Accueil > Union européenne > Rapports d'information
Version PDF
Retour vers le dossier législatif


No 2478

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 17 décembre 2014

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

sur l’examen annuel de croissance pour 2015 et l’avis de la commission européenne sur les projets de budgets nationaux pour 2015

ET PRÉSENTÉ

PAR MM. Christophe CARESCHE et Michel HERBILLON

Députés

——

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Danielle AUROI, présidente ; M. Christophe CARESCHE, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Pierre LEQUILLER, vice-présidents ; M. Philip CORDERY, Mme Estelle GRELIER, MM. Arnaud LEROY, André SCHNEIDER, secrétaires ; MM. Ibrahim ABOUBACAR, Jean-Luc BLEUNVEN, Alain BOCQUET, Jean-Jacques BRIDEY, Mmes Isabelle BRUNEAU, Nathalie CHABANNE, MM. Jacques CRESTA, Mme Seybah DAGOMA, MM. Yves DANIEL, Bernard DEFLESSELLES, Mme Sandrine DOUCET, M. William DUMAS, Mme Marie-Louise FORT, MM. Yves FROMION, Hervé GAYMARD, Jean-Patrick GILLE, Mme Chantal GUITTET, MM. Razzy HAMMADI, Michel HERBILLON, Laurent KALINOWSKI, Marc LAFFINEUR, Charles de LA VERPILLIÈRE, Christophe LÉONARD, Jean LEONETTI, Mme Audrey LINKENHELD, MM. Lionnel LUCA, Philippe Armand MARTIN, Jean-Claude MIGNON, Jacques MYARD, Rémi PAUVROS, Michel PIRON, Joaquim PUEYO, Didier QUENTIN, Arnaud RICHARD, Mme Sophie ROHFRITSCH, MM. Jean-Louis ROUMEGAS, Rudy SALLES, Gilles SAVARY.

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 7

I. FACE À UNE ZONE EURO MENACÉE PAR UN RISQUE DE DÉFLATION, LA VOLONTÉ DE LA COMMISSION EUROPÉENNE DE DONNER UN NOUVEL ÉLAN À L’ÉCONOMIE EUROPÉENNE DOIT ENCORE ÊTRE CONFIRMÉE 9

A. DEMEURANT PRÉOCCUPANTE, LA SITUATION ÉCONOMIQUE DE L’UNION APPELLE UNE RÉACTION FORTE 9

1. L’examen annuel de croissance pour 2015 9

2. Le rapport sur le mécanisme d’alerte 10

B. LA COMMISSION EUROPÉENNE ENTEND DONNER UN NOUVEL ÉLAN À LA CROISSANCE ET À L’EMPLOI EN EUROPE EN SE FONDANT SUR LE TRYPTIQUE : INVESTISSEMENT, RÉFORMES STRUCTURELLES ET « NEUTRALITÉ  » DE LA POLITIQUE BUDGÉTAIRE 11

1. Soutenir l’investissement 12

2. Affermir les réformes structurelles 15

3. Adopter une « attitude responsable  » en matière budgétaire 16

II. L’EXAMEN DES PROJETS DE BUDGET DES ÉTATS DE LA ZONE EURO POUR 2015 CONFIRME UNE PAUSE DANS LE RYTHME DE REDRESSEMENT BUDGÉTAIRE 19

A. AU SEIN DE LA ZONE EURO, SEPT PROJETS DE BUDGET PRÉSENTENT UN RISQUE DE NON-CONFORMITÉ AU PACTE DE STABILITÉ ET DE CROISSANCE 19

1. L’analyse de la Commission européenne de la situation et des perspectives budgétaires de la zone euro 20

2. L’avis de la Commission européenne sur les projets de budget nationaux pour 2015 21

B. LA FRANCE FERA L’OBJET D’UN NOUVEL EXAMEN DE LA SITUATION DE SES FINANCES PUBLIQUES EN MARS 2015 23

1. L’avis sur le projet de budget pour 2015 24

2. Le suivi de la mise en œuvre des recommandations budgétaires structurelles 25

3. Le respect des recommandations dans le cadre de la procédure pour déficit excessif 26

TRAVAUX DE LA COMMISSION 33

CONCLUSIONS 37

ANNEXES 39

ANNEXE NO 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS 41

ANNEXE NO 2 : AVIS DE LA COMMISSION EUROPÉENNE RELATIF AU PROJET DE PLAN BUDGÉTAIRE DE LA FRANCE 43

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le 28 novembre dernier, la nouvelle Commission européenne présidée par Jean-Claude Juncker a lancé le cinquième exercice dit du « semestre européen  » de coordination des politiques économiques en présentant son examen annuel de croissance pour 2015 dans lequel elle dresse un bilan de la situation économique et sociale au sein de l’Union et formule ses propositions pour les grandes orientations de politique économique pour l’année à venir.

La Commission européenne a profité de cette occasion pour détailler son programme d’investissement, qui est partie prenante du nouveau souffle qu’elle souhaite apporter à l’économie européenne, rendre public son avis sur les projets de budgets des États de la zone euro et, enfin, présenter un premier bilan des textes relatifs au suivi budgétaire et macroéconomique (paquets législatifs dits du « six-pack  » et du « two-pack  »).

Dans ce bilan, la Commission européenne émet un avis globalement positif, quoique très prudent, sur les procédures mises en place, estimant qu’elles ont permis de renforcer la gouvernance économique. Elle juge toutefois nécessaire de simplifier, rationaliser et renforcer le semestre européen, tout en le rendant plus transparent. Cette analyse devrait être complétée par la communication sur les flexibilités au sein du pacte de croissance et de stabilité que la Commission européenne devrait présenter en janvier prochain.

Compte tenu de ce calendrier et des travaux en cours sur la coordination, la convergence et la solidarité en matière de politique économique (1), vos rapporteurs reviendront plus en détail au premier semestre 2015 sur les propositions formulées par la Commission européenne quant au suivi budgétaire et économique.

Dans le présent rapport d’information, vos rapporteurs se concentreront donc sur l’examen annuel de croissance et l’analyse des projets de budgets nationaux, afin de permettre à la commission des Affaires européennes d’examiner les propositions de la Commission européenne avant que le Conseil européen ne se prononce lors de ses sommets de décembre et mars prochains.

I. FACE À UNE ZONE EURO MENACÉE PAR UN RISQUE DE DÉFLATION, LA VOLONTÉ DE LA COMMISSION EUROPÉENNE DE DONNER UN NOUVEL ÉLAN À L’ÉCONOMIE EUROPÉENNE DOIT ENCORE ÊTRE CONFIRMÉE

Les propositions de politique économique formulées par la Commission européenne sur la base de son examen annuel de croissance revêtent une importance particulière cette année puisque, au-delà de fournir un cadre pour l’établissement des programmes de stabilité et de réforme nationaux qui seront transmis au printemps à la Commission européenne et la détermination des recommandations par pays, elles ont vocation à définir les lignes directrices de la nouvelle mandature.

Conformément aux orientations définies par son président le 15 juillet 2014 (2), la Commission européenne entend donner un nouvel élan à l’emploi, à la croissance et à l’investissement. Pour autant, une lecture attentive de l’examen annuel de croissance montre que les propositions formulées demeurent très proches de celles de la précédente Commission, si bien que vos rapporteurs se demandent si, plutôt que d’un « nouvel élan  », il n’est pas davantage question d’une inflexion.

A. DEMEURANT PRÉOCCUPANTE, LA SITUATION ÉCONOMIQUE DE L’UNION APPELLE UNE RÉACTION FORTE

Lançant le semestre européen 2015, l’examen annuel de croissance, accompagné du rapport conjoint sur l’emploi et du rapport sur le mécanisme d’alerte relatif aux déséquilibres macroéconomiques, met en évidence que, si l’Union a surmonté le pic de la crise et que les déséquilibres macroéconomiques y diminuent légèrement, la reprise demeure faible et marquée par une inflation très basse, plus particulièrement au sein de la zone euro.

1. L’examen annuel de croissance pour 2015

Selon les prévisions économiques d’automne de la Commission européenne, présentées le 4 novembre 2014, la croissance devrait s’établir à 1,3 % dans l’Union (0,8 % dans la zone euro) en 2014, puis augmenter légèrement pour atteindre 1,5 % (1,1 % dans la zone euro) en 2015 et 2 % (1,7 % dans la zone euro) en 2016.

En légère baisse, le taux de chômage devrait toutefois rester élevé (10,7 % dans l’Union, 12 % dans la zone euro en 2014), avec des écarts importants, quoiqu’en réduction, selon les États (5,1 % en Allemagne et 26,8 % en Grèce en 2014).

L’inflation devrait rester faible en 2014 (0,6 %), puis reprendre légèrement (1 % en 2015 puis 1,6 % en 2016).

Enfin, les déficits publics devraient poursuivre leur diminution, pour atteindre 3 % du PIB dans l’Union (2,6 % dans la zone euro) et l’endettement public devrait culminer à 88,3 % du PIB (94,8 % dans la zone euro).

La Commission européenne souligne ainsi que la reprise économique est moins importante qu’escompté il y a un an, la dynamique ayant commencé à fléchir au printemps 2014.

Elle considère que si l’environnement économique mondial explique en partie le ralentissement actuel, des facteurs propres à l’Union freinent la reprise, comme les écarts importants entre les économies nationales, la fragmentation des marchés financiers, le niveau trop élevé de l’endettement privé et public, la persistance des déséquilibres macroéconomiques et un sentiment de défiance généralisé.

Elle conclut que les perspectives de croissance au sein de l’Union sont limitées par la faiblesse des gains de productivité et des investissements ainsi que par le niveau élevé du chômage structurel.

Vos rapporteurs se félicitent que la Commission européenne, rejoignant les analyses du FMI, de l’OCDE et de la Banque centrale européenne, reconnaisse que « aujourd’hui, le risque d’une faible croissance permanente, d’une inflation proche de zéro et d’un chômage élevé est devenu une préoccupation de premier plan  ». Ils s’inquiètent toutefois que cette analyse demeure partagée par peu d’États membres, comme le déplacement de la mission d’information à Bruxelles l’a montré.

2. Le rapport sur le mécanisme d’alerte

Le rapport sur les déséquilibres macroéconomiques dit « rapport sur le mécanisme d’alerte  » (3), montre que les États ont poursuivi leurs progrès dans la correction des déséquilibres macroéconomiques mais que leurs efforts ont été freinés par une croissance atone et une inflation très basse. En outre, le rééquilibrage opéré jusqu’à présent demeure asymétrique, la faiblesse persistante de la demande intérieure dans les pays créanciers entretenant des excédents courants substantiels.

La Commission européenne décide en conséquence de garder sous surveillance, au travers d’un examen approfondi, les quatorze États (Belgique, Bulgarie, Allemagne, Irlande, Espagne, France, Croatie, Italie, Hongrie, Pays-Bas, Slovénie, Finlande, Suède et Royaume-Uni) déjà concernés en 2013 ainsi que la Roumanie et le Portugal (sortis de leur programme d’ajustement économique).

La France est plus particulièrement visée au titre du déficit de sa balance commerciale et de la dégradation de sa compétitivité ainsi que de l’importance de son endettement privé et public, pour lesquels aucune amélioration n’est relevée par la Commission européenne.

