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Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jeudi 21 mars 2013

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 24

Présidence de M. Bruno Sido, sénateur, Président, et de M. Jean-Yves Le Déaut, député, vice-président

L’évaluation du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs 2013-2015 : séparation-transmutation et déchets FAVL

L’évaluation du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) 2013-2015 : séparation-transmutation et déchets à faible activité et à vie longue (FAVL)

Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jeudi 21 mars 2013

Présidence de M. Bruno Sido, sénateur, président,
et de M. Jean-Yves Le Déaut, député, vice-président

La séance est ouverte à 9 heures

Monsieur Bruno Sido, sénateur, président. - Mes collègues Jean-Yves Le Déaut, Christian Bataille et moi-même sommes heureux de vous accueillir, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, pour cette seconde audition organisée dans le cadre de l’évaluation du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs.

Je rappelle que la troisième édition du PNGMDR, pour la période 2013-2015, a été transmise à l’Office parlementaire en début d’année et qu’elle doit, comme le prévoit la loi du 28 juin 2006, faire l’objet d’une évaluation par le Parlement. Nous avons choisi d’organiser, dans ce cadre, deux auditions publiques, afin de faire preuve de la plus grande transparence possible sur ce sujet crucial des déchets radioactifs.

Dans le cadre de la première audition, qui a eu lieu le 28 février dernier, nous avons eu l’occasion de nous pencher, d’une part, sur le fonctionnement du groupe de travail pluraliste du PNGMDR, animé par l’Autorité de sûreté nucléaire et la Direction générale de l’énergie et du climat, et, d’autre part, sur le projet de centre de stockage des déchets de haute et moyenne activité à vie longue Cigéo, qui correspond à l’un des trois axes de recherche sur la gestion des déchets radioactifs définis par la loi du 30 décembre 1991. Christian Bataille, vice-président de notre Office et rapporteur de cette loi est parmi nous mais devra nous quitter après avoir fait un rappel sur le rapport d’évaluation du précédent PNGMDR, car il est pris par une autre audition, dans le cadre d’une nouvelle étude que l’Office lui a confiée.

Lors de cette première audition, j’ai noté avec satisfaction qu’un grand nombre des recommandations formulées par Christian Bataille et Claude Birraux, dans leur rapport d’évaluation du précédent PNGMDR, avaient été suivies d’effet.

Nous avons par ailleurs tous pu constater que, sauf exception, les représentants du groupe de travail avaient un avis plutôt positif sur le fonctionnement de celui-ci, même si des progrès restent bien entendu à réaliser. Je pense que cet échange a aussi permis à chacun de prendre conscience de l’importance de la contribution demandée, sous forme d’études techniques, aux personnels de l’Andra, d’AREVA, du CEA et d’EDF, ainsi que du caractère essentiel de la participation des associations. Les industriels apportent au PNGMDR leurs compétences techniques pointues et les associations leur compréhension citoyenne de problèmes souvent ardus sur le plan technique et scientifique, ainsi que leur crédibilité vis-à-vis du public. À cet égard, la question de la disponibilité des ressources humaines au sein des associations représente une réelle difficulté à laquelle nous n’avons, dans notre pays, pas encore trouvé de solution.

J’ai d’ores et déjà relevé au cours de ces débats plusieurs suggestions intéressantes. Je vous en livre quelques-unes dans le désordre: l’élargissement du groupe de travail à de nouveaux participants, tout en veillant à conserver son caractère opérationnel, le souhait d’une plus large publicité du plan, le rôle de relais que pourraient jouer, à cet égard, les Commissions locales d’information (CLI), l’intérêt d’une mise en cohérence avec d’autres documents, tel le rapport du Haut comité sur le cycle, la nécessité d’une publication assez rapide du décret d’application du PNGMDR, ou encore d’une meilleure information des associations sur certaines réunions techniques.

Par ailleurs, un certain nombre de problèmes sur le fond du sujet de la gestion des déchets radioactifs ont aussi été relevés à l’occasion de nos débats, par exemple sur la gestion de certaines catégories de combustibles nucléaires ou des déchets issus des démantèlements.

Enfin, je crois que l’intervention du président de l’Académie des sciences morales et politiques, M. Jean Baechler, même si elle a donné lieu à des débats quelque peu houleux, nous a aidés à nous interroger sur les conditions du dialogue démocratique entre citoyens, représentants associatifs et experts techniques ou scientifiques, ainsi que sur le rôle des élus que nous sommes. C’est une question certes un peu en marge de nos réflexions sur le PNGMDR mais qui est néanmoins vitale pour notre société, dans laquelle ce dialogue a parfois du mal à s’établir.

La deuxième table ronde de l’audition du 28 février, consacrée au projet de stockage géologique profond Cigéo, a également permis de nous éclairer sur ses modalités mais je laisserai le soin à Jean-Yves Le Déaut d’en parler, ainsi que de présenter les tables rondes d’aujourd’hui.

Avant de donner la parole à Jean-Yves Le Déaut, je rappelle ce que j’avais eu l’occasion de dire en conclusion de la précédente audition : compte tenu du temps restreint qui nous est imparti, tous les participants au groupe de travail du PNGMDR n’ont pu être invités mais nous demandons à tous ceux qui souhaiteraient exprimer leur point de vue de nous adresser leur contribution sous forme écrite.

Monsieur Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président. - Je vais donc d’abord essayer, en quelques mots, de tirer les premiers enseignements de nos échanges sur le projet Cigéo dans le cadre de l’audition du 28 février.

Ces échanges ont, je crois, d’abord fait apparaître que le projet avançait convenablement, grâce à l’action efficace de l’Andra. Il semble aujourd’hui suffisamment avancé pour que les citoyens puissent utilement s’informer et donner leur point de vue dans le cadre du débat public qui va très prochainement débuter.

Suite aux inquiétudes exprimées par Christian Bataille et Claude Birraux, dans leur rapport d’évaluation de janvier 2011, sur les conflits apparus entre, d’une part, EDF, le CEA et AREVA, et, d’autre part, l’Andra, nous avons pu constater que le Gouvernement avait agi en mettant en place des instances de concertation. Ces instances ont permis à AREVA, au CEA et à EDF, comme ils l’avaient demandé, d’apporter une contribution significative au projet Cigéo, avec leur importante expérience industrielle.

Si la conclusion du débat public s’avère positive et sous réserve de la délivrance de l’autorisation de création dans les conditions de réversibilité prévues par la future loi, avec une bonne information des citoyens sur les conditions de cette réversibilité, le projet Cigéo pourra ensuite entrer dans sa phase de réalisation, avec le maître d’œuvre qui aura été choisi par appel d’offre, sous le contrôle du maître d’ouvrage, c’est à dire de l’Andra, qui s’est d’ailleurs dotée à cette fin d’une assistance à maîtrise d’ouvrage solide. Le pilotage d’un projet de cette ampleur ne peut évidemment ni se déléguer, ni se partager sans mettre en péril tout le processus, et d’ailleurs la loi attribue sans ambiguïté aucune à l’Andra la responsabilité exclusive de la réalisation, puis de l’exploitation des centres d’entreposage et de stockage de déchets radioactifs.

Il revient évidemment au Gouvernement d’organiser la suite de ce processus, de façon à ce qu’il se déroule conformément au cadre défini par la loi, pour que l’ensemble des acteurs concernés continuent à coopérer, de la meilleure façon, mais sans confusion des genres, en restant chacun dans leur rôle respectif, afin de parvenir, dans l’intérêt de tous, au résultat souhaité par la population, qui est celui d’un stockage géologique présentant le meilleur niveau de sûreté.

Quant à la représentation nationale, elle aura l’occasion d’exercer ses pouvoirs de contrôle, comme elle le fait depuis plus de vingt ans, sur l’action du Gouvernement et le projet lui-même, puisqu’un rendez-vous est prévu à cette fin par la loi de 2006, d’abord avec l’Office, pour une évaluation du projet, puis avec les commissions compétentes de l’Assemblée et du Sénat, pour la loi sur la réversibilité. Je tiens à assurer que nous serons particulièrement vigilants à ce sujet et que nous n’hésiterons pas, le cas échéant, à dire ce qui nous semble insatisfaisant.

Nous avons aussi noté, à l’occasion de l’audition du 28 février, qu’un certain nombre de préoccupations ont été exprimées par les associations et les industriels. L’Andra a apporté, pour beaucoup d’entre elles, en la personne de Madame Dupuis, des réponses qui nous ont semblées plutôt convaincantes. Il reste néanmoins plusieurs points à clarifier, comme par exemple celui des déchets bitumés. Nous aurons, je pense, l’occasion de revenir sur ce dernier sujet dans le cadre de la deuxième table ronde.

Un grand journal du soir a publié plusieurs tribunes sur cette question des déchets radioactifs. Je voudrais juste revenir, en quelques mots, sur ma réponse, non publiée à ce jour, à un article récent s’étonnant du consensus - à mon sens positif - existant, en ce domaine, entre les deux grands partis de gouvernement. Cet article souligne que certains élus locaux des pays voisins refusent l’installation de centres de stockage. Il me semble qu’au contraire, nous pouvons nous féliciter qu’en France, comme en Finlande ou en Suède, nous allions, à l’horizon 2025, vers une solution à ce problème. Nous aurons, de toute façon, à le résoudre, quelle que soit notre position sur la filière nucléaire, puisqu’indépendamment des décisions à venir, les déchets radioactifs existent et devront être gérés. Si l’entreposage au pied des centrales des combustibles usés en phase de refroidissement est nécessaire, ce n’est pas une solution de long terme, comme l’a démontré l’accident de Fukushima. Notre autorité de sûreté nucléaire a clairement donné son avis, voici deux ans, sur cette question, à l’occasion d’une audition. Non seulement le stockage géologique profond n’est pas dépassé, mais il demeure la meilleure manière de prendre en compte la nécessaire protection des générations futures. Voici le résumé de ma réponse à un journaliste qui donnait une version partiale de cette question.

Notre audition de ce jour comporte deux tables rondes. La première sera consacrée à la séparation-transmutation et la deuxième aux déchets de faible activité à vie longue (FAVL). Compte tenu de la richesse des échanges lors de notre première audition, il nous a semblé essentiel de privilégier cette fois le temps consacré au débat. De ce fait, seuls Monsieur Bernard Bigot, administrateur général du CEA, au début de la première table ronde, et Madame Dupuis, au début de la deuxième, disposeront d’une vingtaine de minutes, mais pas plus, pour nous présenter le sujet traité. Les autres intervenants auront cinq minutes pour donner leur point de vue, mais pourront intervenir au moment du débat. Enfin l’ASN et la CNE parleront 10 minutes pour conclure le débat.

Je donne à présent la parole à Christian Bataille qui va rappeler les conclusions du rapport d’évaluation du précédent PNGMDR relatives à la séparation-transmutation et aux déchets FAVL.

M. Christian Bataille, député, vice-président. - Je veux en préambule me réjouir des propos tenus par Jean-Yves Le Déaut. Durant la vingtaine d’années que j’ai eu à m’occuper de ce dossier à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, nous avons travaillé de concert, majorité et opposition, selon les périodes. J’ai travaillé avec Bruno Sido, avec Jean-Yves Le Déaut, Claude Birraux, Henri Revol et avec le regretté Robert Galley. En dépit de nos sensibilités politiques différentes, sur ce sujet, nous nous sommes toujours rejoints. Au contraire de ce journaliste, je me réjouis que dans ce pays puisse exister une unité de vue sur des dossiers qui nous projettent loin dans le futur, tels ceux de la filière nucléaire, des déchets radioactifs, de la politique de défense ou internationale. Si je suis ce dossier depuis plus de vingt ans, aujourd’hui, par le jeu des circonstances, je n’aurai pas cinq minutes de plus à lui consacrer après mon intervention, puisque j’auditionne sur le sujet des gaz et huiles de schiste, tout aussi controversé que celui des déchets radioactifs.

Je vais revenir très rapidement sur le rapport d’évaluation du précédent plan que nous avons publié, avec Claude Birraux, le 19 janvier 2011, afin de rappeler nos conclusions et nos recommandations concernant les deux sujets dont nous traitons aujourd’hui : la séparation-transmutation et les déchets de faible activité à vie longue.

D’abord sur la séparation-transmutation, l’un des trois axes de recherche définis par la loi sur les déchets radioactifs de 1991 et repris par celle de 2006, je rappelle qu’elle vise à réduire le risque pour les générations futures, en éliminant directement les radio-éléments les plus nocifs. Paradoxalement, ce processus de physique nucléaire extrêmement avancé, fait partie de l’argumentaire anti-nucléaire. Certains esprits avant-gardistes annoncent une énergie nucléaire du futur sans déchets qui rendrait obsolètes les centrales nucléaires actuelles. Faut-il préciser qu’il s’agit là d’une illusion ? Toute activité industrielle, quelle qu’elle soit, ne peut faire autrement que de produire des déchets. Plus sérieusement, la transmutation doit, avant tout, être vue comme un moyen de diminuer les émissions radioactives et de chaleur des déchets les plus nocifs. Le gain se traduira par une réduction de la taille du stockage géologique profond, donc de son coût, et par une décroissance plus rapide de la radioactivité des déchets stockés. La faisabilité de la transmutation a été scientifiquement démontrée. Bien que nous n’ignorions pas toutes les difficultés pratiques que pose son industrialisation à grande échelle, nous avons, avec Claude Birraux, estimé que ces obstacles ne doivent pas conduire à une remise en cause de l’objectif de long terme de la séparation-transmutation. A fortiori cet objectif de long terme ne saurait être remis en cause par des calculs économiques à courte vue.

Aussi, avons-nous formulé plusieurs recommandations visant à garder à la transmutation toute sa place au cœur des réflexions sur le développement des réacteurs de quatrième génération. Nous avons notamment demandé que le rapport sur l’évaluation des perspectives industrielles des filières de quatrième génération, que le CEA a remis à la fin de l’année dernière au Gouvernement, présente un échelonnement des solutions possibles de transmutation, en fonction des gains attendus et des difficultés estimées et, de plus, que ces solutions de transmutation fassent une place à des conceptions industrielles innovantes de recyclage des déchets de haute activité. Nous avons également estimé que les recherches sur les réacteurs de quatrième génération devaient résolument tirer le meilleur avantage de la coopération internationale, pour mutualiser les coûts et préserver l’objectif de la transmutation. Dans la première table ronde, M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA, nous présentera ce dossier d’évaluation et nous pourrons donc vérifier si ces recommandations ont été prises en compte.

