Accueil > Travaux en commission > Commission des affaires sociales > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires sociales

Mardi 25 septembre 2012

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 11

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, sur le rapport annuel sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mardi 25 septembre 2012

La séance est ouverte à seize heures vingt-cinq.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La Commission entend M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, sur le rapport annuel sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous entrons dans une période de turbulences avec le prochain examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. C’est dans cette perspective que nous recevons aujourd’hui M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, à propos du rapport annuel par lequel la Cour procède à un tour d’horizon complet de la situation de la protection sociale et aborde plus précisément un certain nombre de thèmes relevant des différentes branches.

M. Migaud, vous êtes accompagné de M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre, de M. Jean-Marie Bertrand, rapporteur général de la Cour, et de M. Jean-Pierre Laboureix, rapporteur général du présent rapport.

Comme chaque année, ce rapport particulièrement riche contribue à nourrir notre réflexion en vue du rétablissement de nos comptes sociaux et de l’amélioration de l’efficacité de notre système de santé, l’objectif étant de garantir pour tous l’accès aux soins, tout en améliorant la qualité de ceux-ci.

Le rapport confirme l’analyse déjà présentée par la Cour en juillet dernier sur la situation et les perspectives des finances publiques, estimant que 2011 n’a connu qu’une « amorce d’amélioration » et que « l’essentiel du chemin pour parvenir à l’équilibre des comptes sociaux reste à faire ».

L’équation paraît en effet difficile à résoudre : en face de déficits qui sont déjà là et sachant que les effets d’éventuelles réformes structurelles ne peuvent être immédiats, existe-t-il, à court terme, d’autres pistes que celle de l’augmentation des recettes ?

Dans la deuxième partie du rapport, la Cour se livre à des analyses plus ciblées et formule des recommandations précises méritant un examen approfondi. J’ai tout particulièrement relevé ses observations sur la mise en place des agences régionales de santé (ARS), notamment sur la nécessité de les doter de leviers financiers mieux adaptés à leurs missions, comme l’opposition parlementaire d’alors l’avait évoquée à maintes reprises ; sur le rôle de l’Ordre des médecins dans le respect de la déontologie médicale, en particulier pour le contrôle de l’application du principe « tact et mesure » afin de maîtriser les dépassements d’honoraires, l’opposition d’hier ayant également pointé l’absence de signification juridique de cette notion, et l’on peut maintenant en mesurer les effets sur le terrain ; sur la mise en place de l’interlocuteur social unique au sein du régime social des indépendants (RSI) ; enfin sur les dispositifs fiscaux et sociaux propres aux retraités, certaines de vos recommandations ayant suscité un certain émoi de la part des intéressés.

Parmi les réformes structurelles engagées par la majorité précédente afin d’améliorer l’efficience du système de soins, le dossier médical personnel (DMP), que nous avions qualifié d’usine à gaz, devait tenir une place importante. La Cour en avait traité dans ses rapports de 2008 et de 2009. Elle l’a fait à nouveau dans un rapport remis cet été à la commission des finances mais qui n’est pas encore publié. Le DMP, existant aussi sur clé USB, opacifie l’information sur les données de santé et sur les nouvelles technologies les concernant. Il aurait déjà coûté près de 500 millions d’euros : je vous demande de confirmer ce chiffre, qui me paraît très élevé eu égard aux seulement 170 000 dossiers créés, principalement chez les salariés des établissements hospitaliers sous la pression de leur hiérarchie. La Cour pense-t-elle que ce système pourra jouer le rôle imaginé par ses promoteurs ? Pensez-vous que le support par clé USB conserve sa pertinence ? Pensez-vous enfin que le dossier pharmaceutique, institué par les seuls pharmaciens, soit intégrable dans le DMP, les centres d’urgence et les SAMU s’étant déjà équipés de lecteurs de ces dossiers afin de gagner du temps lors de leurs interventions ?

M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes. L’an dernier, la Cour avait constaté un déficit social historiquement sans précédent, aggravant une spirale de la dette dangereuse pour la pérennité même de notre protection sociale. Cette dette est devenue le poison de la sécurité sociale, le déficit des comptes sociaux étant, par lui-même, une anomalie.

Le rapport de cette année montre que le déficit a certes commencé à diminuer mais qu’il demeure à un niveau trop élevé. La dette sociale continue de s’accroître. L’impératif d’élimination des déficits des comptes sociaux reste d’une urgente actualité, comme l’a également indiqué le Président de la République devant la Cour le 7 septembre dernier.

Le rapport éclaire l’ampleur de l’indispensable redressement. Il montre que celui-ci est possible en identifiant de nombreuses marges de manœuvre mobilisables par une meilleure maîtrise des dépenses et une remise à plat des niches sociales et fiscales. Il conduit à quatre grandes conclusions : malgré les mesures déjà arrêtées, l’essentiel du chemin reste à faire pour parvenir à l’équilibre des comptes sociaux et mettre fin à l’augmentation de la dette sociale ; les réformes de structure et d’organisation sont les gages les plus sûrs d’un retour à l’équilibre durable des finances sociales ; une plus grande responsabilisation des acteurs conduirait à une meilleure efficacité de la protection sociale pour un moindre coût et permettrait d’exploiter d’importants gisements de productivité à tous les niveaux ; enfin l’effort de redressement offre l’opportunité d’une évolution de la protection sociale vers davantage de justice et de solidarité, principes fondateurs de notre système de sécurité sociale.

L’essentiel du chemin reste encore à parcourir pour parvenir à l’équilibre des comptes sociaux. Leur situation financière reste extrêmement préoccupante même si le redressement a été engagé en 2011. Le déficit de l’ensemble des régimes obligatoires de base et du fonds de solidarité vieillesse (FSV), soit le périmètre le plus large incluant notamment le régime général, ceux des travailleurs indépendants et la mutualité sociale agricole, a certes amorcé un repli. Mais il reste à un niveau exceptionnellement élevé, de 23,1 milliards d’euros, après avoir atteint, en 2010, le niveau sans précédent de 29,8 milliards. À l’intérieur du périmètre plus restreint comprenant seulement le régime général et le fonds de solidarité vieillesse, le déficit a atteint 20,9 milliards en 2011, soit 1 % du PIB, contre 28 milliards en 2010, soit plus du double de celui des années 2007 et 2008 qui précédaient la crise économique. Les avis rendus par la Cour sur la cohérence des tableaux d’équilibre et du tableau patrimonial, qui seront joints au projet de loi de financement de la sécurité sociale, attestent de l’état dégradé des comptes sociaux.

L’amorce d’amélioration constatée en 2011 s’explique, avant tout, par une bonne tenue de la masse salariale, par l’apport de ressources nouvelles et par une modération des dépenses, avec le respect pour la deuxième année consécutive, et la troisième fois seulement depuis son institution, de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM). Un pilotage plus fin et plus ferme de cet objectif ainsi qu’un niveau de dépenses inférieur aux prévisions de l’année précédente ont conduit à ce résultat appréciable. Mais ce début de redressement ne doit pas masquer le constat essentiel : les déficits sociaux se maintiennent à un niveau considérable. Le déficit du régime général en 2011 est le troisième plus élevé de son histoire, après ceux de 2009 et de 2010 et l’impact de la crise économique n’en explique qu’un tiers. Les deux autres tiers, soit 0,6 point de PIB, ou 12 milliards d’euros, revêtent un caractère structurel qui se situait encore, en 2011, dans la moyenne de la dernière décennie : l’essentiel reste donc à accomplir pour revenir à l’équilibre.

La répétition, année après année, des déficits sociaux reste une spécificité française : aucun de nos voisins européens n’accepte un déséquilibre aussi durable de ses comptes sociaux. Le besoin de financement des administrations sociales, concept un peu plus large que celui de la seule sécurité sociale puisqu’il comprend aussi l’assurance chômage et les régimes complémentaires de retraite, s’élève à 0,6 point de PIB en 2011, alors qu’il est nul pour la moyenne des pays de la zone euro et excédentaire, également de 0,6 point, en Allemagne.

Les déficits des régimes de sécurité sociale se trouvant une nouvelle fois supérieurs à la capacité de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES), qui se monte à 11,2 milliards d’euros, la dette sociale a continué d’augmenter, avec un encours de 147,4 milliards d’euros à la fin de 2011. Pour illustrer la longueur du chemin qui reste à parcourir, il suffit de rapprocher ces presque 150 milliards d’euros de dette sociale des 60 milliards d’euros de dettes amorties par la CADES depuis sa création en 1996.

Pour 2012 et les années suivantes, la Cour a actualisé ses prévisions au 1er septembre en partant des estimations de la commission des comptes de la sécurité sociale du 5 juillet dernier et en intégrant les mesures que vous avez adoptées cet été. Elle observe ainsi que le rythme de réduction des déficits sociaux marque le pas. Malgré les nouvelles ressources apportées par la loi de finances rectificative du 16 août dernier, le déficit du régime général devrait être, en 2012, supérieur de près d’un milliard aux objectifs fixés par la loi de financement pour 2012, soit 14,7 milliards d’euros contre 13,8 milliards d’euros en l’état actuel des décisions prises. Une nouvelle reprise de dettes apparaît donc indispensable dès la clôture de l’exercice 2012. Car si le transfert à la CADES jusqu’en 2018 des déficits prévisionnels de l’assurance vieillesse et du FSV est déjà organisé et financé, ce n’est pas le cas de ceux des branches maladie et famille, qui devraient atteindre plus de 9 milliards d’euros en 2012. Ce transfert inéluctable nécessitera un surcroît de ressources pour la CADES : si, comme la Cour l’a précédemment préconisé, il passait par un relèvement du taux de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), ce dernier devrait alors passer de 0,50 % à 0,56 % en 2013.

Faute de nouvelles mesures de redressement, une spirale alarmante des déficits sociaux persisterait au-delà de 2012. En tenant compte de la dernière loi de finances rectificative et en retenant des hypothèses économiques prudentes, le déficit de l’assurance vieillesse et du FSV perdurerait après 2018 à un niveau de l’ordre de 9 milliards d’euros par an. Concernant l’assurance maladie, la Cour met en évidence deux scénarios à prélèvements obligatoires constants pour illustrer l’effort sur la dépense nécessaire afin de rééquilibrer la branche. Le premier permet un retour à l’équilibre en 2017 avec une croissance annuelle de l’ONDAM de 2,35 % à partir de 2014. Si ce taux demeurait à hauteur de 2,7 % au-delà de 2013, le déficit ne disparaîtrait que deux ans plus tard, en 2019. Dans la branche famille, les ressources diminuent progressivement et le déficit devrait être de l’ordre de 2 milliards d’euros par an, en l’absence de mesures nouvelles, en dépenses comme en recettes. Sans efforts complémentaires de redressement, près de 60 milliards d’euros de dettes sociales s’accumuleraient ainsi avant la fin de la décennie, en plus des 62 milliards d’euros que la loi a déjà prévu de transférer à la CADES au titre de la branche vieillesse et du FSV, de 2011 à 2018.

