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Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mercredi 27 février 2013

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 22

Présidence de M. Bruno Sido, sénateur, Président

Audition de M. Vincent Laflèche, directeur général de l’Institut national d’environnement industriel et des risques (INERIS)

Audition de M. Jacques Repussard, directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mercredi 27 février 2013

Présidence de M. Bruno Sido, Sénateur, Président

La séance est ouverte à 17 heures

– Audition de M. Vincent Laflèche, directeur général de l’Institut national d’environnement industriel et des risques (INERIS)

M. Bruno Sido, président de l’OPECST : Je remercie M. Vincent Laflèche, directeur général de l’Ineris, de s’être rendu à l’invitation de l’OPECST. L’Ineris est un organisme jouant un rôle clef dans le paysage technologique français, puisqu’il s’efforce de concilier l’excellence scientifique et une expertise audible et crédible pour accompagner l’effort d’innovation nécessaire pour relever les défis du développement durable. En mettant l’accent sur la sécurité, il offre une réponse aux inquiétudes de l’opinion publique suscitées par les progrès de certaines technologies, sujet au centre du rapport de Jean-Yves Le Déaut et Claude Birraux publié en janvier 2012 sur « L’innovation à l’épreuve des peurs et des risques ». J’observe notamment que l’Ineris a abordé la question des nanotechnologies, et mis au point un référentiel de certification pour la sécurité des personnes au poste de travail en présence de nanoparticules (NanoCert).

M. Vincent Laflèche, directeur général de l’Ineris : Avant d’entrer à l’Ineris voici une dizaine d’années, et d’en prendre la tête il y a cinq ans, j’ai travaillé au ministère de l’Environnement, puis dans un cabinet italien de conseil en environnement, ce qui m’a permis de découvrir un univers professionnel dans lequel les ONG environnementalistes jouent un rôle important. C’est une expérience dont je fais aujourd’hui profiter l’Ineris, que j’amène de plus en plus sur le terrain du dialogue avec les représentants de la société civile.

S’il fallait essayer en quelques mots de définir le rôle de l’Ineris, je dirais que c’est celui d’un expert technique qui garde un œil sur les craintes exprimées par l’opinion publique.

Historiquement, l’Ineris est l’héritier de l’ancien Centre d'études et de recherches des charbonnages de France, le Cerchar, qui s’interrogeait déjà sur les dangers de la toxicologie par inhalation. De là, le cœur de l’expertise de l’Ineris, fort logiquement orienté vers la mesure des polluants toxiques, comme autrefois il l’était vers la mesure des dangers des inhalations pour les mineurs.

Le centre principal de l’Ineris se situe à 50 kilomètres au Nord de Paris, et concentre 90 % des salariés. L’Institut a un budget de 75 millions d’euros dont la moitié provient de recettes propres, provenant pour partie de financements européens sur projet, et pour partie (20 %) de contrats avec nos 1200 clients. C’est un établissement public à caractère industriel et commercial.

Pour demeurer crédible, l’Ineris se doit d’être très vigilant sur l’indépendance de ses avis. Une charte de déontologie définit donc les principes que l’Institut entend respecter dans l’exercice de ses missions, la réalisation de ses objectifs et dans ses relations avec ses partenaires. Un comité indépendant suit l’application de ces règles et rend compte chaque année depuis 2001 directement au Conseil d’Administration.

L’Ineris est certifié ISO 9001 depuis juin 2000. Cette certification couvre l'ensemble des activités de l'institut, pour les sites de Verneuil-en-Halatte et de Nancy. L’Institut est également accrédité ISO CEI 17025, depuis sa création en 1990, pour diverses activités d’essais et d’étalonnages, et reconnu conforme aux « bonnes pratiques de laboratoires » pour les études de ses deux sites d’essais toxicologiques et éco-toxicologiques.

Le rôle de l’INERIS s’est vu renforcer par deux événements : la visite d’une délégation de l’ancienne Commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire de l’Assemblée Nationale en 2005, au cours de laquelle a été réaffirmé le principe selon lequel le développement durable était indissociable de davantage de concertation et de débats publics avant la prise de décision politique ; une enquête d’image en 2006, qui a montré une adhésion à hauteur de plus de 90 % à l’idée que l’innovation est un moyen de relever le défi du développement durable pourvu qu’elle soit juridiquement encadrée.

L’Ineris intervient sur un créneau original de l’action publique, ce qui en fait une sorte de « mouton à 5 pattes ». Sa mission concerne moins l’adaptation de la règlementation sur les techniques existantes, que la préparation d’un cadre de fonctionnement pour les procédés répondant aux défis technologiques de demain. L’objectif est de lever par avance une part de l’incertitude qui risque de freiner le développement de la technologie. Il s’agit de concevoir de manière anticipée la réglementation de l’avenir et d’en informer les industriels. L’Ineris intervient ainsi beaucoup dans l’évaluation des démonstrateurs qui constituent l’étape suivante à la réalisation d’un prototype et dont l’exploitation précède l’étape d’industrialisation du produit. L’Ineris à ce titre ne présente pas de brevets. Il établit des procédures et des règles de l’art pour les projets innovants. Il réalise aussi des certifications, et donc des audits auprès de ses clients.

L’implication de l’Ineris en amont de l’industrialisation fournit une voie pour conjuguer la sécurité avec la compétitivité, car l’établissement anticipé d’un référentiel normatif cohérent permet ensuite à la France d’aborder en position avantageuse la discussion de la normalisation internationale. Prendre les devants permet en effet d’orienter les règles en faveur des solutions techniques françaises.