Ensuite, sur le stockage des déchets FAVL, je rappellerai d’abord que la France est l’un des premiers pays à s’être doté de centres de stockage pour ses déchets radioactifs à vie courte: dès 1969 pour les déchets faiblement et moyennement radioactifs, et en 2004 pour ceux de très faible activité. La France s’est également préoccupée très tôt, avec la loi de 1991, des déchets radioactifs à vie longue. Malheureusement, en 2009, le projet lancé par l’Andra pour trouver un site destiné au centre de stockage des déchets de faible activité à vie longue a tourné court. Après avoir auditionné les principaux intervenants, nous avons constaté que ce dossier a d’abord été traité par le Gouvernement dans la précipitation, pour recueillir les candidatures des communes, et qu’ensuite il a tergiversé pendant 8 mois pour faire un choix. Ce délai injustifiable de 8 mois a été mis à profit par des militants antinucléaires, pour obliger les élus locaux à revenir sur leur décision initiale, avec des méthodes parfois contestables. De plus, les élus concernés n’ont bénéficié d’aucun soutien de l’État, bien qu’il s’agisse d’un dossier d’importance nationale.

Après avoir, approuvé la démarche de redéfinition et de rééchelonnement engagée pour pallier les difficultés rencontrées, nous avons, là aussi, formulé plusieurs recommandations. Tout d’abord, nous avons réaffirmé que les difficultés politiques rencontrées ne devaient en aucun cas conduire à transiger sur les critères scientifiques de choix du ou des futurs sites. Ensuite, nous avons indiqué que la concertation sur le choix d’un site de stockage pour les déchets FAVL doit être menée en impliquant non seulement la ou les communes directement concernées, mais aussi les Conseils généraux, voire régionaux. Enfin, nous avons rappelé que, de toute évidence s’agissant de projets d’intérêt national, l’État doit une protection et un soutien spécifiques aux responsables des collectivités locales qui apportent leur concours à la politique nationale de gestion des déchets. La deuxième table ronde nous permettra de faire le point sur les progrès réalisés par l’Andra, depuis début 2011, dans sa démarche de mise en place d’une filière adaptée à cette catégorie de déchets radioactifs. Comme l’a indiqué Jean-Yves Le Déaut, cette table ronde doit aussi être l’occasion de clarifier les enjeux sur les déchets bitumés. Je serai, je tiens à le dire, comme mes deux collègues, particulièrement vigilant sur le fait que l’intérêt collectif, qui exige de donner la priorité à la sûreté, ne soit pas mis à mal pour de simples questions d’opportunité de court terme. Car au final, comme le prévoit la loi, et comme l’a rappelé Jean-Yves Le Déaut, c’est bien la représentation nationale qui aura le dernier mot sur le stockage géologique profond, puisque l’Office parlementaire aura à se prononcer à ce sujet et qu’un rendez-vous législatif est d’ores et déjà fixé en 2015.

M. Laurent Michel, directeur général de l’énergie et du climat. - L’Office nous a demandé de présenter le cadre législatif, réglementaire et budgétaire des deux sujets abordés aujourd’hui.

Pour la séparation-transmutation et les réacteurs de IVe génération, les fondements législatifs se trouvent dans la loi du 28 juin 2006, relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs, complétée par les décrets pris en application des plans nationaux de gestion des matières et déchets radioactifs. Dans ce cadre, il est demandé au CEA de mener et de coordonner les recherches sur la séparation-transmutation des déchets radioactifs à vie longue et les réacteurs de IVe génération, en lien avec les autres organismes de recherche. L’article 5 de la loi de programmation de juillet 2005 rappelle l’importance pour la France de la filière nucléaire, et appelait à mener des recherches sur ces systèmes de IVe génération. Il est aussi demandé au CEA de produire, en 2012, une évaluation des perspectives industrielles des filières de IVe génération. Comme indiqué lors de la précédente audition, le CEA a remis, fin 2012, ce dossier d’évaluation, élaboré avec les autres acteurs du domaine, EDF et AREVA, et intégrant des contributions du CNRS et de l’Andra. Ce document a été présenté au groupe de travail du PNGMDR et rendu public début mars à la demande du Gouvernement. Il permet de confirmer que, parmi les différentes filières de IVe génération étudiées en France et au plan international, le concept de réacteur à neutrons rapides à caloporteur sodium présente la plus grande maturité technologique pour un déploiement dans la première moitié de ce siècle, grâce notamment à divers efforts de R&D engagés, en particulier le projet de recherche et développement ASTRID.

Cela nous amène à dire quelques mots de l’aspect budgétaire. Ce projet a été lancé dans le cadre des investissements d’avenir. La loi de finances rectificative pour 2010 a attribué au CEA des moyens, actés par la convention CEA-État de septembre 2010, correspondant à ses missions sur les recherches relatives au nucléaire du futur, notamment une somme globale de 626 millions d’euros pour un projet de démonstrateur. Les investissements d’avenir financent la plus grande partie de ce programme, sachant que la subvention de fonctionnement et d’activité normale du CEA, portée par le programme 190, apporte un complément d’environ 25 millions d’euros par an. Par ailleurs, la contribution des industriels pour les travaux actuellement en cours, en particulier en nature, s’élève à environ 20 millions d’euros par an. Il s’agit donc d’un projet destiné à garder des options ouvertes, à l’avenir, pour la gestion du plutonium. Il a pour but de développer un démonstrateur industriel permettant de prouver la faisabilité industrielle du recyclage du plutonium et d’accumuler des données sur la transmutation des actinides.

Concernant les déchets de faible activité à vie longue, la loi prévoit qu’ils doivent faire l’objet d’une gestion spécifique, adaptée à leur longue durée de vie. Leur stockage définitif ne peut se faire dans les mêmes conditions que pour les déchets de très faible et faible activité à vie courte, mais, sous réserve que les conditions de sûreté soient totalement réunies, ce ne doit pas non plus être le stockage géologique profond, dont le concept est centré sur les déchets à haute et moyenne activité-vie longue. Ces déchets de faible activité à vie longue incluent, en particulier, les déchets de graphite, les déchets radifères, une partie des bitumes de Marcoule et une partie des résidus de traitement de conversion de l’uranium. Aujourd’hui, nous en sommes à un stade d’entreposage sur les sites de production. Là aussi, une perspective a été tracée par la loi de programme du 28 juin 2006, qui prévoyait une solution de stockage pour les graphites et les radifères, en vue d’une mise en service en 2013.

Comme l’a rappelé M. Christian Bataille, la recherche de sites de stockage lancée en 2008, en vue d’une mise en service en 2013, n’a pu aboutir. D’ailleurs, après le retrait, en 2009, des deux communes retenues, l’État a décidé de lever les contraintes de calendrier, de relancer un processus, et a indiqué qu’un débat public serait organisé, le moment venu. Il a été également constitué, sous l’égide du Haut comité à la transparence et à l’information sur la sûreté nucléaire, un groupe de travail pour analyser le retour d’expérience de ce processus, et disons-le, de son échec. Le rapport a été remis par le Haut comité en 2011. Il a été demandé à l’Andra, dans le cadre du décret du précédent PNGMDR, de remettre à l’État une étude sur les scénarios de gestion des déchets à faible activité-vie longue, devant contenir diverses options, dont la possibilité de séparer les déchets de graphite et les déchets radifères. Le rapport a été remis fin 2012, et également rendu public. Suite à ce rapport, la ministre, Mme Delphine Batho, donnera prochainement ses orientations à l’Andra, dans le cadre de celles définies par le nouveau PNGMDR. Ce dernier demande la poursuite des études et des recherches sur ces déchets de faible activité à vie longue. L’échéance fixée par le plan à l’Andra est de remettre d’ici fin 2015 un rapport comportant, d’une part, une analyse de faisabilité de la recherche d’un site de stockage sous couverture intacte, avec des scénarios de gestion pour les différentes catégories de déchets, et d’autre part, une analyse de faisabilité d’un projet de stockage sous couverture remaniée, avec une définition du périmètre des déchets à y stocker, ainsi qu’un calendrier de mise en œuvre. Sur le plan budgétaire, les études et les recherches sur ces déchets sont financées, par le biais de la taxe recherche, par les producteurs de déchets, selon le principe pollueur-payeur.

M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA. - Je vais vous présenter les travaux conduits par le CEA avec l’ensemble de ses partenaires : le CNRS, les universités et l’Andra, ainsi que, sur un certain nombre d’aspects, avec EDF et AREVA. Je suis accompagné de MM. Bernard Boullis et Christophe Béhar. Ensemble, nous répondrons à vos questions.

Les travaux que nous avons menés, dans le cadre défini par la loi du 28 juin 2006, sont conduits en relation avec ceux prévus par la loi du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique, sur les nouvelles générations de réacteurs nucléaires ainsi que sur les réacteurs dédiés à la transmutation des déchets pilotés par accélérateur (ADS - Accelerator Driven System), afin de disposer, en 2012, d'une évaluation des perspectives industrielles de ces filières. Le décret PNGMDR en précise les échéances. Nous les avons respectées, puisque nous avons remis ce dossier en temps utiles, comme cela nous avait été rappelé à deux occasions au sein de réunions du Comité à l’énergie atomique. Les enjeux, décrits en détail dans les cinq tomes aujourd’hui publiés sur le site du CEA, sont notamment de réduire, pour les déchets radioactifs de haute activité, les rayonnements et particules nocives ou létales pour les systèmes biologiques et la chaleur qui accompagne ces rayonnements.

Le cycle du combustible mis en œuvre aujourd’hui intègre un recyclage du plutonium dans les combustibles de la filière des réacteurs à neutrons thermiques. Il est dénommé cycle fermé par abus de langage, puisqu’il comporte un entreposage des combustibles usés, avec notamment un flux annuel d’environ une dizaine de tonnes de Plutonium pour l’ensemble du parc, en une décennie cent tonnes de plutonium sont ainsi accumulées. Une première réduction de cet inventaire est effectuée par recyclage du plutonium dans les MOX, permettant une diminution de 30 % environ de ce flux. L’objectif serait d’envisager une réduction plus complète de l’inventaire de plutonium et d’actinides mineurs en mettant en œuvre le seul système véritablement efficace: des réacteurs à neutrons rapides, dits de IVe génération. Ces réacteurs présentent l’intérêt, au-delà du multi-recyclage du plutonium, d’ouvrir une possibilité de multi-recyclage de l’uranium des combustibles usés et de valorisation des stocks d’uranium appauvri, à ce jour de 270 000 tonnes et, au rythme actuel, de 500 000 tonnes en 2040. Ils permettent d’envisager un nucléaire multiséculaire, perspective justifiant les recherches menées qui visent à un recyclage systématique des matières, uranium et plutonium, au sein d’un système permettant d’en tirer le meilleur parti.

Le programme de recherche correspondant comporte trois axes. Le premier consiste à aller aussi loin que possible dans le développement des technologies de multi-recyclage du plutonium et de l’uranium, en commençant par la séparation, et ensuite à développer la capacité à produire des combustibles utilisables dans les nouveaux réacteurs. Le deuxième, une fois cette technologie acquise, vise à mettre au point un réacteur à neutrons rapides (RNR) qui satisfasse les exigences fixées à la IVe génération, notamment en termes de sûreté. La sûreté de ces réacteurs ne saurait être inférieure à celle que nous connaissons aujourd’hui sur les réacteurs à neutrons thermiques de IIIe génération. Le troisième axe concerne l’optimisation économique qui passe par une opérabilité efficace.

Au-delà du multi-recyclage incontournable du plutonium, une optimisation est recherchée pour les actinides mineurs, notamment l’américium. La séparation-transmutation est une opération complexe qui nécessite la récupération des éléments d’intérêt. Elle met en œuvre le recyclage en réacteur, en mode homogènes ou hétérogènes. Il s’agit soit d’une répartition homogène des actinides mineurs dans l’ensemble des combustibles, soit, au contraire, dans une fraction de ces combustibles ou dans des strates dédiées. Voilà les éléments qui ont été, de mon point de vue, validés aujourd’hui au niveau du laboratoire. Les progrès accomplis sont multiples. Nous avons développé des étapes complémentaires au procédé actuel de retraitement, permettant de récupérer les actinides mineurs, en complément de l’uranium et du plutonium, de nouvelles molécules extractantes, plus sélectives et plus résistantes au rayonnement, et des procédés mettant en œuvre ces molécules. Trois options de séparation ont été retenues : des actinides mineurs pris un à un, avec le procédé SANEX, des actinides groupés, avec le procédé GANEX, ou, au contraire, uniquement de l’américium, avec le procédé EXAM. Tous ces concepts ont pu être testés en laboratoire, sur des combustibles usés réels, à l’échelle de plusieurs kilos, avec des technologies représentatives de ce que l’on peut imaginer pour un procédé industriel. Mais pour les procédés de fabrication des combustibles, nous en sommes plutôt actuellement à des dizaines de grammes.

D’autre part, des tests sur la faisabilité de la transmutation ont été réalisés. Une des possibilités est le « once through » ou « passage unique » : un combustible contenant des actinides mineurs est laissé en réacteur, aussi longtemps que possible. Nous n’avons constaté dans cette configuration qu’une réduction minime, assez éloignée de l’objectif, de ces actinides. Par conséquent, nous ne recommandons pas cette option. Une autre option est celle du recyclage homogène. Des travaux ont été réalisés à l’échelle d’aiguilles dans le réacteur PHENIX, avant son arrêt. C’est une solution envisageable. L’option du recyclage hétérogène n’a pas été développée de manière aussi avancée, en l’absence de réacteur à neutrons rapides avec des flux suffisants, les travaux ne peuvent, pour le moment, pas progresser de manière très significative. Enfin, des travaux ont été réalisés sur les combustibles destinés aux ADS.

Les études technico-économiques demandées ont été conduites avec l’ensemble de nos partenaires. Les critères considérés sont les suivants : les flux, l’incidence sur les installations, les conditions d’entreposage et de stockage, la radioprotection et tout ce qu’elle implique au niveau des travailleurs concernés, les aspects directement économiques, et les risques industriels associés à différentes options. La conclusion majeure, unanime je crois, est que le recyclage du curium présentant des difficultés beaucoup trop importante, ne doit pas être envisagé. L’estimation des surcoûts, avec toutes les précautions qu’il convient de prendre à ce stade de la réflexion et de l’analyse, est dans la gamme des 10 % du coût moyen actualisé.

