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Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mardi 16 avril

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 27

Présidence de M. Bruno Sido, sénateur, Président

Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) sur le rapport d’activité de l’autorité

Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mardi 16 avril 2013

Présidence de M. Bruno Sido, Sénateur, Président

La séance est ouverte à 17 heures

– Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) sur le rapport d’activité de l’autorité

M. Bruno Sido, sénateur, président. - Mesdames, Messieurs, je tiens à vous remercier d’être présents aujourd’hui. Nous nous réunissons pour la 6ème fois pour entendre le rapport de l’Autorité de sûreté nucléaire. La dernière fois, le rapport nous avait été présenté par André-Claude Lacoste, dont je tiens à saluer le travail remarquable, accompli à la tête de l’ASN. Je ne doute pas que son successeur se montrera à la hauteur de la situation. L’an dernier, cette audition était intervenue en octobre du fait des élections du printemps 2012 alors que le rapport de l’ASN avait été publié le 28 juin. Cette année, nous organisons cette audition dans les temps. Au nom de tous les membres de l’Office, je tiens à souhaiter la bienvenue au nouveau président de l’Autorité de sûreté nucléaire, M. Pierre-Franck Chevet. Je vous remercie d’avoir pris le relais dans cette importante fonction.

Votre audition par l’Office intervient au bon moment. Deux ans après, nous vivons toujours dans l’ombre portée de l’accident nucléaire de Fukushima et les interrogations que cet événement génère sur notre sûreté nucléaire. À ce titre, la mission que l’Office a menée avec les membres des commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat et le rapport que nous avions présenté, Christian Bataille et moi-même, avaient insisté sur plusieurs points, en particulier sur la surveillance de la sous-traitance, la nécessité d’organiser une défense en profondeur et l’obligation de porter une attention renforcée aux procédures de gestion de crise. En octobre dernier, vous nous avez apporté des éléments de réponse sur ces points. Où en sommes-nous six mois plus tard ?

Que pensez-vous des tentatives de chiffrage du coût d’un accident nucléaire présenté par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), étant précisé que le président Le Déaut et moi-même avons saisi le Haut conseil pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire des conditions de réalisation de cette étude ? D’autre part, cette réunion intervient dans notre calendrier au moment du débat sur la transition énergétique. Sans préjuger les réponses qui pourront être apportées, une série de questions concernant directement l’Autorité de sûreté nucléaire demeurent sous-jacentes. Quel est l’état de notre parc de centrales ? Quelles sont les échéances de leur renouvellement ? À quelles conditions d’amélioration de leur sécurité pourront-elles faire le lien avec une éventuelle transition énergétique ?

Avant de vous donner la parole, Monsieur le président, je me tourne vers notre premier vice-président, Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président. - Nous sommes très heureux d’accueillir une nouvelle fois l’Autorité de sûreté nucléaire. Il s’agit d’une Autorité renouvelée et nous saluons son président, M. Pierre-Franck Chevet. De nombreuses questions ont été posées par le président Sido. J’en ajouterai quelques-unes. Lorsque nous avions interrogé M. André-Claude Lacoste sur le délai nécessaire à l’arrêt définitif de la centrale de Fessenheim, il nous avait répondu que deux ans seraient nécessaires à EDF pour constituer le dossier, soumis à enquête publique, de fermeture de l’installation, auxquels s’ajouteraient quelques années supplémentaires pour la publication du décret de mise à l’arrêt définitif. Le confirmez-vous ? Nous avions également posé à votre prédécesseur la question de l’appréciation de l’ASN sur la centrale de Fessenheim. Vous avez évalué les différentes centrales dans le document que vous nous avez remis. Quel est votre jugement sur la sûreté de cette centrale ? Suite à la publication dans la presse des résultats d’une étude sur le coût d’un accident nucléaire, datant de 2007 et restée confidentielle, nous avons saisi le Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire sur la question de la transparence de l’IRSN. Quelle est votre position à ce sujet ?

L’Office, en juin 2011, avait par ailleurs émis un certain nombre de recommandations sur la sûreté nucléaire, qui concernent directement ou indirectement l’ASN. L’une d’entre elles préconisait, pour assurer une meilleure transparence sur les coûts de la filière nucléaire, que l’ASN publie tous les ans un bilan des coûts supportés par les exploitants au titre du renforcement de la sûreté nucléaire. Qu’en est-il ? Je vous poserai également une question sur la maintenance courante des centrales nucléaires. Un rapport parlementaire de 2011 sur la sécurité et le financement des réseaux d’électricité a mis en évidence la volonté d’EDF de limiter les investissements de sa filiale ERDF dans la rénovation du réseau de distribution. Cette situation amène à s’interroger sur l’attitude d’EDF vis-à-vis des charges de maintenance de ces centrales. Pensez-vous qu’une telle situation s’avère satisfaisante ?

Enfin, je formulerai deux questions complémentaires sur l’état de la radioprotection en radiologie interventionnelle, l’un des points abordés lors de la dernière audition de l’ASN. Vous aviez évoqué l’état préoccupant de la radioprotection en radiologie interventionnelle et proposé plusieurs mesures urgentes. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Ma dernière question portera sur la médecine réparatrice des irradiations. Dans le cadre d’une audition récente, les possibilités de réparation de tissus irradiés par la mise en œuvre des cellules mésenchymateuses ont été évoquées. Pourriez-vous faire un point sur les progrès en cours en ce domaine ?

Je n’ai pas abordé les questions générales. Je sais en effet que vous évoquerez l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection ainsi que les messages que l’Autorité de sûreté nucléaire souhaite porter à la connaissance du Parlement.

M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire. - C’est une joie pour moi, de rendre compte au Parlement, conformément à la loi, de notre rapport annuel sur la sûreté et la radioprotection, comme nous le faisons depuis maintenant six ans que la loi a été promulguée. Il s'agit d'un rapport assez imposant dans sa composition. Il est le fruit d’un travail collectif. Dans la salle est représenté l’état-major de l’Autorité de sûreté nucléaire. Il s’agit de mon premier exercice de ce type mais je ne suis pas le seul nouveau. Le Collège a également été renouvelé. Mme Margot Tirmarche, nommée commissaire par le président de l’Assemblée nationale, a participé à l’exercice de rédaction de ce rapport, plus familier aux autres membres du collège.

Je structurerai mon propos autour de l’état proprement dit de la sûreté et de la radioprotection. Jean-Christophe Niel, directeur général, abordera l’activité même de l’Autorité de sûreté nucléaire dans ses différentes missions. Je reprendrai ensuite la parole pour dresser un certain nombre de perspectives, listant les points qui constituent des enjeux forts pour les années à venir et je tenterai d’apporter les premières réponses à l’ensemble de vos questions, aidé en cela par les spécialistes présents autour de moi.

Ce rapport ne constitue pas un rapport d’activité. Nous ne dénombrons pas simplement les incidents en donnant toutes les suites. Ce rapport porte un jugement sur l’état de sûreté et de la radioprotection en France. Nous nous engageons, nous nous prononçons à tout le moins, sur cet état. Cela signifie aussi que nous jugeons par ce biais les actions engagées par les exploitants, qui restent les premiers responsables de la sûreté et de la radioprotection. Ce rapport est diffusé largement, à 4 000 exemplaires dans sa version complète et à 13 000 exemplaires dans sa version synthétique, notamment, autour de tous les sites nucléaires, auprès de tous ceux qui participent aux commissions locales d’information. Cette diffusion massive est complétée par une diffusion de la synthèse en anglais. Cette année, nous l’avons également adressé de manière spécifique à tous les parlementaires. Nous nous sommes attachés à leur donner une vision des installations situées sur leur territoire, en les invitant à participer aux discussions autour des enjeux de sûreté.

S’agissant de l’état de la sûreté et de la radioprotection en France en 2012, nous estimons que la situation s’avère « globalement assez satisfaisante ». Les termes choisis se révèlent cohérents avec l’appréciation que nous portions sur la sûreté et la radioprotection en 2011. Cette situation est le fruit d’un double constat. Même si nous ne jugeons pas la sûreté au nombre des incidents, ceux-ci demeurent et certains nous amènent à tirer des conséquences et des retours d’expérience. Autre fait marquant en 2012, comme en 2011, l’ombre portée d’un certain nombre d’accidents perdure. Fukushima marque clairement l’année 2012 comme elle marquera probablement l’année 2013 en matière de sûreté. Un autre accident, plus ancien, a connu une actualité récente dans le domaine de la radioprotection, plus spécifiquement dans le domaine de la radiothérapie. Il s’agit d’Épinal. Un grand nombre de décès sont imputables à cet accident. Le jugement de première instance a eu lieu en début d’année. Il nous rappelle l’importance de ces enjeux et des actions à mener dans un domaine tout à fait central. Ceci constitue la partie négative qui nous conduit à formuler cette appréciation. L’autre partie, plus positive, tient au fait que ces incidents et accidents ont suscité la prescription et la prise progressive de décisions d’amélioration de la sûreté. C’est la raison pour laquelle notre jugement conclut à un état « assez satisfaisant », le terme « globalement » renvoyant à l’idée qu’il peut exister des disparités de situation entre les installations.

Dans le domaine des grosses installations nucléaires de base, les suites de Fukushima marquent l’année 2012. Le 3 janvier, nous avons remis notre rapport formulant notre avis et les grandes recommandations. Il a été suivi le 26 juin dernier par des prescriptions beaucoup plus précises. Nous nous inscrivons désormais dans une démarche d’affinage de ces prescriptions, notamment la définition de ce que nous avons souhaité, c’est-à-dire la mise en place d’un noyau dur : il s’agit d’un ensemble de matériels complémentaires de sûreté capables d’intervenir, y compris face à des agressions externes extrêmes. Le travail essentiel qu’il reste à accomplir autour de ce noyau dur consiste à s’accorder sur la nature et l’importance des agressions externes, qu’il convient de prendre en compte. Il s’agit d’un point essentiel qui conditionne la manière dont les exploitants commanderont et installeront les matériels concernés. Chaque fois que, sur une disposition post-Fukushima, il peut émerger des difficultés de mise en œuvre immédiate, si nous devons définir un matériel mais que la définition nécessite trois à quatre mois, nous nous attacherons à ce que des dispositions transitoires d’attente permettent d’améliorer la sûreté à court terme.

