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Commission des affaires sociales

Mercredi 13 mars 2013

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 42

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

–  Audition, ouverte à la presse, de la CGT, organisation syndicale non signataire de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, représentée par M. Thierry Lepaon, Mmes Francine Blanche et Agnès Le Bot, membres de la commission exécutive confédérale, et Mme Anne Braun, conseillère juridique, sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi (n° 774)

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 13 mars 2013

La séance est ouverte à seize heures quinze.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La Commission entend la CGT, organisation syndicale non signataire de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, représentée par M. Thierry Lepaon, Mmes Francine Blanche et Agnès Le Bot, membres de la commission exécutive confédérale, et Mme Anne Braun, conseillère juridique, sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi (n° 774).

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous poursuivons nos auditions concernant le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi. Nous avons reçu, hier, les ministres Michel Sapin et Thierry Repentin, et, ce matin, les négociateurs des trois organisations syndicales de salariés qui ont signé l’accord national interprofessionnel du 11 janvier dernier, à savoir la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC.

Il m’a semblé nécessaire d’entendre également les deux organisations syndicales qui, certes, n’ont pas signé l’accord national, mais ont participé jusqu’au bout à la négociation. À ce sujet, mon intention initiale était, comme ce fut le cas ce matin pour les organisations signataires, de réaliser une audition commune de la CGT et de FO, mais des problèmes d’agenda de nos interlocuteurs m’ont conduite à retenir le principe de deux auditions séparées – FO ne pouvait être présente cet après-midi, et la semaine prochaine la CGT tient son congrès à Toulouse.

Nous recevons donc cet après-midi les représentants de la CGT en la personne de Mme Agnès Le Bot, secrétaire confédérale, accompagnée de M. Thierry Lepaon et Mme Francine Blanche, responsables nationaux, et de Mme Anne Braun, conseillère fédérale.

Mesdames, messieurs, vous nous direz quelle est votre vision globale de l’accord et pour quelles raisons vous avez décidé de ne pas le signer.

Même s’il est largement lié à l’appréciation que vous portez sur l’accord, quel est votre sentiment sur le projet de loi et sur la manière dont il retranscrit l’accord ? Vous a-t-il, sur certains points, apporté quelques apaisements ?

M. Thierry Lepaon, membre de la commission exécutive confédérale. Je vous remercie d’avoir fait le choix d’auditionner l’ensemble des organisations syndicales de salariés, y compris celles qui n’ont pas signé l’accord du 11 janvier dernier.

Le dimanche 6 mai 2012, François Hollande était élu Président de la République. À cette occasion, la commission exécutive confédérale de la CGT déclarait : « Le résultat de l’élection présidentielle exprime un "désaveu" pour le président sortant. Sa politique autoritaire et antisociale, son passage en force sur la réforme des retraites et sa façon de gouverner sont maintenant clairement sanctionnés… Les salariés, les retraités et les privés d’emploi ont ainsi confirmé leur refus de payer la facture d’une crise économique dont ils ne sont pas responsables ».

Notre organisation concluait en appelant « l’ensemble des salariés, retraités et privés d’emploi à conforter la place que les réponses aux revendications sociales doivent prendre dans les politiques à venir ».

Les engagements et les promesses du candidat Hollande, puis son élection, ont fait lever un espoir de changement que les électeurs ont voulu rendre possible par leur vote aux élections législatives qui ont suivi. Ils ont porté à l’Assemblée nationale une majorité de députés des différents partis de gauche.

Il n’est pas exagéré de dire que les salariés, les retraités et les demandeurs d’emploi, par leur engagement lucide et déterminé, par leurs luttes, ont pris toute leur part dans cette importante victoire politique. Leurs attentes demeurent à la mesure de cet engagement.

Lors de la Grande conférence sociale de juillet 2012, les discours du Président de la République et celui du Premier ministre nous ont semblé aller dans le sens d’une réelle prise en compte de ces attentes.

Ainsi François Hollande déclarait dans son discours inaugural que lorsque des efforts sont demandés, il faut, pour qu’ils soient acceptés, en comprendre le sens. Il faut qu’ils soient répartis dans la justice. Il appelait enfin à mobiliser nos forces pour le progrès et à restaurer la confiance en l’avenir.

Dans son discours de clôture, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault déclarait pour sa part : « Je vous propose une nouvelle démarche pour la sécurisation de l’emploi. Le Gouvernement invitera les partenaires sociaux, sur la base d’un document d’orientation transmis en septembre 2012, à négocier au niveau national interprofessionnel, avant la fin du premier trimestre 2013, les conditions d’une meilleure sécurisation de l’emploi.

« Cela suppose d’avancer sur deux fronts. D’abord, lutter contre la précarité de l’emploi. Le recours aux CDD, à l’intérim, au temps partiel subi, ne peut être un modèle qui se généralise. Son coût doit être, à mon sens, renchéri en agissant sur les cotisations d’assurance chômage.

« Trouver ensuite les moyens d’accompagner les mutations économiques. Dans tous les cas, il faut tout faire pour maintenir l’emploi. Mais les voies à emprunter diffèrent selon la situation de l’entreprise. Quand une entreprise rencontre des difficultés conjoncturelles, il faut définir des leviers plus efficaces du maintien de l’emploi. Lorsque des licenciements collectifs sont envisagés, il faut améliorer et sécuriser les procédures. Mais il faut aussi encadrer les licenciements abusifs et en cas de projet de fermeture de site rentable, créer une obligation de recherche de repreneur ».

C’est à l’aune de ces orientations que nous nous sommes préparés à engager la négociation sur ce qui a été appelé « sécurisation de l’emploi ». La CGT a abordé cette négociation sereinement et avec la volonté d’aboutir. Nous avions pris note des pressions que le MEDEF faisait peser sur l’exécutif, mais nous avions l’espoir que celui-ci, avec le soutien des syndicats de salariés, saurait y résister.

Le document d’orientation du Gouvernement pour la négociation nationale interprofessionnelle pour une meilleure sécurisation de l’emploi du 7 septembre 2012 a conforté notre espoir. Il identifiait quatre domaines d’action : lutter contre la précarité sur le marché du travail ; progresser dans l’anticipation des évolutions de l’activité de l’emploi et les compétences ; améliorer les dispositifs de maintien dans l’emploi dans les entreprises confrontées à des difficultés ; améliorer les procédures de licenciements collectifs par des actions d’anticipation ou d’activité partielle.

Sur la base de ces objectifs, une négociation loyale pouvait être engagée. Comme l’affirmait ce document : « Il y a une voie, celle du dialogue social. À condition qu’il soit loyal, confiant, transparent, apaisé et qu’il permette un équilibre "gagnant-gagnant" des accords ».

La réalité a été tout autre. Aucun débat, aucune discussion n’a été possible. La négociation n’a été ni loyale ni apaisée, et encore moins transparente. L’accord qui en est résulté ne pouvait donc être équilibré.

Les objectifs du patronat étaient connus : diminuer le « coût » du travail, flexibiliser le droit du travail, libéraliser le licenciement, limiter le pouvoir des juges. Dans cette négociation, sous prétexte de crise, il entendait abolir un certain nombre de garanties pour les salariés. Le tout au nom de l’emploi !

À l’issue de cette négociation, quel jugement portons-nous sur ses résultats ?

Loin de répondre à la feuille de route fixée par le Gouvernement lors de la conférence sociale de juillet 2012, l’accord du 11 janvier 2013 est d’une extrême gravité pour les droits des salariés. On veut nous faire croire qu’il ouvre des droits nouveaux aux salariés, mais en réalité ses « contreparties » sont virtuelles, conditionnelles et remises à plus tard – et encore, pas pour tous.

