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JEUDI 12 MARS 2015

Séance de 10 heures 

Compte rendu n° 11

Présidence de
M. Patrick BLOCHE

Mission de réflexion sur l’engagement citoyen et l’appartenance républicaine

Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Guilbert, vice-président de Générations Mouvement

L’audition débute à dix heures dix.

M. Patrick Bloche, président. Nous souhaitons la bienvenue à M. Michel Guilbert, vice-président de la Fédération nationale Générations Mouvement. Premier réseau associatif de seniors de notre pays, Générations Mouvement travaille sur l’autonomie et l’isolement et promeut le lien social et intergénérationnel, en particulier en milieu rural. L’association participe aussi à la formation des aidants, sujet que vous connaissez, monsieur Guilbert, puisque vous avez occupé diverses fonctions à la chambre d’agriculture de la Somme et que vous êtes aujourd’hui administrateur de l’Institut de formation des responsables associatifs. Vous êtes également maire de la commune d’Assevillers, depuis vingt ans, et vice-président de la communauté de communes de Haute Picardie, chargé des questions scolaires. Votre expertise, qui concerne directement l’engagement et l’innovation territoriale en milieu rural, nous sera donc très précieuse.

M. Michel Guilbert, vice-président de Générations Mouvement. Je suis d’autant plus heureux de m’exprimer devant vous que votre invitation constitue pour notre fédération une reconnaissance au niveau national.

Générations Mouvement est issu des Aînés ruraux, réseau associatif créé il y a une cinquantaine d’années par la Mutualité sociale agricole (MSA) afin d’améliorer la vie des agriculteurs qui commençaient à bénéficier d’une retraite. Afin de rompre l’isolement des personnes âgées, la MSA, en partenariat avec Groupama, encourageait les jeunes retraités à constituer des clubs dans les villages de France. À l’époque, il s’agissait de permettre à d’anciens actifs agricoles, qui n’avaient jamais eu beaucoup de loisirs, de profiter d’une certaine liberté et d’accéder à des activités nouvelles tout en luttant contre la solitude. On se retrouvait au club autour d’une partie de cartes ou d’un goûter, mais l’on pouvait aussi organiser une excursion ou même des voyages de plus longue durée.

Ces clubs se sont rapidement multipliés, et ils se sont regroupés au sein de fédérations départementales, puis d’une fédération nationale, qui fêtera ses quarante ans l’année prochaine. Cette dernière compte aujourd’hui environ 650 000 adhérents répartis au sein de 9 000 clubs dans 85 départements.

Au-delà des loisirs, des activités plus ambitieuses ont progressivement vu le jour au sein des clubs, notamment en matière d’aide aux aidants ou de formation. Aujourd’hui, nos adhérents ne sont plus les mêmes qu’aux premiers jours et leurs attentes ne sont plus celles des anciens, notamment en termes culturels ou sportifs. Avec la disparition d’une génération, nous avons constaté une diminution de nos effectifs, qui nous a amenés à nous adresser aux plus jeunes retraités, nés après la dernière guerre, et à nous tourner vers le monde urbain. En 2013, les Aînés ruraux ont changé de nom pour devenir Générations Mouvement, mais nos valeurs restent celles du monde rural : la solidarité et la fraternité. Je rappelle que notre mouvement est apolitique, non confessionnel, et qu’il ne se reconnaît dans aucun mouvement philosophique ou syndical.

Les seniors ont plusieurs atouts : ils sont disponibles et disposent de compétences qu’ils souhaitent mettre à la disposition des plus jeunes. Ils n’ont pas attendu la réforme des rythmes scolaires pour aider les enfants à lire ou à faire leurs devoirs. Parmi nos adhérents, nous comptons de nombreux enseignants et d’anciens personnels de la gendarmerie ou de l’armée, partis jeunes à la retraite, qui sont prêts à s’investir.

Générations Mouvement veut aider à la préservation du lien social et faire en sorte que les personnes âgées ne se retrouvent pas seules. Aujourd’hui, nous contribuons aussi beaucoup à leur maintien à leur domicile, où elles bénéficient de soins, de repas et de diverses aides. Nous sommes représentés dans différentes instances impliquées dans la vie des personnes âgées : les comités départementaux des retraités et personnes âgées (CODERPA), les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (CESER), les conseils d’administrations des hôpitaux, les agences régionales de santé (ARS), etc. Nous avons encouragé nos membres à convaincre les maires de les nommer au conseil d’administration du centre communal d’action sociale (CCAS) de leur commune.