Dans cette démarche post-Fukushima, qui a été globalement reprise au niveau européen sous l’appellation de stress test, la France se distingue sur deux points, positivement de mon point de vue. En premier lieu, elle a étendu le champ d’examen de réévaluation de sureté après Fukushima à l’ensemble des installations et non seulement aux réacteurs nucléaires. Nous avons donc entrepris la même démarche sur les réacteurs et sur les grosses installations du cycle du combustible. Autre complément positif, nous avons pris en compte les facteurs sociaux, organisationnels et humains. Cette prise en compte est le fruit du travail que nous avons mené et de la présentation que nous avons réalisée devant le Haut comité pour la transparence et l’information en matière de sécurité nucléaire. Le travail est en cours. Sur ce second point, nous avons mis en place un groupe de travail pluraliste. Trois sous-groupes de travail sont aujourd’hui à l’œuvre sur plusieurs grands thèmes. Le premier d’entre eux concerne la sous-traitance, un thème classique qui cherche à préciser notamment la façon dont la sous-traitance peut et doit intervenir en cas d’accident. Fukushima montre à l’évidence que les sous-traitants s’avèrent nécessaires à la gestion d’un accident de cette ampleur et que les conditions de leur intervention ne sont probablement pas si simples que cela. Autant un contrat classique peut fixer les conditions d’intervention en situation classique, autant, en situation de crise, des réflexions doivent être menées afin que les entreprises et les personnels fassent ce qui est attendu d’eux pour assurer la sûreté des réacteurs. À cela s’ajoute un autre sujet extrêmement important et complexe, concernant le renouvellement des compétences. Le parc nucléaire français a été construit voilà de nombreuses années. Les embauches ont eu lieu à cette époque. Les personnels partent à la retraite à l’heure actuelle. Dans les trois ou quatre prochaines années, EDF devra faire face à un renouvellement de 30 à 40 % de ses effectifs. Ce sujet pose de nombreuses questions d’organisation et de formation afin d’avoir la certitude que toutes les conditions seront remplies après ce renouvellement massif en matière de qualification des personnes et donc de sûreté des installations. Je formulerai maintenant un avis plus circonstancié sur chacun des exploitants d’installations nucléaires de base.

Pour EDF, une vigilance de long terme s’impose toujours en matière d’exploitation et de maintenance car des incidents se produisent encore. Nous répétons ce message de longue date car il s’agit d’un point sur lequel nous nous devons d’insister, compte tenu de son importance. Il existe par ailleurs un domaine dans lequel des progrès clairs doivent être consentis, le domaine de l’environnement et la manière dont EDF traite ces sujets. De nombreuses installations supports sont soumises aux règles environnementales classiques. Or, nous considérons que le travail mené par EDF sur ces installations doit être amélioré. Des progrès sont à accomplir. Nous nous sommes depuis 5-6 ans attachés à essayer d’apprécier la qualité d’exploitation de chacun des réacteurs nucléaires. Pour ce faire, nous avons utilisé trois critères : l’exploitation-maintenance, la radioprotection et l’environnement. Le rapport s’attache à opérer une classification grossière des centrales. Les mêmes centrales peuvent présenter de bons résultats dans un domaine mais des résultats moins satisfaisants dans un autre. La centrale de Fessenheim, par exemple, sort bien en termes d’exploitation-maintenance mais affiche de moins bons résultats en matière de radioprotection. Les questions que nous nous posons sur Fessenheim trouvent une réponse rapide grâce à la motivation de tous, y compris des services centraux.

Pour Areva, nous avons relevé deux points marquants. Sur La Hague, deux points sont considérés comme devant faire l’objet de progrès : la qualité du processus de retour d’expérience suite à incident et, sujet plus important et plus ancien, la reprise et le conditionnement des déchets. Les anciennes installations de La Hague ont produit des déchets. Dans les nouvelles installations, les déchets sont directement mis en fûts sous une forme moderne de conditionnement qui permet leur traitement dans les filières. À l’époque, en revanche, ces déchets étaient globalement placés en vrac dans des réservoirs a priori étanches. Ils ne sont donc pas conditionnés. Nous demandons à Areva avec insistance, depuis un certain nombre d’années, de les placer dans des formes modernes de conditionnement, conformément aux pratiques actuelles. Récemment, Areva a enfin pris un certain nombre d’engagements. Nous nous montrerons extrêmement vigilants, afin que ces engagements, notamment en termes de calendrier, soient respectés et que ces anciens déchets soient repris et conditionnés de manière robuste. Le deuxième sujet renvoie à un incident, classé au niveau 2 l’an dernier, survenu sur l’usine de fabrication du combustible de Romans-sur-Isère. Nous ne mesurons pas la sûreté simplement à l’aune des incidents mais outre l’anomalie, l’incident illustrait un manque global de culture de sûreté sur lequel nous menons actuellement des discussions avec l’exploitant pour renforcer sa vigilance.

Deux sujets concernent le CEA. Le premier sujet tient au démantèlement. Le CEA possédant des installations plus anciennes, est engagé dans des processus de démantèlement. Nous estimons qu’il existe un problème sur le degré et le niveau de sous-traitance du CEA pour ces opérations spécifiques de démantèlement. Nous considérons la sous-traitance trop importante, les délégations trop nombreuses et les contrôles sans doute insuffisants. La discussion est en cours et nous veillerons à ce qu’un équilibre soit trouvé pour ces opérations importantes, qui présentent des risques en termes de sûreté. Le second sujet se révèle plus transverse. Le CEA a, par le passé, pris un certain nombre d’engagements mais il a récemment reporté la réalisation de certains de ceux-ci. Nous pouvons imaginer qu’un report soit acceptable, voire souhaitable, mais une succession de reports peut poser un problème en matière de sûreté. Nous appelons le CEA à faire preuve d’une grande vigilance sur ce point. Je connais personnellement les difficultés budgétaires du CEA, de par mes anciennes fonctions, mais les reports successifs peuvent, dans la durée, affecter la sûreté. Nous ferons donc preuve de rigueur. Je quitte le domaine des grandes installations de base pour évoquer le domaine du nucléaire de proximité.

Premier domaine du nucléaire de proximité, les radiographies industrielles. Dans la période récente, nous avons rencontré un certain nombre d’incidents, dont certains se sont révélés relativement sérieux. Nous avons été amenés à renforcer le programme d’inspection de chantier, organisant plus d’une centaine (107) d’inspections sur l’année 2012.

Par ailleurs, la question de la sécurité des sources et de leur protection vis-à-vis d’éventuels actes de malveillance constituait un domaine orphelin en termes de contrôle. Un projet de loi a été déposé au Sénat en février-mars 2012 sur ce sujet, qui prévoyait de confier la charge de ce contrôle à l’Autorité de sûreté nucléaire. Nous ne pouvons qu’espérer que ce projet de loi soit adopté. Son adoption nous permettra d’enclencher complètement les contrôles et de réaliser de véritables inspections. Nous avons d’ores et déjà entamé, durant toute l’année 2012, un travail de préparation, en réalisant un certain nombre d’audits qui nous ont permis de débroussailler le problème et d’organiser le futur travail de contrôle qui nous sera confié lorsque la loi sera votée.

Le domaine médical recouvre deux sujets assez distincts. Dans le domaine de la radiothérapie, comme le montrent les attendus du jugement d’Épinal, nous avons pu constater que la présence en nombre et en qualifications suffisantes des radio-physiciens auprès des médecins s’avère cruciale. Après l’accident d’Épinal, en 2006-2007, nous avions insisté sur ce point. Aujourd’hui, nous pouvons remarquer une claire augmentation du nombre des radio-physiciens présents. Nous demeurons vigilants sur ce point et opérons des contrôles sur le terrain, veillant à ce que les personnes nécessaires soient présentes et disponibles pour les interventions en radiothérapie. Globalement, nous pouvons constater, sur ce sujet, une nette amélioration.

Le domaine médical recouvre également le sujet de l’imagerie médicale, qui nous concerne tous, puisque nous bénéficions tous d’examens médicaux. Les examens se révèlent, partout dans le monde et en particulier dans les pays industrialisés, en hausse en nombre comme en termes de dosimétrie reçue. Même si ce phénomène se généralise, nous devons quand même essayer de minimiser les doses. Pour ce faire, il convient de limiter les examens à ceux nécessaires aux fins thérapeutiques visées. Tel est notre combat permanent. En 2012, sous notre impulsion mais avec l’appui des professionnels, un guide est sorti à destination des praticiens sur l’optimisation et la justification des actes médicaux, notamment des actes concernant l’imagerie médicale. Il s’agit d’un document relativement complexe, qui offre aux praticiens un guide des radiographies et examens à réaliser en fonction des pathologies recherchées. Deuxième grand thème sur ce sujet, nous incitons à éviter autant que possible de réaliser des examens dosants. Nous militons ainsi pour l’augmentation du nombre d’examens par IRM et nous constatons bien une augmentation des examens de ce type, même si la route reste longue. Enfin, les matériels utilisés pour effectuer ces examens sont de plus en plus complexes et puissants. De ce fait, le besoin de radio-physiciens accompagnant les praticiens s’avère là encore crucial. Comme nous l’avons fait dans le domaine de la radiothérapie, nous insistons sur la nécessité d’une montée en puissance du nombre et des qualifications des radio-physiciens intervenant dans ce domaine.

Mon dernier point au titre du bilan concernera les déchets. En 2012, nous avons finalisé le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs prévu par la loi. Ce plan dresse des inventaires et prévoit l’organisation des filières de traitement des déchets et des matières pour les trois ans à venir. Le dernier plan est sorti, balisant les trois prochaines années. Il a été transmis au Parlement en fin d’année dernière. Il a fait l’objet de deux réunions de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques tout récemment pour échanger sur les sujets traités par ce plan. Ce document m’apparaît extrêmement utile et pourrait définir un cadre pour le débat à venir sur Cigéo. Nous avons souhaité que le débat sur Cigéo ait lieu dans un calendrier compatible avec ce qu’a prévu la loi de 2006. Ce débat doit débuter le 15 mai 2013 pour s’achever le 15 octobre prochain. Je pense que le Plan national de gestion se révélera fort utile car, à l’évidence, les participants poseront des questions non seulement sur Cigéo mais sur le cadre dans lequel cette initiative s’inscrit. L’ASN prendra pleinement part à ce débat dans sa fonction d’autorité de sûreté.

Je m’arrêterai là sur le bilan. Je dresserai, après l’intervention de Jean-Christophe Niel, quelques perspectives et essaierai de répondre à vos questions.

M. Jean-Christophe Niel, directeur général de l’ASN. - Ma présentation sera ordonnée suivant les missions essentielles de l’ASN : la réglementation, les autorisations, les inspections, l’information et la gestion des situations d’urgence.

