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Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mardi 21 mai 2013

Séance de 17h30

Compte rendu n° 30

Présidence de M. Bruno Sido, sénateur, Président

Audition de M. Jean-Claude Ameisen, président du Comité consultatif national d’éthique, sur l’organisation du débat national sur la procréation médicalement assistée (PMA)

Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mardi 21 mai 2013

Présidence de M. Bruno Sido, Sénateur, Président

La séance est ouverte à 17 h 30

Audition de M. Jean-Claude Ameisen, président du Comité consultatif national d’éthique, sur l’organisation du débat national sur la procréation médicalement assistée (PMA)

M. Bruno Sido, sénateur, président de l’OPECST : Nous vous remercions d’avoir répondu à notre invitation en tant que président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) sur l’organisation d’états généraux concernant la procréation médicalement assistée (PMA). Le CCNE a décidé d’organiser des états généraux pour élargir sa réflexion sur ce sujet. Dans ce cadre, l’article L.1412-1-1 du code de la santé publique, issu de la loi relative à la bioéthique de 2011, fait obligation au CCNE de consulter les commissions permanentes compétentes du Parlement ainsi que l’OPECST, ce qui justifie l’audition de ce jour.

Ainsi après avoir entendu le président du CCNE, notre délégation sera conduite à donner un avis sur l’organisation de ces états généraux, après la réunion du bureau de l’OPECST du 22 mai prochain.

M. Jean-Claude Ameisen, président du CCNE : Je vous remercie de m’entendre aujourd’hui. En préalable je souhaiterais définir le contexte  des travaux du CCNE. Créé il y a 30 ans, celui-ci a pour mission d’émettre des avis et d’y associer des recommandations sur les questions éthiques liées au progrès de la science dans le domaine du vivant. L’essentiel de sa mission porte sur la mise à la disposition de la société et des pouvoirs publics, des informations nécessaires pour transposer dans la vie démocratique ces évolutions, et favoriser un choix libre et informé en matière d’éthique biomédicale. Dans ce cadre, le CCNE anime des débats publics sur les grandes questions de société, mission d’ailleurs étendue par le législateur dans la loi relative à la bioéthique du 7 juillet 2011. Cette loi lui demande en effet d’initier des états généraux sous la forme de conférence de citoyens sur les projets de réforme concernant les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé. Le Comité a ainsi organisé une Journée publique de réflexion des lycéens sur « La place de la personne âgée dans la société » en mars dernier, et pour son 30ème anniversaire, il organise les 4 et 5 octobre prochain dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne un débat sur « Éthique et démocratie ».

Le CCNE est actuellement saisi de la fin de vie par le Président de la République et rendra son avis en juin prochain. Il s’est autosaisi de la problématique particulièrement importante de la PMA. Comme il s’agissait de modifier l’un des éléments de la loi précitée de 2011, Le CCNE a proposé d’organiser des états généraux. Conformément à l’article L1412-1-1 du Code de la santé publique, le CCNE a consulté les commissions permanentes (commissions des lois et commissions des affaires sociales) de l’Assemblée nationale et du Sénat et donc aujourd’hui l’OPECST. Actuellement, la PMA est ouverte aux couples de sexe différent pour remédier à une infertilité pathologique médicalement diagnostiquée ou pour éviter la transmission d'une maladie d'une particulière gravité à l'enfant ou à un membre du couple. Les membres du couple doivent être vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d'apporter la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans.

Il s’agit aujourd’hui de savoir si ces indications doivent être assouplies dans le but de répondre à des demandes sociétales, provenant de femmes célibataires ou de couples de femmes ou d’hommes, ce qui dans ce dernier cas impliquerait de recourir à la gestation pour autrui (GPA) sur laquelle le CCNE a émis un avis n°110 négatif, il y a 3 ans.

Cette question s’inscrit dans un débat plus large sur l’objet de la médecine et sur le rôle que la société entend lui voir jouer : celle-ci doit-elle intervenir pour caractériser ce qu’on considère comme des maladies ? Doit-elle répondre à des demandes sociétales, comme l’augmentation des capacités cognitives, ou de la mémoire qui soulèvent les mêmes questions ?

Les indications sociétales de l’assistance médicale à la procréation (AMP) induisent d’autres interrogations. Certaines portent l’impact de la congélation très rapide des ovocytes autorisée depuis la loi de 2011 qui permet de les conserver dans un état pratiquement semblable à celui du moment de leur prélèvement. Cela conduirait à des demandes de prélèvement d’ovocytes sur des femmes jeunes sans problème médical particulier afin de les utiliser plus tard, dans le cadre d’une AMP lorsque leur fertilité sera compromise. C’est une indication sociétale qui conduit à une interrogation sur les conditions de vie de ces femmes (en couple, célibataire), au moment de l’utilisation de ces ovocytes. Quelles seront alors ces conditions, qu’adviendra-t-il de ces ovocytes si la loi ne permet pas de les utiliser ou s’ils ne le sont pas ?

D’autres interrogations portent sur l’anonymat des donneurs de gamètes : connaitre l’identité du donneur dans le cadre d’une AMP n’aurait pas forcément la même signification en termes de filiation pour un couple de femmes et pour un couple hétérosexuel.

Le terme « médicale » dans l’expression « AMP » renvoie-t-il strictement à la médecine ou doit-on considérer qu’il s’agit d’une extension des actes médicaux pour répondre à une demande sociétale plus générale ? Quel serait alors le mode de prise en charge par la solidarité nationale  si on exclut le recours à l’assurance maladie? Cette question se pose d’autant plus que certains pays la traitent différemment au niveau de la prise en charge par les régimes de solidarité nationale. Au Royaume-Uni, le droit est très ouvert, mais en contrepartie, il n’existe aucune prise en charge, ce qui entraîne le développement d’une discrimination par l’argent.