Une différence essentielle entre les combustibles usés de type UOX et les MOX issus des REP ou des RNR, concerne l’énergie susceptible d’être extraite. Au bout de 5 ans, l’augmentation de la part des actinides mineurs dans les MOX est double de celle dans les UOX. Plus le temps de refroidissement des MOX usés est prolongé, plus la part d’américium augmente de façon significative. Pour l’éliminer, la transmutation est donc une nécessité. La transmutation de l’américium seul dans un cœur de réacteur double la puissance thermique en situation homogène et la quintuple en situation hétérogène. Ces effets thermiques doivent être pris en considération. L’un des deux bénéfices de la transmutation réside dans la réduction des émissions radioactives, mais les actinides mineurs et le plutonium étant peu mobiles dans un stockage géologique doté d’un bon confinement, ce facteur ne modifiera pas la radioactivité résiduelle à l’exutoire. La transmutation permet par ailleurs une réduction thermique significative, susceptible de réduire l’emprise du stockage géologique profond dans l’argile. Le traitement de l’ensemble des actinides mineur permettrait une réduction de la surface d’un facteur dix, celui de l’américium seul une réduction d’un facteur huit.

La conclusion nous semble assez claire. C’est la nécessité de mettre au point et de valider à l’échelle industrielle les procédés performants de séparation des actinides mineurs, qui ont été étudiés dans la période 2006-2012. Nous avons pu procéder à des expériences de séparation-transmutation mettant en évidence les orientations à retenir, même si les conclusions ne sont pas définitives. Un travail important reste à mener pour passer à une phase industrielle. Les études technico-économiques menées en partenariat avec EDF et AREVA ayant montré que le recyclage du curium conduirait à des difficultés très importantes, nous l’écartons. Le recyclage de l’américium, qui constitue de notre point de vue le seul objectif à retenir, demande encore énormément de travail pour être complètement qualifié, l’étape première étant la démonstration du multi-recyclage du plutonium.

C’est le sens du projet de réacteur à neutrons rapides, appelé ASTRID. Le choix a été fait de donner une priorité à l’effort sur ces réacteurs à neutrons rapides à caloporteur sodium, comme élément de référence au vu des données déjà accumulées et des potentialités que recèle cette technologie. Mais il ne s’agit pas d’abandonner la perspective de réacteurs à neutrons rapides refroidis au gaz, dont les études sont menées en partenariat par un consortium de pays d’Europe centrale, auquel le CEA apporte son concours. Des paramètres ont été définis concernant le démonstrateur technologique ASTRID: une puissance de 600 MW, un choix d’iso-générateur, c'est-à-dire qu’il produira autant de plutonium qu’il en aura été introduit, un objectif de représentativité industrielle sur les options de sûreté, celles-ci ayant été confortées par le choix d’un cœur particulièrement innovant que je détaillerai si nécessaire, et un dispositif d’évacuation de la puissance, donc de conversion de l’énergie, qui pour le moment n’est pas définitivement arrêté mais que nous souhaiterions particulièrement innovant avec la conversion à gaz. A ce stade, le planning d’ASTRID est entaché de très lourdes incertitudes. Dans le meilleur des cas, en mobilisant tous les moyens humains et financiers, une divergence pourrait intervenir en 2025, soit 5 ans après l’objectif initial de 2020. Nous envisageons un développement très progressif de tels réacteurs, sans l’objectif d’une compétitivité économique avec les réacteurs classiques, en considérant leur apport au fonctionnement global du parc, notamment par l’optimisation du cycle et de la gestion des combustibles usés, en particulier du plutonium. Ce travail se développe dans un cadre international, au sein du forum international Génération IV, ouvrant des perspectives de coopération active, avec la Russie en particulier, mais aussi la Chine et l’Inde, pays qui disposent de programmes comparables et sont intéressés à collaborer étroitement avec nous. Dans ce contexte, la France dispose d’atouts, en particulier dans sa maîtrise des technologies du cycle.

Le président Bruno Sido. Étant donné l’absence de Mme Monique Séné, je donne la parole pour dix minutes à M. Yannick Rousselet de Greenpeace.

M. Yannick Rousselet, Greenpeace. - Je me trouve en situation un peu difficile puisque ni France Nature Environnement, ni Monique Séné ne sont présents. Sur cette question de la transmutation, je ne vais pas essayer de concurrencer le savoir du CEA, ni ses compétences, car nous ne sommes, entre guillemets, qu’une association, et nous n’avons pas les moyens d’aller regarder ce que vous faites dans le détail. Il n’y a pas de contre-expertise réellement possible dans ce domaine. C’est une difficulté pour nous. Voilà le préambule que je souhaitais faire.

Le plus marquant dans cette notion de génération IV et de transmutation, est qu’on nous la présente souvent, à nous citoyens, comme une chose quasi acquise, quasiment établie. La voie est toute tracée. Nous le voyons régulièrement, notamment dans le groupe de travail sur Cigéo, au sein du Haut comité : nous nous sortons d’à peu près toutes les situations par la future génération IV. Il paraît difficile de comprendre la réelle cohérence de tout cela. Par exemple, vous expliquiez tout à l’heure que si nous stockions les MOX, il y aurait production d’américium 241, ce qui représenterait évidemment un problème. Je pourrais retourner le problème, en soulignant qu’extraire, comme à l’heure actuelle, le plutonium conduira, avec le temps, à un plutonium à forte teneur en américium 241. Il conviendrait de s’interroger sur la cohérence de ce système qui conduira à devoir retirer de nouveau l’américium. Ce n’est qu’un exemple. Nous comprenons mal cette volonté de retraitement d’une partie des combustibles, avec une zone tampon d’entreposage dans les piscines de La Hague, qui finalement continue d’augmenter, puisque le contrat d’EDF avec AREVA pour le retraitement est inférieur à ce qu’il extrait de ses réacteurs. Nous sommes donc face à un système ambivalent avec, d’un côté, une volonté affichée de retraitement, mais de l’autre une part non traitée augmentant en permanence, avec une particularité : comme les MOX ne sont pas retraités, leur proportion dans les piscines augmente d’une manière notoire par rapport aux UOX retraités. Cela conduit à s’interroger sur la cohérence entre ce choix affiché de retraiter le stock, d’environ 60 à 64 tonnes de plutonium, et EDF qui affirme ne pas pouvoir consommer plus de plutonium, étant arrivé au maximum de consommation de MOX dans ses réacteurs. Cela implique qu’il est impossible de retraiter d’avantage. Nous sommes dans une situation que nous percevons comme bancale, incohérente.

Il nous est dit que seule la voie du retraitement est bonne, que seule la génération IV est bonne, mais finalement, des incohérences demeurent. J’insisterais là-dessus, car si pour le public lambda ces questions sont obscures, pour ceux qui s’y intéressent, il semble très difficile de faire la part entre la vision de l’esprit, la recherche à laquelle nous ne sommes pas opposés, car il est bien clair que nous ne sommes pas opposés à la recherche fondamentale, les évolutions techniques réelles, dont vous nous avez parlé, et les choix politiques. Tout cela mis ensemble, même si vous nous dépeignez un tableau qui semble cohérent, nous apparaît vraiment très mitigé entre ces différentes options. En particulier vous parliez des différents facteurs pris en compte : si nous regardons l’évolution économique, la situation du monde, de nos finances françaises, j’ai du mal à voir où nous allons en termes de capacité sur ce type de réacteur, puisque nous connaissons déjà de vraies difficultés sur les coûts pour la génération III. Il convient de vraiment s’interroger sur ce que nous allons faire, car nos ressources financières ne sont pas un puits sans fond. De véritables choix seront nécessaires.

En ce qui concerne le choix sodium, nous sommes également un peu dubitatifs. Nous avons énormément travaillé en France sur cette filière, ce qui nous conduit à dire : c’est celle-là la bonne. Pour nous le sodium a tellement d’inconvénients qu’il nous semble délicat de continuer sur cette piste quasi-unique. Surtout si l’on présente la génération IV comme la porte de sortie à l’utilisation de l’URT, de notre stock de plutonium, etc. Finalement, nous sommes dans une espèce d’impasse où l’on nous dit : de toute façon nous n’avons pas le choix. Cela va marcher. Il faut que cela marche, parce que sinon tous nos arguments sur la séparation ne tiennent plus. Ce sont avant tout ces questions qui nous préoccupent. Elles nous paraissent obscures. Il est difficile de faire la part des choses entre ces différents critères, et nous n’arrivons pas pour le moment, tel qu’on nous présente les choses, à y croire, sur le plan technologique et économique. Je ne sais pas si le mot croire est adapté, mais en tout cas, l’on ne nous a pas encore convaincu, comme je l’ai déjà dit pour Cigéo. L’ensemble de tout cela nous semble fumeux, c’est le terme le plus entendu dans ce que l’on peut appeler les organisations critiques. Surtout, nous avons l’impression d’être emmenés dans une voie qui va coûter extrêmement cher et dont la démonstration de sûreté pour le moment ne nous semble pas du tout acquise. Les différentes expériences dans le monde sur l’utilisation du sodium ne sont pas toutes convaincantes, c’est le moins que l’on puisse dire. Je voudrais citer, par exemple, l’évènement de Monju et un certain nombre d’expériences. Nous pouvons avoir de sérieux doutes sur l’utilisation du sodium.

Je rappelle une position de principe de notre organisation, puisque je suis là pour cela : nous sommes opposés à la séparation, au retraitement tel qu’il est fait aujourd’hui. Nous considérons que cela amène beaucoup plus d’inconvénients que d’avantages. Nous sommes sur une position d’opposition au retraitement, et en tout état de cause les débouchés proposés par rapport au retraitement, ne sont pas suffisamment établis, ni suffisamment clairs. Évidemment, un jour, si tout cela fonctionne, dans une grande démonstration de sûreté et d’innocuité pour l’environnement, nous pourrons nous reposer la question de la séparation. Si nous sommes opposés au retraitement, nous ne le sommes pas à la recherche fondamentale. Une difficulté réside dans la puissance d’ASTRID : 600 MW. Nous ne sommes plus là dans la recherche, mais dans la construction d’un prototype industriel. En d’autres termes, nous avons du mal à voir la limite entre l’engagement vers une filière industrielle, qui apparaît comme une sortie d’un point de vue politique, et la pure recherche. Il est vrai que vous allez nous expliquer avoir absolument besoin de ce réacteur pour avancer. Pour le moment, je n’arrive pas à me convaincre du caractère indispensable d’une puissance de 600 MW, ni d’un refroidissement au sodium, sachant que nous avons de nombreux retours d’expériences sur cette question du sodium.

Je pense avoir résumé notre position : pas d’opposition à la recherche, mais refus du retraitement tel qu’il est pratiqué. La raison principale en est qu’il s’agit d’un processus extrêmement polluant. Nous discuterons évidemment de l’impact des usines. Mais pour nous ces procédés génèrent un volume de déchets important, en plus de ceux qui existent sous d’autres formes.

M. Thibault Labalette, directeur des programmes, Andra. - Je passe la parole à M. Jean-Michel Hoorelbeke, chargé au sein de l’Andra de piloter toutes les études de prospective sur ces possibles déchets produits par de futurs réacteurs. Il va présenter le travail effectué sur ce sujet en lien avec le CEA.

M. Jean-Michel Hoorelbeke, Andra. - Comme l’a dit M. Bernard Bigot, le CEA a demandé à l’Andra d’évaluer l’impact sur le stockage géologique, de la mise en œuvre de plusieurs options possibles de transmutation avec des réacteurs rapides, sachant que la transmutation ne supprime pas la nécessité d’un stockage géologique profond. Comme la transmutation ne peut s’effectuer que dans de futurs réacteurs, l’Andra n’a pas étudié l’impact sur le projet Cigéo, mais sur son éventuel successeur. En effet, Cigéo est conçu pour gérer les déchets existants, et les déchets générés dans les années à venir par le parc actuel de réacteurs. Cigéo n’est donc pas impacté par la mise en œuvre éventuelle, dans l’avenir, d’options de transmutation. Dans toutes les options étudiées avec le CEA, le plutonium est toujours supposé multi-recyclé, car il n’y aurait pas de sens à transmuter les actinides mineurs sans s’être d’abord occupé du plutonium. Nous avons comparé un scénario où seul le plutonium serait intégralement recyclé dans un futur parc de réacteurs rapides, et donc ne se trouverait pas dans les déchets de ce parc, un scénario où l’américium serait séparé et transmuté et un scénario où tous les actinides mineurs seraient transmutés. Je voudrais rappeler également que le CEA avait conclu la première phase de recherche, menée dans le cadre de la loi de 1991, par l’impossibilité en pratique de chercher à séparer et à transmuter des produits de fission, qui sont l’autre grand constituant des déchets de haute activité. Certains de ces produits de fission ont aussi une longue période radioactive, impliquant une gestion dans un stockage profond. La transmutation est un processus lent. Je crois qu’il faut plusieurs recyclages pour faire disparaître les actinides, et donc les scénarios étudiés avec le CEA comportent deux futurs parcs électronucléaires successifs qui fonctionneraient pendant environ un siècle. La transmutation des actinides mineurs ne diminue pas le volume des déchets produits, qu’il s’agisse des déchets de haute activité vitrifiés, ou de moyenne activité à vie longue. Il faudra stocker en profondeur ces deux types de déchets, avec ou sans transmutation, bien que celle-ci permette de réduire la radio-toxicité. Les réacteurs rapides produisent un volume de déchets de moyenne activité à vie longue (MAVL) plus important que les réacteurs actuels et les EPR. À notre avis, l’optimisation des volumes de ces déchets et de leur caractère plus ou moins inerte au plan chimique peuvent constituer des enjeux de R&D pour de nouvelles filières nucléaires.