Concernant la réglementation, en février 2012, un arrêté dit « Installations nucléaires de base » ou « INB » a été pris. Il renforce l’encadrement réglementaire des installations nucléaires de base, notamment au travers de l’intégration des niveaux de sûreté de référence définis de l’association des autorités de sûreté européennes WENRA (Western European Nuclear Regulators Association), donc partagés par l’ensemble de ces autorités. Cet arrêté impose également une exigence de surveillance par l’exploitant des sous-traitants qui interviennent sur des composants importants pour la sûreté. Cette fonction de surveillance ne peut donc être elle-même sous-traitée. Un travail significatif est actuellement en cours au niveau européen pour opérer une refonte des trois directives existantes en une seule, avec des évolutions et des améliorations pour la protection contre les rayonnements ionisants du public, des travailleurs et des patients. Ces travaux sont en cours et devraient aboutir en 2013. L’ASN se montre très impliquée dans cette démarche sur la directive appelée « Normes de base ». Nous nous engageons par ailleurs dans un renforcement de la réglementation sur la radiographie industrielle. Ce sujet, comme l’a indiqué le président Chevet, nous préoccupe car il comporte des risques. Nous souhaiterions encadrer réglementairement plusieurs évolutions. Il s’agit notamment de favoriser les méthodes de substitution et utiliser des méthodes de contrôle non irradiantes ou moins irradiantes. Nous désirerions également un renforcement des dispositions de gestion des dysfonctionnements. Enfin, un projet de loi a été déposé sur la sécurité des sources en mars 2012 au Sénat.

S’agissant des autorisations, l’ASN intervient soit en émettant des avis sur des textes réglementaires pris par le Gouvernement, soit directement en prenant des positions. Sur les installations nucléaires de base, l’installation expérimentale de fusion ITER a été créée en 2012 à Cadarache. Le décret de création de l’accélérateur de particules GANIL de Caen a été modifié. Par ailleurs, tous les dix ans, les installations font l’objet d’un réexamen de sûreté. Cet exercice comprend deux parties : un examen de conformité de l’installation à ce qu’elle doit être et un renforcement de la sûreté. L’ASN a pris position sur le réacteur numéro 2 du site de Bugey, considérant que l’exploitation pourrait être poursuivie, sous réserve du respect d’un certain nombre de prescriptions. Nous avons par ailleurs constaté le respect des prescriptions sur le réacteur numéro 1 de Fessenheim et l’ASN a donné son accord pour que les opérations d’épaississement du radier, une action qui faisait partie des 40 prescriptions que nous avions formulées en juillet 2011, soit engagées. Dans les autres domaines, l’ASN a délivré 639 autorisations dans le domaine médical et 257 nouvelles dans le domaine des sources radioactives.

J’en viens aux inspections qui constituent un domaine essentiel de contrôle. Elles couvrent l’ensemble de notre champ d’activité, qu’il s’agisse du nucléaire de proximité, le médical, la recherche et l’industrie classique ou le transport, des grosses installations nucléaires de base, des équipements sous pression ou des organismes et laboratoires agréés qui réalisent un certain nombre de contrôles prévus par la réglementation. Par jour ouvrable, une dizaine d’inspections sont réalisées par l’ASN. En 2012, nous avons réalisé 2 093 inspections. Nous sommes également chargés de l’inspection du travail sur les centrales nucléaires et avons réalisé 281 journées d’inspection du travail en 2012.

Chaque inspection fait l’objet d’un programme élaboré par l’ASN en fonction de l’importance des enjeux. Nous avons ainsi effectué 107 inspections dans le domaine de la radiographie industrielle et nous avons effectué 143 inspections dans le domaine de la radiothérapie, un sujet que nous suivons de près puisqu’il présente potentiellement des risques importants. Ces inspections peuvent donner lieu à des actions de coercition ou de sanction, notamment des procès-verbaux et des mises en demeure. En 2012, nous avons dressé 23 procès-verbaux et 10 mises en demeure dont 7 sur des installations nucléaires de base. Les lettres de suites d’inspection sont toutes publiques depuis quelques années. Au 31 décembre 2012, 10 445 lettres étaient publiées sur notre site.

En matière d’information et de transparence, l’ASN rend compte au Parlement. Comme le président de l’Office l’a précisé en début de séance, le rapport sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection 2011 a été présenté tardivement, le 16 octobre 2012, en raison des périodes d’élection. Nous revenons cette année dans le schéma traditionnel du début du mois d’avril. L’ASN a également été auditionnée dans le cadre des procédures budgétaires sur Fukushima et sur la gestion des déchets. Deux auditions récentes ont concerné le PNGMDR, le 28 février et le 21 mars 2013. Nous pratiquons une information des médias et du public. 86 notes d’information et communiqués de presse ont été publiés sur notre site et nous avons réalisé deux conférences de presse sur Fukushima, le 3 janvier 2012, lorsque nous avons rendu notre avis sur les évaluations complémentaires de sûreté, et le 28 juin 2012, suite à notre décision, en date du 26 juin, imposant un nombre important de prescriptions aux opérateurs. Nous avons également pris la décision cette année, en accord avec l’IRSN, de rendre publiques nos décisions les plus importantes en parallèle avec ses avis.

Concernant les incidents, hors du domaine médical patient, nous avons recensé 149 incidents de niveau 1 et 4 incidents de niveau 2, un pour EDF, un pour le CEA, un pour Areva et un pour le transport. La radiothérapie fait l’objet d’une échelle spécifique dite « ASN SFRO ». 142 événements de niveau 1 se sont produits et 3 événements de niveau 2.

Les sites EDF sont répartis en trois catégories. Cette évaluation est réalisée par nos inspecteurs sur la base de nos inspections, des événements déclarés, de l’instruction des dossiers qui nous sont soumis par EDF et du suivi des arrêts de tranche, une activité d’importance pour l’ASN. Nous en déduisons de manière générale que dans le domaine de la sûreté nucléaire, trois sites se détachent favorablement cette année. Il s’agit des sites de Blayais, Fessenheim et Penly. Pour Fessenheim, nous constatons une diligence particulière d’EDF pour répondre à nos demandes. Nous avons également noté des progrès importants en matière de sûreté nucléaire sur le site de Saint-Laurent. En radioprotection, se distinguent favorablement les sites de Blayais, Civaux, Saint-Laurent et Golfech. Dans le domaine de l’environnement, nous citerons Dampierre. Parmi les sites en retrait dans le domaine de la sûreté figurent Civaux, Cruas, Paluel ainsi que Chinon même si, sur ce site, nous constatons une évolution positive. Notre analyse nous conduit cependant à le laisser parmi les sites en retrait. Dans le domaine de la radioprotection, deux sites restent en retrait : Cattenom et Fessenheim. Dans le domaine de l’environnement, enfin, nous considérons qu’EDF doit réaliser des progrès importants, en particulier sur les sites de Belleville, Chinon, Civaux et Tricastin. Le site de Saint-Alban reste en retrait même si nous constatons des progrès.

Sur la gestion des situations accidentelles, l’ASN participe à des exercices de crise nationaux. Traditionnellement, une dizaine de ceux-ci sont organisés chaque année. Pour des raisons de période de réserve, l’année 2012 s’est avérée plus restreinte, avec seulement cinq exercices. Notre centre de crise a été gréé à l’occasion de l’incendie puis de la fuite d’une pompe du circuit primaire du réacteur de Penly le 5 avril 2012.

La gestion des situations accidentelles comprend également le post-accidentel. Une fois que la phase aiguë de l’accident est terminée, des territoires importants peuvent s’avérer contaminés et des populations évacuées. Il s’agit de déterminer la façon dont cette situation est gérée. L’ASN a engagé un travail en 2005 et en octobre 2012 nous avons rendu publics les premiers éléments de doctrine sur cette démarche post-accidentelle. Je rappelle que cette démarche pluraliste a impliqué près de 300 experts et personnes en responsabilité sur ces sujets, d’horizons divers (administrations, experts, opérateurs, associations, étrangers, etc.). Cette publication représente une étape importante même si elle est loin de terminer le processus.

Je terminerai en évoquant quelques éléments sur le fonctionnement de l’ASN. Nous avons défini un plan stratégique pluriannuel qui est public. Le plan couvrant les années 2013 à 2015 vient d’être validé par l’ancien et le nouveau collège, à l’occasion d’une séance commune organisée lors de la transition. Ce travail participatif implique les membres de l’ASN. Il constitue notre feuille de route pour les années à venir. L’ASN a connu en 2012 son premier contrôle en tant qu’autorité administrative indépendante par la Cour des comptes. Ce contrôle s’est notamment traduit par des recommandations sur le besoin de simplification budgétaire pour faciliter la gestion du budget dédié au contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Une recommandation a également été formulée sur la prise en charge effective du contrôle de la sécurité des sources. Nous avons la volonté de rendre compte et nous allons recevoir en 2014 une mission d’audit dite IRRS – Integrated Regulatory Review Service –, une procédure lourde pour l’ASN qui consiste à recevoir des autorités de sûreté étrangères dans le cadre d’une mission d’audit. Ces autorités vont examiner notre fonctionnement dans le détail. Nous avions effectué un premier audit en 2006 avec une mission de suivi en 2009. Nous poursuivons cet investissement.

Le travail que nous vous présentons n’est rendu possible que grâce au professionnalisme et à l’engagement des personnels de l’ASN auxquels j’associerai également les personnels de l’IRSN qui nous appuient au quotidien sur l’ensemble de ces actions.

M. Pierre-Franck Chevet. - Je reprends la parole pour évoquer trois points concernant l’Europe, la transparence et les messages que nous portons et porterons dans le cadre du débat sur la transition énergétique.

En Europe, l’Autorité de sûreté nucléaire est engagée de longue date, depuis plus de dix ans, dans la création d’un pôle européen de la sûreté et de la radioprotection. Cette démarche répond à une vision : si un jour, un accident se produit sur le territoire européen, avec des zones d’effet de quelques dizaines de kilomètres, comme à Fukushima, beaucoup de nos concitoyens européens seront touchés et plusieurs pays seront concernés simultanément. Il nous faut organiser une réponse collective satisfaisante vis-à-vis de cette situation possible. Cela ne peut clairement se faire le jour de l’accident. Une telle réponse exige une préparation en amont, par des relations constantes sur de nombreux sujets et notamment sur celui de la gestion de crise. Jean-Christophe Niel a évoqué les travaux menés en matière de sûreté des nouveaux réacteurs dans le cadre de WENRA. Cela fait partie des actions que nous avons engagées depuis longtemps et que nous poursuivons avec force. Il faut aller plus loin. La question du travail transfrontalier autour des installations nucléaires en général et du travail sur la gestion de crise constitue un point d’application assez naturel de ce sujet. Nous poussons actuellement pour que ces travaux sur la gestion de crise en mode transfrontalier avancent pour déterminer comment nous pourrions mieux nous organiser sur ce sujet essentiel.

