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Commission des affaires sociales

Mardi 17 septembre 2013

Séance de 16 heures 45

Compte rendu n° 83

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

– Examen, ouvert à la presse, de la proposition de loi de M. Gérald Darmanin visant à accorder un prêt à taux zéro pour l’aménagement du domicile des personnes handicapées moteur (n° 494)

– Audition, ouverte à la presse, de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes sur le rapport annuel sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mardi 17 septembre 2013

La séance est ouverte à dix-sept heures quinze.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La Commission examine, sur le rapport de M. Gérald Darmanin, sa proposition de loi visant à accorder un prêt à taux zéro pour l’aménagement du domicile des personnes handicapées moteur (n° 494).

Mme la présidente Catherine Lemorton. Inspirée du dispositif en faveur de l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments, cette proposition de loi, dont les auteurs sont M. Gérald Darmanin et plusieurs députés du groupe UMP, sera examinée en séance publique le jeudi 3 octobre.

M. Gérald Darmanin, rapporteur. Je remercie cette Commission de m’avoir accueilli en son sein et de m’avoir désigné pour rapporteur. La proposition de loi que j’ai déposée avec David Douillet et de nombreux collègues a un objet assez simple : il s’agit d’étendre le champ du prêt à taux zéro à la réalisation de travaux d’aménagement au domicile des personnes handicapées. L’idée nous en est venue, à David Douillet et à moi, de la rencontre que nous avons faite d’une famille dont la petite fille est devenue, après un accident, handicapée à 80 % : ces parents, appartenant à la classe moyenne, se sont heurtés à d’énormes difficultés pour aménager leur logement, faute de financements adéquats et d’une écoute attentive de la part des institutions. Les travaux nécessaires se montaient à peu de choses – par exemple, changer les poignées de porte, remplacer les éviers et la baignoire, agrandir l’entrée de leur salon –, mais ils auraient eu besoin, si ce n’est d’une subvention, du moins d’un prêt à taux zéro pour les réaliser.

Cette proposition de loi n’a pas pour autant été conçue sous le coup de l’émotion et ses dispositions pourront trouver à s’appliquer à de nombreux cas, d’enfants comme d’adultes. Elle a d’ailleurs rencontré un écho favorable auprès des associations représentant les personnes handicapées que j’ai rencontrées.

La France compte en effet aujourd’hui plus de deux millions de citoyens à mobilité réduite, pour qui l’autonomie représente un enjeu important. Cette question se pose d’ailleurs tant aux collectivités locales qu’à l’État, qui doivent accompagner au mieux les personnes handicapées. Or, dans ma région, de nombreux enfants et adultes handicapés partent en Belgique parce qu’il n’y a pas suffisamment de structures d’accueil en France. Il est nécessaire et urgent de prendre des mesures positives dans ce domaine d’autant que, depuis un an et demi, la nouvelle majorité n’a toujours pas présenté de texte en faveur des personnes handicapées. Nous souscrivons pourtant tous à l’engagement n° 32 de l’actuel Président de la République, qui garantissait « l’existence d’un volet handicap dans chaque loi ».

Le dispositif proposé présenterait un avantage important pour les personnes handicapées souhaitant rester à domicile. En effet, la véritable autonomie consiste précisément à pouvoir continuer à vivre chez soi, chez ses parents ou chez ses enfants – selon son âge et son handicap – en toute sécurité et sans trop de difficultés. Nous avançons donc ici une solution alternative à celle qui est proposée d’ordinaire – l’hébergement en maison de retraite ou en résidence spécialisée – et qui serait à la fois bien plus souhaitable pour les intéressés et moins coûteuse pour eux comme pour l’État et pour les collectivités locales. Il n’est bien sûr pas dans notre idée d’obliger les personnes en situation de handicap à contracter un prêt : notre intention est de leur offrir la possibilité d’un meilleur épanouissement et d’une plus grande autonomie. Or, si l’État contribue déjà à leur intégration en favorisant l’accessibilité et le maintien à domicile, il est possible de faire encore davantage pour elles, dans le prolongement de la loi du 11 février 2005, en les aidant à aménager leur logement.

Ce que nous proposons n’est pas une subvention, mais un prêt à taux zéro, comme il en existe pour d’autres incitations relevant de l’État et des collectivités locales. En effet, nous partons du principe que les personnes contractant un tel prêt ont simplement besoin d’un « coup de pouce » à un moment difficile de leur vie qu’ils n’avaient pas forcément prévu, comme dans le cas d’un handicap survenu à la suite d’un accident.

Les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ont parfois bien du mal à instruire les dossiers dans un temps raisonnable. Nous connaissons d’ailleurs tous dans nos circonscriptions des exemples de personnes confrontées à un handicap – le leur ou celui de leur enfant – qui doivent attendre de six mois à un an que leur cas soit traité. Le dispositif que nous proposons aujourd’hui permettrait de leur venir en aide plus facilement et plus rapidement.

Cette proposition comprend trois mesures. L’article 1er crée un prêt à taux zéro financé grâce à un crédit d’impôt accordé aux banques. En effet, s’il existe aujourd’hui des dispositifs servant des fins similaires, ils arriveront à échéance à la fin de 2014 et je n’ai pour l’heure pas entendu le Gouvernement exprimer sa volonté de les remplacer ou de les proroger. La tenue d’un comité interministériel du handicap a certes été prévue, mais elle a été reportée à la fin du mois de septembre et il est urgent de prendre des décisions sur le sujet.

La procédure proposée aurait l’avantage de la simplicité : la famille s’adresserait à la banque qui, bénéficiant d’un crédit d’impôt financé par l’État, accorderait un prêt à taux zéro dont nous avons fixé le plafond à 32 500 euros, après une évaluation du coût des aménagements en cause réalisée avec le concours de plusieurs associations.

L’article 2 assouplit les conditions d’accès des personnes handicapées au prêt à taux zéro pour une première accession à la propriété. Enfin, je propose, par un amendement portant article additionnel après l’article 2, que les logements sociaux situés en rez-de-chaussée soient prioritairement réservés aux personnes à mobilité réduite – mesure dont tous les élus locaux peuvent mesurer l’utilité.

Ayant vocation à être transpartisane, cette proposition de loi ne devrait susciter aucune opposition, si ce n’est sur des points techniques. Je vous invite donc à adopter ces mesures simples et de bon sens, auxquelles tous nos concitoyens ont à gagner.

Mme Martine Pinville. L’adaptation du logement des personnes handicapées est un sujet auquel nous sommes tous sensibles et sur lequel nous sommes d’ailleurs régulièrement sollicités dans nos circonscriptions. Il nous faut cependant faire preuve de prudence dans la manière de l’aborder. Vous nous proposez la création d’un prêt à taux zéro destiné à des familles relativement modestes qui ne peuvent bénéficier des aides existantes. Cependant, votre dispositif repose sur un crédit d’impôt, ce qui revient à en exclure les 50 % de foyers non imposables. Dès lors, il serait sans doute préférable de travailler à une meilleure articulation des aides existantes, telles que la prestation compensatoire du handicap (PCH), les aides de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) et le crédit d’impôt de l’article 200 quater du code général des impôts, tout en les faisant mieux connaître du grand public.

Le Comité interministériel pour le handicap (CIH) se réunira le 25 septembre prochain, donc très bientôt, pour traiter de ces sujets. En outre, une réflexion visant à réformer les dispositifs actuels est en cours en vue de les étendre à l’accueil des ascendants âgés et des descendants handicapés. Ces améliorations de l’existant lui semblant prioritaires, le groupe socialiste, dans l’attente des décisions qui seraient prises lors du prochain CIH, ne votera pas la proposition de loi, si bonne que soit l’intention.

Mme Bérengère Poletti. Cette excellente initiative s’inscrit parfaitement dans l’esprit de la grande loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, qui a consacré un droit à compensation du handicap et une obligation de mise en accessibilité des espaces publics, des systèmes de transport et du cadre bâti neuf – la conformité à ces nouvelles normes devant être acquise en 2015.

Nous recevons tous très régulièrement, dans nos permanences parlementaires, des personnes en situation difficile, contraintes par un accident ou par la naissance ou la maladie d’un enfant handicapé à des dépenses auxquelles elles ne peuvent faire face. Certes, plusieurs dispositifs existent déjà, tels que les aides de l’ANAH au profit des propriétaires occupants, des locataires aux faibles revenus et des propriétaires bailleurs, le 1 % Logement pour les salariés et surtout la prestation de compensation du handicap délivrée par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). On pourrait encore ajouter à la liste un crédit d’impôt équipement couvrant 25 % des dépenses, mais celui-ci arrivera malheureusement à expiration à la fin de l’année 2014. Qui plus est, ces dispositifs sont incomplets et insuffisants. Et il me paraît difficilement concevable, en cette période où le budget est sous tension, d’accroître ces aides financières dans une proportion utile pour aider les personnes concernées à aménager leur appartement ou leur maison. Le dispositif que vous nous proposez permettrait en revanche de répondre en grande partie à leurs besoins. C’est pourquoi le groupe UMP soutiendra cette proposition de loi, dont je félicite M. Darmanin.

Il conviendrait en outre d’ouvrir des discussions avec les professionnels du bâtiment – de même qu’au niveau européen – sur les normes de construction. En effet, si l’on prévoyait des portes de largeur suffisante avant toute construction d’un bâtiment, on aurait moins à dépenser par la suite pour adapter les logements.

M. Arnaud Richard. Nous retrouvons dans cette proposition de loi une idée qui a souvent été avancée dans les débats relatifs au prêt à taux zéro. Si la disette budgétaire actuelle peut conduire à s’interroger sur l’opportunité d’étendre le champ des bénéficiaires de ce prêt – champ qui a d’ailleurs été restreint au cours des derniers mois –, le moyen est sans doute le plus approprié pour faciliter l’accession à la propriété ou, dans le cas des handicapés qui nous occupe, l’aménagement d’un logement.

Je salue également l’amendement du rapporteur et de David Douillet après l’article 2, définissant les conditions dans lesquelles les personnes handicapées pourront accéder aux logements sociaux situés en rez-de-chaussée.

Mme Sylviane Bulteau. M. Darmanin a raison de souligner les difficultés que rencontrent les personnes handicapées ou leur famille pour financer l’adaptation de leur logement. Cependant, comme on l’a rappelé, des aides existent déjà, telles celles des fonds départementaux de compensation du handicap et les prestations légales relevant des caisses primaires d’assurance maladie, de l’ANAH et de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH). Il conviendrait toutefois, afin de retrouver l’esprit de la loi du 11 février 2005 qui vise à la compensation intégrale du handicap, de réviser dans chaque département le règlement intérieur du fonds de compensation car il est anormal que l’on ne puisse faire appel à celui-ci pour changer des poignées de porte ou des éviers. En effet, à chaque département sa MDPH et son règlement intérieur propre.

Cette proposition de loi pose par elle-même problème : comment, compte tenu de leurs ressources généralement très modestes, les personnes handicapées pourront-elles rembourser le prêt qui leur sera consenti ? Dans plusieurs départements et communes, des efforts importants sont déployés pour adapter les logements au handicap : sans doute conviendrait-il, d’une part, d’améliorer le pilotage de ces opérations afin de construire partout – en milieu urbain comme en milieu rural – des logements accessibles et, d’autre part, de rendre les aides financières existantes plus lisibles et de les faire connaître afin d’éviter aux familles d’avoir à subir un véritable parcours du combattant.

M. Élie Aboud. Faisons un peu de politique-fiction : si le rapporteur avait appartenu au groupe SRC, cette proposition de loi n’aurait-elle pas été reçue tout différemment ? J’entends certes les observations faites sur tel ou tel aspect de ce texte, mais le sujet vaudrait qu’on dépasse les clivages politiques.

En dépit de toutes les aides existantes, la société a parfois du mal à accompagner les personnes handicapées vieillissantes. C’est au regard de cette difficulté que je trouve votre proposition de loi extrêmement intéressante, monsieur le rapporteur. Il est vrai que les bailleurs sociaux ont l’obligation d’adapter des logements, mais elles y satisfont dans des proportions variables. Or aucun locataire n’ira contracter un prêt pour réaliser des travaux dans un logement social. Il y a donc ici un vide à combler. D’autre part, pourriez-vous être plus explicite sur les obstacles auxquels se heurteraient les personnes propriétaires depuis plus de deux ans qui voudraient acquérir un logement plus modeste ou pour faire des travaux ?

Mme Véronique Louwagie. Je félicite le rapporteur pour cette proposition de loi simple et de bon sens, en faveur de personnes fragiles.

Les MDPH et les conseils généraux interviennent différemment selon les départements. Ainsi le département de l’Orne distribue-t-il des subventions aux personnes en situation de handicap afin de leur permettre de se doter des équipements dont elles ont besoin dans la vie quotidienne. Sachant que certaines modalités d’application de votre proposition seront définies par décret en Conseil d’État, il conviendra de veiller à ce que ce prêt à taux zéro soit également ouvert aux personnes bénéficiaires de ces aides départementales. Enfin, si plusieurs personnes en situation de handicap vivent dans un même logement, le plafond du prêt sera-t-il relevé à proportion de leur nombre ?