L’objectif de la sécurité amène à construire des démarches de certification en entretenant un dialogue avec la société civile. À cet égard, l’Ineris se refuse de parler d’« acceptation sociale », formulation pouvant apparaître comme marquée par le parti pris des industriels, car traduisant la volonté de rendre a priori le risque acceptable. L’Ineris, en cherchant une formulation plus ouverte, a décidé de retenir une double négation : « le risque de non-acceptation ».

L’ouverture à la société civile est un point essentiel du positionnement de l’Ineris, car il est vital que son action soit perçue comme parfaitement objective et indépendante. J’ai introduit depuis 2008 le principe selon lequel tous les deux mois, les chercheurs doivent à tour de rôle participer à des débats présentant les travaux de l’Ineris, de sorte qu’ils se trouvent confrontés aux ONG. Cette stratégie paye : j’ai été témoin d’une scène où une représentante d’ONG est intervenue pour prendre la défense de l’Institut en face d’un autre représentant d’ONG ; l’accusation portait sur l’ambivalence du positionnement de l’Institut due à son financement pour partie sur contrats ; au terme du débat, le sentiment que cela n’altérait pas son indépendance a prévalu. Ces expériences permettent aux experts d’apprendre à mieux communiquer avec la société civile, car parler et débattre avec un public d’initiés ne s’improvise pas ; elles contribuent aussi à lutter contre l’asymétrie des connaissances, de manière à ne pas laisser le monopole de celles-ci aux industriels.

M. Pierre Toulhoat, directeur scientifique de l’INERIS : D’abord quelques mots sur mon parcours professionnel : avant d’arriver à l’Ineris en 2005, ma carrière a commencé au CEA dans le domaine de la gestion des déchets nucléaires, puis s’est poursuivi au CNRS, sur les questions de métrologie relatives aux données de l’environnement. Je vais essayer de rendre compte des travaux de l’Institut à travers quelques exemples concrets.

L’Ineris dispose d’une plateforme pour les tests de sécurité des batteries lithium-ion qui permet d’effectuer des séries d’essais extrêmes (chocs, vibrations) selon des standards internationaux. A partir de ces essais, nous avons été en mesure de bâtir un référentiel d’utilisation qui a permis, via un comité de certification (dont sont membres des fabricants, des utilisateurs, des représentants du pouvoir public, des experts d’associations), d’établir la certification ElliCert, dont nous assurons la promotion au niveau international. L’incident de la batterie lithium-ion sur le Boeing 787 montre la nécessité de traiter la problématique de sûreté/sécurité très en amont.

La certification des conditions de travail sur les nanoparticules, y compris dans le cadre expérimental, est fondamentale pour préserver leur place dans l’avenir des technologies, tout incident pouvant constituer un frein brutal à leur développement. Dans ce domaine, l’Ineris partage un socle de connaissances avec l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS). La certification NanoCert, dont la mise au point implique des associations comme « Ecologie sans frontières », concerne la performance des systèmes de protection collective (les hottes), mais aussi la formation des opérateurs.

L’Ineris intervient aussi dans le domaine de la sécurité sanitaire, et c’est un domaine où notre Commission d'orientation de la recherche et de l'expertise (CORE) joue un rôle particulièrement important. Mise en place depuis deux ans, elle regroupe des représentants de l’enseignement supérieur, de l’industrie, des associations, des syndicats, et des élus, et a pour première mission d’évaluer les orientations du programme d’action de l’Ineris. Sur les dossiers concrets qui lui sont soumis, elle aide à trouver les bonnes questions pour formuler les bonnes réponses.

Elle s’est vue ainsi confier la tâche de hiérarchiser 319 substances chimiques selon divers critères, dont certains relatifs à la perception par le public. Cette hiérarchisation doit constituer un outil d’aide à la décision pour la réduction des rejets conformément au « Plan national santé environnement ».

Elle est impliquée également dans la contribution de l’Ineris au programme REPERE (Réseau d’échanges et de projets sur le pilotage de la recherche et de l’expertise), plate-forme de dialogues, de propositions et de projets explorant les voies de la participation de la société civile au pilotage de la recherche et de l’expertise lancée suite au Grenelle de l’environnement. Dans le cadre de ce programme, l’Ineris conduit le projet PICASO qui consiste à élaborer des dossiers de référence évaluant la sécurité d’une part de produits chimiques, et d’autre part de méthodes alternatives à l’expérimentation animale dans le domaine de la santé et de l’environnement. Deux ONG représentées à la CORE participent au financement du projet, et contribuent activement aux investigations.

M. Vincent Laflèche : Il faut prendre conscience que la mise au point de méthodes alternatives sûres à l’expérimentation animale n’a pas qu’un intérêt éthique, car l’enjeu en termes d’économie potentielle pour les entreprises concernées est très important. La difficulté réside en ce que ces méthodes ne doivent pas seulement être conçues en fonction d’impératifs techniques, mais qu’elles doivent aussi être acceptées par le public.

Les travaux de l’Ineris sur les hydrocarbures non conventionnels ne relèvent en aucun cas de la recherche sur les méthodes d’exploration ; à la demande unanime de la CORE, l’Ineris se concentre sur l’étude des risques, et s’organise pour assurer une veille technologique. Cela crée une situation exceptionnelle où des associations se trouvent à l’origine d’un investissement de connaissances dans ce domaine controversé, en vue de développer des compétences indispensables à la constitution d’une expertise publique. L’objectif est de lutter contre l’asymétrie de connaissances, pour ne pas laisser le monopole de celles-ci aux industriels, et créer les conditions d’un double éclairage, l’expertise publique devant être en mesure à terme de contrebalancer l’expertise industrielle. Il s’agit de préparer l’Ineris à aider l’autorité politique à prendre des décisions sans dépendre des seules informations du monde industriel. La CORE a ainsi soutenu le projet d’envoyer en 2013 un ou deux salariés de l’Ineris en mission de longue durée en Amérique du Nord afin d’aller y renforcer leur maîtrise du sujet.