Nous travaillons également à améliorer les dispositions en matière de sûreté. Nous avons rencontré un exemple récent de bonnes pratiques. Les Belges ont connu des anomalies en nombre important, avec 8 000 défauts observés l’été dernier sur la cuve des deux réacteurs de Doel 3 et Tihange 2. Ils ont déployé une méthode qui me paraît porteuse d’avenir. Ils ont immédiatement pris l’initiative d’associer les experts internationaux au travail d’analyse. Il s’agit d’une méthode tout à fait respectable et recommandable. Nous avons été amenés, à la demande de l’autorité belge, à travailler sur ce sujet à ses côtés et à rendre un avis d’expert que nous avons rendu public, à l’image de ce que nous faisons en France. Lorsque nous publions nos décisions, nous publions, en effet, simultanément les positions des différents experts qui y ont contribué. Nous intervenions ici en tant qu’experts et nous avons publié notre position en fin d’année dernière, une position globalement suivie dans ses principes par l’autorité belge. Le processus n’est d’ailleurs pas terminé, car à ce jour l’avis final n’a pas encore été rendu par l’autorité belge. En termes de méthode, il s’agit aussi d’une manière de progresser. Nous avons porté l’idée que sur un sujet aussi compliqué les autorités de sûreté pourraient s’entendre sur un mécanisme organisé d’appel aux experts et aux autorités de sûreté étrangères, notamment les autorités frontalières.

Cette démarche constitue l’une des raisons qui ont permis que les stress tests européens soient reconnus comme une référence à l’échelle mondiale. Les stress tests ont été menés d’une manière reconnue. Entre le moment où la commande politique de réaliser des stress tests a émergé et celui où le cahier des charges des stress tests a été établi, 15 jours à peine se sont écoulés, parce que les autorités de sûreté nucléaire avaient coutume de travailler de concert. Le processus se poursuit. Un certain nombre d’entre nous participeront la semaine prochaine à la revue, organisée à Bruxelles, des plans d’actions nationaux de tous les États membres. Les résultats, rendus publics, nous serviront à progresser et à faire progresser les autres. Il s’agit d’une démarche de référence.

Il existe un autre point d’actualité sur l’Europe, relatif au projet de nouvelle directive sur la sûreté nucléaire. L’ASN soutient le principe d’une nouvelle directive, même si nous sommes parfois un peu seuls, parmi les États membres, à défendre cette position. L’ancienne directive de référence, la première, date de 2009, mais nous pensons pouvoir la faire progresser sur deux grands points, qui consistent à conforter le statut des autorités de sûreté nucléaire en Europe, sur le modèle français éventuellement amélioré, et à renforcer la transparence autour de l’industrie nucléaire. L’exemple français des commissions locales d’information semble fonctionner plutôt convenablement. Nos commissions locales d’information ont pris une initiative européenne pour promouvoir et rendre visible leur démarche. Pour l’instant, cette initiative ne trouve que peu d’écho dans les autres pays, alors qu’elle m’apparaît comme un bon moyen, éprouvé puisque expérimenté depuis plus de trente ans, de faire participer les citoyens aux décisions sur un certain nombre de sujets.

Nous menons pour l’instant des discussions compliquées avec la Commission sur une troisième idée. Dans le projet de texte qui nous a été soumis émerge l’idée de création d’une sorte de deuxième autorité de sûreté de portée européenne. Je n’ai aucun problème à imaginer qu’un jour puisse se créer une autorité de sûreté européenne. Il faut et il suffit que les parlements et gouvernements concernés s’accordent sur cette idée. Cette autorité de sûreté européenne comportera des annexes ou filiales dans les différents pays pour fonctionner d’une manière pratique. La raison pour laquelle le projet de directive suscite une difficulté tient au fait que celui-ci crée une situation peu satisfaisante avec, de fait, potentiellement, deux autorités de sûreté. Le principe de base en la matière exige qu’il n’existe qu’un seul gendarme pour éviter tout risque de dilution de responsabilité ou de non prise de responsabilité qui, à terme, pourrait porter préjudice à la sûreté. Sur ce sujet, très clairement, nous combattrons toute disposition qui conduirait à créer une ambiguïté sur les responsabilités du gendarme. A l’évidence, nous ne refusons d’aucune manière de rendre des comptes à toute personne qui le souhaite, y compris au niveau européen. Il s’agit bien de rendre compte, comme la facilité en est accordée à chaque citoyen de contester nos décisions, mais il existe une différence essentielle entre rendre compte et prendre une décision à deux.

Sur la transparence, nous avons donné quelques exemples. Il s’agit d’un sujet de base pour une autorité de sûreté. Le terme apparaît toutefois un peu passif. Il s’agit de donner à voir sur les activités que nous menons. Je tenais à souligner que nous avons, par le passé, cherché non pas à pratiquer la transparence mais à créer les conditions d’un débat au terme duquel les parties prenantes peuvent participer à la décision. Nous avons ainsi créé en 2003 le processus de plan national de gestion des matières et déchets radioactifs en mode pluriel. En 2005, nous avons pris l’initiative de créer un groupe pluriel pour travailler sur le post-accidentel, un sujet qui était loin d’être évident à traiter à l’époque, comme il l’est désormais après Fukushima. Dans ce cadre, nous avons remis, sur le sujet, un rapport d’étape au Premier ministre en décembre dernier et nous continuons à travailler, toujours en mode pluriel, pour comprendre la façon dont cette gestion peut se décliner sur le terrain de chaque centrale et chaque installation. Il suffit d’étudier la situation du Japon pour comprendre la difficulté d’une gestion post-accidentelle dans la durée. Tout récemment, en 2012, le comité pluriel pour traiter des facteurs sociaux, organisationnels et humains a associé les parties prenantes pertinentes : syndicats, exploitants, cabinets d’avocats spécialisés dans le droit du travail et universitaires pour travailler sur ce sujet au long cours. Enfin, nous travaillons souvent avec l’avis de notre expert de référence, l’IRSN. Sur les sujets compliqués, nous sommes amenés à solliciter des groupes d’experts qui examinent le point de vue de l’IRSN. Nous avons engagé la démarche d’ouvrir la composition de ces groupes permanents d’experts avec l’objectif d’aboutir à la fin de l’année. Pour les commissions locales d’information, nous avons pu bénéficier d’une augmentation de leur dotation qui leur permet notamment de déclencher plus de contre-expertises. 400 000 euros leur ont ainsi été dédiés, soit une augmentation assez significative de leur budget. Nous avons déjà engagé un travail avec les CLI pour les aider dans cette démarche de lancement de contre-expertise autour des sujets qu’elles jugeront pertinents.

Le dernier point concerne la transition énergétique. Celle-ci ne constitue pas notre sujet de base mais nous souhaiterions faire passer, en ce domaine, trois messages, que nous formaliserons par une décision du Collège que nous rendrons publique. Nous prendrons également part à toutes les discussions qui nous seront proposées. Quelles que soient les conclusions du débat, il demeurera encore du nucléaire en France durant plusieurs années. Il s’avère donc essentiel que les exploitants conservent des capacités financières, techniques et humaines durables et de bon niveau. De la même manière, il importe que l’Autorité de sûreté nucléaire dispose d’un statut conforté, de moyens à la hauteur et reste indépendante des exploitants et de toutes les parties prenantes qui portent un discours non contestable par principe en matière de politique énergétique. Tel est mon premier message, relativement simple et d’évidence. Mon deuxième message est lié à la spécificité du parc nucléaire français, un parc standardisé où tous les réacteurs se ressemblent. L’hypothèse très plausible d’une anomalie générique ne peut absolument pas être écartée. Dans l’histoire de l’ASN, je l’ai vécu personnellement voilà vingt ans, nous avons déjà rencontré des anomalies génériques sévères. Je pense notamment aux couvercles de cuve. Dans un tel cas, nous pouvons être amenés à décider relativement rapidement et brutalement, de manière simultanée, l’arrêt de plusieurs réacteurs, typiquement entre cinq et dix. Dans le cadre du débat, nous souhaiterions souligner qu’il faut que le système électrique français soit dimensionné pour faire face à une telle décision que nous serions amenés à prendre si cette situation, plausible, l’exigeait. Nous n’en sommes d’ailleurs pas passés loin, dans les années 1990, avec le problème de corrosion des couvercles de cuve pour lequel un certain nombre de parades proposées par l’exploitant ont permis d’éviter une telle décision.

Mon dernier message s’inscrira dans le même registre : la durée de fonctionnement des réacteurs nucléaires reste incertaine. Elle est limitée à l’évidence dans le temps mais il existe des incertitudes en la matière. Nous nous sommes prononcés de manière générique en considérant que les centrales pouvaient durer jusqu’à 40 ans, sous réserve d’un examen au cas par cas de leur situation individuelle après 30 ans. Nous nous trouvons au début de ce processus. Nous nous sommes prononcés dans ce cadre sur Fessenheim. D’autres centrales vont suivre. Pour l’instant, cette position se confirme, mais une mauvaise surprise dans l’examen de tel ou tel réacteur ne peut être exclue. Il est également possible qu’une extension de la durée de vie au-delà de 40 ans puisse être imaginée. EDF et d’autres exploitants à l’étranger l’ont étudiée. Sur ce sujet, nous ne nous prononçons pas. Nous sommes au tout début d’un processus. Nous serons sans doute en mesure de fournir des indications techniques plus robustes vers 2015. Actuellement, nous menons plutôt des échanges d’ordre méthodologique avec EDF sur ce point. Notre position, pour l’instant, est loin d’être arrêtée. J’ajoute qu’au cas par cas, réacteur par réacteur, nous pouvons rencontrer de bonnes mais aussi de mauvaises surprises. Il faut que la politique énergétique et le système électrique tiennent compte de ces incertitudes et des arrêts possibles de certains réacteurs dans les cinq ou dix années à venir.