Ce type d’analyses devrait nourrir les réflexions conduites par les citoyens consultés dans le cadre des états généraux sur l’extension de l’AMP aux indications sociétales. Les états généraux devraient se dérouler en octobre et novembre prochain, et le Comité ne rendra son propre avis qu’une fois la consultation des citoyens achevées, pour éviter d’interférer avec leur réflexion qui doit bénéficier d’une pleine liberté. Au terme de ce processus, le Comité rédigera une synthèse des conclusions qui se dégageront de la consultation citoyenne, indépendamment de son propre avis. Il le présentera à l’OPECST auquel il appartiendra de conduire sa propre évaluation à partir de ces documents et qui rédigera un rapport sur ce rapport. Tel est le système quelque peu complexe introduit par l’article L.1442 -1-1 précité.

Le CCNE considère que les contributions des citoyens pourront constituer un apport important sur l’éthique des conditions de recours sociétal à la PMA, et qu’il est également utile qu’ils réfléchissent aux indications actuelles définies par la loi de 2011 car certaines limites entre indications sociétales et indications médicales sont floues. Ainsi les limites de la fécondité biologique, vers 42 ou 43 ans, y expliquent le fort taux d’échec des PMA engagées en l’absence de don d’ovocytes. La tentative de surmonter une cause pathologique se heurte en ce cas à un problème physiologique, et non pathologique, de vieillissement.

M. Bruno Sido : Quels sont exactement les termes de la question faisant l’objet de la consultation dans le cadre des états généraux ? Quels sont les liens avec la loi sur le mariage pour tous ?

M. Jean-Claude Ameisen : Le CCNE s’étant autosaisi, aucune question n’a été formulée. Cependant, il s’agit de déterminer les conditions de dépassement dans lesquelles il sera possible de recourir à la PMA en dehors du cadre actuel défini par la loi de 2011 à savoir, un couple formé d’un homme et d’une femme vivant ensemble, en âge de procréer, et confrontés à une stérilité d’origine physiologique ou pathologique. La loi du 7 juillet 2011 prévoit le lancement d’états généraux lorsque le Gouvernement annonce un projet de réforme sur les questions de santé impliquant des problèmes d’éthique ou de société. En l’occurrence, le Gouvernement a indiqué au cours de la discussion de la loi sur le mariage pour les couples de même sexe qu’il préparait un projet de loi sur la famille prévoyant un élargissement des conditions de recours à la PMA, à des indications sociétales.

M. Bruno Sido : Qu’est-ce qui distingue l’assistance médicale à la procréation (AMP), de la procréation médicalement assistée (PMA) ?

M. Jean-Claude Ameisen : L’assistance médicale à la procréation est le terme utilisé par le législateur s’agissant d’un processus permettant éventuellement une procréation médicale assistée. C’est une distinction importante pour le législateur qui ne peut viser que la démarche préalable au résultat, et non le résultat lui-même. De la même façon, le législateur vise la prévention de la maladie, à défaut de pouvoir viser la maladie prévenue. Dans les trois quarts des cas une AMP n’est pas suivie d’une PMA, puisqu’elle n’aboutit pas à une procréation et à la naissance d’un enfant.

M. Bruno Sido : L’AMP peut-elle se concevoir aussi pour des couples d’hommes, ou l’extension de son bénéfice s’entend-il seulement pour les couples de femmes ?

M. Jean-Claude Ameisen : Actuellement le mariage n’est pas une condition d’accès à l’AMP. Les indications sociétales concernent toutes les situations possibles, femmes célibataires, couples de femmes et couples d’hommes. L’AMP bénéficie aux couples vivant ensemble depuis deux ans, sans que le mariage ne soit requis.

M. Bruno Sido : Comment concevez-vous en pratique l’organisation des états généraux ? Comment choisirez-vous les participants, et veillerez-vous à la représentativité des personnes consultées ?

M. Jean-Claude Ameisen : Il s’agit d’abord de réunir un panel représentatif de citoyens, désigné par tirage au sort, avec le concours d’un institut de sondage. En l’occurrence, nous ne mobiliserons qu’un seul panel assez large, alors que les états généraux de la bioéthique en 2009 en avaient mobilisé trois. Parallèlement, en raison de la multiplicité des questions posées, il faut identifier les experts d’horizons différents qui seront chargés de l’information du panel. Les séances d’information se dérouleront au cours de trois week-ends en octobre-novembre, avec un avis final et des recommandations formulés fin novembre ou début décembre.

M. Jean-Yves Le Déaut, député et premier vice-président de l’OPECST : Nous nous félicitons de l’organisation de ces états généraux ; car l’OPECST a organisé la première conférence citoyenne en 1998 sur les OGM. Cependant à l’époque, après la phase de choix d’experts chargés d’expliciter les questions soulevées, on a reçu des demandes pour que d’autres experts aux avis plus tranchés interviennent. On a alors laissé le choix sur un panel d’experts élargi. Cela pourrait se poser à propos par exemple de l’anonymat des dons de gamètes. Toute la partie organisationnelle de la conférence de citoyens de 1998 a été décrite, elle est à la disposition du CCNE. L’organisation des états généraux s’inspirera-t-elle de cet exemple ? L’Agence de la biomédecine y sera-t-elle associée ou bien le CCNE interviendra-t-il seul ? Y aura-t-il un lien direct avec le Gouvernement ou avec des organismes spécialisés dans les larges consultations comme la Commission nationale du débat public ? Disposez-vous des moyens matériels d’organisation ? Quels seront les coûts ?

Vous avez fait référence au lien entre le CCNE et le Parlement via l’OPECST. Ne vaudrait-il mieux pas associer les organes du Parlement dans la réflexion en organisant, parallèlement, des auditions publiques ?

