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Commission des affaires sociales

Mercredi 17 avril 2013

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 56

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

– Examen, ouvert à la presse, de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à autoriser le cumul de l’allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels (n° 664) (Mme Isabelle Le Callennec, rapporteure)

– Informations relatives à la Commission

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 17 avril 2013

La séance est ouverte à onze heures quinze.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La Commission examine, sur le rapport de Mme Isabelle Le Callennec, la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à autoriser le cumul de l’allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels (n° 664).

Mme la présidente Catherine Lemorton. La proposition de loi que nous allons examiner sera débattue en séance publique le jeudi 25 avril prochain, au cours de la journée réservée au groupe UMP.

Mme Isabelle Le Callennec, rapporteure. Proposée par la sénatrice Isabelle Debré et adoptée par le Sénat le 31 janvier dernier, cette proposition de loi vise à permettre le cumul du minimum vieillesse avec des revenus professionnels. En effet, le cumul d’une pension avec un emploi étant aujourd’hui autorisé pour tous les retraités, sauf pour ceux qui bénéficient du minimum vieillesse, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a recommandé de mettre fin à cette iniquité dans son rapport sur le cumul emploi-retraite de 2012.

Créé en 1956, le dispositif du minimum vieillesse permet de garantir un revenu minimal aux personnes n’ayant pas du tout, ou pas suffisamment pu, cotiser aux régimes de retraite au cours de leur carrière. Depuis 2007, les bénéficiaires du minimum vieillesse regroupent les titulaires de l’une des deux allocations permettant d’atteindre le plafond du minimum vieillesse – soit l’ancienne allocation supplémentaire vieillesse (ASV), soit la nouvelle allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA). L’ASV concerne environ les trois quarts des personnes allocataires du minimum vieillesse dont le nombre était estimé à quelque 570 000 à la fin de l’année 2010. Servie par vingt et une caisses de retraites, cette allocation minimum vient compléter les droits acquis à un avantage de base. À la fin de l’année 2011, 70 % des allocataires dépendaient de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) – cela représente 3,2 % des retraités du régime général. Le financement de cette allocation est assuré par le Fonds de solidarité vieillesse (FSV), dont elle représente en 2011 près de 13,6 % des dépenses, soit environ 3 milliards d’euros

Si le minimum vieillesse est une ressource minimum pour les personnes âgées, l’ASPA constitue une allocation différentielle, attribuée sous conditions de ressources. L’estimation des ressources exclut la valeur de la résidence principale, les prestations familiales et l’allocation de logement aux personnes âgées. L’allocation garantit un niveau de ressources minimales aux personnes âgées de 65 ans ou plus – cette condition d’âge étant ramenée à l’âge légal, de 60 à 62 ans, pour les personnes reconnues invalides ou inaptes au travail ainsi que pour d’autres catégories mentionnées à l’article L. 351-8 du code de la sécurité sociale. Le minimum vieillesse n’est attribué que lorsque les intéressés ne disposent pas de ressources supérieures à un plafond fixé par décret. L’ASPA a été fixée au 1er avril 2013 à 787,26 euros par mois pour une personne seule et à 1 222,27 euros pour un couple – sachant que le seuil de pauvreté s’élève actuellement à 964 euros pour une personne seule. Je ferais d’ailleurs observer que son plafond, pour une personne seule, a été revalorisé de 25 % entre 2009 et 2012. L’ASPA étant une allocation subsidiaire, il faut d’abord avoir fait valoir tous ses droits dans les différents régimes de retraite pour pouvoir en bénéficier.

Selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), l’âge moyen des allocataires s’élève à 75 ans : 72 ans pour les hommes et 76 ans pour les femmes. Les allocataires de 65 à 75 ans en représentent environ un tiers. De plus, 71 % sont des personnes seules, contre 41 % pour l’ensemble de la population âgée de 65 ans et plus. Enfin, les femmes représentent plus des trois quarts des allocataires.

C’est actuellement le caractère différentiel de l’allocation qui empêche son cumul avec des revenus du travail. Il n’est pas interdit à un allocataire du minimum vieillesse de percevoir des revenus d’activité, mais ceux-ci sont intégrés dans ses ressources et viennent donc en diminution du montant de l’allocation versée, ce qui annule le bénéfice de la reprise d’une activité.