La mobilité interne volontaire ou forcée ? Cet accord organise la mobilité interne forcée, permettant ainsi aux employeurs de muter un salarié sur un autre poste, de l’envoyer à l’autre bout de la France et, s’il refuse, de le licencier.

Quel accès à la justice demain ? L’accord sécurise les licenciements pour les employeurs en privant les salariés de l’accès à la justice prud’homale, ou en le leur rendant plus difficile, pour obtenir réparation du préjudice subi. Le juge pourra-t-il toujours apprécier la portée du préjudice subi ?

Maintien dans l’emploi ou chantage ? Le texte instaure les accords « compétitivité-emploi », pourtant fortement critiqués par la gauche lorsque Nicolas Sarkozy voulait les mettre en place, sans d’ailleurs avoir pu les imposer. La modification du temps de travail et la baisse des salaires durant deux ans pourront être imposées aux salariés. En cas de refus, même nombreux, les salariés seront licenciés pour motif économique mais sans les garanties attachées à un licenciement collectif.

Que devient le contrat à durée indéterminée (CDI) ? Avec cet accord, le MEDEF veut imposer pour les salariés des petites entreprises de certaines branches un CDI « intermittent », c’est-à-dire un contrat totalement flexibilisé.

Sécuriser l’emploi ou sécuriser les licenciements ? Grâce à cet accord, la procédure de licenciement et le contenu du plan social seraient décidés par simple accord d’entreprise, voire, en l’absence d’accord, par un simple document de l’employeur homologué par la direction du travail. Les questions du motif économique et des alternatives aux licenciements deviennent accessoires. Rien n’est fait, bien au contraire, pour éviter les « licenciements boursiers ».

La hiérarchie des normes est remise en cause. Le droit social français est fondé, vous le savez, sur la hiérarchie des normes et le principe de faveur qui fait que tout accord de niveau supérieur s’impose aux accords de niveau inférieur, comme la loi s’impose aux accords.

De même, le contrat de travail, engagement réciproque, doit être respecté par les parties. L’employeur ne devrait pas pouvoir l’écarter quand bon lui semble.

La dérogation introduite dans cet accord, si elle est transcrite dans la loi, ouvrira une brèche d’une extrême gravité.

La CGT est évidemment favorable à la négociation collective et elle le prouve en étant partie prenante et souvent signataire de nombreux accords collectifs dans les branches et les entreprises. Mais les conventions collectives sont une source du droit parmi d’autres. Elles doivent s’appuyer sur un socle légal et ne pas porter atteinte à l’ordre public social.

Dialogue social et représentativité. Ce gouvernement, qui se dit attaché au dialogue social, doit prendre en compte le rejet de cet accord par les syndicats qui représentent un nombre beaucoup plus grand de salariés que les syndicats signataires. Aux élections prud’homales, les premiers totalisaient près de 50 % des suffrages, tandis que les trois autres en totalisaient moins de 39 %.

Il est d’autant plus inacceptable de ne pas en tenir compte que la loi sur la représentativité syndicale est entrée en vigueur et que les résultats des élections seront connus dans quelques semaines. Comment le Gouvernement pourra-t-il justifier la prise en compte d’un accord qui n’aura été signé que par des organisations syndicales minoritaires en voix ? De quelle légitimité pourra-t-il se prévaloir pour transcrire dans la loi des dispositions qui auront été rejetées par les représentants d’une majorité de salariés ?

Dans le texte intitulé « feuille de route sociale » adopté à la fin de la Grande conférence sociale était inscrite la phrase suivante : « Il est important de disposer de partenaires sociaux reconnus et légitimes, interlocuteurs de premier plan pour le Gouvernement dans la conduite des réformes nationales, mais aussi dans les branches professionnelles, les entreprises de toute nature et les territoires ». Peut-on estimer que cet engagement a été tenu ?

J’en viens à la retranscription de l’accord du 11 janvier dans la loi. Le Gouvernement entend retranscrire « fidèlement » l’accord. Cela signifie que ses aspects les plus nocifs pour les salariés et ses dispositions les plus régressives seront repris. Il s’agit des accords de maintien dans l’emploi qui permettraient de licencier les salariés refusant de voir leur salaire baisser, ou encore des accords de « mobilité interne » qui autoriseraient l’employeur à licencier le salarié si celui-ci refuse d’aller travailler à l’autre bout de la France. Le licenciement deviendrait une simple formalité. L’information et l’intervention des représentants des salariés seraient enfermées dans des délais tellement courts que leur efficacité serait menacée : ainsi, dans certains cas, l’expert n’aurait qu’une dizaine de jours pour rendre son rapport. En outre, le projet de loi réduit encore plus que l’accord national la réparation des préjudices subis par les salariés. Les juges du travail devraient maintenant inciter les salariés à accepter une transaction injuste et inéquitable !

Concernant la création de « nouveaux droits » pour les salariés, qui n’ont que peu de choses à voir avec la sécurisation de l’emploi, les incertitudes déjà présentes dans l’accord subsistent.

Ainsi, les salariés les plus pauvres n’auraient toujours pas accès à la couverture complémentaire santé. Quant au financement des droits rechargeables à l’assurance chômage, il n’est absolument pas assuré, le Gouvernement se contentant de renvoyer cette question à de futures négociations sans garantie aucune.

Le patronat, MEDEF en tête, peut donc être satisfait puisque toutes les mesures de recul pour les salariés figurent dans le projet de loi. D’ailleurs, le MEDEF se félicite de son contenu.

Il semble, malheureusement, que le Gouvernement soit prêt à aller très loin pour satisfaire les signataires, quitte à violer les textes internationaux, alors même que des voix venant d’horizons divers l’ont alerté sur ce problème.

Fruit de tractations entre le ministre du travail et les signataires de cet accord, ce projet de loi va instituer une régression de portée décisive dont beaucoup ne mesurent pas la dangerosité.

Tout cela renforce la responsabilité des parlementaires dans la période à venir, car eux seuls représentent l’intérêt général. Vos prérogatives, mesdames, messieurs les députés, doivent rester pleines et entières, y compris dans le contexte de la transposition d’un accord national dans un projet de loi. Il vous appartient donc de modifier le projet de loi dans le sens de l’intérêt général. Les lois ne doivent pas être subordonnées aux accords, même si elles s’en inspirent. Laisser s’instaurer l’inverse reviendrait, dans les faits, à laisser la partie patronale préfigurer la loi.

Quelles sont les revendications que la CGT a portées dans cette négociation ?

Nous sommes favorables non pas au maintien d’un quelconque statu quo, mais à une évolution du cadre conventionnel et légal, à laquelle nous entendons prendre toute notre part. C’est notre démarche constante. 

Au cours de la négociation, nous avons formulé les propositions suivantes :

– Un droit de veto suspensif des représentants du personnel sur les plans de licenciement et les plans de restructuration qui permette la recherche et la construction de propositions alternatives aux licenciements ;

– Une loi contre les licenciements boursiers et pour la reprise des sites rentables en cas de menace de fermeture ;

– La généralisation de la présence des représentants des salariés dans les conseils d’administration et de surveillance avec voix délibérative et une réelle influence sur les décisions ;

– Une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences qui ne soit pas une gestion prévisionnelle des suppressions d’emploi ;

– L’encadrement des ruptures conventionnelles et la lutte contre le passage forcé à l’auto-entreprenariat ;

– Des instances représentatives inter-entreprises du personnel afin de donner une plus grande responsabilité aux donneurs d’ordre vis-à-vis de leurs sous-traitants ;

– La mise en place de comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) centraux, à l’instar des comités centraux d’entreprise (CCE), dans le respect des droits et moyens des comités locaux ;

– L’extension du contrat de sécurisation professionnelle à tous les salariés des entreprises de moins de 50 salariés et l’amélioration du congé de reclassement dans les entreprises de plus de 50 salariés ;

– La construction d’un droit au travail à temps plein, sur un bassin d’emplois, pour les salariés cumulant plusieurs temps partiels ;

– L’instauration de droits attachés à la personne, transférables d’une entreprise à une autre, pour tous les salariés – ancienneté, qualification, formation, prévoyance –, à négocier au niveau des branches ;

– Une taxation de tous les contrats à durée déterminée (CDD) et des contrats d’intérim, à hauteur de ce qu’ils coûtent à l’assurance chômage ;

– Un compte individuel de formation opposable à l’employeur et un renforcement des droits à la formation professionnelle qualifiante pour chaque salarié, quel que soit son parcours.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Pensez-vous réellement que ce texte n’opère aucune avancée pour les très petites entreprises, qui bien souvent n’ont ni délégué syndical ni comité d’entreprise ?