B. LA COMMISSION EUROPÉENNE ENTEND DONNER UN NOUVEL ÉLAN À LA CROISSANCE ET À L’EMPLOI EN EUROPE EN SE FONDANT SUR LE TRYPTIQUE : INVESTISSEMENT, RÉFORMES STRUCTURELLES ET « NEUTRALITÉ  » DE LA POLITIQUE BUDGÉTAIRE

Soulignant l’urgence de « revitaliser la croissance dans toute l’UE et de susciter un nouvel élan placé sous le signe du changement  », la Commission européenne propose de définir trois grandes orientations de politique économique pour 2015 :

– accroître les investissements ;

– poursuivre les réformes structurelles ;

– mener des politiques budgétaires « responsables et propices à la croissance  ».

La première priorité affichée par la Commission européenne est donc de remettre l’Europe sur le chemin de la croissance et d’augmenter le nombre d’emplois sans créer de nouvelles dettes.

La Commission européenne présidée par Jean-Claude Juncker semble ainsi vouloir se démarquer de la précédente. En témoignent la hiérarchie des priorités retenues, qui met l’accent sur l’investissement avec une implication forte du niveau européen au travers du programme d’investissement, mais également l’insistance de la Commission à appeler les États enregistrant des excédents courants à stimuler leur demande intérieure et son soutien plus appuyé à un ralentissement du rythme de consolidation budgétaire.

Toutefois, une lecture attentive de l’examen annuel de croissance conduit à s’interroger sur la volonté réelle de « changement  » de la Commission européenne. Ainsi, on retrouve dans l’examen annuel de croissance pour 2015 les mêmes items et recommandations que ceux de la précédente Commission européenne, qui retenait cinq orientations de politique économique : assurer un assainissement budgétaire différencié selon les États et favorable à la croissance ; rétablir l’activité de prêt à l’économie ; promouvoir la croissance et la compétitivité ; lutter contre le chômage et prendre des mesures pour faire face aux retombées sociales de la crise ; moderniser l’administration publique.

Il revient donc à la Commission européenne de confirmer sa volonté de « donner un nouvel élan  » à l’Union.

1. Soutenir l’investissement

Afin de stimuler l’investissement, la Commission européenne propose d’une part de lancer au niveau européen un plan spécifique et demande d’autre part aux États qui disposent d’une marge budgétaire d’investir davantage et à l’ensemble des États membres de privilégier dans leur budget les dépenses consacrées à l’investissement et à la croissance et de créer un environnement favorable aux investissements privés.

Se fondant sur l’analyse de la Banque européenne d’investissement selon laquelle, en dépit d’une abondance de liquidités en Europe, de nombreux projets ne trouvent pas de financements en raison des risques micro et macroéconomiques, la Commission européenne a présenté, le 26 novembre 2014, un plan d’investissement pour l’Europe. Son objectif est de remédier à l’insuffisance de l’investissement, qui serait inférieur de 230 à 370 milliards d’euros à sa tendance soutenable de long terme.

PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES DU PLAN D’INVESTISSEMENT POUR L’EUROPE

Ce plan repose sur trois volets :

– la mobilisation de 315 milliards d’euros sur au moins sur 3 ans, reposant sur la création, sous l’égide du groupe de la Banque européenne d’investissement (BEI), d’un Fonds européen d’investissement stratégique (FEIS) destiné à assumer les risques liés aux investissements à long terme et à garantir aux PME un meilleur accès au financement des risques. Abondé à hauteur de 5 milliards d’euros par la BEI (sur ressources propres) et assis sur 16 milliards d’euros de garanties à partir du budget de l’Union (8 milliards adossés à 3,3 milliards du Mécanisme pour l’interconnexion en Europe, 2,7 milliards du programme Horizon 2020 et 2 milliards de marges budgétaires), ce Fonds devrait permettre à la BEI d’intervenir à hauteur de 60 milliards d’euros, ce qui devrait générer des co-investissements permettant d’atteindre le montant de 315 milliards d’euros. Un effet multiplicateur d’au moins 15 est donc attendu.

Les États membres pourraient en outre, sur une base volontaire, contribuer au Fonds, soit directement, soit par l’intermédiaire de leurs banques de développement nationales, selon des modalités qui demeurent ouvertes (apport en capital au Fonds, garanties, co-financements).

L’objectif affiché est que le Fonds puisse être créé le 1er juin 2015, à la suite de l’adoption d’un règlement selon la procédure législative accélérée. Toutefois, la BEI devrait commencer l’instruction des projets auparavant, sur la base de ses ressources propres.

– l’instruction des projets : selon les principes posés par la Commission européenne, les concours financiers seraient destinés à des secteurs prioritaires (infrastructures de transport, réseaux à haut débit et d’énergie, éducation, recherche, innovation, transition énergétique) et le FEIS devrait soutenir à hauteur des trois quarts du plan (soit 240 milliards d’euros) des projets d’investissement à long terme et pour un quart (soit 75 milliards) des PME. Pour le reste, le choix des projets devrait être indépendant de considérations politiques et de contraintes géographiques et sectorielles. Une plateforme de conseil en investissements associant la Commission européenne et la BEI devrait par ailleurs être mise en place afin d’aider les porteurs de projet dans leurs démarches.

– l’amélioration du cadre réglementaire, grâce à la levée des obstacles à l’investissement et à l’approfondissement du marché unique.

Vos rapporteurs se félicitent de cette initiative lancée par la Commission européenne, qui permet d’associer financements publics et privés, avec comme objectif de sélectionner des projets de qualité dans des secteurs stratégiques, d’encourager la prise de risque et d’accompagner les porteurs de projet dans leurs démarches.

Ils regrettent toutefois qu’il demeure encore beaucoup d’interrogations sur les modalités de mise en œuvre de ce programme d’investissement et invitent en conséquence la Commission européenne à les préciser rapidement : le succès du plan d’investissement en dépendra. Ils mettent également en garde devant certains écueils.

S’agissant ainsi du montant et du financement de ce plan, vos rapporteurs relèvent tout d’abord la faiblesse des moyens publics annoncés (21 milliards d’euros dont en réalité seuls 13 milliards correspondent à des crédits – 5 milliards mobilisés par la BEI et 8 milliards obtenus par redéploiement au sein du budget de l’Union) et l’absence de mobilisation financière nouvelle puisque les ressources publiques ainsi dégagées le sont par redéploiement (4). Il conviendrait par ailleurs de préciser le rythme et le volume des redéploiements de crédits provenant de programmes existants.

Vos rapporteurs soulignent en outre que la création du Fonds européen d’investissement stratégique et le recours croissant aux instruments financiers, qui présentent des risques pour le budget de l’Union européenne, doivent s’accompagner de la mise en place de mécanismes de contrôle, de transparence et d’audit sur l’utilisation des fonds ainsi mobilisés que sur les résultats obtenus.

Vos rapporteurs s’interrogent enfin sur l’importance des effets de levier attendus : alors que les effets de levier et multiplicateur vont nécessairement varier en fonction des instruments utilisés, les chiffres annoncés sont-ils réalistes ?

Pour ce qui concerne les conditions de participation des États membres à ce programme d’investissement, la Commission européenne, qui avait annoncé dans un premier temps l’absence de leur prise en compte dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance, semble désormais privilégier le schéma suivant. Les co-financements ne devraient pas bénéficier de traitement particulier, mais les contributions des États membres au capital du Fonds pourraient faire l’objet d’une appréciation spécifique dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance. Ainsi, ces contributions volontaires, qui seraient comptabilisées dans la dette et le solde publics, pourraient être prises en compte au titre des facteurs pertinents retenus dans le pacte (comme c’est le cas pour le Mécanisme européen de stabilité) et ne pourraient à elles seules justifier une action corrective. Alors que plusieurs États, comme le Portugal, soulignent que le traitement des éventuelles contributions des États ne doit pas conduire à affaiblir le pacte, vos rapporteurs insistent sur la nécessité d’une clarification rapide de ce point, dont l’ampleur et le succès du programme dépendent.

Vos rapporteurs estiment par ailleurs que, pour que le plan soit efficace, il convient de prévenir tout risque de duplication des programmes ou au contraire d’affaiblissement des programmes existants. Il est en outre impératif que la qualité des projets soit garantie. Cela suppose que leur procédure de sélection soit menée de manière indépendante, sans considération politique ou géographique. À cet égard, vos rapporteurs mettent ainsi en garde devant la volonté de plusieurs États, dont les Pays-Bas, de privilégier une logique de juste retour.

La Commission européenne propose de mettre en place un mécanisme à deux étages : un comité de supervision constitué des actionnaires du Fonds (BEI, Commission européenne) serait chargé d’établir les lignes directrices d’investissement, de veiller au respect des priorités d’investissement du Fonds (aux secteurs clés) et de suivre la réalisation des objectifs tandis qu’un comité d’investissement indépendant, constitué d’experts, serait chargé de la sélection des grands projets. Pour les PME, la BEI devrait s’appuyer sur le Fonds européen d’investissement.

Vos rapporteurs considèrent toutefois que la gouvernance du Fonds doit encore être clarifiée. Il convient en particulier de préciser le rôle exact des États, en particulier lorsqu’ils participent au capital du Fonds.

Enfin, vos rapporteurs estiment nécessaire que le troisième volet du plan d’investissement, celui relatif à l’amélioration du cadre réglementaire, soit rapidement précisé.

En complément de son plan d’investissement, la Commission européenne demande aux États membres de procéder à un rééquilibrage de leurs comptes courants – en insistant sur le fait que les États excédentaires doivent stimuler leur demande intérieure – et de recentrer leurs dépenses sur les investissements d’avenir. Vos rapporteurs ne peuvent que se féliciter de ces recommandations, qui correspondent aux préconisations qu’ils formulent depuis deux ans (5).

2. Affermir les réformes structurelles

Partant du constat que le renforcement de la compétitivité de l’économie européenne et la mise en place d’un cadre règlementaire favorable aux investissements à long terme sont deux facteurs essentiels de croissance, la Commission européenne prône « un engagement renouvelé en faveur des réformes structurelles  ».

Selon la Commission, cet engagement doit être pris à deux niveaux.

Au niveau européen, elle plaide pour l’approfondissement du marché unique et vise ainsi les marchés des biens et services, du numérique, de l’énergie, des télécommunications et des transports.

Au niveau national, elle recommande aux États membres de dynamiser leur marché du travail et de lutter contre le chômage, de garantir l’efficience de leurs systèmes de retraite et de protection sociale, d’accroître la flexibilité de leurs marchés de produits et de services et, enfin, d’améliorer les conditions d’investissement et de renforcer l’efficience des administrations publiques.

Ainsi, la nouvelle Commission européenne reprend exactement les recommandations formulées par la précédente Commission, si bien qu’il est difficile de déceler une réelle évolution en la matière.

Conformément à leurs travaux précédents, vos rapporteurs appuient l’équilibre général des propositions ainsi formulées, même si, dans le détail, ils ont certains points de divergence. Il en va ainsi notamment des recommandations relatives à la réforme des systèmes de retraite dans lesquelles la Commission européenne prône de « lier de façon plus systématique l’âge légal de départ à la retraite à l’espérance de vie  ». Sur ce sujet, votre co-rapporteur Christophe Caresche juge que le Gouvernement a mené une réforme à même d’assurer, au moins dans les années qui viennent, la viabilité du système de retraite, tandis que votre co-rapporteur Michel Herbillon estime qu’une véritable réforme des retraites est nécessaire. Il considère que l’augmentation de la durée de cotisation est inévitable, sauf à vouloir baisser les pensions de retraite ou à augmenter les cotisations. De même, il juge essentielle la reprise du processus de convergence des différents régimes de retraite.

