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Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mercredi 13 février 2013

Séance de 19 heures

Compte rendu n° 18

Présidence de M. Bruno Sido, sénateur, Président

Audition de M. Alain Fuchs, président du CNRS, et des directeurs des Instituts du CNRS

Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mercredi 13 février 2013

Présidence de M. Bruno Sido, Sénateur, Président

La séance est ouverte à 20 heures

– Audition de M. Alain Fuchs, président du CNRS, et des directeurs des instituts du CNRS

M. Bruno Sido, président de l’OPECST. Avec le Premier vice-président Jean-Yves Le Déaut, nous sommes ravis de renouveler notre rencontre annuelle traditionnelle avec la large communauté scientifique du CNRS. L’actualité est le prochain projet de loi d’orientation sur l’enseignement supérieur et la recherche. Je vous remercie d’avoir convié tous les directeurs d’institut du CNRS pour une discussion constructive avec nous.

M. Alain Fuchs, président du CNRS. L’idée qui prévaut ce soir est de vous montrer un CNRS tel qu’il est, c’est-à-dire vivant, imaginatif, faisant des recherches qui sont compréhensibles, d’intérêt public, de grand intérêt fondamental et porteur de valeurs et d’actions de transfert vers la société. Notre objectif sera atteint si vous aurez vu que le CNRS n’est pas un monolithe ni un monument inaccessible. Nous souhaitons que par cette réunion et l’échange de questions réponses, les contacts avec les parlementaires soient renforcés. Ainsi pourraient être proposées des visites de laboratoires, par exemple le 12 avril prochain à Grenoble, pour inaugurer le nouveau bâtiment Nanosciences de l’Institut Néel, en présence de notre ministre. Nous répondrons bien sûr à toutes vos demandes d’auditions. Nous avons un Comité d’éthique (COMETS), qui travaille sur la question importante de l’intégrité en recherche, ainsi qu’une Mission pour l’interdisciplinarité – nouvelle frontière pour tout le monde –, qui a été mise en place aujourd’hui et est déjà très active.

Nous préparons un forum sur la recherche fondamentale prévu les 15 et 16 novembre prochains : à la suite des bouleversements qui se sont manifestés dans la recherche ces dernières années, des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche tenues en 2012 à la demande du Président de la République François Hollande et du rapport de M. Vincent Berger qui a suivi, du rapport remis au Premier ministre en janvier 2013 par M. Jean-Yves Le Déaut, en tant que parlementaire en mission, sur les propositions de transcriptions législatives et réglementaires des conclusions des Assises 2012 de l’enseignement supérieur et de la recherche, nous avons pensé qu’il était important de parler d’organisation et de structures.

Chaque directeur d’institut va exposer ses priorités en matière de recherche fondamentale et de valorisation en matière d’innovation, en mettant en avant, à chaque fois, deux projets de recherche fondamentale et un programme d’innovation

M. Jean-Yves Le Déaut, premier vice-président de l’OPECST. Nous sommes dans une période très importante pour l’enseignement supérieur et la recherche. Nous y avons contribué à l’Office le 4 décembre dernier par une audition publique ouverte à la presse sur « quelles conclusions législatives et réglementaires tirer des assises de l’enseignement supérieur et de la recherche ? », où un certain nombre d’entre vous sont venus. L’avant-projet de loi reprend nombre de propositions que nous avions faites, plus dans le sens d’une évolution que d’une révolution : réduction du nombre de structures ; faire travailler ensemble universités, écoles et centres de recherche ; et définition d’une stratégie de recherche.

M. Patrick Netter, directeur de l’Institut des sciences biologiques (INSB). L’INSB rassemble 274 structures de recherche : 170 unités mixtes dont 152 unités mixtes de recherche (UMR), 18 unités propres, 19 unités associées, 17 structures temporaires et 50 structures fédératives, constituées autour de plateformes. 10 026 personnes travaillent en sciences biologiques, dont 4 858 personnel CNRS ; elles se répartissent en 5 905 chercheurs et enseignants, dont 2 680 chercheurs du CNRS, et 4 121 ingénieurs et techniciens, dont 2 178 ingénieurs et techniciens du CNRS.