La dette sociale, je l’ai dit, constitue une anomalie profonde dès lors qu’elle pèse sur les générations futures. Le pays consacre déjà, chaque année, plus de 15 milliards d’euros de ressources publiques pour financer son remboursement et ses intérêts, soit deux fois plus que les dépenses budgétaires de l’État en faveur de la ville et du logement. La faiblesse conjoncturelle des taux d’intérêt ne saurait justifier une inflexion de la trajectoire de retour à l’équilibre des comptes sociaux ni la tentation de différer les transferts de dettes à la CADES, lesquelles doivent être financées, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, par des ressources suffisantes sans dégradation de l’équilibre financier de la sécurité sociale.

Pour éclairer les choix, et dans la continuité de ses rapports précédents, en particulier celui de l’an dernier, la Cour a examiné, dans les dix-huit thèmes qu’elle aborde cette année, 80 milliards d’euros de recettes et 40 milliards d’euros de dépenses. Cet examen l’a conduite à formuler un deuxième message : les réformes de structure et d’organisation représentent le gage le plus sûr d’un retour à l’équilibre durable des finances sociales. Encore faut-il que l’on soit attentif à leur conduite et à leur pilotage de manière à en dégager tous les effets attendus.

La Cour a ainsi étudié le financement de la sécurité sociale par l’impôt. Elle constate qu’à côté des cotisations sociales et de la contribution sociale généralisée (CSG), les impôts et taxes affectés constituent désormais le troisième pilier des ressources de la sécurité sociale. En 2011 ceux-ci représentaient 12 % des recettes des régimes de base, soit 54 milliards d’euros, à comparer aux 16 % tirés de la CSG. Ils ont connu une forte progression ces dernières années, notamment pour compenser le coût des allégements de charges sociales, et devraient atteindre environ 60 milliards d’euros en 2013. Or ce mode de financement est instable, peu lisible et peu responsabilisant pour l’ensemble des acteurs : il est fondé sur un foisonnement d’impôts – plus d’une cinquantaine –, avec des assiettes différentes – essentiellement la consommation (49 % du produit total) et les rémunérations (26 %) – qui n’évoluent pas de manière plus dynamique que la masse salariale. On ne peut donc attendre de l’évolution spontanée de ces impôts une contribution significative au rééquilibrage des comptes. La répartition de la ressource fiscale entre les différentes branches s’avère en outre d’une grande complexité, faisant désormais du financement de la sécurité sociale une affaire d’experts. C’est pourquoi la Cour appelle à une réflexion d’ensemble sur la place des ressources fiscales afin que le financement de la sécurité sociale redevienne un ensemble cohérent, transparent et stable. Ce qui exigera sans doute une réduction du nombre des impôts et taxes affectés.

Sans négliger la priorité absolue donnée à la maîtrise de la dépense et en raisonnant à niveau de ressources constant, différentes voies devraient être examinées. La Cour évoque notamment une augmentation de la fraction de TVA alimentant la sécurité sociale, le renforcement de la fiscalité environnementale et l’affectation de son produit à la protection sociale. Une discussion unique au Parlement de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale, suivie d’un examen commun des recettes, devrait permettre de mieux prendre en compte la mesure des enjeux et des voies d’action possibles. En tout état de cause, la stabilisation du dispositif d’affectation des taxes pour compenser les exonérations de charges sociales pourrait conduire à les intégrer dans le barème des cotisations sociales, mettant ainsi fin à l’affichage d’un niveau de prélèvements sur les salaires supérieur à la réalité.

L’examen d’une réforme structurelle des régimes spéciaux de retraite de la SNCF et de la RATP montre que l’aspect symbolique des changements opérés a été privilégié au détriment de leur contribution à l’équilibre des finances publiques. L’objectif d’harmonisation avec la fonction publique, poursuivi par les réformes entreprises en 2007 et en 2008, a été en partie atteint au prix du décalage de certains ajustements, qui se prolongera jusqu’en 2022. Il en va notamment ainsi de l’augmentation de la durée de service et d’âge pour pouvoir partir en retraite. Surtout, de nombreuses mesures de compensation conduisent à des surcoûts élevés pour les entreprises, particulièrement la SNCF. Ses agents ont bénéficié d’avantages appréciables et, parfois, de réels effets d’aubaine, que n’ont connus ni les salariés du secteur privé ni les fonctionnaires dans le cadre des réformes de leurs régimes de retraite. Les résultats prévisibles sont insuffisants pour garantir la soutenabilité financière de ces régimes et alléger la charge de l’État, qui leur verse près de 3,7 milliards d’euros de subventions d’équilibre en 2012, soit plus de la moitié de leurs ressources totales. Le bilan global de la réforme serait encore négatif pour la prochaine décennie et sans doute seulement légèrement positif pour les vingt ans qui viennent. Le rendez-vous de 2013 prévu par la loi sur les retraites éclairera plus largement les enjeux des réformes correspondantes et la nécessité de franchir de nouvelles étapes pour favoriser une plus grande équité.

La Cour appelle en troisième lieu à une amélioration de la fluidité du parcours sanitaire des patients bénéficiant de soins de suite et de réadaptation (SSR), autrement dit de soins hospitaliers de rééducation, de réadaptation à la vie quotidienne et de surveillance médicale de la convalescence. Situé à la charnière de la médecine de ville, du court séjour hospitalier et des prises en charge sociales ou médico-sociales, regroupant près de 1 800 établissements et accueillant chaque année 900 000 patients, ce secteur représente un enjeu important, bien que méconnu, générant des dépenses de l’assurance maladie estimées à 7,8 milliards d’euros en 2012. L’enquête de terrain conduite par la Cour et 14 chambres régionales des comptes montre que ces activités ont connu une expansion rapide mais sans véritable analyse des besoins. En outre, les patients peuvent être confrontés à des blocages, des délais excessifs, des orientations inadéquates et coûteuses pour leur entrée comme pour leur sortie de ces services : de 10 à 20 % des places sont occupées par des patients, soit qui devraient être pris en charge à domicile ou dans le secteur médicosocial, soit qui, au contraire, sont sortis trop tôt d’un établissement de court séjour. L’amélioration rapide du fonctionnement de la filière et la réalisation de gains d’efficience doivent donc constituer une priorité des agences régionales de santé, avant même d’envisager le passage à une tarification à l’activité qu’il serait prématuré de mettre en œuvre dès 2013 comme initialement prévu.

Au titre des réformes d’organisation évoquées par la présidente de la Commission, la Cour a étudié les conditions de mise en place des 26 agences régionales de santé. La réussite de cette réforme devrait bénéficier autant aux patients, avec une approche globale et cohérente de l’offre de soins, qu’à la maîtrise des plus de 170 milliards d’euros de dépenses d’assurance maladie. Les agences, créées en 2009, ont été installées rapidement et dans des conditions satisfaisantes. Cependant, elles ne disposent pas encore des marges de manœuvre suffisantes vis-à-vis des autres acteurs, qu’il s’agisse des préfets, de l’assurance maladie ou de l’administration centrale. En outre, elles n’ont un véritable pouvoir de décision que sur moins de 2 % des dépenses d’assurance maladie, soit 3 milliards d’euros malgré la création récente du Fonds d’intervention régional qui élargit un peu leurs possibilités d’action. Il apparaît désormais urgent de les doter des leviers indispensables à leurs missions, notamment des systèmes d’information et d’accès aux bases de données de l’assurance maladie.

La Cour a également étudié l’incidence de la création du Régime social des indépendants (RSI) en 2005. On voulait alors simplifier la gestion de la protection sociale des artisans, des commerçants et des professions libérales, notamment par le transfert du recouvrement de leurs cotisations aux URSSAF et par la mise en place, en 2008, d’un interlocuteur social unique. La réforme a provoqué des difficultés majeures pour nombre d’assurés, avec des risques de pertes de droits. À titre d’exemple, des assurés n’ont pu bénéficier de remboursements faute de carte Vitale, parfois sur des périodes de plusieurs mois. Plus de 20 000 d’entre eux ont été immatriculés avec deux ans de retard. À la mi-2011, les droits à retraite n’étaient pas à jour pour 25 à 40 % des comptes. On a aussi déploré des défauts d’encaissement de cotisations, à hauteur d’un à un milliard et demi d’euros en 2010, qui ont pesé sur les comptes sociaux, même si ce bilan reste provisoire. Certes, depuis la fin de 2011, de nombreux chantiers progressent mais le nouveau régime est encore aujourd’hui moins efficace et plus coûteux que les trois précédents. On peut, à propos de cette réforme ratée, parler d’un véritable accident industriel. Le rétablissement de la fonction de recouvrement est une priorité absolue, surtout pour un régime structurellement déficitaire et dont l’équilibre dépend d’un impôt affecté.

Le troisième constat de la Cour porte sur l’exigence d’une plus grande responsabilisation des acteurs de la protection sociale afin de mobiliser de nouvelles marges d’efficience. Ainsi la Cour a-t-elle conduit une enquête approfondie sur les transports de patients par les ambulances, les véhicules sanitaires légers (VSL) et les taxis, prestations de plus en plus nécessaires au bon fonctionnement du système de soins. La prise en charge de ces transports a bénéficié à cinq millions d’assurés en 2010, pour un coût global de 3,5 milliards d’euros à la charge de l’assurance maladie. Cette dépense a augmenté au rythme soutenu de 63 % au cours des dix dernières années. Elle représente désormais à elle seule l’équivalent de la moitié des remboursements des consultations de médecins généralistes en ville. Or des économies substantielles pourraient être obtenues par une plus grande responsabilisation des acteurs, ce dont témoigne la très grande variabilité du recours aux transports sanitaires selon les départements. Celui-ci varie en effet d’un à trois sans qu’aucune explication géographique puisse être fournie. Par exemple, dans les départements de l’Ain et de la Savoie, on dénombre 0,3 trajet par habitant en 2010, mais près d’un trajet par habitant dans les Bouches-du-Rhône, la Somme ou la Creuse.

