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N° 2247

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 octobre 2014

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

sur le projet d’accord économique et commercial

entre l’Union européenne et le Canada

ET PRÉSENTÉ

PAR Mme Danielle AUROI,

Députée

——

(La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Danielle AUROI, présidente ; Mmes Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Pierre LEQUILLER, vice-présidents ; MM. Christophe CARESCHE, Philip CORDERY, Mme Estelle GRELIER, M. André SCHNEIDER, secrétaires ; MM. Ibrahim ABOUBACAR, Jean-Luc BLEUNVEN, Alain BOCQUET, Jean-Jacques BRIDEY, Mmes Isabelle BRUNEAU, Nathalie CHABANNE, MM. Philip CORDERY, Jacques CRESTA, Mme Seybah DAGOMA, MM. Yves DANIEL, Bernard DEFLESSELLES, Mme Sandrine DOUCET, M. William DUMAS, Mme Marie-Louise FORT, MM. Yves FROMION, Hervé GAYMARD, Jean-Patrick GILLE, Mme Chantal GUITTET, MM. Razzy HAMMADI, Michel HERBILLON, Laurent KALINOWSKI, Marc LAFFINEUR, Charles de LA VERPILLIÈRE, Christophe LÉONARD, Jean LEONETTI, Arnaud LEROY, Mme Audrey LINKENHELD, MM. Lionnel LUCA, Philippe Armand MARTIN, Jean-Claude MIGNON, Jacques MYARD, Rémi PAUVROS, Michel PIRON, Joaquim PUEYO, Didier QUENTIN, Arnaud RICHARD, Mme Sophie ROHFRITSCH, MM. Jean-Louis ROUMEGAS, Rudy SALLES, Gilles SAVARY)

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I. DES NEGOCIATIONS LABORIEUSES LANCÉES EN 2009, POUR LA PREMIERE FOIS AVEC UN PAYS DU G7 6

II. LA PROCEDURE DE RATIFICATION D’UN ACCORD QUI DOIT IMPÉRATIVEMENT ÊTRE MIXTE 7

III. UN ACCORD QUI SUSCITE DE FORTES RESERVES 7

1. Le volet agricole 7

2. L’harmonisation des normes et la coopération réglementaire 8

3. Le chapitre « Commerce et développement durable ». 8

4. La clause de règlement des différends entre les investisseurs et les États 9

5. Les organismes génétiquement modifiés 10

TRAVAUX DE LA COMMISSION 11

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE 15

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Alors que les négociations multilatérales dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) n’ont pas trouvé un nouveau souffle depuis la Conférence ministérielle de Bali en décembre 2013, l’Union européenne continue les négociations d’accords de commerce bilatéraux, conformément à la stratégie définie dans sa communication du 9 novembre 2010 sur la politique commerciale (1).

Si les négociations du projet d’accord entre l’ Union européenne et les États-Unis ont focalisé depuis leur lancement une large partie de l’attention, d’autres négociations sont en cours, avec le Mercosur, le Japon, l’Inde. Un accord relatif aux investissements se discute avec la Chine, préfigurant à terme un accord de libre-échange global.

S’agissant du projet d’accord avec le Canada, les négociations commencées en 2009 se sont officiellement achevées en juillet 2014, le sommet bilatéral qui s’est tenu à Ottawa le 26 septembre dernier annonçant la conclusion des négociations.

Ce projet d’accord soulève de nombreuses questions : inclusion d’une clause de règlement des différends investisseurs-États, coopération réglementaire notamment en matière d’organismes génétiquement modifiés. Ces questions sont d’autant plus sensibles que cet accord pourrait préfigurer les termes d’un éventuel accord avec les États-Unis et aller à l’encontre des lignes rouges fixées par la commission des affaires européennes (2).

Dès le début des négociations, des interrogations se sont posées sur le bien-fondé d’un accord entre deux marchés d’échelle inégale. En effet, quel intérêt stratégique avait l’Union européenne forte de 500 millions de consommateurs de conclure un accord avec un pays de moins de 50 millions d’habitants, d’autant que les flux économiques entre les deux parties étaient loin d’être prioritaires. Ces négociations n’étaient-elles pas un ballon d’essai pour le futur accord transatlantique ou une porte d’entrée pour les États-Unis dans la mesure où Canada et États-Unis sont insérés dans un réseau d’échanges commerciaux au sein de l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain) ?