Le budget consolidé s’élevait en 2011 à 455 millions d’euros. 70 % des chercheurs et 75 % des financements sont rassemblés sur 27 sites dans 13 villes. En 2012 l’INSB disposait de 1 100 brevets – dont 80 nouveaux –, 300 licences exploitées et 13 jeunes pousses
(start-up).

L’INSB a un rôle de leader national en biologie fondamentale, dans le décryptage du vivant, qui débouche très souvent sur des recherches appliquées. Nous travaillons en partenariat avec l’Inserm et l’Inra, même si nos missions sont différentes.

Je vous présente un exemple dans le domaine des neurosciences : quelles sont les régions de notre cerveau impliquées dans l’intention de faire des mouvements, de les commander et de les percevoir ? Par stimulation électrique du cortex, l’équipe d’Angela Sirigu (unité mixte de recherche 5229 à Lyon) a montré que l’intention de faire un mouvement se construit dans le cortex pariétal et que notre sensation de mouvement n’est pas une image sensorielle du mouvement exécuté mais la prédiction faite sur le mouvement. Ces travaux nous éclairent sur le rôle du cortex dans l’agentivité (décision de faire) et la conscience du corps. Les implications médicales sont nombreuses, par exemple comment la plasticité corticale permet la régénération d’une commande motrice après amputation puis transplantation d’un membre (voire du visage), pour élaborer un nouveau traitement de la douleur du membre fantôme. Des travaux de ce type contribuent à la bonne place de la France dans des projets européens identifiés comme relevant d’une technologie « Flagship » bénéficiant d’un soutien communautaire spécifique, tel le Human Brain project.

Le deuxième projet que je voudrais vous présenter vise à la mise au point par l’équipe de Sylviane Muller (unité propre de recherche 9021 à Strasbourg) d’un peptide synthétique (P140) pour traiter le lupus systémique. Le lupus touche 5 millions de patients dans le monde, 90 % sont des jeunes femmes ; il affecte tous les organes, avec des formes neurologiques, rénales et cardiaques. Aucun traitement spécifique n’est connu hormis les corticoïdes et les immunodépresseurs. Le brevet du P140 a été déposé en 2001 et une licence accordée à un laboratoire pharmaceutique en 2005. La Food and Drug Administration (FDA) américaine a donné son autorisation pour un essai clinique cette année. Le produit est efficace et sans effet indésirable. Pour un produit qui connaît une telle réussite, on estime que 100 échouent.

M. Régis Réau, directeur de l’Institut de chimie (INC). Une définition du siècle dernier de la chimie dit que c’est l’art de transformer la matière. Les domaines concernés sont nombreux : les synthèses organiques, inorganiques ou supramoléculaires, l’utilisation des ressources naturelles pour préparer des médicaments, des produits sanitaires, des matériaux (verres, colles…) ou encore des polymères.

Une deuxième finalité de la chimie est de mieux comprendre la matière : on utilise la théorie, la spectroscopie, la physicochimie, la mécanique, pour comprendre les structures et les propriétés des substances. La chimie est ainsi présente dans le champ des nouvelles technologies avec les matériaux avancés : composites, plastiques « semi-conducteurs », nanomatériaux… La chimie participe également aux débats sur les grands enjeux sociétaux, relevant par nature de l’interdisciplinarité, par ses contributions à la santé, à l’énergie, à l’environnement, au patrimoine et à la « chimie verte » (procédés respectueux de l’environnement).

La chimie est une science mais aussi une industrie. À cet égard, la France est au 5e rang mondial avec 3 350 entreprises (94 % de TPE – PME), 156 500 salariés, 86,7 milliards d’euros de chiffre d’affaire et 53,7 milliards d’euros à l’exportation. Notre institut a 148 laboratoires dont 19 avec l’industrie, 5 100 enseignants et chercheurs dont 1 655 du CNRS et 2 600 ingénieurs et techniciens dont 1 500 du CNRS.