La société évolue très rapidement, même dans nos petits villages. Hier, leur population était relativement « ancienne » : aujourd’hui, ils accueillent des familles qui quittent la ville devenue trop chère et qui ont du mal à s’intégrer. Nous sommes devenus des villages-dortoirs ! Peut-être ne faisons-nous pas assez d’efforts pour intégrer les nouveaux arrivants, mais le problème est plus complexe. Au mois de janvier dernier, dans la petite commune de 300 habitants dont je suis le maire, j’avais personnellement invité tous les nouveaux Assevillois aux vœux : une seule des quarante et une familles conviées s’est déplacée, et une seule autre s’est excusée. Pour faire vivre nos villages ruraux qui se meurent, il faudrait développer les animations et impliquer tous les habitants. Pour sa part, Générations Mouvement organise déjà des activités comme l’aide scolaire aux jeunes ou la mise en place de jardins pédagogiques.

Nous disposons également de notre propre centre de formation, l’Institut de formation des responsables associatifs (IFRA), qui permet aux bénévoles qui le souhaitent de gérer leur club dans d’excellentes conditions.

Les nouvelles technologies constituent encore pour nous un champ d’expérimentation. Nous souhaitons aller plus loin en la matière, car il est indispensable que les plus âgés s’initient à l’informatique, ne serait-ce que pour communiquer avec leurs petits-enfants. Nous voulons éviter que s’installe une fracture numérique entre les générations, qui créerait des citoyens de seconde zone. L’un des débats de nos journées nationales, la semaine prochaine, au Mans, sera consacré aux outils connectés et à l’utilisation de l’informatique pour le maintien à domicile des personnes âgées.

Grâce à notre centre de formation, nous avons répondu à un appel à projets lancé par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) qui nous a permis d’obtenir une subvention afin d’aider les aidants. Nous formons en particulier des animateurs issus du monde médical qui rencontrent ensuite les bénévoles et les familles concernées. Parce que ces derniers ont souvent besoin de répit, nous prenons d’autres initiatives sur le modèle du « baluchonnage » canadien. Il faudrait en tout état de cause que le statut d’aidant soit reconnu. Cela faciliterait notamment la vie de ceux qui, à côté de la lourde charge qu’ils assument auprès d’un proche, ont une activité professionnelle à temps plein.

Parmi les améliorations souhaitables, je pense à la nécessité pour les associations de travailler en partenariat et en transversalité, comme c’est le cas au sein de la Mobilisation nationale contre l’isolement des âgés (MONALISA). Nous avons les mêmes objectifs, autant ne pas nous faire concurrence !

Lors de son assemblée générale, la semaine prochaine, Générations Mouvement votera des motions diverses sur des sujets comme le niveau de vie des retraités ou le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement. Concernant ce texte, nous regrettons qu’aucune place ne nous ait été faite au sein de la conférence des financeurs de la prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées. Nous ferons pression pour siéger dans cette instance départementale.

Nous agissons aussi auprès des maires pour qu’ils sachent que les seniors sont disponibles pour animer le milieu rural.

Enfin, nous soutenons la silver economy, et nous souhaitons mettre en avant les outils qui pourront aider les seniors à mieux vivre.

M. Joaquim Pueyo. Monsieur Guilbert, nous connaissons et apprécions le travail effectué sur tout le territoire par Générations Mouvement en termes d’animation, de formation et d’accompagnement. De leur côté, les collectivités ont consenti de gros efforts, ces dernières années, en faveur des personnes âgées en leur faisant porter des repas ou en développant l’aide à domicile.

J’ai bien conscience que les mots « personnes âgées » recouvrent des réalités très différentes et que les seniors qui fréquentent vos associations conservent des relations sociales, ce qui n’est pas le cas de certains autres.

Comment renforcer les liens intergénérationnels ? Des collectivités mettent en place des expérimentations de « papotage » qui s’adressent aux personnes âgées isolées. Les aînés peuvent aussi intervenir auprès des jeunes. Ces relations me paraissent essentielles dans le cadre de la citoyenneté et de la défense des valeurs républicaines.

M. Jean-Louis Bricout. Vous souhaitez très légitimement vous impliquer dans les conseils d’administration des CCAS : ils ont besoin d’une expertise concernant les personnes âgées.

Participez-vous aux commissions d’accessibilité ? Le terme renvoie souvent aux seuls handicapés alors que l’enjeu concerne également la mobilité des personnes âgées ou l’adaptation des logements au vieillissement. Les établissements recevant du public (ERP) ont sans doute aussi besoin de l’expérience qui est la vôtre.