Nous préciserons ces trois messages que nous serons amenés à expliciter lors d’interventions ou de colloques. Comme l’a fait Jean-Christophe Niel, je tiens à remercier les équipes de l’Autorité de sûreté nucléaire et de l’IRSN. L’année a été marquée par Fukushima, qui a engendré un travail considérable. Je veille, et cela doit constituer un point d’attention collective, à ce que nous arrivions à traiter les sujets post-Fukushima sans pour autant relâcher la pression sur des sujets plus classiques et plus récurrents mais néanmoins tout aussi importants. Nous avons mis l’accent sur la qualité d’exploitation et de maintenance chez EDF par exemple. Nous disposons toutefois de capacités limitées et nous atteignons aujourd’hui les limites. C’est la raison pour laquelle une vigilance interne s’impose. Je tiens enfin à remercier André-Claude Lacoste, actionnaire à plus de 85 % du bilan 2012. Je présente ce bilan 2012 en toute confiance. Il repose en grande partie sur son travail. Comme je l’ai indiqué lors des auditions en vue de ma prise de fonction, je m’inscris clairement dans sa continuité et rien de ce que j’ai constaté en interne ne me fait aujourd’hui changer mes propos.

Je vais m’attacher à répondre maintenant à vos questions. Je passerai la parole à d’autres personnes plus compétentes sur certains sujets.

S’agissant des chiffres publiés par l’IRSN sur les conséquences économiques globales d’un accident grave, l’origine de cette étude, tout à fait intéressante, remonte à 2007. Cette étude a été réalisée à la demande de l’Autorité de sûreté nucléaire parce qu’EDF souhaitait, comme cela peut se faire dans d’autres pays, par exemple les États-Unis, traiter des problèmes de sûreté par une approche coût-bénéfice. Il s’agit d’analyser le coût d’une disposition et son bénéfice en termes de sûreté, pour éclairer la décision. Mes collègues américains sont des fervents promoteurs de cette approche. Nous en voyons encore les traces dans leur démarche post-Fukushima. Nous n’avions jamais été très familiers ni très ouverts sur ce mécanisme mais une question était posée. Dans ce cadre, nous avons demandé à EDF de nous expliquer précisément ce que la société envisageait, puis à l’IRSN de travailler sur un chiffrage des coûts de l’accident. Le rapport qui a été rendu public ne constitue qu’une partie d’un rapport bien plus important qui porte sur les analyses coût-bénéfice. Suite à cela, nous avons répondu à EDF que nous ne souhaitions pas que ces approches coût-bénéfice soient mises en œuvre, sauf dans des cas très particuliers. C’est ainsi qu’est né ce travail.

Ce rapport présente toutefois un intérêt en regard de l’accident de Fukushima. Les ordres de grandeur affichés actuellement par les Japonais en termes de coût économique se comptent en centaines de milliards d’euros. Les estimations de l’IRSN se situent dans des échelles comparables avec les constats effectués aujourd’hui au Japon. Ce rapport a été, tout à fait logiquement, rendu public. Nous avions engagé voilà un an, autour du même sujet, une démarche pour obtenir des expertises plurielles. Nous venons d’aboutir et de sélectionner un prestataire pour essayer d’aller plus loin sur ce sujet compliqué, avec de très nombreuses hypothèses qui influent largement sur le résultat final. Nous avons intégré cette démarche de confrontation des résultats de l’IRSN avec d’autres au sein des travaux du Comité directeur sur le post-accidentel. Ces travaux associent les différentes parties prenantes (exploitants, ONG, économistes universitaires, etc.), afin de compléter cette étude qui date maintenant de plus de six ans.

Sur la sous-traitance, Jean-Christophe Niel a donné un premier élément de réponse. Dans l’arrêté « Installations nucléaires de base » de février 2012, une disposition prévoit notamment que la surveillance du processus de sous-traitance ne peut être déléguée, sauf dans des cas très particuliers d’un besoin d’expertise extrêmement pointue. Ce premier élément n’apporte pas une réponse complète à votre question. Nous essayons de traiter ce sujet de la sous-traitance, en mode ouvert, dans le cadre du Comité sur les facteurs sociaux, organisationnels et humains, afin de trouver une réponse adaptée à la question complexe des conditions d’intervention des sous-traitants en cas de crise.

Quant au délai d’arrêt de Fessenheim, comme je l’ai indiqué et comme l’avait fait avant moi André-Claude Lacoste, les travaux de démantèlement présentent des enjeux de sûreté et exigent des procédures administratives de même ampleur que celles de création d’une installation. Le démantèlement ne s’effectue pas comme cela. Il ne s’agit pas d’arrêter purement et simplement l’installation. Démanteler constitue une opération à risque qui doit, à ce titre, être encadrée. C’est la raison pour laquelle la loi a prévu une procédure de même niveau que l’autorisation de création. Concrètement, l’opération comporte deux parties. L’exploitant doit présenter un bon dossier et l’autorité de sûreté doit mener une instruction de celui-ci permettant ensuite au Gouvernement de prendre un décret. Un bon dossier suppose un engagement fort de l’exploitant. La durée de constitution d’un tel dossier est estimée à deux ans. Une bonne instruction prend environ trois ans. Nous ne pouvons diviser ce temps par trois.

Sur Fessenheim, notre avis n’a pas changé. Nous nous étions prononcés de manière générique sur la possibilité pour le réacteur de passer d’une durée de vie de 30 à 40 ans, émettant un avis plutôt favorable sous réserve de l’examen au cas par cas. Cet examen a été réalisé à Fessenheim. Nous avons donné un avis sous réserve de la mise en œuvre stricte d’une quarantaine de prescriptions. Parmi ces prescriptions figurent deux points plus importants que les autres : le renforcement du radier, pour lequel nous avons fixé une échéance ferme au 30 juin prochain, et l’existence d’une source de refroidissement de secours. Pour cette dernière, l’échéance a été fixée à la fin décembre 2012. Cette deuxième installation est aujourd’hui en fonctionnement, comme nous l’avons constaté dans le cadre de multiples inspections. Pour ce qui concerne le radier, nous avons approuvé fin décembre dernier le principe des travaux prévus. Ceux-ci devraient commencer dans les prochaines semaines. Il faut décharger le cœur avant de les engager. Il appartient à l’exploitant de répondre plus précisément sur ce point. Nous interviendrons et réaliserons des inspections pour vérifier la mise en œuvre du cadre que l’exploitant a proposé de respecter pour ces travaux. Une question est fréquemment posée sur la pertinence d’engager des travaux alors que la centrale va s’arrêter. Ma réponse à cette question sera très claire. En tant que président de l’Autorité de sûreté nucléaire, je ne prendrai aucune position qui tendrait à relâcher l’exigence de réalisation de ces travaux, qui renforcent la sûreté de la centrale à court terme.

Quant à votre recommandation sur le bilan des coûts d’EDF, je dois avouer que nous ne l’avons pas mise en œuvre telle que vous l’avez formulée. Nous ne sommes pas entièrement outillés en tant qu’administration pour réaliser ce travail. Démêler les coûts que pourrait présenter EDF s’avère compliqué. Ces coûts répondent à des choix d’exploitant, des choix de confort, des choix de productivité et des choix directement imputables à la sûreté. Le lessivage des générateurs de vapeur, par exemple, constitue une modification à la fois nécessaire sur le plan de la sûreté et qui permet à EDF d’améliorer le rendement de ces générateurs de vapeur. L’entreprise aurait peut-être effectué ce lessivage sans que nous ne lui demandions. La manière de démêler la part d’activité normale et celle qui relève des recommandations de l’Autorité de sûreté nucléaire se révèle plutôt complexe. Nous voyons donc mal comment répondre à votre recommandation avec un suivi de ce degré de finesse. En revanche, pour des gros sujets comme la maintenance, nous demandons à EDF quels sont les moyens humains et les compétences techniques engagés pour traiter correctement le sujet. Nous formulons nos demandes non pas en termes de coûts mais de capacités techniques et humaines mais celles-ci ne peuvent se sommer d’une manière simple. Telles sont les principales difficultés que nous rencontrons. Nous éprouvons nous-mêmes une certaine gêne à entrer dans des considérations économiques. Il revient à l’exploitant d’intégrer dans les réponses qu’il nous donne ses propres critères économiques mais nous intervenons au titre de la sûreté. L’équilibre se passe dans la virulence des débats que nous menons mais ce sont les exploitants qui intègrent leurs composantes économiques. Nous éprouvons donc quelque réticence à mettre en œuvre ce principe tel quel. Le suivi de l’évolution des grandes masses peut s’avérer intéressant, puisque les faibles investissements réalisés par EDF durant plusieurs années, au début des années 2000, ont pu expliquer en partie la dégradation de la disponibilité. Ce sujet pourrait être suivi mais le Ministère pourrait lui-même mener cette démarche. Il nous est plus difficile d’entrer dans cette procédure.

Je préfère passer la parole à Michel Bourguignon pour les questions ayant trait à la radiologie interventionnelle et aux cellules réparatrices.

M. Michel Bourguignon, commissaire de l’ASN. - La radiologie interventionnelle rassemble toutes les méthodes diagnostiques et thérapeutiques réalisées sous contrôle radiologique. Il ne s’agit pas d’un contrôle radiologique au sens d’une radiographie mais d’un contrôle radioscopique, le patient étant placé sous le faisceau de rayonnement. La radiologie interventionnelle remplace de plus en plus la chirurgie. Elle représente aujourd’hui le deuxième poste d’exposition médicale après le scanner. Les radiologues interventionnels sont bien connus dans la cardiologie, notamment la coronarographie, pour dépister une sténose coronaire. Elle se développe aussi dans de nombreux domaines, en neurologie, en gastroentérologie, en chirurgie. De plus en plus de praticiens utilisent la radiologie interventionnelle car elle n’implique pas d’acte chirurgical invasif. Il s’avère plus facile de monter une sonde dans le cerveau que d’ouvrir la boîte crânienne. Deux types de risques sont associés à ce développement. Le premier concerne le praticien qui effectue l’acte. La formation première de celui-ci n’est pas une formation de radiologue. Il connaît donc moins bien le rayonnement. En outre, il effectue des actes relativement complexes et a un peu tendance à oublier les rayons. L’utilisation du rayonnement passe ainsi en second par rapport au geste médical lui-même. Le praticien est concerné car il se trouve très proche du tube à rayons X. Nous avons vu se développer des radiodermites et des problèmes de cataracte. La protection des travailleurs pose problème mais aussi celle du patient. Nous rencontrons également des radiodermites, chiffrées à quelques dizaines en France, résultant de gestes de radiologie interventionnelle qui ont duré parfois deux ou trois heures, pour les opérations au niveau du cœur ou du cerveau. Il convient de soigner ces radiodermites mais nous ne savons pas encore très bien le faire. Dans ce domaine, l’ASN s’attache à contrôler la radiologie interventionnelle plus qu’elle ne le faisait par le passé, par le biais de ses divisions régionales. Le Collège a par ailleurs pris une position ferme sur le sujet pour bien illustrer le problème et aller plus loin dans le domaine de la formation des professionnels à la radioprotection des patients, en particulier ceux dont le métier initial est éloigné du rayonnement ionisant. Nous avons également demandé le renforcement de la place du physicien médical dans ce domaine de l’imagerie médicale. Enfin, nous avons favorisé l’élaboration de guides professionnels pour leur permettre de cerner les questions.