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Monsieur le secrétaire général – permettez-moi de vous appeler ainsi, même si c’est un peu prématuré –, nous sommes honorés de votre présence parmi nous. Que vous ayez réservé à notre commission votre première intervention officielle témoigne de votre respect pour le Parlement.

Sachez que nous respectons tout autant les organisations qui ont signé l’accord que celles qui ne l’ont pas fait.

Notre conception de la démocratie sociale repose sur une démarche en trois temps. Le premier est celui de l’élaboration d’une feuille de route, issue des engagements pris par le Président de la République pendant la campagne et après son élection ; le deuxième est celui de la négociation sociale ; le troisième est celui du Parlement.

Nous abordons notre travail avec une double contrainte, car nous n’entendons pas remettre en cause un accord que certaines organisations ont signé – cela serait en contradiction avec la volonté du Président de la République de privilégier le dialogue social –, mais nous sommes à l’écoute des inquiétudes exprimées par votre organisation et par FO.

Ce qui nous frappe à travers ces auditions, c’est de voir à quel point les organisations syndicales ont une lecture différente de l’accord. Si certaines considèrent qu’il va dans le bon sens en renforçant la lutte contre le chômage, en réduisant la précarité, en améliorant la compétitivité des entreprises et la qualité de vie des salariés, d’autres acteurs, dont le Syndicat des avocats de France (SAF) et le Syndicat de la magistrature, partagent certaines de vos craintes.

Nous pensons, nous, qu’il est possible d’améliorer cet accord en respectant les contraintes que je viens d’évoquer.

Sur le plan de la lutte contre le chômage, l’accord constitue ce que le ministre lui-même a qualifié de « petite révolution », à savoir le retour de l’État dans les plans sociaux par le biais d’une autorisation de licenciement qui passe par un accord majoritaire des entreprises ou par une homologation de l’administration. Les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) auront à se prononcer sur le contenu des plans sociaux et pourront exiger des entreprises qu’elles engagent des moyens proportionnels à ceux du groupe afin d’assurer les redéploiements internes, le reclassement des salariés et la pérennité des sites. Que pensez-vous de ce nouveau rôle confié aux DIRECCTE ?

Cette disposition, sans aller jusqu’au veto suspensif que vous appelez de vos vœux, est conforme au vœu exprimé par François Hollande pendant la campagne présidentielle non pas d’interdire les licenciements boursiers, mais de les faire payer suffisamment cher pour dissuader les entreprises d’y recourir.

Cet élément conditionne notre lecture globale de l’accord. Nous avons le sentiment que ce texte rendra plus difficile les licenciements sous forme de plan social dans notre pays, au profit de redéploiements de type chômage partiel ou accords de maintien dans l’emploi. Quel est votre avis sur ce point ?

Sur la question de la mobilité, je suis frappé par les divergences d’appréciation entre votre syndicat et la CFDT. Ce dont nous ont fait part les organisations syndicales signataires, c’est qu’aujourd’hui chaque salarié est bien seul face à son employeur lorsqu’il est question de changer de lieu de travail. L’accord national a le mérite d’encadrer la mobilité dans le cadre d’accords de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Il met en place une protection collective puisque les accords devront recueillir 30 % des suffrages des salariés, avec une opposition inférieure à 50 %. Les organisations signataires se sont dites satisfaites de cette protection, mais vous craignez, à la CGT, que cela généralise et légitime des pratiques existantes. Ces accords seront signés « à froid », dans le cadre de la gestion courante de l’entreprise, en dehors de toute démarche de réduction d’effectifs et par des majorités fortes, ce qui nous paraît de nature à protéger les salariés.

Enfin, l’accord national, même s’il ne satisfait pas toutes vos revendications, pose pour la première fois le principe selon lequel toute entreprise qui veut fermer une activité doit chercher un repreneur. En matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, l’accord constitue un vrai progrès en soumettant à la négociation sociale les plans de formation et, dans le cadre de la GPEC, le recours aux emplois précaires. Il prévoit la création d’une instance de coordination des expertises qui, dans le projet de loi, ne se substitue pas aux CHSCT locaux.

Cet accord satisfait donc une grande partie de vos quinze revendications. Nous sommes sensibles à vos inquiétudes, mais le projet de loi permettra d’y répondre et nous ne manquerons pas de poursuivre en ce sens, sans naturellement remettre en cause notre engagement envers les signataires de l’accord.

M. Gérard Sébaoun. Le groupe SRC partage les propos du rapporteur. Monsieur Lepaon, il y a environ un mois, votre prédécesseur Bernard Thibault exprimait devant nous le souhait que le Parlement ait le dernier mot. Sachez que cela sera le cas et que nous exercerons nos prérogatives lors de l’examen de ce texte.

Vous dites que l’accord fait du contrat de travail un texte « virtuel ». Nous ne vous approuvons pas sur ce point. J’ai écouté attentivement vos remarques concernant la facilitation des licenciements, le dessaisissement du juge, le recul sur les délais de prescription, la mobilité volontaire forcée, la représentativité dégradée. Mais il me semble que certains de ces points sont satisfaits, au moins partiellement, par l’accord qui a été signé.

Notre groupe est très attentif à la parole de toutes les organisations syndicales, qu’elles aient ou non signé l’accord, mais nous sommes également respectueux des règles de représentativité et de l’accord majoritaire qui a été signé par trois syndicats.

La divergence de vue entre ces organisations et la vôtre est claire. Nous avons, nous, le sentiment que la démarche de réhabilitation de la démocratie sociale initiée par le Président de la République et le Gouvernement va dans le bon sens. L’unanimité des partenaires sur les contrats de génération en est un bon exemple.

La mobilité a été évoquée par l’ensemble des syndicats, signataires ou non. C’est un sujet central pour les salariés en cette période de crise. Nous faisons preuve de la plus grande vigilance à cet égard. Le projet de loi dispose que les entreprises de plus de 50 salariés et celles de plus de 300 salariés, dans le cadre de la GPEC, pourront négocier tous les trois ans avec les délégués syndicaux un accord de « mobilité interne » sans réduction d’effectifs, j’insiste sur ce point. Il revient aux acteurs syndicaux de signer ou de ne pas signer de mauvais accord – je vous renvoie à votre légitimité en la matière.

Il convient de préciser ce qu’est la mobilité géographique et de respecter la vie personnelle et familiale des salariés, comme nous le rappelle la jurisprudence en la matière. Vous noterez que le licenciement personnel prévu dans l’accord national a été transformé dans le projet de loi en licenciement pour motif économique. C’est une avancée significative.

La présence des représentants des salariés au sein du conseil d’administration constitue pour nous une autre avancée. S’agissant des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), j’approuve la création d’une instance de coordination, mais les comités touchés par une évolution importante de l’entreprise doivent être les premiers concernés.