I. DES NEGOCIATIONS LABORIEUSES LANCÉES EN 2009, POUR LA PREMIERE FOIS AVEC UN PAYS DU G7 

En 2008, le lancement des négociations sur le CETA (accord économique et commercial) – premier accord commercial avec un des membres du G7 – avait suscité moins de controverses que le partenariat transatlantique. Toutefois, les difficultés, notamment sur les marchés publics, le secteur agricole, les services publics, la protection des investissements, l’implication des provinces, les OGM, le gaz de schiste, avaient été mises en lumière (3). Les sociétés civiles canadienne et européenne s’étaient fortement mobilisées, craignant pour les services publics ou les conséquences environnementales et sociales. Ces négociations s’ouvraient sur fond de contentieux à l’OMC sur les organismes génétiquement modifiés ou sur le bœuf aux hormones. En 2011, en pleines négociations, une action de l’Union européenne avait été envisagée à l’OMC contre les importations de carburants issus de sables bitumineux en provenance du Canada.

De fait, alors que la conclusion des négociations était prévue fin 2011, les travaux de finalisation du CETA se sont achevés seulement cet été avec la résolution des questions sensibles relatives aux produits agricoles, en particulier celle de la gestion des quotas d’importations de la viande bovine et des fromages. Les questions agricoles ont été un des points durs de la négociation. L’Union européenne ouvrira un quota annuel à droit nul pour 500 000 tonnes de viande sans hormone tandis que le Canada ouvrira plus largement son marché aux produits laitiers, notamment les fromages aux produits européens.

Le CETA devrait supprimer plus de 99 % des droits de douane et faciliter l’accès au marché pour les services (services financiers, télécommunications, transports et énergie). En matière de marchés publics, le Canada a pris l’engagement d’ouverture au niveau fédéral et au niveau des entités fédérées. Au chapitre des droits de propriété intellectuelle, l’accord devrait protéger davantage le secteur pharmaceutique européen et les indications géographiques européennes. L’Europe a ainsi obtenu une protection accrue des indications géographiques de certains produits agricoles : le « bleu d’Auvergne » en fait partie. Ne surestimons cependant pas l’ampleur de ce qui est présenté par la Commission européenne comme une avancée considérable pour la protection des indications géographiques européennes. Par exemple, si l’appellation « Brie de Meaux » est protégée, celle de « Brie » ne le sera pas.

Comme attendu, la Commission européenne présente le texte de l’accord comme un « bon accord », mettant en avant le même type d’arguments que ceux présentés dans le cadre du projet d’accord transatlantique. Il est espéré que le CETA dope de 23 % les échanges commerciaux soit près de 26 milliards d’euros, ce qui se traduirait par un gain de 12 milliards par an pour l’Europe.

II. LA PROCEDURE DE RATIFICATION D’UN ACCORD QUI DOIT IMPÉRATIVEMENT ÊTRE MIXTE

En scellant officiellement la fin des travaux, le sommet d’Ottawa du 26 septembre dernier a ouvert la voie au processus d’approbation par le Conseil et le Parlement européen.

Depuis le traité de Lisbonne, le Parlement européen, en application de l’ article 218 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, doit donner son approbation aux traités commerciaux. Par ailleurs, si ces accords comportent des dispositions non strictement commerciales portant sur des domaines de compétences partagées (culture, droits de l’homme, énergie, transports…), ils peuvent être qualifiés d’ « accords mixtes » : cette mixité implique la ratification des parlements nationaux. La question de la mixité de l’accord CETA s’est posé dès le début des négociations en 2009, la Commission européenne mettant en doute ce caractère mixte de l’accord contrairement à l’avis des gouvernements. Le négociateur en chef européen sur l’accord a indiqué, le 3 septembre dernier devant la commission du commerce international du Parlement européen, que selon la Commission, l’accord ne serait pas mixte mais que le sujet fera l’objet de discussions avec le Conseil qui n’est pas du même avis. Lors du sommet d’ Ottawa, le commissaire au commerce Karel De Gucht a toutefois qualifié cet accord de mixte.

En tout état de cause, la décision sera politique et appartiendra au Conseil des ministres. Il serait inacceptable que les Parlements nationaux ne puissent se prononcer sur un accord de cette importance d’autant qu’il comporte des dispositions sur lesquelles de fortes réserves doivent être faites.