Vos rapporteurs notent par ailleurs que, comme lors des exercices antérieurs, les réformes structurelles évoquées ne prennent pas en compte la dimension sociale – si ce n’est sous l’angle de la lutte contre le chômage – et environnementale – si ce n’est sous l’angle fiscal (cfinfra I.B.3.) – des politiques économiques.

Vos rapporteurs jugent enfin que certains axes de réforme formulés par la Commission européenne gagneraient à être précisés, de même que certains points de méthode. Ainsi, à titre d’exemple, la Commission européenne souligne la nécessité d’améliorer la coordination de certaines réformes au sein de la zone euro – ce que prônent vos rapporteurs depuis deux ans –, mais sans mentionner lesquelles.

3. Adopter une « attitude responsable  » en matière budgétaire

Constatant que la situation budgétaire s’est nettement améliorée au sein de l’Union et de la zone euro (6), mais que les efforts de maîtrise des finances publiques, en privilégiant les hausses d’impôts et les coupes dans les investissements publics, ont souvent été réalisés au détriment de la croissance, la Commission européenne estime que la politique budgétaire ne devrait désormais plus peser sur l’évolution de la croissance, tout en insistant sur la nécessité de réduire l’endettement public jugé trop élevé (7).

En conséquence, la Commission européenne formule les orientations de politique budgétaire suivantes.

Elle prône tout d’abord d’adapter le rythme de consolidation budgétaire en fonction des situations nationales. Ainsi, les États confrontés à des problèmes de viabilité des finances publiques doivent poursuivre leur assainissement, tandis que ceux qui disposent de marges budgétaires doivent les utiliser pour soutenir la consommation et l’investissement.

La Commission européenne recommande ensuite aux États membres de prendre en compte, dans leur politique budgétaire, la nécessité de soutenir la croissance. Elle invite notamment les États dont le niveau de prélèvements obligatoires est élevé à faire porter leurs efforts sur les dépenses plutôt que sur les recettes et, de manière plus générale s’agissant de ce dernier volet, de revoir la fiscalité en élargissant les bases d’imposition et en organisant un transfert des impôts pesant sur le travail vers ceux visant la consommation, la propriété et la pollution. En matière de dépenses, elle estime qu’il convient de donner la priorité aux investissements publics productifs, précise que les mécanismes de protection sociale doivent jouer leur rôle dans la lutte contre la pauvreté et favoriser l’intégration sociale et insiste sur la nécessité de renforcer l’efficience des dépenses.

Elle plaide enfin en faveur de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.

Vos rapporteurs soutiennent ces orientations, qui sont identiques à celles de l’an dernier, et rappellent que les mesures prises par les États membres en matière de fiscalité doivent s’accompagner d’une plus grande harmonisation au niveau européen. Ils notent à cet égard les avancées enregistrées lors du Conseil Ecofin du 9 décembre 2014, avec l’accord politique conclu sur la révision de la directive dite mère-filiale et l’adoption du rapport du groupe du code de conduite sur la fiscalité des entreprises consacré aux dispositifs dits de « patent-box  ».

Votre co-rapporteur Christophe Caresche se félicite également de l’accord favorable réservé par la Commission européenne et le Conseil à la lettre des ministres chargés des finances de la France, de l’Italie et de l’Allemagne qui appellent à l’adoption d’une directive « anti-BEPS  » (« Base erosion and profit shifting  »), destinée à lutter contre l’érosion des bases fiscales des grandes entreprises.

Vos rapporteurs souhaitent par ailleurs que les négociations relatives à une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, à la fiscalité de l’énergie et à la taxe sur les transactions financières enregistrent des progrès rapides.

II. L’EXAMEN DES PROJETS DE BUDGET DES ÉTATS DE LA ZONE EURO POUR 2015 CONFIRME UNE PAUSE DANS LE RYTHME DE REDRESSEMENT BUDGÉTAIRE

Le 28 novembre dernier, la Commission européenne a rendu, pour la deuxième fois, son avis sur les projets de budget pour 2015 des États membres de la zone euro, conformément à la procédure mise en place par le paquet législatif dit du « two-pack  » (8) qui, entré en vigueur le 30 mai 2013, vise notamment à renforcer la surveillance de la politique budgétaire des États membres de la zone euro.

Avant de mener son analyse, la Commission européenne avait déjà conclu à la fin du mois d’octobre, conformément à la procédure prévue par le règlement no 473/2013 (9), qu’aucun des projets de budget pour 2015 transmis par les États membres ne présentait de « manquements particulièrement graves  » aux dispositions du pacte de stabilité et de croissance.

Seize États sont concernés cette année par la procédure de suivi des budgets nationaux, contre treize l’an dernier, compte tenu de l’entrée de la Lettonie dans la zone euro le 1er janvier 2014 et du « retour dans la procédure de droit commun  » de deux États, l’Irlande et le Portugal, auparavant soumis à la procédure de surveillance propre aux États sous programmes d’ajustement macroéconomique. Pour leur part, Chypre et la Grèce font toujours l’objet de la procédure de surveillance renforcée prévue dans le cadre de la mise en œuvre des programmes d’ajustement macroéconomique associés aux mécanismes d’assistance financière.

A. AU SEIN DE LA ZONE EURO, SEPT PROJETS DE BUDGET PRÉSENTENT UN RISQUE DE NON-CONFORMITÉ AU PACTE DE STABILITÉ ET DE CROISSANCE

Conformément au règlement no 473/2013, la Commission européenne procède à une évaluation globale de la situation et des perspectives budgétaires de la zone euro et à une analyse au cas par cas des projets de budget nationaux..

1. L’analyse de la Commission européenne de la situation et des perspectives budgétaires de la zone euro

Dans son analyse globale, la Commission européenne met en regard les estimations des programmes de stabilité d’avril dernier, celles figurant dans les projets de budget présentés en octobre et ses prévisions d’automne (cf. tableau ci-dessous).

PRINCIPALES DONNÉES BUDGÉTAIRES DE LA ZONE EURO

 

2014

2015

Programmes de stabilité

Projets de budget

Prévisions d’automne de la Commission européenne

Programmes de stabilité

Projets de budget

Prévisions d’automne de la Commission européenne

Déficit public nominal

(en % du PIB)

– 2,4

– 2,6

– 2,6

– 1,8

– 2,2

– 2,4

Évolution du solde structurel (en point de PIB)

0,3

0,0

0,1

0,3

0,1

0,0

Endettement public

(en % du PIB)

94,3

92,7

93,1

93,1

92,5

93,6

Source : Commission européenne.

Il en ressort que le déficit budgétaire nominal des seize États de la zone euro concernés devrait poursuivre son repli pour atteindre 2,6 % du PIB en 2014 puis 2,4 % en 2015 tandis que l’endettement public devrait passer de 93,1 à 93,6 % du PIB entre 2014 et 2015 (10).

Il apparaît également nettement qu’après trois années de politique d’assainissement budgétaire soutenu, une pause est marquée en 2014 (11). Cette pause devrait se confirmer en 2015, ainsi que le montrent les prévisions relatives à l’évolution des soldes publics et structurels. La Commission européenne prévoit donc que les politiques budgétaires seront globalement « neutres  » (elles ne traduiront ni durcissement, ni relâchement) en 2015.

Après avoir souligné qu’un « juste milieu semble ainsi avoir été trouvé entre la nécessité d’assurer la viabilité des finances publiques, compte tenu du niveau élevé et croissant des ratios d’endettement public, et le besoin d’asseoir la reprise qui s’ébauche dans la zone euro  », la Commission conclut que « pour maintenir une orientation budgétaire globalement neutre alors que certains États membres sont invités à redoubler d’efforts en vue de se conformer au pacte de stabilité et de croissance, il faudra utiliser les marges de manœuvre budgétaires disponibles ailleurs, ce qui plaide aussi résolument en faveur de l’ambitieux plan d’investissement pour l’Europe présenté par la Commission  ». À ce sujet, elle vise explicitement l’Allemagne dans son examen par État (cf. infra).

La Commission européenne se livre par ailleurs à une analyse de la composition de l’ajustement des finances publiques, dont elle conclut que si des mesures ont été prises pour alléger la pression fiscale sur le travail et la déplacer vers d’autres assiettes, la composition des dépenses a peu évolué dans un sens plus propice à la croissance. Elle invite en conséquence les États à y remédier.

2. L’avis de la Commission européenne sur les projets de budget nationaux pour 2015

Au-delà de son évaluation de la situation et des perspectives budgétaires de la zone euro, la Commission européenne procède à un examen au cas par cas de la conformité des projets de budget nationaux au pacte de stabilité et de croissance ainsi que de la mise en œuvre des réformes structurelles budgétaires aux recommandations formulées par le Conseil dans le cadre du semestre européen.

MÉTHODE D’ÉVALUATION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE

Les avis de la Commission européenne sur les projets de budgets nationaux ont pour objet de vérifier le respect du pacte de stabilité et de croissance et des recommandations formulées sur la base de ce dernier.

Pour les États membres qui relèvent du volet correctif du pacte, c’est-à-dire faisant l’objet d’une procédure de déficit excessif (PDE), les avis de la Commission font le point sur les avancées réalisées dans le cadre de la correction de ce déficit excessif, au regard des objectifs en termes de déficit nominal et structurel.

Pour les États qui relèvent du volet préventif du pacte, la Commission évalue les progrès accomplis pour atteindre les objectifs budgétaires de moyen terme et vérifient s’ils sont conformes au pacte et aux recommandations budgétaires adressées par le Conseil à ces États membres au mois de juillet.

La Commission européenne retient en conséquence la typologie suivante : conforme, globalement conforme et risque de non-conformité.

Par ailleurs, la Commission complète son avis en examinant la conformité des réformes structurelles budgétaires proposées avec les recommandations faites par le Conseil à chaque État en juillet. Elle retient en conséquence cinq catégories : aucun progrès, des progrès limités, des progrès, des progrès substantiels et recommandation parfaitement suivie.

La Commission européenne souligne que si aucun manquement particulièrement grave aux obligations du pacte de stabilité et de croissance n’a été relevé, les ajustements budgétaires proposés par plusieurs États sont ou risquent d’être insuffisants au regard des exigences posées par le pacte de stabilité et de croissance.

Ainsi, parmi les seize États concernés, cinq (Allemagne, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas et Slovaquie) voient leurs projets de budget jugés conformes au pacte de stabilité et de croissance, contre deux seulement l’an dernier (Allemagne et Estonie). L’Allemagne et le Luxembourg dépassent même en 2014 l’objectif de moyen terme qui leur a été fixé. Vos rapporteurs notent par ailleurs que l’Allemagne est le seul État auquel la Commission européenne demande expressément d’accroître son investissement public (12).