Cet accord n’est ni blanc ni noir. Il donne aux salariés une meilleure protection individuelle et favorise la négociation en l’encadrant, mais le Parlement prendra ses responsabilités et usera de son droit d’amendement pour améliorer le projet de loi.

M. Gérard Cherpion. Je remercie Thierry Lepaon et son équipe d’être présents parmi nous, ce qui prouve leur volonté de poursuivre le dialogue social.

Vous avez rappelé, monsieur, la déclaration de votre organisation le 6 mai 2012, qui condamnait violemment la majorité d’alors. Cela étant, je vous rappelle que nous en sommes à la quatorzième application de la « loi Larcher ». Nous avons eu des discussions avec vous et nous n’avons pas toujours été d’accord, mais nos échanges ont abouti à la rédaction des articles L. 1 et L. 2 du code du travail qui sont désormais incontournables. En juillet 2011, j’avais été amené à négocier avec la CGT sur certains points, en particulier le contrat de sécurisation professionnelle.

J’ai le sentiment en vous écoutant qu’une partie du chemin a été faite et qu’en dépit du fait que vous n’ayez pas signé l’accord, votre position sur certains des sujets qui figurent dans le projet de loi a évolué. Je pense à la mobilité interne, dont vous considérez qu’elle est forcée mais qui, dans le cadre d’une restructuration en interne, est un moyen de sauvegarder l’emploi.

La généralisation de la couverture complémentaire santé collective est une avancée considérable, car aujourd’hui 4 millions de personnes n’en bénéficient pas. Le texte apporte une sécurisation en la matière. Certes, il subsiste une incertitude, mais nous parviendrons peut-être, en amendant le projet de loi, à étendre l’accès à la complémentaire santé à l’ensemble des salariés.

L’instauration de droits rechargeables à l’assurance chômage est une idée très intéressante, car nous connaissons tous des personnes qui ont retrouvé un emploi pour une période courte mais ont ensuite perdu leurs droits. Il est normal que cette disposition ne figure pas dans l’accord dans la mesure où c’est aux partenaires sociaux qu’il reviendra, lors de la prochaine négociation de l’Unédic, de décider du niveau auquel il faut établir les droits rechargeables et s’il convient de les accompagner de nouvelles cotisations.

Vous souhaitez que les « comptes individuels de formation » soient opposables à l’employeur. Vous noterez que c’est la première fois qu’est mis en place un dispositif qui appartient en propre à l’employé. Dans ce domaine, le droit individuel à la formation (DIF) est la première pierre d’un édifice qui reste à construire.

Le regroupement de plusieurs temps partiels est un dispositif intéressant, mais il pose un problème dans certaines branches comme celle des services à la personne.

Vous avez la volonté d’aller vers une meilleure sécurisation de l’emploi, mais vous n’avez pas franchi le pas décisif de la signature. Etes-vous prêts à poursuivre la négociation pour aboutir à un accord global ?

M. Arnaud Richard. Nous n’avons pas à juger le fait que vous ayez signé ou non l’accord. Quel que soit votre choix, nous le respectons.

Nous aimerions connaître votre avis sur le projet de loi dans la mesure où il s’éloigne de l’accord sur un certain nombre de points. Seriez-vous prêt à signer un tel texte ?

Comment jugez-vous l’articulation entre l’accord national et la série de dispositifs que le Gouvernement a mis en place sur la politique de l’emploi – emplois d’avenir, contrats de génération, crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) ?

Mme Jacqueline Fraysse. Je partage ce qui a été dit sur la nécessité du dialogue social, mais l’accord national interprofessionnel a un défaut majeur : il n’a pas été signé par la majorité des représentants des salariés de ce pays. Les députés ont donc un devoir d’amendement, que le groupe GDR entend bien exercer pleinement.

Il existe deux lectures de cet accord. Pour certains, celui-ci comporte plus d’avantages que d’inconvénients pour les salariés, mais pour d’autres, il marque un véritable recul des droits des salariés. Vous avez parlé, monsieur Lepaon, de « régression de portée décisive ». Il y a là quelque chose d’anormal dont nous devons tenir compte.

Plusieurs de mes collègues ont souligné la volonté constructive des syndicats qui n’ont pas signé l’accord mais ont accepté notre invitation. Je m’en félicite à mon tour, mais cela exige que nous tenions compte de leurs observations.

Le groupe GDR est extrêmement préoccupé par le projet de loi. La réduction des délais de recours, individuels et collectifs, est très grave, car il est impossible de construire un projet alternatif dans un délai de deux à quatre mois. Les salariés en lutte aujourd’hui, pour lesquels des solutions sont avancées, auraient-ils pu mener les mêmes actions et faire intervenir des bureaux d’études en si peu de temps ? J’en doute.

Le texte prévoit en outre que les comités d’entreprise financeront 20 % du coût des études. En auront-ils tous les moyens ?

Je serai très attentive aux réponses que vous ferez, mesdames, messieurs les syndicalistes, à toutes les questions qui vous ont été posées sur le texte tel qu’il est rédigé et à celles relatives aux modifications que vous souhaitez lui apporter. Le groupe GDR entend bien vous rencontrer pour travailler concrètement sur tous ces points. Dans un esprit constructif, nous déposerons de nombreux amendements. J’inviterai le Gouvernement, nos collègues socialistes et l’ensemble de l’Assemblée à tenir compte des avis qui nous ont été apportés sur un sujet d’une extrême importance. Essayons d’être positifs et veillons à ne pas opérer, sous différents prétextes, un recul formidable du droit social. D’ailleurs, la satisfaction du MEDEF me paraît particulièrement préoccupante.

Mme Véronique Louwagie. Nous sommes un certain nombre à nous réjouir du renforcement du dialogue social et de la vitalité qui anime les négociations. Je pense que vous partagez ce sentiment, monsieur Lepaon, puisqu’à l’issue de la conférence sociale vous avez accepté de participer à cette démarche.

Vous indiquez dans votre propos introductif qu’il n’y a pas eu de débat. En réalité, celui-ci a eu lieu, mais je comprends votre amertume de ne pas avoir obtenu ce que vous souhaitiez.

Il est important pour les parlementaires que nous sommes de savoir comment réagir face à un accord national. Nous n’accepterons pas un simple recopiage, mais nous veillerons à ne pas dénaturer l’orientation voulue par les signataires, vis-à-vis desquels nous nous devons d’être loyaux.

En vous écoutant, j’ai tout d’abord été surprise par l’écart entre le contenu de l’accord et vos souhaits. Vous n’avez cité que des points négatifs et des manquements, ce qui donne l’impression d’un réel fossé et de divergences fortes. Mais après plus ample analyse, on s’aperçoit que finalement vous n’êtes pas très éloignés de l’accord. Vous regrettez par exemple que tous les salariés ne disposent pas d’une complémentaire santé, et s’agissant des droits rechargeables, vous n’en remettez pas en cause le principe mais regrettez que leur financement ne soit pas totalement assuré.

En matière de fermetures de site et de licenciements boursiers, l’article 14 du projet de loi, selon lequel l’entreprise envisageant un projet de licenciement collectif ayant pour conséquence la fermeture d’un établissement doit rechercher un repreneur, répond presque totalement à votre préoccupation.

M. Jérôme Guedj. Monsieur Lepaon, vous invitez les parlementaires à « modifier la loi dans le sens de l’intérêt général ». Avez-vous relevé des évolutions entre l’accord national et le projet de loi ? Quels articles devons-nous amender en ce sens ?

Les dispositions relatives à l’encadrement du travail à temps partiel sont une revendication de nombreuses organisations syndicales. Les garde-fous qui ont été mis en place doivent-ils être renforcés ?