III. UN ACCORD QUI SUSCITE DE FORTES RESERVES

Le texte du projet d’accord a été rendu public juste après le sommet d’ Ottawa – pour le moment seulement en version anglaise. En tout état de cause, vu l’ampleur de ce document – 1 500 pages avec les annexes – il est bien trop tard pour mener un travail d’information et de mise en débat public. Cela pose la question récurrente de la transparence vis-à-vis de la société civile et des citoyens qui seront directement impactés par cet accord. La revendication des parlementaires français de suivre de près les négociations sur le partenariat transatlantique se trouve ainsi légitimée.

1. Le volet agricole

L’Union européenne ouvrira un quota annuel à droit nul pour 50 000 tonnes de viande sans hormones. Il faut garder à l’esprit que ces quotas viendront directement concurrencer la viande produite en Europe et qu’ils s’ajouteront potentiellement ceux que l’Europe accordera aux États-Unis ou aux pays du Mercosur, avec le risque de déstabilisation des filières d’élevage européennes déjà fragilisées.

2. L’harmonisation des normes et la coopération réglementaire

Le projet d’accord n’organise pas de mécanismes d’harmonisation ou de reconnaissance des normes mais prévoit des dispositions afin de faciliter la convergence des réglementations actuelles et futures, y compris celles touchant à la protection des consommateurs, des salariés ou de l’environnement. C’est ce que l’on a appelé le « caractère vivant » de l’accord car les dispositions dites de « coopération réglementaire » permettront une co-écriture des réglementations bien après la ratification de l’accord. Le texte se caractérise par l’absence de précisions quant aux modalités de composition, de saisine, de décision et de contrôle du « forum de coopération réglementaire ».

3. Le chapitre « Commerce et développement durable ».

Dans les négociations des accords de libre-échange, la Commission européenne prévoit d’insérer systématiquement des chapitres relatifs au développement durable. C’est le cas du projet d’accord avec le Canada dont le chapitre « Commerce et développement durable » dans l’ensemble assez précis. Toutefois, au moment où est discuté le projet de loi sur la transition énergétique, il est permis de s’interroger sur la portée de la disposition qui permettrait aux États d’imposer certaines obligations aux entreprises installées sur son territoire à condition qu’elles ne soient pas « inutilement compliquées et prohibitives ». Le caractère vague de cette formulation ouvre la porte à certaines interprétations. Dans quelle mesure une interdiction de la fracturation hydraulique ne pourrait-elle pas être considérée comme inutilement « compliquée et prohibitive » ?

Ce chapitre prévoit également que les restrictions au commerce et à l’investissement du fait de réglementations environnementales ne seront admises que si « elles tiennent compte des informations scientifiques et techniques pertinentes ». N’est-ce pas là limiter la portée du principe de précaution inscrit dans les traités européens et qui a en France valeur constitutionnelle, d’autant que le texte prévoit qu’aucune des parties, face à des menaces sérieuses pour l’environnement, ne pourra invoquer le manque de certitude scientifique pour différer des mesures lorsqu’elles seront « rentables » ? Que se passera-t-il quand une collectivité publique décidera d’une mesure dont la rentabilité ne peut être estimée, par exemple, un moratoire ou la protection d’une zone fragile ?

S’agissant des marchés publics, le principe de non-discrimination entre opérateurs interdit toute possibilité de faire prévaloir les circuits courts ou d’introduire des critères de durabilité. Engager la transition écologique et sociale suppose de laisser aux collectivités publiques des possibilités juridiques d’agir faute de quoi elles seront susceptibles d’être attaquées par un entrepreneur estimant ses droits lésés. C’est là que l’on retrouve le point d’achoppement principal de ce texte, l’inclusion d’un mécanisme d’arbitrage des différends sur les investissements.

4. La clause de règlement des différends entre les investisseurs et les États

Les chapitres 10 et 33 du projet d’accord traitent de la protection des investissements et prévoient la mise en place d’un mécanisme de règlement des différends investisseur-État.

Or l’inclusion d’un tel mécanisme dans le projet de partenariat transatlantique constitue l’une des lignes rouges tracée par notre commission des affaires européennes. Une telle clause a soulevé de telles réserves, notamment au Parlement européen et dans la société civile, que la Commission européenne a suspendu les négociations sur ce point et a organisé une consultation publique. Toute décision sur l’inclusion d’une telle clause avec les États-Unis est suspendue. Quelle est alors la légitimité de prévoir de telles dispositions dans l’ accord avec le Canada, préjugeant de la suite qui serait donnée à la consultation dont les résultats ne seront connus que fin octobre ? Et si l’Union européenne accepte ce précédent, comment pourra-t-elle défendre autre chose au cours des négociations transatlantiques ?