Je prendrai un exemple comportant un enjeu de société et montrant le rôle et la contribution du CNRS : le stockage électrochimique de l’énergie. C’est aujourd’hui un défi scientifique et technologique, car, le monde de mobilités où nous vivons rend indispensable la fabrication de batteries (voitures, portables…). Il faut notamment résoudre le problème de l’adaptabilité de l’offre et de la demande d’électricité, très important dans le cadre du nouveau bouquet énergétique. Notre centre d’Amiens, leader mondial, a été chargé de mettre en réseau (RS2E) toutes les compétences : laboratoires, plateformes, industriels.

Un autre exemple montrant le rôle du CNRS dans la recherche fondamentale en chimie : nos travaux pour acquérir une meilleure connaissance du fonctionnement des super-condensateurs, en vue d’optimiser leurs performances.

Nous mettons l’accent cette année sur la catalyse. À partir de l’éthylène (gaz), la catalyse permet de fabriquer des polyéthylènes (solides), qui servent par exemple d’emballage ; on en assure une production de masse depuis les années 70 (150 millions de tonnes par an). Nous essayons de diversifier les approvisionnements en remplaçant le pétrole par de la biomasse ; après catalyse, les polymères produits sont biodégradables. Notre objectif en 2013 est de faire collaborer les laboratoires internationaux et les centres d’excellence, pour créer des laboratoires « sans mur ». Nous nous efforçons ainsi de trouver de nouveaux catalyseurs moins chers et de valoriser la biomasse.

Mme Stéphanie Thiébault, directrice de l’Institut « «écologie et environnement » (INEE). Pour répondre aux enjeux du développement durable, de l’érosion, de la biodiversité et du changement global, il faut mieux comprendre la biosphère. C’est la mission de l’INEE, dont les recherches s’organisent autour du concept d’écologie globale. Cela signifie que nous essayons de relier les processus écologiques aux impacts multiples du changement global (changement climatique ou activités humaines). Nos outils sont les écotrons (plateforme de recherche expérimentale pour étudier le fonctionnement des écosystèmes, des organismes et de la biodiversité), les zones ateliers (ZA), les observatoires hommes milieux (OHM) et les dispositifs de partenariat en écologie et environnement (DIIPEE).

L’INEE comporte 76 unités de recherche et de service, 2 370 chercheurs et enseignants dont 638 du CNRS, 1 456 ingénieurs et techniciens dont 612 du CNRS, 1 120 doctorants et post-doctorants, 9 laboratoires associés, 14 groupements de recherche européens et internationaux et 23 programmes internationaux de coopération scientifique.

En 2012, l’INEE a réalisé des études prospectives sur l’écologie fonctionnelle, l’écologie chimique, les milieux polaires et les capteurs pour l’écologie. Nos axes de réflexion pour les dix prochaines années concernent : les écosystèmes, leurs interactions et leur évolution ; l’homme, les sociétés et leurs environnements ; l’intégration des diversités naturelles et culturelles, en s’appuyant sur toutes les disciplines à tous les niveaux d’échelle, macroscopiques ou microscopiques. Nos axes prioritaires de travail en 2013 sont la génomique environnementale et la représentation spatiale en trois dimensions.

À titre d’exemple, je peux vous présenter les travaux du professeur Claude Grison sur la chimie éco-inspirée. L’ingénierie écologique des sites dégradés et pollués est une source d’innovation en synthèse organique. Il s’agit de mettre au point des catalyseurs issus des plantes chargées en métaux lourds pour développer des synthèses organiques à visée industrielle. Les produits ainsi obtenus sont multiples : arômes, parfums, bio-cosmétiques, médicaments, matériaux chimiques, pesticides verts…

Nous allons renouveler cette année l’expérience des journées d’ingénierie écologique, qui permettent au public d’aller à la rencontre des scientifiques.

M. Patrice Bourdelais, directeur de l’Institut des sciences humaines et sociales (INSHS). L’INSHS dispose de 293 unités dont 267 en France métropolitaine (134 en région Ile de France) et 26 à l’étranger. 11 320 personnes travaillent dans les laboratoires avec 15 % de chercheurs du CNRS, 13 % d’ingénieurs et techniciens du CNRS, 64 % d’enseignants et chercheurs hors CNRS et 8 % d’ingénieurs et techniciens hors CNRS. 12 492 doctorants et post-doctorants travaillent avec nous.