Si elle ne diminue pas le volume, la transmutation diminue la chaleur dégagée par les déchets de haute activité et cette chaleur décroît plus vite dans le temps. Cela permet, comme cela a déjà été dit, une diminution de l’emprise du stockage. Cette emprise dépend également de la durée préalable d’entreposage des déchets de haute activité avant leur stockage. Si l’on entrepose des déchets de haute activité pendant 70 ans, la transmutation des actinides permettrait une réduction d’un facteur 2 à 2,5 de l’emprise souterraine de stockage des déchets à haute activité. Si l’on accepte de prolonger l’entreposage jusqu’à 120 ans, nous trouvons une possibilité de réduction plus forte. En allant au maximum des possibilités, nous atteignons un facteur 10. Cela étant, il ne faut pas oublier l’emprise des déchets MAVL, indépendante des options de transmutation, et qui peut devenir aussi importante que celle des déchets de haute activité. Au final, en densifiant au maximum le stockage et en acceptant d’augmenter la durée d’entreposage jusqu’à 120 ans, l’emprise totale de l’installation souterraine du stockage pourrait diminuer avec la transmutation jusqu’à un facteur 3 environ. Pour gérer les déchets d’un siècle supplémentaire de production électronucléaire, avec les déchets rapides il nous faudrait à peu près 15 km² - soit l’équivalent du projet Cidéo actuel - en souterrain sans transmutation et 4 à 5 km² avec transmutation. Du point de vue de la sûreté, l’impact radiologique résiduel à long terme d’un stockage résulte des produits de fission et d’activation à vie longue contenus dans les déchets à haute activité et dans les déchets MAVL. Cet impact ne provient pas des actinides, car leur mobilité en stockage est extrêmement faible. La transmutation ne peut donc pas amener de gain sur ce point, comme l’a déjà précisé M. Bernard Bigot.

M. Jean-Michel Romary, directeur de la gestion des déchets et matières nucléaires, AREVA. Sur la séparation-transmutation et sur ASTRID, les actions sont, comme cela a été dit, essentiellement portées par le CEA. Toutefois, AREVA y contribue fortement, en apportant ses compétences sur les installations du cycle, relatives à tout ce qui concerne les impacts des débits de dose liés à la gestion des actinides mineurs, en s’appuyant sur son expérience à La Hague et à Melox en particulier. AREVA y contribue également en apportant ses compétences sur les îlots nucléaires, et son expérience liée à Superphénix. À ce titre, AREVA participe à des groupes de travail pour étudier de manière technique et économique les différents scénarios pour les parcs futurs, vis-à-vis de la séparation-transmutation, mais aussi du multi-recyclage du plutonium en réacteur à neutron rapide. D’autre part, nous participons également au programme ASTRID, pour l’amélioration de la sûreté et de la performance de ce réacteur, sur la base du retour d’expérience de Superphénix, et également pour la gestion de leurs combustibles. Nous apportons nos compétences, et pour indiquer un chiffre, un peu moins de 200 ingénieurs d’AREVA sont sollicités en permanence pour ce programme ASTRID, une trentaine concernant les installations du cycle, et 150 pour la partie îlot nucléaire. Techniquement, nous en retenons l’importance de la gestion du plutonium, qui serait le premier contributeur en termes d’impact au niveau de déchets si jamais l’on ne s’en occupait pas. Nous le recyclons aujourd’hui, et il conviendra de le multi-recycler dans le futur. L’impact sur l’emprise du stockage étant très importante, il faut envisager ce multi-recyclage en parc mixte : réacteurs à eau légère et à neutrons rapides. Dans un deuxième temps, la séparation-transmutation des actinides mineurs permet de réduire la radio-toxicité des déchets ultimes à stocker, en particulier de l’américium, deuxième contributeur, à hauteur de 10 %, permettant ainsi de réduire l’emprise du stockage profond. La faisabilité, cela a été dit par M. Bernard Bigot, est dictée par celle de la technologique des installations du cycle, par rapport à la gestion des actinides mineurs.

Nous avons déjà une expérience de multi-recyclage par dilution dans un réacteur à eau légère. Ce n’est pas tout à fait ce que l’on ferait en multi-recyclage en réacteur à neutrons rapides, mais toutefois nous saurions, sur la base de notre expérience, gérer du MOX recyclé dans des réacteurs à neutrons rapides sur les installations du site, en améliorant les boites à gants de Melox par exemple. Notre compétence, nos connaissances techniques, nous permettent d’en avoir pratiquement la certitude. Nous pourrions également, vis-à-vis des installations du cycle, moyennant quelques progrès technologiques également autour de ces boites à gants pour gérer le combustible, traiter l’américium. Par contre, et cela a été dit également, le traitement du curium n’est pas du tout envisageable. En conclusion, je dirai simplement que le déploiement de la séparation et de la transmutation demande une certaine progressivité. Nous devons développer, au fil de l’eau, les technologies requises, en minimisant le risque industriel, technologique et financier. La première des choses à faire pour nous, AREVA, concerne donc la gestion de l’uranium et du plutonium en cycle fermé, en parc mixte, réacteur à eau légère, réacteur à neutrons rapides, avec effet favorable sur le stockage, qui permettra dans l’avenir de préserver la ressource naturelle. À ce titre, ASTRID est nécessaire, et son planning est important pour parvenir à un premier démarrage et disposer d’un premier retour d’expérience. Dans un second point de ma conclusion, je rappelle que la vitrification apporte déjà une bonne réponse pour le stockage des produits de fission et des actinides mineurs, une réponse de gestion durable des déchets, et cela reste l’option de référence. On peut toutefois, dans un but d’optimisation, envisager, à moyen et long terme, en s’appuyant sur le retour d’expérience que nous pourrons avoir sur le multi-recyclage du plutonium, travailler sur une gestion de l’américium. C’est en particulier envisageable pour les combustibles des réacteurs à neutrons rapides.

M. Sylvain Granger, directeur de la division combustible, EDF. - Je voudrais tout d’abord rappeler qu’EDF est le seul électricien au monde à pratiquer le recyclage à l’échelle industrielle, puisque par année, nous envoyons à La Hague 1200 tonnes de combustible usé, et nous en retraitons 1000 tonnes. Cela correspond à retraiter l’ensemble du combustible usé à uranium naturel enrichi qui sort de nos réacteurs. Les 200 tonnes restantes correspondent à des combustibles qui proviennent de matières recyclées, c'est-à-dire le plutonium, mais aussi l’uranium, extrait par le procédé de traitement des combustibles usés envoyés à La Hague. Dans ce cadre-là, dans le système industriel actuel et avec les réacteurs dont nous disposons, les combustibles recyclés une fois ne peuvent pas l’être une deuxième fois. C’est pour cela que ces 1 200 tonnes ne sont pas complètement traitées et que seules les 1 000 tonnes provenant du combustible qui n’a pas encore été recyclé sont traitées, le reste ne pouvant pas l’être. C’est là l’un des enjeux majeurs du développement des réacteurs de IVe génération, dits à spectre rapide : permettre la récupération des matières intrinsèquement recyclables de ces combustibles usés, donc uranium et plutonium, MOX et uranium de retraitement, et permettre un recyclage très intéressant.

Pour répondre à la question de Greenpeace, je voudrais préciser que si jamais les réacteurs de IVe génération ne se développaient pas, ce que nous faisons aujourd’hui présente un intérêt évident, puisque par rapport à une situation où nous n’aurions pas du tout traité ou recyclé, en fin de jeu certes il nous resterait des combustibles usés à considérer en situation de stockage, en plus des déchets radioactifs aujourd’hui considérés en référence. Mais nous aurions décru l’inventaire global des déchets radioactifs de 80 %. C'est-à-dire que par rapport à une situation où il n’y aurait pas eu de traitement-recyclage, il n’y a que 20 % de volume de déchets à considérer : les déchets radioactifs après traitement, plus une part, raisonnablement faible d’ailleurs, de combustible usé MOX et uranium de retraitement. Ce n’est pas notre scénario de référence, qui est bien sûr de n’avoir pas de combustible usé en situation de stockage, et nous soutenons le développement des réacteurs de IVe génération. Ces réacteurs de IVe génération présentent un autre avantage. En effet nous n’utilisons pas l’intégralité, loin s’en faut, de l’uranium extrait des mines. Nous en utilisons à peu près 1 % pour faire nos combustibles à l’uranium naturel enrichi. Il y a une première transmutation, celle de l’uranium 238 en plutonium, et donc l’enclenchement d’un multi-recyclage uranium-plutonium dans ces réacteurs de IVe génération, qui n’est pas possible dans les réacteurs actuels. C’est très intéressant du point de vue de l’économie de la ressource énergétique, car cela pourrait nous permettre, en utilisant les produits déjà extraits des mines et non-utilisés aujourd’hui, de disposer d’une ressource énergétique pratiquement inépuisable. Pour ces deux raisons EDF soutient clairement le développement des réacteurs de génération IV : Ils constituent un élément essentiel pour une gestion durable des ressources énergétiques, et ils sont un outil complémentaire important pour la gestion de nos déchets radioactifs.

En revanche, il y a une deuxième transmutation : celle des actinides mineurs. Les résultats de recherche montrent qu’il convient d’être extrêmement prudent. Il faut bien peser le bilan inconvénients-avantages, compte tenu de trois facteurs essentiels. Nous sommes sur des quantités extrêmement faibles, représentant environ un pour mille de l’inventaire global des déchets à considérer de toute façon en situation de stockage. Il a été clairement établi que ces radionucléides sont très bien confinés, donc qu’ils n’ont pas d’impact pratique sur la sûreté du stockage. En revanche si l’on ne les stocke pas via la vitrification, il faudra les conserver dans le cycle industriel. Cela implique de bien mesurer les contraintes industrielles et sanitaires que pourrait engendrer la présence des actinides mineurs, à la fois dans le cycle du combustible et dans nos réacteurs. Effectivement, comme cela a été rappelé par M. Bernard Bigot, ces considérations ne sont pas simples, et il faut bien les mesurer avant d’envisager un déploiement industriel de la transmutation de l’américium, comme cela a été proposé. En conclusion, EDF soutient le développement des réacteurs de IVe génération. Nous proposons d’un point de vue extrêmement pratique de concentrer les efforts de R&D sur le cycle uranium-plutonium, comme cela a d’ailleurs été proposé par le CEA, de façon à ce que nous puissions disposer en temps utile d’une filière électronucléaire performante de IVe génération.

M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sureté nucléaire. Je n’utiliserai pas les 10 minutes qui me sont données. Je voulais vous faire part de notre avis préliminaire sur trois points. Tout d’abord, pour la séparation-transmutation, nous n’avons pas encore formalisé l’avis définitif que nous ferons dans les prochaines semaines. Cet avis sera publié et disponible pour le débat public à venir autour de Cigéo. Il est question, en parlant de transmutation, d’optimisation de l’inventaire de stockage. Mais dans tous les cas il y a besoin de stockage. Quel que soit l’intérêt des recherches d’optimisation, sur les quantités et sur la nocivité des matières, il ne faut pas que cela nous retarde sur l’avancement du projet Cigéo, pour le court terme. Le deuxième aspect de notre avis concerne les transmutations : il y en a plusieurs, et je salue les avancées faites notamment par le CEA en matière de recherche. Ce sont des technologies validées en laboratoire, mais non encore industriellement prouvées, encore moins en termes de sûreté. Nous sommes encore loin de pouvoir avoir un jugement totalement conforté comme pour des installations beaucoup plus matures. Le troisième point est le plus important dans ce jugement préliminaire, qui n’entre pas dans le cadre d’un dossier de sûreté complet. Au plan de la sûreté et de la radioprotection, les opérations de transmutation envisagées présentent des inconvénients avérés, notamment pour le cycle, qu’il complexifie. Il s’agit non seulement de la sûreté et de la radioprotection dans les réacteurs, mais aussi pendant les transports, et dans les usines qui participent à ce schéma. Ces Inconvénients sont avérés, difficiles à apprécier à ce stade car nous ne disposons pas encore de dossier complet. Les bénéfices sont contrastés. Ils sont relativement faibles sur l’impact radiologique. Il peut y en avoir sur l’empreinte, liés à la diminution des chaleurs résiduelles, mais ils ne sont pas encore totalement convaincants à ce stade. Pour autant, il faut poursuivre ces recherches, d’ailleurs prévues par la loi. Mais notre avis définitif s’orientera autour de ces trois idées. Ce disant, je préjuge d’un avis que nous rendrons dans quelques semaines.

Sur ASTRID, nous développons trois idées. Le prototype est un réacteur de génération IV. Si nous parlons d’un prototype à l’horizon 2020, en décalage à 2025, à l’évidence ce réacteur de génération IV doit répondre aux exigences de sûreté d’un réacteur de génération III. Nous avons, notamment via Superphénix, une expérience que je connais très bien, des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium, tel qu’ASTRID. Il existe des enjeux de sûreté particuliers sur ces réacteurs. Il nous paraît évident qu’il faut les traiter dans le cadre d’un prototype, en gardant en tête les critères actuels, les meilleurs standards de génération III. Cela suppose de fournir un travail très rigoureux et très complet. Je peux détailler un peu : la capacité à pouvoir contrôler en service, les questions de feu de sodium, peut-être dans une moindre mesure, celles de réactivité. Ce sont des enjeux absolument centraux, déjà dans le cadre d’un prototype unique. Mais s’il s’agit d’une tête de série, devant conduire à un déploiement industriel massif, à l’horizon 2040, nous ne serons peut-être plus sur des standards de sûreté de génération III. Les exigences de sûreté auront encore vraisemblablement augmenté. Il nous parait donc que le prototype réalisé dans un premier temps, doive être non-seulement de génération III, mais permette d’explorer concrètement des solutions de sûreté futures, au-delà de la génération III.

En dernier point, nous comprenons l’argumentaire présenté par le CEA sur le thème : nous avons une expérience réelle sur les réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium. Effectivement d’autres réacteurs présentent des difficultés ou des enjeux techniques compliqués, notamment par des questions de matériaux. À l’évidence, si nous étions dans un déploiement immédiat à l’échelle de temps du nucléaire, 10-15 ans, la conclusion du CEA serait valable. Mais il ne faut pas exclure que ces déploiements de génération IV soient différés un peu dans le temps. Dans ce cas, nous plaidons pour que le CEA garde un regard très attentif sur les autres technologies, et nous plaidons pour disposer d’une étude comparative des filières, notamment sur les aspects de sûreté-radioprotection. En effet dans ces différents réacteurs de génération IV, certains ont des caractéristiques intrinsèques de sûreté positives, même si nous le reconnaissons, il existe des difficultés à disposer de matériaux avancés.

Nous serons amenés à nous prononcer sur l’ensemble du dossier de sûreté en juin prochain, considérant qu’aujourd’hui ce dossier est de simple orientation de sûreté, phase amont. Par ailleurs, sur l’aspect de la comparabilité des filières, qui nous tient beaucoup à cœur, il est prévu que l’instruction technique s’achève fin 2013. Nous serons amenés à nous prononcer début 2014.