Pour les autres retraités, le cumul emploi-retraite, institué par la loi du 21 août 2003, est ouvert à tout retraité, quels que soient la date de liquidation de sa pension et son régime de retraite. Il permet de percevoir simultanément une pension de retraite et des revenus d’activité. Il a été déplafonné par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009. Les cotisations versées ne sont pas créatrices de droits supplémentaires. La mesure n’est donc pas négative pour nos finances publiques. Le dispositif connaît un succès croissant à en juger par les statistiques. C’est pour de nombreux retraités le moyen de s’offrir une transition progressive vers, non pas l’inactivité, mais le « moins d’activité ». L’augmentation constatée concerne particulièrement les retraités du Régime social des indépendants.

Au total, l’IGAS estime le nombre de retraités cumulant un emploi et une retraite à 500 000 personnes sur 15 millions de pensionnés. À la fin de l’année 2010, plus de 281 000 retraités de droit direct étaient concernés par le cumul emploi-retraite au régime général.

Dans ce contexte, pourquoi autoriser le cumul du minimum vieillesse avec une activité ? Tout d’abord, compte tenu de la modicité du montant du minimum vieillesse et de la baisse du pouvoir d’achat, certaines personnes peuvent souhaiter compléter leurs revenus en exerçant une petite activité lorsqu’elles en ont encore la capacité. En outre, l’allongement de l’espérance de vie crée de nouveaux besoins, notamment en matière de santé. Or, il semblerait que faute de moyens, des bénéficiaires du minimum vieillesse renoncent à une complémentaire santé, au moment même où ils en auraient le plus besoin. De surcroît, le fait d’exercer une petite activité représente pour certaines personnes un moyen de conserver une vie sociale, de ne pas sombrer dans la solitude, voire de garder des liens avec d’autres générations. Enfin, ce sont souvent des femmes qui perçoivent le minimum vieillesse, car elles mènent plus souvent que les hommes des carrières incomplètes et pourraient avoir envie d’exercer une activité pendant quelques mois ou années supplémentaires.

Il va de soi que la reprise d’une activité à la retraite décroît à mesure que l’on avance en âge : un peu plus de 3 000 personnes du régime général exercent encore une activité à 75 ans, et un millier en dehors de celui-ci.

Quelles activités ce cumul pourrait-il concerner ? Des activités plutôt à temps partiel : services à la personne pour assurer la sortie d’école des élèves, emplois proposés par les mairies à raison d’un nombre d’heures très faible, notamment pour la mise en œuvre de la réforme des rythmes scolaires, dans les centres de loisirs par exemple. En zone rurale, il sera en effet difficile de recruter des étudiants pour assurer ces activités, ceux-ci suivant leurs cours dans les grandes villes pendant la semaine. Les retraités pourraient également assurer de petits remplacements dans des commerces tels que les bars et les bureaux de tabac, ou encore travailler dans le secteur agricole.

L’autorisation de cumuler le minimum vieillesse avec des revenus d’activité constituerait donc véritablement une mesure d’équité pour l’ensemble des retraités – une mesure de « justice », pour reprendre un terme qui vous est cher – sans alourdir nos finances sociales puisque le minimum vieillesse aurait été payé de toute façon. Elle créerait au contraire un gain financier pour le régime, puisque le complément d’activité exercé ferait l’objet de cotisations de retraite.

Actuellement, 0,8 % des allocataires du minimum vieillesse au régime général déclarent des revenus du travail, ce qui représente 3 300 personnes : celles-ci pourraient ainsi bénéficier d’allocations plus élevées. La plupart des cas concerneraient des allocataires qui ne travaillent pas actuellement ou qui ne déclarent pas leur activité. Ces quelques milliers de personnes, tout au plus – même si le chiffre est difficile à évaluer –, pourraient donc, si elles le souhaitent, améliorer leur pouvoir d’achat. Dans les faits, cette possibilité intéressera les allocataires du minimum vieillesse les plus jeunes, et en particulier les femmes.

La proposition de loi comprend deux articles modifiant le code de la sécurité sociale. L’article 1er permet de ne pas prendre en compte les revenus d’activité dans le calcul du montant de l’ASPA, jusqu’à un plafond de cumul fixé à 1,2 SMIC lorsque l’ASPA est versée à une personne seule, soit 1 346 euros actuellement – ce qui permettra à l’allocataire de compléter ses ressources jusqu’à 559 euros. La commission des affaires sociales du Sénat a ajouté un plafond spécifique pour les couples, à un 1,8 SMIC, soit un peu plus de 2 000 euros, qui permettra aux couples allocataires de bénéficier de revenus d’activité jusqu’à 790 euros. Quant à l’article 1er bis, il étend aux allocataires du minimum vieillesse la possibilité de cumuler les allocations de ce dispositif avec des revenus d’activité.