S’agissant des cellules souches mésenchymateuses, il s’agit de cellules souches jeunes qui présentent une potentialité, par leur division et par les signaux qu’elles émettent.

Depuis une dizaine d’années, sous l’impulsion des équipes de l’IRSN pour la radiologie et la radio-pathologie chez l’animal, ainsi qu’avec le soutien de l’hôpital Percy dont le service d’hématologie est à même de fabriquer ces cellules souches par centaines de millions et dont le service de chirurgie lourde et de chirurgie esthétique peut réaliser le retrait des tissus qui vont mourir et les greffes nécessaires, nous avons vu apparaître l’utilisation de ces cellules souches mésenchymateuses dans le traitement des brûlures radiologiques accidentelles. Ces brûlures sont causées par des sources de gammagraphie industrielle perdues sur des chantiers et qu’un ouvrier ramasse et met dans sa poche. Ces brûlures gravissimes se soldaient jusqu’à présent par la mort, malheureusement assez lente, du patient par la nécrose progressive des tissus. Les équipes françaises ont réussi à montrer que par un traitement beaucoup plus radical et précoce de la zone lésée avec les cellules souches, il s’avérait possible d’apporter la guérison. Plusieurs cas ont été expérimentés. Le miracle immédiat apporté par ce traitement tient à la disparition des douleurs, ce qui mérite d’être souligné, car aucun médicament n’a d’effet sur ces douleurs. Le suivi des patients a montré que le résultat se révèle durable. Des résultats tout à fait remarquables ont ainsi pu être constatés sur des brûlures de la fesse et de la main.

Dans le cadre de l’accident d’Épinal, les équipes ont essayé de soigner ces patients qui souffrent de brûlures radiologiques résultant de la radiothérapie. Nous pourrions imaginer, par extension, une utilisation au titre des complications. La technique a été utilisée à titre compassionnel. Des incertitudes demeurent cependant sur l’utilisation de ces cellules souches, qui reste encore un peu timide. Chaque utilisation a cependant démontré des effets bénéfiques, surtout chez les patients présentant des brûlures graves, même si le nombre de patients, entre 10 et 20, reste encore très réduit. Il n’existe pas encore de grand programme national sur le sujet, alors qu’un tel programme pourrait être imaginé pour le traitement des complications normales de la radiothérapie. Ces cas ne relèvent pas d’accidents ni d’erreurs de dosage. Ils tiennent parfois simplement au fait que le patient se révèle plus radiosensible. Nous portons une attention particulière à ce sujet car il est probable que 10 % de la population se montre plus sensible aux rayonnements que les 90 % restant. Dans le cadre d’une radiothérapie normale, ces personnes peuvent souffrir de brûlures radiologiques qui pourraient être traitées d’une façon très efficace par des greffes de cellules souches. Nous sommes encore au stade de la recherche. Si nous parvenons à réaliser le tour d’horizon de ce que représentent la radiosensibilité individuelle et les complications sévères de la radiothérapie, nous pourrons réaliser de grands progrès car nous pourrons utiliser ces cellules souches à une plus grande échelle.

M. Denis Baupin, député. - Je tiens à remercier le président de l’Autorité de sûreté nucléaire du rapport qu’il nous a présenté et d’être présent pour le contrôle de celui-ci par la représentation parlementaire. Vous pouvez compter sur nous pour toujours soutenir le travail de l’ASN et faire en sorte que ses moyens humains et financiers soient confortés, afin qu’elle puisse remplir son rôle. J’ai bien noté votre constat d’un bilan « globalement assez satisfaisant » en des termes que vous avez soupesés qui n’apparaissent pas particulièrement enthousiastes. Je comprends d’autant mieux votre prudence, au regard de l’état de notre parc nucléaire. Pendant votre intervention, nous avons ainsi appris que plusieurs centaines de salariés avaient été évacués de la centrale de Fessenheim, suite à des incidents survenus durant l’arrêt programmé de la centrale, ce qui en dit long sur la vie quotidienne des réacteurs nucléaires en France, avec leurs aléas et leurs accidents extrêmement nombreux. Je tenais également à vous remercier d’avoir réaffirmé les propos d’André-Claude Lacoste. Un tabou est tombé avec Fukushima. Un accident nucléaire majeur s’avère possible en France. Nous devons prendre toute la mesure de ce constat. Je vous remercie par ailleurs d’avoir souligné le caractère positif d’un travail au niveau européen. Il y a là matière à améliorer la sûreté pour l’ensemble de nos réacteurs, sachant qu’un accident majeur toucherait le territoire de plusieurs États.

Ma première question concernera le vieillissement de nos réacteurs nucléaires et le constat de leur indisponibilité croissante. Le président d’EDF avait fixé à 15 % en 2012 l’indisponibilité des réacteurs sur l’ensemble du territoire. Cette indisponibilité a atteint près de 20 %. Quelle est votre analyse sur ce dépassement très net du niveau d’indisponibilité ? Est-ce dû au vieillissement ou à la sous-traitance et aux incidents qui y seraient liés ? Nous constatons par ailleurs plus d’arrêts fortuits des centrales nucléaires françaises en ce début d’année 2013 que sur l’ensemble de l’année 2012. Là encore, comment analysez-vous une telle situation ?

Suite aux stress tests et aux évaluations complémentaires de sûreté, l’ASN a émis pas moins de 1.000 recommandations à destination d’Areva et d’EDF sur nos installations nucléaires. Où en est-on aujourd’hui ? Combien de ces recommandations ont été mises en œuvre ? Comment la représentation nationale peut-elle être informée au fur et à mesure de la mise en place de ces recommandations ?

La troisième question concernera le débat sur la transition énergétique. Vous avez indiqué à juste titre que personne ne peut connaître la durée de vie réelle d’une centrale nucléaire. Vous répondez en quelque sorte à ceux qui nous indiquent que ces centrales seraient « amorties » et pourraient continuer à fonctionner ad vitam aeternam. Dans votre analyse, même si j’ai quelques doutes sur la possibilité de prolonger des réacteurs nucléaires au-delà de 40 ans, confirmez-vous que le référentiel de sûreté auquel devraient correspondre les réacteurs nucléaires, si d’aventure ils devaient être prolongés au-delà de 40 ans, correspondrait au minimum à celui de réacteurs neufs, c’est-à-dire à celui de l’EPR ? Confirmez-vous par ailleurs le coût avancé par EDF de 50 milliards d’euros pour une « cure de jouvence » de ses réacteurs pour dépasser les 40 ans de vie ? Validez-vous ce chiffre qui apparaît singulièrement sous-évalué ?

Aujourd’hui même ou dans les prochains jours, un convoi chargé de MOX va partir de La Hague à destination du Japon. L’usine de La Hague a reçu sa 4e mise en demeure de l’Autorité de sûreté nucléaire pour des défauts d’entretien et de maintenance de l’installation. Votre prédécesseur, André-Claude Lacoste, nous avait indiqué voilà moins d’un an, ici même, dans le cadre de la Commission des affaires économiques, que la sûreté nucléaire au Japon ne fonctionnait pas, comme il l’avait constaté voilà plusieurs années déjà dans le cadre d’un audit qu’il avait réalisé sur la sûreté nucléaire japonaise. Après Fukushima, il avait reposé la question à ses homologues, qui avaient décidé de ne rien changer dans leur sûreté. J’ai cru lire dans la presse que la situation avait quelque peu changé. Malgré tout, alors même que seuls deux réacteurs sont en fonctionnement dans ce pays qui connaît de grandes difficultés, est-il bien pertinent d’envoyer un chargement de MOX ?

Sur Fessenheim, vous avez justifié à l’instant les travaux devant être engagés sur ce réacteur, qui ne consistent pas seulement dans l’épaississement d’un radier, insuffisant pour atteindre vos préconisations. EDF a ajouté à celui-ci la construction d’un élément totalement nouveau, qui n’existe jusqu’à présent nulle part ailleurs. Il s’agit d’un récupérateur de corium, qui devrait venir prendre place sous un réacteur existant. Le directeur de la centrale de Fessenheim lui-même a souligné qu’un tel procédé n’avait jamais été mis en œuvre dans le monde. J’ai ici le courrier que m’a adressé Monsieur Repussard lorsque je l’ai questionné sur ce récupérateur de curium. Il m’indique que pour un certain nombre de mes questions, à savoir la résistance potentielle de ce récupérateur en cas de séisme, la gestion de l’eau dans le puits de la cuve, compte tenu du risque que le corium puisse rencontrer de l’eau, la réfrigération du corium, prévue sur l’EPR mais pas à Fessenheim, il attendait des réponses d’EDF. Vous nous indiquez que les travaux vont bientôt avoir lieu. Avez-vous obtenu ces réponses d’EDF ? EDF a-t-elle justifié ses choix ? Sommes-nous certains que ce dispositif correspond aux préconisations que vous avez émises en matière de sûreté en cas d’accident sur Fessenheim ? Cette réponse vous a-t-elle convaincus ?

Mon ultime question portera sur un réacteur en construction, l’EPR de Flamanville. Quel est l’état de l’analyse de l’ASN s’agissant de la sûreté de l’EPR ?

M. Pierre-Franck Chevet. - Sur le taux d’indisponibilité des réacteurs nucléaires, il ne s’agit pas nécessairement d’un sujet de sûreté mais de pilotage industriel. Il existe cependant des liens entre les deux sujets. Le manque d’investissement global en termes de maintenance dans les centrales d’EDF durant une certaine période est sans doute en partie responsable des indisponibilités et peut-être d’un certain nombre d’incidents. Entre la décision d’investir et la réalisation des modifications, il existe un délai qui conduit à des indisponibilités. Les travaux d’investissements édictés par des considérations économiques ou de sûreté prennent du temps. Ceci peut fournir une partie de l’explication mais je ne répondrai pas sérieusement sans disposer d’une analyse plus complète des chiffres. Ces travaux devraient ensuite permettre d’obtenir de meilleurs résultats en matière de sûreté ou de disponibilité. Le sujet mérite d’être approfondi et analysé de façon rigoureuse.