Quelle doit être, selon vous, la place de la justice prud’homale et quelles sont les contraintes à mettre en place, notamment en matière de délais de prescription ?

Quant à la mobilité géographique, faut-il revenir à ce qui figurait dans l’accord national, à savoir des accords de mobilité interne sans réduction d’effectifs ?

Enfin, je considère pour ma part que cet accord national, à l’instar de celui signé par la CGT sur les contrats de génération, doit être transposé dans la loi après l’intervention du législateur, a fortiori parce qu’il n’a pas été signé par toutes les organisations syndicales.

Mme Isabelle Le Callennec. Je vous remercie pour vos explications qui contrastent avec les propos que nous avons entendus lors de nos auditions de ce matin. Je vous remercie également d’avoir rappelé à la majorité actuelle que les accords compétitivité-emploi, aujourd’hui salués, ont été conçus et portés par la majorité précédente.

Mes questions porteront sur trois aspects.

Premièrement, tous les signataires de l’accord – qu’il s’agisse du patronat ou des autres organisations syndicales – considèrent qu’ils sont parvenus dans ce texte à concilier la compétitivité économique et la sécurisation des parcours professionnels. L’un des intervenants de ce matin nous a d’ailleurs expliqué pourquoi, selon lui, les deux entreprises implantées à Amiens que sont Dunlop et Goodyear se trouvaient dans une situation différente : quelle est votre analyse à cet égard ?

Deuxièmement, vous indiquez à juste titre que la question des droits rechargeables
– véritable révolution juridique – a été renvoyée à des discussions ultérieures, étant donné le déficit de l’Unedic. Dès lors, quels sont vos souhaits en ce domaine ?

Je crois personnellement à l’efficacité de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, a fortiori si c’est au niveau territorial du bassin d’emplois qu’on la met en œuvre, ce qui permet d’éviter de faire déménager les salariés à plusieurs centaines de kilomètres. On constate en effet que les entreprises parviennent à conclure des accords en la matière, y compris avec votre organisation syndicale.

Enfin, si jamais la loi est votée sans que vos revendications soient prises en compte, quel message adresserez-vous à vos adhérents ? Comme vous l’indiquiez en préambule, les salariés, les retraités et les demandeurs d’emploi qui ont cru dans le discours du 6 mai 2012 auront sans doute le sentiment d’avoir été floués.

Mme Chaynesse Khirouni. Toutes les organisations représentatives, qu’elles soient signataires de l’accord ou pas, soulignent le rôle spécifique qu’ont ici à jouer les parlementaires. Notre groupe a ainsi mené des auditions et des travaux importants depuis le mois de novembre sous la responsabilité de notre rapporteur, Jean-Marc Germain. Nous avons été à l’écoute de l’ensemble des partenaires reçus à l’Assemblée nationale et en circonscription, et nous nous sommes engagés avec sérieux et responsabilité dans l’examen de ce texte.

La CGT n’a pas signé l’accord, mais dans la mesure où elle a participé à l’ensemble des négociations, a-t-elle pu peser sur certaines de ses dispositions ? Si oui, lesquelles ? Quelles avancées reconnaissez-vous entre le texte initial de l’accord et le projet de loi ? Quelles dispositions de l’accord souhaitez-vous voir améliorées par le Parlement ?

M. Denys Robiliard. Je vous interrogerai pour ma part sur les deux points du projet de loi qui concentrent toutes les critiques : la mobilité et les licenciements collectifs.

S’agissant de la mobilité, le projet de loi a permis une évolution puisque l’on est passé, en cas de refus par un salarié de cette mobilité, d’un licenciement pour motif personnel à un licenciement pour motif économique. Quel est votre sentiment à cet égard ? Par ailleurs, serait-il possible d’améliorer l’encadrement de la mobilité interne, lorsque celle-ci fait l’objet d’un accord dans le cadre d’une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, ou, pour les entreprises de moins de 300 salariés, d’un accord spécifique ? Je sais que vous contestez ce type d’accords sur le principe. Mais à supposer que nous adoptions cette disposition, vous paraîtrait-il pertinent qu’il puisse s’agir d’accords majoritaires ?

Quant à l’architecture globale des licenciements collectifs, celle qui résulte du projet de loi diffère assez nettement de celle qui figure dans l’accord national interprofessionnel. On distingue nettement deux schémas possibles : le premier repose sur un accord collectif ; le second, assez proche du droit en vigueur, repose sur l’employeur, chargé de mener la procédure d’information et de consultation du comité d’entreprise puis d’établissement d’un plan de sauvegarde de l’emploi. La principale évolution réside dans le fait que, dans les deux cas, la DIRECCTE aura à se prononcer, soit pour valider l’accord collectif, soit pour homologuer le plan de l’employeur unilatéralement établi. Dès lors, conviendrait-il d’étendre les pouvoirs de la DIRECCTE au-delà du contrôle de la procédure et du plan de sauvegarde de l’emploi pour aller jusqu’à un contrôle de tout ou partie de la cause réelle et sérieuse ? Que pensez-vous des modalités du contrôle juridictionnel portant sur l’action de la DIRECCTE et sur celles des partenaires sociaux ou de l’employeur, en amont de l’intervention de l’administration ?

Mme Hélène Geoffroy. Je souhaiterais évoquer les points sur lesquels l’accord vous paraît en recul.

Vous estimez notamment que le texte tel qu’il est rédigé aujourd’hui organise plutôt une gestion prévisionnelle des suppressions d’emploi qu’une gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences. Comment améliorer cette dernière, sachant que le texte prévoit déjà de renforcer la connaissance qu’ont les syndicats des données afférentes à la situation économique de l’entreprise ?

Pourquoi qualifiez-vous les droits rechargeables de « poudre aux yeux » ? Ils nous semblent en effet constituer une réelle avancée pour les personnes qui enchaînent des contrats précaires ou de courte durée.

Vous identifiez, dans le projet de loi, une quinzaine ou une vingtaine de points de recul pour le droit des salariés : quel est, selon vous, le point de blocage majeur de ce texte ? Comprend-il tout de même des avancées ?

Enfin, que pensez-vous de l’association et de la participation des salariés à la réflexion sur la stratégie de l’entreprise ? L’association des délégués syndicaux à cette réflexion vous paraît-elle une avancée suffisante, comme le pensent les syndicats que nous avons auditionnés ce matin ?

Mme Kheira Bouziane. Selon vous, certains droits présentés comme novateurs existaient déjà auparavant dans la loi et ne seraient mis en avant que pour faire illusion. Vous avez également évoqué un recul des droits qui présenterait le risque de violer des textes internationaux. Enfin, parmi celles de vos revendications qui n’ont pas été retenues, vous évoquez l’encadrement des ruptures conventionnelles et la lutte contre le passage forcé à l’auto-entreprenariat. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur ces trois points ?

Mme Fanélie Carrey-Conte. Je tiens, moi aussi, à souligner à quel point il est de notre devoir de recevoir ici les non-signataires de l’accord national interprofessionnel et d’analyser cet accord avec objectivité afin d’améliorer le projet de loi qui nous est présenté.

Nous partageons vos inquiétudes quant à l’accès des non-salariés à l’assurance complémentaire santé. Nous souhaitons pour notre part instaurer un socle de garantie complémentaire suffisamment important pour éviter l’émergence d’un marché de l’assurance sur-complémentaire santé et donc d’une différence de traitement entre les citoyens. Quel niveau minimal de qualité et de garantie devrions-nous exiger pour ce type d’assurance ?