Mme la présidente Catherine Lemorton. L’augmentation du nombre de personnes bénéficiant de ces dispositifs témoigne de l’appauvrissement croissant des retraités. C’est un véritable problème.

M. Michel Issindou. Le groupe SRC a tout à fait conscience de l’importance du problème soulevé par cette proposition de loi. Les débats au Sénat l’ont montré. Cependant cette proposition présente des aspects positifs et négatifs.

S’agissant des aspects positifs, offrir la possibilité à des retraités aux revenus modestes qui le souhaitent de reprendre une activité permettrait, selon vous, de maintenir un lien social, mais cela ne correspond malheureusement qu’à une minorité de cas. Votre proposition permettrait en outre d’éviter le travail au noir de personnes souhaitant accroître leurs revenus sans perdre leur allocation, dont je rappelle qu’elle relève de la solidarité nationale et non d’un système contributif. Le dispositif offrirait en outre un complément de revenu à des personnes ne disposant que de 787,26 euros de ressources par mois, soit une somme insuffisante pour subvenir à leurs besoins de fin de vie.

Je précise que toutes les personnes potentiellement éligibles ne demandent pas nécessairement à bénéficier de cette allocation, car celle-ci est quérable sur succession – leurs héritiers peuvent être contraints de rembourser l’allocation lors de la liquidation de l’héritage. Un certain nombre de personnes en détresse financière préfèrent donc se « débrouiller » en faisant appel à la solidarité familiale, à des revenus divers, ou encore en vivant dans des conditions très modestes, frisant les limites de la décence.

Si, comme l’a fort justement rappelé la rapporteure, les retraités qui bénéficient d’une pension à taux plein ont la possibilité de reprendre le travail, dans les faits, il s’agit souvent de cadres ou de personnes ayant exercé un travail intéressant dans la fonction publique. Le cumul emploi-retraite a tellement été libéralisé qu’à 65 ans, ces personnes peuvent reprendre un travail immédiatement, sans être obligées de s’arrêter, même pour quelques mois – ce qui leur permet de percevoir à la fois une pension de retraite et un complément de revenu. Cela pose problème puisque l’on autorise des personnes bénéficiant déjà d’une retraite correcte à cumuler celle-ci avec un emploi relativement bien rémunéré.

Et si la mesure présente un aspect négatif, c’est qu’elle nous renvoie à un véritable problème de société : nous sommes tous frappés par les reportages télévisés nous montrant des retraités américains de 80 ans qui poussent des caddies et distribuent des prospectus publicitaires dans les boîtes aux lettres afin d’arrondir leurs fins de mois tout en n’étant parfois rémunérés qu’à raison d’une heure de travail sur deux. Voilà des gens complètement exploités par des employeurs qui, si ces retraités sont mécontents, savent pertinemment qu’ils peuvent les renvoyer chez eux. C’est là un modèle de société que nous refusons, car nous devrions pouvoir assurer une fin de vie plus paisible aux plus de 65 ans.

Par ailleurs, nous allons examiner un projet de réforme des retraites d’ici à quelques mois, ce qui nous fournira l’occasion de revoir la question des « petites retraites » et celle, déjà mentionnée, du cumul emploi-retraite. Enfin, la disposition proposée relève du décret, pas de la loi. Telles sont les raisons pour lesquelles j’invite mes collègues à ne pas adopter ce texte.

M. Arnaud Robinet. Je salue le dépôt et l’adoption de cette proposition de loi par le Sénat, ainsi que le travail de notre rapporteure. Madame la présidente, vous déplorez l’appauvrissement croissant des retraités, mais les mesures que vous soutenez ne feront qu’aggraver la situation, qu’il s’agisse de la contribution additionnelle de solidarité de 0,3 % prévue par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, de la désindexation des retraites complémentaires – certes décidée par les partenaires sociaux – qui risque de servir de prétexte à la réforme des retraites prévue à la fin de l’année, ou encore de l’objectif d’augmentation de la durée de cotisation sans reculer l’âge de la retraite, qui entamera encore davantage le pouvoir d’achat des retraités. Enfin, je suis tout à fait opposé à l’argument selon lequel il faudrait favoriser le partage du travail, car cette idéologie n’a jamais fonctionné.