La maîtrise de la dépense exige la mise en œuvre d’un pilotage plus ferme des prescriptions pour qu’elles respectent plus strictement la règle de l’établissement approprié le plus proche. Ainsi la caisse primaire d’assurance maladie du Val-d’Oise a mis en évidence, au travers de l’observation des transports prescrits pour les patients dialysés d’une clinique locale, que l’application effective de ladite règle se traduirait par une économie de plus de 30 % des dépenses concernées. La Cour recommande donc que certaines modalités de prise en charge soient redéfinies de façon plus rigoureuse et que le contingentement de l’offre de transport soit rendu plus efficace : le dispositif actuel facilite un suréquipement considérable en remplaçant les VSL par des taxis dont le nombre n’est pas plafonné. Le parc d’ambulances et de VSL est ainsi, dans les départements de la Somme et de la Réunion, plus de deux fois supérieur à ce qu’il devrait être. Ce dépassement atteint 65 % dans l’Aisne et 54 % en Seine-Saint-Denis. La maîtrise des dépenses passe aussi par un contrôle plus rigoureux de l’assurance maladie, notamment de la facturation par les transporteurs, et par un renforcement de la lutte contre la fraude, dont l’impact paraît très sous-évalué et la constatation rarement sanctionnée, comme dans les Bouches-du-Rhône. Au total, la Cour formule des propositions détaillées permettant d’économiser 450 millions d’euros par an, soit 13 % de la dépense totale, sans fragiliser pour autant l’accès aux soins.

Dans le même esprit, la Cour a analysé de façon approfondie les indemnités journalières pour maladie, servies par le régime général. Là encore, une plus grande responsabilisation des acteurs constituerait un levier d’économies pour des dépenses s’élevant à 6,4 milliards d’euros en 2011. Très dynamiques, elles ont progressé de près de 50 % sur la dernière décennie. Pourtant, les inégalités que la Cour a constatées, en termes de fréquence et de durée des arrêts, demeurent largement inexpliquées : d’un département à l’autre, la durée des journées indemnisées par salarié peut être multipliée par cinq. En 2010, 2,7 journées par salarié ont été indemnisées à Paris, contre 13 dans l’Ain et dans le Var. Alors que le nombre moyen de journées prescrites par médecin généraliste chaque année est de 2 700, les 10 % de médecins les plus actifs en la matière en prescrivent trois fois plus, soit 7 900. La gestion des indemnités journalières mobilise près de 10 % des effectifs de l’assurance maladie, soit 5 300 équivalents temps plein, avec un coût élevé et sans que la qualité de service soit satisfaisante : la Cour a ainsi observé des délais de règlements aux assurés pouvant atteindre plusieurs centaines de jours. Une vraie politique de régulation suppose de redéfinir les méthodes de contrôle ainsi qu’un pilotage plus ferme et plus responsabilisant de l’ensemble des acteurs, assurés sociaux, entreprises et corps médical. De nouveaux efforts de simplification et de modernisation sont également urgents pour accroître la qualité du service rendu et pour diminuer les coûts de gestion.

Enfin, la Cour a examiné les systèmes d’information de la branche famille, qui a versé près de 77 milliards d’euros de prestations en 2011 à plus de 11 millions d’allocataires. Elle a ainsi mis en lumière des priorités stratégiques floues, des retards de modernisation et des insuffisances de gouvernance. Il est donc indispensable que la négociation de la prochaine convention d’objectifs et de gestion qui lie la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) à l’État redéfinisse en profondeur ses objectifs et ses modalités de pilotage et de gestion.

Le dernier message de la Cour est que les efforts de redressement ne sont pas seulement impératifs pour préserver l’avenir de notre système de protection sociale mais qu’ils fournissent aussi l’opportunité de le faire évoluer vers plus de justice et de solidarité, principes fondateurs du système français de sécurité sociale.

La question de l’accessibilité aux soins et des dépassements d’honoraires est ainsi au cœur de l’analyse que fait la Cour des missions de l’Ordre national des médecins. En effet, si la contribution de cette institution est satisfaisante pour le suivi de la profession, son rôle de contrôle du respect par les médecins du tact et de la mesure dans la détermination de leurs honoraires a une portée trop limitée. Les saisines des instances disciplinaires sont rares, et les condamnations, quand elles ont lieu, sont généralement peu sévères. Ainsi, sur les 61 prononcées au cours des quatre dernières années, 12 se sont limitées à un avertissement ou à un blâme, une seule radiation a été décidée. Devant l’inefficacité de l’Ordre, l’assurance maladie a déployé ses propres procédures. Il en résulte de trop nombreux dispositifs, qu’il faut maintenant rationaliser et renforcer afin que notre système de santé fonctionne mieux, non seulement dans l’intérêt de la profession mais surtout dans celui des patients.

La Cour a aussi analysé la prise en charge par l’assurance maladie de certaines cotisations sociales des professions libérales de santé, pour un coût de 2,2 milliards d’euros par an. Il s’agit d’une contribution substantielle au revenu des praticiens, représentant plus de 17 % des revenus des généralistes du secteur I en 2008. Pour chaque consultation d’un montant de 23 euros, un médecin généraliste perçoit en réalité près de 26 euros grâce à cette forme de prise en charge, sans qu’il en soit toujours conscient. Ces dépenses en croissance continue devraient être beaucoup plus activement mises au service des objectifs prioritaires de l’assurance maladie. En particulier, elles devraient contribuer à une meilleure répartition des professions de santé sur les territoires, notamment par une modulation en fonction de la zone d’implantation des médecins, soit une moindre prise en charge dans les régions déjà « surdotées » et une prise en charge plus incitative dans les zones les moins denses. Un tel système pourrait aussi contribuer à limiter les dépassements d’honoraires, qui ont représenté près de 2,5 milliards d’euros en 2011.

La Cour a examiné la réalité, contrastée et multiforme, de la situation des retraités. Ses analyses ont été abondamment commentées depuis dix jours, sans toujours en refléter toutes les nuances. Que l’on ne se méprenne pas sur le sens de nos considérations : il ne s’agit nullement d’attaquer, de toiser ou d’opposer les retraités aux actifs. La Cour commence d’ailleurs par mettre en lumière la situation des personnes âgées les plus pauvres au regard de leur couverture vieillesse. Le minimum vieillesse, couvrant toujours près de un million de personnes, conserve un rôle essentiel pour limiter le taux de pauvreté des retraités les plus modestes et représente une dépense annuelle de plus de 3 milliards d’euros. Ses allocataires sont des femmes pour plus de 55 %, dont un quart a plus de 80 ans. La généralisation, au sein des différents régimes de retraites, de pensions minimales n’a pas fait disparaître le dispositif : le nombre de bénéficiaires s’est stabilisé depuis 2007 mais pourrait augmenter sous l’effet de l’arrivée à l’âge de la retraite de générations ayant connu des carrières moins linéaires. La Cour avance des propositions fortes pour que le minimum vieillesse joue plus efficacement son rôle. Elle recommande une information plus active et plus précoce des personnes éligibles, car la population potentiellement concernée demeure encore pour partie méconnue. Elle estime aussi impératif d’assurer un financement clair et soutenable de cette dépense de solidarité par un relèvement des ressources affectées au fonds de solidarité vieillesse, qui la finance aujourd’hui par la dette. Malgré la persistance de situations individuelles préoccupantes, il reste que, contrairement à une idée reçue, les retraités se placent, sous l’angle financier, dans une situation globale moyenne légèrement plus favorable que celle des actifs, notamment des plus jeunes. Cette situation résulte pour une part de l’existence de nombreux dispositifs fiscaux et sociaux dérogatoires créés au fil du temps en leur faveur avec, à l’origine, un objectif d’égalisation de leur niveau de vie et de celui des actifs.

Ce travail s’inscrit dans le cadre des travaux de la Cour sur les niches sociales et fiscales, qui l’ont conduite à examiner chaque année de nouveaux dispositifs : l’an dernier, le rapport sur la sécurité sociale a évalué ceux en faveur de l’acquisition d’une couverture complémentaire santé collective pour les salariés. Cette année, la Cour a examiné certains dispositifs fiscaux dérogatoires en faveur des personnes retraitées, qui représentent un coût total de près de 12 milliards d’euros. Alors que la contrainte exercée sur les comptes publics exige une évaluation systématique de ces dispositifs dérogatoires pour s’assurer qu’ils apportent bien un soutien à ceux qui en ont le plus besoin, il convient de réexaminer cette accumulation de mécanismes dont l’objectif – la réduction de l’écart de niveau de vie entre actifs et retraités – semble désormais atteint. La Cour ne propose nullement des suppressions brutales et aveugles de tous les dispositifs fiscaux et sociaux pris en faveur des retraités. Au contraire, elle recommande une démarche progressive et attentive à la situation des pensionnés les plus fragiles. Si elle dresse un inventaire des options possibles, dans le prolongement direct de plusieurs de ses rapports antérieurs, celles-ci n’ont aucunement vocation à être mises en œuvre de façon cumulative.

Mais il convient, par exemple, de se pencher sur le taux de CSG auquel les retraités sont soumis, bénéficiant en fonction du montant de leur retraite de trois taux s’échelonnant entre 0 et 6,6 % alors que le taux applicable aux actifs est de 7,5 %. Avec toujours le souci de ne pas fragiliser les retraités les plus modestes, la Cour estime qu’on pourrait amener progressivement le taux de CSG applicable aux seuls retraités les plus aisés au niveau du taux de CSG appliqué aux actifs. Les autres retraités continueraient d’en être exonérés ou d’acquitter un taux réduit.

Autre exemple, les retraités soumis à l’impôt sur le revenu bénéficient, comme les salariés, d’un abattement de 10 % pour frais professionnels, qui profite surtout aux pensions les plus élevées. Or, par définition, les retraités ne supportent plus de tels frais. La recommandation de la Cour, consistant à supprimer progressivement l’abattement de 10 % sur les pensions dans le calcul de l’impôt sur le revenu, préserve les retraités aux pensions les plus faibles puisqu’ils ne sont pas imposables.

Dernier exemple, les retraités qui ont élevé au moins trois enfants bénéficient d’une majoration de 10 % de leur pension, contrepartie légitime des conséquences que cela a eu sur leur déroulement de carrière. Or cette majoration, qui augmente avec le montant des retraites lui-même et bénéficie donc davantage à ceux qui touchent déjà les retraites les plus élevées, n’est pas soumise à l’impôt sur le revenu, ce qui constitue un avantage supplémentaire injustifié. Mais la Cour ne propose nullement la suppression de ces majorations en tant que telles.

Elle évoque, dans le même esprit, une mise sous condition de ressources de l’exonération de cotisations patronales accordées à tous les particuliers employeurs de plus de 70 ans, quel que soit leur niveau de revenu.

