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Commission des affaires sociales

Mercredi 15 janvier 2014

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 30

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, des représentants des employeurs (MEDEF, UPA) sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 15 janvier 2014

La séance est ouverte à seize heures vingt-cinq.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La Commission des affaires sociales entend des représentants des employeurs (MEDEF, UPA) sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous poursuivons cet après-midi nos échanges avec les partenaires sociaux sur le projet de loi – ou plus exactement sur l’avant-projet de loi – relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale. Après avoir reçu ce matin les représentants des syndicats de salariés, nous auditionnons maintenant ceux des organisations patronales, en commençant à nouveau par les organisations signataires de l’accord national interprofessionnel du 14 décembre 2013. Le secrétaire général de l’UPA ayant dû s’excuser au dernier moment pour raisons personnelles, nous n’entendrons à ce titre que les représentants du MEDEF, que je remercie d’avoir répondu à notre invitation.

Mme Florence Poivey, présidente de la commission éducation, formation et insertion du pôle social du MEDEF. Merci, madame la présidente, de nous accueillir à propos d’un accord que nous avons préparé et négocié trois mois durant, avec un enthousiasme que partageait Pierre Burban, secrétaire général de l’UPA – dont je regrette d’autant plus l’absence.

Je dirige aujourd’hui une PME industrielle du Massif Central, mais je suis née et j’ai grandi en Suisse, où la formation en apprentissage et en alternance constitue une voie d’excellence, de même que la formation continue. Aujourd’hui encore, il n’y a en Suisse romande que 30 % des jeunes à poursuivre des études à l’université ou dans une haute école, 70 % entrant dans la vie active par la voie de l’alternance ou de l’apprentissage. Autodidacte moi-même, je continue de me former en permanence. Je suis donc une militante de la formation professionnelle, convaincue de son rôle stratégique pour l’avenir de nos entreprises dans un monde en évolution auquel nous devons sans cesse nous adapter.

En négociant cet accord, le MEDEF a poursuivi deux objectifs : faire de la formation professionnelle, de la « montée en compétence » des hommes et des femmes de nos entreprises, un levier de compétitivité, et sécuriser leur parcours professionnel et leur mobilité. Nous y sommes d’autant plus déterminés que, selon les experts, 20 à 30 % des métiers qui seront exercés au sein de nos entreprises dans quinze ou vingt ans nous sont encore inconnus à ce jour, cependant que quelque 10 % du temps de travail de nos salariés sera consacré à la formation, sous une forme ou sous une autre.

Nous avons eu aussi deux obsessions : d’abord celle, partagée avec bon nombre de nos interlocuteurs, de placer les utilisateurs au cœur de notre réflexion et de nos propositions ; ensuite celle de simplifier drastiquement un dispositif dont la complexité et l’opacité sont apparues avec le recul comme les principaux obstacles auxquels se heurtaient les entreprises, surtout les TPE et les PME, lorsqu’il s’agissait de former leurs salariés. Sur ce dernier point, nous avons fait de grands progrès ; les précédentes auditions ont sans doute commencé de vous en convaincre.

Pour conférer à l’utilisateur – entreprise, salarié, demandeur d’emploi – un rôle central, nous nous sommes efforcés de lui donner à la fois plus de liberté et plus de responsabilité.

Aux yeux de l’entrepreneur, il fallait ainsi faire apparaître la formation non comme un étau de contraintes et de dépenses, mais comme un investissement d’avenir dans son capital le plus précieux : les hommes et les femmes de son entreprise. Nous avons donc proposé de le libérer de la « contribution obligatoire individuelle » – les 0,9 % de la masse salariale qu’il devait consacrer au plan de formation. En contrepartie, et pour donner corps à la responsabilité qui lui incombe de former ses collaborateurs, en fonction des besoins et de la stratégie de son entreprise, nous avons proposé d’instaurer une obligation d’entretien biennal dont le compte personnel de formation (CPF) sera le pivot, allant jusqu’à prévoir une sanction dans l’hypothèse où, par malheur, ni l’entretien ni la formation ne seraient au rendez-vous.

