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Commission des affaires sociales

Mercredi 15 janvier 2014

Séance de 17 heures 45

Compte rendu n° 31

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Michel Pottier, président de la commission « formation » et de M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 15 janvier 2014

La séance est ouverte à dix-sept heures cinquante.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La Commission des affaires sociales entend M. Jean-Michel Pottier, président de la commission « formation » et M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Bienvenue, messieurs. La CGPME est la seule organisation patronale qui n’a pas signé l’accord national interprofessionnel (ANI) du 14 décembre dernier : pourquoi ? Voyez-vous malgré tout dans cet accord certains aspects positifs ?

M. Jean-Michel Pottier, président de la commission « formation ». Chef de file de la négociation pour la CGPME, l’ayant donc suivie de très près, je vais essayer de vous expliquer nos réticences vis-à-vis de cet accord.

Son objet principal, la mise en œuvre du compte personnel de formation (CPF) issu de l’accord signé en janvier 2013, ne nous pose pas de problèmes particuliers : nous avons même été parmi les premiers à faire des propositions, que l’on retrouve d’ailleurs largement dans l’accord.

Mais nous n’avons pas signé l’accord. En effet, tout d’abord, la réforme déporte les dispositifs de formation, et leur financement, hors de l’entreprise : ils échappent ainsi à la décision et à l’initiative du chef d’entreprise. Il était pourtant essentiel de préserver un système qui avait fait ses preuves depuis plus de trente ans, celui de la mutualisation, qui permettait de financer les actions de formation au bénéfice des salariés dans le cadre du plan de formation, en particulier dans les entreprises de 10 à 299 salariés. Or ce dispositif se réduit, avec ce projet de loi, comme peau de chagrin, ce qui nous pose vraiment problème.

Le système fonctionne aujourd’hui un peu à la façon d’une assurance – beaucoup d’OPCA (organismes paritaires collecteurs agréés) étaient d’ailleurs, à l’origine, des fonds d’assurance-formation. La formation est évidemment un élément essentiel de compétitivité, et seul un énorme effort de formation a permis la diffusion des progrès technologiques fulgurants que nous avons connus ces dernières décennies. Mais toutes les entreprises n’organisent pas la formation de leurs salariés au même moment : la mutualisation de leurs contributions permet aux entreprises qui utilisent les fonds de la formation professionnelle d’organiser celle-ci au moment le plus opportun pour elles.

Or cet accord fait disparaître l’égalité d’accès aux fonds de la formation professionnelle au titre des actions du plan de formation au bénéfice des salariés des PME : la contribution est réduite de 0,9 % à 0,2 % pour les entreprises de 10 à moins de 50 salariés, et à 0,1 % pour celles de 50 à 299 salariés. C’est pour nous un problème majeur.

La deuxième raison pour laquelle nous ne pouvons pas approuver cet accord, c’est le problème de la solidarité inter-entreprises – celle-ci, et notamment la solidarité des grandes envers les plus petites, ayant pourtant constitué une demande de l’État lors des précédentes négociations ; il y a eu de nombreuses tentatives pour l’organiser. Ici, elle est tout simplement réduite à néant ! C’est un peu fort de café, quand on sait que les grandes entreprises sont souvent pour les PME des donneurs d’ordre très exigeants, et que les premières viennent souvent puiser dans les compétences des secondes ! Rappelons que ce sont majoritairement des PME qui emploient et forment des jeunes en contrat d’apprentissage, en alternance, en contrat de professionnalisation…

L’abandon complet de la solidarité inter-entreprises est donc tout à fait inacceptable : l’accord prévoit en effet non plus une obligation de dépense, mais une obligation de faire – en retirant aux PME les moyens de faire.

En refusant de signer un tel accord, nous sommes fidèles aux valeurs que la CGPME a toujours défendues : liberté de choix du chef d’entreprise pour le plan de formation ; égalité d’accès des entreprises aux fonds de la formation professionnelle, quelle que soit leur taille, et solidarité.