M. Fernand Siré. En tant que médecin, je ne puis que m’associer à cette proposition de loi : tout ce que l’on peut faire en faveur des personnes handicapées est bienvenu. Cela étant, le handicap peut être de naissance, lié à la vieillesse, dû à un accident, aux séquelles d’une maladie ou encore à une maladie évolutive, conduisant la faculté à émettre un avis réservé sur l’espérance de vie de l’intéressé. Il conviendra donc que l’État ou un autre organisme se porte caution pour les personnes en fin de vie ou dont on sait l’avenir compromis, afin d’éviter que les banques ne refusent de leur prêter comme elles le font chaque fois que le risque de décès de l’emprunteur est élevé.

M. Jean-Pierre Door. Je félicite à mon tour M. Gérald Darmanin pour cette proposition de loi qui étend le champ d’application du prêt à taux zéro – excellent dispositif visant à aider les primo-accédants à la propriété mais dont certaines catégories de personnes, notamment les personnes handicapées, avaient été en partie exclues. De ce point de vue, le texte améliore heureusement l’excellente loi Montchamp de 2005. Quant à l’amendement du rapporteur visant à attribuer en priorité les logements sociaux situés en rez-de-chaussée aux personnes handicapées ou à mobilité réduite, il répond à nombre de demandes formulées tant auprès des MDPH qu’auprès de nos permanences. Je regrette donc comme M. Aboud que des dispositions aussi simples qu’humaines ne recueillent pas l’unanimité de la Commission.

M. Gilles Lurton. Même si toutes les personnes handicapées ne peuvent en bénéficier, cette proposition de loi sera indéniablement utile à beaucoup. En effet, en dépit de toutes les mesures déjà prises, nombre d’entre elles ont les plus grandes difficultés à obtenir des banques le prêt dont elles auraient besoin pour acquérir ou aménager leur logement. Cela étant, le rapporteur pourrait-il nous confirmer que, dans son amendement portant article additionnel après l’article 2, la priorité qu’il propose d’accorder aux personnes à mobilité réduite ne vaut pas exclusivité ? Présidant une commission d’attribution des logements, je sais qu’il n’est pas toujours possible de satisfaire ce genre de demandes.

Mme Isabelle Le Callennec. Puisque la majorité reconnaît des mérites à cette proposition de loi, ne serait-ce que celui de poser une vraie question, n’attendons pas : simplifions sans attendre les dispositifs existants et complétons-les dans un souci de cohérence. En effet, ils ne couvrent pas tous les cas et cela justifie la présentation de ce texte comme cela justifierait son approbation unanime.

Cela étant, la proposition renvoie à un arrêté du ministre chargé du budget le soin de fixer la liste des travaux entrant dans le champ d’application du dispositif. Cet arrêté ne devrait-il pas être cosigné par le ministre chargé des personnes handicapées ?

M. Bernard Perrut. Cette proposition de loi complète heureusement les dispositions déjà prises sur ce sujet du handicap et est en particulier conforme à l’esprit de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Je regrette par conséquent qu’elle ne fasse pas consensus.

Déjà, le 25 avril dernier, nos collègues du groupe SRC ont rejeté la très intéressante proposition de loi relative à l'égalité des droits et à l'intégration des personnes en situation de handicap, présentée par Damien Abad. Aujourd’hui, une fois de plus, voici que nous ne nous accorderons pas sur un dispositif qui n’a pourtant rien de politique, puisqu’il tend uniquement à améliorer la qualité de vie de nos concitoyens handicapés !

M. Denis Jacquat. Le coût de l’aménagement du domicile des personnes handicapées moteur représente une lourde charge financière et, malgré les aides existantes, le reste à payer demeure très important. Nous le constatons souvent dans nos circonscriptions, certains ont à s’acquitter de factures hors de proportion avec leurs revenus, même pour des personnes aisées. Le complément assuré par cette proposition de loi serait donc bienvenu.

J’ai bien entendu les remarques de notre collègue Martine Pinville, mais elles peuvent se traduire en amendements. J’ai peur en effet qu’un rejet du texte ne bloque toute évolution ou, tout du moins, ne reporte de plusieurs mois la résolution d’un problème réel. Or les personnes handicapées attendent de bénéficier d’une politique sociale substantielle, dont elles ont grand besoin – on n’en fait jamais assez en France pour elles !

Mme la présidente Lemorton. Le Premier ministre, dès son entrée en fonction, a pris des mesures pour que le handicap soit pris en compte dans tous les textes de loi.

M. Christian Paul. Je vous remercie, madame la présidente, de le rappeler ; et, même s’il s’agissait de donner des orientations pour les travaux préparatoires des lois de la République, je ne trouve pas choquant que le Premier ministre ait procédé par voie de circulaire : le moyen est rapide et efficace.

Je note une égale motivation de la part des députés de la majorité et de ceux de l’opposition pour résoudre les problèmes très concrets des personnes en situation de handicap – en l’espèce leurs problèmes de logement – et loin de nous également l’idée de dénier à l’opposition le droit de déposer des propositions de loi. Nous serions même disposés à voter celles-ci si elles traitaient d’un domaine laissé en jachère. Il se trouve simplement que la question du handicap n’entre pas dans cette catégorie. Le Gouvernement travaille sur le sujet et des mesures ont été prises au cours des dix-huit premiers mois de la législature. En outre, un comité interministériel du handicap se tiendra le 25 septembre prochain : ce sera l’occasion pour le Gouvernement de proposer au pays, en particulier aux associations concernées, des dispositions concrètes, y compris sur le logement.

Nous ne pouvons donc pas voter cette proposition de loi. Sur un sujet aussi important, le Parlement et le Gouvernement ne doivent pas cheminer séparément, mais ensemble. C’est dans cet esprit que nous travaillons avec l’exécutif – tout spécialement Martine Carrillon-Couvreur, Martine Pinville et Jérôme Guedj, qui suivent ces questions pour notre groupe – et nous sommes confiants dans les résultats de ce comité interministériel.

M. le rapporteur. Je vous remercie, mes chers collègues, d’être intervenus si nombreux.

Peut-être me suis-je très mal exprimé, mais je n’ai pas compris votre objection relative aux effets d’exclusion qu’aurait le crédit d’impôt, madame Pinville. La proposition de loi dispose que les personnes en situation de handicap pourront bénéficier d’un prêt à taux zéro, et non d’un crédit d’impôt : celui-ci sera consenti aux banques qui leur prêteront. Votre critique sur ce point n’est donc pas fondée.

C’est la troisième fois que je propose ce dispositif – je l’ai d’abord fait en séance à l’occasion de l’examen du projet de loi sur le logement présenté par Mme Duflot ; ensuite en complément de la proposition de loi de M. Abad ; enfin aujourd’hui. À chaque fois, on m’a opposé la tenue prochaine d’un comité interministériel mais, initialement prévue pour janvier dernier, celle-ci a été reportée au mois de juin et, finalement, à la fin du mois de septembre. Comme le sujet qui nous occupe est de l’avis de tous un sujet important, je proposerai une solution de compromis : cette proposition de loi ne devant être examinée en séance publique que le 3 octobre, le groupe SRC, pour prouver sa bonne foi, ne pourrait-il s’abstenir aujourd’hui en attendant les conclusions du comité interministériel ? Ainsi, le 3 octobre, nous pourrions tous faire preuve d’esprit constructif, et non politicien.

Je remercie tous les parlementaires qui soutiennent cette proposition de loi que j’ai déposée avec David Douillet.

Je partage tout à fait votre avis, madame Poletti, à propos des normes de construction. Conformément à la circulaire du Premier ministre, chaque texte de loi devrait comporter un volet handicap dès lors qu’il concernerait un domaine dans lequel on peut faciliter la vie des personnes handicapées. Prévoir coûtera toujours moins cher que réparer. En tant que rapporteur ou, si la Commission n’y consent pas, à titre individuel, je serai donc heureux de soutenir en séance les amendements que vous pourriez déposer sur le sujet.

Madame Bulteau, c’est avant tout une mesure de simplification que nous proposons. Quiconque a affaire à une Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) ou à une caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) est confronté à une technostructure dont le moins que l’on puisse dire est que ses relations avec les usagers, avec les élus locaux et parfois même avec les parlementaires ne sont pas toujours très faciles, même si ses agents font formidablement bien leur travail. D’autre part, comme le rappelle l’exposé des motifs, un certain nombre de dispositifs viendront à échéance en 2014. Le comité interministériel se prononcera-t-il le 25 septembre sur leur pérennisation ? Or de nombreuses personnes handicapées appartenant à des familles de classe moyenne, qui n’ont pas les moyens d’assumer ces accidents de la vie, attendent de savoir ce que vont devenir ces dispositifs. Nous espérons tous qu’ils seront prorogés, mais nous n’avons pour le moment aucune assurance à cet égard. Cette proposition de loi a au moins le mérite d’ouvrir le débat et de signifier au Gouvernement que nous sommes parties prenantes comme force de proposition.

Texte de simplification, cette proposition de loi est aussi en faveur de l’unité nationale : d’une CPAM à une autre, d’une MDPH à une autre, l’action menée n’est pas toujours très cohérente et nous faisons ici en sorte que la même règle du jeu s’applique à tous les Français.

Je remercie Arnaud Richard pour son soutien à mon amendement permettant d’attribuer prioritairement aux personnes handicapées les logements de rez-de-chaussée. Ayant déjà soutenu en séance une disposition identique, il fait là preuve d’une cohérence qui ne m’étonne pas de sa part.

Je sais gré à Élie Aboud de ses propos sympathiques. Lorsqu’elles vieillissent, les personnes handicapées se retrouvent en effet en situation très difficile. Or, sauf erreur de ma part, le prêt à taux zéro n’est actuellement pas accessible à toutes les personnes handicapées lorsqu’elles sont déjà propriétaires de leur logement depuis plus de deux ans. Il s’agit donc de permettre à toutes les personnes souffrant d’un handicap reconnu – et non plus, comme aujourd’hui, aux seules personnes invalides de deuxième et troisième catégories – de bénéficier d’un tel prêt : leur faciliter l’achat d’une nouvelle maison, d’un nouvel appartement mieux adaptés à leur handicap coûterait sans doute beaucoup moins cher à l’État que la construction de logements neufs ou de maisons spécialisées.

Je me suis posé la même question que vous, monsieur Siré, mais la durée du prêt – 120 mois – limite les risques de non-remboursement et un fonds de garantie est prévu, le même que pour le prêt à taux zéro de droit commun : autant d’éléments de nature à apaiser vos inquiétudes.

Certes, monsieur Lurton, « prioritairement » ne signifie pas « exclusivement ». Si vous posiez la question dans l’hémicycle, le rapporteur ne manquerait pas de souligner, afin que cela figure au compte rendu des débats, que l’on ne peut garantir à tout le monde un logement en rez-de-chaussée.

Mme Le Callennec a tout à fait raison de proposer que la ministre des affaires sociales cosigne l’arrêté prévu à l’article 1er, ce sera l’objet d’un de mes amendements.

Enfin, je crois avoir répondu à M. Paul avec ma proposition de compromis, dans l’intérêt général et dans celui, avant tout, des personnes handicapées.

La Commission passe à l’examen des articles.

Article 1er : Création d’un prêt à taux zéro pour le financement de travaux d’aménagement des logements des personnes handicapées.

La Commission rejette successivement les amendements rédactionnels AS 6 et AS 5 du rapporteur.

Elle est saisie de l’amendement AS 4 du même auteur.

M. le rapporteur. C’est encore un amendement rédactionnel. Les députés du groupe SRC pourraient-ils m’expliquer pourquoi ils rejettent même les amendements de cette sorte ?

Mme la présidente Lemorton. Il s’agit sans doute de vous préparer à une conclusion douloureuse...

M. Christian Paul. Pour vous éviter de nous interroger, à chaque amendement, sur la façon dont nous souhaitons voter, je vous répondrai une fois pour toutes : par souci de cohérence, nous n’allons pas entrer dans le détail de l’examen d’un texte que nous ne souhaitons pas adopter. En effet, nous l’avons répété, le Gouvernement travaille sur cette question et nous avons un rendez-vous le 25 septembre prochain. Vous avez du reste une chance inouïe : celle de pouvoir interroger en séance publique la ministre sur son programme quelques jours plus tard à peine. L’agenda politique vous sert donc et nous nous retrouverons alors avec grand plaisir dans l’hémicycle.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission examine l’amendement AS 3 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement répond en partie à la demande de Mme Le Callennec : il s’agit de substituer, à la fin de l’alinéa 11, la signature du ministre chargé des affaires sociales à celle du ministre chargé de l’environnement.

La Commission rejette l’amendement.

Elle rejette l’article 1er.

Article 2 : Assouplissement des conditions d’accès des personnes handicapées au prêt à taux zéro pour l’accession à la première propriété.