Quatre États (Estonie, Finlande, Lettonie et Slovénie) ont des projets de budget considérés comme globalement conformes, contre six États l’an dernier (France, Pays-Bas, Slovénie, Belgique, Autriche et Slovaquie). L’Estonie, la Lettonie et la Finlande risquent de dévier légèrement de leur trajectoire vers leur objectif budgétaire à moyen terme. Dans le cas de la Slovénie, bien que le déficit nominal soit susceptible d’être ramené sous le seuil de 3 % du PIB dans le délai prévu, un relâchement de l’effort budgétaire risque de compromettre la perspective d’une correction durable et en temps utile du déficit excessif. La Commission européenne invite donc les autorités de ces pays à prendre les mesures nécessaires afin d’assurer la conformité de leur budget pour 2015 avec le pacte de stabilité et de croissance.

Sept États (Autriche, Belgique, Espagne, France, Italie, Malte et Portugal) ont en revanche des projets de budget présentant un risque de non-conformité, contre cinq (Espagne, Italie, Luxembourg, Malte et Finlande) l’an dernier.

S’agissant tout d’abord de l’Autriche, son projet de budget est susceptible d’entraîner un écart important par rapport à sa trajectoire vers l’objectif de moyen terme. Les projets de budget de l’Espagne, de la France, de Malte et du Portugal présentent des risques de non-respect des exigences posées par la procédure de déficit excessif. La Belgique et l’Italie, qui relèvent actuellement du volet préventif du pacte, risquent quant à eux d’enfreindre la règle concernant la dette. La Commission invite donc les autorités à prendre les mesures qui s’imposent afin d’assurer la conformité de leur budget pour 2015 avec le pacte.

Par ailleurs, trois États  – la France s’agissant de son déficit public et l’Italie et la Belgique pour ce qui concerne leur endettement public – présentent un risque élevé de ne pas respecter les règles posées par le pacte dès 2014. Ce risque implique des mesures au titre de la procédure pour déficit excessif. Ces trois États ont envoyé à la Commission européenne à la fin du mois d’octobre un courrier précisant les mesures qu’ils comptaient prendre. Ne souhaitant pas se prononcer dès à présent, la Commission européenne a annoncé qu’elle réexaminerait au début du mois de mars 2015 sa position sur les obligations de ces États dans le cadre du pacte, au regard des dispositions définitives de leurs lois de finances et des précisions qui seront fournies sur leurs programmes de réformes structurelles (13).

Pour ce qui concerne enfin l’examen de la mise en œuvre des réformes budgétaires demandées dans les recommandations par pays, la Commission européenne juge qu’un État, l’Estonie, n’a effectué aucun progrès, sept États (Allemagne, Autriche, France, Lettonie, Portugal, Slovaquie et Slovénie) ont réalisé des progrès limités et huit États (Belgique, Espagne, Finlande, Irlande, Italie, Luxembourg, Malte et Pays-Bas) ont effectué des progrès. Aucun État n’est donc classé parmi les catégories supérieures « des progrès substantiels  » et « recommandation parfaitement suivie  ». Le bilan est ainsi mitigé.

Lors de sa réunion du 8 décembre 2014, l’Eurogroupe a endossé l’analyse de la Commission européenne, avec une tonalité qui apparaît toutefois plus ferme. Au plan général, l’Eurogroupe a plus particulièrement insisté sur la nécessité de poursuivre la consolidation budgétaire, qui doit tenir compte des situations nationales et être propice à la croissance, et de conduire des réformes structurelles favorables à la croissance et à la viabilité des finances publiques, tout en faisant le meilleur usage de la flexibilité permise par le pacte de stabilité et de croissance. S’agissant de chaque État, l’Eurogroupe a validé les avis de la Commission européenne.

B. LA FRANCE FERA L’OBJET D’UN NOUVEL EXAMEN DE LA SITUATION DE SES FINANCES PUBLIQUES EN MARS 2015

Alors que l’an dernier, la France figurait, avec les Pays-Bas et la Slovénie, parmi les trois États qui avaient présenté un projet de budget jugé globalement conforme au pacte de stabilité et de croissance (avec toutefois une réserve : l’absence de marge de manœuvre en cas de problème), tel n’est pas le cas cette année.

Conformément au règlement no 473/2013, la France a présenté son projet de budget le 15 octobre 2014, qu’elle a ensuite indiqué, par une lettre du Premier ministre en date du 27 octobre 2014, vouloir compléter avec une série de mesures supplémentaires et d’estimations actualisées, représentant un effort total de 3,6 milliards d’euros supplémentaires.

La Commission européenne est d’avis que le projet de budget pour 2015 présenté par la France risque de ne pas être conforme au pacte de stabilité et de croissance.

Elle estime par ailleurs que la France a accompli des progrès limités pour ce qui concerne le volet structurel des recommandations budgétaires émises par le Conseil dans le cadre du semestre européen 2014.

Elle considère, enfin, que la France n’a pas encore pris de mesures suivies d’effets pour corriger son déficit public excessif en 2014, contrairement à ce qui lui avait été demandé par le Conseil et renvoie à un examen plus approfondi en mars 2015.

1. L’avis sur le projet de budget pour 2015

Au-delà du fait que la Commission européenne considère, comme le Haut conseil des finances publiques (14), que les prévisions de croissance pour 2015 retenues par le Gouvernement sont trop optimistes, elle relève que le déficit public nominal de la France devrait s’élever à 4,4 % du PIB en 2014 et à 4,5 % du PIB (15) en 2015, alors que les objectifs fixés dans le cadre de la procédure pour déficit excessif s’établissent à, respectivement, 3,6 et 2,8 % du PIB.

Elle souligne que l’effort structurel s’inscrit également en retrait par rapport aux objectifs fixés. Alors que la France devait accomplir un effort structurel de 0,8 point de PIB en 2014 et en 2015, celui-ci devrait s’établir, selon la Commission européenne, en-deçà en 2014 comme en 2015. En tenant compte des mesures supplémentaires de 3,6 milliards d’euros annoncées par le Gouvernement français le 27 octobre dernier, elle évalue ainsi l’effort structurel à 0,3 point de PIB en 2015 (16).

Elle estime par ailleurs que l’endettement public de la France devrait passer de 95,5 % du PIB en 2014 à 98,1 % du PIB en 2015 (17).

En conséquence, la Commission européenne considère que le projet de plan budgétaire de la France présente un risque de non-conformité avec les dispositions du pacte de stabilité et de croissance. Insistant sur le fait qu’en tenant compte de l’ensemble de mesures supplémentaires présentées le 27 octobre 2014, l’ajustement du solde structurel en 2015 devrait s’élever à 0,3 % du PIB, alors que le Conseil a demandé un ajustement de 0,8 point et que le règlement no 1467/97 relatif à la procédure pour déficit excessif prévoit que l’ajustement annuel minimal est de 0,5 point, la Commission européenne invite les autorités françaises à prendre les mesures nécessaires dans le cadre de la procédure budgétaire nationale afin de garantir la conformité du budget pour 2015 avec le pacte de stabilité et de croissance.

2. Le suivi de la mise en œuvre des recommandations budgétaires structurelles

Dans le cadre des recommandations par pays qu’il a adoptées le 8 juillet 2014, le Conseil a invité la France à mener les réformes budgétaires structurelles suivantes : simplifier et accroître l’efficacité de son système fiscal et améliorer la gouvernance et l’efficacité des dépenses des collectivités locales ainsi que la viabilité à long terme de ses finances publiques.

La Commission européenne juge que la France a accompli des progrès limités en la matière.

Si elle salue les mesures du pacte de responsabilité et de solidarité destinées à réduire la charge fiscale sur le travail (en particulier le crédit d’impôt compétitivité emploi) et note que plusieurs mesures du projet de loi de finances pour 2015 sont destinées à simplifier le système fiscal, elle regrette que ce même projet de loi de finances crée également de nouvelles dépenses fiscales, que « peu d’efforts ont été faits pour améliorer la viabilité à long terme des finances publiques  » et que « peu de progrès ont été accomplis dans le domaine de la fiscalité environnementale  » et attend de voir les résultats de la réforme territoriale.

D’une manière plus générale, après avoir rappelé que la France fait l’objet, depuis mars 2014, d’une surveillance particulière dans le cadre de la procédure relative aux déséquilibres macroéconomiques, elle considère que plusieurs réformes (comme le pacte de solidarité et de croissance et les mesures de simplification des formalités administratives des entreprises) progressent, mais qu’il convient d’aller au-delà. Elle annonce ainsi qu’elle suivra avec attention les débats relatifs au projet de loi pour la croissance et l’activité.

La Commission européenne invite donc les autorités françaises à amplifier et à accélérer la mise en œuvre des réformes structurelles.

3. Le respect des recommandations dans le cadre de la procédure pour déficit excessif

Alors que la France fait l’objet d’une procédure pour déficit excessif depuis 2009, elle doit, après avoir obtenu deux délais, en décembre 2009 puis en juin 2013, ramener son déficit public sous le seuil de 3 % du PIB en 2015 au plus tard.

LA PROCÉDURE POUR DÉFICIT EXCESSIF DONT LA FRANCE FAIT L’OBJET

Constatant que la France présentait un déficit excessif, le Conseil lui a recommandé, le 27 avril 2009, de le ramener sous la valeur de référence de 3 % du PIB en 2012 au plus tard.

Notant que les autorités françaises avaient engagé une action suivie d’effets mais qu’une dégradation de la situation économique était ensuite intervenue, le Conseil a reporté, le 2 décembre 2009, le délai accordé à la France pour corriger son déficit à 2013 au plus tard.

Le 21 juin 2013, le Conseil a conclu que la France avait engagé une action suivie d’effets mais que « des événements économiques négatifs ayant des conséquences majeures sur les finances publiques s’étaient produits  ». Il a donc décidé de reporter le délai accordé à la France à 2015 au plus tard et assorti sa décision des recommandations suivantes :

– parvenir à un déficit nominal de 3,9 % du PIB en 2013, de 3,6 % en 2014 et de 2,8 % en 2015, soit une amélioration du solde structurel de 1,3 % du PIB en 2013, de 0,8 % en 2014 et de 0,8 % en 2015, sur la base des prévisions du printemps 2013 des services de la Commission ;

– mettre en œuvre les mesures de redressement déjà décidées pour l’année 2013 et adopter les mesures d’assainissement nécessaires pour 2014 et 2015 pour se conformer à la recommandation d’amélioration du solde structurel, tout en procédant à un examen minutieux des postes de dépenses dans tous les sous-secteurs des administrations publiques, notamment la sécurité sociale et les collectivités territoriales ; consacrer toutes les recettes imprévues à la réduction du déficit ; veiller à ce que les mesures d’assainissement ne portent pas atteinte à la croissance ;

– fonder le redressement des finances publiques sur des réformes structurelles globales, conformément aux recommandations du Conseil adressées à la France dans le contexte du semestre européen et, en particulier, celles liées à la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques ;

– renforcer la soutenabilité à long terme du système de retraite par un nouvel ajustement de tous les paramètres pertinents. La réforme prévue doit être adoptée avant la fin de l’année 2013 et rééquilibrer durablement le système en 2020 au plus tard, en évitant toute nouvelle augmentation du coût du travail.