M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales. S’agissant des questions relatives à la démocratie sociale, notre jugement est plus nuancé, voire plus favorable. Il nous semble toutefois que le projet de loi comporte quelques lacunes. Je citerai les principales, en commençant par ce qui concerne la représentativité patronale.

Après de nombreux débats, notamment autour du rapport Combrexelle, nous avons donné notre accord à l’idée que, pour être représentatif et donc s’asseoir à la table des négociations, il fallait atteindre le seuil de 8 % des entreprises adhérentes, pourcentage calculé par rapport à l’ensemble des entreprises adhérentes à l’ensemble des organisations patronales, le même schéma étant valable pour les branches professionnelles et pour l’interprofession nationale. Il nous semble toutefois qu’il existe un problème rédactionnel dans le projet de loi : le deuxième paragraphe du 3° de l’article L. 2122-16, que crée dans le code du travail l’article 15 de l’avant-projet de loi, semble introduire – sans doute involontairement –, au-delà du critère de 8 % des entreprises adhérentes, une pondération par le nombre des salariés. Ce point apparaît à l’occasion de la question de l’éventuelle double adhésion. Or le seul critère qui résulte du rapport Combrexelle est celui des 8 % ; nous ne comprenons donc pas la mention des « salariés afférents », que nous souhaitons voir disparaître. La pondération par le nombre de salariés apparaît un peu plus bas, mais uniquement, et conformément au rapport Combrexelle, pour fixer les conditions du droit d’opposition par les organisations patronales.

D’autre part, en cas d’adhésions multiples à des organisations nationales interprofessionnelles, nous pensons qu’il faut une répartition équilibrée des pourcentages. Les pouvoirs publics acceptent l’idée d’un pourcentage plancher, dont on nous avait dit qu’il serait fixé par décret, mais dont le Conseil d’État pourrait estimer qu’il doit l’être par la loi. Pour nous, l’attribution minimale obligatoire doit être de 33 %, dans l’hypothèse où une branche adhérerait à deux organisations nationales interprofessionnelles différentes – ainsi, par exemple, un tiers irait au MEDEF, un tiers à la CGPME, et il y aurait une liberté d’affectation pour le dernier tiers des entreprises adhérentes. À l’extrême limite, nous pourrions accepter d’aller jusqu’à 25 % ; mais la fixation de ce seuil à 10 % – comme la rumeur en a couru – serait pour nous absolument inacceptable ! Ce point est fondamental : nous ne croyons pas au principe du renard libre dans le poulailler libre. Il nous paraît impossible de laisser les branches prendre ces décisions : cela induirait sans aucun doute de grandes inégalités.

Quant au financement des organisations syndicales et patronales, je dois également faire quelques remarques d’ordre essentiellement rédactionnel – ce qui n’est pas un point mineur.

Tout d’abord, au 2° du nouvel article L. 2135-10, nous souhaiterions la suppression des mots « le cas échéant ». Le nouveau fonds est alimenté en effet par deux flux, l’un venant des cotisations des entreprises, l’autre des organisations gérées paritairement, à l’exception des organismes relevant de la formation professionnelle : or, en toute logique, il ne saurait y avoir un flux certain et l’autre incertain.

Ensuite, le nouvel article L. 2135-13 souffre d’une incohérence de rédaction, puisque les missions du nouveau fonds sont visées au 1° de l’article, mais pas au 2°. Le Gouvernement nous dit que l’on vise au 2° les mêmes missions qu’au 1°, mais il vaudrait mieux l’écrire !

Enfin, il est précisé que les subventions liées à la formation professionnelle s’arrêteront au 1er janvier 2015 ; on nous assure que les financements des organisations syndicales et patronales s’arrêteront également dès le début de l’année 2015, même si la date n’est pas donnée. La logique voudrait que, pour les nouvelles subventions issues du grand fonds, nous disposions également d’un calendrier, afin qu’il y ait substitution.