La Commission rejette l’article 2.

Après l’article 2

La Commission est saisie de l’amendement AS 2 du rapporteur, portant article additionnel après l’article 2.

M. le rapporteur. Avec M. Douillet et d’autres signataires membres de la Commission, nous souhaitons que les rez-de-chaussée des logements sociaux soient réservés prioritairement aux personnes handicapées ou à mobilité réduite, ainsi qu’aux ménages ayant à leur charge une personne en situation de handicap. Chacun peut comprendre cette mesure de simplification, ne serait-ce que grâce au bon sens qu’il aura acquis chaque jour au contact de ses administrés.

M. Jean-Pierre Door. Chacun devrait se retrouver dans cet amendement puisque chacun ici est confronté dans sa circonscription à ce genre de problème. Il s’agit d’obliger les bailleurs sociaux à prendre en compte une demande légitime des personnes à mobilité réduite ou affectées d’un autre handicap. Nous devrions donc tous voter cette disposition.

M. Élie Aboud. Certes, certains bailleurs appliquent cette mesure de bon sens, mais ce n’est malheureusement pas le cas partout. Comment nos collègues de la majorité peuvent-ils s’opposer à cette disposition ? Et que prépare le Gouvernement en la matière ?

Mme la présidente Lemorton. Il me semble, monsieur Aboud, que M. Paul et Mme Pinville ont déjà répondu. J’ai cru comprendre – je parle ici sous le contrôle des députés du groupe SRC – que ce point était inclus dans une réflexion interministérielle globale.

Mme Martine Pinville. Le comité interministériel du handicap va en effet se pencher sur la situation des personnes handicapées et, notamment, sur cette question de l’aménagement de leur logement.

M. Arnaud Richard. Je ne comprends pas bien, moi non plus, la position du groupe SRC. Mme Pinville affirme que le comité interministériel va travailler sur le sujet mais rien ne nous empêche de voter des dispositions en commission. J’espère que les députés socialistes ne se retrouveront pas en position difficile si, par hasard, à la suite des travaux du comité, la ministre venait à faire les mêmes propositions que le rapporteur.

Mme Isabelle Le Callennec. Chat échaudé craint l’eau froide. Quand j’ai présenté la proposition de loi visant à permettre le cumul du revenu d’un travail avec le minimum vieillesse, je me souviens que, dans l’hémicycle, on m’a répondu que l’on ne pouvait pas la voter mais que je ne devais pas m’inquiéter, que la majorité travaillait sur le sujet et que je retrouverais ces dispositions dans le projet de loi sur la réforme des retraites. Or tel n’est pas le cas. Il serait donc dommage de laisser passer, ici, l’occasion de voter une proposition de bon sens, qui résout un certain nombre de problèmes.

M. le rapporteur. Peut-être parce que je suis un jeune parlementaire, je m’étonne que des législateurs puissent se retrancher ainsi derrière les décisions à venir d’un comité interministériel ! En vertu de la séparation des pouvoirs, le Parlement est libre de discuter et d’adopter les dispositions qu’il juge souhaitables – et qui pourraient en l’espèce aider l’exécutif à prendre des décisions.

Sur le fond, notre collègue Aboud a tout à fait raison : certains bailleurs sociaux – souvent sous la pression des élus locaux – appliquent déjà la disposition prévue par cet amendement, parce qu’elle relève du bon sens. Mais ce n’est pas le cas de tous, d’où des distorsions entre territoires. Le dispositif proposé est un moyen assez efficace de les forcer à prendre en compte un problème qui, pardonnez l’expression, pourrit la vie des personnes handicapées.

M. Christian Paul. Je n’entends pas faire l’éducation du rapporteur qui est déjà expérimenté bien qu’il soit arrivé récemment parmi nous. Je puis néanmoins faire valoir à ceux qui, comme lui, n’ont pas eu la chance ou le malheur de vivre pendant dix ans dans l’opposition au sein de cette assemblée, que je n’ai pas le souvenir qu’une seule de nos propositions de loi ait été adoptée…

Mme Bérengère Poletti. Si !

M. Denis Jacquat. Vous faites preuve d’amnésie !

M. Jean-Pierre Door. Et la proposition de loi tendant à réduire la consommation de sucre outre-mer, par exemple ?

Mme la présidente Lemorton. Vous n’avez pas voté ce texte, monsieur Door.

M. Christian Paul. …cela, il est vrai, à quelques très rares exceptions près.

Monsieur le rapporteur, il y a un chantier gouvernemental sur le handicap…

M. le rapporteur. On peut parler de chantier, en effet !

M. Christian Paul. Certaines des propositions qui seront avancées dans ce cadre peuvent être d’ordre législatif. À nous, le moment venu, de vérifier que le Gouvernement n’a pas laissé en jachère la question du logement des handicapés. Or je crois pouvoir vous dire que ce comité interministériel fera des propositions sur le sujet. Vous les soupèserez et, le 3 octobre, vous nous ferez part, je l’espère, de votre entier contentement.

M. le rapporteur. Monsieur Paul, j’ai été directeur de cabinet d’un ministre des sports qui a accepté deux propositions de loi socialistes. Je n’ai donc pas trop de leçons à recevoir de votre part, mon cher collègue.

M. Fernand Siré. J’ai présenté un amendement à un projet de loi sur la restauration que la majorité et le Gouvernement ont rejeté. Mais, ensuite, le Gouvernement en a fait une « photocopie » pour le présenter en son nom. Je vous souhaite le même sort, monsieur le rapporteur, le principal étant que votre proposition de loi soit adoptée. Si le Gouvernement est intelligent, qu’il la copie donc pour la faire voter !

La Commission rejette l’amendement.

Article 3 : Gage financier.

La Commission examine l’amendement AS 1 du rapporteur.

M. le rapporteur. Il s’agit de gager la perte de recettes pour l’État résultant des dispositions du texte par une augmentation du prélèvement, non sur le produit de la vente du tabac, mais sur le produit brut des jeux.

La Commission rejette l’amendement.

Elle rejette ensuite l’article 3.

Titre

La Commission examine l’amendement AS 7 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement vise à mettre en conformité le titre de la proposition de loi avec son objet.

La Commission rejette l’amendement.

Mme la présidente Lemorton. Le rejet de tous les articles vaut rejet de l’ensemble de la proposition de loi.

Je puis d’ores et déjà vous informer qu’à la suite du comité interministériel sur le handicap prévu pour le 25 septembre prochain, Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée aux personnes handicapées et à la lutte contre l’exclusion, sera auditionnée par la Commission au cours du mois d’octobre.

Puis la Commission entend M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport annuel de la Cour sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous accueillons M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, pour la présentation du rapport annuel de la Cour sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, rapport qui fournit un « tour d’horizon » complet sur la situation de la sécurité sociale en même temps qu’un éclairage sur certains thèmes précis.

Monsieur le Premier président, vous êtes accompagné de M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre, et de M. Jean-Pierre Laboureix, rapporteur général. Votre audition se déroule le jour même où ce rapport est rendu public et nous nous trouvons donc en pleine actualité, ce dont nous nous réjouissons. Elle s’inscrit dans le cadre des travaux de notre Commission sur les lois de financement de la Sécurité sociale, et les éléments que vous nous apporterez nous seront particulièrement utiles pour préparer les débats sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2014, que nous examinerons pour notre part au cours de la semaine du 14 octobre.

Cependant, le fait de bénéficier de la primeur de la présentation de ce travail ne va pas sans inconvénients : la Commission n’a reçu ce rapport que ce matin, alors même qu’à la suite de fuites, il faisait l’objet d’articles de presse dès hier soir… Sans doute cela vous conduira-t-il d’ailleurs à faire certaines mises au point, concernant en particulier la prise en charge des dépenses d’optique corrective. Quoi qu’il en soit, tous les commissaires ont reçu le document sous forme dématérialisée ce matin et une synthèse imprimée est à leur disposition dans cette salle !

Ce rapport, extrêmement riche, nourrira notre réflexion pour œuvrer au rétablissement des comptes sociaux et à une plus grande efficacité de notre système de soins afin d’en garantir l’accès à tous. Face à la perspective d’un déficit du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) au mieux stabilisé en 2013 à son niveau de 2012 – soit 17,4 milliards d’euros – et d’une faible marge d’augmentation des ressources, la Cour insiste sur la nécessité de concentrer l’essentiel de l’effort sur la maîtrise des dépenses. Vous tracez plusieurs pistes en ce sens, monsieur le Premier président, comme la réorganisation du système hospitalier et la conduite d’économies sur certaines dépenses de soins, comme les dépenses de biologie médicale ; vous reposez également la question des pratiques des mutuelles de fonctionnaires et d’étudiants, s’agissant du remboursement des prestations ou du service rendu à leurs usagers. Mais ce ne sont là que quelques exemples des sujets complexes et sensibles abordés dans ce rapport et sur lesquels nous vous écouterons avec la plus grande attention.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Je suis heureux de répondre à l’invitation de votre Commission pour la présentation de notre rapport 2013 sur la sécurité sociale, élaboré comme chaque année en application de notre mission constitutionnelle d’assistance au Parlement et au Gouvernement pour le contrôle de l’application des lois de financement de la Sécurité sociale. Destiné à accompagner le PLFSS pour 2014, ce rapport s’adresse également aux citoyens, car la sécurité sociale, l’une des expressions majeures de la République « démocratique et sociale » que proclame l’article premier de notre Constitution, est l’affaire de tous, chacun la finançant et en bénéficiant à un moment de sa vie. En outre, dans une conjoncture économique difficile, son rôle de protection des plus fragiles est plus que jamais essentiel.

Cependant, la permanence de déficits entraîne une montée constante de la dette sociale, dont la charge croissante peut ébranler la solidité de la sécurité sociale et ruiner sa légitimité auprès des nouvelles générations. Ce rapport véhicule donc un message principal : il convient d’enrayer sans délai ces déficits pour revenir rapidement à l’équilibre des comptes sociaux et casser la spirale de la dette. Réussir cette entreprise est à notre portée : pour toutes les dépenses sociales, il est possible de réaliser des économies sans remettre en cause notre modèle social ni appliquer les mesures drastiques d’austérité que d’autres pays ont pu décider. Mais il y faut la contribution de tous – professionnels de santé, assurés sociaux, caisses de sécurité sociale – pour conduire un effort rapide et continu afin d’éliminer les dépenses inutiles ou improductives et faire en sorte que chaque euro affecté à la sécurité sociale soit dépensé le plus justement au regard de l’intérêt général.

Nos analyses et nos recommandations se veulent une contribution pour relever ce défi collectif majeur. La Cour des comptes énonce de nouvelles propositions sur les sujets qu’elle a étudiés cette année ; il vous appartiendra bien entendu, représentants du suffrage universel, d’effectuer les choix en fonction de vos objectifs et de vos priorités.

Je souhaite vous présenter les grands axes autour desquels s’organisent nos analyses, à partir de quatre constats.

Premier constat : le déséquilibre persistant des comptes sociaux appelle de nouvelles mesures. Depuis 2011, notre pays a engagé l’indispensable effort de redressement de nos finances publiques et s’est fixé une trajectoire de retour à l’équilibre à laquelle l’État, les collectivités territoriales et les organismes de protection sociale doivent contribuer. De premiers résultats ont été obtenus dans la réduction des déficits sociaux : celui des régimes obligatoires de base et du FSV, qui avait atteint en 2010 un niveau sans précédent – 29,6 milliards d’euros, soit 1,5 point de PIB –, a diminué de 7 milliards en 2011, puis de 3,5 milliards en 2012 pour s’établir à 19,1 milliards d’euros, soit 0,9 point de PIB.

Cependant, il apparaît que l’essentiel de l’effort financier reste à effectuer, d’autant que ce déficit a été réduit entre 2011 et 2012 à un rythme moitié moindre qu’au cours de l’exercice précédent. Il demeure massif puisque son montant est comparable à celui du budget de la recherche et de l’enseignement supérieur. Sa part structurelle – celle qui est indépendante de la conjoncture – reste très importante : pour le régime général, elle s’élève à environ 70 %. Or, en 2013, alors que la loi de financement prévoyait une diminution du déficit de 3 milliards d’euros, le redressement des comptes du régime général et du FSV connaîtra un véritable coup d’arrêt puisque le découvert devrait au mieux, comme vous l’avez dit, madame la présidente, se stabiliser au niveau très élevé de 2012, qui représente le double de celui des années 2006 à 2008. Pour la seule branche maladie, il pourrait augmenter de 2 milliards d’euros pour atteindre près de 8 milliards.