D’une façon générale, le développement des relations de l’Ineris avec les ONG m’a conduit à prendre conscience qu’une bonne réponse à une mauvaise question reste une mauvaise réponse. C'est-à-dire que si on ne prend pas le temps d’avoir un débat sur les questions qui se posent, il est fort peu probable que les représentants de la société civile accepteront d’écouter les réponses qui seront proposées. Cela doit amener à revoir les programmes techniques pour prendre en compte les questions telles que les citoyens se les posent, et non pas seulement telles qu’elles apparaissent aux yeux des spécialistes.

Ce genre de démarche n’est pas incompatible avec la nécessité de travailler en liaison étroite avec les industriels pour acquérir une véritable maîtrise technique. Et c’est sans doute dans cette double approche de la compétence et du dialogue que se trouvent les conditions d’une expertise utile à l’éclairage du débat public.

M. Bruno Sido : Avez-vous des liens particuliers avec d’autres organismes publics de recherches ? Par ailleurs, pouvez-vous précisez un peu plus la nature vos travaux relatifs aux hydrocarbures de roches mères ?

M. Jean-Yves Le Déaut : Vous vous occupez des risques véhiculés par l’air : comment abordez-vous le cas des nano particules ? S’agissant des évolutions du cadre normatif, quel est votre rôle dans les procédures ? Travaillez-vous sur les risques liés à l’utilisation de l’hydrogène ? Que pouvez-vous nous dire sur les technologies de stimulation des roches mères dans le cadre de l’exploitation des hydrocarbures de schistes ? Dans le domaine des risques numériques, avez-vous des travaux en cours sur le déploiement de la Google Car (voiture sans conducteur) ? Suite à vos études sur les batteries des véhicules, que pensez-vous des multiples incidents intervenus sur celles du Boeing 787 ? La nocivité du diesel est maintenant avérée (NOx, particules fines, etc.). Qu’en pense l’INERIS ?

M. Roland Courteau, sénateur : Vous nous dites que 20 % de votre chiffre d’affaires correspond à des recettes sur contrats. Mais 20 % de combien ? Par ailleurs, à quels projets européens participez-vous ?

M. Jean-Marc Pastor, sénateur : Avez-vous des programmes de partenariat avec d’autres structures similaires à l’étranger ? Menez-vous des études concernant les nouvelles énergies, et lesquelles ?

M. Vincent Laflèche : Le chiffre d’affaires de l’Ineris est de 77 millions d’euros.

Nos liens avec les organismes similaires à l’étranger, essentiellement européens, permettent d’éviter des doublons. Nous nous rencontrons très régulièrement et cela permet d’être plus rapides et efficaces dans la réalisation de nos projets communs. Notre objectif pour le long terme, c’est de faire émerger une structure commune pérenne à l’échelle européenne. Au niveau communautaire, nous prenons notre part à la mise en œuvre de la feuille de route pour « l'Horizon 2020 ».

L'initiative en matière d'évolution de la réglementation relève du Gouvernement. Nous nous contentons tout juste d’informer le ministère de l’actualité règlementaire à l’étranger.

Pour ce qui concerne l’hydrogène, on constate que la mise au point des produits progresse sans que les producteurs de la filiale s'attachent vraiment à concevoir des panels de test, en France en tout cas. Il serait pourtant utile de s’atteler à quelques travaux prénormatifs, ne serait-ce que pour anticiper les réactions de l’opinion publique : car d’aucuns assimilent la pile à hydrogène à la bombe H.

L'Ineris ne conduit pas de travaux spécifiques concernant la Google Car, mais une certification des circuits électroniques existe déjà. Le développement des connaissances dans ce domaine s’effectue en partenariat avec l’Université technologique de Compiègne.

S'agissant des nanoparticules, certaines ont des propriétés explosives, notamment celles intégrant des métaux. Elles posent donc des questions de sécurité industrielle, et l'Ineris est un des acteurs pionniers de la prévention des risques d’incendies et de dispersion de ces particules. En collaboration avec le CEA, nous avons, en outre, construit une installation d’expérimentation. Nous sommes les spécialistes de la toxicologie par inhalation, et nous avons même trouvé des nouvelles méthodes de détection. Certains de nos experts ont été récompensés pour leurs travaux sur la métrologie des nanoparticules ; et nous participons en liens avec d’autres organismes aux projets européens de normes sur la métrologie des nanoparticules.

En ce qui concerne les hydrocarbures non conventionnels, nous avons été sollicités durant la phase de préparation de la loi, comme le BRGM et l’IFPEN, pour proposer une analyse panoramique des risques et de leurs impacts. Mais nous n’avons pas de recherche à proprement parler sur les méthodes alternatives à la fracturation hydraulique, dont celle utilisant le propane. Cette dernière présente plusieurs avantages : elle permet d’éviter les pollutions de la phase de récupération de l’eau ; elle évite le recours à des additifs chimiques ; elle évite évidemment une consommation massive d’eau. Malheureusement cette technique a un inconvénient majeur : elle requiert de concentrer 70 à 90 tonnes de propane liquéfié ce qui constitue une véritable bombe.

*

– Audition de M. Jacques Repussard, directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

M. Jean-Yves Le Déaut, premier vice-président. - Nous sommes heureux d’accueillir M. Jacques Repussard, directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

L’organisme que vous dirigez est un élément essentiel de la sûreté de l’utilisation des substances radioactives. La loi de 2006 lui a conféré un rôle supplémentaire, celui de renforcer la transparence sur ces questions, en précisant qu’il publie chaque année un rapport résumant les avis qu’il a formulés pendant un exercice.

Intervenant sur toutes les utilisations des substances radioactives, ce qui constitue un champ très vaste d’activité, l’Institut est un des organismes de recherches qui emploie un très grand nombre de chercheurs et d’ingénieurs de recherche.