Quant aux accords sur la mobilité interne et de « maintien dans l’emploi », certains syndicats considèrent que les salariés seront protégés puisque ces changements devront faire l’objet d’accords majoritaires ou à 30 %. Votre appréciation de ces accords est beaucoup plus critique : soulignant que la théorie est parfois différente de la pratique, vous rappelez que dans certaines entreprises, les salariés sont parfois contraints de négocier avec le pistolet sur la tempe et qu’ils sont souvent moins informés lorsque les négociations ont lieu au niveau de l’entreprise et non de la branche. Comment améliorer les conditions de cette négociation de telle sorte que le rapport de force ne soit pas trop défavorable au salarié ?

M. Thierry Lepaon, membre de la commission exécutive confédérale. J’aborderai quatre questions avant de laisser mes collègues répondre point par point à l’ensemble de vos interrogations.

Je constate en premier lieu – et c’est là un fait exceptionnel dans notre pays – que si nous avons affaire à un seul et même texte, celui-ci fait l’objet de multiples interprétations. En règle générale, dans une négociation nationale interprofessionnelle, soit on est d’accord sur un texte, soit on ne l’est pas. Mais si l’on a du mal à comprendre celui-ci, c’est qu’il a sciemment été mal rédigé pour semer la confusion. Jamais jusqu’ici nous n’avons été confrontés à une telle difficulté. Lorsque j’ai lu l’accord national, je n’ai pu comprendre de quoi nous discutions avant d’en arriver à la page 14 ! Or, ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. Et si le texte est si confus, c’est que le MEDEF a seul tenu la plume jusqu’au bout. Traditionnellement, lorsque l’on négocie, la plume tourne et les organisations syndicales apportent des contributions au texte commun. On constate d’ailleurs une nette différence de style entre l’ensemble du texte et la partie consacrée aux mutuelles, pour la simple raison que ce n’est pas le même groupe du MEDEF qui l’a rédigée. On retrouve là l’écriture de Guillaume Sarkozy. Dans son ensemble, le texte ne correspond qu’à une juxtaposition d’idées mal travaillées, mal débattues et qui, pour certaines, loin de renforcer la protection des salariés, risquent de leur nuire.

En deuxième lieu, vous avez raison de nous renvoyer à notre responsabilité devant l’entreprise. Encore vous faut-il vous rappeler dans quel contexte sont négociés les accords d’entreprise, de branche ou de groupe. Notre tissu économique et social étant extrêmement fragilisé, un salarié à qui l’on proposera de conserver son emploi pour une durée déterminée, à condition qu’il veuille bien travailler plus et gagner un peu moins, aura naturellement tendance à l’accepter. Il en va de même des personnes qui ne peuvent plus vivre de leur salaire et à qui l’on propose, pour 20 % de plus, de travailler la nuit. Cette négociation « pot de terre contre pot de fer » risque donc de très mal se passer dans les entreprises où ces questions seront débattues. On court même le risque social majeur d’opposer les salariés qui accepteront et ceux qui refuseront l’accord, mais aussi les organisations syndicales de salariés dans l’entreprise et au niveau national.

En troisième lieu, le congé individuel de formation n’est pas une nouveauté : il correspond à ce qu’on appelle actuellement le droit individuel à la formation, qui permet au salarié de cumuler vingt heures de formation par an pendant six ans. C’est d’ailleurs la CGT elle-même qui, dans l’accord national interprofessionnel de 2003, avait porté cette conception d’un droit « opposable, transférable et individuel ». Seulement, lorsque j’analyse sa transcription concrète, à la fois dans l’accord et dans le projet de loi, je m’aperçois que l’on a fait de cette force un handicap. Car n’étant ni finançable ni financé, ce droit sera donc porté par le seul salarié. Et imaginons que deux salariés licenciés le même jour à la même heure aient rendez-vous le mardi suivant chez le même employeur. Si l’un a accumulé 120 heures de formation et l’autre, aucune, l’employeur embauchera forcément le second, car personne ne souhaitera financer 120 heures de formation pour un salarié n’ayant même pas commencé à travailler.

Enfin, le MEDEF, se fondant sur un raisonnement dépassé, a cru que l’aval de la « triplette », c’est-à-dire des trois autres syndicats majoritaires, suffirait pour mener à bien la négociation. Il a donc jugé inutile de discuter avec l’ensemble des syndicats. La constitution de cette « triplette » a d’ailleurs marqué un véritable tournant dans la négociation, et les discussions entre le patronat et les trois syndicats se sont parfois déroulées en marge, sous l’œil bienveillant du ministre du travail. Les négociateurs ont des responsabilités, mais disposent aussi d’une certaine autonomie dans la négociation. Tous les acteurs doivent pouvoir contribuer à l’effort commun de rédaction d’un accord national interprofessionnel, ce qui ne fut en l’occurrence pas le cas, dès le milieu de cette négociation. Malheureusement, nous n’avons pas été suffisamment influents auprès de nos autres partenaires pour faire perdurer notre contribution. Nous touchons là aux limites de cette stratégie de négociation. Vos prédécesseurs ayant adopté une loi visant à corriger les règles de représentativité syndicale afin de mieux refléter la réalité, vous ne ferez croire à personne dans le monde de l’entreprise qu’il s’agit là d’un accord majoritaire alors qu’il n’a été signé que par la CFDT, la CGC et la CFTC.

Mme Francine Blanche, membre de la commission exécutive confédérale. Ayant participé à cette négociation de bout en bout, je me souviens que les journaux évoquaient « vingt-six heures de négociation sans discontinuer ». Or, sur ces vingt-six heures, nous ne nous serons vus que pendant deux heures. En revanche, alors que nous étions convoqués à neuf heures du matin, le MEDEF n’arrivait qu’à onze heures et demie, parce qu’il était en train de discuter ailleurs. À chaque réunion, c’est lui qui apportait un texte dont il nous fallait prendre connaissance en peu de temps. Ni l’UPA ni la CGPME n’ont eu leur mot à dire puisque le MEDEF s’était attribué le rôle de chef de file. Puis, chacune des organisations syndicales s’est exprimée sur le texte diffusé. Les partenaires se sont ensuite quittés sans le moindre débat ni échange d’arguments. Lorsque j’ai participé à la négociation de la « loi Larcher » sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, nous avions fait appel à des experts afin d’établir un diagnostic partagé sur le sujet. Il aurait donc été possible de le faire dans ce cas. On ne peut donc parler de dialogue social exemplaire comme certains l’ont fait – loin de là !

Quant à la terminologie employée dans ce texte, elle est trompeuse. Il n’est donc guère étonnant que celui-ci fasse l’objet de divergences d’interprétation. Pour avoir souvent été témoin de plans de restructuration dans mon entreprise, je sais pertinemment que les plans dits de « sauvegarde de l’emploi » sont en réalité des « plans de suppression d’emplois », car la sauvegarde de l’emploi intervient bien avant ce type de plans ! De même, on devrait plutôt parler de gestion prévisionnelle des « suppressions » d’emploi puisqu’il ne s’agit pas, le plus souvent, d’éviter ces suppressions. Bien des membres d’organisations patronales – singulièrement au MEDEF – comptent sur ce type d’ambiguïtés et sur l’éventuelle méconnaissance de certains parlementaires pour les tromper, d’autant que l’accord a été signé par trois organisations syndicales.

J’évoquerai à présent trois sujets qui n’ont absolument pas été traités au cours de la négociation et dont il serait bon que le Parlement débatte.