Même si elle résulte largement de l’atonie de la croissance et de la moindre progression des recettes qui en découle, cette interruption du mouvement de réduction du déficit du régime général est préoccupante. Elle conduit à entretenir une spirale anormale et dangereuse de la dette sociale, dont l’encours global devrait passer de 147 milliards à 159 milliards d’euros entre 2011 et 2013. Notre pays reporte ainsi sur les générations à venir la charge de régler une part sans cesse croissante de ses dépenses quotidiennes – consultations médicales, prestations familiales ou pensions de retraite. Il s’agit d’un mal spécifiquement français, aucun de nos voisins n’acceptant que son système de protection sociale reste aussi durablement déficitaire. Les comptes sociaux au sens large – incluant la sécurité sociale, l’assurance chômage et les régimes complémentaires obligatoires de retraite – sont revenus à l’équilibre dans la zone euro en trois ans – et dégagent même un excédent de 0,6 point de PIB en Allemagne –, alors que ceux de la France affichent un passif de 0,6 point de PIB en 2012. Seules la Grèce et l’Espagne ont connu l’an dernier un déficit des administrations sociales supérieur au nôtre.

Enrayer la spirale de la dette sociale entretenue par l’accumulation des déficits nous apparaît donc indispensable. Le Gouvernement a récemment annoncé des mesures pour rétablir la situation des régimes de retraite ; elles apporteront une contribution indispensable au redressement des comptes de l’assurance vieillesse et du FSV, dont le déficit cumulé en 2018 se monterait sinon, d’après nos projections, à 70 milliards d’euros – montant supérieur aux 62 milliards d’euros repris par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES) à la fin de 2010. Cela étant, si aucune mesure nouvelle n’était prise, près de 72 milliards d’euros de dette supplémentaire s’accumuleraient d’ici à 2018 du seul fait des déficits des branches maladie et famille – même en prenant compte les décisions relatives à la politique familiale de juin dernier, qui n’auront d’impact que progressivement.

Contrairement à ce que la Cour avait préconisé, tous les déficits constatés au titre de 2011 et de 2012 n’ont pas été repris par la CADES, qui n’a intégré que le seul découvert de la branche vieillesse, conformément à la loi de financement pour 2011 ; dès lors, les déficits de l’assurance maladie et de la branche famille s’accumulent dans les comptes de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), qui a pourtant pour vocation d’assurer la trésorerie quotidienne de la sécurité sociale et non de préfinancer durablement des déficits massifs. Les découverts que l’ACOSS doit financer par des billets de trésorerie à moins de trois mois atteindront 26 milliards d’euros à la fin de 2013 et devraient approcher 40 milliards un an plus tard. Cette banalisation du financement à très court terme des déficits sociaux est anormale, car elle crée vis-à-vis de la liquidité disponible sur les marchés financiers une situation de dépendance qui peut s’avérer dangereuse pour la sécurité sociale, en particulier si les taux d’intérêt actuellement très bas venaient à remonter – les mouvements des dernières semaines donnent d’ailleurs du crédit à cette hypothèse. Différer ces transferts de dette inéluctables alourdirait en outre le coût de l’amortissement et de la charge d’intérêt, qui s’élève à 15 milliards d’euros par an ; le terme de la CADES se rapprochant – il interviendra d’ici une dizaine d’années –, une attitude dilatoire reviendrait à faire financer encore davantage les transferts sociaux actuels par la génération suivante. Risquerait alors de se poser la question de la légitimité même d’une sécurité sociale dont le financement effectif ne cesserait d’être différé et qui reposerait de plus en plus sur des personnes n’ayant pas bénéficié des dépenses engagées. La résorption rapide du découvert de la sécurité sociale constitue donc un enjeu crucial, le déficit d’aujourd’hui représentant les prélèvements de demain.

Deuxième constat : la voie du redressement des comptes par la mobilisation de recettes supplémentaires atteint des limites ; de nombreuses recettes nouvelles ont été créées en 2011 et en 2012 – pour des montants de 7 et de 6 milliards d’euros respectivement – et cette mobilisation de ressources complémentaires s’est poursuivie en 2013. Indépendamment même de la question du niveau atteint par les prélèvements obligatoires, l’affectation de recettes supplémentaires peut difficilement passer par de nouvelles augmentations de la contribution sociale généralisée (CSG). Celle-ci a permis d’élargir très substantiellement les ressources de la sécurité sociale et de financer depuis vingt ans la progression soutenue de ses dépenses, mais cette contribution ne constitue plus une recette miracle dont le dynamisme permettrait de différer des choix structurants pour la maîtrise de ces dernières. Il subsiste certes encore quelques possibilités d’élargir son assiette, mais les contraintes juridiques résultant de la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2012 tendent à restreindre les possibilités d’augmentation générale de ses taux, en particulier sur les revenus du capital.

Si des ressources nouvelles devaient être affectées à la sécurité sociale, la Cour recommande qu’elles soient avant tout consacrées au financement de la dette sociale et qu’elles proviennent prioritairement d’une réduction des niches sociales, ces mesures dérogatoires au versement des prélèvements finançant la sécurité sociale. La Cour a critiqué à plusieurs reprises l’opacité et le coût croissant de ces niches ; elle constate que des remises en cause ciblées ainsi que l’augmentation du forfait social ont d’ores et déjà permis d’apporter des recettes supplémentaires significatives – de l’ordre de 4 milliards d’euros en moyenne par an de 2011 à 2013 –, mais ces mesures n’ont pas permis de maîtriser le coût de ces niches, qui n’a que très légèrement diminué en raison de la dynamique propre à chacun des dispositifs qui les constituent. La Cour appelle à les répertorier précisément – même si vous avez déjà beaucoup travaillé sur ce sujet – et à engager au cours des cinq prochaines années l’évaluation de leur coût et de leur efficacité prévue par la loi de programmation des finances publiques pour la période 2012-2017.

Dans un contexte où les perspectives d’augmentation des recettes sont faibles, c’est essentiellement en pesant sur la dépense qu’on peut hâter le retour à l’équilibre. Cela étant, contrairement à ce que l’on peut lire ici ou là, la Cour ne préconise nullement une baisse des dépenses sociales, mais elle considère indispensable de ralentir leur croissance. Cette modération pourra être obtenue par la mobilisation de tous les acteurs dans le cadre d’efforts justement partagés, la protection sociale recelant dans toutes ses composantes des marges considérables d’économies, en particulier dans le domaine de l’assurance maladie.

Troisième constat : des économies considérables peuvent être faites sans compromettre, bien au contraire, la qualité des soins, la sécurité ou l’égalité d’accès au système de santé.

L’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) a été tenu en 2012 pour la troisième année consécutive, bien que son taux de progression ait été ramené à 2,5 % – contre 3 % en 2010 et 2,9 % en 2011 –, soit le taux le plus volontariste depuis 1998. Ce résultat très positif témoigne des progrès effectués dans le pilotage de la dépense et dans la réalisation des économies prévues ; pour autant, la croissance de l’ONDAM au cours des quatre dernières années s’est élevée à près de 18 milliards d’euros, ce qui représente une augmentation de 11,4 % des dépenses, soit un rythme bien plus soutenu que celui de l’augmentation de la richesse nationale, le PIB ne s’étant accru que de 5,1 % au cours de cette période. La Cour a acquis la conviction que des mesures de maîtrise de la dépense permettraient d’intensifier encore l’effort ; elle a donc proposé de diminuer d’au moins 0,2 point chaque année le taux de progression de l’ONDAM par rapport à celui qui est affiché dans la loi de programmation des finances publiques pour la période 2012 et 2017, soit de la fixer à 2,4 % pour 2014 et à 2,3 % pour 2015 et 2016.

Comme les rapports des années précédentes, celui de cette année identifie de nombreuses pistes de réorganisation à même de dégager des gains d’efficience et d’améliorer la qualité des prises en charge. Cette action devrait concerner en tout premier lieu le système hospitalier, qui recèle des gisements considérables d’économies. La Cour a consacré cette année des travaux approfondis à la dépense hospitalière, qui représente plus de 75 milliards d’euros, soit 44 % de la dépense d’assurance maladie. Les contraintes d’économies auxquelles ont été soumis les hôpitaux ces dernières années ont été relativement modestes, comme le montre l’analyse détaillée des modalités de fixation de leur objectif annuel de dépenses. Les économies affichées pour 2012 ne représentaient que 0,7 % de l’enveloppe de dépenses allouée, soit 550 millions d’euros, dont un cinquième n’était qu’une économie de constatation sur un fonds de modernisation, alors que celles demandées au secteur ambulatoire s’élevaient à 2,15 milliards d’euros, soit 2,7 % de son enveloppe. L’ONDAM hospitalier – déterminé de façon peu transparente – est élaboré de telle sorte que les établissements ne sont pas soumis au même effort que le secteur des soins de ville ; en particulier, les tarifs ne sont pas ajustés de manière à réguler l’activité. Les hôpitaux ne sont ainsi pas suffisamment incités à mener les réformes structurelles indispensables au redressement durable de leurs comptes. Il conviendrait donc d’amplifier les réorganisations, pour consolider leur situation financière et pour mieux maîtriser la progression de la charge que supporte l’assurance maladie.

Après plusieurs années de déficit et un doublement de la dette hospitalière en six ans – elle a atteint 28 milliards d’euros –, le retour à l’équilibre des hôpitaux publics en 2012 apparaît encore fragile et largement circonstanciel, car imputable en bonne partie à des recettes exceptionnelles et à des ajustements comptables. Les efforts de meilleure gestion et de réorganisation doivent donc être accrus. Le centre hospitalier de Digne a ainsi adopté cinq plans de retour à l’équilibre financier en cinq ans sans effet sur son déficit structurel et le centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye, issu d’une fusion intervenue en 1997, a accumulé en quinze ans des déficits d’exploitation et accru sa dette sans parvenir à un projet médical permettant de rationaliser son activité.

Le retard considérable et persistant dans notre pays de la chirurgie ambulatoire – celle qui permet au patient de rentrer à son domicile le soir même du jour de l’opération – apparaît emblématique des lenteurs affectant la modernisation des pratiques hospitalières. Son développement rejoint pourtant l’intérêt des patients, qui peuvent ainsi rester moins longtemps à l’hôpital, comme celui de l’assurance maladie, qui en retirerait des économies majeures. En France, quatre interventions seulement sur dix sont pratiquées en ambulatoire, alors que cette proportion atteint jusqu’à huit sur dix dans certains pays comparables au nôtre, et le secteur public accuse à cet égard un très net retard sur le secteur privé. Grâce à une tarification incitative, le nombre de places en chirurgie ambulatoire a certes nettement progressé depuis quelques années, mais elles restent fortement sous-utilisées et sont souvent réservées à de la petite chirurgie – opérations des varices ou de la cataracte –, alors que tous les types d’opérations, même lourdes, sont concernés dans d’autres pays. Cependant, le nombre de lits de chirurgie conventionnelle n’a pratiquement plus diminué depuis près de dix ans et leur taux d’occupation de seulement 67 % se révèle très insuffisant ; selon certaines estimations, jusqu’à 5 milliards d’euros d’économies – soit près de 7 % de la dépense hospitalière financée par l’assurance maladie – seraient possibles en utilisant mieux les capacités de chirurgie ambulatoire existantes et en fermant en conséquence les lits de chirurgie conventionnelle inoccupés. Afin d’accélérer cette indispensable substitution, la Cour propose que la tarification des actes de chirurgie conventionnelle soit désormais alignée sur les coûts de la chirurgie ambulatoire pour des actes identiques ; cette nouvelle stratégie engendrerait des économies qui, sur la durée, deviendraient très importantes et, comme le souligne souvent la Cour, améliorerait en même temps la qualité des soins.

À une autre échelle, puisqu’elle ne représente que moins de 1 % des dépenses hospitalières, l’hospitalisation à domicile fournit un autre exemple de prise en charge moins onéreuse qu’en établissement des pathologies lourdes et complexes comme les cancers. Un pilotage plus ferme du ministère de la santé, des référentiels d’activité plus nombreux, la rénovation d’un modèle tarifaire obsolète et des évaluations médico-économiques rigoureuses devraient permettre de la développer au-delà de l’objectif actuel, encore quatre fois inférieur au niveau atteint dans certains pays étrangers.

Il faut que tous les acteurs du système hospitalier s’engagent dans cet effort de modernisation et de réorganisation, qu’ils travaillent dans les centres hospitaliers universitaires, objets d’une étude de la Cour en 2011, ou dans d’autres établissements plus modestes, que nous étudions cette année – il s’agit des établissements de santé privés à but non lucratif, dits désormais d’intérêt collectif, gérés le plus souvent par des associations, des fondations ou des mutuelles et qui regroupent 14 % des capacités d’hospitalisation, ainsi que des anciens hôpitaux locaux, qui représentent le tiers des établissements publics mais n’assurent qu’une faible part de l’activité hospitalière. Ces structures doivent amplifier leur mutation en utilisant, pour les premiers, les atouts d’un statut original qui leur confère de la souplesse et en s’appuyant, pour les seconds, sur la spécificité que constitue leur recours à des professionnels libéraux, en particulier dans certains territoires menacés par la désertification médicale.