En application du règlement no 473/2013, la Commission européenne a adressé, le 5 mars 2014, une recommandation à la France lui enjoignant de se conformer pleinement à la recommandation du Conseil du 21 juin 2013. La France a ainsi été invitée à prendre les mesures nécessaires pour atteindre l’objectif fixé par le Conseil en termes d’effort structurel et à rendre compte des mesures prises dans son programme de stabilité pour 2014.

Dans son analyse présentée le 28 novembre 2014, la Commission européenne souligne que l’effort structurel consenti par la France est en retrait par rapport aux objectifs fixés : il s’établirait, en tenant compte des mesures supplémentaires annoncées le 27 octobre 2014, à 0,3 point en 2015 alors que la France doit accomplir, en 2015 comme en 2014, un effort structurel de 0,8 point de PIB en vertu de la décision du Conseil de juin 2013 et un effort annuel d’au moins 0,5 point en application du règlement no 1467/97 relatif à la procédure pour déficit excessif.

Si la Commission européenne en déduit qu’à ce stade la France n’a pas engagé d’action suivie d’effets, elle attend néanmoins de disposer de l’ensemble des éléments nécessaires pour pouvoir se prononcer définitivement. Par conséquent, elle réexaminera, au mois de mars 2015, sa position à l’égard des obligations qui incombent à la France au titre du programme de stabilité et de croissance à la lumière de la version définitive de la loi de finances pour 2015 et des précisions attendues concernant le programme de réformes structurelles annoncé par les autorités françaises dans la lettre du 21 novembre 2014 signée par le Premier ministre.

Lors de sa réunion du 8 décembre 2014, l’Eurogroupe a approuvé l’avis de la Commission européenne et a jugé que « des mesures supplémentaires étaient nécessaires afin d’améliorer l’effort structurel et de respecter les règles du pacte de stabilité et de croissance  ». Alors que la France dispose, à ce stade, de peu d’appuis au sein de l’Eurogroupe – l’Allemagne, les États baltes et du Nord de l’Europe sont traditionnellement partisans de l’orthodoxie budgétaire et les pays du Sud de l’Europe, comme l’Espagne, qui ont été ou sont encore soumis à des programmes d’ajustement, se montrent aussi exigeants –, cette rédaction n’est pas dénuée d’ambiguïté. Ces « mesures supplémentaires  » correspondent-elles aux mesures annoncées le 27 octobre 2014 ou bien s’agit-il de mesures additionnelles ?

Votre co-rapporteur Christophe Caresche estime que l’approche de la Commission européenne est marquée du sceau du bon sens. Il aurait en effet été risqué de se prononcer dès à présent sans disposer de tous les éléments nécessaires à l’analyse de la situation française, en particulier du collectif de fin d’année et de la loi de finances pour 2015, des premières données sur l’exécution de l’exercice 2014 ainsi que des mesures adoptées par le Parlement pour dynamiser la croissance et l’activité.

Votre co-rapporteur considère en outre que la France se retrouve aujourd’hui dans une situation paradoxale. Tandis qu’elle voit son analyse de la situation économique en Europe et sa volonté de tout mettre en œuvre pour lutter contre le risque de déflation de plus en plus partagées, elle souffre, à l’égard de ses partenaires européens, d’un problème de crédibilité qui résulte du fait qu’elle n’a pas respecté le pacte dans le passé, alors qu’elle était en mesure de le faire. Il ne s’agit pourtant pas, aujourd’hui, d’enfreindre le pacte, mais bien de tenir compte d’un nouveau contexte économique.

Le contexte très inquiétant de risque de déflation auquel la France doit faire face ainsi que les mesures budgétaires supplémentaires inscrites dans les projets de loi de finances pour 2014 et 2015 et les réformes engagées par le Gouvernement plaident en effet en faveur d’une adaptation du rythme d’ajustement budgétaire, dans le respect des flexibilités prévues dans le pacte de croissance et de solidarité.

Les mesures supplémentaires votées dans le projet de loi de finances pour 2015 et dans le projet de loi de finances rectificative pour 2014 témoignent en effet de la volonté de respecter les engagements pris au niveau européen, alors que la France doit faire face à une conjoncture atone.

Les 3,6 milliards d’euros (18) d’efforts supplémentaires annoncés le 27 octobre 2014 vont en effet permettre de ramener le déficit nominal à 4,1 % du PIB et d’améliorer le solde structurel d’autant.

Le Gouvernement s’est ainsi fermement engagé sur un objectif d’ajustement structurel de 0,5 point en 2015. Lors de la nouvelle lecture du projet de loi de programmation des finances publiques, il a d’ailleurs déposé un amendement précisant que, si l’on neutralise le changement de comptabilisation des crédits d’impôt introduit par le règlement européen du 21 mai 2013 (19), l’ajustement structurel prévu en 2015 s’établit à 0,5 % du produit intérieur brut potentiel.

Votre co-rapporteur insiste à cet égard sur la difficulté à appréhender l’effort structurel et sur le fait que les divergences d’appréciation résultent souvent, en la matière, de différences dans les règles de calcul. L’un des principaux enjeux de la discussion à venir avec la Commission européenne sera de parvenir à une même appréhension de l’effort structurel.

Votre co-rapporteur souligne par ailleurs qu’en sus des efforts budgétaires menés, des réformes structurelles importantes sont engagées. Il ne faut toutefois pas s’y tromper : ces réformes sont menées par le Gouvernement parce qu’il convient de moderniser la France.

Le projet de loi pour la croissance et l’activité présenté en conseil des ministres le 10 décembre dernier devrait ainsi contribuer à libérer l’activité, favoriser l’investissement et développer l’emploi et le dialogue social. Il repose en effet sur trois priorités :

– moderniser le marché des biens et services, en particulier des professions réglementées, et des secteurs des transports et du commerce ;

– stimuler l’innovation et l’attractivité grâce au développement de l’actionnariat salarié et simplifier les procédures d’urbanisme pour les grands projets ;

– améliorer le fonctionnement du marché du travail par le dialogue social grâce notamment au recours aux accords de maintien dans l’emploi et au développement du travail le dimanche et en soirée.

La réforme territoriale qui repose sur la création des métropoles, la réorganisation des régions et la clarification des compétences entre les différents niveaux de collectivités territoriales, devrait de renforcer l’efficacité de notre organisation territoriale et générer des économies.

Enfin, de nouvelles réformes sont engagées : ordonnances de simplification des procédures au bénéfice des entreprises, projet de loi relatif à la santé qui devrait contribuer à mieux maîtriser les dépenses de santé, projet de loi numérique qui devrait être présenté au premier semestre 2015 et mesures d’activation des politiques de l’emploi (comme la nouvelle « prime d’activité  » destinée aux jeunes) destinées à accélérer la reprise du marché du travail.

Ainsi, au total, votre co-rapporteur Christophe Caresche considère que le contexte dans lequel la recommandation du Conseil de juin 2013 a été adoptée a profondément changé. Des efforts de maîtrise des finances publiques et des réformes structurelles conformes aux recommandations prises dans le cadre du semestre européen sont en cours. Il serait donc incongru de casser cette dynamique et d’infliger des pénalités financières à un pays qui doit déjà faire face à une situation économique difficile.

Votre co-rapporteur Michel Herbillon a, pour sa part, une analyse différente de la situation (cf. contribution infra).

OBSERVATIONS DE M. MICHEL HERBILLON,

CO-RAPPORTEUR

Au-delà des analyses que je partage avec mon collègue Christophe Caresche sur l’examen annuel de croissance et les orientations de politique économique pour 2015 proposées par la Commission européenne, je voudrais ici souligner nos points de désaccord, qui portent à titre principal sur la stratégie budgétaire et économique du Gouvernement.

En juin dernier, dans notre rapport d’information consacré aux recommandations sur les programmes français de stabilité et de réforme pour 2014, j’avais relevé que non seulement la trajectoire présentée par le Gouvernement n’était pas conforme aux exigences du pacte de stabilité et de croissance, mais qu’en outre, il apparaissait clairement que le Gouvernement ne serait pas en mesure de respecter cette trajectoire. Et bien, nous y sommes !

Alors que la France a atteint en mars dernier l’avant-dernier stade de la procédure pour déficit excessif, qui conduit ensuite à une amende, en faisant l’objet d’une recommandation de la Commission européenne, qui lui demande de prendre des mesures de correction rapides, afin de respecter les objectifs fixés par le Conseil en matière de déficit public, force est de constater que rien n’a été fait et le dérapage est manifeste.

La Commission européenne ne s’y trompe pas, puisqu’elle estime dans son avis sur le projet de budget pour 2015 qu’il existe un risque qu’aucune action suivie d’effets ne soit prise en 2014 et que les exigences posées dans le cadre de la procédure pour déficit excessif ne seront pas respectées en l’absence de mesures nouvelles.

La dégradation du déficit nominal de la France entre 2013 et 2014 et les prévisions relatives aux déficits nominaux et structurels pour 2014 et 2015 d’une part et la faiblesse de la croissance et le risque croissant de déflation en France d’autre part montrent l’inefficacité de la politique menée par le Gouvernement.

L’avis de la Commission européenne me conforte d’ailleurs dans les analyses que j’ai développées dans les précédents travaux publiés par la mission d’information (20).

C’est particulièrement vrai de la viabilité des finances publiques à long terme, au sujet de laquelle la Commission européenne estime que « peu d’efforts ont été faits  ».

La Commission déplore en particulier que, dans le domaine des retraites, aucune mesure n’est envisagée par le Gouvernement au-delà de la réforme de 2013, qui, souligne-t-elle, « a peu modifié le régime de retraite de la fonction publique ainsi que les autres régimes spéciaux, et ne permettra de combler que la moitié du déficit du système d’ici à 2020  », confirmant ainsi la nécessité d’une véritable réforme des retraites qui devrait principalement reposer, à mes yeux, sur une mise en cohérence de l’âge de départ en retraite avec l’allongement de la durée de vie, comme cela s’est déjà fait dans tous les pays européens. Les préconisations formulées par la Cour des comptes, dans son rapport thématique rendu public le 17 décembre 2014 et intitulé « Garantir l’avenir des retraites complémentaires des salariés (AGIRC et ARRCO)  », vont d’ailleurs dans le même sens.

Je relève par ailleurs que les 3,6 milliards d’euros d’effort supplémentaire annoncés par le Premier ministre le 27 octobre 2014 ne résultent absolument pas d’économies structurelles, mais de révisions de prévisions de recettes, dont on peut douter de la fiabilité, et de nouvelles augmentations d’impôts.

Il apparaît en outre que le Gouvernement présente la révision à la baisse du prélèvement sur recettes au profit du budget de l’Union comme une mesure contribuant à l’amélioration du solde structurel, alors qu’il figure expressément dans le document de travail de la Commission européenne analysant le projet de budget de la France que tel ne sera pas le cas.

Les réformes annoncées par le Gouvernement ne sont, enfin, pas à la hauteur des défis que la France doit relever. Ainsi, il existe de sérieux doutes sur l’efficacité et les conséquences en termes d’économies de certaines réformes engagées. Je pense, par exemple, à la réforme territoriale, dont il ne me semble pas qu’elle soit facteur de simplification, de lisibilité et d’économie. Nous, élus franciliens, savons qu’il est ainsi nécessaire d’avoir une balise argos pour nous y retrouver. De même, j’ai quelques doutes sur le fameux le projet de loi pour la croissance et l’activité, qui ne me semble pas devoir répondre aux exigences de compétitivité et d’amélioration du fonctionnement du marché du travail.