Tous les intervenants de la filière électronucléaire savent qu’il y a un avant et un après Fukushima. J’aimerais que vous puissiez nous donner à la fois votre sentiment sur cette question et nous exposer les inflexions que cet accident nucléaire a apportées à l’action de votre Institut.

M. Jacques Repussard, directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). – Je suis accompagné de Thierry Charles, directeur général adjoint en charge des questions de sûreté nucléaire et d’Audrey Lebeau, en charge des questions parlementaires à la direction de la Stratégie.

Je remercie l’Office pour cette audition. En effet, l’IRSN, qui existe depuis dix ans, a été auditionné à un certain nombre d’occasions ponctuelles par votre Office, mais c’est la première fois qu’il est auditionné à titre institutionnel. Je vous en suis reconnaissant.

Au cours de ses dix années d’existence, l’IRSN, dont l’Office a été l’un des instigateurs, a démontré son bien-fondé. Malgré un schéma complexe – cinq ministères de tutelle et de nombreuses administrations bénéficiaires de notre appui technique – l’IRSN fonctionne de façon satisfaisante. Il permet de mutualiser des travaux demandés par des organismes divers. Le ministère de l’écologie est le principal responsable de la tutelle de l’Institut. Son autorité n’est pas contestée. Le budget de l’IRSN est préservé. Le parlement a substitué à des crédits budgétaires une contribution additionnelle à la taxe sur les installations nucléaires de base, qui est par nature plafonnée et rapporte 48 millions d’euros par an, avec un rendement très élevé, proche de 100 %.

La recherche menée au sein de l’Institut débouche sur des outils d’expertise performants, reconnus dans le monde entier, notamment dans les domaines suivants : l’évaluation des dispositifs de sûreté, la compréhension des accidents graves, l’évaluation du projet de stockage géologique des déchets radioactifs Cigéo (Centre industriel de stockage géologique pour les déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue). Porter un regard indépendant de celui de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) sur ce sujet est fondamental. C’est le fruit de travaux qui avaient commencé bien avant la création de l’IRSN.

En matière de sûreté nucléaire, nous avons mis au point un système de simulation remarquable. Nous invitons d’ailleurs les membres de l’Office à venir visiter cette installation développée en partenariat avec Areva, avec l’aide d’un spécialiste canadien de la simulation numérique. Nous souhaitons qu’EDF rejoigne prochainement ce projet. C’est un outil extrêmement performant.

Nous avons de nombreux partenaires : universités, écoles doctorales, CEA, CNRS. La recherche n’est pas effectuée en vase clos. L’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES) a donné un satisfecit d’ensemble à nos travaux. Une de nos unités de recherche a obtenu la note A+. L’AERES a reconnu la qualité de la recherche menée par l’IRSN, tout en formulant des suggestions d’améliorations. Ce n’était pas gagné d’avance étant donné les conditions de création de l’IRSN, qui a été séparé du CEA, mais a néanmoins préservé sa dimension d’institut de recherche. L’âge moyen des chercheurs de l’IRSN est inférieur à 40 ans. Ceux-ci publient dans le monde entier. Notre activité d’expertise est couverte par la norme ISO-9000. Nous recevons environ 1.500 saisines par an, dont 600 par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et un peu moins par l’Autorité de sûreté nucléaire de Défense et le Haut fonctionnaire de défense et de sécurité. L’IRSN sert la sûreté, la radioprotection mais aussi la sécurité nucléaire.

Plus généralement, vis-à-vis de la société, la confiance dans la validité des assertions de l’Institut a beaucoup progressé entre Tchernobyl et Fukushima. On se souvient de la mise en place d’une commission présidée par le professeur Aurengo, à l’époque de la catastrophe de Tchernobyl, pour tirer au clair les controverses entre l’OPRI (Office de protection contre les rayonnements ionisants) et l’IPSN (Institut de protection et de sécurité nucléaire). In fine, ce travail a débouché sur un rapport du Conseil scientifique de l’IRSN validant la reconstruction des retombées environnementales de l’accident nucléaire en France, qui ont été importantes mais n’ont pas eu de conséquences en termes de santé publique, en raison de l’alimentation très diversifiée de nos concitoyens.

Au moment de l’accident de Fukushima, l’IRSN a annoncé à l’avance la date d’arrivée de la contamination, qui était de l’ordre de 1000 fois moins importante que celle de Tchernobyl. Nous avons été un peu contestés par la CRIIRAD (Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité) mais globalement, tant les associations que les médias et l’ensemble des observateurs ont approuvé la démarche de l’IRSN. C’est le signal de la maturité de l’expertise de l’IRSN et de la reconnaissance de ses compétences par la Nation toute entière.

L’objectif en France est celui de « zéro accident » : le tenir représente un fardeau, d’autant qu’il faut aussi être prêt « au cas où ». L’IRSN se concentre sur cette double approche.

L’IRSN est l’opérateur national de la surveillance radiologique. 300.000 personnes travaillent en France dans une ambiance où il peut y avoir des rayonnements ionisants, y compris dans le domaine de la médecine. L’IRSN tient le décompte national des doses de tous ces travailleurs, du personnel des hôpitaux jusqu’à celui d’Air France.

Nous avons défini une charte d’ouverture sur la société. Nous privilégions le dialogue avec les Commissions locales d’information (CLI). Au-delà, nous répondons à toutes les questions qui nous sont posées par tout citoyen ou toute organisation. Notre transparence progresse puisque nous avons un accord avec l’ASN pour publier un plus grand nombre d’avis. C’est un travail important car cela signifie que nous devons rendre nos avis plus accessibles au grand public.