S’il convient d’accélérer la réorganisation des hôpitaux, les autres acteurs du système de soins ne sauraient rester à l’écart du surcroît d’efforts indispensable pour hâter le retour des comptes de l’assurance maladie à l’équilibre. La Cour des comptes a déjà identifié de nombreux secteurs sur lesquels cet effort pourrait porter : l’imagerie médicale, les soins dentaires, les médicaments, les transports sanitaires – pour lesquels la Cour a évalué l’an dernier à 450 millions d’euros les économies possibles. L’examen, cette année, de la réforme de la permanence des soins ambulatoires, opérée il y a dix ans, montre qu’une augmentation des dépenses n’est en rien garante d’un meilleur service pour la population. Cette permanence, la nuit, les week-ends et les jours fériés, a longtemps reposé sur un tour de garde de médecins libéraux répondant à une obligation déontologique et n’entraînant pas de rémunération spécifique ; elle repose désormais sur un dispositif de volontariat rémunéré qui a entraîné un quasi-triplement des dépenses depuis 2001 : celles-ci atteignent près de 700 millions d’euros, sans que les urgences hospitalières s’en trouvent désengorgées. Le dispositif s’avère parfois exagérément onéreux : ainsi, dans le seul secteur sarthois du Grand-Lucé, les quelque dix interventions réalisées au cours de l’année 2009 ont chacune coûté à l’assurance maladie plus de 3 700 euros. De même, dans des villes comme Toulon, Grenoble, Le Mans ou Le Havre, la superposition au dispositif de droit commun de l’intervention d’associations libérales comme SOS Médecins semble plutôt se traduire par une augmentation de la dépense. La Cour recommande donc une réorganisation des secteurs de garde ainsi que la recherche d’une meilleure articulation entre les interventions des différents acteurs – associations, professionnels de santé libéraux, hôpitaux. Les agences régionales de santé (ARS) devraient en outre coordonner bien plus rigoureusement l’organisation de la permanence des soins, dans le cadre d’enveloppes fermées regroupant l’ensemble des financements que l’assurance maladie y consacre, rémunération des actes médicaux comprise.

Des économies notables nous paraissent également possibles sur les dépenses d’analyses médicales. Celles-ci s’élèvent à près de 6 milliards d’euros pour l’assurance maladie et ont fortement progressé, le nombre d’actes ayant augmenté de 80 % en quinze ans. À titre d’exemple, les remboursements du dosage de la vitamine D ont septuplé en cinq ans et représentent désormais une dépense annuelle de près de 100 millions d’euros, sans que l’utilité clinique de cet acte ait jamais été évaluée. L’obligation d’accréditation imposée depuis 2010 aux laboratoires – au nombre de 3 600 dans le secteur privé et de 500 environ au sein des établissements de santé – n’a pas encore conduit à une rationalisation de leur implantation. Certains ajustements tarifaires limités et tardifs n’ont permis que des économies très inférieures à ce qu’autoriseraient les constants progrès techniques des automates d’analyse, entretenant parfois des situations de rente dont le coût est supporté par l’assurance maladie.

Une action tenant réellement compte des gains considérables de productivité du secteur permettrait de dégager rapidement 500 millions d’euros d’économies, portant pour moitié sur les dépenses de ville – où il faudrait baisser d’au moins deux centimes la valeur de l’unité de tarification, tout en modernisant la nomenclature – et pour l’autre moitié sur les dépenses de biologie hospitalière.

Si l’on néglige ces pistes de réformes, qui permettent de faire porter l’effort sur les actes moins utiles, on risque le déremboursement rampant des soins courants, pénalisant les assurés sociaux qui ne sont pas pris en charge à 100 % dans le cadre d’une affection de longue durée. Mieux cibler les économies sur les dépenses les moins justifiées est donc dans l’intérêt des patients comme des professionnels de santé.

L’exemple de la prise en charge de l’optique correctrice, qui représente à elle seule une consommation de soins totale de 5,3 milliards d’euros, révèle a contrario tous les dangers d’une absence de pilotage sur le long terme, par les pouvoirs publics et par l’assurance maladie, d’une dépense qui concerne pourtant la très grande majorité des assurés sociaux. Tout se passe comme si l’on ne considérait pas l’optique comme un vrai enjeu de santé publique.

Dans ce secteur, la dépense par habitant est en France plus du double de la dépense moyenne dans les quatre grands pays voisins – l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne. L’assurance maladie n’en prend plus en charge qu’une fraction dérisoire – 3,6 % en moyenne, 2 % pour les seuls adultes. La Cour ne propose en aucune façon un déremboursement de ces frais, du reste déjà effectif ; elle considère au contraire ce désengagement comme un grave échec d’une sécurité sociale solidaire. Les organismes d’assurance maladie complémentaire ont certes pris le relais, mais dans des conditions inégales selon les situations et les contrats des assurés ; selon les derniers chiffres des comptes de la santé, ils ont remboursé, en 2012, 71,5 % de la dépense d’optique. Le dernier quart de celle-ci reste donc à la charge des ménages, son poids pouvant conduire au renoncement à un achat ou à un renouvellement médicalement nécessaire.

Le fonctionnement du marché de l’optique apparaît peu concurrentiel. Dans ce domaine, la dépense s’est accrue de 39 %, hors inflation, entre 2000 et 2012, l’essentiel de cette dérive s’expliquant par le fonctionnement de la chaîne de fabrication et de distribution. Le nombre des points de vente a augmenté de 43 % depuis 2000 et celui des opticiens a plus que doublé, sans que la satisfaction des consommateurs ait progressé pour autant. La concurrence non plus ne s’en est pas trouvée accrue et les prix n’ont pas baissé car les charges fixes d’un point de vente se répercutent sur un volume moindre de lunettes vendues. En effet, le niveau élevé des marges permet à un point de vente d’atteindre l’équilibre économique à partir de deux ou trois paires de lunettes vendues par jour ouvré. Alors que le renvoi de responsabilités entre acteurs empêche la baisse des prix, les assurés en supportent les conséquences – soit indirectement, du fait de l’augmentation des tarifs des organismes complémentaires, soit directement, du fait d’un reste à charge très élevé quand ils ne disposent pas d’une couverture complémentaire – et, de ce fait, renoncent bien souvent à s’équiper convenablement.

Le rôle désormais résiduel de l’assurance maladie l’a conduite à se désintéresser de la gestion du secteur. Les assurances complémentaires – qui ne disposent pas encore de tous les outils nécessaires à une réelle gestion du risque – voient dans l’optique un produit d’appel et consentent des remboursements importants et assez fréquents, dont les opticiens parviennent souvent à tirer parti.

La Cour appelle à un rééquilibrage dans le fonctionnement du marché, afin de maîtriser ce qui représente à la fois un poste de lourdes dépenses pour les Français et un enjeu de santé publique. Il faudrait rendre le marché beaucoup plus transparent, mettre les organismes complémentaires en situation de faire jouer beaucoup plus activement la concurrence entre les distributeurs et redéfinir plus strictement le contenu des contrats responsables – qui bénéficient d’aides publiques importantes que la Cour a analysées il y a deux ans – pour peser plus fortement sur les prix. La Cour fait des constats et des recommandations similaires pour les dépenses d’appareils d’audition – les audioprothèses.

J’ai bien noté que plusieurs d’entre vous avaient été interpellés à propos d’une recommandation que nous n’avons pas faite. Loin de prôner un désengagement de la sécurité sociale, la Cour propose plutôt de mettre de l’ordre dans certains domaines afin d’y réaliser des économies – non pour dérembourser, mais pour mieux rembourser les dépenses. D’ailleurs, l’optique ne fait pas partie des domaines que nous avons identifiés comme porteurs d’économies considérables pour l’assurance maladie.

Enfin, comme les établissements de santé et les professionnels libéraux, les différents gestionnaires de l’assurance maladie doivent davantage contribuer au retour à l’équilibre des comptes sociaux en dégageant des gains de productivité et des économies de gestion. Dans le prolongement des analyses de son rapport de 2011 sur les différentes branches du régime général, la Cour est revenue cette année sur la gestion par les mutuelles de fonctionnaires et les mutuelles étudiantes de l’assurance maladie obligatoire. Ce sont en effet ces mutuelles – et non les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) – qui assurent pour le compte de la branche maladie du régime général le remboursement des prestations au titre de l’assurance maladie obligatoire pour 7,7 millions de fonctionnaires et d’étudiants et leurs familles, soit 13,3 % des ressortissants du régime général.

Dans la continuité d’une enquête remontant à 2006, la Cour a constaté une qualité de service toujours inégale, mais souvent insuffisante des mutuelles de fonctionnaires ; ainsi, l’accueil téléphonique de la mutuelle complémentaire de la Ville de Paris n’était assuré en 2012 que quatre heures par jour et ne répondait qu’une fois sur trois. Malgré quelques efforts de réorganisation, les coûts de fonctionnement de ces mutuelles demeurent importants ; même si elle a baissé, leur rémunération – qui s’élève à 270 millions d’euros – est calculée de façon très favorable et reste nettement supérieure aux coûts de gestion des CPAM. Fidèle à ses préconisations antérieures, la Cour recommande de reconsidérer la délégation à des mutuelles de l’assurance maladie obligatoire des agents publics ou, à tout le moins, d’offrir aux fonctionnaires d’État la liberté de choisir entre rattachement à la CPAM de leur domicile et gestion par la mutuelle dont dépend leur administration.

La qualité de service des onze mutuelles étudiantes est également très inégale et souvent insuffisante, qu’il s’agisse de l’envoi des cartes Vitale, du remboursement des actes ou des relations avec les étudiants. C’est notamment le cas de La Mutuelle des étudiants (LMDE), qui couvre 54 % d’entre eux : en 2012, un étudiant n’avait ainsi qu’une chance sur quatorze de pouvoir la joindre au téléphone. La rémunération de ces mutuelles, fixée dans des conditions particulièrement avantageuses et peu transparentes, a pourtant sensiblement augmenté. La reprise de la gestion de l’assurance maladie obligatoire des étudiants par les caisses d’assurance maladie améliorerait la qualité de service et permettrait une économie de près de 70 millions d’euros. À défaut, il apparaît nécessaire de laisser aux étudiants le choix entre l’affiliation à la sécurité sociale étudiante et le maintien de leur rattachement au régime de leurs parents.

Notre dernier constat concerne non plus l’assurance maladie, mais certains régimes particuliers de retraite. Après les régimes spéciaux de la RATP et de la SNCF analysés l’an dernier, la Cour a plus spécifiquement étudié cette année ceux des exploitants agricoles et des professions libérales. Leur soutenabilité, qui nécessite un pilotage attentif et précis de la part des pouvoirs publics, exigera rapidement des efforts supplémentaires de la part des professions concernées.

Les régimes de retraite des exploitants agricoles comptent moins de 500 000 cotisants pour 1,6 million de bénéficiaires ; les cotisations ne couvrent ainsi que moins de 13 % des charges du régime de base. Malgré la modestie des pensions servies et un apport de 6,7 milliards d’euros de financements complémentaires en provenance des autres régimes et de l’État, le déficit, financé par emprunt bancaire à court terme, devrait approcher 1 milliard d’euros en 2013. Un redressement de l’effort contributif de la profession apparaît nécessaire, comportant notamment le réexamen de multiples dispositifs entraînant une perte de cotisations, tels que l’assiette forfaitaire ou l’optimisation sociale autorisée par les formes sociétaires d’exploitation, en fort développement.

Avec 800 000 cotisants – dont 200 000 auto-entrepreneurs – pour un peu plus de 200 000 pensionnés, les régimes de retraite des professions libérales ne connaissent pas, eux, de difficultés d’ordre démographique. Mais le régime de base unique de ces professions est confronté à des perspectives de déficit à court terme qui exigent d’aller au-delà de l’augmentation récente des cotisations. Les risques démographiques et financiers d’ici 2040 imposent un pilotage plus attentif par les pouvoirs publics et, sans doute, la mise en œuvre de mécanismes de solidarité interprofessionnelle, propres à assurer la pérennité de l’ensemble des régimes. Plus ces efforts tarderont, plus ils seront douloureux.

Dans la période de difficultés économiques que traverse notre pays, la sécurité sociale apparaît plus que jamais garante de la cohésion sociale et de la solidarité entre les générations. La persistance, depuis plus de vingt ans, d’un déficit structurel – indépendant des fluctuations conjoncturelles – fragilise les fondements mêmes de ce système. Le retour à l’équilibre des comptes n’est pas un enjeu comptable, mais un enjeu national qui justifie un effort à la hauteur de l’objectif : celui de maintenir un haut degré de protection sociale dans notre pays.

Cet effort a été engagé et porte ses premiers fruits, qui vont bien au-delà de la diminution des déficits déjà enregistrée. Il ne peut être relâché. Les réformes réalisées et celles à venir fournissent l’occasion d’une modernisation en profondeur de notre protection sociale. Elle en sortira plus juste, plus solidaire, plus responsable, plus efficiente : en un mot, plus forte et plus légitime.