M Jean-Claude Ameisen : Sur l’organisation des états généraux, nous nous sommes inspirés des exemples que vous avez évoqués. Ainsi, les deux premiers week-ends seront ceux au cours desquels les experts que nous avons proposés interviendront. Ensuite les citoyens pourront demander à entendre d’autres experts qu’ils choisiront. C’est important car, en 2009, lors des états généraux de la bioéthique, cela n’avait pas été pu être organisé par manque de temps.

Concernant l’intervention de l’Agence de la biomédecine, ou celles d’autres instances comme les espaces régionaux d’éthique [créés par l’arrêté du 4 janvier 2012 pour coordonner les initiatives en matière d'éthique dans les domaines des sciences de la vie et de la santé], il est intéressant qu’ils interviennent dans le débat public et l’animation de ce débat. D’ailleurs en 2009 l’Agence de la biomédecine avait créé un site Internet dédié aux états généraux. Nous nous sommes interrogés sur l’opportunité de déléguer à d’autres instances l’organisation du panel de citoyens, mais en tant qu’autorité administrative indépendante, le CCNE pourrait s’en charger directement et c’était peut-être le moyen le plus simple de procéder dans le cadre défini par la loi.

Comme je l’ai indiqué aux commissions compétentes, j’estime que tout ce que le Parlement pourrait faire dans le cadre d’auditions, d’animations du débat public serait bienvenu. Ceci s’applique à l’évidence à l’OPECST. Autant la loi nous demande d’organiser des états généraux sous forme de conférence de citoyens formés, autant il importe pour la sérénité et la solennité d’organiser une réflexion plus large sans doute avec l’OPECST qui pourrait jouer dans ce cadre un rôle important. Cela a permis au cours des états généraux de la bioéthique de 2009 d’éviter les difficultés rencontrées au même moment par la Commission nationale du débat public avec les nanotechnologies.

M Jean-Yves Le Déaut : Quand le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, il a déclaré que la loi adoptée n’avait ni pour objet, ni pour effet de reconnaître aux couples de personnes de même sexe un droit à l’enfant. Il a en outre invoqué le 10ème alinéa du préambule de la Constitution de 1946 qui prévoit le respect de l’exigence de conformité de l’adoption à l’intérêt de l’enfant. C’est la première fois que le Conseil constitutionnel dégage ce principe, cela lui conféra-il de facto une valeur constitutionnelle ? Quel sera son impact sur les aspects technologiques et médicaux de la PMA?

S’agissant des techniques de congélation rapide d’ovocytes que vous avez abordées ou celles visées par la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, affecteront-elles la santé de l’enfant, du fait des risques liés à l’utilisation de certaines techniques ? La technique pourra-t-elle être liée aux questions constitutionnelles abordées ? René Frydman a fait part, dans plusieurs articles, des difficultés à développer la PMA pour résoudre des cas d’infertilité. Cette généralisation n’entraînera-t-elle pas des problèmes pour la résolution des cas d’infertilité ?

À plusieurs reprises, j’ai soulevé, au sein de l’OPECST, la question de savoir si les notions de PMA et d’AMP étaient identiques, comme on pourrait le penser, alors que ce n’est pas exactement le cas. Peut-on recourir, dans une loi, à un terme regroupant des techniques différentes ? Lorsqu’on se réfère à l’AMP, il s’agit de techniques relativement simples, telles que l’insémination ou la fécondation in vitro (FIV), qui ne présentent pas les mêmes risques que de nouvelles techniques telles que l'injection intra-cytoplasmique de spermatozoïde (ICSI) ou encore des inséminations avec du sperme congelé, frais ou préparé.

Dans ce contexte, le Comité pourra-t-il rendre un avis intégrant la spécificité des techniques qui ont des impacts différents de ceux que vous avez indiqués ? Doit-on regrouper dans une seule loi sur la PMA le recours à des techniques différentes? Ne devrait-on pas s’atteler à une différenciation des techniques ? Quelles seront les conséquences sur l’anonymat des dons de gamètes de la modification de la loi?

M. Jean-Claude Ameisen. L’AMP ne confère pas de droit à l’enfant. Le cadre actuel de l’AMP répond à un désir d’enfant qui ne peut être satisfait. Dès lors que le législateur a demandé que l’homme et la femme apportent la preuve qu’ils vivent déjà ensemble, il est évident que l’intérêt est dirigé non pas sur le couple, mais sur le futur enfant, dont l’intérêt est ainsi pris indirectement en compte.

Les questions à propos de l’impact des techniques sur l’intérêt de l’enfant en cas d’autoconservation ou d’ICSI se posent autant dans les indications médicales actuelles de l’AMP que dans le cadre d’une future loi sur la famille. C’est l’occasion de les revisiter. Lorsqu’il y a deux ans et demi, le Comité a émis un avis sur la recherche concernant les cellules d’origine embryonnaire humaine et l’embryon, il lui était apparu qu’une question importante – qui était une exception à la création d’embryons à visée de recherche – toucherait aux recherches indispensables sur les embryons, lorsqu’on modifie des techniques d’AMP de telle manière que la vie de l’enfant à naître ne soit pas mise en danger. Le fait de ne pas pouvoir effectuer certaines recherches est une façon de ne pas vérifier l’innocuité des techniques mises au point sur l’enfant qui est né. Ces questions se posent en amont de l’AMP et dans le cadre même de l’AMP. Ainsi l’ICSI a été mise au point et pratiquée sans recherche préalable avant que des enfants ne soient nés, ce qui pose problème.