Au total, la stratégie du Gouvernement ne me semble pas adaptée aux défis auxquels la France est aujourd’hui confrontée.

Je voterai donc contre la proposition de conclusions présentée à la commission des Affaires européennes.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 17 décembre 2014, sous la présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

L’exposé des rapporteurs, au cours duquel M. Michel Herbillon, co-rapporteur, a fait part de son désaccord avec M. Christophe Caresche, co-rapporteur, sur l’analyse de la politique économique et budgétaire qui doit être menée en France, puis a indiqué qu’ il ne pouvait en conséquence voter en faveur de la proposition de conclusions présentée, a été suivi d’un débat.

« M. Jacques Myard. Regardons la réalité en face, car cet exercice est totalement illusoire. Nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faut faire des réformes de structure et baisser la dépense publique, mais, comme l’a souligné notre collègue Caresche, nous sommes en voie de récession, les experts du FMI le disent. Il faut adapter la politique à la réalité et cesser de couper dans les dépenses publiques à cette vitesse-là. Je rappelle ainsi que le multiplicateur budgétaire est de 1,6 en France.

Que constate-t-on ? Une baisse drastique des investissements dans toute l’Europe, notamment en France depuis 2000. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’investissement « ponctuel  », la BPI en fait, le plan de 35 milliards d’euros allait dans le bon sens. Mais, c’est grandement insuffisant. Et le plan Juncker ne va pas régler la question : il ne sera pas mobilisable avant juillet 2015 et il aura un effet homéopathique, puisqu’il représente à peine 1 point du PIB des États de l’Union européenne. Sur ce sujet, nous ne devons pas nous voiler la face : nous sommes dans une impasse et la droite serait au pouvoir, elle serait dans les mêmes contraintes.

Dès lors, comment faire ? Il n’y a pas trente-six solutions. La solution réside dans la monétisation de la dette pour des investissements immédiats. Il faut que les banques centrales fassent des avances aux économies nationales pour créer de la monnaie pour l’investissement. Attention : ce n’est pas de l’inflation, car le système productif est en sous-capacité. C’est ce que font la Réserve fédérale américaine et la Banque d’Angleterre avec leur politique d’assouplissement quantitatif, mais ce que refuse l’Allemagne

Il faudrait dire à l’Allemagne qu’à partir du moment où on est dans une union monétaire avec des économies divergentes, il faut une union de transferts. Ce que refuse l’Allemagne, qui refuse de payer et préfère purger. Elle mène une politique à la Laval. Cette politique est suicidaire au niveau européen et français. Si nous ne procédons pas à une monétisation de la dette, c’est toute la zone euro qui va éclater.

M. Jérôme Lambert. Je tiens à souligner que le point de vue de Jacques Myard est tout à fait digne d’intérêt.

Nous abordons une fois de plus au sein de notre commission un débat portant sur une question essentielle : que pouvons-nous faire au niveau national et dans le cadre européen pour sortir d’une spirale déflationniste, qui nous conduit à moins de croissance ? Nous voyons bien aujourd’hui tous les obstacles qui se dressent devant nous.

J’ai lu avec attention l’avis de la Commission européenne sur le projet de budget français qui nous a été distribué. Je voudrais savoir ce que signifie exactement son dernier paragraphe qui précise que « la Commission réexaminera au début du mois de mars 2015, à la lumière de la version définitive de la loi de finances et du programme détaillé des réformes structurelles annoncé par les autorités, sa position sur les obligations qui incombent à la France au titre du pacte de stabilité et de croissance  ». Qu’y a-t-il derrière le « programme détaillé des réformes structurelles annoncé  » ? J’ai l’impression que la Commission européenne attend quelque chose de nouveau. Si tel est le cas, quelles nouvelles réformes attend-elle ? Je crains qu’on nous annonce, dans quelques semaines voire dans quelques mois, de nouvelles réformes. S’agit-il d’une nouvelle réforme des retraites, dont parlent certains ministres ?

M. Bernard Deflesselles. Je tiens tout d’abord à féliciter les rapporteurs pour leur excellent travail. J’ai deux questions à leur poser.

S’agissant du plan d’investissement, il y a trois piliers. Tout d’abord, des réformes structurelles – c’est déjà un pilier bancal dans le cas de la France, sans vouloir faire injure à la majorité. Ensuite, une politique budgétaire neutre. Enfin, le troisième pilier, celui qui m’intéresse, c’est le plan d’investissement. Sur les 315 milliards d’euros annoncés, on a une amorce de 5 milliards d’euros seulement en réalité de la part de la Banque européenne d’investissement et une contribution qui n’est pas très claire du budget de l’Union, de l’ordre de 10 milliards d’euros. On nous explique doctement qu’il y aura un effet de levier de 15. Mais de qui se moque-t-on ! Comment va-t-on atteindre 315 milliards d’euros au total ?

On dit maintenant que les États doivent participer au Fonds. Très bien. On comprend que, juridiquement, c’est compliqué. Personne n’a tranché le sujet pour l’instant, mais, peut-on avoir des lumières sur l’indulgence de la Commission européenne pourrait avoir en la matière ?

Mme Danielle Auroi, présidente. Quand on demande à l’Europe d’avoir un budget plus que contraint, comment gérer cette quadrature du cercle à laquelle nous sommes confrontés, si ce n’est en lançant un grand emprunt, dont il nous faut trouver la forme ?

M. Christophe Caresche, co-rapporteur. Je suis assez d’accord avec Jaques Myard sur l’analyse de la situation. On a une situation complexe, imprévisible, avec des risques évidents. Donc, il faut être prudent.

Celui qui a donné la base d’une stratégie possible pour l’Europe, c’est Mario Draghi dans son discours prononcé aux États-Unis.

Il faut tout d’abord une politique monétaire offensive. Cela devrait se faire en janvier, même si l’Allemagne y est très hostile. On verra jusqu’où pourra aller la BCE. Son président a déjà mis en place plusieurs outils, malgré l’opposition de l’Allemagne.

Il faut ensuite une impulsion budgétaire reposant sur de l’investissement public. C’est le plan Juncker et la possibilité d’une politique budgétaire neutre en 2015. Nous voyons toujours la Commission européenne comme la prisonnière d’une orthodoxie, mais nous devons reconnaître que si elle a fait des erreurs, elle a aussi progressivement changé de point de vue.

Il faut enfin mener des réformes économiques. C’est un volet important au niveau européen, avec l’approfondissement du marché unique. On peut obtenir des points de croissance supplémentaires en achevant le marché unique. Le projet de loi sur la croissance et l’activité s’inscrit pleinement dans cette logique. C’est aussi un volet important pour les États. De son côté, la France a mis sur la table un certain nombre de réformes avec les lois sur l’organisation territoriale, le projet de loi pour l’activité et la croissance, le projet de loi relatif à la santé et, bientôt, à la fin du premier semestre 2015, des propositions sur la question des seuils sociaux. C’est bien de tout cela dont parle la Commission européenne dans son avis. La question qui va se poser va être celle de l’évaluation de ces réformes. Il y a aujourd’hui une discussion entre la France et la Commission européenne sur le budget, avec des appréciations différentes sur les méthodes de calcul, une discussion sur les réformes et une discussion sur l’investissement.

M. Michel Herbillon, co-rapporteur. Pour répondre à Jérôme Lambert, qui se demande de manière faussement naïve ce que le signataire de l’avis de la Commission européenne, Pierre Moscovici, dont je crois me souvenir qu’il était récemment ministre de l’économie et des finances de notre pays, a voulu dire, je crois que c’est assez clair : il veut dire qu’il faut continuer les réformes structurelles dans notre pays. Point. Ce n’est pas, à mes yeux, la réforme territoriale, telle qu’annoncée, qui entraînera des économies. Loin s’en faut. Elle entraînera, à mes yeux, plus de dépenses et moins de lisibilité. Ce que vise également la Commission européenne, c’est la réforme des retraites, la réforme du marché du travail, etc. Je ne suis pas certain que le projet de loi pour la croissance et l’activité réponde à ces nécessités.

Sur le plan Juncker, les trois piliers sont importants. On n’en sait pas plus sur le plan Juncker que ce qui a été annoncé. L’investissement est essentiel, alors qu’on doit faire face à un risque de déflation.

M. Christophe Caresche, co-rapporteur. La France fait les réformes qu’elle veut. La France ne fait pas des réformes parce que la Commission européenne le lui demande, mais parce que le Gouvernement l’estime nécessaire. Ensuite, sur la méthode, il y a deux possibilités. Soit on mène des réformes de manière très volontariste, voire brusque, au risque de blocages. Soit les réformes sont menées sur plusieurs années, en plusieurs fois. Les réformes ne doivent pas nécessairement faire mal. Ne dégoutons pas non plus les Français des réformes.

S’agissant du plan Juncker, il faut rappeler l’analyse sur laquelle il est fondé et qui me semble juste : il y a beaucoup de liquidités en Europe, le problème est de les drainer vers l’investissement en offrant une rentabilité suffisante. L’argent public mobilisé a pour objectif de réduire le risque et ainsi d’attirer de l’argent privé qui cherche à s’investir. Il est en outre difficile de mobiliser beaucoup d’argent public quand on est en situation d’endettement élevé.  »

La Commission a donc adopté, à l’unanimité moins trois voix, les conclusions dont le texte figure ci-après.

CONCLUSIONS

La Commission,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire,

Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en particulier le titre VIII relatif à la politique économique et monétaire de sa troisième partie,

Vu le règlement (CE) no 1466/97 du Conseil du 7 juillet 1997 relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques, modifié par le règlement (CE) no 1056/2005 du Conseil du 27 juin 2005 et par le règlement (UE) no 1175/2011 du Parlement européen et du Conseil du 16 novembre 2011,

Vu le règlement (UE) no 1176/2011 du Parlement européen et du Conseil du 16 novembre 2011 sur la prévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques,

Vu le règlement (UE) no 473/2013 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 établissant des dispositions communes pour le suivi et l’évaluation des projets de plans budgétaires et pour la correction des déficits excessifs dans les États membres de la zone euro,

Vu la communication de la Commission européenne, du 28 novembre 2014, au Parlement européen, au Conseil, à la Banque centrale européenne, au Comité économique et social européen, au Comité des régions et à la Banque européenne d’investissement, intitulée « Examen annuel de la croissance 2015  » (COM(2014) 902),

Vu le rapport de la Commission, du 28 novembre 2014, au Parlement européen, au Conseil, à la Banque centrale européenne et au Comité économique et social européen, intitulé « rapport 2015 sur le mécanisme d’alerte  » (COM(2014) 904),

Vu la communication de la Commission européenne, du 28 novembre 2014, intitulée « Évaluation globale des projets de plans budgétaires 2015  » (COM(2014) 907),

Vu l’avis de la Commission, du 28 novembre 2014, relatif au projet de plan budgétaire de la France (COM(2014) 8805),

Vu la déclaration finale de l’Eurogroupe du 8 décembre 2014,

1. Prend acte des orientations de politique économique proposées par la Commission européenne pour 2015 : accroître les investissements, poursuivre les réformes structurelles et mener des politiques budgétaires responsables et favorables à la croissance ;