Ce réexamen nécessaire de dispositifs anciens ayant largement perdu leur justification initiale doit être mené en préservant, je le répète, les retraités les plus fragiles. Il s’inscrit aussi dans une démarche de redéploiement de moyens vers le financement de besoins sociaux accrus qui se font jour en certains domaines comme, au premier chef, la prise en charge de la perte d’autonomie des plus âgés, sans préjudice, le cas échéant, d’une contribution à l’effort de retour à l’équilibre des comptes publics.

L’analyse de la Cour se veut donc équilibrée, autant fondée sur des préoccupations financières que de justice et de solidarité. Votre Commission a d’ailleurs travaillé, dans un esprit comparable, sur la question des niches sociales.

La politique familiale est souvent citée en exemple de notre modèle social. Nous avons cherché à savoir dans quelle mesure les prestations familiales sous condition de ressources, représentant 13,3 milliards d’euros en 2010, contribuent à réduire effectivement les inégalités de revenus entre les familles. Leurs effets redistributifs sont moins marqués que ceux des prestations dites universelles, comme les allocations familiales, ce qui s’explique notamment par des plafonds de ressources trop élevés pour la prestation d’accueil du jeune enfant et par des modalités trop larges d’attribution du complément du mode de garde pour son financement à domicile. Celui-ci n’est en effet soumis à aucune condition de ressources et peut se cumuler avec des aides fiscales importantes. Les dispositions actuelles conduisent ainsi à verser un même montant de 171 euros par mois pour un enfant, que la famille dispose de 20 000 ou de 4 000 euros de revenus mensuels. Les montants en cause sont conséquents puisque les 20 % de familles bénéficiant des niveaux de vie les plus élevés reçoivent plus de 2 milliards d’euros au titre du seul complément de mode de garde. C’est pourquoi la Cour recommande que cette prestation soit soumise à une stricte condition de ressources.

Une évolution vers davantage de justice et de solidarité apparaît d’autant plus nécessaire que les récentes données sur la pauvreté rendues publiques par l’INSEE montrent que l’augmentation globale du taux de pauvreté, de 13,5 % en 2009 à 14,1 % en 2010, se concentre sur les enfants, dont le taux de pauvreté progresse de près de deux points en une seule année, passant de 17,7 % à 19,6 %, alors que celui des retraités a le moins augmenté, de 9,9 % à 10,2 %.

Ce rapport au champ très large aboutit à un total de 72 recommandations. La lecture de l’annexe consacrée au suivi de celles des trois derniers rapports sur la sécurité sociale montre que 65 % d’entre elles ont été suivies d’effet, intégralement ou partiellement.

Selon la Cour, « ce qui est déficitaire est précaire ». Si le retour à l’équilibre des comptes ne pourra se faire sans l’apport de ressources nouvelles, le redressement ne produira d’effets durables que s’il s’accompagne de progrès substantiels à tous les niveaux dans l’efficience des dépenses sociales. Cela exige une démarche volontaire, méthodique, rigoureuse et attentive au juste partage des efforts entre tous les acteurs. Plus fortement elle sera engagée, plus vite sera rétabli l’équilibre des comptes sociaux, mieux et plus durablement sera confortée notre sécurité sociale, non seulement en termes financiers mais au regard des valeurs essentielles de solidarité qui sont les siennes.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Vous venez de brosser un tableau plutôt noir de la situation, avec une paupérisation croissante de certaines catégories de la population, chez les retraités et chez les jeunes enfants, ce qui est fort inquiétant pour l’avenir de notre pays.

M. Gérard Bapt, rapporteur pour les recettes et l’équilibre général du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Vous avez exposé des perspectives difficiles pour nos comptes sociaux à moyen terme et présenté quelques pistes de réforme, notamment pour les retraités et pour les familles. Quelles réformes vous paraissent-elles envisageables concernant la branche maladie ? Comment assurer la progression annuelle de l’ONDAM que vous préconisez à hauteur de 2,4 %, quand le Gouvernement indique 2,7 % pour 2013 ?

Le redressement général des finances sociales passe aussi par des mesures relatives aux recettes. Votre rapport souligne que la fiscalité a pris une place croissante dans le financement de la protection sociale, juste derrière la CSG. Or la conférence sociale de juillet dernier a lancé une concertation à ces sujets avec les partenaires sociaux. Parmi les solutions envisagées et en tenant compte de l’exigence de la compétitivité de nos entreprises, lesquelles doivent, selon vous, être privilégiées ? L’augmentation de la TVA ou de la CSG pèserait sur le pouvoir d’achat, ce qui paraît bien difficile dans le contexte actuel. Une troisième formule résiderait dans la fiscalité environnementale. Mais sous quelle forme ?

Concernant la dette sociale, vous préconisez une augmentation d’urgence de la CRDS, de 0,5 % à 0,56 %, afin de permettre à la CADES de porter les déficits transférés. Pourquoi ne pas faire porter cette dette, encore soutenable, par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), la Caisse des dépôts et consignations et l’agence France Trésor, qui ont prouvé leur efficacité en la matière ?

Mme la présidente a évoqué les problèmes soulevés par le DMP, ce qui pose la question plus générale de la numérisation des données de santé. À la demande de notre Commission des finances, la Cour des comptes a déjà remis un rapport sur son coût et son incidence sur les budgets hospitaliers. Vous avez ainsi montré l’absence de véritable pilotage du fait de la multiplicité de pilotes non coordonnés ainsi que celle de traçabilité des conséquences financières de l’informatisation des hôpitaux, estimée au minimum à un demi milliard d’euros. Mais la Cour ne s’est pas penchée sur l’utilisation concrète du système. Notre Commission avait réclamé des expérimentations de tenue de dossiers sur support mobile, qui aurait constitué une solution plus rapide et moins onéreuse. Sa demande n’a pas été satisfaite. Pour les praticiens, hospitaliers comme de ville, le DMP ressemble un peu à l’enfant monstrueux de l’absence de pilotage soulignée par la Cour. Celle-ci ne devrait-elle donc pas prolonger son enquête sur le coût de ce système ?

M. Christian Paul, rapporteur pour la branche assurance maladie. Vous préconisez de limiter la croissance annuelle de l’ONDAM à 2,4 %. Quel serait pour vous, au sein de cette enveloppe, le bon équilibre entre l’ONDAM hospitalier et l’ONDAM des soins de ville ? Plus précisément, comment développer l’offre de soins de ville pour limiter le recours à l’hôpital ?

Vous dénoncez des dysfonctionnements dans la prise en charge des transports. Certes, les disparités qui existent d’un département à l’autre doivent nous alerter. Mais avez-vous procédé à une analyse détaillée de la typologie des transports qui justifient aujourd’hui une prise en charge par l’assurance maladie ? Car s’il existe indéniablement des abus, il y a aussi des transports dont la prise en charge est insuffisante.

Vous consacrez par ailleurs un chapitre du rapport à la prise en charge par l’assurance maladie des cotisations des professionnels de santé libéraux, aide qui pourrait favoriser une meilleure répartition des professionnels sur le territoire. Plus généralement, comment évaluez-vous les outils qui existent pour inciter à une meilleure répartition des professionnels sur le territoire ? Quel bilan tirez-vous notamment de l’avenant 20 à la convention médicale, qui conduit à mieux rémunérer l’ensemble des professionnels de santé dans les zonages du territoire jugés déficitaires ? Nous considérons pour notre part ces zonages totalement inadaptés, et ces aides insuffisamment ciblées très peu efficaces.

Pour finir, j’aimerais vous interroger sur les suites données à quelques propositions de la Cour auxquelles nous attachons une grande importance. En 2011, vous remettiez en cause les aides publiques au financement de la couverture maladie complémentaire. Les mesures prises pour favoriser l’accès aux complémentaires répondent-elles suffisamment aux besoins ? En 2010, la Cour dénonçait les dysfonctionnements de la politique de prise en charge en matière de soins dentaires, qui obéit à une nomenclature obsolète, et rappelait que la moitié des renoncements aux soins concernent les soins dentaires. Quelles suites ont été données à vos propositions ? En 2011 encore, vous évoquiez la tarification à l’activité (T2A) et la convergence tarifaire. Vous connaissez les orientations du Gouvernement sur le second point. Sur la T2A telle qu’elle avait été mise en œuvre, qui déconnectait les tarifs des coûts hospitaliers sans pour autant faciliter la maîtrise de la dépense hospitalière, quelles suites ont été données à vos recommandations ? Quels sont pour vous les ajustements les plus urgents à introduire dans le dispositif pour contrebalancer, voire annuler, un certain nombre de ses effets pervers ?

Mme Martine Pinville, rapporteure pour le secteur médico-social. Comme les années précédentes, votre rapport relève une sous-consommation de l’objectif global de dépenses (OGD) de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). La budgétisation des crédits en autorisations d’engagement et crédits de paiement instaurée il y a deux ans était pourtant censée résoudre ce problème. Ces crédits étant destinés à financer des créations de places en établissement, leur sous-consommation traduit des retards dans le processus d’investissement. Comment expliquez-vous la persistance de ce problème ? Comment améliorer la prévision des dépenses et l’efficacité des consommations ?

Le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) avait chiffré l’an dernier à 2 milliards d’euros les économies qui pourraient résulter d’une amélioration des parcours de soins des personnes âgées entre domicile, hôpital et établissements médico-sociaux. Quel rôle peuvent jouer les agences régionales de santé dans cette amélioration des parcours de soins ?

Les études menées sur les personnes âgées font ressortir que les situations économiques et sociales sont très disparates. Le processus de précarisation dénoncé par de nombreux acteurs de terrain devrait donc être apprécié non seulement en fonction des ressources financières, mais aussi d’autres éléments tels que l’habitat, la santé ou l’isolement. Ne faudrait-il pas définir les critères d’appréciation de la réalité des situations, identifier toutes les charges directes et indirectes qui affectent ces dernières et distinguer les différents phénomènes de pauvreté existant chez les personnes âgées, au regard des politiques publiques de prise en charge ?

M. Michel Issindou, rapporteur pour la branche vieillesse. Vous présentez une étude très intéressante du minimum vieillesse et de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA). Deux de vos recommandations peuvent cependant sembler contradictoires. Sachant que de nombreuses personnes qui auraient droit à l’ASPA ne la réclament pas, vous souhaitez que les caisses de retraite communiquent mieux sur ce sujet, mais vous préconisez en même temps le déplafonnement des récupérations sur succession – qui pourraient dès lors porter sur l’intégralité de la prestation. Or c’est justement pour éviter le recours sur succession qu’une partie des personnes âgées qui auraient droit à l’ASPA s’abstiennent de la réclamer…

Selon votre rapport, qui a suscité nombre de commentaires ces derniers jours, les retraités bénéficient de 12 milliards d’euros de niches fiscales et sociales en vertu de leur seule qualité de retraités. À niveau de revenu égal, un retraité paye donc moins d’impôt sur le revenu et de CSG qu’un actif. Vous observez que la réforme des retraites de 2010 n’a pas demandé d’efforts aux retraités actuels : est-ce à dire que, dans la perspective du retour à l’équilibre des régimes de retraite, ils devraient participer à l’effort collectif ?