M. Maurice Leroy, vice-président de la CNE. - Je ne pense pas m'écarter beaucoup de ce que vient de dire l'ASN. S'agissant de la séparation, la CNE attire l'attention sur le fait que la France a une avance assez considérable dans ce domaine. Il faudra veiller à ne pas à arrêter les recherches et les études. En effet, s’agissant d’un réacteur pour 2040, et considérant les progrès faits sur les matériaux, la chimie, sur ce qu’il est possible de créer, nous insistons très vivement pour que la recherche reste très active dans ce domaine. Le jour venu, il pourrait exister des solutions évidemment inconnues aujourd'hui.

Je voudrais parler des ADS, c'est-à-dire des systèmes utilisant un accélérateur (Cf. supra), et de leurs liens avec les réacteurs à neutrons rapides, dits RNR. Nous nous sommes rendus à Mol, où nous avons écouté une délégation venue nous présenter les ADS qui constituent certainement une solution envisageable pour la transmutation des actinides. Le déploiement d'ADS ne résout pas le problème du plutonium, mais offre des dispositifs permettant de réaliser une transmutation de l'américium et, éventuellement, du curium. Associés à une séparation, en Europe tout au moins, il est nécessaire qu'il y ait à la fois des ADS et des RNR pour utiliser le plutonium. Il faut ajouter qu'un ADS n'est pas producteur d'électricité. Quand nous faisons des comparaisons, je pense que ces éléments doivent être pris en compte. En ce qui concerne les RNR, la Commission constate que le CEA, EDF et AREVA sont engagés dans le développement d'ASTRID, et recommande que cette aventure se poursuive jusqu'au bout. Tout ce qui a été fait a validé une approche scientifique et technologique, même si la validation industrielle n'est pas faite. Cette validation industrielle est extrêmement importante puisqu'elle va toucher à des problèmes de sûreté, de dimensionnement et de matériaux. Il faut donc, pour que la communauté puisse prendre une décision par rapport aux RNR, que cette aventure aille à son terme. Pour cela, il faut évidemment pouvoir à la fois séparer, prendre le plutonium, l'associer à de l'uranium appauvri, et faire recycler ce même plutonium, c'est-à-dire réalimenter le réacteur avec le plutonium sorti après retraitement du combustible. C'est un élément primordial.

En deuxième point, si un réacteur à neutrons rapides de type ASTRID est proposé, la sûreté doit être au minimum de troisième génération. Pour cela des ruptures technologiques sont nécessaires, qui permettent de gagner presque un ordre de grandeur sur la probabilité de fusion de cœur. Voilà les conditions que nous relevons. À cette occasion la Commission salue la capacité du CEA, d’EDF et d’AREVA à nous accueillir et à répondre à toutes les questions que nous pouvons poser. Nous avons retenu comme innovations, pour ASTRID, en le comparant à ses homologues dans le monde entier : un cœur à faible perte de réactivité, avec un coefficient de vide négatif, une réduction du risque de réaction sodium-eau, en recourant à des échangeurs modulaires, ou à un gaz inerte; par ailleurs ASTRID pourra bénéficier de l'inspection en service. Celle-ci a considérablement progressé au moment où Phénix a été arrêté, puis remis en service. Des avancées considérables sur l'inspection en présence d’un refroidissement sodium ont pu être réalisées, ce qui constitue une retombée très importante.

La Commission rappelle la nécessité de recycler le plutonium. De plus, ASTRID est un outil qui peut permettre la transmutation des actinides mineurs. Des expériences ont été faites avec des outils d'irradiation, en Norvège, à Petten, ou aux États-Unis. Des aiguilles ont été constituées qui contenaient de l'américium. La transmutation de cet américium a donc été démontrée. Il est nécessaire d'aller beaucoup plus loin, cela a été rappelé par l'ASN, car la manipulation de l'américium implique un cycle différent. La commission insiste sur la nécessité de déployer ces études, en prenant en compte ces différents paramètres.

Nous émettons également des recommandations concernant la recherche. La Commission ne prétend pas être inventive, simplement elle appuie ses propositions sur les éléments qui lui sont parvenus. Sur le plan des matériaux, des recherches approfondies sont nécessaires, dans la mesure où l'on atteint des taux de combustion élevés, avec des teneurs en plutonium importantes. Également dans le schéma proposé, il est nécessaire qu'à la fois l'unité de fabrication du combustible et son unité de retraitement soient associées d'emblée à ASTRID. À défaut, il manquerait un élément pour la fermeture du cycle, alors que l'un des objectifs majeurs d'ASTRID est la fermeture de cycle.

Le Président Bruno Sido. - Nous en arrivons à la phase du débat, sur l'ensemble de ce qui vient d'être dit, en particulier sur ASTRID qui pourrait avoir deux fonctions. Nous pourrons parler de la sûreté de la IIIe et de la IVe génération. Je vais lancer ce débat en revenant sur ce qu'a dit l'Andra concernant des entreposages durant 120 ans destinés à réduire l’emprise du stockage. Qu'en pensent les uns et les autres, l'entreposage sur 120 ans posant d'autres problèmes?

M. Jean-Michel Hoorelbeke. - J'ai simplement mentionné que pour bénéficier au mieux de cette potentialité de réduction de l'emprise du stockage souterrain, il est préférable de porter la durée d'entreposage de 70 ans, minimum technique en pratique, à 120 ans. L'Andra, dans le cadre de la loi de 2006, coordonne aussi des études et recherches sur l’entreposage, un autre axe de recherche défini par la loi. Ce n'est pas le sujet du jour, mais l'un des thèmes de recherche que nous menons concerne l'augmentation de la durabilité de futures installations d'entreposage, en fixant une échelle de temps séculaire, la différence entre 100 et 120 ans étant à cet égard minime. Du reste, comme AREVA pourrait peut-être mieux le dire, il y a déjà dans une installation d'entreposage en construction à La Hague, des innovations permettant d'escompter une durabilité un peu plus grande de l'entrepôt.

M. Jean-Michel Romary. - En complément de ce que vient de dire mon collègue, je voudrais rappeler que ce gain est offert par des verres qui ne contiendraient pas d'américium. Là réside un intérêt. Mais pour les verres existants, entreposés à la Hague, il est envisagé une durée d'entreposage de l'ordre de 50 à 70 ans, faute de possibilité de gain significatif pour l'emprise de Cigéo, en allongeant ce temps.

M. Yannick Rousselet. - Je n'ai pas bien saisi l’explication d’EDF sur la diminution de 20 % de la quantité de combustible, car nous ne sommes pas dans un mouvement perpétuel. Nous nous retrouverons toujours avec un stock de combustible à gérer. J'ai du mal à comprendre si l’on nous dit qu'il n'y a plus de combustible, parce qu'on va multi-recycler. Même si vous avez des espoirs millénaires sur la filière, il y aura toujours un stock de combustible à gérer. Par ailleurs, vous nous dites que l'on sera en mesure de retraiter le MOX. Mais jusqu'à preuve du contraire, le MOX est retraité par dilution avec de l'UOX. Donc, il faut aussi de l'UOX. Et comme l'on augmente constamment la quantité de MOX dans les piscines, il y aura un jour un blocage. Entre la théorie affichant que tout est possible et ce que je constate, je ne fais pas le lien. Cette théorie n'explique pas la réalité. Oui, on a retraité du MOX allemand, mais il a fallu pour cela de l’UOX. AREVA peut le confirmer. Ma dernière question concerne la réutilisation de l'uranium de retraitement. Dites-nous où vous le ré-enrichissez aujourd'hui, car nous apprenons quelque chose si vous utilisez encore cet uranium. Vous n'en avez plus envoyé en Russie depuis trois ans, cela nous a été confirmé à plusieurs reprises. Donc a priori, il n'y a plus d'utilisation d'uranium de retraitement aujourd'hui, et si j'ai bien compris il n'y a pas encore de contrat avec Georges Besse II pour enrichir un tel uranium de retraitement. Il n'y a donc pas d'unité chimique qui permettre actuellement de « nettoyer » cet uranium de retraitement pour le réutiliser.

M. Sylvain Granger. - Sur la question des 20 et des 80 % : il s'agit du résultat concret, avec le procédé actuel, que certains appellent le mono-recyclage, donc le recyclage uniquement des combustibles à l'uranium naturel enrichi. Comme des combustibles sont construits à partir de matières recyclées, que ce soit le plutonium pour les MOX, ou que ce soit l'uranium récupéré après traitement pour les combustibles dits à l'URE, à la différence de la situation américaine où il n'y a pas eu de retraitement du tout, nous avons un volume de déchets réduit de 80 %. En fait le volume des déchets radioactifs issus du traitement, plus les MOX usés et les URE usés qui à ce moment-là devraient, comme aux États-Unis, être considérés comme des déchets au moins provisoirement, représentent 20 % de ce que ce serait si l'on avait pas traité du tout. Le traitement, tel qu'il est pratiqué dans le dispositif industriel actuel, par rapport à une situation sans traitement, permet donc une réduction significative du volume total, une fois conditionné, des déchets destinés au stockage. En deuxième point, avec un dispositif industriel de IVe génération permettant de recycler à nouveau les matières qui sont dans les combustibles MOX ou URE usés, il n'y aura plus de nécessité de stockage. Vous faites référence à une règle de fin de jeu où, si l'on arrête un réacteur, il restera du combustible dedans. Il y a des études justement, sur ces règles de fin de jeu. Elles montrent que nous sommes sur des échéances temporelles extrêmement lointaines et que l'on est capable, en ajustant le fonctionnement des réacteurs à neutrons rapides, de réduire encore cet inventaire de fin de jeu. Donc, au bout du compte, il resterait éventuellement quelques pour cent dans très, très longtemps. En pratique, il est possible de considérer que le développement des réacteurs de IVe génération permettrait aussi de recycler la quasi-totalité des matières qui seraient comprises dans les MOX usés et le URE usés. Mais dans la situation actuelle, il y a bien réduction de 80 % du volume, ce n'est pas de la théorie, c'est constaté aujourd'hui. Sur la question de l'uranium issu des réacteurs : pour des questions de qualité de la matière, et de sûreté, le paramètre prépondérant pour notre politique de recyclage est le plutonium. Nous nous interdisons d'avoir du plutonium sous forme séparée, c'est-à-dire issu du traitement des combustibles usés, qui soit en trop forte quantité. Nous maintenons juste le stock circulant nécessaire pour effectuer les opérations industrielles de recyclages à Melox, mais ne souhaitons pas traiter du combustible usé sans exutoire suffisant pour le plutonium. Donc le recyclage du plutonium, pour des raisons de sûreté et de bonne qualité de la matière énergétique, fixe la quantité de matière traitée, puisque nous recherchons un recyclage en ligne, modulo les stocks industriels nécessaires au fonctionnement du système. Sur l'uranium dit de retraitement, il n'y a pas de telles contraintes. Il est essentiellement entreposé sur le site de Pierrelatte, après stabilisation, dans des conditions parfaitement sûres. Cela occupe des entreposages en nombre limité. C'est principalement une question de choix relevant de la sécurité de l'approvisionnement. En France, nous n'avons plus de ressource naturelle d'uranium, puisque les dernières mines ont été fermées en 2001. Aujourd'hui, il n'y a pas de stress particulier sur la ressource en uranium, mais cela peut arriver sur la longue durée. Il y a certainement un arbitrage à faire entre utiliser cet uranium qui est notre seule réserve énergétique présente sur le sol national, ou la conserver pour l'utiliser plus tard. Nous avons toujours cherché à maintenir un recyclage minimum de cet uranium pour nous assurer qu'il existe un système industriel permettant de réaliser les opérations, mais ce recyclage a été plus ou moins important selon les conditions de marché de l'uranium naturel. Le marché de l'uranium naturel s'est profondément tendu au début des années 2000 jusque 2007-2008, et nous avons eu l'opportunité de montrer la pertinence de cette stratégie en augmentant le recyclage, et donc en augmentant la substitution de l'uranium de retraitement par rapport à l'uranium naturel. Aujourd'hui nous sommes dans des conditions de marché beaucoup plus favorables, car il y a une abondance de matières basées sur l'uranium naturel. Il n'y a donc plus d'intérêt majeur à faire un recyclage important de l'uranium de retraitement. Nous l'avons donc réduit considérablement, mais il s'agit de gestes de gestion conjoncturels, pour avoir la meilleure optimisation de notre parc, de la gestion des matières, et aussi la meilleure optimisation économique de la production d'électricité d'origine nucléaire.

M. Bernard Bigot. - Je voudrais dire un mot après la première intervention de M. Rousselet. Le choix du sodium n'a pas été fait parce que nous avions une expérience. C'est le choix unanime de tous les pays et de toutes les entreprises ayant une perspective de développement de réacteurs à neutrons rapides. Nos amis russes, chinois, japonais ou indiens, tous considèrent qu’il présente le meilleur avantage sur le plan de la sûreté et de l'efficacité: pas de pression et une inertie thermique considérable. Bien sûr, il y a un certain nombre d'inconvénients, vous les avez soulignés. Mais ce choix est le fruit de l’expérience et des options potentielles à l'échelle internationale. Sur la question que vous posez sur le MOX usé. L'objectif du CEA est d'être capable de pouvoir séparer et donc recycler, sans faire appel au mélange avec de l'UOX. Il y a un retour d'expérience, incomplet encore, pour pouvoir faire cette démonstration. Mais je crois que M. Bernard Boullis, qui connaît beaucoup mieux les éléments historiques peut vous dire précisément ce qui a pu être fait à ce niveau. L'objectif est d'éviter de se mettre dans une dépendance à l'UOX. Les MOX usés ont de l'ordre de 10 % d'EPU, et pour les MOX des RNR, nous serions plutôt dans la gamme des 25 %.

M. Bernard Boullis, chef du département radiochimie et procédés, CEA - Il n'y a pas d'obstacle de principe au retraitement du combustible MOX. Il est simplement besoin d’ajustages opératoires. Les problèmes de principe se rencontrent plutôt quand l'on veut tirer parti du plutonium récupéré dans ces combustibles MOX. La qualité isotopique de ce plutonium le rend difficilement recyclable plusieurs fois dans les réacteurs actuels. C'est ce qui appelle des réacteurs différents, comme les réacteurs à neutrons rapides. Il y a eu des quantités significatives de combustible MOX recyclées, environ 70 tonnes dans les ateliers de La Hague, ce recyclage se fait la plupart du temps en dilution, puisque l'on est pris par des contraintes d'exploitation des ateliers construits et conçus pour les combustibles UOX. En particulier, pour respecter la contrainte de criticité, il faut une certaine concentration en uranium accompagnant le plutonium dans le procédé. La plupart du temps cela se fait en diluant ce combustible MOX dans du combustible UOX, mais parfois aussi en ajustant une recirculation d'uranium. Cet artifice opératoire a permis de faire une partie des campagnes en ne retraitant que du combustible MOX. Des quantités significatives de combustible MOX de réacteurs à neutrons rapides, issus du réacteur Phénix, ont été traitées. Environ 25 tonnes, contenant 20 à 30 % de plutonium, à La Hague avec des conditions de dilution, mais également à Marcoule, dans une installation pilote, sans dilution par du combustible UOX. Nous avons un retour d'expérience significatif sur le retraitement du combustible MOX, et il n'y a pas d'obstacle de principe à franchir pour ces retraitements. Il s’agit simplement d’une question d'adaptation.