Quant à l’objet de cette proposition de loi, le groupe UMP observe que le nombre de personnes bénéficiant du cumul emploi-retraite a augmenté – ce nombre est désormais de 500 000 environ. La libéralisation de ce cumul en 2009 a rendu le dispositif de plus en plus attractif, conformément d’ailleurs à la position du Conseil d’orientation des retraites (COR) selon lequel le droit à la retraite ne prive pas les retraités du droit fondamental au travail. Alors que des mécanismes d’intéressement existent pour d’autres minima sociaux et que le nombre d’allocataires du minimum vieillesse pourrait s’accroître dans le contexte budgétaire et financier actuel, nous comprendrions mal aujourd’hui que ceux-ci ne puissent pas cumuler leur allocation avec des revenus d’activité, surtout s’ils sont modestes. Ce constat est partagé par un syndicat qui, selon Isabelle Debré, a qualifié les règles actuelles d’« aberration juridique ».

Qui plus est, cette situation est véritablement inéquitable pour les allocataires du minimum vieillesse par rapport aux autres retraités : l’IGAS, qui a mis cette situation en évidence, considère qu’un mécanisme d’intéressement pour le minimum vieillesse corrigerait ce facteur d’inégalité d’accès au cumul emploi-retraite.

J’entends bien les objections de Michel Issindou, qu’elles portent sur la réforme des retraites à venir ou sur le caractère réglementaire de la mesure proposée. Il reste qu’adopter cette proposition de loi constituerait un signe fort pour les allocataires du minimum vieillesse, dont la situation est complexe.

C’est pourquoi le groupe UMP votera sans hésitation cette proposition de loi.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je suis surprise de la virulence de votre propos introductif, monsieur Robinet ! Sachez que j’assume parfaitement les mesures prises par le Gouvernement et que l’appauvrissement des retraités, loin d’en être le fruit, n’est que la conséquence de parcours professionnels de plus en plus chaotiques. C’est pourquoi je trouve fort regrettable que vous n’ayez pas voté le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi, qui vise précisément à mettre fin à ce chaos.

M. Arnaud Richard. Si cette proposition de loi n’a pas pour objet de résoudre l’ensemble des situations de pauvreté dans lesquelles se trouvent près d’un million de personnes âgées de plus de 64 ans, elle permet néanmoins aux personnes qui en ont la capacité de travailler sans en être pénalisées financièrement. Elle apporte une réponse pragmatique, humaine et de bon sens, en permettant aux allocataires du minimum vieillesse de conserver un lien avec la société et de continuer à percevoir des ressources issues d’une activité professionnelle. Le texte permettra également de rétablir une certaine équité entre les retraités dont le revenu dépend de la solidarité nationale et ceux qui perçoivent une pension contributive.

Je suis d’autant plus étonné de la position des députés de la majorité que leurs collègues sénateurs ont, quant à eux, adopté cette proposition de loi. Le groupe SRC semble déplorer que l’on légifère dans l’urgence. Or ce n’est pas le cas puisque l’IGAS a publié un rapport sur le cumul emploi-retraite. Enfin, vous objectez que cette disposition est du domaine réglementaire. Mais dans ce cas, prenez-le, ce décret !

Mme Véronique Massonneau. Dans une situation de crise comme celle que nous traversons, il convient d’œuvrer en faveur des plus démunis et des catégories les plus défavorisées. Les retraités étant frappés de plein fouet par la précarité, il est primordial de cibler certaines mesures sur cette catégorie de la population.

Cette proposition de loi vise à autoriser le cumul de l’allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels. S’il répond à une urgence, ce texte n’apporte cependant pas la solution idoine. Il conviendrait en effet de mener une réflexion plus approfondie – axée sur la place du travail, son organisation et la garantie des revenus et des droits – afin d’élaborer un texte de plus grande envergure. Et si la question de l’augmentation du minimum vieillesse et de l’ASPA mérite d’être posée, tant il est essentiel de garantir à chaque bénéficiaire un revenu minimum lui permettant de vivre au-dessus du seuil de pauvreté, il conviendrait aussi de réfléchir aux modalités de son financement plutôt que d’instaurer à l’aveuglette une mesure qui ne sera finalement aucunement efficace.