Enfin, l’IRSN est reconnu en Europe et dans le monde. À titre d’exemple, l’autorité de sûreté américaine nous demande régulièrement notre avis sur des projets de réglementation, dans le cadre de commissions publiques. Il est tenu compte de nos avis.

Nous ne sommes pas que l’appui technique d’une autorité pour faire respecter des règlements. Nous sommes là aussi pour faire avancer la sûreté. Tant les accidents de Tchernobyl que de Fukushima se sont produits dans des contextes de recul de la sûreté. Faire avancer la sûreté, ce n’est pas qu’une question de contrôle. C’est aussi une affaire d’économie de la filière nucléaire car les exploitants sont les premiers responsables de la sûreté. Si l’exploitant n’est pas en bonne santé économique, la sûreté peut être mise en cause. Il ne faut pas que la sûreté vienne en compétition avec la situation économique des entreprises. Ce n’est pas le cas aujourd’hui mais c’est à prendre en compte dans le débat sur la transition énergétique. Il faut veiller à ce que les contraintes imposées à l’industrie électrique ne mettent pas en danger la situation économique de la filière nucléaire.

La culture de sûreté est un paramètre essentiel, qui échappe à toute réglementation. Elle signifie reconnaître qu’on ne sait pas tout et qu’il faut donc conserver des marges de sûreté au-delà des risques connus. Cette nuance ne figurera jamais dans aucune loi ni aucun décret. Elle est d’ordre éthique. Nous développons nos travaux en sciences sociales à ce sujet.

La connaissance scientifique des risques est essentielle. Les Japonais n’ont pas tiré les conséquences de risques qu’ils connaissaient pourtant. C’est un déficit de culture de sûreté. En France, la connaissance des séismes continue de progresser. Aujourd’hui, certaines marges se sont révélées moins amples qu’on le pensait sur certains sites. C’est un sujet de débat d’actualité avec EDF.

La sûreté, c’est bien sûr aussi le contrôle. Il faut une autorité forte, des sanctions crédibles et une réglementation adéquate. La France fait figure de modèle de ce point de vue.

Enfin, le dernier paramètre de la sûreté, c’est la vigilance de la société. Un pays qui se désintéresse de son industrie nucléaire prend un risque en matière de sûreté, quelle que soit la compétence de ses exploitants et des autorités. Le Japon nous donne l’exemple d’un système clos, géré par la haute administration et les grands exploitants, sans l’équivalent des CLI, où la Diète ne prêtait aucune attention au sujet de la sûreté nucléaire, jusqu’à l’accident de Fukushima.

À l’IRSN, nous suivons l’ensemble des enjeux de sûreté y compris indirects, d’ordre financier ou dans le domaine des sciences sociales.

Qu’est ce qui a changé depuis 2011 ?

En premier lieu, au travers des évaluations complémentaires de sûreté (ECS), nous avons mis en évidence un certain nombre de vulnérabilités des installations nucléaires françaises, vis-à-vis d’événements naturels hypothétiques mais néanmoins possibles. Certains scénarios conduisent à l’accident. Ils ont une probabilité très faible. L’IRSN a donc proposé de créer un « noyau dur » de sûreté, c’est–à-dire d’ajouter une couche de précautions supplémentaires pour continuer à piloter l’installation nucléaire même en cas d’indisponibilité des outils de refroidissement. Cette notion a été acceptée dans son principe par EDF. Elle est promue également par l’ASN et l’autorité de sûreté nucléaire de défense. Nous en sommes à la phase de conception détaillée avec EDF.

Il faut veiller à la machine humaine qu’est l’IRSN, proche de la saturation, car le travail post-Fukushima est venu s’ajouter à son travail usuel. Il ne faudrait pas, au motif qu’il y a eu l’accident de Fukushima, délaisser notre travail habituel. Par ailleurs, la loi de 2006 entraîne une suractivité documentaire. Elle rapproche le contrôle des installations nucléaires de ce qui existe pour les sites Seveso. Nous avons quelques doutes sur le bien-fondé à long terme de cette inflation réglementaire : la loi a généré mécaniquement une complexification, en sorte que l’on passe plus de temps à gérer des dossiers qu’à gérer des problèmes de sûreté. C’est une évolution qui, personnellement, m’inquiète.

Une deuxième conséquence de l’accident de Fukushima est indirecte : elle concerne la sécurité nucléaire, après les actions menées par Greenpeace. Si des installations peuvent être affectées par un cataclysme naturel, elles pourraient aussi l’être par des actes de malveillance. Greenpeace a prouvé que l’on pouvait entrer dans l’enceinte d’une centrale et a essayé de montrer qu’il existait une vulnérabilité au risque terroriste. De notre point de vue, cette vulnérabilité n’est pas avérée mais le signal politique a été repris et l’administration s’interroge sur la solidité du dispositif réglementaire et humain existant en matière de protection physique des installations. L’IRSN est partie prenante à cette réflexion. Nous avons contribué à l’évolution de la réglementation.

La troisième conséquence de l’accident de Fukushima est relative à notre capacité de gestion des crises. Si une vraie catastrophe se produisait en France ou à proximité, nous serions très vite débordés, non pas tant dans la phase d’urgence que par les conséquences gigantesques d’un accident nucléaire qui toucheraient l’ensemble de la société. Lors de l’accident de Fukushima, nous avons été appelés à l’aide par de très nombreuses entreprises françaises présentes au Japon, y compris pour des problèmes en réalité inexistants. En 2012, nous avons conçu une nouvelle organisation de crise. Nous lançons des exercices internes pour nous y préparer. Nous avons un organigramme de crise qui permettrait de réunir de manière opérationnelle tous les laboratoires, tous les experts compétents pour faire face à des besoins importants et cruciaux pour réduire le coût, a posteriori, de l’accident.