Aujourd’hui, la sortie de l’isolement peut passer par le numérique. Il faut que les personnes âgées aient accès à l’ordinateur pour communiquer.

M. Jean-Luc Bleunven. Générations Mouvement est bien connu dans nos territoires : dans ma circonscription, vos clubs sont tellement actifs que nos salles ne sont pas assez vastes et nombreuses pour les accueillir !

Nous entendons parler à la fois du renforcement et du relâchement des liens familiaux face à la crise. Dans la position d’observateur qui est la vôtre, laquelle de ces deux évolutions de la place de la famille constatez-vous, en particulier pour ce qui concerne les jeunes retraités ?

Ressentez-vous un phénomène de radicalisation dans les choix électoraux des personnes âgées ? On entend beaucoup les médias et les instituts d’analyse évoquer ce phénomène. Le percevez-vous également ?

M. Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique. Monsieur Guilbert, comment sont dispensés les savoirs élémentaires qui permettent aux personnes âgées d’utiliser les outils numériques ? Comment aider à former ceux qui forment les seniors ? Il s’agit d’un enjeu majeur pour le lien intergénérationnel, pour l’accès aux services publics, ou même pour conserver un rapport avec le monde et l’actualité – l’outil informatique a également de nombreuses vertus puisqu’il permet de faire travailler l’attention ou la mémoire. Pourrait-il s’agir de l’une des missions du service civique ?

M. Bernard Lesterlin. Nous travaillons à une très forte montée en charge du service civique, engagement citoyen volontaire, mais nous ne passerons pas du jour au lendemain de 35 000 volontaires à l’objectif de 200 000.

Quelles missions permettraient de développer la mixité intergénérationnelle ? Comment les jeunes peuvent-ils contribuer à aider les aidants ? Qui devrait porter ces actions : les collectivités territoriales ? les associations ? En la matière, connaissez-vous des expériences innovantes qui pourraient nous inspirer ?

Quelle peut être la contribution des jeunes retraités – notamment ceux qui exerçaient des professions pour lesquelles la cessation d’activité est précoce – au sein de la réserve citoyenne ?

Pour ce qui concerne les retraités plus âgés, avez-vous déjà mis en œuvre des expériences de consignation de la mémoire locale, familiale ou professionnelle, grâce à des interviews, des enregistrements, de l’aide à l’écriture ? La transmission de la mémoire locale ne peut que contribuer à donner aux jeunes un plus fort sentiment d’appartenance à une communauté.

M. Didier Quentin. L’aide à domicile en milieu rural (ADMR) est une belle réussite nationale. Nous sommes même un modèle pour les Japonais, qui vivent encore plus longtemps que les Français. Pour avoir présidé le groupe d’amitié France-Japon de l’Assemblée nationale, j’ai eu l’occasion d’accueillir des délégations nippones venues constater l’efficacité des ADMR.

M. Henri Nallet, président de la Fondation Jean-Jaurès. Les enseignants à la retraite, qui œuvrent dans vos associations auprès des jeunes scolarisés, rencontrent-ils des difficultés avec les enseignants en activité ? Nous pourrions réfléchir au moyen de faciliter une relation intergénérationnelle qui peut être réellement magnifique.

M. Michel Guilbert. Il faut à coup sûr développer l’intergénérationnel. Les actions de « papotage » sont bénéfiques. Des associations s’occupent aussi des personnes âgées hospitalisées ou en fin de vie. Les choses s’organisent selon les préoccupations de nos membres.

L’aide à domicile auprès des personnes âgées se fait dans des conditions très difficiles. Elle permet de maintenir chez eux de nombreux seniors, surtout en milieu rural. Au niveau national, en partenariat avec la MSA, nous avons signé une convention avec Présence Verte afin de faciliter la vie des personnes âgées à domicile, par exemple grâce à la téléalarme. Nous sommes aussi partenaire de Doro, entreprise spécialisée dans la fabrication d’outils informatiques pour personnes âgées – comme les téléphones à grosses touches. Nous réfléchissons à un outil qui permettra à nos 650 000 adhérents de se contacter en cas d’urgence hors du domicile.

En tant que maire, je suis évidemment concerné par les questions d’accessibilité. Une fois encore, tout dépend des interlocuteurs auxquels vous êtes confrontés. Dans mon village, il y a quelque temps, le sous-préfet s’était montré compréhensif pour ce qui concernait la mise aux normes des bâtiments publics, conscient du poids que des travaux auraient représenté pour une commune rurale ne comptant aucun handicapé. Deux ans plus tard, à la sortie d’un concert donné dans l’église rénovée de la commune, le nouveau sous-préfet me dit : « Il faudra penser à mettre l’église aux normes ! » Les discours peuvent changer. En la matière, Générations Mouvement laisse les collectivités agir.