Je partage les propos tenus par la rapporteure au sujet de l’inégalité et de l’injustice existant entre un cadre à la retraite, qui peut cumuler sa pension avec des revenus de travail, et un allocataire de l’ASPA qui, lui, n’a pas cette possibilité. Une telle disposition est pourtant susceptible d’altérer la vision qu’ont nos concitoyens de l’âge légal de départ à la retraite, puisque cette autorisation de cumul risque d’inciter certains retraités à reprendre une activité. Or, cela concernera majoritairement des femmes ayant été contraintes de travailler à temps partiel et ayant subi des inégalités salariales. Au terme d’une vie active qui n’aura pas été de tout repos, devront-elles reprendre une activité pour s’assurer une retraite digne ?

Pour toutes ces raisons, le groupe écologiste s’abstiendra sur cette proposition de loi.

M. Bernard Perrut. Je souhaiterais tout d’abord rappeler qu’en quatre ans, le minimum vieillesse a été revalorisé de 25 %, ce qui concrétisait un engagement fort de la précédente majorité.

Cette proposition de loi poursuit un double objectif : d’une part, mettre fin à la situation de précarité dans laquelle se trouvent de nombreux retraités percevant une pension de retraite très faible – puisque près de 600 000 retraités sont aujourd’hui allocataires du minimum vieillesse ; d’autre part, instaurer au bénéfice des retraités les plus modestes la possibilité de cumuler le minimum vieillesse et des revenus d’activité. Il s’agit d’une mesure d’équité puisque le droit en vigueur autorise les autres retraités des secteurs public et privé à percevoir leur pension et des revenus professionnels sans limitation depuis 2009. On ne voit d’ailleurs pas quels seraient les arguments pour s’opposer à une telle évolution. Si nous soutenons ce projet de loi, c’est pour des raisons tant juridiques que philosophiques – relevant de l’équité. De fait, le cumul emploi-retraite représente un élément de la « retraite à la carte ». Cette mesure revêt aussi une dimension sociologique et psychologique, voire sociétale : permettre aux personnes retraitées de poursuivre une activité n’est neutre ni pour elles ni pour la société. Le Conseil d’orientation des retraites considère lui-même que le droit à la retraite ne prive pas les retraités d’un droit fondamental, celui du droit au travail.

Le texte proposé apportant une réponse humaine, pragmatique et de bon sens, je suis quelque peu déçu que certains collègues s’opposent à une évolution allant dans le sens de la justice en permettant à des retraités modestes de compléter leurs revenus.

Mme Kheira Bouziane. Mme la rapporteure a bien identifié les raisons ayant conduit Isabelle Debré à proposer ce texte, qu’il s’agisse de la pauvreté des personnes âgées, de leur accès à la complémentaire santé ou du droit des femmes à percevoir une retraite suffisante pour vivre dignement.

Si elle soulève de vraies questions, cette proposition de loi y apporte pourtant de très mauvaises réponses. Car que faire pour les autres personnes qui ne peuvent pas travailler ? Je ne reprendrai pas les arguments de mon collègue Michel Issindou. Pour ma part, je ne souhaite pas que nos retraités – surtout ceux qui ont beaucoup souffert au travail et ne percevaient pas de revenus élevés – doivent encore retourner travailler à l’âge où ils ont le droit de se reposer. À l’heure où un nombre important de jeunes cherchent du travail, peut-être faudra-t-il d’ailleurs remettre en cause le cumul emploi-retraite de certains cadres.

C’est pourquoi je voterai contre cette proposition de loi.

M. Jean-Pierre Door. Ce texte devrait nous rapprocher. Je suis donc surpris du grand écart existant entre les sénateurs et les députés socialistes.

Michel Issindou a objecté que ce texte relevait du niveau réglementaire : or, il y a quelques semaines, lorsque j’ai suggéré que les dispositions d’une proposition de loi relative au taux de sucre des aliments vendus dans les territoires d’outre-mer soient reprises par décret, il m’a été répondu qu’elles relevaient du niveau législatif. À l’inverse, une mesure aussi importante pour une part non négligeable de notre population que celle que nous proposons aujourd’hui relèverait du décret ! Reconnaissez tout de même qu’il y a deux poids deux mesures.

Ce texte représente une véritable avancée pour des retraités dont les moyens financiers sont extrêmement réduits, dont il faut améliorer la vie sociale tant ils vivent dans la solitude, et dont il faut favoriser le maintien en bonne forme physique tout en les aidant à lutter contre les maladies. Véritable rupture, le plongeon dans la retraite entraîne souvent des difficultés familiales et des drames médicaux. Dès l’instant où les gens partent à la retraite, ils se retrouvent perdus du jour au lendemain parce qu’ils ne s’y sont pas préparés. Préférez-vous que l’on améliore la situation financière de ces personnes ou qu’elles travaillent au noir ?