2. Insiste sur la nécessité de relancer l’investissement au sein de l’Union européenne ; salue à cet égard l’initiative prise par la Commission européenne de lancer un plan d’investissement sur trois ans ciblé sur des secteurs stratégiques comme la transition énergétique et les PME ; soutient le principe selon lequel, pour garantir la qualité des projets soutenus, la sélection doit être effectuée de manière indépendante ; souhaite qu’une plus grande ampleur puisse être conférée à ce plan, en particulier en matière d’apports publics européens et nationaux ; considère que les contributions nationales à ce Fonds et les co-financements publics mobilisés au titre de ce plan ne doivent pas être pris en compte dans l’appréciation des soldes publics menée dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance ; estime que la création du Fonds européen d’investissement stratégique doit s’accompagner de la mise en place de mécanismes de contrôle de l’utilisation des fonds ainsi mobilisés ; demande à la Commission européenne d’apporter rapidement des précisions sur les conditions de participation des entités publiques à ce Fonds ainsi que sur sa gouvernance ;

3. Considère que la poursuite des réformes structurelles nécessaire au renforcement de la compétitivité de l’économie européenne doit permettre une croissance durable, reposant sur la préservation des ressources, l’équité sociale et un haut niveau de protection sociale ;

4. Insiste sur la nécessité, dans un contexte économique dégradé, d’adapter le rythme de consolidation budgétaire en fonction des situations nationales et de conduire des politiques budgétaires axées sur le soutien à la croissance ;

5. Considère que le risque de déflation auquel la France doit aujourd’hui faire face constitue une circonstance exceptionnelle telle que définie dans le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire et le règlement no 1466/97 révisé ; rappelle que la France mène une action résolue de modernisation de son économie ; estime en conséquence justifié de procéder à une nouvelle appréciation du rythme d’ajustement des finances publiques françaises.

ANNEXES

ANNEXE NO 1 :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS

À Paris :

– M. Michel Sapin, ministre des Finances et des comptes publics, audition de la commission des Affaires européennes dans la perspective du conseil Affaires économiques et financières (ECOFIN) du 9 décembre 2014

À Bruxelles :

– M. Massimo SUARDI, chef de cabinet adjoint de M. Valdis DOMBROVSKIS, vice-président de la Commission européenne, chargé de l’euro et du dialogue social

– M. Emmanuel MONNET, conseiller chargé de la coordination ECOFIN et de l’assistance financière, Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne

ANNEXE NO 2 :
AVIS DE LA COMMISSION EUROPÉENNE RELATIF AU PROJET DE PLAN BUDGÉTAIRE DE LA FRANCE

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES

1. Le règlement (UE) no 473/2013 définit des dispositions tendant à renforcer la surveillance des politiques budgétaires dans la zone euro et à assurer la cohérence des budgets nationaux avec les orientations en matière de politiques économiques formulées dans le contexte du pacte de stabilité et de croissance et du semestre européen pour la coordination des politiques économiques.

2. L’article 6 du règlement (UE) no 473/2013 prévoit que les États membres soumettent chaque année à la Commission et à l’Eurogroupe, au plus tard le 15 octobre, un projet de plan budgétaire présentant les principaux aspects de la situation budgétaire des administrations publiques et de leurs sous-secteurs pour l’année suivante.

CONSIDÉRATIONS CONCERNANT LA FRANCE

3. Sur la base du projet de plan budgétaire pour 2015 présenté le 15 octobre 2014 par la France, la Commission a adopté l’avis suivant conformément à l’article 7 du règlement (UE) no 473/2013. Le 27 octobre, le gouvernement français lui a adressé une lettre dans laquelle il présentait une série de mesures supplémentaires et d’estimations actualisées venant compléter le projet de plan budgétaire 2015.

4. La France relève actuellement du volet correctif du pacte de stabilité et de croissance. Le Conseil a engagé la procédure pour déficit excessif à son égard le 27 avril 2009 et lui a recommandé de corriger son déficit excessif en 2012 au plus tard, délai qui a été reporté à 2013 le 2 décembre 2009 puis à 2015 le 21 juin 2013. Le Conseil a recommandé à la France de ramener son déficit nominal à 3,9 % du PIB en 2013, à 3,6 % en 2014 et à 2,8 % en 2015, ce qu’il estimait correspondre à une amélioration du solde structurel de 1,3 point de pourcentage du PIB en 2013 et de 0,8 point de pourcentage en 2014 et en 2015. Le 5 mars 2014, la Commission, considérant que la France risquait de manquer à ses obligations, a adressé une recommandation aux autorités françaises au titre de l’article 11 du règlement (UE) no 473/2013. Dans sa recommandation, la Commission a invité la France à prendre les mesures nécessaires pour opérer l’effort structurel recommandé par le Conseil.

5. D’après le projet de plan budgétaire, la croissance du PIB, qui s’est établie à 0,3 % en 2013, atteindra 0,4 % en 2014 avant d’accélérer légèrement, sous l’effet d’un accroissement de la consommation privée et des exportations, pour atteindre 1 % en 2015. Par rapport aux prévisions du programme de stabilité, les prévisions de croissance du PIB ont été revues à la baisse de 0,6 point de pourcentage pour 2014 et de 0,7 point de pourcentage pour 2015. Ces révisions s’expliquent principalement par la stagnation inattendue de l’activité au premier semestre de 2014, provoquée par une chute de l’investissement, l’atonie de la consommation privée et la faiblesse de la croissance des exportations. Dans ses prévisions d’automne, la Commission table sur une croissance du PIB de 0,3 % en 2014 et de 0,7 % en 2015, soit une reprise plus lente que ne le prévoit le scénario macroéconomique du projet de plan budgétaire.

6. En vertu du règlement (UE) no 473/2013, le projet de plan budgétaire doit se fonder sur des prévisions macroéconomiques approuvées ou produites par un organisme indépendant. Ainsi qu’il y est légalement tenu, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a publié, le 26 septembre dernier, son avis sur les prévisions macroéconomiques qui servent de base au projet de plan budgétaire ainsi que sur la stratégie budgétaire qui inspire le projet de loi de finances. S’il a jugé réaliste la prévision de croissance du PIB pour 2014 inscrite dans le projet de plan budgétaire, il a en revanche considéré que celle pour 2015 était trop optimiste car, vu la situation économique internationale, l’investissement et la consommation des ménages pourraient ne pas répondre à l’attente. Le HCFP a également considéré, à la lumière des mesures qui lui ont été présentées, que l’objectif de ralentir la progression des dépenses publiques en 2015 pourrait ne pas être atteint. Le HCFP est un organisme de surveillance rattaché à la Cour des comptes française dont l’indépendance est formellement garantie par la loi.

7. En 2013, le déficit public a représenté 4,1 % du PIB, soit 0,2 point de pourcentage de moins que ce qui avait été annoncé au printemps 2014. Dans son projet de plan budgétaire, le gouvernement s’attend à ce que le déficit nominal augmente pour atteindre 4,4 % du PIB en 2014, avant de retomber à 4,3 % en 2015, ce qui correspond à une amélioration (recalculée) du solde structurel de 0,2 point de pourcentage du PIB en 2014 et de 0,1 point de pourcentage en 2015. Dans le programme de stabilité qu’il a présenté en avril 2014, le gouvernement prévoyait de ramener le déficit public à 3,8 % du PIB en 2014 et à 3,0 % en 2015 en estimant l’effort structurel nécessaire à 0,8 point de pourcentage du PIB pour ces deux années. Selon le gouvernement, la forte révision des objectifs budgétaires annoncés au printemps s’explique principalement par la révision à la baisse de l’inflation et de la croissance du PIB. En outre, le passage au SEC 2010 explique pour 0,1 point de pourcentage la révision à la baisse des prévisions du programme de stabilité relatives à l’ajustement du solde structurel pour 2014 et pour 2015.

8. D’après les prévisions de l’automne 2014 des services de la Commission, le déficit nominal devrait se creuser pour atteindre 4,4 % du PIB en 2014 et, ce qui est légèrement supérieur à l’objectif fixé dans le projet de plan budgétaire, à 4,5 % en 2015. Cela correspond à une amélioration du solde structurel de 0,3 point de pourcentage du PIB en 2014 et de 0,1 point de pourcentage en 2015. Des risques pèsent donc clairement sur les objectifs budgétaires. Le HCFP a également fait observer, comme la Commission dans son évaluation, que les mesures inscrites dans le projet de plan budgétaire pourraient ne pas suffire pour atteindre l’objectif de réduction de la croissance des dépenses. De plus, un nouveau recul de la confiance dans l’économie pourrait retarder le redressement attendu de la consommation privée et de l’investissement et, de ce fait, entraver la reprise déjà fragile de l’activité en France.

9. Le ratio de la dette publique au PIB a atteint 92,2 % en 2013. D’après le projet de plan budgétaire, il augmentera à 95,3 % en 2014 et 97,2 % en 2015. Dans ses prévisions d’automne, la Commission s’attend à ce que la dette publique augmente et représente un peu plus de 95 % du PIB en 2014 et 98 % du PIB en 2015. Si ses prévisions et celles du gouvernement divergent, c’est essentiellement parce qu’elles sont bâties sur des hypothèses macroéconomiques différentes.

10. Les mesures inscrites dans le projet de plan budgétaire 2015 consistent principalement, en ce qui concerne les recettes, en la mise en œuvre du pacte de responsabilité et de solidarité et, pour les dépenses, en une réduction des dépenses qui, selon le gouvernement, devrait représenter au total 21 milliards d’euros (1,0 % du PIB). Cette réduction des dépenses serait répartie entre l’administration centrale (7,7 milliards d’euros), les collectivités locales (3,7 milliards d’euros) et les caisses de sécurité sociale (9,6 milliards d’euros).

11. Pour 2014, le projet de plan budgétaire et la Commission prévoient que le déficit nominal augmentera pour atteindre 4,4 % du PIB et dépassera donc largement l’objectif d’un déficit de 3,6 % du PIB fixé dans le cadre de la PDE. Pour cette même année, la Commission table, dans ses prévisions de l’automne 2014, sur une amélioration du solde structurel de 0,3 point de pourcentage du PIB. Après prise en compte de l’incidence négative du passage au SEC 2010, ainsi que des variations de la croissance potentielle et des augmentations/réductions imprévues de recettes, l’effort structurel en 2014 s’établit à 0,5 point de pourcentage du PIB, ce qui est inférieur à l’objectif fixé dans la recommandation émise au titre de la PDE (0,8 point de pourcentage du PIB). Évalué selon l’approche ascendante, l’effort budgétaire pour 2014 représente 0,9 point de pourcentage du PIB, alors que la recommandation est un effort supérieur à 1 %. Sur la période 2013-2014, l’amélioration cumulée, après prise en compte des effets du passage au SEC 2010, atteint 1,6 %, ce qui est inférieur à la recommandation (2,1 % du PIB) et, selon l’approche ascendante, elle atteint 0,9 % du PIB, alors que la recommandation est un effort supérieur à 1 % du PIB. Une analyse minutieuse montre que l’écart entre les évaluations ascendante et descendante de l’effort structurel s’explique essentiellement par les révisions à la baisse des prévisions d’inflation opérées depuis juin 2013. Cette analyse ne tient pas encore compte des informations récentes selon lesquelles les investissements des collectivités locales seront plus faibles que prévu.