Que prévoit la clause de règlement des différends avec le Canada ? Deux points suscitent des interrogations particulières :

– cette clause permettra aux entreprises – canadiennes ou américaines ayant une filiale au Canada – de contester des lois ou décisions publiques qui affecteraient leurs profits et qui estimeraient donc être victimes d’une « expropriation indirecte ». De telles clauses dans d’autres accords ont ouvert la voie à la contestation d’une augmentation du salaire minimum en Égypte, de la sortie du nucléaire en Allemagne ou du message sanitaire sur les paquets de cigarettes en Australie. La notion d’expropriation indirecte est définie par un faisceau d’indices parmi lesquels le fait que les mesures ont un « effet sur la valeur économique de l’investissement » ou qu’elles aient un impact sur les « retours sur la valeur économique de l’investissement ». Ce flou dans la définition de l’expropriation indirecte constitue une épée de Damoclès pour la puissance publique et peut porter atteinte à la possibilité des États à réguler ;

– l’organe de règlement des différends sera composé par trois arbitres internationaux choisis par les parties. Ces arbitres appliqueront les règles de l’accord, ce qui veut dire qu’aucun autre texte, de quelque nature que ce soit, ne sera pris en considération.

Ce type de mécanisme qui se caractérise par le flou des motifs pour lesquels les États peuvent être mis en cause, l’opacité des procédures, le coût des litiges, le risque de conflits d’intérêts ne se justifie pas dans un accord entre des États de droit.

L’argument de la Commission européenne selon lequel, si on revient sur le mécanisme de règlement des différends investisseur-État, ce serait l’ensemble de la négociation qu’il faudrait revoir, ne tient pas. Le Gouvernement français a posé sur ces chapitres une réserve d’examen et pour le moment n’a pas exprimé clairement de position contre alors qu’il l’a fait dans le cadre du partenariat transatlantique. Le Gouvernement allemand est quant à lui très divisé. Le ministre de l’économie Sigmar Gabriel qui est SPD s’est déclaré contre ce mécanisme dans l’accord avec le Canada tandis que la CDU craint de remettre en cause l’ensemble de la négociation.

5. Les organismes génétiquement modifiés

Sur une autre ligne rouge tracée dans le cadre du partenariat transatlantique - les OGM - ce projet d’accord suscite plus que des réserves. En effet, le Canada a été le premier pays à cultiver des OGM à grande échelle et la presque totalité de son colza est génétiquement modifié. L’accès aux marchés pour ce colza est pour ce pays d’une grande importance. D’ailleurs, un différend a longtemps envenimé les relations entre le Canada et l’Europe à l’OMC sur cette question. Les règles européennes et canadiennes sont très différentes que ce soit en matière d’étiquetage ou de contamination. Les exportations en provenance des États-Unis ou du Canada sont refoulées des ports européens si elles sont contaminées : les autorités canadiennes ou américaines n’ont de cesse de demander que soit acceptée une présence d’OGM. 

Or le chapitre consacré à la « coopération bilatérale en biotechnologie » du projet d’accord ouvre la porte de l’Europe aux OGM canadiens. En effet, il y est prévu un dialogue portant – je cite – « sur toute répercussion commerciale liée à des approbations asynchrones de produits ou à la dissémination accidentelle de produits non autorisés » ou encore sur « toute mesure pouvant avoir des répercussions sur le commerce entre le Canada et l’Union européenne, y compris les mesures prises par les États membres ». Ces dispositions prennent un relief particulier quand on les rapproche de la lettre adressée en mars par le commissaire sortant à la santé Tonio Borg au ministre canadien de l’agriculture dans laquelle il était indiqué que « la Commission assurera que les propositions pour l’ autorisation de tous les OGM soient traitées aussi vite que possible ».

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 7 octobre 2014, sous la présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

L’exposé de la rapporteure a été suivi d’un débat.