Pour toutes ces raisons, je voterai cette proposition de loi.

M. Élie Aboud. Franchement, cette proposition de loi devrait faire consensus ! Nous parlons de personnes qui ont de faibles revenus et qui se trouvent en difficulté. Et il s’agit non seulement d’une mesure d’équité – puisque les retraités percevant une retraite de droit propre peuvent, eux, cumuler leur retraite avec un emploi –, mais aussi d’une manière de lutter contre les fraudes. N’oublions pas que certains fonctionnaires partant très tôt à la retraite après avoir été très actifs dans des syndicats continuent à travailler au noir !

Je comprends la réticence de nos collègues du groupe socialiste : je suis persuadé qu’ils partagent notre point de vue sur le fond, mais c’est le travail après la retraite qui leur pose problème. Or, comment relancer la croissance dans une société où l’on entre si tard dans l’activité où on la quitte si tôt et au cours de laquelle on travaille le moins possible ?

Cette proposition de loi aurait donc très bien pu être déposée par le groupe SRC – auquel cas je suis convaincu que nous l’aurions votée à l’unanimité.

Mme Bérengère Poletti. Je regrette que la gauche ait une position aussi démagogique sur ce texte. Michel Issindou parle de « fin de vie » à 65 ans : cette expression est déplorable, car à cet âge-là, loin d’être à la fin de sa vie, on a encore une espérance de vie considérable devant soi et bien des choses à faire !

Pourquoi interdirait-on aux retraités qui souhaitent reprendre librement une activité professionnelle de le faire, alors que cela leur permet de quitter progressivement le monde du travail et d’éviter ainsi le choc brutal que représente la retraite – même lorsqu’elle est attendue pendant des années ? Certaines études démontrent même que les personnes qui continuent à travailler très longtemps ont une espérance de vie plus longue, à condition que leur travail ne soit pas une contrainte pour elles.

D’aucuns objectent que la mesure vise les plus pauvres : eh bien justement ! Cela peut leur permettre de percevoir des revenus complémentaires et d’arrondir leurs fins de mois. Quant à l’argument selon lequel certaines personnes ne peuvent pas travailler, doit-on pour autant empêcher les autres de le faire ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je doute qu’un couvreur du bâtiment vive plus longtemps en travaillant sur un toit jusqu’à 70 ans…

M. Rémi Delatte. Avancée sociale et mesure d’équité pour les allocataires du minimum vieillesse vis-à-vis des autres retraités qui peuvent, eux, cumuler une activité avec la retraite, ce texte améliorera le pouvoir d’achat et l’insertion sociale de personnes aux revenus très faibles, pour lesquelles le départ à la retraite est parfois difficile à vivre. Et contrairement à ce que l’on a entendu, il n’est pas question d’imposer à qui que ce soit de travailler puisque le dispositif est fondé sur le libre choix de chacun.

Cette mesure est essentielle compte tenu de la conjoncture et du fait que pour la première fois, le pouvoir d’achat diminue, malgré la hausse de 25 % du minimum vieillesse consentie au cours des cinq dernières années.

Si nos collègues socialistes considèrent que ce n’est pas le moment d’adopter une telle mesure, je crains bien que ce ne le soit jamais – sans doute parce que cette proposition de loi vient de l’opposition. N’attendons pas la réforme des retraites pour voter une mesure qui, de surcroît, loin de peser sur nos finances sociales, nous procurera des recettes supplémentaires issues des cotisations versées par les personnes qui reprendront une activité. En la période actuelle, adopter ce texte constituerait un signal fort !

Mme Véronique Louwagie. Je remercie la rapporteure pour la qualité de son exposé, comme je la remercie d’avoir repris à son compte ce texte qui ouvre un droit nouveau à des personnes ayant des ressources modestes.

Le maintien en activité, fût-il à temps partiel, créerait de surcroît du lien social pour certains retraités qui vivent dans l’isolement. La proposition de loi apporte également une réponse au problème des rythmes scolaires, notamment dans les communes rurales, qui ne bénéficient pas toujours de l’aide ponctuelle des associations. Elle répare enfin une profonde injustice, puisque les personnes qui ne perçoivent pas l’ASPA peuvent cumuler sans limite emploi et retraite.

Je reste dubitative face à la position de la majorité qui, sous prétexte que la proposition de loi ne règle pas tout, se refuse à la voter. Avec de tels arguments, on ne voterait jamais aucun texte ! Celui qui nous est soumis, en l’occurrence, constituerait un réel progrès.