M. Christian Namy, sénateur. - J’interviens surtout en tant que président du Conseil général de la Meuse, très directement concerné par le projet Cigéo. La transmutation est quelque chose de potentiel, à terme, mais pas réellement réalisable, ou dans un délai excessivement long. Cela veut bien dire, et j'ai bien entendu M. Pierre-Franck Chevet le dire, que l'enfouissement est la condition ultime du traitement des déchets. Il n'y a pas d'autre condition. Le projet Cigéo aboutira, puisqu'il n'y a pas d'autre hypothèse de travail, et je voudrais rappeler aux opérateurs les engagements qui étaient les leurs. Je parle sous le contrôle de Bruno Sido, puisqu'il est aussi concerné que moi. Ces engagements consistaient en un accompagnement économique. Celui-ci n'est absolument pas au niveau de ce qui avait été promis. Je voudrais simplement le rappeler.

M. Bernard Bigot, CEA. Je voudrais juste conclure, pour que l'on ne se méprenne pas. Il y a donc cet effort de séparation, et il y a encore beaucoup à faire avant d'envisager la mise en place de la première transmutation d'un actinide mineur, qui serait l'américium. Le vrai sujet sur lequel se concentre le CEA au travers des réacteurs à neutrons rapides, est de faire la démonstration claire du multi-recyclage du plutonium. S'il n'y a pas cette étape-là, nous serons amenés à stocker de grandes quantités de plutonium. Il y aurait donc un problème à examiner. L'avantage du multi-recyclage du plutonium réside en la possibilité, si nous sommes avec un iso-générateur, de maintenir l'inventaire. Mais, au-delà, nous avons aussi la possibilité de réduire cet inventaire car ASTRID est non seulement un iso-générateur potentiel, mais aussi un sous-générateur. Et donc, pour répondre à la question posée par M. Rousselet, si je l'ai comprise correctement, si les filières d'énergie nucléaire de fission venaient à leur terme, nous aurions la possibilité de réduire l'inventaire dans des proportions considérables en une soixantaine d'années. Pour moi l'intérêt de ce démonstrateur, car il s'agit d'un démonstrateur, pas du tout d’un produit industriel, est d’abord de permettre d'explorer cette piste, et ensuite d’avoir une source de neutrons rapides suffisamment abondante pour pouvoir tester les effets de ces neutrons rapides sur les moyens d'explorer d'autres alternatives de transmutation. C'est la raison pour laquelle il est de notre point de vue totalement nécessaire de poursuivre ce projet au rythme donné par les compétences techniques et les ressources financières, pour faire cette première démonstration, point très important dans le débat que nos concitoyens sont an droit d'avoir sur la manière dont nous pouvons gérer l'ensemble du cycle nucléaire.

Le Président Bruno Sido - Tout ce que vous venez de dire, M. Bigot, dépendra de la politique qu'entend mener le gouvernement. Surgénérateur, iso-générateur, sous-générateur, il s'agit d'une question éminemment politique. Nous passons à la deuxième table ronde, consacrée aux déchets de faible activité à vie longue. Je donne la parole à Mme Marie-Claude Dupuis.

Mme Marie-Claude Dupuis, directeur général de l’Andra. - Nous avons prévu deux courtes interventions sans support vidéo, une petite synthèse que monsieur Thibault Labalette, directeur des programmes, va présenter. Elle concerne le point des études et travaux sur les déchets FAVL, puis les bitumes. Une précision préalable : il y a plusieurs catégories de bitumes, ceux de moyenne activité à vie longue, qui ont vocation à aller à 500 mètres de profondeur dans Cigéo, et des bitumes de faible activité à vie longue, destinés à être stockés à faible profondeur.

M. Thibault Labalette. - En introduction je voudrais indiquer que fin décembre 2012, l'Andra a remis son rapport au gouvernement sur les scénarios de gestion à long terme des déchets de faible activité à vie longue, conformément à la demande qui avait été faite par le plan de gestion des matières et des déchets radioactifs. Ce rapport a été présenté en février au groupe de travail du plan national. Il est aujourd'hui disponible sur le site internet de l'Andra. Il répond à une demande de l'État, après le retrait des deux communes présélectionnées en 2009. L'État nous a demandé d'ouvrir d'autres scénarios de gestion que ceux envisagés précédemment, notamment d'étudier les possibilités de gestion séparée des déchets de graphite et des déchets radifères. Je vais aborder deux points dans ma présentation: nos conclusions techniques sur l'étude de ces différents scénarios, et nos propositions pour poursuivre la démarche de recherche de sites. Sur le plan technique, il existe différentes familles de déchets de faible activité à vie longue, avec chacune ses caractéristiques et ses spécificités. Nous nous sommes attachés dans ce rapport à considérer chaque famille de déchets. Notre première conclusion est qu’aujourd’hui en France, le stockage des déchets radifères est une priorité, car la majorité de ces déchets sont déjà produits, et sont actuellement entreposés dans des installations temporaires, dont certaines seront saturées d'ici une dizaine d'années. Le stockage de ces déchets, dans une couche d'argile suffisamment épaisse, à une quinzaine de mètres de profondeur, permettra de confiner efficacement la radioactivité à très long terme. Avant de pouvoir mettre en œuvre une telle solution, il est nécessaire de mener une table de caractérisation géologique sur site, pour vérifier les performances de sûreté d'un éventuel centre de stockage, avant de prendre la décision de démarrer les études du projet industriel. C’est l’un des objectifs pour les années à venir. Concernant les déchets de graphite, produits par le démantèlement des premières générations de réacteurs, des études de R&D qui visent à approfondir différents scénarios de gestion sont conduites, en lien avec EDF et le CEA, à la fois sur le tri des déchets ou leur traitement en amont du stockage. Les conclusions de ces études, les progrès dans la caractérisation des déchets, et les résultats des investigations géologiques, nous permettront de proposer un scénario de gestion optimal pour ces déchets en 2015. En particulier, l'un des scénarios étudiés serait de stocker les graphites les moins actifs à faible profondeur, avec les déchets radifères, et les plus actifs dans Cigéo, à 500 mètres de profondeur. Cette option est une alternative à ce que nous avions présenté en 2008 : la création d'un stockage dédié pour les graphites à une centaine de mètres de profondeur. Il est à noter néanmoins que par précaution, nous avons prévu des réserves dans l'inventaire de Cigéo pour couvrir le cas où il y aurait nécessité de stocker certains de ces déchets en profondeur.

Pour les autres déchets FAVL, l'inventaire de ceux qui seront compatibles avec un stockage à faible profondeur sera précisé, sur la base des résultats des investigations géologiques. Sans cette connaissance exacte, il nous est difficile de préciser de manière définitive ce qui pourra relever d'un stockage à faible profondeur. Il s'agit de certains déchets bitumés du CEA, dont je reparlerai par la suite, de sources scellées usagées, d'objets contenant du radium, collectés notamment chez des particuliers, de déchets à radioactivité naturelle renforcée, de résidus de traitement d'uranium naturel. Par ailleurs, l'inventaire national des déchets radioactifs 2012 montre que l'on aura besoin dans quelques années de nouvelles capacités de stockage pour les déchets de très faible activité, produits par le démantèlement des installations nucléaires. Elles sont à prévoir pour l'horizon 2025, selon les prévisions de livraison actuelles des producteurs de déchets. Pour favoriser la synergie entre les filières de stockage, l'Andra propose d'étudier un centre de stockage capable à la fois de prendre en charge des déchets de très faible activité (TFA) et des déchets de faible activité à vie longue. Voilà les grandes orientations techniques de notre rapport en 2012. L'enjeu est donc bien d'avancer dans la connaissance géologique, et donc de poursuivre la démarche de recherche de site, initiée suite à la loi de 2006 par un premier appel à candidature. Pour poursuivre cette démarche, nous avons proposé au gouvernement de nous appuyer sur les recommandations du Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, qui a réalisé un retour d'expérience très riche de la précédente phase d'appel à candidature, et a remis un rapport public à l'État en septembre 2011. Après deux années de réflexion et d'audition des acteurs concernés, il est important de rappeler les points saillants du rapport du Haut comité: le projet FAVL est un projet d'intérêt national, et la sûreté est le facteur premier du choix du site de stockage. Par ailleurs, le Haut comité recommande, pour la poursuite de la recherche de sites, de prendre en compte certaines considérations. En premier lieu, de nous appuyer sur les résultats de l'appel à candidatures de 2008. En deuxième lieu de privilégier le choix de territoires qui accueillent déjà des installations nucléaires, avec l'idée que l'éventuelle implantation d'un centre de stockage en serait facilitée. En troisième lieu d'engager des discussions à minima à l'échelon intercommunal, avec le soutien de l'État et des grandes collectivités. Enfin, de mener une démarche d'information et de dialogue avec la population, en parallèle de tout ce processus. Sur la base des recommandations du Haut comité, l'Andra fait l'analyse suivante. La communauté de communes de Soulaines, dans le département de l'Aube, est aujourd'hui le seul territoire qui réponde aux trois recommandations du Haut comité, car sa géologie est a priori favorable pour l'implantation d'un stockage à faible profondeur. Elle accueille déjà des installations nucléaires: le centre de stockage de l'Andra, à Soulaines. De plus, plusieurs communes s'étaient portées candidates en 2008 sur ce territoire. Nous avons donc présenté les conclusions de notre rapport à la Codecom de Soulaines, qui nous a indiqué ses conditions préalables à la réalisation d'investigations géologiques sur son territoire, en particulier la mise en place, avant toute présence sur le terrain, d’une structure de concertation avec l'Etat, les élus, les producteurs de déchets et l'Andra, pour définir les modalités d'accompagnement d'un éventuel centre de stockage. La communauté de communes souhaite également que l'Andra donne toute l’information nécessaire aux élus et à la population, en s'appuyant notamment sur les Commissions locales d'information existantes auprès de nos centres de stockage en activité. Cette position des élus ne porte en aucun cas sur l'acceptation ou non d'un centre de stockage. Pour les autres territoires, où des communes s'étaient portées candidates en 2008, l'Andra leur a transmis son rapport, en indiquant sa disponibilité pour venir présenter la démarche en cours et recueillir leurs intentions. Enfin, pour les autres territoires qui accueillent des installations nucléaires aujourd'hui, l'Andra doit se rapprocher d'AREVA, du CEA et d’EDF pour préciser les sites potentiels comportant une couche d'argile affleurante. Il est toutefois à noter que la majorité de ces sites nucléaires sont situés à proximité immédiate de cours d'eau. Une analyse détaillée est donc à mener sur la compatibilité de l'implantation d'éventuels centres de stockage, respectant les orientations de sûreté définies par l'Autorité de sûreté nucléaire, en vue de la recherche d'un site pour les déchets de faible activité à vie longue. En conclusion de ce rapport, l'Andra propose de fixer un nouveau rendez-vous dans trois ans, en 2015, où l'on pourra discuter des orientations pour la suite du projet sur la base de deux nouveaux rapports: un premier rapport technique de l'Andra qui proposera une ou des solutions industrielles pour la gestion des déchets FAVL et TFA, selon leurs différentes natures, et un second rapport qui comprendra une synthèse des échanges avec le public, ainsi que le projet de développement du territoire pouvant accompagner l' implantation d'un centre industriel, tel qu'il aura été discuté avec les acteurs du territoire.

Je vous propose de passer au deuxième volet de la table ronde pour donner un éclairage sur les études techniques menées par nos soins sur les déchets appelés bitumes. Les déchets bitumés sont constitués de boues sèches, enrobées dans une matrice de bitume. Ils sont conditionnés dans des fûts en acier, et proviennent du traitement d'effluents radioactifs aqueux sur les sites nucléaires, principalement par insolubilisation des radionucléides, avec l'ajout de réactifs minéraux. Ces colis de boue bitumée sont très largement des colis historiques, produits, depuis 1966, par les stations de traitement d'effluents liquides de Marcoule et, depuis 1989, de La Hague. C'est un mode de conditionnement aujourd'hui progressivement remplacé par d'autres procédés. Sur le site de Marcoule, cet historique de production conduit à une variabilité des caractéristiques radiologique et chimique des colis de boue bitumée, ce qui conduit le CEA à en affecter environ la moitié dans la catégorie des déchets de faible activité à vie longue, et l'autre moitié dans la catégorie des déchets de moyenne activité à vie longue. L'acceptabilité d'une partie des déchets bitumés dans ce projet de stockage, tel que nous l'étudions, sera confirmée à l'avenir à partir de mesures conduites par le CEA pour conforter l'inventaire radiologique de ces colis de boues bitumées de faible activité à vie longue, et également par les caractéristiques des sites que nous allons acquérir. Par précaution, comme pour certains déchets graphites, nous avons pris en compte ces déchets bitumés FAVL dans les réserves de l'inventaire de Cigéo.

Pour en venir de manière plus large aux déchets de moyenne activité à vie longue et aux questions relatives à leur stockage en profondeur et dans d'autres filières, il convient de déterminer les problématiques spécifiques liées au stockage de boues bitumées. Les deux questions essentielles pour démontrer la sûreté de leur stockage, portent premièrement sur le gonflement constaté sur certains enrobés en situation d'entreposage, et deuxièmement sur le risque d'incendie en exploitation. Nous avons donc travaillé avec le CEA et AREVA pour élaborer ensemble un programme d'étude de ces grandes problématiques. Il est en cours de finalisation, en impliquant les compétences du CEA, et, à l'international celle de l'homologue belge du CEA, le SCK-CEN, et prévoit notamment de nouvelles expériences pour continuer à étudier les phénomènes de gonflement : des prélèvements d'échantillons sur fûts réels avec des mesures calorimétriques réalisées sur ces échantillons, des essais de caractérisation du comportement thermique des enrobés en laboratoire, et même des essais de feu à l'échelle un, bien entendu sur des colis inactifs. Tout le travail qui va être mené vise à fournir un premier ensemble de résultats pour 2014, à la demande des évaluateurs, qui seront présentés à la CNE et à l'ASN. Certaines actions pourront se poursuivre au-delà.