Pour simplifier la tâche des entreprises, les trois contributions à trois organismes différents seront remplacées par une seule. C’est à nos organismes, et non à l’entrepreneur lui-même, qu’il appartiendra de gérer la complexité résiduelle du système, irréductible car elle résulte de la grande diversité – de taille, de secteur, régionale – qui caractérise nos entreprises. Autre source majeure de simplification : la fin de l’imputabilité, qui représentait un véritable fardeau administratif. Enfin, le CPF sera géré à l’extérieur de l’entreprise, contrairement à ce qu’il en était pour le droit individuel à la formation (DIF).

Pour accroître la liberté du salarié, le MEDEF a souhaité que ce dernier puisse activer son CPF sans en référer obligatoirement à l’employeur lorsque la formation est dispensée en dehors du temps de travail. La mobilité étant appelée à se développer, il nous semble en effet essentiel de la sécuriser afin d’apaiser les craintes des salariés et, selon un cercle vertueux, celles qui retiennent l’employeur d’embaucher. Ainsi, le collaborateur d’un laboratoire qui ne posséderait pas la qualification de préleveur pourra activer son CPF afin de bénéficier d’une formation qualifiante en dehors de son temps de travail, dans l’hypothèse où son patron ne prendrait pas l’initiative de la lui proposer ; cela lui permettra de quitter son entreprise pour se faire embaucher par un autre laboratoire.

Afin de rendre le salarié responsable de sa formation, le CPF sera désormais entre ses mains, attaché à sa personne. S’il travaille deux ans dans une entreprise, puis trois ans dans une autre en ayant éventuellement connu une période de chômage entre-temps, son compte pourra être activé de la même manière, alors que les acquis du DIF étaient perdus lorsque l’on quittait son entreprise. Surtout, le CPF restera sa propriété – il pourra même, s’il le souhaite, garder le secret sur son utilisation. Ainsi, et grâce à l’entretien de compétence, le salarié deviendra coresponsable de son parcours professionnel, qui, jusqu’à présent, était surtout l’affaire de son supérieur ou du chef d’entreprise, du moins dans les PME et TPE.

Dans le même souci de responsabilisation, le CPF ne pourra être activé que pour des formations qualifiantes figurant sur des listes proposées par les branches ou par les régions, et destinées à développer des compétences dont les entreprises ou les territoires – et le « territoire France » lui-même – ont véritablement besoin. Il existe en moyenne 400 000 offres d’emploi non pourvues. Nous, organisations patronales, devrions être de bien meilleurs prescripteurs et, à cette fin, travailler avec les régions de manière beaucoup plus constructive.

La simplification bénéficiera aussi au salarié : il n’aura plus qu’un seul interlocuteur, le Fonds de gestion des congés individuels de formation (FONGECIF), et aura la possibilité de s’adresser à un conseiller en évolution professionnelle qui pourra lui-même mettre à profit tous les éléments disponibles dans les territoires.

Le même triptyque vaudra pour le demandeur d’emploi. Liberté : il pourra activer son CPF sans passer par les arcanes des autorisations de Pôle Emploi. Aujourd’hui, il lui faut attendre en moyenne sept mois avant d’accéder à une formation ; nous espérons diviser par deux ce délai, beaucoup trop long pour lui permettre de rebondir sur le marché du travail. Responsabilité : le demandeur d’emploi, comme le salarié, ne pourra activer son compte qu’afin de bénéficier de formations qualifiantes. Simplification : elle viendra également de l’unicité de l’interlocuteur – en l’occurrence Pôle Emploi.

L’accord responsabilise aussi les autres acteurs de la formation que sont les branches et les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA). Les branches deviennent de véritables prescripteurs, qui auront à s’ajuster aux besoins réels des entreprises et des territoires. Conscient du fait qu’il n’est pas encore assez performant de ce point de vue, le MEDEF a l’intention de consacrer à cet objectif les moyens nécessaires, sur tout le territoire et dans toutes les branches. L’ensemble des partenaires sociaux nous approuvent et estiment que les observatoires des métiers, bien pilotés, peuvent servir d’instruments stratégiques à cette fin. En outre, les branches devront veiller à la qualité et au suivi des formations proposées à leurs entreprises. Ce que nous faisons au sein de nos entreprises, nous devons, en tant qu’organisation, le faire aussi à leur service.