Mme Véronique Besse. Je félicite également la rapporteure de son exposé. Ce texte, proposé par l’UMP, est une excellente initiative, car les retraités concernés ont des revenus très faibles ; il permettrait au surplus, comme on vient de le rappeler, de corriger une inégalité. Connaît-on le nombre de personnes potentiellement concernées par ces dispositions ? Des expériences similaires ont-elles été menées dans d’autres pays européens ?

M. Gilles Lurton. Je m’associe aux félicitations adressées à la rapporteure, qui est comme moi élue d’un département précurseur en matière d’expérimentations sociales.

La proposition de loi me semble de nature à résoudre le problème de nombreuses personnes dont les revenus sont faibles et dont les capacités physiques et intellectuelles, intactes, leur permettraient de travailler, comme elles le souhaitent souvent. Leurs ressources, de plus en plus faibles, ne leur permettent pas de faire face aux futures dépenses liées à la dépendance ; on peut donc comprendre qu’elles désirent les augmenter par le travail, surtout lorsque l’on connaît le niveau du minimum vieillesse. J’ajoute que cette mesure de bon sens ne coûtera rien aux finances publiques. Je la voterai donc sans hésitation.

Mme la rapporteure. Je remercie les collègues qui ont apporté leur soutien au texte et espère convaincre les autres de changer d’avis. Du reste, en défendant une telle proposition de loi je viens à la rescousse du ministre de l’éducation nationale, car les personnes auxquelles elle s’adresse pourraient contribuer à la mise en œuvre de la réforme des rythmes scolaires !

Le nombre de bénéficiaires du minimum vieillesse, contrairement à certaines idées reçues, stagne, voire diminue depuis les années 1960 – pour atteindre aujourd’hui quelque 570 000 personnes –, car de plus en plus de retraités ont désormais des carrières complètes. Reste que les intéressés sont, comme les autres Français, confrontés à la diminution de leur pouvoir d’achat, si bien que leur précarisation croissante entraîne une diminution de ce qu’il est convenu d’appeler leur « reste à vivre ». Je vous remercie, madame Bouziane, d’avoir reconnu que certains d’entre eux renoncent d’ailleurs à souscrire une complémentaire santé. C’est là, me semble-t-il, un argument majeur au moment où l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 a prévu de généraliser ces complémentaires à l’ensemble des salariés.

Vous vous êtes interrogée, madame Bouziane, sur ce qu’il convient de faire pour les retraités qui ne peuvent travailler ; mais la proposition de loi apporte une réponse à ceux qui peuvent et souhaitent travailler ; elle ne fait qu’offrir une possibilité nouvelle.

Vous reprochez au texte, madame Massonneau, d’avoir été lancé « à l’aveuglette ». Je le rappelle, 0,8 % des bénéficiaires du minimum vieillesse cumulent cette prestation avec un emploi, ce qui ne leur rapporte strictement rien. Par les temps qui courent, un complément de revenus ne serait pas négligeable pour eux, sans compter que le système actuel favorise le travail non déclaré. L’idée directrice, je le répète, est d’inciter à la reprise d’activité, en aucun cas d’y obliger. Vous avez posé une question très juste, sans doute, mais nous aurons l’occasion d’en débattre lors de la prochaine réforme des retraites. En attendant, comme vous l’avez reconnu vous-même, le texte corrige une inégalité flagrante dans la mesure où certains cadres peuvent, contrairement aux bénéficiaires du minimum vieillesse, cumuler emploi et retraite.

Il est difficile, madame Besse, d’évaluer le nombre de personnes potentiellement concernées ; en tout cas, comme le notait Rémi Delatte, la mesure n’aura aucun coût pour les finances publiques, et d’autant moins que l’activité professionnelle est soumise à cotisations.

Michel Issindou a invité ses collègues à « ne pas voter » le texte, ce qui peut suggérer un rejet ou une abstention. À l’entendre, les aspects positifs semblent l’emporter d’ailleurs sur les négatifs, lesquels se résument aux craintes ressenties devant un reportage télévisé montrant des retraités américains obligés de reprendre une activité à plus de 75 ans. Vous avez raison, monsieur Issindou, de poser la question du modèle de société ; mais en l’occurrence, je souhaite précisément que les personnes âgées y aient toute leur place, en travaillant ou non. En tout état de cause, les centenaires expliquent souvent leur longévité par la poursuite d’une activité.