M. Jean-Patrick Gille. Merci. Nous venons d’entendre le MEDEF, et nous voyons bien que vos analyses sur cet accord diffèrent très profondément : pour eux, la solidarité n’existait pas et elle se met en place ; pour vous, elle existait et elle disparaît. Vous craignez une chute brutale de la formation dans les PME. Il va falloir essayer d’y voir plus clair…

Comment, de votre point de vue, serait-il possible d’améliorer ce projet de loi ? Seriez-vous favorables à une modification des taux envisagés – ce qui, je ne vous le cache pas, me paraît difficile ?

Il faut relativiser : les analyses sur la mutualisation et les OPCA sont contrastées, et la mutualisation était jugée limitée par beaucoup. Mais comment pourrions-nous répondre aux inquiétudes des PME, afin que la dynamique de formation ne s’interrompe pas ? Le compte personnel de formation pourrait, au moins en partie, répondre à ces inquiétudes : vous ne l’avez guère évoqué.

M. Gérard Cherpion. En effet, votre diagnostic et celui du MEDEF divergent entièrement. Avec le compte personnel de formation, la responsabilité et la liberté de choix du salarié seront beaucoup plus grandes : j’ai tout de même le sentiment que cela est aussi favorable à l’entreprise, qui a tout intérêt à ce que ses salariés soient bien formés.

J’ai l’impression que vous êtes notamment préoccupés par la question de l’utilisation du compte personnel de formation : vous êtes semble-t-il opposés à ce qu’il puisse être utilisé pendant le temps de travail. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Quels sont pour vous les problèmes d’équilibre entre les formations des salariés et les formations de demandeurs d’emploi ? Ne pensez-vous pas que ce texte simplifie tout de même la contribution des employeurs à la formation ?

M. Christophe Cavard. Il y a un débat sur la fonction que doit remplir le fonds paritaire. Le MEDEF estimait tout à l’heure que, parmi ses missions prioritaires, figuraient les jeunes, les demandeurs d’emploi, mais aussi les PME-TPE. Quel est votre point de vue ?

Quels sont pour vous les aspects positifs de cette réforme ? Pour nous, la formation est aussi importante pour le salarié que pour l’entreprise. Quelle est la culture de la formation dans les PME ? Craignez-vous que, dans un contexte économique difficile, certaines renoncent à financer la formation de leurs salariés au-delà de leurs obligations légales ?

Il existe aussi un débat sur le rôle du secteur hors champ, notamment dans la gouvernance du fonds paritaire. Quel est votre point de vue ?

M. Michel Liebgott. Vos interventions sont très anxiogènes : à vous entendre, rien ne serait bon dans ce projet de loi ! Mais la CGPME a été encore plus sévère dans la presse. J’ai par exemple lu que l’accord du 14 décembre avait vocation à instaurer une « session de rattrapage » parce que l’éducation nationale ne ferait pas son travail de formation, que le seul objectif de l’accord et de la loi serait de financer les organisations patronales et syndicales, ou encore que tout cela n’était pas dans l’intérêt des salariés. Peut-être suis-je un peu caricatural, mais c’est ce que vous nous dites aujourd’hui : vous ne voulez pas de cette loi, dont vous seriez les grands perdants – alors que le MEDEF y est très favorable. Je reconnais que son enthousiasme nous interroge. Moi qui suis originaire d’une région très industrialisée, la Lorraine, je sais que les grandes entreprises écrasent souvent les petites. Je peux donc comprendre l’anxiété exprimée par les PME et PMI. Trouvez-vous néanmoins quelque chose de positif dans le dispositif qui a été négocié ? Quelles seraient les mesures à prendre pour que ce texte ait un intérêt pour les PME-PMI, qui sont les entreprises qui créent le plus d’emplois aujourd’hui ?

Mme Isabelle Le Callennec. J’attendais avec intérêt cette audition pour comprendre les raisons pour lesquelles la CGPME n’a pas signé l’accord du 14 décembre. Ce sont en effet les PME qui embauchent et créent des emplois aujourd’hui ; nous avons donc le devoir de vous écouter.