Quant aux OPCA, dont un certain nombre ne se considèrent encore que comme des collecteurs, ils devront devenir de véritables prestataires de services, des partenaires, voire des ingénieurs de formation, en particulier pour les TPE et les PME, les entreprises qui ont le plus de mal à s’organiser dans ce domaine. Ils pourront ainsi leur proposer des méthodes pédagogiques et, surtout, des programmes sur mesure, d’autant plus nécessaires que l’entreprise est plus petite. Pour ma part, je n’aurais pu permettre à tous les opérateurs de mon entreprise de plasturgie de passer un certificat de qualification professionnelle sans un OPCA qui a su ciseler une formation tenant compte de mes contraintes – il fallait dégager près de 170 heures pour 60 à 70 personnes. Voilà un exemple de ce à quoi l’on peut parvenir en développant la « culture client » au sein des OPCA.

Tel est le cadre général de la réforme, dont nous pourrons préciser la teneur en répondant à vos questions.

M. Jean-Patrick Gille. Au nom du groupe SRC, je vous remercie de cette présentation, la plus enthousiaste qu’il nous ait été donné d’entendre jusqu’ici. Si l’accord vise, vous l’avez souligné, à concilier liberté et responsabilité, on peut craindre qu’il ne confie aux seuls salariés l’entière responsabilité de leur formation et, par là même, de leur employabilité. Certes, la baisse du taux de cotisation – que d’aucuns qualifient de rupture – est censée être compensée par l’obligation de former qui incombe à l’employeur. Mais celui-ci ne risque pas gros s’il ne fait pas le nécessaire tous les deux ans, ni même au bout de six ans – sinon de devoir réabonder le compte d’une centaine d’heures, ce qui ne représente pas grand-chose si l’obligation de formation n’a pas été respectée jusqu’alors.

D’autre part, les entreprises dotées d’une direction des ressources humaines pourront continuer d’investir dans la formation pour préparer l’avenir et accroître leur compétitivité, voire inciter leurs salariés à mobiliser leur compte. Mais qu’en sera-t-il des petites entreprises, qui ne disposent pas des mêmes moyens et qui s’appuyaient jusqu’à présent sur les OPCA, lesquels mutualisaient les fonds et leur servaient de DRH dans ce domaine ? C’est la question que soulève la CGPME.

Les listes de formations font également débat.

Comment le compte pourrait-il inciter plus de demandeurs d’emploi à se former, indépendamment des 300 millions d’euros supplémentaires alloués au financement de leur formation ?

Le « hors champ » pose un autre problème, particulièrement sensible. Comment le faire participer à l’élaboration des listes et aux instances de gouvernance – le CNEFOP et les CREFOP : le Conseil national et les comités régionaux de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles ? Comment l’intégrer à la réforme de la représentativité ? Rappelons que le hors champ contribuera aux fonds destinés à financer le syndicalisme, mais ne siégera pas au comité paritaire qui en fixera la répartition.

Il est exact que les OPCA ne sont pas seulement des collecteurs, mais aussi des prestataires de services ; du reste, leur évolution en ce sens est déjà engagée. Mais comment concevez-vous le rôle du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, le FPSPP ? S’agissant de la partie mutualisée de la contribution, comment pourra être géré l’éventuel surplus qui résulterait d’un sous-emploi des fonds au cours des premières années ?

M. Gérard Cherpion. Je m’exprimerai au nom du groupe UMP.

Puisque vous avez invoqué l’exemple suisse, madame, je relève aussi que, dans ce pays, le taux de chômage des jeunes ne dépasse pas 4 %, comme d’ailleurs dans une partie de l’Allemagne : on voit que ce n’est pas nécessairement en amenant 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat que l’on résoudra le problème de l’emploi des jeunes, puisque ces deux pays ont privilégié l’alternance. Si leurs méthodes respectives ne sont pas transposables en l’état, leur expérience confirme l’intérêt de cette voie, jusque dans l’enseignement supérieur – où se pose toutefois le problème du financement de l’apprentissage.

Je salue l’enthousiasme avec lequel vous avez, madame, défendu la conjonction, trop rarement recherchée dans notre société, de la liberté et la responsabilité, pour l’entreprise comme pour le salarié.