Il s’agit tout d’abord de la question des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME). Pas une seule fois, lors de nos échanges, nous n’avons pu parler des rapports entre sous-traitants et donneurs d’ordres. Rappelons pourtant que 42 % des salariés travaillent dans des entreprises de moins de 50 salariés et que seuls 3 % des salariés qui se présentent à Pôle emploi le font après avoir subi un plan de sauvegarde de l’emploi. Tout le texte est centré sur la manière d’accélérer les licenciements dans les grandes entreprises ! Or, la question centrale n’est pas là : ce qui importe, c’est de trouver le moyen de sécuriser l’emploi pour l’ensemble des salariés et plus particulièrement pour les salariés des TPE ou PME soumises aux mêmes aléas que leurs donneurs d’ordres. Et les dispositions relatives à la complémentaire santé collective ne changeront rien à la situation de ces salariés. Le fait d’avoir une complémentaire santé ou pas n’est d’ailleurs pas lié à la taille de l’entreprise dans laquelle on travaille.

La question territoriale n’a pas non plus été traitée alors que c’est au niveau d’un bassin d’emplois, d’une pépinière d’entreprises ou d’une région que l’on peut assurer une sécurisation de l’emploi des salariés. Ce n’est qu’à propos du congé individuel de formation, financé par la région, que la question territoriale a été abordée. Il est pourtant possible d’inventer de nouveaux systèmes de sécurisation de l’emploi. Ainsi, pourrait-on, par exemple, imaginer un temps plein à l’échelle d’un centre commercial, d’un bassin ou d’une zone d’emplois, lorsqu’un petit employeur ne peut offrir un tel emploi à temps plein à un salarié. Nous espérions aborder cette question nouvelle, qui nous semblait correspondre à la lettre de cadrage que nous avions reçue.

Troisièmement, il me paraît fort grave que l’on n’ait absolument pas parlé des chômeurs ! On invoque souvent le modèle de « flexisécurité » danois. Même si les effets positifs attendus du système n’ont pas forcément été au rendez-vous, il reste qu’au Danemark, les chômeurs conservent 90 % de leur salaire pendant deux ans – ils le conservaient auparavant pendant quatre ans – et sont entourés de conseillers et de formateurs chargés de faire en sorte que cette période de transition professionnelle soit la moins longue et la moins pénible possible et que les chômeurs retrouvent du travail très rapidement. Dès lors qu’il a été décidé que toutes les mesures devaient être mises en œuvre à moyens constants, il est impossible de financer quoi que ce soit. Peut-être les droits rechargeables, seule mesure susceptible de concerner les chômeurs, seront-ils financés un jour. Actuellement, la moitié des chômeurs ne touchent rien. Et avec l’accélération des licenciements, combien d’entre eux pourra-t-on encore indemniser ?

Nous avons eu beau évoquer ces trois thèmes pendant tout le processus de négociation, jamais le MEDEF n’a souhaité en parler.

Et si ce nouvel accord nous paraît grave, c’est pour quatre raisons.

Premièrement, il met en place un modèle économique et social inédit en France. Actuellement, tout salarié, quelle que soit la taille de son entreprise, est protégé par des garanties nationales figurant dans le code du travail et plusieurs conventions collectives nationales et régionales. Le texte proposé prévoit au contraire une définition des règles applicables au niveau de l’entreprise, voire dans le cadre du gré à gré entre le salarié et l’employeur. En Grande-Bretagne, un salarié peut ainsi choisir « l’opt out », c’est-à-dire de déroger aux règles du droit du travail européen, y compris en ce qui concerne sa durée hebdomadaire de travail, en adressant une simple lettre à son employeur. On retrouve une telle possibilité dans l’article du projet de loi relatif au temps partiel. Si nous sommes favorables à la fixation d’un temps partiel minimal par semaine, il reste qu’un salarié pourra accepter de déroger à ce minimum. Or, le rapport de force entre un salarié et son employeur est déséquilibré puisque le contrat de travail, loin d’être un contrat ordinaire, se caractérise par le lien de subordination qui unit le premier au second. L’employeur peut donc très aisément faire signer au salarié n’importe quelle lettre, surtout en l’absence d’un syndicat fort à ses côtés.

Deuxièmement, désormais, le contrat de travail signé par le salarié ne le garantira plus à l’encontre d’autres dispositions. Un salarié signant un contrat de travail n’aura plus la certitude que celui-ci sera respecté une fois qu’il sera dans l’entreprise. Un accord de mobilité ou dit « de maintien dans l’emploi » pourra ainsi entraîner la suspension temporaire du contrat de travail et le salarié qui refusera un tel accord pourra être licencié. Heureusement, le texte du projet de loi a été modifié pour se conformer aux règles du droit international et la notion de « licenciement économique individuel » a remplacé celle de « licenciement pour motif personnel ».

Le troisième point qui nous pose problème concerne la faculté pour le salarié de recourir au juge. En France, deux parties signataires d’un contrat – dans quelque domaine que ce soit – qui ne sont pas d’accord entre elles ont la faculté de recourir à un juge pour les départager. Et l’accessibilité au juge est un aspect fondamental du droit du travail. Or, en limitant les délais de saisine, le projet de loi tend à limiter la possibilité pour le salarié d’en appeler au juge à titre individuel ou collectif, dans le cadre des procédures de licenciement économique.

Quatrièmement, ce sont les représentants du personnel et les syndicats qui vont devoir faire le « sale boulot » et signer les accords de mobilité forcée, dits de « maintien dans l’emploi », dont ils auront ensuite à répondre devant les salariés. Si des salariés sont licenciés parce qu’ils refusent de se voir appliquer ce type d’accords, la responsabilité de leur licenciement incombera non plus à l’employeur, mais aux syndicats signataires de l’accord. Voilà qui ne risque guère d’encourager le développement du syndicalisme. C’est là un mode de cogestion inédit en France, dont ne veulent certainement pas les salariés.

Nous sommes par ailleurs inquiets des dispositions relatives à la mobilité. Si le prêt de main-d’œuvre, auquel un certain patronat semble très attaché, reste bien encadré par le droit en vigueur, les dispositions du texte relatives à la mobilité volontaire sont susceptibles d’en entraîner la généralisation. On pourrait certes considérer que l’employeur importe peu pourvu qu’un salarié ait du travail, mais ce n’est pas ainsi qu’est conçue la loi française. Et si l’objectif était de développer le prêt de main-d’œuvre, il fallait le dire clairement dans le texte. En l’état actuel, seuls les cadres disposent de clauses de mobilité dans leur contrat de travail, à la différence de la grande majorité des salariés qui peuvent refuser une mobilité sans risquer d’être licenciés. Le projet de loi permettra de la leur imposer – sous peine de licenciement – dans le cadre d’accords conclus tous les trois ans. Qui plus est, le MEDEF a supprimé du texte un paragraphe qui prévoyait une limite maximale de mobilité géographique et de temps de trajet. Le salarié doit absolument pouvoir bénéficier d’une telle protection au niveau national.

Enfin, nous sommes défavorables à l’intervention de la DIRECCTE, étant donné les effets pervers auxquels le système d’autorisation administrative des licenciements nous a autrefois conduits : à l’époque, lorsqu’un employeur souhaitait licencier 300 personnes, il lui suffisait de doubler ce chiffre et il obtenait finalement gain de cause puisque la direction du travail n’en autorisait que la moitié. Ce que nous souhaitons, c’est que les salariés obtiennent des droits économiques supplémentaires. Se trouvant à l’intérieur même de l’entreprise, ils savent pertinemment si celle-ci se porte bien ou pas. Il n’y a jamais de licenciements boursiers dans une petite entreprise. L’employeur fait tout pour sauver sa TPE, mais il peut être contraint de licencier si son donneur d’ordres met fin à un contrat du jour au lendemain. Or, le droit suspensif de licenciement n’apparaît ni dans l’accord ni dans le projet de loi. Selon le projet de loi, « dans les entreprises de cinquante salariés et plus, un accord collectif peut déterminer le contenu du plan ainsi que les modalités de consultation du comité d’entreprise », mais il n’est nulle part fait mention du motif du licenciement économique. Certaines entreprises pourront-elles encore procéder à des licenciements économiques sans le moindre motif économique ? Et en l’absence d’un tel motif, comment le comité d’entreprise et les syndicats pourront-ils empêcher le licenciement sachant qu’ils ne disposeront pas de suffisamment de temps pour formuler des propositions alternatives ?