Si on imagine des indications d’AMP pour femmes seules ou pour les couples de femmes, il s’agirait d’indications techniques très anciennes et très simples, à savoir l’insémination artificielle avec donneur, et non nécessairement la fécondation in vitro. Certains estiment, à tort, que la simplicité de ces techniques ne nécessite pas forcément l’intervention de la médecine, alors que celle-ci reste indispensable pour des raisons de sécurité et de régulation

Faut-il distinguer l’AMP en fonction des techniques utilisées ? Ne serait-ce pas plus pertinent de procéder en fonction des problèmes traités. Le maintien de la notion générale d’AMP paraît appropriée, parce qu’elle recouvre, comme beaucoup de termes médicaux, un champ d’application. Donner des noms différents et traiter ces questions dans des chapitres différents, n’apparaît pas opportun parce que les indications de l’AMP ont une base commune, celle de permettre une procréation. Le diagnostic préimplantatoire est traité à part, parce que la visée et non la technique est différente. Il ne s’agit pas d’une AMP remédiant à une infertilité médicale, mais d’une AMP visant à prévenir la transmission d’une maladie particulièrement grave et incurable. L’indication différente nécessite le recours à une autre notion

À l’initiative de la Commission d’éthique du Québec, de grandes discussions publiques sur la fin de vie se sont déroulées. À la suite de quoi les indications sociétales de l’AMP ont été introduites dans la loi québécoise sans grand émoi public. Or il est apparu rétrospectivement qu’aujourd’hui, au Québec, les indications sociétales représentent l’immense majorité des indications de l’AMP qui n’est donc pas l’extension d’une indication médicale à une indication sociétale, l’infertilité étant rare chez les couples hétérosexuels, alors que pour les couples homosexuels, l’AMP représente le seul recours.

La chirurgie reconstructive devenue la chirurgie esthétique a connu la même évolution, aujourd’hui, la majorité des actes de chirurgie reconstructive relève de la chirurgie esthétique pour convenance personnelle. Lorsqu’on ouvre des indications, on assiste à des changements assez profonds dans la manière dont est ressentie et appliquée une technique médicale.

Le recours par des femmes seules ou par des couples de femmes à l’AMP exigerait que l’on réfléchisse de nouveau à l’anonymat des dons de gamètes.

M. Jean-Sébastien Vialatte, député, vice-président de l’OPECST : La réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel ouvre une question fondamentale que vous serez contraint d’aborder en priorité dans le débat que vous organiserez sur « droit à l’enfant » ou « droit de l’enfant ». N’estimez-vous pas que le Conseil constitutionnel met d’ores et déjà des bornes à l’extension de la PMA et au recours à la gestation pour autrui (GPA) ?

M. Jean-Claude Ameisen : Notre réflexion porte sur les questions éthiques soulevées par ces indications éventuelles de l’AMP. Dans ce cadre, les bornes de la loi actuelle soulèvent des questions, car toute indication sociétale du type de celles mentionnées se trouve hors la loi. Donc, la réflexion prenant en compte les aspects juridiques est d’abord pour le CCNE une réflexion éthique qui tiendra compte de ces aspects mais qui, par définition, les dépassera.

Le Conseil constitutionnel a émis son avis en référence à l’adoption. Or pour demander l’AMP aujourd’hui, il suffit qu’un couple vive ensemble pendant au moins deux ans sans être marié ; tandis que pour recourir à l’adoption, le couple doit être marié.

M. Jean-Yves Le Déaut : Les célibataires peuvent aussi adopter.

M Jean-Claude Ameisen : C’est exact, mais les conditions d’adoption sont plus exigeantes que pour les couples. De même, une personne célibataire peut adopter sans avoir droit de recourir à l’AMP. À l’inverse, un couple non marié a droit à l’AMP, mais ne peut adopter. Quelles sont les raisons profondes qui justifient une telle différence? Pour des raisons qui m’échappent, la manière dont l’intérêt de l’enfant est conçu pour l’adoption et pour l’AMP n’est pas du même ordre. C’est frappant et demande réflexion. Est-ce en rapport avec une certaine vision de l’intérêt de l’enfant ou de la filiation ?

M. Jean-Sébastien Vialatte : Vous avez évoqué le cas du Québec, ferez-vous une étude d’impact sur le don de gamètes et le nombre de donneurs dans le cas où la PMA serait ouverte aux couples de personnes de même sexe ? Est-il envisageable que les donneurs de gamètes aient la liberté de choisir le type de couples auxquels ils donneront ?

M. Jean-Claude Ameisen : L’anonymat des dons de gamètes implique que, d’une certaine façon, personne ne choisit rien, les donneurs ne choisissent pas les couples receveurs et vice-versa. Dans les nombreux pays où l’anonymat a été levé et où les liens sont possibles, voire étroits entre le donneur de gamètes et l’enfant à l’âge adulte, on se trouve confronté à une situation étrange dans laquelle le choix, en principe n’existe pas, alors que l’identité du donneur peut être révélée comme dans un tirage au sort. Dans certains États des États-Unis, dans lesquels l’anonymat n’existe pas, le choix et la rémunération sont possibles. Je ne pense pas qu’il faille commercialiser ces procédés. Il apparaît donc que la frontière entre non-anonymat, absence de choix et commercialisation est a priori une question importante.

M. Gilbert Barbier, sénateur : S’il on doit réviser les textes concernant l’AMP, ne faudrait-il pas revoir par la même occasion ceux concernant la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, qui ont posé problème lors de leur examen par l’Assemblée nationale ?

Sur la question du choix des techniques d’AMP, est-ce que, parmi la panoplie des techniques existantes, les couples de même sexe pourront exiger un recours au diagnostic préimplantatoire (DPI) ?

Il y a trois ans, le CCNE a rendu un avis négatif sur le recours à la GPA, mais compte tenu de l’inégalité entre les couples d’homosexuels hommes et ceux de femmes, n’est-on pas sur la voie de la légaliser pour les couples d’hommes homosexuels, sachant que la loi sur le mariage des couples de même sexe vise à combattre toute inégalité ? Comment réglera-t-on le problème du nom d’une telle assistance à la procréation, qu’on ne peut qualifier de médicale ? En outre comme pour l’IVG, la question du droit de retrait des équipes d’AMP pour ces sollicitations sera formulée.