Les listes de formations, destinées aux demandeurs d’emploi, mais aussi aux salariés, dépendront de l’État, des régions, des branches : une telle complexité ne contredit-elle pas l’objectif de simplification que vous avez invoqué ? N’y aura-t-il pas là aussi un élément de contrainte pour le salarié, chargé d’activer son droit à la formation ? En outre, comment dispenser des formations véritablement qualifiantes en 150 heures seulement ? L’abondement supplémentaire, notamment par les régions, risque de poser un problème.

La place du hors champ en soulève un autre, s’agissant notamment du fonds destiné aux partenaires sociaux. Pour certains de ces derniers, il s’agirait d’un problème purement patronal, mais le hors champ comprend les professions libérales, qui incluent des salariés comme des employeurs.

Enfin, je note que vous n’avez rien dit du titre II de l’avant-projet de loi, consacré à la démocratie sociale.

M. Christophe Cavard. Pour s’en tenir – provisoirement, j’espère – au titre Ier de l’avant-projet, le groupe écologiste aimerait en savoir plus sur le financement, en particulier sur la mutualisation des moyens qui fait débat au sein des organisations patronales.

Plutôt que de contraindre les entreprises, vous espérez les convaincre de leur intérêt à investir dans la formation ; mais, dans un contexte économique difficile, la révision des taux de contribution pourrait au contraire les inciter – surtout les TPE – à des économies supplémentaires.

Le CPF sera doté de 150 heures, soit davantage que les 120 heures du DIF, mais peut-être pas assez pour garantir une formation qualifiante, malgré les possibilités d’abondement supplémentaire. À vos yeux, le nombre d’heures peut-il encore être relevé, le cas échéant par des accords de branche plutôt que par la loi ?

Plus généralement, il n’est pas rare que les textes que nous votons renvoient le dialogue social aux accords de branche, ce qui donne fort à faire aux branches, dont une soixantaine seulement – sur 700 à 900 en tout – rassemble 50 000 salariés au moins, les autres en comptant chacune moins de 5 000. Qu’en pensez-vous ?

Quelle est votre position s’agissant du hors champ ? Des organisations représentatives des salariés, mais qui n’ont pas pris part à la négociation, nous font savoir qu’elles souhaitent être associées à la mise en œuvre du dispositif.

Comment s’assurer de la qualité de la formation dispensée par les nombreux organismes existants ? Elle est essentielle pour convaincre les entreprises d’investir dans ce domaine. Le texte permet aux services de l’État d’y veiller ; ne faudrait-il pas fixer également des critères d’évaluation avec les partenaires sociaux ?

Mme Monique Iborra. Le nombre d’heures, certes en hausse par rapport à celui qu’offrait le DIF, ne nous semble pas suffisant pour permettre une formation qualifiante. Le compte peut être abondé par l’entreprise elle-même ou par les régions, mais qui coordonnera l’ensemble ? Comment éviter que le financement de la formation ne s’apparente à un parcours du combattant pour le salarié et, surtout, pour le demandeur d’emploi ? N’oublions pas que la validation des acquis de l’expérience n’a été qu’un demi-succès.

Selon vous, comment expliquer l’échec du DIF, auquel 6 % seulement des salariés ont eu recours ? Pourquoi le CPF aurait-il plus de succès ?

De même, pourquoi réussirions-nous aujourd’hui mieux qu’hier à modifier la « culture de collecteurs » des OPCA, dont la loi de 2009 a déjà réformé, sans grand effet, l’organisation et les prestations ?

Comment le MEDEF, qui se déplace beaucoup en région, conçoit-il la gouvernance régionale des listes ? Au sein du « pilotage quadripartite », qui est le véritable pilote ? Les listes ne dépendront-elles pas à la fois des régions et des partenaires sociaux, plutôt que des unes ou des autres comme vous l’avez dit ? Que se passera-t-il alors en cas de désaccord entre ceux-ci et celles-là ?

Mme Isabelle Le Callennec. Convaincue comme vous, madame, des bienfaits de la formation tout au long de la vie, j’espère que le projet de loi donnera naissance à un dispositif plus lisible, plus efficace et plus juste.