Les recherches sont menées dans sept grands domaines : archéologie ; économie, gestion et linguistique ; sciences philosophiques et philologiques ; anthropologie et mondes contemporains ; sociologie, science politique et droit ; sciences historiques ; et géographie, territoires et environnement.

Deux exemples : le premier concerne l’archéologie. On pensait déjà qu’Ostie avait abrité un premier port en eau profonde (6 mètres), longtemps avant de devenir le port de la Rome antique ; les instruments géomagnétiques puis les carottages à 12 mètres de profondeur ont apporté les preuves de sa localisation.

Le deuxième exemple a trait à l’économie et l’analyse des flux de transports urbains. La problématique est l’approvisionnement des grands centres urbains. Une grande enquête a permis d’établir une modélisation de l’occupation des voies pour le transport de marchandises et leur déchargement. Ces travaux ont abouti à un logiciel d’aide à la prise de décision pour l’aménagement du réseau de circulation urbaine (FRETURB).

Nous organisons en 2013 un salon de la valorisation des sciences humaines et sociales, « Innovative SHS », qui se tiendra les 16 et 17 mais prochains à l’espace Charenton à Paris : tables rondes, ateliers, 40 stands d’exposition de produits. Des déclinaisons régionales seront organisées en liaison avec les industriels locaux.

Je voudrais terminer en présentant une invention montrant que les sciences humaines et sociales peuvent prendre une part significative à l’innovation : la chambre musicale. Son but est de reconstituer l’ambiance visuelle et sonore d’une époque, d’un lieu, d’un événement (un bal à Chenonceau, une entrée princière en milieu urbain…). L’évolution des images projetées sur les faces du cube, ainsi que la spatialisation de la diffusion des enregistrements sonores, permettent de simuler la progression des spectateurs au sein de l’espace reconstitué dans la « chambre musicale ». C’est un mariage de la technologie la plus récente et de l’érudition la plus traditionnelle, pour recréer une expérience sensible, au service d’une meilleure compréhension du passé et de la mise en valeur du patrimoine.

M. Yves Rémond, directeur adjoint de l’Institut des sciences de l’ingénierie et des systèmes (INSIS). L’INSIS emploie 8 000 personnes dont 5 500 chercheurs et universitaires et 2 400 ingénieurs et techniciens. Toutes les écoles d’ingénieur majeures en France sont concernées. La particularité de L’INSIS réside dans le fait que ce sont les ingénieurs de l’industrie et de la santé qui alimentent les questions que nous nous posons. Les disciplines fondamentales sont : l’énergie électrique, le magnétisme, l’électronique et la photonique ; la mécanique des matériaux et des structures et le génie civil ; l’acoustique, la mécanique du vivant et l’imagerie ; la mécanique des fluides, les procédés, les plasmas et les transferts.

Deux exemples de recherche fondamentale : le premier a été mené en 2012 à l’Institut Fresnel de Marseille sur la question de l’invisibilité, appliquée au cas de la protection d’une plateforme pétrolière vis-à-vis des vagues. Le deuxième exemple est le projet sur la combustion mené en 2013 à l’Institut de mécanique des fluides de Toulouse (IMFT).

Un exemple d’innovation majeure est ce qui s’est passé pour la conception de l’Airbus A 380 au Laboratoire de mécanique et de technologie (LMT) de l’École normale supérieure de Cachan. Le caisson central de voilure, pièce monolithique en carbone de grandes proportions (7m X 7m X 3m), a vu sa masse réduite de 3 tonnes.