Sur les stress tests et nos 1.000 recommandations, en lien avec mon commentaire sur la charge de travail de nos équipes et celle des exploitants, le suivi relève d’abord d’une question interne. Nous pouvons tout à fait imaginer un dispositif de suivi mais il existe des grands rendez-vous. L’un d’eux est devant nous, concernant la définition précise du noyau dur, qui permettra aux exploitants de s’engager sur des matériels précis et de passer des commandes. Pour ce point important, je me suis engagé à ce que l’Autorité de sûreté nucléaire prenne position sous trois à quatre mois. Ceci permettra d’enclencher la démarche et éventuellement de vous rendre compte d’une manière plus structurée. Comme je l’indiquais tout à l’heure, une question se pose sur la capacité industrielle de déploiement des modifications demandées. Je citerai un exemple. Dans le noyau dur, la présence d’alimentations électriques de secours constitue une préconisation de l’ASN. Cette préconisation exige l’installation de diesels dans des bunkers. Deux questions se posent à ce niveau. Quelle agression externe doit être prise en compte pour le dimensionnement de ce bunker ? Cela fait partie des questions qui doivent recevoir une réponse le plus rapidement possible, après discussion technique, dans les trois ou quatre prochains mois. Vient ensuite le temps du déploiement industriel car il s’agit de matériels très particuliers. EDF annonce des temps de déploiement complet sur l’ensemble du parc pour 2018. Chaque fois que nous sommes confrontés à des temps de déploiement longs, nous nous attachons à demander aux exploitants concernés de déployer plus rapidement, à l’horizon de quelques mois, une solution d’attente, en l’occurrence des diesels mobiles qui pourraient être amenés très rapidement. Cet exemple illustre la méthode que nous essayons d’adopter pour conduire ce chantier d’importance. Je retiens votre suggestion. Je pense effectivement que pour 1.000 recommandations, nous aurions utilement besoin d’un tableau d’avancement listant les travaux réalisés et ceux qui doivent encore être effectués.

S’agissant de la durée de vie, je ne connais pas ce chiffre de 50 milliards d’euros. J’avais entendu, par voie de presse, un montant de 500 millions d’euros par réacteur pour une rénovation après 40 ans, un montant affiché par le président d’une grande entreprise productrice d’électricité. Je ne peux apporter de réponse précise à ce stade. Nous nous trouvons au tout début d’un processus. Nous avons déjà indiqué que l’éventuel passage au-delà de 40 ans s’effectuera au regard des référentiels de sûreté applicables à la génération 3. Nous serons amenés à demander pour le réacteur concerné en quoi le projet respecte ou non chaque grand objectif de ce référentiel de génération 3 et, le cas échéant, les dispositions complémentaires qui peuvent être prises pour y parvenir. Les discussions se concentrent pour l’heure sur la méthodologie d’approche du sujet, mais nous sommes encore très loin d’avoir des dossiers de sûreté précis permettant de formaliser des coûts. Je suppose qu’il existe des références américaines sur le sujet mais je rappellerai que les Américains, face à la même question, ont jugé de la prolongation de 40 à 60 ans à référentiel constant, c’est-à-dire le référentiel initial. Le seul enjeu consistait donc à vérifier l’absence de vieillissement excessif. Il n’est pas question, dans la démarche américaine, d’imaginer une amélioration. Cette position française, qui nous démarque vraiment des Américains, est née d’une pratique très courante dans les installations classées consistant à faire le point des meilleures technologies disponibles tous les dix ans et à identifier dans quelle mesure l’installation peut s’orienter vers ces meilleures technologies. Le même principe a été appliqué dans les installations classées et pour le nucléaire en Europe.

Quant au transport de MOX au Japon, vous avez balayé plusieurs sujets. Nous avons réalisé deux inspections, hier et aujourd’hui. J’ignore quels en ont été les résultats. Nous avons vérifié les conditions de conditionnement des combustibles dans leurs emballages de transport, les conditions radiologiques de l’emballage lui-même et ensuite les conditions d’installation sur le bateau. Je ne possède pas les résultats des inspections, qui visent à vérifier les conditions de sécurité du transport par bateau.

M. Vivien Tran-Thien, direction du transport et des sources, ASN. - La première inspection a eu lieu hier et aujourd’hui. Elle porte sur les contrôles radiologiques et sur l’absence de contamination. Une inspection sera réalisée lors des opérations de transbordement. Nous publierons demain une note d’information avec la lettre de suite de l’inspection et des détails sur notre démarche d’inspection.

M. Pierre-Franck Chevet. - Vous avez évoqué, au vu de nos mises en demeure, le fait que l’usine de La Hague ne serait pas sûre, ce qui devrait militer pour l’évacuation du combustible. Il y a effectivement eu des mises en demeure, et nous faisons preuve d’une grande vigilance sur un certain nombre de sujets que j’ai cités. Un événement a donné lieu à une récente mise en demeure sur les équipements sous pression, pour lesquels l’exploitant accusait un retard réel par rapport à nos demandes. De là à dire que l’installation de La Hague n’est pas sûre et qu’il faut en tirer toutes les conséquences, je n’en suis pas là. Des problèmes se posent à La Hague mais ils ne remettent pas en cause la sûreté du stockage des combustibles.

S’agissant de la situation au Japon, les propos d’André-Claude Lacoste ont été rendus publics voilà plusieurs années. Nous allons bénéficier en 2014 d’une inspection par les autorités étrangères. André-Claude Lacoste avait conduit en 2007 au Japon une inspection « Integrated Regulatory Review Service » (IRRS). Il est vrai qu’il avait constaté une situation insatisfaisante, notamment en termes d’autorité, de qualité et d’organisation du contrôle. Depuis lors, des changements se sont produits. Les Japonais ont pris la décision de créer une autorité administrative indépendante dont les statuts me paraissent tout à fait comparables à ce que nous pourrions imaginer en la matière. Elle est née en fin d’année dernière et doit désormais travailler, dans un contexte à l’évidence compliqué. Nous avons nous-mêmes, à leur demande et sur notre proposition, conforté nos relations avec les Japonais. Ils ont fait appel à trois autorités de sûreté nucléaire de référence, nos homologues américains, britanniques et nous-mêmes. Nous sommes en contact permanent avec eux sur tous les sujets. Ils nous ont par exemple transmis le projet de nouvelle réglementation pour obtenir notre avis.

M. Denis Baupin. - Ne faudrait-il pas attendre que la situation soit sécurisée avant d’envoyer du MOX dans le pays ?

M. Pierre-Franck Chevet. - C’est à leur demande que cette opération est effectuée. Elle s’avère d’ailleurs plutôt conforme aux principes.

M. Denis Baupin. - Ce n’est pas ce qu’ils indiquent dans la presse, où ils soulignent que le transport est réalisé à la demande d’Areva.

M. Pierre-Franck Chevet. - J’en serais surpris. Je rappelle que s’il n’existe pas d’obligation pour les matières, nous sommes contraints de renvoyer les déchets venant de l’étranger, sinon nous contreviendrions à la loi. Ces combustibles sont placés en château de transport et peuvent être assez simplement stockés en l’état sur un site nucléaire. Aux Etats-Unis, les combustibles usés sont stockés directement sur les parkings des centrales ou dans des piscines classiques, qui peuvent également les accueillir. J’ignore quelles seront les conditions de stockage mais l’opération ne touche pas le site de Fukushima.

Pour Fessenheim, l’avis de l’IRSN préalable à notre décision est globalement positif, compte tenu des améliorations apportées par l’épaississement du radier et le récupérateur de corium. Il s’agit en fait d’un étalement de corium. L’IRSN a souhaité un certain nombre de compléments et nous avons repris cette demande. Du point de vue de la sûreté, la réalisation de ces travaux va dans le bon sens. L’IRSN posait plusieurs questions sur lesquelles nous avons reçu des réponses d’EDF, que nous pourrions sans doute vous transmettre. Sur le sujet de radioprotection, EDF nous a apporté des indications qui apparaissent dans le cadre du jugement en référé du Conseil d’État. EDF a réalisé un travail important d’optimisation de la dose pour une intervention relativement complexe. Cela nous a paru satisfaisant. S’agissant de la gestion de l’eau en cas d’accident, un certain nombre d’éléments ont été précisés, notamment sur la mise en place de thermocouples qui permettent de vérifier le corium et de gérer l’eau. Nous allons leur demander de nouvelles précisions, y compris sur la gestion accidentelle qui peut encore être améliorée. En tout état de cause, en l’état, les modifications apportent une amélioration de la sûreté.

M. Denis Baupin. - Est-elle suffisante par rapport à vos recommandations ? Comment le dispositif fonctionne-t-il en cas de séisme ? L’ASN a émis des recommandations.

M. Pierre-Franck Chevet. - La question ne se pose pas uniquement en cas de séisme. Nous prenons le postulat d’un accident grave, quelle qu’en soit la cause. La disposition améliore significativement la sûreté et met le réacteur de Fessenheim au niveau des autres réacteurs. Je crois me souvenir que dans nos premières discussions avec EDF, nous n’avions évoqué que l’épaississement du radier. EDF est venue nous présenter une solution plus astucieuse, qui ressemble à un récupérateur de corium, sans en être un. Cette solution se révèle sans doute meilleure qu’un épaississement plus important du radier.

Quant à l’EPR de Flamanville, nous n’avons pas enregistré d’événement de sûreté majeur sur le chantier en 2012. L’enjeu auquel nous devons faire face aujourd’hui tient à la phase dite des essais de démarrage, qu’il faut préparer et qui exige un travail de l’exploitant et des autorités de sûreté. Quatre réacteurs EPR sont actuellement en construction. Nous avons donc prévu d’organiser, au mois de juin prochain, un séminaire conjoint, en Chine, avec les Finlandais et les autorités de sûreté chinoises, pour codifier ensemble le contrôle des essais de démarrage d’une telle installation.

Christian Bataille, député, vice-président. - A ce stade, je ne poserai que de brèves questions afin de ne pas être redondant avec l’ensemble des sujets déjà abordés. Je tiens tout d’abord à féliciter Monsieur Chevet et son équipe de l’ASN pour le rapport très intéressant qu’il nous a présenté aujourd’hui. Je regrette par ailleurs que l’ASN reste mal connue du grand public. Ainsi, voilà peu, Greenpeace a mené une campagne à grand spectacle, en donnant un avis sur les centrales. L’ASN rend des avis sérieux. Ce sont ces avis qui devraient être connus du grand public.