En 2014, nous célébrerons le soixante-dixième anniversaire du programme du Conseil national de la Résistance. La Cour espère que son rapport contribuera utilement en cette année symbolique à affermir la sécurité sociale qui en est directement issue.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Monsieur le Premier président, je vous remercie pour votre exposé. Une mission sur la permanence des soins en France – dont la constitution a été votée à l’unanimité de notre bureau – commencera ses travaux à partir du mois de novembre ou de décembre. Elle s’intéressera aux problèmes et aux frais qu’engendre l’absence d’une vraie coordination entre différents acteurs de la santé, y compris les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS). Le travail que vous avez effectué sur ce point dans le rapport que vous nous avez présenté fournira aux membres de cette mission une précieuse base de réflexion.

M. Gérard Bapt, rapporteur pour les recettes et l’équilibre général. Monsieur le Premier président, votre première recommandation est de ramener l’évolution effective des dépenses de l’ONDAM, en 2013, à un taux de 2,7 %, soit un niveau inférieur de 500 millions d’euros à celui fixé par la loi de financement de la sécurité sociale. Souhaitez-vous, à travers cette mesure, tenir compte de la sous-exécution constatée pour l’année précédente ?

Le document de synthèse ne comporte aucune proposition précise pour mettre fin au sous-financement structurel du Fonds de solidarité vieillesse. La Cour a-t-elle des suggestions à faire dans ce domaine ?

Vous soulignez que la CSG – qui contribue au financement de la sécurité sociale – atteint un niveau de complexité important mais, surtout, vous avez insisté sur le fait qu’une récente décision du Conseil constitutionnel contraint très fortement toute augmentation générale éventuelle de ses taux. Est-ce à dire que cette décision exclut toute possibilité de rendre la CSG progressive ?

Est-il réaliste selon vous d’introduire dans le prochain PLFSS 500 millions d’euros d’économies de gestion, alors que la branche famille subit de plein fouet le contexte économique et social difficile ?

Enfin, vous proposez de permettre aux étudiants et aux fonctionnaires de choisir entre affiliation à leur mutuelle spécifique et rattachement aux CPAM. En attendez-vous une amélioration de la qualité de service, voire du niveau de couverture ? Dès lors que les couvertures complémentaires de ces différentes mutuelles fonctionnent sur la base de négociations et d’appels d’offre, comment organiser le transfert de cette fonction aux CPAM ?

M. Christian Paul, rapporteur pour l’assurance maladie. Au moment du vote du PLFSS pour 2013, notre majorité avait été soupçonnée de laisser filer sans discernement les dépenses de santé. Aussi faut-il souligner fortement la bonne maîtrise de l’ONDAM, en 2012 comme en 2013, qui nous permet de constater que les difficultés s’expliquent essentiellement par un manque de ressources.

La recherche de la bonne articulation entre le régime obligatoire et les complémentaires santé apparaît comme un des points clés de votre rapport ; nous souhaitons progresser en ce sens, sans envisager le désengagement de la sécurité sociale – que vous ne préconisez d’ailleurs pas, contrairement à ce que nous avons lu et entendu depuis hier soir. Nous estimons même qu’il faut réfléchir aux zones qui pourraient faire l’objet d’une reconquête sélective par le régime obligatoire de l’assurance maladie, le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie étant chargé de penser ces redéploiements.

Avec l’aide de la Cour, nous souhaitons travailler sur la régulation des complémentaires santé. Pour y parvenir, il faut trouver les moyens d’exercer une pression sur les prix dans des domaines aujourd’hui insuffisamment couverts par l’assurance maladie obligatoire et pour lesquels les régimes complémentaires assurent le remboursement à des niveaux parfois indécents. Une proposition de loi, actuellement en discussion, devrait permettre d’agir en ce sens à travers les réseaux de soins. La fiscalité – qui avantage les complémentaires santé, en particulier pour les contrats collectifs – devra devenir un puissant instrument de régulation de ces organismes. La possibilité de solvabiliser les dépassements d’honoraires au-delà de 150 % doit être rigoureusement bannie.

Pouvez-vous préciser davantage vos propositions en ce qui concerne la nécessaire réorganisation du secteur hospitalier – que nous espérons voir figurer dans la stratégie nationale de santé que la ministre rendra publique la semaine prochaine ? Il faudra travailler sur les parcours de santé qui supposent le décloisonnement et la coopération entre hôpitaux et médecine de ville. Après qu’on a longtemps privilégié les restructurations aveugles au détriment des modernisations négociées, comment organiser cette collaboration, en particulier entre hôpitaux de proximité et maisons pluridisciplinaires de santé ?

Mme Martine Pinville, rapporteure pour le secteur médico-social. Monsieur le Premier président, cette audition annuelle est pour nous un moment à part, mais qui peut être quelque peu cruel.

Vous proposez d’ajuster l’ONDAM médico-social, en le baissant de 2,6 à 2,4 %. Or il faut nous attendre, dans les années qui viennent, à une forte augmentation du nombre de personnes âgées – un projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement de la population est d’ailleurs en préparation. Il faut donc réfléchir à l’évolution de cet ONDAM médico-social avec toute la prudence nécessaire.

Vous avez évoqué la nécessité de clarifier les conditions d’affectation de la CSG dont 1,5 % des recettes – soit une part non négligeable – alimente la Caisse nationale de solidarité à l’autonomie (CNSA), organisme qui attribue des fonds aux projets destinés aux personnes âgées et handicapées. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’évolution possible des affectations de ce prélèvement ?

M. Michel Issindou, rapporteur pour l’assurance vieillesse. Les retraites agricoles et la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL) feront objet de débats dans les prochains jours puisqu’il en est question dans le projet de loi réformant le système de retraite que le Gouvernement présentera demain.

Certes, la contribution des agriculteurs à leur régime de retraite – 13 % des recettes – est faible ; mais à l’instar des revenus agricoles en général, les retraites des agriculteurs sont plutôt basses. Comme vous le soulignez, monsieur le Premier président, cette situation ne procède pas d’un simple déséquilibre démographique, mais d’un manque de recettes structurel. Comment augmenter les ressources des régimes agricoles sans trop peser sur le pouvoir d’achat des agriculteurs ?

Les mesures nouvelles en faveur des retraites des exploitants agricoles, contenues dans le projet de loi qui sera présenté demain, sont financées par la suppression de niches dont bénéficient les agriculteurs. En effet, le Gouvernement chiffrerait à 200 millions tant les besoins nécessaires que les niches que l’on pourrait supprimer. Vous évoquez également la possibilité de réorienter les aides publiques au secteur agricole vers le régime de retraite ; à quelles aides pensez-vous en particulier ?

En accord avec vos recommandations, l’article 32 du projet de loi renforcera la tutelle de l’État sur la CNAVPL, une administration plus rigoureuse des dix caisses autonomes qui y sont rattachées devant permettre des économies de gestion. Faut-il, comme le propose ce texte, aller jusqu’à la nomination du directeur par décret, conformément à la pratique des autres grandes caisses ? Le Gouvernement justifie cette mesure par les dysfonctionnements de la CNAVPL ; les avez-vous également constatés ? Cette reprise en main vous paraît-elle souhaitable ?

M. Laurent Marcangeli, rapporteur pour les accidents du travail et les maladies professionnelles (AT-MP). Dans ce rapport, la Cour souligne que les déficits de nos comptes sociaux sont de plus en plus financés par des emprunts à court terme, ce qui pose un grave problème d’équité entre les générations. Or la branche AT-MP présente aujourd’hui un déficit cumulé de près de 2,5 milliards d’euros, conséquence du choc sur les recettes subi en 2008.

Le fait que cette dette soit entièrement portée par l’ACOSS peut, comme vous l’avez montré, se révéler déresponsabilisant dès lors que l’endettement n’est ni apparent ni financé par une ressource affectée. Cette situation n’est pas non plus sans risques, une remontée des taux d’intérêt pouvant fragiliser l’ACOSS. Quelle pourrait être, pour la branche AT-MP, la trajectoire de remboursement de ces déficits cumulés ? Faudrait-il y affecter une ressource spécifique ?

Vous soulignez également la fragilité d’un redressement des comptes entièrement assuré par des augmentations de recettes, à l’image de la hausse des cotisations AT-MP décidée l’an passé. Quelles pistes d’économies envisagez-vous pour cette branche ?

En juin dernier, dans le rapport sur la certification des comptes de la sécurité sociale, la Cour a estimé qu’il lui était impossible d’exprimer une opinion sur les comptes de la branche AT-MP en raison du manque de fiabilité des données prises en compte par la CNAM pour évaluer les provisions au titre des contentieux relatifs à l’application de la législation AT-MP. Ces contentieux, qui peuvent se dénouer dans un sens défavorable à la branche, concernent souvent des montants importants : au 31 décembre 2012, la CNAM a évalué le montant des provisions nécessaires à 667 millions d’euros. Que préconisez-vous pour améliorer cette évaluation ?

Enfin – pour faire suite aux recommandations plus anciennes de la Cour –, le rapport de 2008 incitait à réformer la procédure de révision des tableaux des maladies professionnelles en distinguant mieux la phase d’expertise scientifique – collégiale et pluridisciplinaire – et la consultation des partenaires sociaux. Le rapport pointait également les insuffisances de la procédure complémentaire de reconnaissance des maladies professionnelles. Quels ajustements faut-il apporter en priorité aux procédures actuelles ?

Le rapport de la Cour de 2005 relatif au Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (FCAATA) constatait le caractère inégalitaire de ce dispositif de préretraite, qui concerne essentiellement les travailleurs de quelques grandes entreprises figurant sur des listes établies par arrêtés. Depuis lors, la représentation nationale a demandé, par l’article 90 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement sur les modalités de création d’une nouvelle voie d’accès au FCAATA. Ce rapport devait être déposé au plus tard le 1er juillet, et je déplore que cela n’ait pas été fait ; une mission de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) serait en cours.

Dans le cadre du suivi de ses préconisations de 2005 ou de ses différents travaux relatifs à l’amiante, la Cour a-t-elle, de son côté, évalué les effets de la création d’une nouvelle voie d’accès au dispositif de la préretraite amiante ? Il s’agirait de mieux tenir compte des parcours individuels, notamment pour les intérimaires, les sous-traitants ou encore les artisans isolés, en s’appuyant sur un faisceau d’indices tels que le secteur d’activité, la durée d’exposition, la période d’activité ou les conditions d’exercice.

Mme Linda Gourjade, suppléant Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour la famille. Je vous prie d’excuser Mme Clergeau, retenue par une réunion de questure.

La Cour des comptes relève qu’une part substantielle des ressources de la branche famille n’a pas de caractère durable : son financement a été fortement fragilisé par l’attribution, en remplacement de la part de CSG affectée à la CADES en 2011, d’impôts et de taxes nettement moins dynamiques, et même de recettes appelées à s’éteindre. Une telle situation est profondément anormale, car une politique de long terme telle que la politique familiale doit être assise sur des recettes pérennes et clairement identifiées.

Parmi les pistes évoquées pour réformer le financement de cette branche, il est souvent envisagé de conjuguer une fiscalisation croissante à une baisse, plus ou moins prononcée, de la participation des employeurs. La Cour peut-elle préciser les contraintes que présentent les différents scénarios de cette diversification des ressources de la branche ?

Dans son rapport sur la sécurité sociale pour 2012, la Cour avait relevé la trop grande dispersion des structures et des moyens informatiques de la CNAF, source de coûts élevés ainsi que de retards dans la mise en œuvre de projets importants. On sait l’importance d’un système d’information efficace : c’est un instrument de gestion des risques et de service des prestations à bon droit, un moyen de mieux connaître l’évolution des besoins des allocataires et l’outil de travail quotidien des agents des caisses, qui doivent répondre à des demandes très diverses.

La Cour avait appelé à axer la prochaine convention d’objectifs et de gestion (COG) sur un petit nombre de priorités hiérarchisées et à rationaliser les structures informatiques de la CNAF. Pouvez-vous nous dire si ces recommandations ont trouvé leur traduction dans la COG 2013-2017, conclue en juillet entre l’État et la CNAF, ainsi que dans le nouveau schéma directeur des systèmes d’information ?

Dans son référé du 22 mars sur l’action sociale de la branche famille à destination de la jeunesse – c’est-à-dire des enfants de plus de trois ans, des adolescents et des jeunes adultes –, la Cour constatait le caractère peu redistributif de cette politique et l’importance des disparités entre départements. Elle préconisait d’améliorer le ciblage des aides en faveur des familles et des territoires les plus défavorisés. Elle soulignait également la nécessité d’une meilleure gouvernance du dispositif des aides à la parentalité.

La nouvelle COG 2013-2017 devrait remédier à ces lacunes. Outre l’accompagnement de la réforme des rythmes éducatifs, qui va démocratiser l’accès aux activités périscolaires de qualité, des interventions spécifiques sont prévues dans des territoires périurbains et ruraux dépourvus d’une offre en direction de la jeunesse. De même, les moyens consacrés aux mesures d’accompagnement à la parentalité seront doublés, dans le but de développer ces services sur l’ensemble du territoire.