En conclusion, il y a un consensus entre tous les acteurs pour dire que ces déchets bitumés ne seront pas stockés dans la toute première tranche de Cigéo, une phase de démarrage pendant laquelle nous aurons notamment pour objet d'éprouver les méthodes d'exploitation. Leur stockage est envisagé à partir de 2030, ce qui nous donne tout le temps nécessaire pour conforter les connaissances nécessaires avant de pouvoir les inclure dans le centre de stockage.

Le Président Bruno Sido. - Je vais sortir un peu de mon rôle de président de séance pour vous dire ce que je pense de votre rapport. L'expérience malheureuse que vous avez connue en 2008, en vous adressant directement aux communes, vous conduit à nous dire qu'il conviendrait de passer à l'échelon supérieur, celle de la communauté de communes. L'échelon départemental fonctionne parfaitement bien, et, de mon point de vue, l'échelon intercommunal est insuffisant. Il souffrira des mêmes difficultés.

Mme Marie-Claude Dupuis. - Effectivement, M. Thibault Labalette ne l'a pas précisé dans son intervention, mais bien entendu les discussions et les échanges que nous avons eus avec la communauté de communes ont été préparés, en amont, avec le président du Conseil général de l'Aube, sénateur, et avec le député de la circonscription. Et d'ailleurs, monsieur Adnot, sénateur, a eu l'occasion de s'exprimer publiquement sur ce sujet à la télévision. Nous sommes parfaitement en phase sur le processus et la démarche.

M. Yannick Rousselet. - À nouveau je ne vais pas rentrer dans les détails techniques, puisque je laisse le soin à l'Andra de le faire. Je voudrais me faire le porte-parole des gens autour de moi, de leurs interrogations sur la manière de voir les choses. Lorsque nous parlons de ces déchets FAVL, nous sommes dans une vision extrêmement ciblée, avec des éléments précis, à replacer dans un contexte global. Nous nous apercevons, par exemple, que dans certains pays ayant décidé, pour des raisons politiques, de sortir de l'industrie nucléaire, le problème est abordé d'une manière psychologique complètement différente, car l’on se trouve dans une situation de sortie, et donc de prise en compte d'un héritage. À partir du moment où l'on se trouve dans une situation de fuite en avant, de poursuite de la production dans le cadre de cette industrie, la manière dont les gens reçoivent les choses est différente: ils ont l'impression d'un puits sans fond. On leur dit: « on va vous en mettre un peu, mais demain nous allons continuer à produire ». Nous sommes en train d'éponger au pied de la baignoire, et nous n'avons pas fermé les robinets. Même si c'est un peu imagé, c'est ce que j'entends souvent. Il faut bien comprendre cela, bien l’intégrer dans l'acceptabilité, ou non, de la part des populations. Si l’on se trouve dans un système où l'on continue à produire, où la cohérence sur la génération IV et ce qui l'entoure ne semble pas claire et établie, pour ceux qui acceptent de considérer la réalité des choses, le citoyen lambda ou ceux, dont nous faisons partie, qui se préoccupent un peu de la question, se posera toujours le problème suivant : annoncer que l'on est en train de résoudre le cas d’une petite famille de déchets, dans un coin, puis une autre famille, etc. J’entends bien ce discours d'un point de vue technologique et industriel, mais pas quand je le considère dans une vision globale des choses. Finalement MAVL, FAVL, TFA hormis les gens autour de Soulaines, il y en a peu qui comprennent de quoi il s’agit. La vision globale est extrêmement importante pour les gens. S'ils n'ont pas cette vision globale de ce qu'est l'équilibre, la structure de cette industrie, et de ce qu'elle va devenir, cela ne marchera pas. Nous pouvons toujours changer d'échelon, et lorsque nous nous éloignons du reflexe ni-ni, nous pouvons composer. Mais il n'empêche que cela restera toujours une problématique s'il n'y a pas un crédit véritable apporté aux propos globaux sur les orientations. Depuis ce matin, un peu habitué à ce type de réunion, je vous entends, j'entends les arguments, ce qui se dit. Je vous assure que si vous mettiez quelques citoyens lambda à vous écouter, ils diraient « qu'ils » sont complètement à côté des réalités, « qu'ils » marchent à un mètre du sol, tous ces gens-là. Entre ce que j'appelle la vision de l'esprit, des volontés technologiques, des volontés politiques, et la réalité, il y a toujours une marge énorme. Et tant que cette marge restera, quelle que soient les décisions politiques prises, cela coincera. Soit il y a un partage, une appropriation collective des choix énergétiques, et donc de leurs conséquences, y compris de l'héritage des déchets, soit il n'y a pas cette compréhension globale, permettant d'être convaincu de la logique de l’ensemble.

Pour les déchets bitumés, il y a encore des études à mener et notre première recommandation, bien évidemment, est de surtout ne pas s'engager plus avant. Je connais personnellement des gens, puisqu'ils sont dans la famille, qui ont travaillé sur les bituminés à La Hague. Je sais qu'ils sont partis en retraite en disant qu'ils ne s'en sont pas sortis. Pour ces bitumes, il faut rester très prudent sur la sûreté, notamment quant aux risques d'incendies.

Le Président Bruno Sido. - Vous pouvez prendre le temps de parole de Mme Monique Séné si vous avez d'autres choses à dire.

M. Yannick Rousselet. - Je crois avoir livré l’essentiel du message. Nous voyons bien que la question technique de ces déchets est assujettie à un débat beaucoup plus global : social, éthique et politique. Ce n'est pas suffisant que des politiques disent : voilà la bonne voie. Je vais citer encore le baromètre de l'IRSN sur la crédibilité et la compétence, où les exploitants sont en bas à gauche de ce schéma en croix, les politiques malheureusement très en bas et les associations très en haut à droite. Vous pouvez donc toujours dire quelque chose, les gens le croiront peu, mais si nous vous appuyons, ils vont se mettre à le croire. Vous voyez bien qu'il y a une dichotomie entre, d’une part, la vision technologique et politique, et, d’autre part, la réalité des citoyens. Or le refus des citoyens est très souvent animé par le réflexe ni-ni, mais pas seulement. Il est question de pouvoir faire confiance, en comprenant la logique dans laquelle nous nous trouvons. Nous avons fait un exercice avec l'Andra sur la mémoire. Nous ne pouvons pas traiter ces sujets uniquement d'un point de vue technique, avec le CEA. Il faut aussi des sociologues et des historiens, des gens qui ont compris comment un héritage, qui est un fardeau, est gérable dans l'avenir. Si nous n'intégrons pas les réflexions de ce matin en première table ronde, et cet ensemble de recherches et connaissances, nous n'avons rien compris. Et nous n'aboutirons pas, y compris pour l'existant. De fait, si demain nous avons une position politique différente sur l'énergie, peu importe, nous disposons tous autour de la table d'un héritage, incluant les questions de la sûreté et du devenir de ces produits. Si nous n'avons pas cette logique globale de compréhension, en dehors du discours technique, et du discours politique simpliste, cela ne marchera pas.

M. Jean-Michel Romary. - Concernant les déchets FAVL, nous avons pour notre compte une variété assez importante de déchets. Des graphites, issus de la fabrication et du traitement des combustibles usés UNGG, sont entreposés dans des silos de l’atelier UP2 400 de la La Hague. Il s’agit toutefois d’une faible quantité, au regard de la quantité globale française, puisqu'on est à peu près à 1 100 tonnes, pour 23 000 tonnes au total. Il est prévu de les reconditionner, pour les entreposer dans des conditions sûres, dans un bâtiment spécifique, en l'attente d'un centre de stockage définitif. La deuxième catégorie est composée des déchets radifères, à Jarrie, issus de la fabrication des éponges de zirconium à partir du zircon, utilisé pour fabriquer des gaines d’assemblages combustibles destinés aux réacteurs. Ils sont également entreposés dans des conditions sûres, dans un bâtiment dédié. Il y en a à peu près 3 000 tonnes, et à terme, en 2030, environ 9 000 tonnes. Toutefois l'entreposage a une capacité d'environ 4 500 tonnes. Donc l'effet de saturation des entreposages qu'évoquait tout à l'heure M. Thibault Labalette concerne entre autres ces déchets, puisqu’il devrait intervenir d'ici une dizaine d'années. Les bitumes forment la troisième catégorie de déchets pour AREVA. Quelques-uns sont de type FAVL. La majorité, que ce soit pour notre compte ou pour celui d'EDF, pour qui nous assurons le conditionnement de ces déchets, sont de de type MAVL. Ils sont parfaitement caractérisés, connus et entreposés dans des conditions sûres, vis-à-vis en particulier du risque d'incendie, sur le site de La Hague. J'ai entendu M. Yannick Rousselet: il n'y a jamais eu d'incendie de bitumes à La Hague. C'est une chose parfaitement maîtrisée. Je mettrai de côté une dernière catégorie de déchets, au sens du PNGMDR, issus du traitement chimique de l'uranium, ceux de Malvési, qui font l'objet d'une gestion particulière : des déchets historiques, non-considérés comme FAVL, et des déchets à produire sur lesquels nous conduisons des études. Nous allons fournir un rapport d'étape fin 2013, sur la manière dont nous allons spécifiquement gérer ces déchets. Voilà pour l'état des lieux.

Dans notre vision du stockage des déchets FAVL, entreposés dans des conditions sûres, il est important qu'il se mette en œuvre assez rapidement. J'ai évoqué la dizaine d'années avant saturation pour les déchets de Jarrie. Il est aussi important, quelle que soit sa caractéristique, couverture intègre ou remaniée, qu'il accueille un maximum de déchets, non pas uniquement des radifères, mais aussi des graphites. Ce centre de stockage va nécessiter des investissements. Il doit donc être le plus capacitif possible, et à ce titre, l'adosser à un centre TFA peut être vu également d'une manière favorable. C'est la position d'AREVA. Il est important aussi que ce stockage accueille des déchets ayant des caractéristiques non-traitées en TFA, qui contiennent plus de radionucléides à vie longue comme le chlore 36 ou le carbone 14, ou des radionucléides alpha, comme l'américium, de manière à en faire un vrai stockage FAVL. En conclusion, une décision devra être prise. C'est important pour nos entreposages, car nous ne disposons que d'une dizaine d'années devant nous. De même la spécification des colis et des types de déchets qui seront acceptés dans ce centre, devra être définie.

M. Christophe Béhar, directeur de l'énergie nucléaire au CEA. - Concernant le projet FAVL, le CEA considère nécessaire d'aboutir à un scénario industriel de stockage optimum, intégrant l'angle technique mais aussi économique, capable de prendre en charge tout l'inventaire radiologique et physicochimique des trois catégories de déchets FAVL existant au CEA : les résidus radifères, entreposés actuellement sur le site d'Itteville dans l'Essonne, les déchets de graphite, générés par le démantèlement du graphites des réacteurs GI, G2 et G3, à Marcoule, et les déchets bitumineux les moins chargés que nous avions historiquement orientés vers le centre de stockage de surface CAS de l'Aube, alors que nous sommes aujourd'hui dans une autre configuration.

Les déchets bitumineux entreposés sur le site de Marcoule, comme résultat d'opérations de conditionnement en provenance de la station de traitement des effluents liquides de Marcoule, et comme exposé lors de la précédente audition du 28 février, sont orientés par le CEA vers le centre de stockage profond Cigéo. Il s’agit des 28 000 fûts de bitume les plus chargés, dits MAVL, sous réserve qu'une démonstration de sûreté convaincante soit faite, comme cela a été discuté, notamment au sein de la CNE. Le programme commun de recherches Andra-CEA, qui a été commandité par la CNE, pour donner des éléments fin 2014 sur le stockage des colis de bitumes dans Cigéo, sera envoyé prochainement, et nous y travaillons de manière très intense avec l'Andra. Concernant les bitumes les moins chargés, de type FAVL, nous en avons environ 32 000 fûts. Trois points nous semblent importants. Premièrement, plusieurs scénarios de gestion prospective sont inscrits pour ces bitumes FAVL dans le rapport diffusé fin 2012 par l'Andra, comme M. Thibault Labalette l’a rappelé : le stockage sous couverture remaniée, la caractérisation, le tri, le stockage sous couverture inerte avec les déchets graphites, si c'est bien la solution retenue pour les déchets graphites, et enfin le traitement et le stockage des résidus concentrés dans Cigéo. En deuxième point, le CEA rappelle que la solution de référence est pour lui le stockage en site FAVL sous couverture remaniée (SCR). La stratégie de l'Andra consiste à reprendre les investigations géologiques des sites. La démarche du CEA vise à améliorer la connaissance des inventaires radiologiques et physicochimiques des fûts de bitumes historiques. C'est un effort conséquent du CEA, qui doit s'accompagner, et c'est le cas, d'actions spécifiques de l'Andra, visant à prendre en compte des valeurs optimisées sur les paramètres physicochimiques qui pilotent le transfert des radionucléides à l'exutoire d'un site de stockage SCR, afin de consolider le scénario d'acceptation de ces déchets en stockage FAVL SCR. Enfin, l'option de traitement des colis de déchets bitumés, dont l'étude est demandée fin 2013 au CEA dans le cadre du PNGMDR, et sur laquelle nous travaillons, mais dont la faisabilité n'est pas acquise, ne correspond pas à la solution de référence du CEA. Elle pourrait impliquer, si elle était retenue, des surcoûts importants.