M. Jacques Myard. Je m’interroge sur l’intérêt qu’a l’Union européenne
– mastodonte certes hétéroclite mais puissant au plan commercial – à négocier avec un pays comme le Canada qui représente un marché d’ à peine 50 millions de consommateurs . C’est ouvrir à ce pays un marché énorme et lui donner ainsi un avantage incommensurable. Je rappelle certaines pratiques canadiennes comme celles qui consistent à interdire à l’entreprise Alstom de postuler pour fournir des trains au Canada alors que l’entreprise canadienne Bombardier peut le faire en Europe. Alstom est obligé de constituer une entreprise conjointe au Canada.

S’agissant du caractère mixte de l’accord, il est incontestable dans la mesure où il comporte une clause de règlement des différends qui, de façon ou d’une autre se traduira par une intervention de la justice nationale au moment de donner l’exequatur en cas de différends. La notion d’expropriation indirecte est reconnue en France par une jurisprudence du Conseil d’État qui a reconnu le droit à une entreprise à être indemnisée. En la matière, la prudence est de mise car il peut être reconnu que des entreprises voient leur situation mises en péril du fait de changements de législation. Cela ne signifie pas que la loi doit être condamnée au regard du droit international mais que l’entreprise peut, dans certaines conditions, être indemnisée. Ceci étant, il est vrai que la notion d’expropriation indirecte peut être floue et que certaines formulations issues de compromis diplomatiques peuvent par la suite laisser les juristes dubitatifs.

En tout état de cause, je suis absolument d’accord pour dire qu’il est indispensable que le Parlement français examine l’accord.

La Présidente Danielle Auroi. Mme Annick Girardin avait effectivement mis l’accent sur la disparité de dimensions entre marché européen et canadien et avait indiqué que cet accord risquait d’être principalement favorable au Canada.

M. Jérôme Lambert. Je partage les préoccupations exprimées par la présidente Danielle Auroi et par Jacques Myard. De nombreuses associations m’ont alerté sur le contenu de ce projet d’accord. L’inclusion d’un mécanisme de règlement des différends est effectivement un sujet d’inquiétude, de même que les organismes génétiquement modifiés. De façon plus générale, en incluant le Canada dans un libre marché, on ouvre la porte à tous les autres accords de libre échange qui lient ce pays avec d’autres pays comme les États-Unis ou le Mexique. Je ne suis pas défavorable à mener des négociations avec les États-Unis mais à condition que cela se fasse officiellement et sans passer par la petite porte que pourrait constituer un accord avec le Canada.

La Présidente Danielle Auroi. L’accord avec le Canada serait en quelque sorte le cheval de Troie d’un accord avec les États-Unis ?

M. William Dumas. Je partage entièrement ce qui vient d’être dit. Les canadiens sont très protectionnistes, notamment en matière du commerce des vins. Ils exigent des conditions de contrôle très strictes et les analyses sont toujours insuffisantes ! S’agissant des OGM, on sait combien les canadiens ont investi sur ces cultures. En matière d’exploitation de sables bitumineux et de fracturation hydraulique, ils n’ont aucune leçon à donner aux Européens. Il faut absolument être ferme sur la question du règlement des différends dans la mesure où nous sommes en négociations avec les États-Unis. Nos systèmes juridiques sont différents et nous ne pouvons pas prendre le risque de porter atteinte à nos entreprises ou à notre capacité de défendre les circuits courts. Enfin, que représente le Canada en termes d’échanges commerciaux avec l’Europe ? Rien de significatif quand on compare avec les flux entre l’Union européenne et les États –Unis.

M. Jean-Louis Roumégas. On retrouve dans ce débat toutes les problématiques des négociations sur le partenariat transatlantique. Plusieurs des lignes rouges que nous avons tracées de façon consensuelle seraient franchies, ce qui créerait un précédent inacceptable, notamment sur le mécanisme de règlement des différends. Si l’Union européenne apparait comme non protectrice mais se pose comme un cheval de Troie de la mondialisation et de la libéralisation à outrance, les opinions publiques ne suivront pas. Mettre en avant le caractère protecteur de l’Europe est donc un enjeu majeur qui passe par la défense des droits des citoyens. Cet accord avec le Canada constitue les prémices de ce que pourrait être un mauvais accord avec les États-Unis. En tout état de cause, au moment où l’ on associe de plus en plus les Parlements nationaux au niveau européen, l’accord avec le Canada doit absolument être qualifié de mixte.