Vous avez vous-même énuméré les aspects positifs de la mesure : elle ne s’appliquerait que sur la base du volontariat ; elle rétablirait de l’équité, permettrait de combattre le travail au noir et apporterait aux intéressés un complément de revenus. Par ailleurs, certains renoncent en effet au minimum vieillesse s’il est susceptible d’être récupéré lors de la succession, ce qui est le cas lorsque celle-ci dépasse 39 000 euros.

Vous arguez aussi de la future réforme des retraites ; mais il ne vous a pas échappé que de telles réformes ne sont pas faciles à mener à bien, et qu’elles peuvent prendre du temps. De plus, la mesure risquerait d’être perdue de vue si nous la différions pour la discuter dans ce cadre. Le cumul entre un emploi et la retraite est au cœur des débats – et vous n’en remettez pas le principe en cause, me semble-t-il –, de même que l’âge de départ en retraite et le nombre d’années de cotisation ; mais en adoptant cette proposition, nous améliorerions la situation de plusieurs milliers de personnes. Quoi qu’il en soit, s’il est légitime de s’interroger sur le cumul, cela ne doit pas conduire à pénaliser, sur ce plan, les bénéficiaires du minimum vieillesse.

Si par ailleurs la mesure relève d’un décret, pourquoi, comme l’observait Arnaud Richard, le Gouvernement ne prendrait-il pas un tel décret dès maintenant ? Je rappelle enfin que les sénateurs socialistes se sont abstenus et que la ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l’autonomie, après avoir levé le gage, s’en est remise à la sagesse de la Haute assemblée.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Il me semble bien, madame la rapporteure, que Michel Issindou a invité son groupe non pas à s’abstenir, mais à voter contre le texte…

La Commission en vient à l’examen des articles.

Article 1er : Autorisation du cumul de l’allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus d’activité

La Commission rejette l’article 1er.

Article 1er bis : Extension de l’autorisation de cumul aux allocataires du minimum vieillesse

La Commission rejette l’article 1er bis.

Article 2 (Supprimé)

La Commission maintient la suppression de l’article 2.

La séance est levée à douze heures quinze.

——fpfp——

Informations relatives à la Commission

La Commission des affaires sociales a désigné :

– M. Damien Abad, rapporteur sur sa proposition de loi relative à l’égalité des droits et à l’intégration des personnes en situation de handicap (n° 516) ;

– M. Christian Paul, rapporteur pour avis sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la démocratie sociale (n° 813) ;

– M. Richard Ferrand, rapporteur sur la proposition de loi de M. Bruno Le Roux portant déblocage exceptionnel de la participation et de l’intéressement (n° 909).

Présences en réunion

Réunion du mercredi 17 avril 2013 à 11 heures

Présents. – M. Damien Abad, M. Élie Aboud, M. Bernard Accoyer, M. Pierre Aylagas, M. Gérard Bapt, M. Jean-Pierre Barbier, Mme Véronique Besse, Mme Gisèle Biémouret, Mme Kheira Bouziane, Mme Valérie Boyer, Mme Sylviane Bulteau, M. Jean-Noël Carpentier, Mme Fanélie Carrey-Conte, Mme Martine Carrillon-Couvreur, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Rémi Delatte, M. Jean-Pierre Door, M. Richard Ferrand, M. Jean-Marc Germain, M. Jean-Patrick Gille, Mme Linda Gourjade, M. Henri Guaino, Mme Sandrine Hurel, M. Christian Hutin, M. Michel Issindou, M. Denis Jacquat, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Bernadette Laclais, Mme Conchita Lacuey, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Annie Le Houerou, Mme Catherine Lemorton, M. Céleste Lett, M. Michel Liebgott, Mme Véronique Louwagie, M. Gilles Lurton, M. Laurent Marcangeli, Mme Véronique Massonneau, M. Pierre Morange, M. Hervé Morin, Mme Ségolène Neuville, Mme Dominique Orliac, M. Christian Paul, M. Bernard Perrut, Mme Martine Pinville, Mme Bérengère Poletti, M. Arnaud Richard, M. Denys Robiliard, M. Arnaud Robinet, M. Jean-Louis Roumegas, M. Gérard Sebaoun, M. Fernand Siré, M. Dominique Tian, M. Jean-Louis Touraine, M. Olivier Véran, M. Francis Vercamer

Excusés. – M. Gérard Cherpion, Mme Monique Iborra, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Monique Orphé, Mme Luce Pane, M. Christophe Sirugue, M. Jonas Tahuaitu