M. Sylvain Granger. - En ce qui concerne la question des déchets FAVL et de leur futur stockage, EDF est principalement concernée par les déchets de graphite qui résulteront du démantèlement des réacteurs à uranium naturel graphite-gaz. Il s'agit d'un stock, puisque nous n'exploitons plus ce type de réacteur, à gérer en tant que déchets de faible activité à vie longue. Nos programmes de démantèlement ont été conçus pour ne pas multiplier les manipulations et les centres d'entreposage intermédiaire. Les décrets d'autorisation obtenus pour engager et poursuivre ces programmes de démantèlement sur les réacteurs graphite-gaz prennent en considération ce scénario. Le graphite est évacué dans un stockage, moyennant un conditionnement préalable adapté. Quand tout cela a été conçu, la loi du 28 juin 2006 nous donnait comme perspective un stockage en faible profondeur à l'horizon 2013. Malheureusement, il n'a pas pu être développé pour les raisons évoquées. Nous avons donc essayé de regarder, avec l'ensemble des parties prenantes, en particulier avec l'Andra, les différents scénarios de repli possibles, y compris des alternatives de stockage, en considérant les possibilités de traitement du graphite. Nous continuons à les étudier, mais ce ne sont pas des solutions immédiates. Elles présentent un certain nombre de risques, et il y a beaucoup d'incertitudes quant à la capacité de déboucher sur une solution industrielle. Sans dire que cela ne peut pas se faire, au vu des études, ce n'est actuellement pas une option pouvant être considérée comme solution de référence. Pour nous, le stockage direct reste la meilleure solution, en termes de délais, de sûreté ou de radioprotection. A ce titre, nous soutenons la proposition faite par l'Andra de reprendre et de poursuivre la recherche des sites, à condition de l'articuler convenablement avec le programme de démantèlement et avec le développement du projet Cigéo, car demeure cet enjeu très important pour nous des déchets de moyenne et de haute activité à vie longue. Pour conclure sur la question des bitumes, dont certains sont des déchets de moyenne activité à vie longue, et sont à priori destinés au stockage Cigéo, la décision a été prise de manière consensuelle que pour simplifier, il est préférable de ne pas inclure de colis de bitumes dans la première tranche de Cigéo. Il n'en demeure pas moins que l'objectif pour nous est que ces déchets puissent à terme y être stockés. Nous avons besoin de visibilité, pour savoir à peu près à quelle échéance et sous quelles conditions ces déchets pourraient être stockés. Il est aussi nécessaire que, même si ces déchets n'intervenaient pas en première tranche, la sûreté et la conception du stockage les prennent en considération de façon à avoir d'emblée une vision globale des impacts sur l'ensemble de la gestion, en particulier des déchets de bitume.

Ceci renvoie à une question plus générale qui nous préoccupe, sur laquelle nous avons commencé à travailler avec l'Andra, et nous souhaitons que ce travail soit mis en priorité importante : disposer de spécifications d'acceptation au stockage Cigéo de l'ensemble des déchets qui y sont destinés, bitumes et autres déchets. Nous avons constitué depuis longtemps des dossiers de connaissance importants sur ces déchets. Ils ont été transmis à l'Andra, ont été étudiés par la CNE. Nous avons besoin de ce qui existe pour les centres de stockage en opération actuellement, c'est-à-dire d'un processus clair d'acceptation, de spécifications, qui nous permettent de savoir si les déchets produits, les conditionnements réalisés, sont bien compatibles, et bien adaptés au stockage envisagé pour ces déchets. Ce sujet est pour nous très important.

M. Jean-Claude Duplessy, président de la CNE. - La CNE a suivi depuis de nombreuses années tous les travaux de l'Andra, et en particulier les reconnaissances faites sur le centre géologique de Meuse-Haute-Marne. La conclusion de ces études, que nous acceptons sans la moindre réticence, montre un site stable depuis des millions d'années, et révélant d'excellentes qualités de confinement. Donc nous considérons qu'aujourd'hui rien n'empêche de passer à une phase industrielle, concrète, des opérations. Nous avons notamment, au cours des années 2011, 2012, et tout début 2013, suivi dans nos auditions les prévisions de stockage. Notre attention a été attirée sur les bitumes MAVL, prévus, nous l'avons remarqué, en option pour la première période d'exploitation de Cigéo. La position de la CNE a été définie alors dans son rapport numéro six, remis à l'Office parlementaire le 12 décembre dernier, et visible sur le site Internet de la CNE (cne2.fr). Globalement, nous considérons que ces colis soulèvent de nombreux problèmes spécifiques, et que les connaissances actuelles montrent encore des incertitudes sur leur comportement, notamment à court terme en cas d'incendie. Par conséquent notre première recommandation était de ne pas les prévoir dans la première phase d'exploitation du stockage. Je constate avec plaisir que l'ensemble des producteurs nous rejoint.

Nous avons considéré nécessaire, pour pouvoir nous prononcer de manière définitive sur le stockage des bitumes, de lever ces incertitudes sur leur comportement en cas d'incendie. Puisqu’il y aura demande de création de stockage avec un décret et un inventaire à présenter, nous avons très fortement souhaité recevoir pour décembre 2014, une démonstration en vraie grandeur du comportement des bitumes dans des conditions extrêmes, en ne nous satisfaisant pas de constater la réussite d’un d'entreposage industriel. Il convient de se placer d'emblée dans les conditions les plus pénalisantes pouvant survenir en stockage géologique profond. Nous avons demandé qu'un protocole d'essai nous soit présenté, établi conjointement par le CEA et l'Andra, et qu'AREVA puisse les rejoindre, compte-tenu de l'intérêt qu'ils y portent. Je pense que nos collègues de l'Autorité de sûreté nucléaire suivront avec intérêt ce travail. Si la démonstration est convaincante, c'est-à-dire que les colis se comportent bien, nous aurons levé l'incertitude. Si elle ne l’était pas, nous serions amenés à recommander d'étudier, avant toute décision, certains modes de traitements, soit des bitumes, soit des colis, pour que leur comportement réponde aux exigences de sûreté nécessaires dans le stockage. Je constate que les réponses du CEA et de l'Andra ont été positives : tout est mis en œuvre pour que nous puissions avoir, à la fin de l'année 2014, des éléments qui nous permettent de prendre une position claire sur ces bitumes. Je ne peux que me féliciter de cette réponse positive du CEA et de l'Andra.

Pour les FAVL, je vais faire un peu d'historique. La CNE suivant les travaux et émettant des avis sur dossier, a pris bonne note des actions entreprises par nos collègues de l'Andra, du CEA et d'AREVA. Mais nous jugerons les résultats. Les FAVL comprennent deux grandes familles, comme signalé : les radifères et les graphites. Quand nous avons analysé cette situation, il y a quelques années, les radifères pouvaient clairement bénéficier, sans réelle difficulté, d'un stockage sous couverture remaniée. Le problème nous est apparu pour les graphites, non pas à cause du graphite lui-même, mais parce que ces déchets contiennent des éléments radioactifs mobiles : carbone 14 et chlore 36. Le chlore 36 est labile, donc, dès que l'eau arrive, il l’accompagne et il sort. Une des difficultés à laquelle nos collègues ont été confrontés était que l'inventaire en chlore 36 de ces graphites était en fait très mal connu. Par conséquent, en bonne logique, les exploitants ont pris des barres supérieures. Si cet inventaire se confirme, cela aurait comme conséquence qu'il y aurait autant de chlore 36 dans les graphites que dans tous les autres déchets MAVL, prévus de mettre en stockage souterrain dans Cigéo. Nous le savons, ce chlore 36 est le premier qui sort aux exutoires, comme les graphiques l'ont montré, à des normes très en dessous de celles imposées par les règles de sûreté, en raison de sa mobilité. Par conséquent la gestion des déchets FAVL ne peut pas ignorer ce point. Nous avons dit que des graphites ayant cette composition relevaient d'un stockage sous couverture intacte. En effet nous avons, par les études excellentes faites pour Cigéo, une idée du flux et du taux de diffusion dans cette argile très compacte. Il faut donc, pour ce chlore 36, une barrière argileuse comparable à celle qui existe dans Cigéo, même pour un stockage plus près de la surface. Cela nous a amené à recommander de les placer au centre d'une couche d'argile d'une centaine de mètres de profondeur. Compte-tenu de la très longue période radioactive du chlore 36, 300 000 ans, il ne faut pas que celle-ci soit affectée de façon dramatique par l'érosion. Elle devra donc être surmontée par une couche de calcaire, ou d'autres roches dures, qui préservera l'argile et lui permettra de bien jouer son rôle. Voilà les grandes orientations qui nous ont parues assez simples à prendre en compte pour stocker des graphites contenant du chlore 36. Nous avons pris bonne note du fait que les producteurs sont en train de réviser, sur des mesures approfondies, les teneurs réelles en chlore 36, et d'étudier des possibilités de décontamination du graphite. La CNE approuve cette démarche, et nous émettrons un avis quand nous aurons reçu un dossier et des documents nous montrant l'état de la situation, et comportant une proposition pour un stockage définitif.

M. Pierre-Franck Chevet, président de l'ASN. - Nous sommes attachés à ce qu'il y ait des solutions définitives pour l'ensemble des catégories de déchets, et à ce que le projet FAVL aboutisse dans les meilleurs délais possibles, ce qui n'est pas fait à ce jour, comme pour toutes les autres catégories de déchets. Je voudrais souligner la très grande qualité du travail réalisé par le Haut comité pour faire le retour d'expérience de la première démarche lancée sur les FAVL. Nous devons nous attacher, pour la suite, à respecter l'ensemble de leurs préconisations qui me semblent tout à fait pertinentes. En particulier, nous avons évoqué la concertation avec les élus, mais aussi avec le public concerné. À l'évidence, il faut la faire sur un périmètre plus large que l’approche initiale par commune, plutôt ciblée sur les élus.

J'ai bien noté que les déchets graphites issus du démantèlement sur site UNGG avaient normalement vocation à aller directement dans le projet FAVL. Mais il n'est pas encore là, même si j'espère qu'il arrivera au plus tôt, comme je l'indiquais dans ma première remarque. Néanmoins la question d'un entreposage intermédiaire plus fiable devient d'actualité. Cette question n'est pas tranchée et mérite encore d'être débattue entre nous, en fonction des perspectives d'avancement du projet FAVL tel qu'il se dessinera au terme de nos discussions.

Le risque d'incendie dans des stockages de déchets, avec l’évocation du cas de StocaMine, que je connais par ailleurs, est un sujet qui mérite, concernant les bitumes, une très grande attention. J'ai bien noté la réalisation d’études. Nous aurons l'occasion d'en discuter au plan technique. C'est un point extrêmement important que d'avoir des études très solides sur cet aspect-là.

Mme Marie-Claude Dupuis. - Je voudrais réagir aux propos de M. Yannick Rousselet, puisqu'à travers ses commentaires il sollicite une grande clarté de l'inventaire des déchets FAVL prévus pour ce futur stockage. Il est vrai que c'est un exercice un peu difficile, puisque nous-mêmes affirmons que l'inventaire définitif dépendra de la couche d'argile à considérer. Je voudrais tout de même souligner qu'une grande partie des déchets FAVL sont de nature historique, déjà prévus ou déjà existants au sein de réacteurs à démanteler, ou sur des sites, même en centre-ville, attendant d'être dépollués. La partie des nouveaux déchets FAVL à produire est assez faible. Peut-être pourrions-nous de nouveau faire appel aux compétences du Haut comité à la transparence et à l'information sur la sécurité nucléaire, puisqu'il est en train de mener un travail équivalent pour Cigéo, de façon à bien clarifier la problématique de cet inventaire. Quels sont les déchets déjà existants, inévitables, et ceux à venir qui dépendent de la politique énergétique ? Le rapport est en cours de finalisation. Beaucoup de personnes autour de la table y contribuent activement.

J'ai bien entendu aussi la demande des producteurs d'y voir clair sur les processus d'acceptation des colis. C'est une demande récurrente. Nous nous sommes mis d'accord sur un processus pour converger ensemble, mais il est difficile pour l'Andra de s'engager sur une acceptation de colis de déchets tant qu'elle n'a pas d'autorisation de création, car nous sommes nous-mêmes dépendants de l'évaluation et de l'autorisation de l'État pour le stockage et les déchets pouvant y être accueillis. En revanche nous comprenons la nécessité d'éclairer les producteurs pour qu'ils puissent travailler sur leurs conditionnements de colis de déchets, pour ceux qui ne sont pas encore conditionnés. Cela ne peut-être qu'un travail partagé, qui n'aboutira pas avant 2015, il n'y aura pas de miracle. Pour nous, ce ne seront que des projets de spécification d'acceptation, joints à la demande d'autorisation de création du stockage. Le concept de stockage, et les spécifications de conditionnement de déchets forment un tout. En revanche, nous ne pouvons pas nous renvoyer la balle indéfiniment, donc nous devons progresser ensemble.

M. Yannick Rousselet. - J'ai juste une petite remarque sur la manière de parler, et sur les conjugaisons de nos verbes. Nous devons y faire très attention, car le public y est très attentif, alors qu'il va y avoir un débat sur Cigéo. Nous parlons de choses à venir, de décisions officiellement non encore entérinées. Ce matin, j'ai remarqué très souvent l'emploi du futur, comme si c'était acquis. Mais si l'on veut être dans de bonnes conditions vis-à-vis des citoyens, il ne faut pas que dans nos propres débats ces décisions apparaissent comme déjà prises. Vous avez vu, tout à l'heure, la réaction du sénateur de la Meuse. Si l'on veut parler avec les citoyens, ils doivent tous avoir compris être associés à un processus dans lequel ils ont encore un mot à dire.

Le Président Bruno Sido. - Je ne peux que vous donner raison.

M. Bernard Bigot. - Une question a été évoquée par plusieurs personnes: le risque d'incendie des bitumes. Ce risque est dans quelle phase, celle de transport, la phase d'accumulation dans l'enceinte du sous-sol éventuel, ou la phase fermée?

M. Thibault Labalette. - Pendant toutes les opérations de manutention et de stockage.

M. Bernard Bigot. - Effectivement, autrement dit il n'y a pas de comburant possible. Donc il faut que dans l'esprit du public on comprenne bien que c'est cette phase là qu'il faut traiter.

Mme Marie-Claude Dupuis. - Elle dure 100 ans.

M. Bernard Bigot. - Il peut y avoir des phases successives avec des fermetures, qui isolent. C'est ce débat là qu'il faut instruire, avec la meilleure garantie.

Le Président Bruno Sido. - Je voudrais remercier tous les participants car cette audition a été riche d'enseignement pour toutes les personnes présentes. Quelle que soient les conclusions du débat en cours sur la transition énergétique, une question apaisée sur les déchets nucléaires déjà produits sera indispensable.

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La séance est levée à 12 h 15

Membres présents ou excusés

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Réunion du jeudi 21 mars 2013 à 9 heures

Députés

Présents. - M. Christian Bataille, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Bertrand Pancher

Excusés. - M. Claude de Ganay, Mme Anne Grommerch, Mme Françoise Guégot, M. Patrick Hetzel, M. Alain Marty, Mme Maud Olivier

Sénateurs

Présents. - M. Christian Namy, Mme Catherine Procaccia, M. Bruno Sido

Excusés. - M. Roland Courteau, M. Marcel Deneux, Mme Fabienne Keller, M. Jean-Claude Lenoir, M. Jean-Marc Pastor