M. Guy Métivier directeur de l’Institut national des sciences mathématiques et de leurs interactions (INSMI). Les mathématiques sont une question d’hommes et de femmes. Elles constituent une communauté internationale en interaction. Le rôle du CNRS est de coordonner et animer le réseau national, de favoriser les interactions avec d’autres disciplines et les entreprises, de former des jeunes chercheurs futurs enseignants – chercheurs, et de soutenir la diffusion des connaissances, notamment vers les jeunes et le grand public. Le CNRS a vraiment le rôle de pilote, de tour d’observation, et peut-être de tour de contrôle. Tout le monde veut modéliser et les interactions de toutes les sciences avec les mathématiques sont omniprésentes dans la société d’aujourd’hui.

Je voudrais évoquer à titre d’exemple l’une des théories les plus abstraites des mathématiques, le programme de Langlands. Celui-ci est formulé dans une lettre de 17 pages adressée à André Weil en 1967, et il a trait à la géométrie, à la théorie des nombres et à la représentation des groupes. Cette lettre manuscrite a eu un effet immédiat sur la communauté mathématique et a suscité de nombreux travaux. Ainsi Andrew Wiles a-t-il en 1994, enfin, démontré le dernier théorème de Fermat (xn + yn = zn). L’école française joue un rôle de premier plan pour ces recherches, en particulier avec Laurent Lafforgue et Ngo Bao Chau, tous deux médaille Fields. Le programme de Langlands n’a pour le moment aucune retombée concrète. Mais la théorie des nombres, qui était extrêmement abstraite dans les années 60, est devenue le fondement de la cryptographie et de la cryptologie.

Mon deuxième exemple a trait à l’analyse et au traitement d’images, avec des outils mathématiques comme les ondelettes. On décompose un signal en signaux élémentaires, avec des applications dans la compression d’image (jpeg2000), le débruitage (images d’Hubble) et le suivi de mouvement. La jeune pousse (start-up) « Let it wave » a ainsi obtenu, avec la photo d’identité en code-barres, le grand prix des technologies de la société de l’information de la Commission européenne. D’autres applications ont concerné les puces pour télévisions LCD à écran plat à haute résolution temporelle.

M. Jacques Martino, directeur de l’Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3). L’IN2P3 rassemble 880 chercheurs et enseignants dont 490 du CNRS, 1 570 ingénieurs et techniciens dont 1 350 du CNRS et 450 doctorants et post-doctorants. Notre institut fonctionne comme un réseau en irriguant le territoire avec 25 structures de recherche et de service. Notre thématique est la physique des particules, la physique nucléaire et hadronique, les astro-particules et neutrinos (« les deux infinis »). Nous faisons beaucoup d’expériences avec des instruments lourds et coûteux (accélérateurs de particules…). La théorie nécessite également des capacités de calcul. Les problématiques ont trait aux liens entre nucléaire et énergie, ou nucléaire et santé.

Le fait marquant de 2012 a été la découverte au grand collisionneur de hadrons (Large hadron collider - LHC) d’une nouvelle particule compatible avec le boson de Higgs. Celui-ci est important pour notre compréhension de l’univers et de la matière. Ce boson est-il standard ou porteur d’une nouvelle physique ? Le CNRS représente 80 % de la participation française au LHC : 400 ingénieurs et ingénieurs et 80 doctorants y ont travaillé, la puissance de calcul représente 10 % du calcul mondial et plus de 100 entreprises ont contribué à cette avancée.

2013 sera pour nous l’année « Ganil », à Caen, où nous construisons un accélérateur pour explorer les confins de la matière nucléaire. Les questions ont trait à la physique nucléaire fondamentale, à l’astrophysique nucléaire et interdisciplinaire et aux faisceaux d’ions parmi les plus intenses du monde.

Les innovations et partenariats industriels concernent par exemple la lutte contre le cancer, avec les détecteurs haute résolution pour l’imagerie médicale : assistance clinique avec sondes et gamma-caméras miniaturisées et instrumentation avec détecteurs gazeux ou liquides. On peut également citer les prestations de service de haute technologie avec la mesure de la radioactivité dans l’environnement grâce au réseau Becquerel (sept laboratoires d’analyse bénéficiant d’une forte crédibilité aux yeux du public).