Nous luttons contre la fracture numérique grâce à notre centre de formation et à l’action des bénévoles qui mettent en place des ateliers informatiques pour les personnes âgées – la plus grande difficulté étant de constituer des groupes homogènes. Peut-être les jeunes du service civique pourraient-ils participer à ces opérations. Ils seraient également très utiles s’ils aidaient directement les fédérations départementales dans leurs contacts avec les maires pour créer des associations dans les petites communes.

Vous m’interrogez sur la radicalisation du monde rural. Les personnes de couleur n’habitent généralement pas nos villages, mais cela n’empêche pas que s’exprime, bien plus souvent qu’il y a quinze ans, un vote contestataire et extrémiste. Les personnes âgées ont tout simplement peur parce qu’elles voient à la télévision – qui est leur source d’information principale – une actualité effrayante. Ma mère, âgée de quatre-vingt-douze ans, qui vit seule près de chez moi, n’est pas rassurée si nous n’avons pas fermé ses volets avant la tombée de la nuit. Pourtant, elle n’avait jamais eu peur auparavant. Il faut rassurer ces personnes, en menant par exemple des actions de prévention contre le vol et en continuant d’assurer auprès d’elles un service minimal de proximité. Je me permets de rappeler l’importance du rôle social du facteur, qui est souvent le seul être humain que les personnes âgées rencontrent au quotidien. Soumise aux contraintes budgétaires du secteur public, La Poste fait maintenant payer ses services, mais nous avons parfois affaire à des facteurs compréhensifs qui oublient de déclarer à leur direction le service indispensable qu’ils apportent.

À ce jour, nous n’avons pas encore travaillé avec les jeunes sur l’aide aux aidants.

La transmission de la mémoire est un sujet qui nous préoccupe. Certains clubs ont organisé des expositions consacrées à la vie dans l’ancien temps. Elles ont suscité l’intérêt de la population. Je peux témoigner de la fascination des adolescents lorsqu’ils découvrent la richesse de l’expérience et de la vie des plus anciens au travers d’un document ou d’une pièce de théâtre. « Je ne pensais pas que mes grands-parents savaient tout cela ; je n’aurais pas osé poser des questions à ma grand-mère », m’a dit un jour une adolescente après avoir découvert les témoignages des plus vieux habitants de sa région. Au nom du devoir de mémoire, il faut faire parler les personnes âgées et créer ainsi des liens intergénérationnels. Ce devoir s’exprime aussi à l’égard des anciens combattants. Malheureusement, je constate que les jeunes assistent de moins en moins souvent aux commémorations organisées par les élus – il faut dire que l’école du village reçoit souvent des enfants venus des communes d’alentour et que l’institutrice ne peut plus, une fois la Marseillaise apprise, les réunir devant le monument communal. Cela dit, quand je vois la ferveur avec laquelle les Britanniques viennent se recueillir dans la Somme et la façon dont ils assument leur devoir de mémoire, je me dis que les Français n’en font peut-être pas assez. La transmission entre générations devrait jouer un plus grand rôle pour décrire les sacrifices et l’horreur de la guerre et porter les valeurs de paix.

M. Bernard Lesterlin. Vous avez eu raison, monsieur Guilbert, de souligner que, malgré une très faible présence des populations d’origine étrangère dans nos communes rurales, on y constate une montée des comportements de rejet de l’autre. Les postes de télévision sont en général nombreux et la diffusion de certaines émissions contribue à construire des peurs qui ne s’appuient pas sur un vécu. Toutes les initiatives que nous pourrons imaginer pour contrer cette influence seront les bienvenues.

M. Patrick Bloche, président. Monsieur Guilbert, nous vous remercions pour vos propos ancrés dans une expérience très concrète. À travers vous, nous sommes heureux de saluer le dévouement de tous les maires dits « ruraux ».

L’audition s’achève à onze heures dix.

Membres présents ou excusés

Mission de réflexion sur l’engagement citoyen et l’appartenance républicaine

Réunion du 12 mars 2015 à 10 heures.

Présents. – M. Guillaume Bachelay, M. Jean-Luc Bleunven, M. Patrick Bloche, M. Jean-Louis Bricout, M. Bernard Lesterlin, M. Joaquim Pueyo, M. Didier Quentin.

Excusés. – M. Yves Blein, Mme Marianne Dubois, M. Jean-Jacques Candelier.