Enfin, vous avez dénoncé les difficultés que rencontre la mise en place de la réforme du Régime social des indépendants (RSI) et de l’interlocuteur social unique. Celles-ci vous paraissent-elles de nature à vouer à l’échec la création d’un régime de retraite unique et universel ?

Mme Bérengère Poletti, suppléant Mme Geneviève Levy, rapporteure pour la branche famille. La Cour met vivement en cause le complément de mode de garde (CMG) de la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE), au motif que cette prestation est en grande partie versée aux familles dont les revenus se situent dans les déciles supérieurs, et non pas aux familles aux revenus les plus faibles. Feignant d’en conclure qu’il s’agit d’une grave anomalie, elle préconise d’instaurer un plafond pour le bénéfice du complément de mode de garde. Or celui-ci n’est pas une prestation à finalité redistributive : il est versé aux foyers qui ont un besoin de garde de jeunes enfants, donc aux foyers où les parents travaillent, dont les revenus sont logiquement plus élevés que ceux des familles inactives ou faiblement actives. Si les montants cumulés versés aux foyers modestes sont faibles, ce n’est pas parce que la prestation n’est pas assez généreuse pour eux, mais parce que les enfants y sont très souvent gardés par un parent qui ne travaille pas – ou peu.

La Cour donne pourtant à penser que la prestation serait trop généreuse pour les familles aisées et qu’il faudrait la plafonner, sans fournir d’évaluation des effets de ce plafonnement au regard des finalités de la prestation. Faut-il rappeler que le complément de mode de garde finance l’emploi direct des assistants maternels, qui est le premier mode d’accueil des enfants de moins de trois ans et le moins coûteux pour la collectivité ? La place de crèche coûte toujours plus cher à la collectivité que la garde par un assistant maternel ; elle est à la charge à la fois de la branche famille, de l’État, des communes, des départements ou des employeurs. La Cour a-t-elle conscience que le bénéficiaire du complément de mode de garde est le plus souvent une jeune mère, active, membre d’un foyer où les deux parents travaillent, qui ne souhaite pas interrompre sa carrière professionnelle et a souvent recours à un mode de garde individuel faute de trouver une place en crèche ? En cas de plafonnement, combien coûterait à la collectivité le report des familles privées de la prestation sur les établissements d’accueil, dont le niveau de subvention est plus élevé ? Si la garde individuelle est remplacée par une place de crèche, la subvention publique aux familles que la Cour qualifie d’aisées s’accroîtrait donc : n’est-ce pas un effet anti-redistributif ?

Quelles seraient enfin les conséquences du renchérissement de la garde sur le taux d’activité des mères qui ne trouvent pas de place en crèche ? C’est tout le pays qui y perdrait si le taux d’activité déclinait, ou si la raréfaction de la garde conduisait à différer ou limiter les naissances, à l’instar de ce qui se passe chez nos voisins, qui nous envient les résultats de notre politique familiale…

La Cour avait en outre conduit des analyses concernant le risque de hausse du travail dissimulé parmi les assistants maternels et les auxiliaires familiaux – qui gardent les enfants au domicile des particuliers employeurs. Oublieriez-vous qu’en 1998, lorsque le gouvernement Jospin avait réduit le montant de l’allocation de garde d’enfant à domicile (AGED), ancêtre du complément de mode de garde, le nombre de bénéficiaires avait baissé essentiellement à cause d’une hausse du travail non déclaré ?

Le rapport estime, par ailleurs, que la modernisation du système d’information de la branche famille est cruciale pour garantir la qualité du service aux usagers et la bonne gestion des ressources. Un petit nombre de priorités bien hiérarchisées devraient ainsi figurer dans la convention d’objectifs et de gestion (COG) liant l’État à la Caisse nationale d’allocations familiales. Le Gouvernement vient pourtant à peine de lancer le chantier de la nouvelle convention, qui devait entrer en vigueur avant fin 2012 et se voit donc reportée – au mieux – à la mi-2013.

Concernant les prestations servies par la branche famille pour le compte de l’État et des départements, le rapport de 2011 préconisait l’inscription dans la loi d’un principe d’acquittement de frais de gestion sur la base des coûts réels constatés. Cette méthode est subordonnée à la mise en place d’une comptabilité analytique, que les retards au plan informatique rendent bien hasardeuse. Avez-vous évalué une option différente, consistant à fixer dans la convention d’objectifs et de gestion des objectifs de réduction progressive des frais de gestion engagés, qui tiendraient compte de l’évolution du nombre des bénéficiaires de ces prestations ? Là encore, on ne peut que regretter le retard pris par le Gouvernement en la matière.

Mme Valérie Rabault, rapporteure pour avis de la commission des finances. L’hypothèse d’une croissance annuelle de l’ONDAM de 2,4 % que vous vous donnez pour objectif vous paraît-elle réaliste ?

Vous visez en priorité, pour faire des économies, les niches sociales. Avez-vous procédé à une évaluation de l’efficacité de celles qui existent ? Le cas échéant, pouvez-vous nous en dire plus ?

Vous notez la grande hétérogénéité des plafonds de ressources des barèmes applicables aux différentes prestations familiales. Pensez-vous qu’il faille établir des barèmes homogènes ?

M. le premier président. Gérard Bapt, Christian Paul et Valérie Rabault m’ont tous trois interrogé sur l’ONDAM. Entendons-nous bien : lorsque nous émettons l’hypothèse d’un ONDAM à 2,4 %, c’est pour 2014, puisque s’agissant de 2013, nous enregistrons le chiffre proposé par le Gouvernement. Nous nous sommes livrés à des simulations sur les hypothèses permettant d’envisager un retour à l’équilibre en 2017 ou en 2019. Le maintien d’un taux de croissance de l’ONDAM à 2,7 % ne permettra pas d’assurer l’équilibre des comptes sociaux en 2017 – il faudrait pour cela le réduire à 2,4 %.

Deux dynamiques modératrices de la dépense devraient cependant conjuguer leurs effets dans les prochaines années. Il s’agit d’abord de la tendance à une légère diminution du nombre de médecins au cours de la décennie, avant une nouvelle progression après 2020 suite aux décisions qui ont été prises en matière de numerus clausus. J’observe en passant que pour notre part, nous recommandions plutôt de ne pas augmenter celui-ci. La seconde dynamique à l’œuvre devrait être une panne de l’innovation dans le domaine du médicament, qui conduira à l’absence de mise sur le marché de médicaments très innovants, donc chers.

Malgré ces facteurs conjoncturels qui devraient jouer le rôle de stabilisateurs automatiques de la dépense, seule une réforme en profondeur sur tous les postes de l’assurance maladie peut conduire à une maîtrise durable de l’ONDAM tout en préservant l’égalité d’accès aux soins. Comme l’an dernier, nous avons donc formulé plusieurs recommandations. La première porte sur le niveau des prescriptions médicales, qui reste très élevé par rapport aux pays comparables, sans que la santé des Français soit pour autant meilleure que celle des Allemands ou des Britanniques. Nous appelons, par ailleurs, à des progrès dans la mise en place du parcours de soins, à des décisions fortes dans le domaine des génériques, la proportion des médicaments génériques restant inférieure en France à ce qu’elle est dans les pays comparables, à une nouvelle fixation des prix du médicament et à une accélération des réorganisations hospitalières. Je pourrai développer toutes ces propositions si vous le souhaitez. Je prendrai un seul exemple : nous avions fait observer l’an dernier que 5 milliards d’euros pourraient être économisés, à terme, si la France parvenait à aligner sa consommation de médicaments rapportée à la richesse nationale sur celle de l’Allemagne. Vous conviendrez qu’il y a matière à réflexion, car encore une fois, les Allemands ne sont pas en moins bonne santé que les Français !

J’en viens à l’assurance vieillesse. Un rendez-vous sur les retraites est prévu en 2013. Dans cette perspective, les travaux du Conseil d’orientation des retraites, dont les conclusions sont attendues d’ici à la fin de l’année, devraient permettre de mettre à plat les paramètres à réajuster pour assurer un équilibre durable des systèmes de retraite. Néanmoins, toute réforme dans ce domaine a nécessairement des effets progressifs, à moyen ou long terme. Le rapport de la Cour de juillet dernier sur la situation et les perspectives des finances publiques identifiait parmi les pistes de redressement à court terme un éventuel réexamen des mécanismes d’indexation des pensions, à l’instar de ce qu’ont fait nombre de pays européens, en protégeant bien entendu le pouvoir d’achat des pensions les plus modestes.

S’agissant du financement de la protection sociale, quant au choix de telle ou telle méthode ou de tel ou tel impôt, nous avons livré notre analyse dans le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques et dans les rapports sur les lois de financement de la sécurité sociale. Il vous appartiendra de vous prononcer sur les choix à opérer – TVA, CSG. Le problème de la compétitivité a été posé par le Président de la République et le Premier ministre. Dans ce cadre, nous avons proposé d’intégrer les allègements de cotisations sociales dans le barème des cotisations sociales, afin que le taux affiché corresponde au taux réel. La question est donc sur la table. Quant au choix de la méthode, il relève là encore de la responsabilité politique. Nous avons dit à plusieurs reprises que la piste de la CSG pouvait être privilégiée ; reste à voir dans quelle mesure. La fiscalité environnementale est une autre piste pour contribuer au financement de la protection sociale et accompagner la transition énergétique souhaitée par le Gouvernement. Nous avions d’ailleurs estimé, dans notre rapport sur les prélèvements fiscaux et sociaux en France et en Allemagne, que notre pays avait des marges de manœuvre en la matière. En revanche, on ne peut en attendre un rendement à la hauteur des besoins de financement de la sécurité sociale.

En ce qui concerne le dossier médical personnel (DMP), nous confirmons le chiffre de 500 millions d’euros pour les dépenses engagées à fin 2011, qui sont essentiellement à la charge de l’assurance maladie.

M. Antoine Durrleman, président de la 6ème chambre de la Cour des comptes. À la demande de la commission des finances de votre Assemblée, nous avons consacré au premier semestre de cette année une enquête au DMP. Nous en avons tiré un triple constat. Le premier est le caractère très imprécis des données de coût. Nous avons reconstitué une estimation de l’ordre de 500 millions d’euros, dont 210 ont été consacrés à des expérimentations préalables à la mise en place du dispositif et à son développement progressif, et environ 300 – dont nous ne pouvons assurer le suivi fin – qui concernent une série d’initiatives qui ont été lancées autour de l’informatisation de dossiers des patients. Il s’agit en particulier d’initiatives hospitalières, dont la restitution n’est guère aisée.