M. Jean-Claude Ameisen : Le CCNE n’étant pas dans une phase de réponse, je prends en considération vos interrogations comme des points de réflexion intéressants. Les réponses seront apportées par l’avis du Comité et par l’organisation des états généraux.

Le panel de citoyens de Marseille en 2009, lors des états généraux organisés avant la révision de la loi relative à la bioéthique de 2011, s’est prononcé en faveur d’une recherche sur les cellules souches embryonnaires et les embryons, suivant en cela les six avis émis par le CCNE depuis 1984. Depuis son premier avis, celui-ci a recommandé une recherche encadrée sur les cellules souches et les embryons, non pour des raisons qui tiennent à leur utilité éventuelle, toute recherche étant potentiellement utile, mais parce que le Comité estimait que ces recherches ne soulevaient pas de problème éthique à partir du moment où l’embryon serait de toute façon détruit pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec ces recherches. Ces questions débattues en 2009 ne méritent pas d’être redébattues.

En revanche, les problèmes posés par les recherches effectuées sur l’embryon ou les cellules souches embryonnaires, dans le but de s’assurer que les nouvelles approches d’AMP et de fécondation in vitro n’auront pas d’éventuelles répercussions sur l’enfant à naître, sont à analyser. Le respect porté à un embryon qui n’est pas détruit à des fins de recherche est contrebalancé par le respect de l’enfant à naître, en vue d’éviter que l’absence de recherches ne lui nuise. C’est une question d’éthique médicale : jusqu’où est-il licite d’effectuer une recherche sur les embryons avant de les implanter, voire de ne pas les implanter si l’on constate des problèmes ? Ces thèmes sont directement liés à l’AMP. À cet égard, le Comité a toujours été défavorable à la création d’embryons à seule visée de recherche, à la différence de ce qui se passe au Royaume-Uni. Inversement, il s’est déclaré très inquiet que des recherches préalables n’aient pas été effectuées lorsqu’on change de technique avant de transférer un embryon. Ces problématiques méritent sans doute d’être revisitées.

Quant au diagnostic préimplantatoire, un couple peut en bénéficier en cas de maladie génétique, familiale, incurable, d’une particulière gravité et cela exige de recourir à une AMP. Ce serait le cas dans un couple de femmes dans lequel la femme qui sera la mère a, dans sa famille, un parent atteint d’une maladie génétique d’une particulière gravité.

S’agissant de la gestation pour autrui (GPA), le panel de citoyens de 2009 s’était prononcé contre, le Comité consultatif a également émis un avis négatif. Cela mérite d’être revisité, car la GPA fait partie des indications sociétales de l’AMP. Les citoyens du panel avaient pris en compte la question de l’égalité car une femme qui n’a pas d’utérus ne peut recourir à l’AMP, alors qu’une femme qui a un utérus le peut. C’est une inégalité, mais elle n’a pas entraîné l’autorisation de la GPA. Je ne vois pas pourquoi on traiterait différemment, en termes d’égalité d’accès à l’AMP, les indications sociétales de l’AMP et les indications actuelles qui sont d’ordre médical. Il ne s’agit pas là d’un problème d’égalité, mais de savoir au détriment de qui cette égalité serait obtenue. La raison pour laquelle les femmes sans utérus ne peuvent recourir à la GPA n’est pas une question d’égal accès. On considère que le recours à la GPA représente une instrumentalisation d’une femme au profit de la demande légitime d’une autre. On peut modifier la loi pour les femmes qui n’ont pas d’utérus, mais la modifier pour des couples d’hommes sans la modifier pour des femmes qui n’ont pas d’utérus me paraîtrait étrange. Cette thématique mérite d’être abordée de manière globale.

Concernant le champ de l’assistance « médicale » à la procréation, on peut faire une analogie avec la chirurgie esthétique : elle est la contribution de la médecine à une demande qui n’est pas motivée par des raisons classiquement médicales. Le terme « médical » peut être conservé, mais il faut réfléchir au champ d’application de la médecine et à son extension hors de son domaine classique. En matière de chirurgie esthétique, l’extension s’est produite. L’AMP est cependant différente dans la mesure où la chirurgie esthétique, comme d’autres approches, concerne la personne demandeuse. L’AMP concerne non seulement la personne demandeuse, mais aussi le futur enfant à naître.

Mme Virginie Klès, sénatrice, vice-présidente de l’OPECST : Je m’interroge sur les technologies médicales utilisées dans le cadre de l’AMP. Ne faudrait-il pas mettre un certain nombre de barrières sur les technologies en matière médicale, par exemple en édictant une interdiction de créer un embryon avec trois cellules. Cela n’est pas de la science-fiction, car on pourrait imaginer la création d’un embryon à l’aide de l’injection du noyau d’un spermatozoïde dans l’ovocyte d’une donneuse, en y ajoutant des mitochondries d’une cellule somatique d’un troisième donneur. Si l’on va plus loin, on se trouve devant la question du clonage.

En outre, ne devrait-on pas aussi assurer un suivi des enfants issus de fécondation in vitro sur plusieurs générations avec notamment pour but de vérifier la stabilité chromosomique ?