Qu’il s’agisse de la formation professionnelle ou du financement du paritarisme, le système est extrêmement complexe. Nous gagnerions donc à ce que ce texte permette de sortir de l’opacité.

S’agissant du compte personnel de formation, j’ai bien entendu votre message – qui est partagé par les entreprises – sur la liberté de former. Les chefs d’entreprise connaissent en effet leurs besoins. Le texte prévoit l’établissement de listes des formations éligibles auxquelles pourront prétendre les demandeurs d’emploi et les salariés. La CGPME entend-elle participer à l’élaboration de ces listes dans les territoires, même si elle n’a pas signé l’accord ? L’enjeu est tout de même majeur : il importe que les entreprises soient au cœur du dispositif, y compris dans le domaine de l’apprentissage et de la formation en alternance.

S’agissant de la mutualisation, votre position est exactement inverse de celle du MEDEF. Vous estimez que le dispositif actuel est préférable à celui qui est proposé. Par ailleurs, vous avez parlé de déport des financements de la formation vers l’extérieur. Je comprends que pour vous, les demandeurs d’emploi ou les salariés utiliseront les 150 heures du compte personnel de formation à l’extérieur. Or j’ai cru comprendre que ce temps pouvait aussi être utilisé dans le cadre du temps de travail.

Nous avons évoqué à plusieurs reprises dans notre commission la structuration des branches. Partagez-vous le souci de simplification du MEDEF à cet égard ?

Enfin, vous ne nous avez pas parlé du renforcement de l’inspection du travail, qui est un point important du texte, évoqué par de nombreuses entreprises.

M. Denys Robiliard. Permettez-moi d’abord de répondre à M. Tissié sur l’article L. 2122-16 : si nous ne modifions pas cet article, nous ne pourrons pas appliquer l’article L. 2261-19 et les deux alinéas qui lui sont ajoutés. Il faut bien définir où vont les salariés si l’on veut définir la représentation lorsqu’il s’agit de s’opposer.

M. Georges Tissié. Je ne suis pas d’accord avec vous : l’article L. 2122-17 se suffit à lui-même, puisqu’il énonce un principe général.

M. Denys Robiliard. Je m’attacherai principalement aux titres II et III du texte, qui portent respectivement sur la démocratie sociale et l’inspection et le contrôle. Comme Mme Le Callennec, je constate que le renforcement de l’inspection du travail suscite des craintes. Je pense notamment au nouveau pouvoir de sanction administrative et à la possibilité de transaction pénale. Quel est votre point de vue sur le sujet ?

De même, que pensez-vous de la réforme des conseils de prud’hommes, et de l’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance sur les nouvelles modalités de désignation des juges prud’homaux ? Indépendamment du procédé, c’est acter le fait qu’il n’y aura plus d’élections prud’homales.

En ce qui concerne la représentativité, le texte est assez proche de la position commune arrêtée par la CGPME, le MEDEF et l’UPA le 19 juin. Néanmoins, il est un peu dommage, alors même que nous nous penchons sur la représentativité patronale, de ne pas travailler sur les hors champ – qui sont restés hors texte. Quelle est votre position sur ce point ? Il devient de plus en plus gênant de voir des entreprises qui représentent 25 % de l’emploi privé rester à la porte des négociations interprofessionnelles.