Deuxième constat : après de nombreuses difficultés, le dispositif est actuellement en phase de montée en charge. Au moment où nous avons achevé notre enquête courant juin, près de 1 000 DMP au contenu très hétérogène étaient créés chaque jour. Ces créations ont, pour l’essentiel, eu lieu dans le domaine hospitalier : très peu procèdent d’un dialogue entre le médecin de ville et son patient.

Troisième constat : aucun dispositif d’évaluation de l’apport du DMP n’a encore été mis en place. L’efficacité médico-économique du DMP ne sera donc pas susceptible d’être évaluée, sauf à ce que des mesures soient prises à très court terme.

Notre enquête s’est également intéressée à la dimension internationale du DMP. Nous avons conduit une enquête approfondie dans un grand nombre de pays européens, en particulier en Grande-Bretagne, ainsi qu’aux États-Unis. Nous avons ainsi repéré un certain nombre d’expérimentations de portage du DMP sur une clé USB, que nous n’avons cependant pu évaluer en raison de leur caractère récent.

M. le premier président. J’en reviens aux préconisations que nous faisons pour redresser la situation des comptes sociaux. Dès lors que la dette sociale augmente, il faudra bien la financer un jour. L’ACOSS gère aujourd’hui une grande partie – 49 milliards d’euros à fin 2010 – de cette dette. Or elle n’est pas outillée pour cela. Un certain nombre de dispositifs de gestion de la dette par la CADES sont prévus. Vous devez néanmoins, conformément à la loi organique, assurer son financement, ce qui entraîne des conséquences sur la CRDS. Bref, on aura beau la repousser, la décision devra bien intervenir à un moment ou à un autre.

M. le président de la 6ème chambre. La question que pose M. Paul sur la part respective de l’ONDAM hospitalier et de l’ONDAM soins de ville dans l’effort de maîtrise des dépenses est particulièrement sensible. Ce que dit la Cour dans le rapport de cette année, c’est que la répartition des efforts entre le secteur hospitalier et le secteur ambulatoire reste ouverte dès lors que le tendanciel des deux secteurs – c’est-à-dire les hypothèses d’évolution toutes choses égales par ailleurs – est construit de manière différente. Autrement dit, on n’évalue pas de la même façon la tendance des dépenses des professionnels libéraux de santé et celle du secteur hospitalier. Nous préconisons bien sûr un mode d’approche homogène et transparent, qui permette de documenter précisément les efforts demandés à chaque acteur du système de soins.

M. le premier président. J’en viens aux dysfonctionnements observés dans la prise en charge des transports. Nous n’avons pas procédé à une analyse détaillée de tous les transports qui justifient une prise en charge par l’assurance maladie, monsieur Paul, mais à des sondages. L’essentiel des économies potentielles que nous avons identifiées correspond à des situations dans lesquelles les règles ne sont pas correctement appliquées. J’ai cité le cas du Val-d’Oise, où l’absence d’application de la règle de l’établissement approprié le plus proche se traduit par un surcoût de 30 % sur les dépenses de transport concernées. Par ailleurs, un certain nombre de ces règles pourraient être remises en cause. Il est certain que des économies substantielles pourraient être faites sur ces 3,5 milliards d’euros de dépenses sans remettre en cause l’accès aux soins.

Malgré leur coût pour l’assurance maladie, qui s’élève à 2,2 milliards d’euros, il n’existe pas de vraie réflexion sur la prise en charge par l’assurance maladie des cotisations des professionnels de santé libéraux. Nous proposons non de réduire cette somme, mais de l’utiliser de façon différenciée pour favoriser une meilleure répartition des médecins sur l’ensemble du territoire.

La Cour avait recommandé l’an dernier de revoir l’avenant 20 à la convention médicale pour éviter les effets d’aubaine qu’il avait suscités. Son coût s’est en effet élevé à 20 millions d’euros en 2010 pour 773 bénéficiaires, soit 27 000 euros par médecin concerné. J’avais même cité le cas d’un médecin qui avait touché une prime supérieure à 100 000 euros. La nouvelle convention médicale de juillet 2011 a donc instauré un plafonnement de cette aide à 20 000 euros.

Lorsque nous nous sommes penchés l’année dernière sur les aides publiques au financement de la couverture maladie complémentaire, nous avions noté qu’elles représentaient quelque 6 milliards d’euros. Notre principale recommandation concernait l’importante niche sociale – 2,3 milliards d’euros – dont bénéficient les contrats collectifs. Nous en avions demandé la modulation en fonction de critères d’éligibilité plus stricts, voire la suppression. Cette préconisation n’a pas encore eu de suites, mais l’analyse de la Cour n’a pas varié : il s’agit d’une aide qui constitue à certains égards un effet d’aubaine.

M. le président de la 6ème chambre. S’agissant des soins dentaires, nous constatons qu’une partie des recommandations de la Cour ont été prises en compte. Notre première recommandation a ainsi abouti à la mise en œuvre d’une classification commune des actes médicaux pour l’activité de soins dentaires. La deuxième est en voie d’aboutir, puisque nous préconisions de rendre possible une différenciation des remboursements par les organismes complémentaires selon que les professionnels consultés font ou non partie des réseaux que ces organismes entendent promouvoir. Votre ancien collègue Yves Bur avait déposé un amendement visant à donner une base juridique à cette pratique dans le cadre de la discussion de la proposition de loi modifiant certaines dispositions de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires – dite loi HPST – en 2011, mais le Conseil constitutionnel a estimé qu’il s’agissait d’un cavalier législatif. Le problème reste donc entier.

Nous avons continué à suivre le sujet de la T2A, que nous avions analysé dans le rapport de l’an dernier. Nous avons constaté quelques progrès dans la récente campagne tarifaire : les modifications de la campagne 2012 ont été à la fois plus transparentes et plus limitées que les années précédentes. Or nous préconisions justement une certaine stabilisation des règles du jeu. Nous observons en revanche le maintien de la part importante des dotations pour les missions d’intérêt général et à l’aide à la contractualisation (MIGAC), dotations forfaitaires qui viennent compléter la T2A, ainsi que des coefficients géographiques bénéficiant aux établissements d’Ile-de-France, des DOM-TOM et de Corse.

M. le premier président. Comme le note Mme Pinville, on constate cette année encore une sous-consommation de l’objectif global de dépenses de la CNSA, et ce en dépit de la budgétisation des crédits en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, qui aurait dû entraîner un progrès. Cette sous-consommation est liée aux mêmes raisons qu’auparavant, à savoir la difficulté de bien programmer les ouvertures de places attendues dans certains établissements. Néanmoins, elle a fortement baissé : elle passe de 539 millions d’euros en 2009 à 247 millions d’euros en 2011 pour le secteur des personnes âgées.

M. le président de la 6ème chambre. Le rôle que peuvent jouer les agences régionales de santé dans l’amélioration du parcours de soins est un sujet crucial. À l’occasion d’une insertion au rapport public annuel de février 2012, nous avons constaté que, d’une manière générale, la prise en charge des personnes âgées a plutôt tendance à s’améliorer. Je pense notamment à l’accueil aux urgences hospitalières. Des progrès importants restent cependant à faire, notamment dans le maillage entre le rôle des intervenants libéraux de santé, le recours à l’hôpital en court séjour, la problématique des soins de suite et celle du médico-social. Ce sujet est au cœur des missions des agences régionales : il fait partie des priorités stratégiques qui leur ont été assignées. Nous n’avons pas encore évalué la manière dont elles ont rempli leurs objectifs à cet égard, puisqu’elles achèvent tout juste l’élaboration de leurs projets régionaux.

M. le premier président. Madame Pinville, nous ne remettons pas en cause, pour les personnes fragiles ou dépendantes, le principe de l’exonération de cotisations sociales patronales dont bénéficient les particuliers de plus de 70 ans employant un salarié à domicile. Toutefois, l’exonération étant accordée du seul fait de l’âge, indépendamment du niveau de revenus, une personne âgée de plus de 70 ans bien portante et dotée de revenus confortables est traitée de la même manière qu’un retraité modeste. C’est pourquoi la Cour propose de soumettre cette exonération à conditions de ressources. Il faut savoir que cette exonération, qui est aujourd’hui plafonnée à 65 fois le SMIC horaire par mois – soit une économie maximale de quelque 245 euros par mois – et profite à 585 000 bénéficiaires, coûte 380 millions d’euros.

Du reste, l’INSEE relève que le taux de dépendance des hommes et des femmes n’est que de 5 % jusqu’à 75 ans, l’âge moyen de la dépendance étant de 78 ans pour les hommes et de 83 pour les femmes. C’est pourquoi nous proposons la remise à plat de certains dispositifs, qui méritent d’être réévalués en fonction des besoins réels.

M. Issindou a pensé relever une contradiction entre deux des recommandations de la Cour. Celle-ci constate, en effet, que de nombreuses personnes éligibles à l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) ne la demandent pas, par manque d’information, ce dispositif ne faisant pas l’objet de campagnes de communication, contrairement à d’autres prestations. La Cour recommande donc de systématiser l’information à destination des personnes éligibles à l’ASPA. Cela ne lui interdit pas toutefois de demander en même temps le déplafonnement de la récupération sur succession, afin de mieux tenir compte, au nom de l’équité, de l’effort de solidarité nationale consenti envers les bénéficiaires du minimum vieillesse. Du reste, ce n’est pas tant son éventuel déplafonnement mais le principe même de la récupération sur succession qui peut conduire certaines personnes éligibles à renoncer au dispositif. Dès lors, la Cour estime que les conséquences de ce déplafonnement seraient faibles.

Madame Rabault, si la Cour s’est appesantie cette année sur la situation des retraités – l’ensemble des dispositions dérogatoires dont ils bénéficient s’élève à quelque 12 milliards d’euros –, c’est dans le cadre d’un travail continu sur les niches sociales et fiscales. Les dépenses fiscales, quelles qu’elles soient, sont insuffisamment évaluées alors même que, comme le relèvent plusieurs rapports de la Cour et de l’Inspection générale des finances, le rapport coût-efficacité de plusieurs niches fiscales est loin d’être pertinent, notamment au regard des nouveaux besoins ou des nouveaux objectifs définis par le pouvoir politique.