L’IRSN a travaillé sur le coût d’un accident nucléaire. Une bonne part de ce coût est indirecte : il résulte des conséquences psychologiques de l’accident. L’expertise peut contribuer à ce que les comportements demeurent aussi rationnels que possible. Nous travaillons au Japon pour comprendre comment la population d’un pays, avancé sur le chemin de la société de la connaissance, gère cette question.

Je conclurai en ajoutant que l’attente vis-à-vis de l’IRSN semble toujours plus forte, tandis qu’on nous demande des économies sur nos moyens. Nous ne contestons pas le bien-fondé de ces économies, mais il faudrait les faire sur les démarches administratives plutôt que sur l’expertise. Il ne faudrait pas que notre expertise soit sous-utilisée en mode administratif.

Les débats publics sur Cigéo et sur la transition énergétique sont essentiels. Ils auront des conséquences sur la gestion de la sûreté. L’IRSN s’y intéresse. Nous suivons le débat sur la transition énergétique à la demande de Mme Delphine Batho, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Nous allons produire un cahier d’acteur dans le débat sur Cigéo.

Enfin, nous participons aux débats qui se déroulent dans le cadre de l’Union européenne. Nous essayons de bâtir avec la Commission européenne et nos homologues en Europe une plateforme ouverte sur la société, susceptible de rassembler les principaux acteurs de la recherche, en harmonie avec les parties prenantes.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Je vous remercie. Nous allons maintenant passer aux questions.

M. Jean-Marc Pastor, sénateur. – Vous avez des relations avec des partenaires internationaux et notamment européens. Participez-vous à des programmes de recherche communs avec ces partenaires ?

Comment le grand public peut-il s’approprier le thème de la radioprotection ? Les sujets que vous traitez sont sensibles. Au-delà du travail des CLI, participez-vous à d’autres débats contradictoires ?

M. Jacques Repussard. – Non seulement nous participons à des programmes internationaux de recherche mais, en réalité, presque tous nos programmes de recherche sont cofinancés à l’échelle internationale. Il est utile de mutualiser l’accès à des installations expérimentales. Nous avons besoin d’installations : Américains, Russes et Japonais en ont. Des chercheurs de l’IRSN sont résidents permanents à l’étranger : au Japon (avant l’accident de Fukushima), à Sandia (Nouveau-Mexique), par exemple. Nous avons signé un accord au Canada pour participer à des travaux de recherche sur le tritium, car nous ne souhaitions pas mettre en place en France d’installation pour tester les effets d’une contamination. Des chercheurs de l’IRSN participent donc à des travaux dans une animalerie contaminée au Canada.

J’ai contribué à la création d’une association pour la recherche en Europe qui rassemble la plupart des institutions de recherche en radioprotection. La question de la compréhension des effets des faibles doses nous est posée tant par le grand public que par les responsables. Le système de radioprotection est fondé sur l’application d’une loi de proportionnalité du dommage sanitaire à la dose. En application du principe de précaution, on applique cette loi jusqu’à des doses quasi nulles. Ce type de raisonnement ne tient pas la route. Ainsi, après l’accident de Tchernobyl, l’exposition de millions de personnes à de faibles doses aurait provoqué des dizaines de milliers de morts. Or ce n’est pas ce qui s’est produit. Mais la réglementation est fondée sur ce type de raisonnement. Il faut aller au-delà. Malheureusement les unités que nous utilisons (le becquerel, le milli-sievert) sont incompréhensibles pour le grand public. Elles ne sont pas appropriées pour traiter correctement des très faibles niveaux de doses. Des incertitudes importantes demeurent sur la relation entre l’effet sanitaire et la dose : on ne sait pas s’il existe un seuil, on ne connaît pas ce qui gouverne la radiosensibilité individuelle, c’est un inconvénient pour la radiothérapie. On connaît mal la nature de la défense des organismes vivant vis-à-vis des rayonnements. Les enjeux réels sont dans le monde médical, plus que dans celui de l’industrie nucléaire, qui a fait beaucoup de progrès. Les bilans d’EDF sont excellents : en 2011, seules deux personnes (y compris chez les sous-traitants) avaient dépassé les doses admises. L’accroissement de la sous-traitance et des contraintes économiques peut susciter des inquiétudes mais le système est globalement solide.

Pour le grand public, les doses sont infimes, mais cette idée est difficile à véhiculer.

Nous répondons toujours présents lorsque nous sommes sollicités pour des débats publics, dans les CLI ou ailleurs.

Mme Delphine Bataille, sénatrice. – Vous avez évoqué votre rôle à l’échelle internationale, pouvez-vous approfondir ce point en détaillant vos coopérations internationales ?

M. Jacques Repussard. – Nous travaillons avec la plupart des grands pays nucléaires. Nous coopérons avec plusieurs institutions de Russie (autorité de sûreté, appui technique, académie des sciences) ; c’est aussi l’héritage des coopérations du CEA. Avant l’accident de Fukushima, nous travaillions avec le Japon sur le cycle nucléaire et les réacteurs de quatrième génération. Aujourd’hui, nous travaillons beaucoup avec le Japon sur la radioprotection. Nous coopérons également avec la Chine et d’autres pays accédant à l’énergie nucléaire (Afrique du sud, Inde, Émirats arabes Unis, etc.) afin de leur apporter un appui pour maîtriser la sûreté nucléaire. Nous maintenons aussi une coopération avec des pays d’Europe de l’est et notamment l’Ukraine. Nous avons un programme cofinancé par l’Union européenne qui permet d’essaimer les savoir-faire européens dans le monde. Je précise que lorsque nous intervenons à l’étranger, nous considérons que cela ne doit pas être aux frais du contribuable français, mais soit grâce à des crédits européens, soit sur devis.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Vous avez abordé la question du coût d’un sinistre. Vous évaluez le coût d’un accident majeur à 400 milliards d’euros, soit 20 % du PIB français. Comment la communauté scientifique a-t-elle accueilli cette étude ?