La Cour peut-elle apporter des précisions sur les voies à emprunter pour rendre les aides plus sélectives et sur le pilotage d’une politique qui se donnerait enfin pour objectif de réduire les inégalités territoriales ?

Ma dernière question concerne les associations familiales. Dans son rapport public de 2005, la Cour avait noté que l’attribution de fonds publics à l’Union nationale des associations familiales (UNAF) devrait être subordonnée à une meilleure représentativité de l’association. Or, dans une insertion au rapport public de 2007, elle a constaté que sa préconisation n’avait pas été suivie d’effets lors de la réforme, en loi de financement pour 2005, du fonds spécial qui finance l’UNAF et les unions départementales. La situation vous semble-t-elle avoir évolué depuis lors ? Quels critères de représentativité pourrait-on retenir ?

M. Jean-Pierre Door. Il est important, monsieur le Premier président, de pouvoir chaque année vous recevoir dans cette Commission afin de débattre du financement de la sécurité sociale.

Selon vos propres termes, la dette sociale est entrée dans une spirale « anormale et dangereuse ». Les recommandations de la Cour des comptes n’ont donc pas été suivies, l’an dernier – non plus que celles de l’opposition –, dans la mesure où le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 a été élaboré à partir de chiffres insincères, qu’il s’agisse de la croissance, de l’évolution de la masse salariale ou de l’ONDAM. Cela explique le déficit de 8 milliards d’euros que connaît actuellement l’assurance maladie, supérieur de plus de 2,5 milliards aux prévisions.

Vous constatez pourtant que la médecine de ville s’est montrée économe : la maîtrise médicalisée a été au rendez-vous. Il convenait de le rappeler, les médecins étant trop souvent pris pour boucs émissaires. Et je suis par conséquent d’accord avec vous pour affirmer le caractère indispensable d’une maîtrise des dépenses hospitalières. Vous estimez à 5 milliards d’euros les économies possibles grâce au développement de la chirurgie ambulatoire, mais on pourrait obtenir des résultats encore meilleurs en poussant plus loin la restructuration des établissements, notamment par la constitution de communautés hospitalières de territoire ou de groupements de coopération sanitaire.

Toutefois, vous ne dites rien de la décision apparemment prise de mettre fin à la convergence tarifaire. Quel est votre avis sur le sujet ?

S’agissant de l’ONDAM, où se situe le bon seuil ? M. Bertrand Fragonard le fixait à 1 % au-dessus du PIB, ce qui paraissait raisonnable. Quant au comité de pilotage de l’ONDAM issu des préconisations de M. Raoul Briet, il évoquait, en 2009-2010, et compte tenu des difficultés économiques, un taux situé entre 1,9 et 2,1 %.

Il conviendrait par ailleurs que la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) se saisisse de la question des services de garde en ville.

Vous parlez de reporter les déficits sur la CADES ; cela implique d’augmenter la CRDS, la contribution au redressement de la dette sociale. Mais vous n’évoquez aucune nouvelle piste de financement de la protection sociale. Je sais qu’un comité travaille sur ce sujet, mais quelles seraient vos propres propositions ?

Vous avez fait allusion à des gisements considérables d’économies. Pouvez-vous en donner des exemples ?

La réorganisation territoriale des différentes caisses d’assurance maladie est-elle suffisamment engagée ? Vous avez observé des progrès en ce domaine, mais ne pourrait-on pas faire mieux et plus vite ?

À combien évaluez-vous le montant total des exonérations de charges sociales liées aux 35 heures ou aux « allégements Fillon » ? Certains évoquent une somme de 18 à 20 milliards d’euros par an : si c’est le cas, c’est autant de moins pour l’assurance maladie.

Enfin, vous ne dites mot des dérives financières que connaissent l’aide médicale d’État – a fortiori depuis la suppression de la franchise – et la couverture maladie universelle.

M. Gérard Sebaoun. La sécurité sociale est un bien commun auquel personne, j’imagine, ne veut renoncer. La protection sociale a un coût, mais il convient de le rapporter au service rendu aux Français. S’il est nécessaire de prendre des mesures structurelles et conjoncturelles, aujourd’hui et demain, pour conforter le système, nous restons évidemment attachés à l’universalité des prestations et, s’agissant des retraites, au système par répartition.

En ce qui concerne l’assurance maladie, et bien que la construction d’un ONDAM ne soit jamais simple, l’objectif fixé pour 2012 a été atteint. Quant au PLFSS pour 2013, il ne s’est pas réduit à un simple exercice budgétaire, mais a introduit plusieurs mesures fortes, dont la plus emblématique est sans doute la fin de la convergence tarifaire, aux effets délétères pour l’hôpital public. Le rôle de service public joué par ce dernier a ainsi été réaffirmé. En outre, le redressement financier opéré par nos hôpitaux en 2012 est réel, même si vous en soulignez la fragilité.

J’insisterai pour finir sur quatre thèmes traités dans le présent rapport de la Cour.

Le premier est la nécessité de développer la chirurgie ambulatoire, sur le modèle de ce que font les pays voisins. Cela ne répond pas seulement à des exigences budgétaires, mais constitue un moyen d’assurer un surcroît de bien-être à nos concitoyens en leur évitant des complications.

En deuxième lieu, il convient en effet de valoriser les hôpitaux locaux, notamment en les rapprochant, dans les zones sous-denses, des maisons pluridisciplinaires. L’introduction d’une plus grande part de forfaitisation dans la rémunération des médecins libéraux exerçant dans ces hôpitaux est également une idée intéressante.

Troisièmement, vous notez que l’organisation de la permanence des soins en ville reste insatisfaisante, alors que les coûts ont augmenté. C’est donc un chantier auquel il faut s’atteler sans tarder.

Enfin, vous relevez que les dépenses d’optique correctrice sont supportées avant tout par les assurances maladies complémentaires et par les assurés eux-mêmes, la participation des régimes obligatoires étant très résiduelle. Nous devons agir pour faire baisser les prix, aujourd’hui excessifs, car la lunetterie ne saurait être un produit de luxe. Dans ce domaine comme dans celui des soins dentaires, les régimes obligatoires doivent jouer leur rôle, voire se préparer à la reconquête, pour reprendre l’expression de Christian Paul.

Le groupe socialiste est très attentif aux recommandations de la Cour. Nous entendons travailler au retour progressif de nos comptes sociaux à l’équilibre et améliorer l’efficience du système, mais sans jamais sacrifier aucun des acquis qui fondent aujourd’hui notre pacte social et auxquels, je crois, les Français restent très attachés.

M. Dominique Tian. Votre rapport évoque la situation financière fragile des établissements de santé privés d’intérêt collectif – ESPIC –, qui enregistrent un déficit cumulé d’environ 24 millions d’euros. Ils sont pourtant très utiles au système de santé français. Il est donc nécessaire que, comme vous le demandez, les pouvoirs publics se mobilisent en leur faveur.

Vous appelez les hôpitaux à réaliser davantage d’actes ambulatoires, ce qui conduira bien entendu à supprimer un certain nombre de lits non utilisés. Cela signifie qu’il est possible de réaliser des économies assez importantes en développant cette activité dans le privé et dans le public. À ce propos, n’est-il pas anormal que sept opérations sur dix soient aujourd’hui réalisées dans le privé ? D’autre part, votre analyse ne revient-elle pas à valider la convergence tarifaire et la tarification à l’activité, dans la mesure où les opérations ambulatoires sont facilement comparables et où il est plus facile de mesurer les résultats ? Vous évaluez à environ 200 millions d’euros le coût des actes inutiles pratiqués dans les hôpitaux, ce qui est une somme considérable.

En ce qui concerne l’amélioration de la situation financière des hôpitaux, vous soulignez à quel point elle est circonstancielle, car elle « s’explique en grande partie par l’augmentation des plus-values sur cessions d’actifs » et « par l’attribution ainsi que la comptabilisation en résultat d’aides d’urgences ». Cela signifie-t-il que l’on facture mieux les actes réalisés aux urgences, ou bien que l’aide médicale d’État, après les modifications que l’on sait, vient assurer aux hôpitaux un financement supplémentaire ?

Mme Fanélie Carrey-Conte. Il me paraît important de revenir sur la prise en charge des dépenses d’optique et d’audioprothèse dans la mesure où les insuffisances visuelles et auditives concernent près des deux tiers des Français et où ce sujet s’inscrit dans le débat récurrent sur l’articulation entre l’assurance maladie obligatoire et l’assurance maladie complémentaire.

Vous confirmez le rôle positif que peuvent jouer les réseaux de soins sur la régulation des prix, un rôle déjà souligné lors de l’examen de la proposition de loi visant à permettre aux mutuelles de mettre en place de tels réseaux. Mais vos préconisations en matière de régulation concernent surtout le développement de la concurrence chez les professionnels. Vous n’évoquez pas une possible limitation du nombre de points de vente en fonction de la démographie, ni la limitation des prix de vente ou des tarifs de remboursement, dans les contrats responsables par exemple. Pourquoi ?

Vous avez clarifié certains points afin d’éviter les faux débats sur un éventuel désengagement de l’assurance maladie. Mais il est important de rappeler que, si la généralisation de la complémentaire santé doit être poursuivie jusqu’à son terme, notamment après la signature de l’accord national interprofessionnel, ce processus ne doit pas se traduire par un désengagement de l’assurance maladie obligatoire, qu’il faut au contraire renforcer. Nous devons tenir les deux bouts : une sécurité sociale forte et une protection complémentaire régulée et accessible à tous.

Mme Isabelle Le Callennec. Pour expliquer la persistance des déficits sociaux, vous invoquez, à raison, l’atonie de la croissance. Or, dans ce domaine, les prévisions pour 2014 varient. Quel taux de croissance retenez-vous pour votre part, et quelles seront ses conséquences sur les déficits sociaux ?

D’autres pays de la zone euro – l’Allemagne en particulier – connaissent un retour à l’équilibre de leurs comptes sociaux. Quelles mesures, probablement drastiques, ces pays ont-ils prises pour parvenir à ce résultat ?

Pour assurer l’avenir des hôpitaux locaux, vous suggérez de mettre en œuvre un financement mixte articulant une tarification à l’activité, « à titre principal », et un financement forfaitaire. Qu’entendez-vous par cette expression : « à titre principal » ? Quelle part doit prendre la tarification à l’activité dans le financement : 80 % ? 90 % ?

Les Français sont étonnés par la très médiocre prise en charge de l’optique correctrice par la sécurité sociale. Vous prônez un réexamen de l’articulation entre assurance maladie et assurance complémentaire « dès lors que cette dernière aurait été généralisée ». Or cette généralisation n’est prévue que pour janvier 2016. En attendant, que peut-on faire pour mieux rembourser les frais d’optique correctrice ?

Enfin, nous aimerions être, comme vous, convaincus de l’existence de gisements d’économies considérables. Quelles priorités devrait, selon vous, se donner le Gouvernement dans l’élaboration du budget de la sécurité sociale pour 2014 ?

Mme Véronique Louwagie. La Cour suggère de transférer à la CADES les déficits des années 2012 et 2013 des branches famille et maladie et préconise un relèvement de la CRDS, dont le produit ferait l’objet d’un fléchage vers cette caisse. D’autre part, vous estimez que le recours à la CSG pour accroître les ressources est un procédé qui a atteint ses limites, le taux marginal d’imposition des revenus du capital, 64,5 %, laissant peu de marges de manœuvre dans la mesure où le Conseil d’État a conclu de la décision du Conseil constitutionnel « qu’au-delà d’un taux marginal d’imposition des deux tiers, une mesure fiscale risque d’être considérée comme confiscatoire ». Est-ce à dire qu’un relèvement de la CRDS devrait impérativement s’accompagner de la diminution d’un autre prélèvement, sous peine d’être considéré comme une mesure fiscale confiscatoire ?

M. Bernard Perrut. J’aimerais connaître l’avis de la Cour des comptes sur l’institution d’objectifs régionaux des dépenses d’assurance maladie, ORDAM, sujet d’une proposition de loi déposée par plusieurs d’entre nous. Notre objectif, vous l’avez dit, doit être de dépenser mieux et, si possible, de dépenser moins. Or le cloisonnement des circuits du financement public de la sécurité sociale empêche parfois de soutenir des innovations susceptibles de procurer des économies durables. Ne pourrions-nous améliorer la fongibilité des crédits du budget de la sécurité sociale en distinguant au sein de l’ONDAM la part nationale des parts régionales ? Le Parlement voterait chaque année les ORDAM, dont le montant s’imposerait aux Agences régionales de santé (ARS). La ventilation en sous-objectifs ne serait qu’indicative, mais pourrait garantir aux agences la fongibilité des crédits au niveau régional.

En ce qui concerne l’hospitalisation à domicile, qui mériterait en effet d’être développée dans notre pays, vous formulez un certain nombre de recommandations. Avons-nous suffisamment d’éléments, notamment d’études, pour savoir quel serait l’impact d’un développement de cette forme d’hospitalisation, qui ne représente aujourd’hui qu’une part infime des dépenses d’assurance maladie, mais pourrait contribuer à répondre à certaines de nos préoccupations ?