M. Jean-Michel Pottier. Pardonnez-moi, mais il y a une supercherie. Lorsque nous parlons de la mutualisation, nous additionnons en réalité des choses qui ne sont pas de même nature. Lorsque nous parlons des fonds mutualisés, nous parlons des fonds qui sont mutualisés en vue de financer les actions de formation du plan de formation dans les PME – c’est-à-dire les entreprises de 10 à 299 salariés. Pour les entreprises de moins de 10 salariés, l’accord prévoit en effet un dispositif aux termes duquel le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) va consacrer une partie de ses fonds à financer la formation professionnelle au titre du plan pour les TPE. C’est même ce qui a emporté l’adhésion de l’UPA. Nous n’avons donc pas d’inquiétude en ce qui concerne les TPE. Ce dispositif répond d’ailleurs à une demande de la CGPME, qui était que les TPE puissent être traitées comme les grandes entreprises. Le remplacement du salarié était à notre sens un faux problème : ce qu’il faut surtout, c’est que l’entreprise qui envoie un salarié en formation puisse être financée à la fois sur les frais pédagogiques et sur le salaire – afin de pouvoir payer le remplaçant. Il y a des salariés absents dans toutes les entreprises, qu’ils soient malades ou en vacances, et celles-ci savent s’organiser pour y faire face. En revanche, elles ne payent pas deux fois, sauf dans les PME qui sont soumises à une double peine. Ce problème est désormais réglé pour les TPE, mais pas pour les PME.

M. Jean-Patrick Gille. S’agit-il de ces 170 ou 175 millions ? C’est donc le FPSPP qui viendrait prendre en charge la formation professionnelle au titre du plan dans les TPE ?

M. Georges Tissié. Oui : 20 % de ses ressources seraient affectées à la mutualisation du plan.

M. Jean-Michel Pottier. Espérons que ce sera le cas… Mais vous allez me dire que mes propos sont anxiogènes !

Dans l’esprit du MEDEF, la mutualisation concerne les dispositifs qui sont en dehors du champ de décision du chef d’entreprise dans le cadre du plan de formation – je reparlerai tout à l’heure du compte personnel de formation.

Il y a une autre supercherie dans l’accord : ce sont les articles 36 et 38. La supercherie est d’ailleurs si flagrante que le Gouvernement n’a pas retranscrit l’intégralité du texte de l’accord dans le projet de loi.

L’article 36 détaille l’affectation des versements des entreprises par les organismes collecteurs paritaires agréés (OPCA). Avec quatre régimes et 16 taux, on ne peut guère parler de simplification, sachant que pour le même objet – qu’il s’agisse du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), du droit individuel à la formation ou de la professionnalisation –, les taux varient suivant la taille des entreprises. On nous a expliqué que ce n’était pas grave, puisque ce sont les OPCA qui s’en chargeront. C’est oublier que la réforme consiste justement – c’est en tout cas l’objectif du MEDEF – à anéantir les OPCA pour s’en remettre à la « main invisible » du marché. Pour notre part, nous pensons que ce n’est pas la bonne solution, et que la raison du plus fort n’est pas toujours la meilleure. C’est tout le sens de mon engagement syndical. Il serait tout de même un peu fort que ce soit le gouvernement actuel qui supprime la solidarité interentreprises et la mutualisation. En tout cas, nous ne le comprendrions pas.

Le dernier alinéa de l’article 36 n’a pas été repris dans le texte du Gouvernement. Nous avions « arraché » dans la négociation cet alinéa qui prévoit que les fonds versés au titre du compte personnel de formation par les entreprises de 10 salariés et plus, et non engagés au 31 octobre de chaque année, peuvent être affectés aux autres actions prises en charge par les OPCA telles que définies à l’article 37. En effet, le compte personnel de formation ne va pas « monter » à 100 % d’utilisation dès le premier jour. Nous souhaitons donc que ces sommes puissent être réorientées vers la mutualisation au titre du plan de formation. La mutualisation dont parle le MEDEF – le 0,8 % – concerne des objets autres que le plan de formation : on développe la mutualisation pour d’autres objets, mais on réduit à peau de chagrin la mutualisation du plan de formation. Vous le voyez, nous parlons de deux choses différentes. Il ne s’agit pas de dire qu’il ne fallait pas prévoir cette mutualisation développée sur ce qui ne concerne pas le plan de formation, mais que ce n’est pas une raison pour supprimer ce qui est mutualisé pour le plan de formation. En l’état, l’accord fait le jeu des grandes entreprises.