Mme Anne Braun, conseillère juridique. Le texte pose deux problèmes de non-conformité au droit international.

Le premier concerne les accords de mobilité interne et les accords dits « de maintien dans l’emploi ». En effet, le texte fait référence au « licenciement économique individuel », alors que selon la directive 98/59, lorsque l’on a affaire à plusieurs licenciements économiques, il s’agit d’un licenciement économique collectif, ce qui, en France, suppose que le comité d’entreprise soit informé et consulté.

Le second relève d’une formulation maladroite. Lorsque le salarié refuse l’application d’un accord de mobilité interne ou de maintien dans l’emploi, son licenciement « repose » sur un motif économique : cela laisse entendre que le motif économique est existant et avéré, ce qui risque de limiter le contrôle du juge. De fait, l’article 9 de la Convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) précise que le juge doit pouvoir aller examiner les motifs invoqués pour justifier les licenciements ainsi que les autres circonstances du cas et décider si le licenciement était justifié.

Mme Agnès Le Bot, membre de la commission exécutive confédérale. En vertu d’un sondage paru en fin de semaine dernière, si les catégories socioprofessionnelles supérieures considèrent le texte comme un bon accord, les catégories inférieures pensent le contraire. Il est certes difficile d’interpréter un sondage d’opinion. Il n’empêche que ce résultat mérite réflexion. Les syndicats et le législateur doivent prendre la mesure du risque de fracture du salariat que font courir cet accord et sa transposition dans la loi.

La logique de fond qui sous-tend ces deux textes consacre une rupture avec l’histoire sociale de notre pays – une histoire marquée non seulement par les luttes et les conquêtes sociales des salariés, mais aussi par l’élaboration d’un arsenal juridique résultant du travail d’un certain nombre de gouvernements. Cette nouvelle logique tend à faire reculer le lien de subordination entre le salarié et son employeur. Certes, nous avons assisté depuis une vingtaine d’années à une certaine remise en cause de la hiérarchie des normes – et singulièrement, du principe de faveur. Cependant, en faisant de l’accord d’entreprise le nec plus ultra du dialogue social, cet accord national va bien plus loin. Après avoir subi les lois Hartz de réforme du marché du travail et la déconcentration maximale de la négociation au niveau de l’entreprise, les Allemands ne semblent plus guère adhérer à ce modèle qui a fait sombrer dans la pauvreté un grand nombre de leurs salariés non couverts par des conventions collectives. Sauf à nier l’essence même de la relation de travail, il est indispensable que des règles continuent à s’appliquer à la négociation collective.

Certes, les salariés des TPE et des PME se voient accorder des avantages nouveaux tels que le bénéfice de l’assurance complémentaire santé collective. Cela étant, non seulement l’intégration de telles dispositions à un texte relatif à la sécurisation de l’emploi peut apparaître comme un effet pervers de la négociation, mais de surcroît le texte ne prévoit aucune généralisation de cet avantage assurantiel si bien que les salariés les plus pauvres ne sont pas concernés. Or, c’est l’ensemble des salariés que le texte fragilise. Plus encore, le texte est beaucoup trop déséquilibré puisqu’en contrepartie de cet avantage, le projet de loi prévoit la sécurisation des licenciements pour les entreprises et la flexibilisation des salariés. Ainsi, alors que les salariés souhaitent être mieux protégés, les dispositions pilotées et obtenues par le MEDEF leur sont préjudiciables. Le patronat avait d’ailleurs déjà exprimé des velléités en ce domaine lors de la négociation sur la modernisation du marché du travail en 2008. En l’occurrence, il a franchi une étape supplémentaire dans la remise en cause du droit du travail.

Mme Francine Blanche, membre de la commission exécutive confédérale. Un groupe de travail, issu de la Commission nationale sur la formation tout au long de la vie, réfléchit actuellement à la question du compte personnel de formation. Il conviendrait pour le moins d’attendre ses conclusions avant de légiférer sur le sujet, d’autant plus qu’il existe un consensus dans ce groupe. Le compte personnel de formation n’apporte rien de neuf par rapport au droit individuel à la formation qui prévoyait déjà un quota de vingt heures par an et de cent vingt heures au bout de six ans. Et comme cela a déjà été dit, un employeur embauchera plus facilement un salarié qui n’a accumulé aucune heure de formation.

Nous sommes favorables à l’instauration de droits rechargeables, sauf que le MEDEF refuse de les financer ! Qui paiera, sachant que 50 % des chômeurs ne touchent même pas d’indemnités ? De nouvelles négociations sont nécessaires avant d’instituer ces droits pour des chômeurs qui vont affluer par milliers. On recense en effet plus de 1 000 chômeurs supplémentaires chaque jour.

Nous sommes très favorables aussi à la présence de représentants du personnel au sein des conseils d’administration et de surveillance, et avons d’ailleurs milité en ce sens au cours de la négociation, afin que la voix des salariés puisse compter. Cette disposition législative a d’ailleurs connu des évolutions par rapport à la rédaction de l’accord. Fort heureusement, il y est question non plus d’entreprises de plus de 5 000 salariés, mais bien de « sociétés » car sans cela, peu d’entreprises auraient été concernées étant donné que les grands groupes sont organisés en holdings et en sociétés individuelles. En revanche, le projet de loi ne dit mot des sociétés par actions simplifiées alors que ce type de structure se développe de façon exponentielle dans les grands groupes. Quant aux modalités de désignation de ces représentants du personnel, ce n’est quand même pas à l’assemblée générale des actionnaires d’en décider ! Tous les syndicats s’accordent pour considérer qu’il doit y avoir une élection directe.

Enfin, s’agissant de la taxation des contrats courts, on en a beaucoup parlé dans la presse mais jamais dans la négociation, à l’exception du dernier jour. Si l’on ne taxe que certaines catégories de contrats à durée déterminée, certains employeurs recourront à un autre motif ou encore à des contrats d’intérim puisque ceux-ci ne sont pas taxés, en cas de surcharge temporaire d’activité. Afin d’éviter la multiplication des contrats courts, il conviendrait d’adopter un texte s’appliquant à l’ensemble de ces contrats.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous vous remercions pour la qualité de vos réponses.

La séance est levée à dix-huit heures vingt.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 13 mars 2013 à 16 heures 15

Présents. – Mme Kheira Bouziane, Mme Fanélie Carrey-Conte, M. Gérard Cherpion, Mme Jacqueline Fraysse, Mme Hélène Geoffroy, M. Jean-Marc Germain, M. Jean-Patrick Gille, M. Jérôme Guedj, Mme Joëlle Huillier, M. Michel Issindou, M. Denis Jacquat, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Catherine Lemorton, Mme Véronique Louwagie, M. Gilles Lurton, M. Hervé Morin, Mme Ségolène Neuville, M. Arnaud Richard, M. Denys Robiliard, M. Arnaud Robinet, M. Gérard Sebaoun, M. Fernand Siré, M. Jean-Louis Touraine

Excusés. – M. Jean-Pierre Barbier, M. Richard Ferrand, M. Christian Hutin, M. Laurent Marcangeli, M. Christophe Sirugue, M. Francis Vercamer

Assistait également à la réunion. – Mme Michèle Bonneton