M. Jacques Repussard. – Nous n’avons pas encore publié toutes les données qui sous-tendent ces évaluations. Nous allons le faire et il y aura des débats sur deux sujets : le scénario d’accident choisi ; les calculs économiques réalisés. Nous allons publier ces calculs dans des revues économiques pour susciter un débat entre spécialistes. J’ai appris aujourd’hui que l’Agence pour l’énergie nucléaire (AEN) de l’OCDE ouvre également une réflexion sur ce sujet.

Le débat aura donc lieu. Nous avons des arguments solides. Nos études ont duré plusieurs années. Elles sont fondées sur des extrapolations à partir de cas réels. Savez-vous qu’après l’incident de Tricastin, Areva a dû acheter toute la production agricole de la zone en aval de l’installation alors que la contamination était nulle ? Voilà le type de mécanisme qui se met en œuvre lors d’un accident. Par ailleurs, le coût que nous avons calculé est le coût total intégré sur une vingtaine d’années. Le coût de l’accident de Fukushima au Japon sera probablement plus élevé que ce chiffre de 400 milliards d’euros.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Il existe des estimations sérieuses à ce sujet ?

M. Jacques Repussard. – Il existe des débuts d’évaluations mais pas d’étude aussi globale que la nôtre pour le moment. Certains indicateurs donnent une tendance significative : le déficit de la balance des paiements du Japon par exemple. Notre sujet n’est pas de discuter du montant total de notre évaluation, car tout le monde sait qu’un accident nucléaire est très coûteux, mais de discuter ligne par ligne.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Menez-vous toujours un programme d’évaluation des effets de l’accident de Tchernobyl ?

M. Jacques Repussard. – Le déploiement des radionucléides dans le sol fait toujours l’objet de recherches. Nous avons maintenu un laboratoire à 2 km du réacteur accidenté, qui permet de suivre et de modéliser le devenir de ces radionucléides, notamment le césium.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Et s’agissant des effets de ces radionucléides sur l’homme ?

M. Jacques Repussard. – Il existe un travail européen réalisé dans le cadre de l’association que j’ai déjà mentionnée, pour analyser le suivi de cohorte. Mais en raison de la méconnaissance des doses reçues, il est difficile de tirer des conclusions solides à partir des phénomènes observés. Les chiffres connus pour les « liquidateurs » ne sont pas fiables. Nous risquons de rencontrer le même problème au Japon car les Japonais n’ont pas réalisé de mesures de doses à grande échelle après l’accident de Fukushima. L’IRSN pilote les études consacrées à l’exposition humaine, qui donneront lieu à un rapport du comité des Nations Unies sur l’effet des rayonnements ionisants, mais sur la base des informations données par les Japonais.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Un autre sujet d’intérêt pour l’Office est le programme expérimental mené par l’IRSN sur le site de Tournemire. Il semblerait que ces recherches soient mal coordonnées avec celles menées par l’ANDRA. Pourquoi n’y-a-t-il pas de concertations entre toutes les équipes travaillant sur le stockage géologique des déchets radioactifs ?

M. Jacques Repussard. – On demande à l’IRSN d’évaluer les dossiers de l’ANDRA. Si nous les évaluions uniquement à partir de leurs modèles, nous serions certains de trouver les mêmes résultats qu’eux. Nous devons évaluer la sensibilité des modèles de l’ANDRA, c’est-à-dire leurs marges d’erreur, en analysant une roche voisine de celle de Bure.

L’ouvrage de Tournemire existe depuis cent ans, ce qui permet une analyse de l’évolution de la roche dans le temps. Il s’agit d’un tunnel ferroviaire, d’accès facile, où les recherches sont peu coûteuses. On y dépense moins de 1 % du coût de Bure.

Les programmes de l’IRSN et ceux de l’ANDRA ne sauraient être confondus, mais des concertations existent. Nous avons accès à tous les résultats obtenus sur le site de Bure. Nous avons un accord de coopération scientifique avec l’ANDRA. Cet accord fonctionne bien. Dans certains domaines où il s’agit d’acquérir des données de base ne faisant pas partie de la démonstration, nous travaillons ensemble. À l’échelle européenne, de nombreux pays prohibent le dialogue entre l’agence traitant des déchets radioactifs et l’appui technique. C’est le cas en Suisse, pour garantir l’indépendance de chaque organe. Cela peut nous paraître absurde mais c’est une réalité. La plateforme européenne sur les déchets se heurte d’ailleurs à cette difficulté.

M. Jean-Yves Le Déaut. – D’après vous, l’IRSN ne saurait être considérée simplement comme un appui technique de l’Autorité de sûreté nucléaire. Pourtant, la fusion de l’ASN et de l’IRSN avait été envisagée dès l’origine. Elle avait été écartée au nom de la nécessaire indépendance de l’expertise. Mais aujourd’hui l’idée refait surface. M. Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, souhaite diminuer le nombre d’instances de régulation. Quelle est votre position à ce sujet ?

M. Jacques Repussard. – Si une telle fusion était annoncée, je démissionnerais. Ce serait une très mauvaise décision. Les risques nucléaires sont sensibles dans l’opinion. Nos concitoyens ont compris que l’on avait séparé décideurs et évaluateurs des risques, dans la transparence. Si vous fusionnez les deux fonctions, il n’y aura plus d’avis de l’IRSN, au sein du dispositif ASN. C’est de haute lutte que j’ai obtenu d’André-Claude Lacoste, ancien président de l’ASN, que nos avis soient publiés. Dans le cadre des ECS ou de Cigéo, il existe une forte pression. Cette indépendance est nécessaire.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Mais de ce fait, n’exercez-vous pas une part du rôle de l’autorité ? Cette dualité de l’expertise et de l’autorité est-elle nécessaire ? Ce schéma est-il identique dans tous les pays ?