Avec l’article 38, la supercherie est double. Cet article donne en effet le mode d’emploi pour que les grandes entreprises puissent s’exonérer du 0,2 % – ce qu’elles peuvent faire dès lors qu’il existe un accord de branche ou d’entreprise. Par précaution, le Gouvernement n’a retenu que l’accord d’entreprise dans le texte – il n’a donc pas retranscrit intégralement le texte de l’accord.

Pour négocier un accord d’entreprise, il faut avoir des délégués syndicaux – ce qui exclut les PME et fait le jeu des grandes entreprises. Les entreprises de plus de 300 salariés ont de toute façon une obligation légale de passer un accord ; cela ne change donc rien à la donne pour elles.

Bref, les grandes entreprises vont pouvoir s’exonérer du 0,2 % et le passer dans les dépenses directes au titre du compte personnel de formation. Elles ont une masse de salariés qui leur permet de faire des formations courtes ou longues ; et lorsqu’elles auront dépensé l’équivalent du 0,2 % qu’elles dépensaient autrefois au titre du plan de formation, elles pourront néanmoins recourir, auprès de leur OPCA, aux 0,2 % qui ont été payés par les petites entreprises. Donc non seulement les petites entreprises se retrouvent dans l’obligation de faire sans en avoir les moyens, mais elles vont payer pour les grandes. C’est ce qui se passera en l’état actuel du texte, le ver étant dans le fruit.

Pour améliorer le texte, il faudrait que les fonds non dépensés dans le 0,2 % du compte personnel de formation puissent servir à financer le plan de formation, comme cela est prévu dans l’accord. Nous souhaitons également la suppression pure et simple de l’article 38 scélérat de l’accord – qui n’a été repris qu’à moitié par le texte.

Au final, les grandes entreprises ont gagné, puisqu’elles vont payer 0,8 %. C’est bien ce que souhaitait le MEDEF à l’origine.

M. Jean-Patrick Gille. Vous souhaitez donc qu’il n’y ait pas de possibilité d’exonération du 0,2 % du compte personnel de formation. C’est aussi la position de la CGT.

M. Georges Tissié. Mais il y a une deuxième partie dans notre proposition : la réaffectation des sommes non dépensées au titre du compte personnel de formation au profit du plan de formation dans les entreprises de 10 à 299 salariés.

M. Jean-Patrick Gille. Vous considérez que cela fait système : on mutualise complètement le 0,2 % du compte personnel de formation…

M. Georges Tissié.… et si tout n’est pas dépensé au 31 octobre, les sommes non engagées sont réaffectées au plan de formation dans les PME – c’est-à-dire là où le bât blesse.

M. Jean-Michel Pottier. Vous nous avez interrogés sur le compte personnel de formation. Nous allons bien sûr participer à la gouvernance. Mais le compte personnel de formation ne sert qu’à financer des actions certifiantes en tout ou partie. Or toutes les formations mises en œuvre dans le développement des entreprises ne sont pas certifiantes. Dans une PME, le passage à une nouvelle technologie est souvent l’occasion de former le personnel pour lui permettre de la mettre en œuvre. Mais lorsque la technologie est nouvelle, il n’y a pas de certification existante. J’emploie moi-même 17 salariés ; lorsque mon entreprise est passée à l’impression numérique sur textile, ma branche professionnelle ne m’a été d’aucun secours – elle ne s’occupe que de la fermeture des entreprises. Il n’existait pas de formation qui puisse entrer dans le cadre du compte personnel de formation.