M. Didier Migaud. Je vais, avec le président Antoine Durrleman, m’efforcer de répondre aux nombreuses questions posées, en commençant par celles des différents rapporteurs.

En ce qui concerne l’ONDAM et la maîtrise des dépenses de santé, nous constatons qu’un effort a été consenti ces dernières années. L’ONDAM est en effet respecté pour la troisième année consécutive, ce qui va dans le bon sens. Cela étant, compte tenu de l’importance du déficit et de sa dimension structurelle, nous insistons beaucoup sur la nécessité de poursuivre cet effort, d’autant que des économies sont possibles, en particulier dans le secteur de l’assurance maladie. Je précise qu’aux yeux de la Cour, un ONDAM doit être respecté en taux et en enveloppe.

Bien que nous ne le préconisions pas, si des prélèvements supplémentaires devaient être votés, nous estimons que leur produit devrait être affecté au financement de la dette sociale. Cette dette résulte en effet de dépenses quotidiennes, courantes, qu’il est anormal et dangereux de faire financer par les générations futures. En reportant sans cesse les échéances, on ne fait que reculer le moment où la facture devra être réglée – moment où, en raison de l’accumulation des déficits, les prélèvements nécessaires seront encore plus importants.

L’ACOSS n’a pas pour rôle de financer une telle dette. Ce sont pourtant 26 milliards d’euros que l’Agence devra, à la fin de l’année 2013, prendre en charge via l’émission de bons de trésorerie à court terme. Si aucune décision n’est prise, cette somme atteindra même 40 milliards d’euros à la fin de 2014. Au vu des évolutions possibles des taux d’intérêt sur les marchés financiers, une telle pratique ne peut qu’être qualifiée de dangereuse. C’est pourquoi nous insistons tant sur ce point.

Nos recommandations principales portent plutôt sur la maîtrise de la dépense et sur les économies qu’il est possible de réaliser. Mais, dans l’hypothèse où le travail de limitation des niches sociales serait poursuivi, le surcroît de recettes obtenu devrait donc être affecté en priorité au financement de la dette sociale et, au-delà, au Fonds de solidarité vieillesse, qui exige des ressources complémentaires.

Il ne nous appartient pas de nous prononcer sur l’intérêt de rendre la CSG progressive, disposition qui relève d’une décision politique. Nous avons simplement observé qu’une telle mesure devrait s’inscrire à l’intérieur des limites posées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel plafonnant le montant global des prélèvements sur les revenus. Il semble toutefois que la décision du Conseil laisse des marges de manœuvre.

Vous me donnez l’occasion de préciser encore la position de la Cour relativement à la prise en charge des dépenses d’optique. Tout ce que nous disons, c’est qu’il serait bon, une fois la couverture complémentaire généralisée, de réexaminer l’articulation entre ce qui, dans ce domaine, devrait relever du régime obligatoire et ce qui relèverait de l’assurance maladie complémentaire. Ce ne sont pas les 200 millions d’euros pris en charge par le régime obligatoire que nous remettons en cause : nous pensons simplement qu’il conviendrait de mieux employer cette dépense en ciblant tel ou tel public. En tout état de cause, il y a déjà désengagement de fait de l’assurance maladie obligatoire : sur le prix d’une paire de lunettes ordinaire, ne sont remboursés que 9 euros, de surcroît au prix d’une longue procédure. Loin de prôner une diminution de la prise en charge, nous mettons le doigt sur l’insuffisance et sur le caractère très inégalitaire de la couverture des frais d’optique. C’est à vous qu’il revient de résoudre ce problème et de trouver les moyens de mieux réguler ce marché. On peut imaginer un encadrement des contrats collectifs, d’autant que ceux-ci bénéficient d’avantages fiscaux. En vérité, la sécurité sociale s’est tellement désengagée qu’elle est incapable de peser pour rendre ce marché plus transparent et plus concurrentiel. Quant aux mutuelles, elles ne s’en soucient pas, préférant faire du remboursement des frais d’optique un produit d’appel. Tout concourt ainsi au mauvais fonctionnement de ce secteur.

En ce qui concerne le régime de retraite des exploitants agricoles, monsieur Issindou, nous ne proposons pas d’augmenter l’ensemble des cotisations, mais de réexaminer certains avantages, tels que la forfaitisation du bénéfice agricole ou les possibilités d’optimisation sociale via le recours aux formes sociétaires d’exploitation, qui sont facteurs d’iniquités et ont pour conséquence de réduire le taux de couverture par les cotisations. Nous préconisons aussi de réorienter vers la protection sociale agricole une partie des impôts et taxes affectés, les ITAF, finançant les chambres d’agriculture et l’action de différents établissements publics et centres techniques œuvrant dans le secteur agricole.

Le renforcement de la tutelle de l’État sur la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales, la CNAVPL, prévu par le projet de loi de réforme des retraites, à travers notamment la mise en place de contrats pluriannuels de gestion, est conforme aux recommandations de la Cour. Il nous est apparu en effet que les caisses de ce secteur manquaient à la fois d’une gouvernance centralisée et de l’exercice d’une tutelle qui soit à la hauteur des enjeux.

M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes. Il est exact que le déficit enregistré depuis 2009 par la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP), d’un montant de 2,5 milliards d’euros, n’a pas été transféré à la CADES. Le PLFSS pour 2013 prévoit que cette branche dégagera un excédent de 250 millions d’euros – hypothèse confirmée en juin dernier par la Commission des comptes de la sécurité sociale – et qu’il continuera d’être excédentaire en 2014, 2015 et 2016, de sorte que ce déficit sera résorbé. Il n’est pas nécessaire dans ces conditions de prévoir une reprise de cette dette par la CADES.

Si nous avons été, cette année, dans l’impossibilité de certifier les comptes de la branche AT-MP, c’est faute d’avoir pu vérifier la fiabilité des données relatives aux litiges nés de l’application de la législation AT-MP, prises en compte par la branche pour déterminer les provisions que nous avions préconisées l’année précédente. Le recueil de telles informations est souvent difficile, d’autant que le nombre de contentieux en cause est considérable. Cela étant, cette situation marque un progrès par rapport à l’an passé, où nous avions refusé de certifier ces comptes. La branche AT-MP est en train de se doter d’un système informatisé de recueil de ces données et devrait pouvoir garantir une remontée exhaustive et fiable de ces informations d’ici à la fin de l’année 2014 ou au début de l’année 2015.

S’agissant du Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, le FCAATA, nous attendons les conclusions de l’enquête que nous avons lancée sur son fonctionnement et sur sa gestion.

En ce qui concerne l’actualisation des tableaux des maladies professionnelles, nous avons constaté des progrès dans le champ des troubles musculo-squelettiques, en particulier des pathologies de l’épaule. Nous avions recommandé dans notre rapport public annuel de février que la branche AT-MP consente le même effort pour d’autres types de pathologies.

Le financement de la branche famille a fait l’objet cette année de deux rapports de la Cour à la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) de votre assemblée. Si le premier dresse un état des lieux, le second propose plusieurs scénarios pour le transfert de la part de financement restant à la charge des entreprises – la cotisation famille représente aujourd’hui 5,4 % de la masse salariale – sur d’autres prélèvements : TVA, CSG, fiscalité environnementale, ou un élargissement de l’assiette de ces cotisations à d’autres éléments, telle qu’une cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.

La convention d’objectifs et de gestion signée le 17 juillet dernier entre l’État et la Caisse nationale des allocations familiales a pris en compte certaines de nos recommandations, par exemple en ce qui concerne le pilotage des systèmes informatiques ou la nécessité de concentrer l’effort sur les zones fragiles ou en difficulté. Tout est maintenant affaire d’exécution.

Nous avions indiqué dans notre rapport de 2011 que le coût de gestion des caisses pouvait être réduit d’un milliard d’euros, à condition d’intensifier le travail de dématérialisation des relations avec les assurés et avec les entreprises, qui avait connu une pause, et d’améliorer la communication entre les administrations, en particulier au bénéfice de la branche famille aujourd’hui obligée de demander aux assurés sociaux des informations déjà disponibles ailleurs. L’an dernier, à propos des indemnités journalières, nous avons montré qu’il y avait là des gains notables à réaliser.

D’autres gains d’efficacité sont attendus de la réorganisation du réseau des caisses, qui s’achèvera avec la régionalisation de l’ensemble des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) au 1er janvier 2014. Nous projetons de mener une enquête sur le sujet dans quelques mois.

Vous avez été nombreux à évoquer la question des hôpitaux locaux. Ceux-ci peuvent contribuer à la lutte contre les déserts médicaux s’ils sont adossés à des maisons de santé pluridisciplinaires. Il faudrait d’autre part améliorer la rémunération des médecins libéraux qui y exercent et resserrer, dans le cadre du parcours de soins, les liens entre ces établissements et les centres hospitaliers généraux, dotés, eux, d’un plateau technique.

L’hospitalisation à domicile est génératrice d’économies, mais son développement est entravé par la petite taille des structures et par la quasi-inexistence de tout référentiel de prise en charge. La possibilité d’articuler ce mode d’hospitalisation et l’organisation de certains professionnels libéraux en réseaux de soins mériterait aussi d’être mieux documentée.

Même si nous n’avons pas étudié dans le détail le financement de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), nous avons noté une surévaluation systématique de la contribution de l’assurance maladie aux prestations médico-sociales. Elle est manifestement due à un engorgement du dispositif d’allocation de moyens de la CNSA, dont l’étude excède le cadre de ce rapport. Nous avons toutefois noté que le financement de cette caisse, établissement public administratif, par une fraction de la CSG contrevenait au principe selon lequel ce prélèvement est affecté directement à un régime de sécurité sociale – à la branche famille à l’origine et à l’assurance maladie depuis 1998.

Relevant une amélioration des comptes des hôpitaux publics, nous avons souligné qu’elle était due en partie au fait que des établissements ont bénéficié de subventions d’équilibre très conséquentes en 2012. L’exemple le plus significatif de ce point de vue est celui du CHU de Fort-de-France, qui a reçu une dotation de soixante-trois millions d’euros à ce titre. Ces « aides d’urgence » ont amélioré substantiellement la situation financière de certains établissements.

Nous comptons inscrire à notre programme de travail la question de la fixation d’objectifs régionaux de dépense. D’ores et déjà, les fonds d’intervention régionaux, financés majoritairement par des crédits de l’assurance maladie, devraient devenir un outil de décloisonnement extrêmement efficace. Ils devraient notamment permettre aux ARS d’organiser de véritables parcours de soins dans des territoires de santé pertinents. Cela constituerait pour les patients un progrès considérable.

M. Didier Migaud. Je voudrais préciser enfin qu’il n’appartient pas à la Cour de proposer une hypothèse de croissance pour 2014 : cela ne relève pas de ses missions. Il reviendra au Haut conseil des finances publiques, que vous avez institué, de se prononcer sur les hypothèses de croissance du Gouvernement. Son avis devrait être connu la semaine prochaine.

L’addition des gisements d’économies que la Cour a identifiés depuis plusieurs années dans de nombreux domaines – le médicament, les dépenses dentaires, le transport sanitaire, la chirurgie ambulatoire, la biologie médicale, les indemnités journalières, les frais de gestion, etc. – représente un montant supérieur au déficit actuel de l’assurance maladie. Cela prouve bien qu’il existe des marges de manœuvre.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je vous remercie, monsieur le Premier président. Vos diagnostics ne sont pas toujours agréables à entendre, mais ils sont toujours utiles pour nous aider à réformer notre système de soins, en dépit des corporatismes et des résistances de toutes sortes. Ce sont des incitations au courage, sans lequel il ne saurait y avoir de bonne politique.

La séance est levée à vingt heures trente.

Présences en réunion

Réunion du mardi 17 septembre 2013 à 16 heures 45

Présents. – M. Élie Aboud, M. Pierre Aylagas, M. Gérard Bapt, Mme Kheira Bouziane, Mme Sylviane Bulteau, Mme Fanélie Carrey-Conte, M. Gérard Cherpion, M. Gérald Darmanin, M. Rémi Delatte, M. Jean-Pierre Door, Mme Hélène Geoffroy, M. Jean-Patrick Gille, Mme Linda Gourjade, Mme Joëlle Huillier, Mme Sandrine Hurel, M. Michel Issindou, M. Denis Jacquat, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Bernadette Laclais, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Catherine Lemorton, Mme Véronique Louwagie, M. Gilles Lurton, M. Pierre Morange, M. Jean-Philippe Nilor, M. Christian Paul, M. Bernard Perrut, Mme Martine Pinville, Mme Bérengère Poletti, M. Arnaud Richard, M. Arnaud Robinet, Mme Barbara Romagnan, M. Gérard Sebaoun, M. Fernand Siré, M. Dominique Tian, M. Jean-Louis Touraine, M. Francis Vercamer

Excusé. – M. Bernard Accoyer, M. Jean-Sébastien Vialatte

Assistait également à la réunion. – M. Laurent Marcangeli