M. Jean-François Pinton, directeur de l’Institut de physique (INP). Les défis et développement en cours de l’INP ont trait aux nanosciences (mécanique, optique, électronique, avec le champ nouveau de l’étude des effets quantiques mésoscopiques), aux matériaux (notamment les matériaux 2D comme le graphène), à la théorie (systèmes hors équilibre, événements rares, modélisation multi-échelle) et à l’instrumentation (capteurs micro et nano, grands instruments comme les lasers et neutrons, phénomènes ultrarapides).

Mon premier exemple est l’électrodynamique quantique de cavité, avec Serge Haroche, prix Nobel 2012. Il s’agit en isolant un photon unique et un atome unique de comprendre le monde quantique, avec tous ses concepts propres : superposition, intrication, complémentarité, décohérence et mesures quantiques idéales. Les découvertes en ce domaine permettent la création d’horloges de plus en plus précises, et ouvrent des perspectives lointaines pour la gestion de l’information quantique.

Le deuxième exemple est le graphène, découvert en 2004, et soutenu au niveau européen en tant que technologie « Flagship ». Ses propriétés sont phénoménales : plus conducteur que le cuivre, plus résistant que l’acier et complètement transparent. En 2008, le prix Nobel a été attribué à Geim et Novoselov pour leurs recherches en la matière. En 2012, à l’échelle mondiale, 4 000 brevets par an sont déposés sur ce matériau (dont seulement 150 en Europe) et 3 ou 4 jeunes pousses (start-up) sont créées par semaine. Le projet européen mobilise un financement d’un milliard d’euros ; la France en est le premier partenaire, avec une contribution à hauteur de 80 % du CNRS.

Je conclurai en disant que la curiosité est un moteur de recherche et d’innovation.

M. Philippe Baptiste, directeur de l’Institut des sciences de l’information et de leurs interactions (INS2I).

Les sciences de l’information concernent l’acquisition, le traitement, le partage, la diffusion, la modélisation, la représentation et la transmission de données ou signaux numériques ou symboliques. Trois « moteurs » activent les sciences de l’information : des enjeux scientifiques propres, des défis à relever pour toute la communauté scientifique et des questions liées aux technologies et aux nouveaux usages des technologies de l’information et de la communication.

Les grands enjeux de l’INS2I sont : la structuration disciplinaire nationale ; les interactions avec notamment le vivant, les mathématiques ou les sciences humaines et sociales ; et l’identification et le soutien des plateformes.

Un grand défi scientifique est le calcul et les masses de données. Ainsi pour la construction d’un avion, on devrait passer de la maquette du banc d’intégration (« iron bird ») à un modèle numérique. On gagnerait un an dans le développement d’un avion. Les besoins en calcul sont immenses. La France a rattrapé son retard mais la course est permanente. Les textes, les images, le son produisent des grandes masses de données qu’il faut gérer et exploiter. Que faire des données générées ? Comment les stocker, les fouiller, les visualiser ?

Le deuxième défi scientifique est la robotique. Un robot est une machine avec des capteurs, un système logique et des actionneurs. Nous sommes à l’aube d’une diffusion massive des robots dans la société : industrie, médecine, robotique domestique avec par exemple l’assistance aux personnes âgées, militaire avec les drones, véhicules autonomes, micro-robotique…. Cette révolution sera génératrice de beaucoup d’emplois.

M. Jean-Yves Le Déaut, premier vice-président de l’OPECST. Je constate qu’il n’y a pas d’entreprise française dans la robotique médicale. S’il y a un secteur où la France est en retard, c’est bien celui des drones.

M. Philippe Baptiste, directeur de l’Institut des sciences de l’information et de leurs interactions (INS2I). Sur la construction mécanique des robots, l’Europe est effectivement relativement en retrait, mais elle voit la création de très nombreuses jeunes pousses (start-up). En outre, le robot n’est qu’une petite partie de la robotique, il y a beaucoup de valeur ajoutée dans la partie logicielle. La France n’a effectivement pas l’environnement pour la construction des gros drones, mais elle est bien placée pour les drones de petite taille (un mètre), servant à la surveillance des mouvements de foule, des frontières ou des feux de forêt.