La situation des retraités est très contrastée. S’ils sont loin d’être tous des privilégiés, il convient néanmoins de réévaluer plusieurs mécanismes, tels que la CSG ou la fiscalisation des majorations de pension, qui ne sont pas fiscalisées pour les retraités ayant eu au moins trois enfants. De même, les retraités doivent-ils continuer de bénéficier de l’abattement de 10 % pour frais professionnels sur les pensions ? La Cour invite la représentation nationale à réexaminer l’ensemble de ces dispositions, tout en appelant son attention sur la situation très précaire dans laquelle se trouvent de nombreuses personnes âgées.

La Cour n’a pas abordé la question de la création d’un régime de retraite unique et universel dans le chapitre qu’elle consacre à l’interlocuteur social unique. Ce chapitre est essentiellement consacré aux perturbations du recouvrement des cotisations des travailleurs indépendants. Le dispositif actuel est moins performant et plus coûteux que les précédents qui, déjà, ne donnaient pas satisfaction. Une nouvelle réforme s’impose donc.

S’agissant des différents modes de garde des enfants – je réponds aux questions de Mmes Rabault et Poletti sur le sujet –, l’État doit-il aider tous les foyers indépendamment de leur niveau de revenus ? Ma réponse est négative. Les prestations ne sauraient être toutes universelles.

M. le président de la 6ème chambre. La question a été posée de savoir si la facturation au coût réel des frais de gestion des prestations versées par la CNAF pour le compte des départements et de l’État aurait un effet inflationniste sur sa gestion administrative. La Cour a proposé, l’an dernier, de diminuer à due concurrence l’enveloppe de frais de gestion qui serait directement financée par la branche, afin de provoquer un effet d’intéressement à la qualité de la gestion.

M. le premier président. Les recommandations de la Cour des comptes, ces dernières années, n’ont pas porté sur les niches fiscales ou sociales dont bénéficient les seuls retraités, mais également sur les parachutes dorés, les stock-options ou d’autres niches touchant d’autres catégories de citoyens. Certaines de ses recommandations ont d’ailleurs été suivies d’effet.

Nous pourrons, l’année prochaine, procéder à un récapitulatif de toutes nos recommandations en la matière.

M. Denys Robiliard. Monsieur le président, vous envisagez la diversification des assiettes fiscales, les prestations universelles ne devant pas continuer de reposer sur le seul travail. La Cour est-elle entrée plus en détail sur le sujet, en vue, notamment, de diminuer le coût du travail ?

Vous envisagez par ailleurs de moduler le montant de la prise en charge par l’assurance maladie des cotisations sociales des professionnels libéraux de santé en fonction de la densité médicale sur un territoire donné, de conditionner cette prise en charge au respect de certains plafonds et d’en exclure les revenus tirés de catégories d’actes donnant lieu à des dépassements quasi-systématiques : nous ne pouvons que nous en féliciter. Avez-vous identifié d’autres outils permettant d’agir sur la répartition géographique des professionnels de santé ?

La désertification médicale, en faisant disparaître les médecins de proximité, a pour effet d’augmenter le coût des transports de patients. En Loir-et-Cher, une convention signée avec l’agence régionale de santé avait permis d’étendre les horaires d’ouverture d’une maison médicale du sud rural du département de huit heures à vingt heures ainsi que le samedi matin, ce qui avait entraîné la baisse quasi-immédiate de la fréquentation des urgences de l’hôpital et celle, corrélative, des frais de transport, l’économie réalisée étant dans un rapport d’un à sept – un euro investi permettant d’économiser sept euros. Malheureusement, l’agence régionale a refusé de continuer à financer l’expérience, les lignes de crédit n’étant pas fongibles. La Cour ne serait-elle pas favorable à une plus grande souplesse en la matière ?

M. Jean-Pierre Door. Le rapport de la Cour des comptes est chaque année très attendu.

Je constate tout d’abord que l’ONDAM de la médecine de ville est respecté depuis deux ou trois ans : le corps médical a donc rempli son rôle dans le cadre de la maîtrise médicalisée des dépenses de santé.

Nous prenons acte en revanche de l’insuffisante maîtrise en matière d’arrêts de maladie et de transports sanitaires, sans oublier les fraudes sociales. Il y a là des marges de manœuvre qui ne sont en aucun cas hors de portée.

Un précédent rapport de la Cour évoquait les progrès à réaliser en matière de gestion interne et d’organisation de la gouvernance hospitalière. Il est indispensable de les réaliser.

Pour l’UMP, ce serait une erreur de mettre fin à la convergence tarifaire public-privé et de revenir sur la tarification à l’activité – T2A. Nous sommes en revanche favorables à l’augmentation de la dotation des MIGAC, s’agissant notamment de sa composante MERIC – missions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation.

Vous avez prôné une progression pluriannuelle de l’ONDAM à 2,35 %. À la suite des conclusions rendues par le comité de pilotage de l’ONDAM, conduit par M. Raoul Brillet, le gouvernement précédent avait évalué cette même évolution à 2,5 %. Aujourd’hui, le Gouvernement annonce 2,7 %, ce qui représente une augmentation de l’ordre de 4,7 milliards d’euros en 2013, augmentation irréalisable à moins de prélever de nouvelles recettes assises sur la CSG ou la TVA sociale. Qu’en pensez-vous ?

S’agissant des avantages sociaux des médecins libéraux, la remise en cause de la convention de 1971 ne risque-t-elle pas de susciter une réaction violente du monde médical ? En contrepartie des cotisations sociales payées par la sécurité sociale, les honoraires sont négociés et opposables, la consultation s’élevant aujourd’hui à 23 euros. Une remise en cause de la convention ne risque-t-elle pas de pousser la population médicale dans le secteur II, alors que 85 % des médecins généralistes sont aujourd’hui en secteur I ?

Enfin, le constat de la Cour des comptes sur la faillite du dossier médical personnel est sévère. Or qu’est devenue la disposition adoptée par le Parlement instaurant un DMP sur support mobile, qui pourrait être à disposition des praticiens ? Les décrets d’application ne sont toujours pas publiés, alors que cette solution serait plus simple et moins onéreuse.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je tiens à rappeler que le DMP sur clé USB était votre idée, monsieur Door. L’opposition de l’époque n’avait pas voté cette disposition.

M. Jean-Louis Roumegas. Les considérations des écologistes seront quelque peu décalées par rapport à celles de leurs collègues, en tout cas moins techniques.

Nous voudrions en effet mettre l’accent sur la crise sanitaire, qui est une dimension essentielle du financement de la sécurité sociale bien qu’elle soit absente de l’analyse de la Cour des comptes.

L’Organisation mondiale de la santé souligne l’apparition d’épidémies et de maladies chroniques propres à notre époque : plus 35 % de cancers chez les hommes et plus 43 % chez les femmes en vingt ans, 6 % de diabétiques supplémentaires par an, sans compter le développement de l’asthme ou de l’obésité.

Cette évolution de la situation sanitaire pèse lourdement sur les comptes de l’assurance maladie. On estime que, les dix dernières années, les dépenses liées à la prise en charge des cancers ont augmenté de 10 milliards d’euros. Le diabète coûte annuellement 12,5 milliards d’euros. Les dépenses liées au tabagisme s’élèvent à 18 milliards d’euros, alors que le tabac ne rapporte que 12 milliards d’euros à l’État.

La Cour des comptes s’est-elle déjà penchée sur les conséquences financières de la crise sanitaire pour confirmer ou infirmer ces chiffres qui proviennent du milieu associatif ?

À moyen et long termes des politiques de prévention sont nécessaires pour résoudre durablement les problèmes de financement de la santé.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Monsieur Roumegas, la MECSS a rendu, en début d’année, un rapport sur le sujet sous la plume de notre ancien collègue Jean-Luc Préel, qui s’appuyait sur une étude de la Cour des comptes.

M. le premier président. Monsieur Robiliard, la Cour des comptes a déjà constaté dans différents rapports que, contrairement à d’autres pays, le financement des politiques publiques était souvent assis en France sur le travail, ce qui n’est pas sans poser des problèmes de compétitivité. Ne conviendrait-il pas, dès lors, de substituer aux cotisations reposant sur le travail des impôts à l’assiette élargie ? La Cour avait alors évoqué la TVA, la CSG ou la fiscalité environnementale. Elle rendra à la MECSS de l’Assemblée nationale au mois de mars 2013 un rapport sur le financement de la branche famille. En tout cas, les pouvoirs publics ont inscrit cette question au calendrier des partenaires sociaux.

S’agissant de la répartition des professionnels de santé et des déserts médicaux, le rapport de 2011 de la Cour des comptes a recensé toutes les dispositions pouvant contribuer à une meilleure répartition du corps médical, en insistant sur l’intérêt des maisons médicales ou du guichet unique. Toutefois, ces dispositifs étant disparates et peu lisibles, elle conseillait de recourir à la modulation du montant des exonérations sociales, tout en suggérant une meilleure orientation des flux de formation afin d’inciter les médecins à rester sur place.

L’exemple rapporté par M. Robiliard est révélateur d’une trop grande rigidité en matière de lignes budgétaires, dont certaines devraient être fongibles, ce qui permettrait aux agences régionales de santé de prendre des initiatives en matière d’économies. Nous en appelons à un accroissement des compétences des agences et à une plus grande responsabilisation des acteurs.

Monsieur Door, ce n’est pas la Cour des comptes qui prône une évolution de l’ONDAM à 2,35 % à partir de 2014. Elle ne fait que tirer les conséquences de l’objectif, affiché, de parvenir en 2017 à l’équilibre des comptes sociaux. Un ONDAM à 2,7 %, à prélèvements obligatoires constants, repousserait cet objectif à 2019.

La Cour, monsieur Roumegas, qui n’ignore pas l’existence de besoins sanitaires très importants, sait très bien que les dépenses de santé continueront d’augmenter. Cela n’en rend la maîtrise des dépenses actuelles que plus impérieuse encore. Or des marges existent et des économies peuvent être réalisées dans nombre de secteurs pour redresser les comptes sociaux, en agissant à la fois sur les dépenses et sur les recettes.

Il faut, en matière de recettes, réexaminer l’ensemble des niches fiscales et sociales, voire recourir à de nouveaux impôts et, en matière de dépenses, prendre en considération les propositions contenues dans de nombreux rapports. La représentation nationale pourra ainsi répondre à l’augmentation prévisible des besoins, qui ne passe pas obligatoirement par une augmentation des dépenses : des efforts sont à réaliser pour réduire les coûts dans certains domaines, y compris celui des affections de longue durée.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Monsieur Door, la loi de finances rectificative a déjà permis d’apporter de nouvelles recettes. Le Gouvernement agit : vous pouvez être rassuré.