C’est moi qui ai proposé le premier le principe de convergence. Il s’agit de faire converger le besoin en formation exprimé par l’entreprise avec celui exprimé par le salarié, dans un principe de convergence qui mobilise le compte personnel de formation. Mais en l’état actuel du projet de loi, il y a double punition : la PME paye le 0,2 % à l’OPCA, mais le recours au compte personnel de formation ne financera pas 100 % de la formation au moment où elle voudra y recourir : elle devra donc abonder, autrement dit payer une deuxième fois. Il y a d’un côté les grandes entreprises qui peuvent dépenser le 0,2 % dans le cadre de leurs dépenses habituelles, et de l’autre les petites qui, elles, ne peuvent s’exonérer du 0,2 % et devront en outre payer un complément sur leurs deniers lorsqu’elles voudront former leurs salariés, alors qu’elles ont déjà payé. Le système est profondément inégalitaire ; la dérive inscrite dans l’accord est patente. On fait semblant de considérer qu’il y a là une grande victoire, une baisse des charges, alors qu’en réalité, il s’agit d’arrêter de dépenser pour la formation professionnelle ! J’avoue avoir du mal à comprendre.

Pour notre part, nous allons réagir. Nous vous laisserons d’ailleurs un document dans lequel nous faisons un certain nombre de propositions – dans le cadre actuel. Nous n’allons pas demander de revenir à 1,2 % ou 1,4 % : ce serait irréaliste. En revanche, nous demandons qu’il y ait une meilleure utilisation des fonds dans le cadre du 1 %, afin que l’on trouve un rythme de croisière qui ne « casse » pas la formation professionnelle des salariés.

Nous sommes aujourd’hui dans une dynamique qui permet à la PME de devenir vertueuse. Or nous allons la perdre. Vous savez que nous gérons directement, avec les partenaires sociaux, le plus important des OPCA. La raison de mon engagement personnel, c’est que nous sommes dans un système vertueux, avec un accompagnement sur le terrain, des conseillers qui vont voir les entreprises, essayent de trouver des solutions aux problèmes, et peuvent aussi proposer un financement qui mobilise divers acteurs – conseil régional, État, voire Union européenne. Ce travail d’ingénierie financière va permettre d’inoculer la formation professionnelle dans une PME ou une TPE. Si on réussit à créer une appétence, c’est gagné : l’entreprise a pris goût à la formation professionnelle. On a tendance à se représenter les salariés des TPE et des PME comme très demandeurs de formations. Mais en tant que chef d’entreprise, ma première difficulté est précisément le plus souvent de convaincre mes salariés de l’intérêt d’aller se former ! Bref, cette vision de longues files d’attente devant les organismes de formation est sans rapport avec la réalité d’une PME.

Nous ne voulons donc pas perdre ce dynamisme et cette possibilité de développer l’appétence pour la formation professionnelle dans les entreprises. Nous avons aujourd’hui une obligation de dépense qui a le mérite d’être mutualisée, les fonds versés à l’OPCA par les entreprises étant ensuite répartis. Certes, il y a des OPCA qui ne jouent pas le jeu ; mais d’autres parviennent à engager les entreprises dans ce principe vertueux. Si l’on « casse » ce dispositif et qu’on supprime l’obligation de dépense, la formation professionnelle risque de faire les frais des difficultés conjoncturelles des entreprises.

M. Georges Tissié. Permettez-moi de vous donner quelques ordres de grandeur pour illustrer le propos de M. Pottier. Avec le système actuel, un peu plus de 2 milliards d’euros – sur les 6 ou 7 milliards que gèrent les OPCA – sont mutualisés dans ces OPCA au titre du plan de formation. Si l’on appliquait stricto sensu les dispositions de l’ANI du 14 décembre, les sommes mutualisées au titre du plan de formation pour les entreprises de 1 à 299 salariés seraient de l’ordre de 700 millions d’euros, soit une division par trois : 300 millions d’euros issus des contributions des entreprises de moins de 10 salariés, 200 millions issus des contributions des entreprises de 10 à 49 salariés et un peu plus de 200 millions issus des contributions des entreprises de 50 à 299 salariés. Surtout, dans le cadre du 1 %, les entreprises de 50 à 299 salariés ne verseraient que 0,10 %. Ce n’est pas défendable.