En ce qui concerne le CPF, le principe d’un interlocuteur unique paraît bienvenu. Toutefois, si Pôle Emploi, le FONGECIF et l’OPCA peuvent servir au demandeur d’emploi, au salarié et à l’entreprise d’interlocuteurs privilégiés, comment écarter entièrement les nombreux autres acteurs qui interviennent dans le domaine de la formation ?

Le droit individuel à la formation semble destiné à disparaître entièrement, mais le CPF va coexister avec d’autres dispositifs, dont le congé individuel de formation (CIF), qu’il n’est pas question de supprimer, et les formations que les entreprises peuvent faire financer par Pôle Emploi ou par les régions. Il serait bon de répertorier les différentes possibilités existantes.

Si la formation dispensée hors du temps de travail se fonde sur le volontariat, celle qui aura lieu pendant les heures de travail devra respecter des objectifs. Pour les atteindre, selon quelle hiérarchie le salarié devra-t-il mobiliser le plan de formation de l’entreprise, le CIF, le CPF ?

Les partenaires sociaux, en particulier les entreprises, souhaitent à juste titre être étroitement associés à l’élaboration des listes de formations qualifiantes, mais les régions voudront aussi avoir leur mot à dire. Prenons donc garde aux doublons : les observatoires des métiers existent déjà à tous les niveaux – collectivités, organisations syndicales, branches, missions locales.

Comment le compte personnel de formation se présentera-t-il concrètement ? À quel moment sera-t-il possible de l’ouvrir, la vie professionnelle pouvant durer de 16 à 62 ou 65 ans ? Comment sera-t-il géré par le FONGECIF ? Comment le salarié saura-t-il où il en est de l’utilisation de ses 150 heures ?

Enfin, les fonds dédiés à la formation sont-ils véritablement sécurisés ? Êtes-vous satisfaits des dispositions relatives à la mutualisation ?

M. Michel Liebgott. Je me réjouis pour ma part que nous en soyons au quatrième accord national interprofessionnel et que les partenaires sociaux, syndicats de salariés comme organisations patronales, adhèrent à cette nouvelle démarche.

Cet esprit d’ouverture devrait permettre de rapprocher l’offre de la demande. À titre d’exemple, on recrute encore 100 000 métallurgistes chaque année. Mais, si les employeurs ont du mal à trouver des salariés, ce peut être parce que les métiers ne sont pas assez attractifs, assez bien rémunérés, ou parce que les entreprises préfèrent recourir à des sous-traitants, à des intérimaires, voire au travail à temps partiel. Or, pour se former en toute confiance, les salariés doivent pouvoir se projeter dans l’avenir, sans avoir l’impression que leur entreprise subordonne leur formation à ses propres objectifs à court terme. Il ne s’agit pas là d’un procès d’intention, mais de l’écho d’une inquiétude exprimée lors des auditions par les entreprises elles-mêmes, en particulier par les PME. Celles-ci ont besoin de leurs salariés pour vivre, voire pour survivre : il leur est difficile de les laisser se former en vue de rejoindre une autre entreprise.

Par ailleurs, comment la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC), obligatoire dans les entreprises de plus de 300 salariés, s’articulera-t-elle avec le CPF ?

M. Patrick Hetzel. La formation tout au long de la vie est évidemment essentielle, mais il y a fort à faire pour sensibiliser à cette nécessité notre pays, qui a l’habitude de miser avant tout sur la formation initiale, censée être la plus longue possible, et sur une course aux diplômes sans fin.

Même si ce sont surtout les non-signataires qui souhaitent modifier le texte, l’avant-projet de loi a-t-il selon vous laissé de côté des points stratégiques de l’accord, que nous devrions y réintroduire par voie d’amendement ?

M. Denys Robiliard. Le MEDEF, qui ne s’est pas exprimé sur les titres II et III de l’avant-projet, peut-il nous confirmer qu’ils ne présentent aucune difficulté à ses yeux ?

Au-delà du seul domaine de la formation, comment envisagez-vous d’intégrer le hors champ à la négociation collective, dont on ne saurait exclure les grandes organisations représentatives du secteur agricole, des professions libérales ou de l’économie sociale ?

S’agissant des branches, qui, comme l’a rappelé Christophe Cavard, regroupent pour la plupart peu de salariés, que pensez-vous des moyens d’intervention dont disposerait le Gouvernement en vertu de l’article 15, section VIII, de l’avant-projet de loi ? Sont-ils adaptés, sont-ils suffisants ?