M. Jean-Louis Touraine. Le rapport souhaite l’amélioration des relations entre les différents organismes de santé, qu’il s’agisse des relations entre l’assurance maladie et les agences régionales de santé, ou l’Ordre des médecins pour limiter les abus de dépassements d’honoraires, maîtriser les prescriptions ou assurer la permanence des soins, ou des relations entre l’Ordre des médecins et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), pour prévenir les conflits d’intérêts. Quelles mesures préconisez-vous pour renforcer les liens entre ces différents organismes, en vue d’accroître leur efficacité respective ?

M. Bernard Perrut. Vous êtes particulièrement sévère avec la CNAF : évoquant une gouvernance inefficiente, une stratégie incertaine ou une trop grande dispersion des structures et des moyens, vous préconisez d’« axer la prochaine convention d’objectifs et de gestion sur un petit nombre de priorités hiérarchisées ». Quelles missions des caisses d’allocations familiales convient-il de redéfinir, notamment pour recentrer leur action sur les familles les plus vulnérables ? Comment redéfinir les modalités de pilotage et de gestion ? Quels objectifs vous paraissent stratégiques ? Quel bilan tirez-vous de la réorganisation récente des caisses sur le territoire ?

M. Gérard Sébaoun. Le rapport observe que les branches maladie et famille sont les premières bénéficiaires d’impôts et de taxes sans cesse plus nombreux – vous en répertoriez une cinquantaine.

Vous notez également que les taxes augmentent année après année, celles sur le tabac et les alcools constituant des recettes importantes mais peu vertueuses en termes de santé publique. Que pensez-vous d’un système qui se donne, de manière paradoxale, bonne conscience en capitalisant sur la consommation de produits nocifs ? Ne conviendrait-il pas d’affecter ces taxes à un autre secteur que la maladie dans le cadre d’une simplification des recettes fiscales ? Le choix appartiendrait à la représentation nationale, votre rapport ouvrant plusieurs pistes.

Mme Kheira Bouziane. La prévention, en évitant des dépenses, permettrait de réaliser des économies importantes. Or, en raison de l’évolution de la démographie médicale, elle risque d’être sacrifiée. Est-il besoin d’insister sur l’insuffisance de la prévention en direction des enfants ou des salariés, compte tenu de l’état de la médecine scolaire ou de la médecine du travail ? Quant à la prévention en direction des personnes âgées, elle relève aujourd’hui d’actions volontaristes d’associations et de centres communaux d’action sociale. La développer en vue d’éviter des pathologies ne serait-il pas préférable à la réduction des prestations ?

S’agissant du nombre des indemnités journalières versées au titre de la maladie par le régime général, vous avez évoqué la disparité entre les territoires. Avez-vous aussi observé des disparités entre les catégories socioprofessionnelles et pris en compte les tensions pouvant exister sur le marché du travail ?

M. Dominique Tian. La possibilité pour le patient de masquer certaines données du DMP le rend, à mon avis, totalement inopérant – c’est un vice de conception, qui l’empêchera de connaître le succès. En revanche, l’idée de la clé USB, dont Jean-Pierre Door est à l’origine, pourra réussir puisqu’elle ne vise que les patients souffrant d’une ALD, c’est-à-dire un public ciblé, et que les données ne sont pas masquées.

S’agissant de l’explosion du nombre des indemnités journalières – plus 50 % en dix ans –, je sais que les Bouches-du-Rhône, en termes de disparités régionales, ne donnent pas l’exemple. Il existe un problème, déjà ancien, de gouvernance entre les caisses primaires et la Caisse nationale d’assurance maladie. Le rapport oublie en revanche de mentionner les disparités existant entre le privé et le public – vingt-deux jours de maladie dans un conseil général ou régional contre onze jours dans le secteur privé.

Dans Les Échos, ce matin, les directeurs des hôpitaux publics demandent le maintien du jour de carence adopté l’année dernière, qui a déjà permis aux hôpitaux de réaliser plus de 60 millions d’euros d’économies, et entre 120 et 140 millions d’euros dans la fonction publique. Or le Gouvernement a engagé des négociations sur ce sujet avec les syndicats. La Cour des comptes ne pourrait-elle pas lui recommander de conserver cette mesure juste et efficace ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je me suis rendue vendredi dernier au Forum de l’exclusion sociale, avec ATD Quart Monde, aux côtés de M. Martin Hirsch. Certes, les fraudes sociales existent, mais il ne faut pas non plus oublier que, selon les secteurs, entre 50 % et 60 % de personnes éligibles à certains dispositifs sociaux ne demandent pas à en bénéficier par manque d’information.

Le coût de l’exonération des cotisations sociales des professionnels de santé ayant encore augmenté pour atteindre quelque 2 milliards d’euros, cette exonération doit servir, dans les négociations, de levier pour inciter ces professionnels à s’installer là où on a besoin d’eux. Il est tout de même paradoxal que la solidarité nationale, qui déjà solvabilise ces professions, leur finance en plus les cotisations sociales. Il serait bon d’enseigner l’économie de la santé aux étudiants des professions médicales.

Monsieur le président, vous avez déclaré que le prix des médicaments allait se stabiliser durant quelques années, faute de médicaments innovants. N’oublions pas toutefois que nous nous orientons vers des stratégies médicamenteuses ciblées, qui, en s’adressant à des populations étroites, coûteront de plus en plus cher. En biomédecine, les traitements peuvent atteindre entre 25 000 et 30 000 euros. On peut toujours refuser, comme aux États-Unis, de gagner six mois de vie sur une grosse pathologie, mais je ne souhaite pas que mon pays fasse ce choix.

M. le premier président. C’est bien parce que des besoins ne sont pas couverts qu’il faut être exigeant sur l’efficacité de la dépense et réaliser toutes les économies possibles. À l’exception des Pays-Bas ces dernières années, la France est le seul pays à accepter un déficit durable de ses comptes sociaux, dont nous reportons la charge sur les générations futures, alors même que, comme vous l’avez noté, elles seront confrontées au financement de traitements très lourds. Notre génération doit s’interroger sur sa responsabilité, d’autant que la dette sociale demeure très élevée – 145 milliards d’euros. À un moment donné, c’est l’existence même du dispositif qui sera remise en cause. Il faut, à la fois, ajuster les recettes en s’interrogeant sur la pertinence de certains mécanismes dérogatoires et réduire les dépenses, grâce à une meilleure organisation du système de santé et à une meilleure maîtrise des prescriptions, sans remettre en cause l’accès aux soins.

M. le président de la 6ème chambre. Il est vrai que l’assurance maladie a été très hostile à la création des agences régionales de santé. Certes, des progrès sont en cours – l’assurance maladie a ouvert ses bases de données aux médecins des agences –, mais la région n’est pas encore un niveau d’organisation reconnu par tous les partenaires. Par exemple, l’Ordre des médecins est historiquement organisé en conseils départementaux. La légitimité des conseils régionaux de l’Ordre, récemment créés, est faible.

Quant aux relations entre les caisses primaires d’assurance maladie et l’Ordre, elles sont aisées sur le plan personnel mais conflictuelles sur le plan institutionnel. Plus les agences régionales de santé s’inscriront dans un paysage régional clair et seront capables de nouer des liens avec les différents partenaires, plus fluides seront les relations entre ces institutions puissantes.

S’agissant des systèmes d’information de la Caisse nationale des allocations familiales, notre constat, il est vrai sévère, en rejoint d’autres : le réseau des caisses est mal piloté et très lâche, ce qui n’est pas sans incidence sur la fiabilité des comptes des organismes de la branche. C’est pourquoi nous avons refusé de les certifier au mois de juin. La réorganisation des caisses sur le territoire n’a donc eu aucun effet sur le plan comptable. En a-t-elle eu sur celui de leur efficacité ? Elle est encore trop récente pour en juger.

L’affectation des taxes sur le tabac et l’alcool aux organismes de sécurité sociale répond à la logique du pollueur-payeur : elle est donc cohérente. D’un autre côté, elle peut les mettre en porte-à-faux, d’autant que nous pouvons légitimement espérer que l’effort de prévention se traduira par une diminution des recettes.

Nous avons remis l’an dernier à la MECSS un rapport sur la prévention sanitaire, qui fait le point sur son organisation. C’est un dispositif insuffisamment coordonné entre l’État et l’assurance maladie et très insuffisamment financé, même si une bonne partie de l’effort passe par les consultations des médecins et n’est donc pas identifié en tant que tel. La MECSS a repris nombre de nos propositions dans son propre rapport.

La Cour ne s’est pas penchée sur le fonctionnement du DMP : elle a cherché à en connaître les coûts, à travers un véritable travail de détective, qui n’est pas encore achevé. Nous y reviendrons.

La partie relative aux indemnités journalières est la synthèse d’un rapport de 150 pages que nous vous avons remis courant juillet. Il analyse de manière plus complète les disparités territoriales, en fonction notamment de l’environnement de travail des différents bassins.

Nous savons que, d’ici à quelques années, des molécules innovantes entreront sur le marché, provoquant une augmentation des prix. La panne de l’innovation à laquelle nous assisterons entre-temps aura un effet de régulation de la dépense pharmaceutique, dont le chiffre d’affaires s’oriente à la stabilité, voire à la baisse dès cette année.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je vous remercie, messieurs.

La séance est levée à dix-huit heures cinquante.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mardi 25 septembre 2012 à 16 heures 15

Présents. - M. Bernard Accoyer, M. Gérard Bapt, Mme Gisèle Biémouret, M. Jean-Claude Bouchet, Mme Kheira Bouziane, Mme Sylviane Bulteau, M. Jean-Noël Carpentier, M. Gérard Cherpion, M. Rémi Delatte, M. Jean-Pierre Door, M. Dominique Dord, M. Jean-Marc Germain, M. Jean-Patrick Gille, Mme Linda Gourjade, M. Henri Guaino, Mme Joëlle Huillier, Mme Sandrine Hurel, M. Christian Hutin, Mme Monique Iborra, M. Michel Issindou, M. Denis Jacquat, Mme Bernadette Laclais, Mme Conchita Lacuey, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Annie Le Houerou, Mme Catherine Lemorton, M. Jean Leonetti, M. Céleste Lett, Mme Véronique Louwagie, M. Laurent Marcangeli, Mme Véronique Massonneau, M. Christian Paul, M. Bernard Perrut, Mme Martine Pinville, Mme Bérengère Poletti, M. Denys Robiliard, M. Arnaud Robinet, Mme Barbara Romagnan, M. Jean-Louis Roumegas, M. Gérard Sebaoun, M. Fernand Siré, M. Jonas Tahuaitu, M. Dominique Tian, M. Jean-Louis Touraine, M. Olivier Véran

Excusés. - M. Gilles Lurton, Mme Dominique Orliac

Assistaient également à la réunion. - Mme Valérie Rabault, M. Lionel Tardy