M. Jean-Claude Ameisen : Dans son avis n° 112 sur la recherche sur les cellules d’origine embryonnaires humaine, et la recherche sur l’embryon humain in vitro, le CCNE avait précisé que l’origine corporelle de la cellule en référence aux cellules pluripotentes induites (IPS) ne soulevait pas de problème éthique contrairement à l’origine embryonnaire de la cellule. Il avait signalé qu’une série de travaux plus avancés actuellement, avaient permis la transformation d’une cellule de peau en spermatozoïde ou ovocyte induit. Cependant pour s’assurer que l’on est en présence d’un ovocyte ou un spermatozoïde induit, il faut vérifier sa fécondité et fabriquer un embryon à visée de recherche. On peut aussi imaginer de produire un spermatozoïde et un ovocyte grâce aux cellules d’une seule et même personne et de créer un embryon à partir des cellules d’une seule personne. Certains chercheurs estiment que ces procédés pourraient pallier la stérilité.

Cependant ces questions sont indépendantes des indications sociétales de l’AMP. Il importe que l’AMP soit régulée de façon générale. Les questions sur le clonage ou sur le recours aux IPS se posent dans un contexte général et doivent s’intégrer dans la réflexion globale sur l’AMP indépendamment des indications sociétales.

Concernant le suivi des enfants issus d’AMP, il existe de nombreuses études dans le monde sur des générations, mais on est moins performant en France dans les suivis de cohortes que dans certains pays, comme les États-Unis ou le Royaume-Uni. La France est un pays qui suit moins qu’il ne prévient. Il faudrait suivre ces enfants sans les singulariser ce qui est difficile car on a souvent l’habitude d’étiqueter en France ; or il ne s’agit pas de rentrer dans une logique de stigmatisation de ces enfants, comme si on s’attendait à une catastrophe.

M. Jean-Sébastien Vialatte : Sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, sous la précédente législature, le Parlement a pris une décision différente de celle du panel de citoyens de Marseille et du CCNE. En tant que maître d’œuvre du futur débat, vous sentirez vous engagé par son résultat ?

M. Jean-Claude Ameisen : Que le Parlement prenne, concernant la recherche sur les cellules souches embryonnaires, une décision différente de l’avis du panel de citoyens, et de celui du CCNE, qui sont consultatifs, n’est pas gênant. C’est le fait qu’il n’ait pas pris en compte ces avis qui l’est. Il est regrettable que le Parlement n’ait pas expliqué dans ses débats les raisons pour lesquelles il n’avait pas suivi ces avis. À l’avenir, il est souhaitable que les éléments transmis par les panels de citoyens et par l’avis du CCNE soient pris en considération par le Parlement. La mission du CCNE est d’éclairer au mieux les choix du législateur. Le CCNE présentera un premier rapport commentant l’avis des citoyens, puis émettra un avis présentant sa propre réflexion.

M. Bruno Sido : L’OPECST devra se saisir de cette question. L’assistance médicale à la procréation se situe dans un cadre bien précis. Si on ouvre l’assistance médicale à la procréation, ne risque-t-on pas de s’orienter vers une forme d’eugénisme ? S’agissant des cellules souches, quand on commence à ouvrir une porte, on ignore jusqu’où cela mènera.

Concernant l’anonymat, vous avez soulignez que l’anonymat prévaut dans les deux sens et donc que le receveur ne connait pas le donneur. Qu’est ce qui empêcherait le donneur de refuser certains receveurs, par exemple les couples homosexuels ?

M. Jean-Claude Ameisen : Il est évident que l’on ne trouve pas les mêmes donneurs quand le don est anonyme et quand il ne l’est pas. Une sélection implicite se produit. Aujourd’hui, à ma connaissance, les donneurs ne peuvent pas faire de restriction à leurs dons. Donc on peut imaginer la continuation de ce principe quand le don est anonyme. L’absence de restriction est un corollaire à l’anonymat. On peut mettre une clause de conscience sur le don, mais cette restriction crée déjà un lien entre le donneur et le receveur.

Quant au risque d’eugénisme, ce terme  renvoie à des politiques étatiques violentes de stérilisations massives et forcées qui ont interdit à des couples d’avoir un enfant et qui ont permis à la collectivité de décider qui avait droit d’avoir ou pas un enfant ou de décider du sexe de l’enfant. C’est arrivé dans des démocraties.

Le choix qui est donné à des couples d’interrompre la grossesse en cas de maladie d’une particulière gravité soulève des problèmes éthiques radicalement différents de l’eugénisme qui au contraire interdit tout choix.

Le séquençage de l’ADN du fœtus par prélèvement de sang maternel pendant la grossesse n’entraine pas de véritables interrogations ; pourtant, les techniques nouvelles posent un problème majeur car notre législation sur les tests est en décalage complet avec ces techniques.

M. Jean-Yves Le Déaut : Aujourd’hui le débat public se focalise sur l’autorisation de l’AMP pour les couples de femmes. Un couple de femmes homosexuelles peut choisir de « louer » les services d’un donneur sans utiliser la médecine ou bien choisir de l’utiliser pour bénéficier d’une insémination. C’est une question de liberté. Il ne s’agit donc pas du même modèle de techniques que celui défini habituellement pour l’AMP selon les lois actuelles de bioéthique, qui prévoient que le recours à l’AMP sert uniquement à pallier la stérilité.

Il me semble que l’assistance sociétale à la procréation induit bien plus de questions pour les techniques de fécondation in vitro (FIV) que pour celles d’insémination. Cela entraîne un élargissement des demandes et risque de conduire les couples qui le peuvent, à choisir l’AMP pour disposer d’un suivi médical meilleur que dans le circuit classique grâce à toute une batterie d’examens et de tests plus poussés que ceux proposés habituellement. Il faudra donc se pencher sur la totalité des conséquences d’une possible ouverture de l’AMP aux demandes sociétales. Je suis très circonspect sur cet élargissement, sauf pour l’insémination.

Sur la question de la fin de vie, une commission ad hoc s’est vu confier une mission et son rapport a été remis par le Pr Didier Sicard, président d’honneur du CCNE. Travaillerez-vous avec cette commission et comment organiserez-vous le débat?