M. Jérôme Lambert. Pour illustrer la préoccupation que peut revêtir cet accord, eu égard aux relations entre les États-Unis et le Canada, je voudrais rappeler la teneur d’un entretien que nous avions eu il y a deux ans lors d’une mission, notre collègue Bernard Deflesselles et moi-même, avec le ministre canadien de l’environnement. Le Canada venait alors très symboliquement de se retirer du Protocole de Kyoto, juste avant son expiration. En ne renouvelant pas leur adhésion à cet engagement mais en se retirant juste avant son expiration, le Canada affirmait volontairement sa volonté de ne pas se lier. Le ministre canadien de l’environnement que nous avions interrogé sur l’attitude du Canada nous avait dit que les États-Unis étant leur principal fournisseur et concurrent, il leur était impossible de faire le moindre écart de politique en matière environnementale car ce serait se tirer une balle dans le pied ! Un accord avec le Canada signifie clairement que les États-Unis vont pouvoir s’engouffrer sur le marché européen par le biais de l’ensemble de ces accords de libre-échange.

M. Jacques Myard. Toute la question est de savoir ce que l’on veut faire de la « Maison Europe ». La préférence communautaire n’existe plus ! L’ Europe est une maison ouverte sur le monde qui joue la mondialisation sans écluses. Cela est d’autant plus flagrant avec les pays d’Asie qui pratiquent le dumping dans tous les domaines. Ce type d’accords a entièrement transformé la notion d’Union européenne telle que l’avaient pensée et conceptualisée les pères fondateurs. On a opéré un virage à 180 degrés : il n’y a plus d’union douanière.

La Présidente Danielle Auroi. Pour réfuter le caractère mixte de l’ accord, la Commission européenne fait valoir que la compétence relative aux investissements est, depuis le Traité de Lisbonne, une compétence exclusive et non partagée.

M Jacques Myard. Je ne suis pas certain que la compétence européenne sur les investissements soit exclusive. En tout état de cause, il faut présenter un argument politique quant à la mixité de l’accord.

La Présidente Danielle Auroi. C’est pourquoi il est capital de souligner le caractère mixte de l’accord : tel est le sens de notre proposition de résolution.

La commission a ensuite adopté la proposition de résolution dont le texte figure ci-après.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu les articles 206, 207 et 218 du Traité sur le fonctionnement de l’ Union européenne,

Vu la recommandation de la Commission au Conseil visant à autoriser la Commission à engager des négociations en vue d’un accord d’intégration économique avec le Canada du 27 avril 2009,

Vu la résolution du Parlement européen du 8 juin 2011 sur les relations commerciales entre l’Union européenne et le Canada,

Vu le texte de l’accord finalisé lors du sommet bilatéral d’Ottawa du 26 septembre 2014,

Considérant le projet d’accord économique et commercial entre l’Union européenne et le Canada qui opère une large libéralisation du commerce entre les deux parties, au-delà des accords de l’Organisation mondiale du commerce ;

Considérant le droit souverain des États et de l’Union européenne à mettre en œuvre des politiques publiques, notamment de santé publique, de protection de l’environnement, de protection sociale et de promotion de la diversité culturelle ;

Considérant le précédent que pourrait constituer un tel accord pour les négociations du projet de partenariat transatlantique en cours ;

1. Demande à la Commission européenne et au Conseil de l’Union européenne d’affirmer clairement la qualification juridique d’accord mixte de l’accord économique et commercial entre le Canada et l’Union européenne ;

2. Exige que la portée et l’invocation du principe de précaution inscrit dans l’article 191 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ne puissent pas être remises en cause par les dispositions de l’accord ;

3. S’oppose à ce que les dispositions prévues en matière de coopération bilatérale en biotechnologie puissent aller à l’encontre de la réglementation européenne relative aux organismes génétiquement modifiés, notamment en matière d’étiquetage et de prévention de la contamination ;

4. Demande que soient définies avec précision les modalités de composition, de saisine, de décision et de contrôle du processus de coopération réglementaire ;

5. S’oppose à tout mécanisme d’arbitrage des différends entre les État et les investisseurs et demande en conséquence la révision substantielle des chapitres 10 et 33 sur la protection des investissements.

1 () « Commerce, croissance et affaires mondiales- La politique commerciale au cœur de la stratégie Europe 20203 ».

2 () Proposition de résolution européenne n°1020 sur le mandat de négociation de l’accord de libre-échange entre les États- Unis et l’Union européenne.

3 () Voir notamment le rapport n° 3206 de Mme Annick Girardin : « L’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada : à quel prix ? », au nom de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, mars 2011.