M. Jean-François Stéphan, directeur de l’Institut national des sciences de l’univers (INSU). L’INSU agrège 63 unités mixtes de recherche, 27 observatoires des sciences de l’Univers, 3 unités mixtes internationales et 10 laboratoires internationaux associés. Il emploie 3 090 chercheurs et enseignants dont 958 du CNRS, 2 849 ingénieurs et techniciens dont 1 477 du CNRS et 1 662 doctorants et post-doctorants.

Les thématiques étudiées sont la formation et l’évolution des grandes structures de l’Univers et des galaxies, la cosmologie, la physique du Soleil et de l’héliosphère, les relations entre le Soleil et la Terre, le cycle de l’eau, les ressources en eau et minerai, les risques naturels, le climat et la qualité de l’air.

Les exemples de recherche significative en 2012 sont : la campagne de mesures environnementales en Méditerranée (HYMEX), le laboratoire robotique sur Mars (Curiosity) et l’analyse spectroscopique par laser (CHEMCAM) des roches martiennes, en vue d’étudier les conditions d’apparition de la vie.

Les projets portés en 2013 ont trait aux résultats de la mission PLANCK « sonder l’aube des temps » de l’Agence spatiale européenne (ESA) et aux prospectives relatives aux évolutions climatiques (chantier arctique).

Une innovation significative dans le domaine des sciences de l’univers : les talcs synthétiques pour de nouveaux matériaux composites. Il s’agit d’offrir des nouvelles charges minérales nanométriques à micronique, sans défauts, pures, avec de nouvelles propriétés, en faisant de la chimie verte, sûre, à bas prix de revient. Les industries cibles sont la cosmétique, les plastiques, l’aéronautique et l’automobile ou encore la peinture. 21 brevets ont été déposés depuis 2006 et 9 accords de transfert ont été conclus. Nous disposons d’un monopole mondial et des discussions sont en cours avec un partenaire industriel. L’usine de synthèse de minéraux envisagée sera la première de son genre au monde, et créera 100 emplois. Nous estimons possible une production de 60 000 tonnes par an en cosmétique, pour un matériau à très haute valeur ajoutée dont le prix évoluera entre 10 et 50 euros le kilo.

M. Alain Fuchs, président du CNRS. Je vous remercie d’avoir eu la patience d’écouter toutes les interventions. Une dernière illustration des innovations au CNRS : j’étais récemment à Tsukuba au Japon où j’ai été reçu par un organisme de recherche qui travaille en partenariat avec le CNRS, au sein d’un laboratoire international commun. Nous y arrivons à déplacer un robot par la pensée.

M. Bruno Sido, président de l’OPECST. Monsieur le président du CNRS, mesdames et messieurs les directeurs d’instituts, je vous remercie pour ces présentations qui ont montré, s’il en était besoin, toute la vitalité de la recherche française, La récente cérémonie des médailles du CNRS m’avait déjà permis de constater que la France dispose toujours d’un potentiel scientifique remarquable.

La séance est levée à 22 h 30

Membres présents ou excusés

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Réunion du mercredi 13 février 2013 à 19 heures

Députés

Présents. - M. Claude de Ganay, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Jean-Louis Touraine

Excusés. - M. Christian Bataille, M. Denis Baupin, M. Alain Claeys, Mme Anne Grommerch, Mme Françoise Guégot, M. Patrick Hetzel, M. Alain Marty, Mme Corinne Narassiguin, M. Philippe Nauche, Mme Maud Olivier, Mme Dominique Orliac, M. Bertrand Pancher, M. Jean-Sébastien Vialatte

Sénateurs

Présents. - Mme Fabienne Keller, M. Jean-Marc Pastor, M. Bruno Sido

Excusés. - M. Gilbert Barbier, Mme Delphine Bataille, M. Michel Berson, Mme Corinne Bouchoux, M. Marcel-Pierre Cléach, M. Marcel Deneux, Mme Chantal Jouanno, M. Jean-Pierre Leleux, M. Jean-Claude Lenoir, M. Christian Namy, Mme Catherine Procaccia