Je souhaiterais vous poser deux questions. S’agissant de la durée de vie des réacteurs, vous avez évoqué les Américains d’une manière plutôt critique. Ils exploitent pourtant un parc de 110 réacteurs, suivant des règles différentes des nôtres. Ils explorent une durée de vie plus importante que celle des réacteurs français. Tournez-vous le dos aux Américains ou échangez-vous avec eux sur le sujet la sûreté de leurs centrales ?

Ma deuxième question portera sur la sous-traitance dans les centrales. Voilà deux ans, nous avions présenté un rapport sur la sécurité des centrales, que j’avais cosigné avec Bruno Sido et Claude Birraux. Ce rapport avait mis l’accent sur les risques induits par les cascades de sous-traitance, à la fois en terme de sûreté des travailleurs et de perte de compétences. Nous avions formulé quelques recommandations, invitant EDF à ré-internaliser certaines fonctions. Vous n’avez pas évoqué ce problème. Constitue-t-il un sujet de préoccupation pour vous ?

M. Pierre-Franck Chevet. - Greenpeace possède une plus grande notoriété que nous, grâce à des modes d’action différents des nôtres. Nous avons analysé leurs avis et leur rapport. Ce rapport est construit sur de nombreux éléments que nous avons identifiés et rendus publics. Nous l’examinons plus attentivement pour mettre en évidence d’éventuels éléments qu’il conviendrait de corriger, amender ou valider. L’analyse de Greenpeace est centrée sur les critères de localisation et de conception. Il ne prend pas en compte la qualité de l’exploitation. Notre rapport, avant tout ciblé sur l’exploitation, peut d’ailleurs souffrir de la critique symétrique car nous n’avons pas encore réussi à établir une approche entièrement intégrée.

Nos contacts avec les Américains sont extrêmement fréquents. C’est probablement l’autorité de sûreté avec laquelle nous avons noué, historiquement, les relations les plus suivies. Une partie de nos réacteurs présente en effet des modes de conception très proches. De plus, les États-Unis disposent d’une autorité de sûreté de référence. Nous échangeons sur tous les sujets, en temps réel. Le fait d’être en relation permanente ne signifie pas pour autant que nous nous accordions sur tous les sujets. Par exemple, sur la durée de fonctionnement des centrales, à tort ou à raison, nous ne retenons pas la même approche. J’en ai indiqué la raison. L’alternative nucléaire à la prolongation de la durée de fonctionnement d’un réacteur repose aujourd’hui sur la construction d’un nouveau réacteur. Or ce nouveau réacteur ne sera pas construit suivant les anciens standards mais répondra aux nouveaux standards. C’est la raison pour laquelle nous considérons que l’extension de la durée de vie doit être vue au regard des meilleures techniques disponibles et des nouveaux standards. La position française ne constitue pas une position isolée. Le club des autorités de sûreté européennes, WENRA, a adopté et rendu publique, en 2010, avant Fukushima, une position évoquant les objectifs pour les nouveaux réacteurs comme l’EPR et formalisant l’idée que la doctrine d’amélioration au regard des critères de génération 3 devait être appliquée aux réacteurs existants. Cette position a été approuvée par l’ensemble des autorités européennes de ce club. Je pense que cette position repose sur un certain nombre de fondements. Sur des sujets comme le stockage final des déchets ou le choix entre cycle ouvert et fermé, nous n’avons pas non plus les mêmes positions que les Américains mais nous restons en liaison permanente. Il s’avère essentiel d’agir ainsi pour des autorités de sûreté, qui doivent rester informées des pratiques étrangères.

Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée. Vous avez évoqué le fait que vous engagiez des collaborations assez fortes, notamment avec vos homologues belges en matière de sûreté nucléaire. Or vous n’avez pas évoqué la situation des centrales nucléaires allemandes et anglaises. Il existe d’autres possibilités de collaboration au niveau européen. Comment vous situez-vous par rapport à ces autres compétences et technologies ?

M. Pierre-Franck Chevet. - Nous avons noué des collaborations avec la plupart des grands pays, y compris le Royaume-Uni et l’Allemagne. Toutes les autorités qui nous entourent sont parties prenantes de WENRA, le club que nous avons contribué à fonder et qui nous permet de mener des discussions fluides et permanentes. Le travail sur l’EPR a été mené en relation permanente avec les Britanniques et les Finlandais. Nous avons adopté une position commune voilà deux ou trois ans, alors que nous considérions le contrôle commande insatisfaisant en l’état. Depuis lors, nous avons obtenu des réponses qui nous ont permis de réévaluer celui-ci positivement. Avec les Allemands, des échanges frontaliers se nouent au sein de la commission locale d’information française. Dans l’autre sens, je n’ai pas souvenir d’un cas récent d’échange, mis à part dans le cadre du club WENRA, où figurent également les Autrichiens. Au-delà, je pense qu’il nous faut certainement travailler, en tout cas pour les centrales frontalières, à mettre en place une démarche plus construite et plus systématique. La centrale de Cattenom est ainsi regardée d’un œil attentif par le Luxembourg et l’Allemagne. La radioprotection représente un autre enjeu très partagé. Il existe, en la matière, un club similaire, réunissant toutes les autorités de radioprotection européennes. Ce groupe aurait un rôle absolument essentiel à jouer dans un accident comme celui de Tchernobyl, pour lequel des mesures de protection différentes ont été prises d’un côté et de l’autre des frontières. Nous pourrions entreprendre un travail de préparation de la crise, pour savoir comment chacun d’entre nous réagirait et, si possible, harmoniser notre réaction.

M. Bruno Sido. - Votre jugement reste très mesuré sur la situation de la sûreté nucléaire en France, une situation « globalement assez satisfaisante ». Que faudrait-il faire pour que cette situation s’améliore ?

M. Pierre-Franck Chevet. - Ce jugement est en effet nuancé. Il est compliqué pour une autorité de sûreté d’affirmer que tout va bien car nous sommes toujours à la merci d’un accident que nous n’aurions pas vu venir. Cela dit, si l’ensemble de nos préconisations, prescriptions et mises en demeure sont honorées correctement, il n’est pas à exclure que nous retirions l’un des deux adverbes.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Je formulerai quelques remarques et vous demanderai peut-être d’apporter une petite amélioration dans le fonctionnement. Nous pouvons nous féliciter de l’existence d’une autorité de sûreté nucléaire. Sa mise en place fut le combat du Parlement. Vous avez souligné que le système ne fonctionnera pas avec deux gendarmes. Que faites-vous pour que la nouvelle directive ne s’oriente pas dans ce sens ? Un certain nombre de pays européens pensent que l’on peut mettre en place une autorité européenne unique sans qu’il soit besoin de systèmes nationaux. Comment organiser le système de contrôle entre la France et l’Europe ?

Un autre élément de votre propos m’apparaît d’importance. Quelles que soient nos positions sur le nucléaire et les dates de fermeture et de démantèlement des centrales, il restera du nucléaire en France durant un certain temps. Vous êtes chargés de la sûreté et vous avez évoqué le problème des déchets, mais sans lier les deux aspects. Vous avez insisté sur le rythme soutenu à conserver sur le centre de stockage géologique Cigéo. En effet, si un enseignement doit être tiré de Fukushima, c’est que le stockage des piscines ou au pied de chaque centrale ne constitue pas la solution. M. André-Claude Lacoste s’était opposé très clairement à l’avis de ceux qui estimaient qu’il n’était pas urgent de trouver des solutions de stockage en la matière. Il faut trouver, au contraire, des solutions de stockage.

L’Autorité existe. C’est une bonne chose, chacun en convient. Nous avons toutefois l’impression que vous ne disposez que de deux types de sanctions : des sanctions fortes, consistant en la fermeture des centrales, et des sanctions faibles. Ne faudrait-il pas une graduation avec des mesures intermédiaires ?

Vous avez indiqué que vous n’aviez pas la possibilité de réaliser un tableau de l’évolution des charges de maintenance, qui relève de la responsabilité de l’exploitant. Je pense au contraire que vous pourriez le faire. Vous pourriez demander des renseignements à l’exploitant puis les vérifier. L’Office l’avait déjà indiqué en 2011. Je reprendrai cette suggestion pour 2012.

Je terminerai par une remarque. Je me suis rendu à Fessenheim après Fukushima. Comme beaucoup d’autres, j’ai pensé que le radier présentait une épaisseur trop faible. Or elle ne l’est que dans le cas d’un accident. Il est évident qu’en cas d’accident, les mesures prises constituent un plus, même si l’ajout de béton cause des problèmes pour la nappe phréatique.

M. Pierre-Franck Chevet. - Je prends note de votre recommandation sur le suivi des coûts. S’agissant des sanctions, les mises en demeure constituent un moyen de pointer publiquement un élément qui n’a pas été respecté. Elles s’apparentent toutefois davantage, dans leur statut, à une lettre de rappel. Elles permettent cependant, en cas de non-respect, d’enclencher des procédures de sanction, y compris pénales. De l’autre côté du spectre, nous pouvons prononcer l’arrêt de la centrale. Il existe une variété de cas intermédiaires. Si, à un moment donné, la situation est jugée correcte, vous ne pouvez, le jour suivant, décider d’arrêter. Une telle décision apparaîtrait incohérente. Dans ce genre de situations, il s’avère extrêmement compliqué de prendre une sanction du jour au lendemain. L’un des instruments que nous pourrions développer pour agir de manière graduée consisterait à décider d’astreintes financières, faisant peser sur l’exploitant une pression dans la durée, qui l’incitent à résoudre le problème détecté. Ce genre d’outil, qui existe ailleurs, me paraîtrait utile dans le panel de l’Autorité de sûreté nucléaire. A mon sens, ce dispositif devrait être mis en place par la loi.

M. Bruno Sido. - Nous vous remercions toutes et tous de votre présence. Je lève la séance.

*

La séance est levée à 19 h 15

Membres présents ou excusés

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Réunion du mardi 16 avril 2013 à 17 heures

Députés

Présents. - M. Christian Bataille, M. Denis Baupin, Mme Anne Grommerch, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Alain Marty

Excusé. - M. Laurent Kalinowski

Sénateurs

Présents. - Mme Delphine Bataille, Mme Virginie Klès, M. Jean-Claude Lenoir, M. Bruno Sido

Excusés. - M. Gilbert Barbier, Mme Corinne Bouchoux