M. Jacques Repussard. – Il n’en est pas ainsi dans tous les pays, mais beaucoup de pays ont des accidents nucléaires.

M. Jean-Yves Le Déaut. – En raison de cette absence de dualité ?

M. Jacques Repussard. – Aux États-Unis, la compétence scientifique est détenue par le DOE (Department of Energy) et non la NRC (Nuclear Regulatory Commission). Quand l’ASN se réfère à la NRC, ce n’est pas un bon modèle. Les experts de la NRC, et particulièrement son directeur de la recherche, ont une vision bornée par leur propre réglementation. En France, l’IRSN est libre de ses travaux de recherche. Un comité d’orientation des recherches a été mis en place pour prendre en compte l’avis de toutes les parties prenantes. Cette liberté ne serait pas la même au sein de l’Autorité. Une fusion permettrait, certes, de faire des économies budgétaires, mais je refuserais d’y participer.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Sur les sujets de coopération internationale, ne faudrait-il pas qu’il y ait une articulation entre les activités de l’IRSN et celles de l’ASN ?

M. Jacques Repussard. – Cette articulation existe. Il y a une bonne entente avec l’ASN. Nous différons sur la reconnaissance de l’autonomie scientifique de l’IRSN. Mais pour tout le reste, notre coopération fonctionne très bien. Dans beaucoup d’autres pays, il existe des TSO (Technical Safety Organisations) tels que l’IRSN. Il est vrai qu’en France, nous avons été jusqu’au bout du raisonnement sur l’indépendance nécessaire de l’expertise. C’est un modèle qui est admiré dans le reste du monde, qui donne des résultats, et qu’il faut défendre. Des accidents majeurs ont eu lieu aux États-Unis, en Russie, au Japon. En France, nous n’avons jamais eu de pépin majeur. Mais la conception de nos réacteurs ne l’exclut pas. Nous ne sommes d’ailleurs pas passés loin d’accidents. Nous n’avons pas le droit de prendre des risques.

M. Jean-Yves Le Déaut. – On disait que les relations entre le directeur de l’IRSN et sa présidente n’étaient pas très bonnes. Qu’en est-il avec le nouveau président de l’IRSN ?

M. Jacques Repussard. – Ce sont des rumeurs infondées. Nous avons un nouveau président qui est intérimaire car le mandat du conseil se termine en juillet prochain. Mme Agnès Buzyn n’a pas quitté l’IRSN pour cause de mésentente. Le modèle fonctionne d’autant mieux qu’il y a un directeur général exécutif et un président non rémunéré, non exécutif.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Vous évoquiez le rapport de l’AERES sur l’IRSN. J’ai lu ce rapport, qui recense effectivement des points forts de l’IRSN, mais aussi des points faibles, notamment : un déficit de vision stratégique de long terme, des faiblesses dans la politique scientifique, une absence de priorisation de la prospective dans la stratégie des partenariats notamment au plan international, une hétérogénéité dans les niveaux de pilotage et d’organisation des directions de l’IRSN…

M. Jacques Repussard. – Ce rapport date d’il y a deux ans. Nous avons depuis lors pris des mesures de correction, comme vous le verrez dans un rapport interne que je vais vous transmettre. Nous avons pris ces critiques très sérieusement. Un certain nombre de remarques résultaient d’explications insuffisantes. D’autres correspondaient à des réalités. Nous avons donc pris des mesures.

Les observations de l’AERES étaient d’une justesse inégale. S’agissant des stratégies internationales par exemple, certaines informations sont fausses. Sur la vision stratégique, il est vrai que l’IRSN s’est fait historiquement à partir de laboratoires, selon un schéma « bottom up ». La vision d’ensemble a mis du temps a émergé. C’est en train de se concrétiser aujourd’hui. L’accident de Fukushima y a incité. Il existe aujourd’hui des axes d’effort. La priorité de l’IRSN est de s’intéresser à ce qui se passe au-delà du dimensionnement des installations. Notre expertise n’est pas concurrente de celle de l’ANDRA, du CEA ou d’EDF pour cette raison.

Notre direction scientifique avait un rôle d’évaluation. Le travail prospectif sur les programmes était réalisé par la direction de la stratégie. Nous avons tiré les conséquences de ce qu’a dit l’AERES en supprimant la direction scientifique. L’IRSN n’est pas universitaire. Nous n’avons pas une vision disciplinaire, contrairement à nos évaluateurs.

Par ailleurs, nous avons complété notre Conseil scientifique par un Comité de Visite, pour répondre aux critiques.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Les membres de ce Comité ont été nommés par vous ?

M. Jacques Repussard. – Oui, ce qui me permet de choisir des personnalités respectées par la communauté internationale et présentes aux réunions. Le Comité de Visite examine nos programmes en détail tandis que le Conseil scientifique s’intéresse à la stratégie d’ensemble. Nous vous enverrons le dernier rapport du Conseil scientifique.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Nous vous remercions.

La séance est levée à 19h45

Membres présents ou excusés

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Réunion du mercredi 27 février 2013 à 17 heures

Députés

Présent. - M. Jean-Yves Le Déaut

Excusés. - Mme Anne Grommerch, Mme Françoise Guégot, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Alain Marty, Mme Maud Olivier, Mme Dominique Orliac, M. Bertrand Pancher

Sénateurs

Présents. - Mme Delphine Bataille, M. Roland Courteau, M. Jean-Marc Pastor, M. Bruno Sido

Excusés. - Mme Corinne Bouchoux, M. Jean-Pierre Leleux, M. Jean-Claude Lenoir