnes qui travaillent dans ce monde numérique, avec une impression de liberté, sont comme les autres confrontées à la nécessité d’obtenir, en fin de mois, la rétribution du travail qu’elles ont fourni. Pour nous la question s’est donc davantage posée en terme de propositions : ces salariés n’ont pas trouvé et ne trouveront pas porte close. Il faut trouver de bonnes réponses à ces nouvelles formes de salariat.

M. Jean-Philippe Maréchal. De notre point de vue, la crise des taxis est liée à la nature de la profession, qui est une profession réglementée, plus qu’à la nature du salariat. De très nombreux chauffeurs de taxis sont des petits patrons et non des salariés. La question posée est donc plutôt celle de la dérèglementation d’une profession réglementée, notamment lorsqu’elle est confrontée à une ouverture par un contournement. On peut faire le parallèle avec les hôtels et Airbnb : les hôtels doivent respecter des règlementations et des personnes entrent sur cette activité sans en respecter la réglementation. Il est de l’intérêt des organisations syndicales comme la nôtre de défendre les salariés des professions réglementées, car ces réglementations sont importantes.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dit « Sapin II ») va justement traiter des qualifications professionnelles.

Quelle est la différence entre l’activité que je fais pour moi-même et l’activité que je fais pour les autres et qui, selon son ampleur, peut devenir une activité professionnelle ? Les nouvelles technologies sont un moyen pour les travailleurs d’accéder directement au client, en donnant une illusion de liberté. Mais soit l’on est inscrit sur la plateforme, et on a accès au client, soit l’on n’est plus inscrit – n’oublions pas que les plateformes sont souvent en situation de monopole – et l’on perd l’accès au client, donc son travail. La plateforme crée une dépendance économique parce qu’elle détient un monopole d’accès au client. Peut-être cette situation ne durera-t-elle pas ; cependant, nous sommes assurément dans une phase où ce type de travail a besoin d’être représenté et défendu. Certains pays, comme l’Allemagne ou les États-Unis, ont des syndicats très puissants pour défendre ces activités-là.

M. le président Arnaud Richard. Comment voyez-vous le paritarisme se « fondre » dans ces plateformes ? Comment voyez-vous le modèle de protection sociale se fondre demain dans cette nouvelle économie ?

M. David Dugué. J’ai envie de dire : « Et vous ? » N’oublions pas que la dématérialisation des relations de travail s’entend par comparaison avec ce que l’on connaît. Mais dès que l’on évoque le sujet en termes de responsabilité, on trouve que la plateforme est le centre des choses.

Penchons-nous déjà sur le paritarisme actuel, qui évolue avec les manques que l’on connaît, tant pour sa gestion que son financement et son organisation. Plus on sera fort sur ce que l’on connaît déjà, en travaillant sur les modalités du paritarisme, sur la représentativité, etc., en inventant et en créant, plus on sera fort sur ce qui est nouveau. On sera de toute façon obligé d’élargir le cercle de la réflexion à ce qui se crée hors de notre champ de pensée habituel. Cela, tout en restant très attentifs aux développements actuels.

M. Jean-Philippe Maréchal. On ne peut pas considérer le paritarisme comme un objet : il s’agit d’un moyen. La seule question qui vaille est de définir le modèle social adapté à ces travailleurs. Ce modèle reste à construire, mais je me permets d’insister sur le fait que le paritarisme peut correspondre à un moyen de gérer les relations sociales, même si ce n’est pas l’alpha et l’oméga.

M. le président Arnaud Richard. Je vous remercie d’avoir répondu à toutes nos questions.

La séance est levée à vingt heures trente.

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Présences en réunion

Réunion du mardi 24 mai 2016 à 19 heures

Présents. – M. Jean-Marc Germain, M. Jean-Patrick Gille, M. Arnaud Richard

Excusés. – M. Pascal Demarthe, Mme Michèle Fournier-Armand