Que pensez-vous de la possibilité également offerte au Gouvernement de légiférer par ordonnance sur le mode de désignation des conseillers prud’hommes ? Comme nous l’ont fait observer les représentants de Force ouvrière, en élisant un délégué du personnel ou un membre du comité d’entreprise, les salariés n’entendent pas nécessairement désigner un juge prud’homal. Il en va ici de la légitimité de cette justice.

Enfin, quel est votre point de vue sur la réforme de l’inspection du travail, en particulier sur le pouvoir de sanction administrative et de transaction pénale que lui donne le texte ?

M. Gérard Sebaoun. Je ne veux pas faire de procès d’intention aux rédacteurs de l’accord, mais pourquoi systématiser l’entretien professionnel à l’issue d’un arrêt longue maladie comme d’un simple congé de maternité ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Selon vous, avant de réformer la justice prud’homale, a-t-on tout essayé pour rendre viables les élections aux conseils de prud’hommes, notamment dans les PME et surtout les TPE, où l’information circule mal faute de représentants du personnel ?

Mme Florence Poivey. En premier lieu, nous sommes tout disposés à intégrer le hors champ aux instances régionales chargées de la formation, car certains des secteurs concernés sont susceptibles d’offrir des postes aux demandeurs d’emploi.

Nous ne sommes pas partisans de porter au-delà de 150 le nombre d’heures de formation disponibles dans le cadre du CPF, et ce pour deux raisons. Tout d’abord, pour responsabiliser l’employeur, il faut lui laisser la possibilité d’abonder les comptes des salariés, en particulier lorsque l’entreprise connaît d’importantes évolutions technologiques ou de marché. Ensuite, c’est en incitant les organismes de formation à étudier les modalités pédagogiques au lieu de renchérir sur le nombre d’heures que nous sélectionnerons les meilleurs d’entre eux. Ce sont les besoins qui doivent déterminer la durée de la formation et, dans ce domaine, il faut savoir faire preuve de créativité. Tous les opérateurs de mon entreprise ont obtenu leur qualification de technicien après 168 heures de formation, ce qui ne représente pas beaucoup plus de 150 heures ; il m’a d’ailleurs paru tout à fait normal de prendre le solde à ma charge. Pour nous, les 150 heures sont donc un maximum.

Notre discours est clair à propos de la mutualisation : il n’existe pas à l’heure actuelle, en ce domaine, de solidarité des plus grandes entreprises à l’égard des plus petites, alors que les TPE et les petites PME ont bien du mal à concevoir des programmes de formation pour leurs salariés. Nous avons donc proposé aux partenaires sociaux, qui l’ont accepté, de porter de 400 à 600 millions d’euros les fonds mutualisés dont bénéficient les TPE grâce à la solidarité des grandes entreprises. Pour fixer le montant de cette hausse de manière à couvrir le salaire de remplacement des collaborateurs partis en formation, nous nous sommes fondés sur le nombre d’heures de formation effectuées dans les entreprises de un à neuf salariés, soit 17 millions. Certes, ce n’est pas assez, car l’argent n’est pas tout : il faut aussi pouvoir s’organiser. Voilà pourquoi les OPCA doivent devenir de véritables prestataires d’ingénierie. Il convient de s’inspirer des expériences déjà menées dans certains secteurs, notamment par l’intermédiaire de groupements collectifs.

Nous avons également instauré un complément de mutualisation destiné aux entreprises de 50 à 300 salariés. Mais il relève plutôt de ce que j’ai pu appeler la « mutualisation des coquins malins », au service des entreprises les plus proches des branches et des OPCA, voire de celles qui peuvent se doter de directeurs de la formation ou de collaborateurs capables d’activer les circuits de financement. Il ne s’agit pas à mes yeux d’une mutualisation de solidarité, vertueuse pour l’économie générale ; du reste, les organisations syndicales ne m’ont pas donné tort lors de nos échanges informels à ce sujet.

Au total, les entreprises de 1 à 49 salariés pourront bénéficier de 1,3 milliard de fonds mutualisés – contre 1,4 aujourd’hui –, compte non tenu des versements volontaires des entreprises aux OPCA. Il y a donc tout lieu de penser que l’accord débouchera sur une hausse des sommes allouées à ces entreprises au titre de la mutualisation.