12. Dans une lettre adressée à la Commission le 27 octobre 2014, le gouvernement a annoncé un train de mesures qui complète le projet de plan budgétaire, notamment par des estimations actualisées, des mesures fiscales et de nouvelles mesures visant à lutter contre la fraude fiscale et à promouvoir la justice fiscale. Le gouvernement s’attend à ce que ce train de mesures, qui est censé être adopté dans un prochain budget supplémentaire pour 2014 ou dans le budget pour 2015, contribue pour 3,6 milliards d’euros (0,2 point de pourcentage du PIB) à l’amélioration du solde structurel en 2015. Toutefois, d’après l’évaluation de la Commission, cette amélioration ne devrait être que de 0,1 point de pourcentage du PIB. Prenant en compte le train de mesures supplémentaires tel qu’il a été annoncé, le gouvernement table sur une amélioration (recalculée) du solde structurel de 0,3 point de pourcentage du PIB. Sur la base des prévisions de l’automne 2014 de la Commission, corrigées pour tenir compte de l’évaluation du nouveau train de mesures et de l’incidence du passage au SEC 2010, l’ajustement du solde structurel représentera 0,3 point de pourcentage du PIB en 2015.

13. À la suite du bilan approfondi des déséquilibres macroéconomiques rendu public en mars 2014, une surveillance particulière de la mise en œuvre des réformes nécessaires en France a été mise en place dans le cadre de la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques (PDM). Des informations actuellement disponibles, notamment dans le projet de plan budgétaire, il ressort qu’un certain nombre de réformes progressent, mais que la poursuite d’une mise en œuvre résolue et, le cas échéant, des adaptations restent nécessaires. Plus particulièrement, des progrès ont été accomplis dans la mise en œuvre du pacte de responsabilité et de solidarité – qui, avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, réduira le coût du travail de près de 30 milliards d’euros d’ici à 2017 – ainsi que dans la simplification des formalités administratives des entreprises. Les effets de la réforme des collectivités locales et du projet de loi sur l’activité économique restent incertains, étant donné que le contenu réel de ces réformes fait toujours l’objet de débats, notamment dans le cadre du processus d’adoption. Les résultats économiques de ces réformes dépendront largement de la rigueur avec laquelle celles-ci auront été élaborées et mises en œuvre. Enfin, les efforts visant à poursuivre l’amélioration de la viabilité des finances publiques, la simplification du système fiscal et l’assouplissement du marché du travail pourraient être intensifiés.

14. La Commission est globalement d’avis que le projet de plan budgétaire de la France, qui relève actuellement du volet correctif, présente un risque de non-conformité avec les dispositions du pacte de stabilité et de croissance. En tenant compte du train de mesures supplémentaires présenté le 27 octobre, l’ajustement du solde structurel devrait être de 0,3 point de pourcentage du PIB. L’ajustement du solde structurel serait dès lors inférieur aussi à la recommandation de 2013. La Commission invite donc les autorités françaises à prendre, dans le cadre de la procédure budgétaire nationale, les mesures nécessaires pour garantir la conformité du budget 2015 avec le pacte de stabilité et de croissance.

La Commission est également d’avis que la France a accompli des progrès limités en ce qui concerne le volet structurel des recommandations budgétaires émises par le Conseil dans le cadre du semestre européen 2014 et elle invite donc les autorités françaises à en accélérer la mise en œuvre.

La Commission réexaminera au début du mois de mars 2015, à la lumière de la version définitive de la loi de finances et du programme détaillé des réformes structurelles annoncé par les autorités, sa position sur les obligations qui incombent à la France au titre du pacte de stabilité et de croissance.

1 () Ce sujet devrait être abordé de manière informelle par le Conseil européen lors du sommet des 12 et 13 février 2015 et faire l’objet d’un rapport élaboré par le président de la Commission européenne en lien avec le président du sommet de la zone euro, le président de l’Eurogroupe et le président de la Banque centrale européenne et qui devra être remis au Conseil européen en juin 2015 au plus tard.

2 () « Ma priorité numéro un sera de retrouver le chemin de la croissance et de remettre les Européens au travail » a ainsi affirmé Jean-Claude Juncker dans ses orientations politiques présentées le 15 juillet 2014.

3 () Établi chaque année en même temps que l’examen annuel de croissance, le rapport sur le mécanisme d’alerte a pour objet d’identifier les déséquilibres macroéconomiques au sein de l’Union et de déterminer les États dont la situation doit, en conséquence, faire l’objet d’un examen annuel approfondi puis, le cas échéant, de mesures correctives dans le cadre de la procédure de surveillance des déséquilibres macroéconomiques.

4 () À noter toutefois que la mobilisation des marges budgétaires à hauteur de 2 milliards d’euros aura un impact sur les contributions des États au budget de l’Union. En outre, si, au sein du budget de l’Union, les marges sont suffisantes en engagements, il n’en va pas de même en paiements, si bien qu’il pourrait être nécessaire de recourir à l’instrument de flexibilité en fin de programmation.

5 () Cf. notamment rapport d’information no 742 déposé par la commission des Affaires européennes sur les orientations européennes de politique économique et présenté par MM. Christophe Caresche et Michel Herbillon, intitulé La définition des orientations européennes de politique économique pour 2013, première étape du semestre européen, Assemblée nationale, XIVe législature, 26 février 2013 et résolution européenne no 95 du 15 mars 2013 sur les orientations européennes de politique économique.

6 () Selon les prévisions d’automne de la Commission européenne, les déficits publics sont passés en moyenne de 4,5 % du PIB en 2011 à 3 % en 2014 au sein de l’Union et de 4,1 à 2,6 % au sein de la zone euro et le nombre d’États soumis à une procédure pour déficit excessif s’est réduit de 24 en 2011 à 11 en 2014 (6 dans la zone euro : Espagne, France, Irlande, Malte, Portugal, Slovénie et 5 hors zone euro : Croatie, Pologne, Royaume-Uni, Grèce et Chypre) ; l’endettement public s’est stabilisé.

7 () Selon les prévisions d’automne de la Commission européenne, l’endettement public s’établirait à 88,1 % du PIB dans l’Union et à 94,5 % du PIB dans la zone euro en 2014.

8 () Le « two-pack » recouvre le règlement no 473/2013 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 établissant des dispositions communes pour le suivi et l’évaluation des projets de plans budgétaires et pour la correction des déficits excessifs dans les États membres de la zone euro et le règlement no 472/2013 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 relatif au renforcement de la surveillance économique et budgétaire des États membres de la zone euro connaissant ou risquant de connaître de sérieuses difficultés du point de vue de leur stabilité financière.

9 () L’article 7 paragraphe 2 du règlement no 473/2013 prévoit en effet que « lorsque dans les cas exceptionnels où, après avoir consulté l’État membre concerné dans la semaine suivant la transmission de son projet de plan budgétaire, la Commission décèle un manquement particulièrement grave aux obligations de politique budgétaire prévues dans le pacte de stabilité et de croissance, la Commission adopte son avis dans les deux semaines suivant la transmission du projet de plan budgétaire. La Commission demande, dans son avis, qu’un projet révisé de plan budgétaire lui soit soumis dès que possible et en tout état de cause au plus tard trois semaines après la date de son avis. Cette demande de la Commission est motivée et rendue publique ».

10 () Ces données, issues des calculs de la Commission européenne, diffèrent légèrement de celles transmises par les États, selon lesquelles, en 2015, le déficit public moyen s’établirait à 2,2 % du PIB et l’endettement public diminuerait pour atteindre 92,5 % du PIB. L’harmonisation des méthodes de calcul doit ainsi encore faire des progrès.

11 () Ainsi, les nouvelles prévisions relatives au déficit public, nettement inférieures à celles du printemps 2014, s’expliquent par des perspectives de croissance moins favorables mais également par une diminution des efforts menés.

12 () « Compte tenu de l’importante marge budgétaire, des besoins d’investissement et des taux d’intérêt très faibles, en raison desquels les bénéfices sociaux dépassent largement les coûts d’emprunt, il serait souhaitable de stimuler l’investissement public. », Communication de la Commission relative à l’évaluation globale des projets de plans budgétaires 2015, 28 novembre 2014, page 21.

13 () Il convient de souligner que le Portugal, qui se trouve dans la même situation de déficit excessif que la France et a reçu un avis identique de la Commission européenne sur son budget pour 2014 et son projet de budget pour 2015, n’est pas expressément visé par cet examen de mars 2015. Cette exception s’expliquerait, selon la Commission européenne, par le fait que le Portugal vient de sortir de son programme d’ajustement économique.

14 () Avis no HCFP-2014-05 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2015, Haut conseil des finances publiques, 26 septembre 2014.

15 () Dans son analyse relative au solde nominal, la Commission européenne ne tient pas compte des mesures complémentaires de 3,6 milliards d’euros annoncées par le Gouvernement le 27 octobre 2014. Pour sa part, le Gouvernement, après avoir estimé le déficit public nominal pour 2015 à 4,3 % du PIB dans le projet de loi de finances pour 2015, l’a révisé à 4,1 % du PIB, afin de tenir compte de l’impact des mesures complémentaires qu’il évalue à 0,2 point de PIB.

16 () Compte tenu des mesures supplémentaires annoncées, le Gouvernement français évalue pour sa part, l’effort structurel pour 2015 à 0,5 point de PIB, déduction faite de l’incidence des modifications de comptabilisation des crédits d’impôts prévues par les règles européennes.

17 () Dans son analyse relative à l’endettement public, la Commission européenne ne tient pas compte des mesures complémentaires annoncées le 27 octobre dernier. Pour sa part, après avoir évalué l’endettement public à 95,3 % du PIB en 2014 et à 97,2 % du PIB en 2015 dans le projet de loi de finances pour 2015, il a révisé ses estimations à 95,2 % du PIB en 2014 à 97,1 % du PIB en 2015, afin de tenir compte notamment des mesures complémentaires.

18 () Ces 3,6 milliards d’euros se décomposent en une actualisation des prévisions de recettes et de dépenses à hauteur d’1,55 Md€ (pour les recettes : participations financières de l’État (+ 350 M€) + cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (+ 400 M€) + crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (+ 100 M€) ; pour les dépenses : charge de la dette (– 400 M€), révision à la baisse du prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne (– 300 M€)) et en l’adoption de mesures nouvelles à hauteur de 2,03 Md€ (traitement des déclarations rectificatives (+ 400 M€) + taxe de séjour et taxe sur les parkings (+ 300 M€) + mesures de non déductibilité de l’impôt sur les sociétés (+ 430 M€) + possibilité de majoration dans les zones foncières tendues des taxes d’habitation sur les résidences secondaires et des taxes foncières sur les terrains constructibles (+ 250 M€) + lutte contre la fraude à la TVA (+ 100 M€), hausse de la taxe sur les surfaces commerciales (+ 200 M€), prix de transfert (+ 250 M€) et régime « mère-filles » (+ 100 M€).

19 () Règlement (UE) no 549/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2013, relatif aux comptes nationaux et régionaux dans l’Union européenne.

20 () Voir notamment rapports d’information no 742 et 2056 déposés par la commission des Affaires européennes et présentés par MM. Christophe Caresche et Michel Herbillon.