Les taux correspondant aux parts de la contribution de 1 % figureront-ils dans le décret, comme le prévoit le projet de loi ? En tout état de cause, nous souhaitons qu’un rééquilibrage soit opéré dans le cadre de la contribution de 1 % et que la part allouée au plan de formation pour les entreprises de 50 à 299 salariés soit relevée à l’intérieur de ce 1 %.

M. Jean-Michel Pottier. Je terminerai sur une note optimiste. Nous sommes en train de regarder comment recréer des mécanismes facultatifs pour les entreprises que nous avons réussi à entraîner dans des dispositifs de formation professionnelle des salariés. Nous souhaitons leur proposer un système de versements volontaires, sur la base d’un fonds d’assurance formation – qui était le dispositif d’origine – qui permette aux entreprises entrées dans une démarche de formation permanente avec leurs salariés de lisser la charge sur plusieurs années – sans doute trois ans.

Le projet de loi prévoit la possibilité de versements volontaires. Mais pour pouvoir mettre en œuvre ce système, et donc faciliter la possibilité d’un système optionnel, ces dispositions doivent être précisées. Il doit être dit que ces versements volontaires peuvent être collectés à travers toutes les entreprises, et non pas dans un champ défini. Par ailleurs, nous souhaitons pouvoir le faire dans le cadre d’un accord national interprofessionnel PME qui permettrait de créer un système optionnel facultatif volontaire dans un cadre collectif. Or si le projet de loi ne l’interdit pas, les versements obligatoires et volontaires figurent dans la même phrase, ce qui est susceptible d’introduire une confusion. Nous souhaiterions une amélioration sur ce point, afin de trouver des solutions pour pouvoir face à l’enjeu que constitue la formation professionnelle dans le cadre du plan de formation des entreprises, notamment les PME.

M. Georges Tissié. C’est le III de l’article 5.

M. Jean-Michel Pottier. Quant à la réforme de l’Inspection du travail, il est vrai que nous voyons arriver le carnet à souches (sourires). Les entreprises redoutent évidemment que les inspecteurs du travail ne se transforment en « pervenches ». Néanmoins, il faut tempérer leurs craintes : le texte prévoit que cela remonte à la direction régionale avant l’établissement définitif du procès-verbal. Autre bonne nouvelle : le corps des inspecteurs du travail aura un chef. Cela étant, nous attendons surtout des inspecteurs du travail qu’ils fassent un travail de prévention. Or la prévention avec un képi, cela n’a jamais marché. C’est sans doute le principal danger.

M. Georges Tissié. Nos adhérents redoutent également les remarques sur le quatrième domaine, à savoir les questions d’hygiène. Une entreprise qui mobilise deux salariés pour un chantier de deux jours dans une maison individuelle ne va pas installer des toilettes en dur ou en semi-dur dans le jardin… mais il ne faudrait pas qu’elle soit verbalisée pour cette raison.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je regrette une fois encore – même si nous en connaissons les raisons – l’absence de l’UPA, qui représente de toutes petites entreprises et qui a signé l’accord.

M. Jean-Michel Pottier. Je suis moi-même artisan, madame la présidente.

M. Georges Tissié. Et nous avons beaucoup d’adhérents qui le sont dans nos sections territoriales.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je vous remercie d’avoir bien voulu répondre à nos questions.

La séance est levée à dix-neuf heures dix.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 15 janvier 2014 à 17 heures 45

Présents. – Mme Fanélie Carrey-Conte, M. Christophe Cavard, M. Gérard Cherpion, M. Jean-Louis Costes, M. Rémi Delatte, M. Jean-Patrick Gille, Mme Monique Iborra, M. Michel Issindou, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Annie Le Houerou, Mme Catherine Lemorton, M. Céleste Lett, M. Michel Liebgott, M. Gilles Lurton, Mme Ségolène Neuville, M. Denys Robiliard, M. Gérard Sebaoun, M. Christophe Sirugue

Excusés. – Mme Kheira Bouziane, M. Fernand Siré, M. Jonas Tahuaitu

Assistaient également à la réunion. – M. Patrick Hetzel, M. Régis Juanico