Quel est votre position sur les tests fœtaux à partir du sang maternel, sur le séquençage du génome à haut débit et les risques d’eugénisme ?

Quant à la commercialisation des autotests sur le VIH, peut-on vraiment émettre un avis éthique national et mettre en place une politique nationale quand le système européen offre une telle diversité de réponses et que d’autres pays autorisent cet autotest et bien d’autres tests?

M. Jean-Claude Ameisen : On observe une médicalisation progressive de la notion même de procréation. On constate par exemple que les jeunes femmes veulent conserver leurs ovocytes pour bénéficier éventuellement d’une FIV plus tard compte tenu de leur carrière professionnelle. L’utilisation de ces ovocytes implique la création d’un embryon in vitro. L’autoconservation des ovocytes soulève plus de problèmes immédiats que l’extension de l’AMP à des indications sociétales pour des femmes seules ou pour des couples de femmes car, si une procréation bien pensée implique de faire appel à des techniques, une procréation non médicalement assistée devient alors hasardeuse. Le regard sociétal demande à la médecine d’assurer la procréation comme elle devrait avoir lieu, et non de répondre à une préoccupation particulière. Quel est le seuil minimum que l’on croit nécessaire pour éviter les mauvaises surprises ? Il est difficile de parvenir à un équilibre entre interdire à des femmes de savoir si leur fœtus est porteur d’une maladie ou d’un handicap grave, et laisser croire que toute anomalie présente un risque qu’il n’est pas licite de prendre. Une limitation d’accès aux différentes techniques sera difficile à faire admettre, et l’extension de cet accès à ce qui est disponible, semble logique.

La Commission sur la fin de vie présidée par le Pr Didier Sicard a rendu son rapport fin décembre 2012. Nous l’avons auditionnée récemment. Le débat public organisé par cette commission a eu lieu, on attend l’avis du CCNE pour juin. Faut-il compléter ces consultations par le lancement d’une conférence de citoyens sur ce sujet  comme pour l’AMP ? La question mérite d’être formulée. Un débat complet sur la fin de vie pourrait nécessiter une telle conférence.

M. Gilbert Barbier : Je reviens sur la clause de conscience des équipes médicales qui ne voudraient pas appliquer l’AMP, car il y a un débat actuellement au sein des élus, des maires qui refuseraient d’appliquer la loi. Quel est votre avis ? Qu’attendez-vous de l’Agence de la biomédecine ? Dans un couple de femmes, pourra-t-on autoriser la procréation successivement chez l’une, puis chez l’autre ?

M Jean-Claude Ameisen : Sur l’AMP, il convient de tenir compte du changement profond de regard que la société porte sur ces problèmes et pas simplement de la réponse dans une situation donnée. Pour le séquençage de l’ADN fœtal, la façon de considérer le test génétique est liée à la rapidité de sa réalisation et à son coût aujourd’hui. Le séquençage à haut débit de l’ADN bouleverse la notion de conseil génétique en matière de diagnostic prénatal ou préimplantatoire, et soulève des problématiques entièrement nouvelles d’autant que, dans notre pays, l’accès aux tests est très restrictif : doit-on communiquer toute l’information recueillie? Est-on certain qu’elle pourra être entendue? Aujourd’hui il est devenu plus simple et moins onéreux de séquencer le génome entier qu’une partie du génome ; cela conduit à découvrir des éléments autres que ceux recherchés initialement, comme pour l’imagerie médicale. On peut envisager deux réponses, soit le médecin s’empêche de lire une partie des résultats, ce qui serait une révolution médicale, soit il lit tout, mais ne communique que ce qui lui paraît important et significatif. Le changement des techniques provoque donc un bouleversement profond du conseil génétique.

Pour les diagnostics anténataux, cela soulève des questions qui n’ont jamais été formulées. Le législateur a choisi de ne pas dresser de liste de maladies d’une particulière gravité, il a réduit cette liste à une seule pathologie : la trisomie 21. Ce test est effectué sans signe d’appel ou sans cas dans la famille. C’est dans ce cadre contradictoire qu’émerge la problématique de l’accès au séquençage du génome entier.

L’organisation de la conférence de citoyens ne nécessite pas l’aide de l’Agence de la biomédecine, en revanche, sa participation à la réflexion collective est bienvenue.

Le droit de réserve et les clauses de conscience, induisent deux interrogations : quand est-ce souhaitable ; et quand un tel droit fait-il exploser une institution fondée sur la solidarité ? Dès lors, la multiplication de ce type de clauses de conscience peut devenir problématique pour l’exercice de la médecine.

Concernant l’autorisation de procréations successives, elle représente, sous une forme très extrême, ce qu’il advient actuellement dans des familles recomposées où le couple se sépare, le père fonde une famille ailleurs et la mère de même. C’est ce qui se passerait donc dans un même couple et pas dans une succession de couples.

M. Jean-Sébastien Vialatte : N’y a-t-il pas des équipes qui sélectionnent déjà les meilleurs cas ?

M. Jean-Claude Ameisen : Il s’agit là de critères implicites restrictifs qui existent pour l’adoption, et n’ont jamais été débattus. Quand ces mécanismes de sélection sont implicites, ils présentent des dangers.

M. Jean-Sébastien Vialatte : Ne risque-t-on pas de dériver vers un droit à l’enfant parfait et d’être conduit à répondre à une demande qui considère que la médecine serait capable de faire un enfant parfait ? Quelle serait la responsabilité éventuelle de l’équipe médicale qui ferait naître un enfant handicapé du point de vue de ses parents via l’utilisation de technique d’AMP ?