En quoi un demandeur d’emploi sera-t-il incité à utiliser son compte personnel de formation, demandez-vous. Il y aura tout intérêt puisqu’il pourra ainsi bénéficier des formations qualifiantes lui permettant d’accéder aux postes disponibles. Voilà pourquoi il était important que les partenaires sociaux et les régions soient appelés à travailler le plus possible ensemble, afin d’assurer l’adéquation entre les formations que nous proposons et les offres d’emploi.

M. Antoine Foucher, directeur des relations sociales, de l’éducation et de la formation au MEDEF. S’agissant des listes, l’essentiel est de créer les conditions de la confiance entre les acteurs, afin que les « guéguerres » actuelles entre partenaires sociaux et conseils régionaux laissent place à la coordination, au service des usagers et des bénéficiaires. Voilà pourquoi les partenaires sociaux ont eu à cœur de définir des règles claires, lors de la négociation de l’accord comme de la concertation quadripartite présidée par Jean-Marie Marx et où les régions étaient représentées. Les règles dégagées dans le cadre de la concertation sont publiques : elles figurent dans la synthèse établie par Jean-Marie Marx et mise à disposition des organisations syndicales et patronales par le cabinet de Michel Sapin.

En premier lieu, il a été décidé de prendre pour point de départ les listes des conseils régionaux, les plus gros financeurs de formations collectives destinées aux demandeurs d’emploi. Trois cas ont ensuite été envisagés. Le premier et, espérons-nous, le plus fréquent, est celui où les partenaires sociaux et la région se mettront d’accord sur les propositions de cette dernière : il n’y aura alors aucune difficulté. Le deuxième cas est celui d’un désaccord, non sur l’ensemble, mais sur tel ou tel type de formation figurant sur la liste ; les régions et les partenaires sociaux cofinanceront alors les formations faisant l’objet d’un accord, chaque acteur prenant à sa charge celles dont il est seul à estimer qu’elles correspondent aux besoins en compétences des entreprises de la région. Troisième cas : si les partenaires sociaux
– organisations patronales et syndicales – ne parviennent pas à se mettre d’accord dans le cadre de l’actuelle commission paritaire interprofessionnelle régionale pour l'emploi (COPIRE), la liste des formations qualifiantes établie par le conseil régional sera reprise in extenso.

Cet équilibre subtil nous semble devoir être préservé afin d’apaiser la défiance de quelques régions, qui risquerait de compromettre les cofinancements prévus ; les demandeurs d’emploi en feraient alors les frais, ce que nul ne souhaite.

Mme Florence Poivey. Pour que les employeurs aient envie d’investir dans la formation, il faut d’abord leur présenter un produit attractif. Voilà pourquoi il est essentiel de responsabiliser les branches et les organismes paritaires collecteurs agréés. Le contexte général peut certes compliquer la tâche des entreprises, mais c’est en leur permettant d’investir dès que ce contexte s’améliore – et non en les soumettant à une contrainte – que nous les inciterons à relever les défis qui s’annoncent en prenant en compte leurs besoins réels, voire en faisant preuve d’audace. Qu’il s’agisse de la formation ou de l’outil de production, d’innover ou d’exporter, il est risqué de ne pas investir et la grande majorité des entrepreneurs le savent.

Toutefois, parce qu’il s’agit d’opérer un véritable changement de culture et parce qu’en la matière le dialogue social est essentiel, nous créons également une obligation de rencontre régulière avec les salariés. Cela ne vous paraît peut-être pas assez, mais j’ai entendu – non sans surprise – les partenaires sociaux expliquer que beaucoup de salariés n’osent pas parler de compétences avec leur supérieur ou leur employeur, de peur de paraître avouer leur incompétence. Les organisations syndicales n’ont donc guère discuté le bien-fondé de l’entretien biennal.

À l’employeur donc d’engager le dialogue avec chacun de ses collaborateurs, mais en tenant compte de la stratégie de l’entreprise – ce qui répond à votre question sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, monsieur Liebgott. En outre, au sein du 1 %, 0,2 % dédiés au compte personnel de formation pourront rester à la disposition des salariés au titre d’un accord d’entreprise. Cette mesure favorisera elle aussi le dialogue social sur les compétences dans l’immense majorité des entreprises qui établira un tel accord.