M. Jean-Claude Ameisen : L’enfant parfait n’existe pas et chaque fois qu’on le définit on risque l’eugénisme. L’idée même de l’enfant parfait est délirante, et n’a pas de sens ; ainsi, dans certains pays une fille n’est pas un enfant parfait, alors que dans d’autres c’est bien le cas ! Les 800 000 femmes enceintes en France ne demandent pas un enfant parfait. Le hasard crée des surprises, tout parent souhaite être surpris c’est le sens de l’accueil d’un enfant. Dès lors, comment laisser sa chance au hasard en évitant la catastrophe ? Il convient de réfléchir à la frontière entre la diversité engendrée par cette surprise, et la catastrophe dont elle est parfois responsable. On constate cette angoisse et cette inquiétude permanentes des futurs parents de laisser sa chance au hasard, sauf bizarrement pour la trisomie 21, pour laquelle on a décidé en France que c’était la seule catastrophe que l’on avait le droit d’éviter. C’est étrange.

M. Gilbert Barbier : Vous estimez cela choquant.

M. Jean-Claude Ameisen : En effet, la focalisation sur le fait qu’il soit souhaitable qu’une femme ne donne pas naissance à un enfant handicapé uniquement dans le cas de la trisomie 21 me choque car il existe d’autres maladies génétiques et, en France, on constate une réticence à élargir les tests à d’autres pathologies d’une particulière gravité. Seule la trisomie 21 est traitée comme une catastrophe absolue.

M. Jean-Yves Le Déaut : En 1994, quand on a élargi par la loi le diagnostic préimplantatoire, contre une partie de l’opinion publique, on a d’ailleurs été traité d’irresponsable dans un article du Monde. On a donc craint d’effectuer un pas de plus, voire un pas de trop vers l’eugénisme, en dressant une liste de maladies d’une particulière gravité. Il est possible qu’une telle liste soit mieux acceptée aujourd’hui.

M. Jean-Claude Ameisen : Cette situation a une raison historique : la trisomie 21 fut le premier diagnostic possible. Il ne s’agit pas d’une maladie transmissible, elle n’interfère pas avec l’hérédité, c’est une mutation accidentelle qui n’est pas héréditaire. Il existe une réticence en France, au nom d’une vision de l’eugénisme à effectuer des tests portant sur des maladies transgénérationnelles, alors qu’on est bien moins réticent à recourir à une interruption volontaire de grossesse (IVG) en cas de maladies infectieuses comme la rubéole ou la toxoplasmose. La réticence à ouvrir l’accès aux tests génétiques est liée à la vision de l’eugénisme en France. L’idée qu’il existerait un génome normal et un génome muté est absurde mais très difficile à faire comprendre. Chacun possède des séquences génétiques différentes des autres et cette multiplicité est la source de la diversité humaine. Comme la notion de mutation a été mentionnée dans le cas des maladies génétiques, le public comprend que l’existence d’une mutation est dangereuse en soi et que son absence est un facteur de normalité. Le séquençage révèle, en effet, des mutations qui pourraient être considérées comme un risque parce qu’on ignore quelles en sont les conséquences. En outre, en France, on a une vision extrêmement négative du handicap mental.

M. Gilbert Barbier : L’IVG après une assistance médicale à la procréation est-elle possible ?

M. Jean-Claude Ameisen : En cas d’AMP, l’IVG est possible même si cela peut paraître contradictoire ; c’est une possibilité d’adaptation à ce que l’on est.

M. Bruno Sido : Vous avez expliqué que la procréation « normale » laisse plus de place au hasard que la fécondation in vitro. Pourquoi ?

M. Jean-Claude Ameisen : La FIV ouvre un accès bien plus facile à une batterie de tests très poussés. Dès lors, le droit de savoir, de même que l’interdiction de savoir, exposent à toute une série de problèmes.

M. Jean-Yves Le Déaut : Si vous aviez une auto-saisine à faire, quelle serait-elle ?

M. Jean-Claude Ameisen : Le CCNE a déjà plusieurs auto-saisines en cours. Si on en avait une nouvelle, elle porterait sur un débat important dans la communauté des chercheurs : la création d’un virus de grippe transmissibles à l’homme pour mieux en comprendre le fonctionnement et le prévenir. Mais on courrait là le risque de jouer les apprentis sorciers.

L’autre problématique qui nous tient à cœur concerne l’accès aux soins, et la difficulté croissante de cet accès pour des raisons socio-économiques. Cela n’est pas sans lien avec la question de la fin de vie et la tendance que nous avons à isoler les personnes âgées ou vulnérables dans des Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), alors qu’elles pourraient être soignées à leur domicile. On pourrait penser à une autre façon d’utiliser l’argent de la collectivité.

M. Gilbert Barbier : On pourrait préciser un accès au soin de « qualité égale » s’il on fait référence à certains types d’opérations.

M. Jean-Claude Ameisen : En effet, on observe que le niveau socio-économique des patients reste le premier facteur de mortalité dans les cancers car leur découverte est plus tardive. Est-ce que la qualité minimale des soins, considérée comme valable, est égale ? On soigne les maladies mais on prévient peu. Une auto-saisine porterait sur la thématique « accès à la prévention et accès aux soins ».

M. Bruno Sido : Nous vous remercions beaucoup monsieur le Président. Le bureau se réunira demain pour proposer l’avis de l’OPECST sollicité par le CCNE.

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La séance est levée à 19 heures

Membres présents ou excusés

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Réunion du mardi 21 mai 2013 à 17 h 30

Députés

Présents. - M. Jean-Yves Le Déaut, M. Alain Marty, M. Jean-Sébastien Vialatte

Excusés. - M. Alain Claeys, Mme Anne Grommerch, Mme Maud Olivier, M. Jean-Louis Touraine

Sénateurs

Présents. - M. Gilbert Barbier, Mme Delphine Bataille, M. Marcel Deneux, Mme Virginie Klès, M. Jean-Pierre Leleux, M. Bruno Sido

Excusé. - M. Jean-Marc Pastor