Pourquoi le DIF a-t-il échoué ? Au début, on pouvait utiliser ce droit pour financer n’importe quelle formation, sans tenir le moindre compte des besoins de l’entreprise ou du territoire : cela n’a guère encouragé les entrepreneurs à entrer dans le dispositif. En outre, l’accord de l’employeur était nécessaire et le socle payé par l’entreprise. Désormais, même si les 0,2 % sont financés par l’entreprise, le socle sera collectif et non à la seule charge de l’entrepreneur. Mais il faudra aussi faire œuvre de pédagogie à propos du CPF ; nous en avons beaucoup parlé entre partenaires sociaux.

La gestion du CPF, que seuls trois opérateurs avaient les moyens d’assurer, devrait être confiée à la Caisse des dépôts. Le salarié bénéficiera d’un accès direct à son compte en ligne. Nous, partenaires sociaux, devons encore travailler à rendre ce site clair et attractif.

Tous les points stratégiques de l’accord interprofessionnel ont-ils été retenus ? Nous avons veillé à établir un équilibre, à concevoir un tout. Pour préserver cet équilibre, nous devons avoir les moyens de travailler dans des conditions optimales avec les régions, au service des demandeurs d’emploi. Il s’agit d’un point sensible auquel nous demeurerons très attentifs jusqu’au bout.

M. Antoine Foucher. Le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, créé par l’accord de 2009, a connu un succès assez modéré. Pour lui redonner du souffle, les négociateurs ont jugé bon de le recentrer sur des missions clairement identifiées : l’emploi des jeunes et le financement des contrats en alternance, le financement de la formation dans les TPE, qui augmente de 34 %, et le financement du CPF.

Nous devons trouver les moyens de mieux associer le hors champ à toutes les négociations, au-delà de la seule formation professionnelle. On cite souvent l’exemple du volet sur le temps partiel de l’ANI du 11 janvier 2013, lequel concernait particulièrement une organisation du hors champ. Pour éviter que cette situation ne se reproduise sans pour autant accroître le nombre des organisations participant à la négociation – ce qui pourrait compromettre son bon déroulement –, nous devons définir des mécanismes de consultation, éventuellement contraignants, en amont de la négociation, sur le modèle de ce qui se fait pour la fixation du taux de participation au FPSPP.

En matière de justice prud’homale, le recours à une ordonnance nous paraît bienvenu car il permet d’agir rapidement. Quant au fond, il nous est difficile de nous prononcer dans la mesure où l’avant-projet ne mentionne que les thèmes des décisions qui seront prises par cette voie.

En ce qui concerne l’inspection du travail, la transaction pénale ne nous pose pas de problème. En revanche, il nous semble excessif de permettre à l’inspecteur du travail d’interrompre l’activité dans toutes les entreprises, et inopportun de le dispenser d’en passer par un organisme ou par un tiers pour asseoir sa décision. De plus, l’éventuelle sanction devrait pouvoir être précédée d’une mise en demeure.

Mme Florence Poivey. Enfin, nous sommes résolument favorables à une réduction drastique du nombre de branches tout en sachant que, pour y parvenir, nous aurons fort à faire dans notre propre maison.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Merci, madame, messieurs.

La séance est levée à dix-sept heures cinquante.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 15 janvier 2014 à 16 heures 15

Présents. – Mme Fanélie Carrey-Conte, M. Christophe Cavard, M. Gérard Cherpion, M. Jean-Louis Costes, M. Rémi Delatte, M. Jean-Patrick Gille, Mme Monique Iborra, M. Michel Issindou, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Annie Le Houerou, Mme Catherine Lemorton, M. Céleste Lett, M. Michel Liebgott, M. Gilles Lurton, Mme Ségolène Neuville, M. Denys Robiliard, M. Gérard Sebaoun, M. Christophe Sirugue

Excusés. – Mme Kheira Bouziane, M. Fernand Siré, M. Jonas Tahuaitu

Assistaient également à la réunion. – M. Patrick Hetzel, M. Régis Juanico