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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

     

Ministère des affaires étrangères

     

PROJET DE LOI

autorisant la ratification de la convention du conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique

NOR : MAEJ1304999L/Bleue-1

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ÉTUDE D’IMPACT

I. - Situation de référence et objectifs de l’accord ou convention

La Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique a été adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe le 7 avril 2011. Elle a été ouverte à la signature le 11 mai 2011 à l'occasion de la 121e session du Comité des Ministres à Istanbul. Elle entrera en vigueur une fois que dix pays l'auront ratifiée.

Avec cette Convention, les États parties s’engagent à respecter des standards minimums en matière de prévention, de protection des victimes et de poursuites des auteurs et à incriminer pénalement les violences sexuelles y compris les viols, les violences physiques et psychologiques, le harcèlement, les mariages forcés et les mutilations génitales féminines. Cette Convention est par ailleurs le premier texte international juridiquement contraignant à inclure des dispositions de nature à combattre le phénomène des crimes prétendument commis au nom de l’honneur.

La Convention prévoit que les États se doteront de mécanismes novateurs, notamment un arsenal de mesures protectrices dont l’éviction du conjoint violent, la levée dans l’intérêt des victimes et sous certaines conditions du secret professionnel, la mise en œuvre de permanences téléphoniques gratuites et accessibles 24h sur 24, et la prise en compte du genre dans l’examen des demandes d’asile.

En ce qui concerne l’articulation avec les autres accords existants : la Convention CAHVIO complète et renforce la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. En introduisant des standards minimums dans un texte juridiquement contraignant, la Convention ouvre la voie à un renforcement des instruments universels. En effet, les systèmes régionaux de promotion et de protection des droits de l’Homme contribuent à l’élaboration de nouvelles normes et à l’édiction de bonnes pratiques ; ce rôle positif est d’ailleurs reconnu par les mécanismes et procédures spéciales du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies (rapporteurs spéciaux, groupes de travail…) ainsi que par les résolutions adoptées dans les enceintes multilatérales compétentes en matière de droits de l’Homme. En outre, les liens positifs entre les Nations Unies et le Conseil de l’Europe sont rappelés régulièrement par une résolution biannuelle adoptée par consensus par l’Assemblée générale des Nations Unies.

- L’ampleur des violences faites aux femmes en France

Au cours des deux dernières années, 300 000 femmes ont été victimes de violences sexuelles, le plus souvent commises par une personne connue. 160 000 femmes ont été victimes de viol ou de tentative de viol. 550 000 femmes ont été victimes de violences physiques ou sexuelles au sein même de leur ménage, commises par le conjoint ou par un autre membre de la famille. 400 000 femmes ont été victimes de violences conjugales, commises par le conjoint ou par un ancien conjoint.

Au cours des deux dernières années, une femme sur sept a été insultée. Dans plus de la moitié des cas, les injures utilisées sont à caractère sexiste. Une femme sur vingt a subi des gestes déplacés. Un quart des gestes déplacés envers les femmes sont subis sur le lieu de travail.

Les victimes portent très rarement plainte : le taux de plainte varie de moins de 2 % pour les violences sexuelles intra ménage à près de 20 % pour les violences avec blessures physiques visibles. Plus de 80 % des victimes de violences intra ménage ne se sont pas déplacées à la police ou à la gendarmerie. Dans un cas sur cinq, la femme victime d’une violence physique ou sexuelle au sein du ménage en parle pour la première fois lors de l’enquête.

122 femmes sont mortes sous les coups de leur compagnon ou ex-compagnon en 2011. Au moins un tiers d’entre elles étaient victime de violence antérieure (l’antériorité des violences n’apparait pas toujours au cours des enquêtes). La première cause de passage à l’acte est la non-acceptation de la séparation (40% des cas). 24 hommes sont morts sous les coups de leur compagne ou ex-compagne en 2011. Dans la moitié des cas, la femme qui tue son compagnon était victime de violence. Au total, les 146 décès liés aux violences entre conjoints ont causé 224 morts, si l’on ajoute au nombre des conjoints décédés celui des enfants et celui des auteurs des violences s’étant donné la mort après les faits, et 100 enfants orphelins de père et/ou de mère. 11 enfants ont été tués en même temps que leur mère. De plus, deux victimes étaient enceintes. 15 enfants ont été témoins de la mort d’un parent. Dans 40% des cas, les auteurs se sont donné la mort (46% des hommes et 17% des femmes).

Les morts violentes dans le couple représentent 17% des homicides et violences volontaires constatées en 2011.

- Les partenaires associatifs de l’Etat

Le Gouvernement s’appuie sur un réseau associatif dense et engagé pour accompagner sa politique de lutte contre les violences faites aux femmes. Le ministère des droits des femmes a publié en novembre 2012 un « annuaire des associations locales et nationales de lutte contre les violences faites aux femmes », qui compte près de 300 références. Le Centre National d’Information sur les Droits des Femmes (CNIDF) et la Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF) contribuent à l’animation de ce réseau associatif.

Centre National d’Information sur les Droits des Femmes (CNIDF)

Les missions du CNIDFF et des 114 CIDFF locaux portent sur l’information des femmes sur leurs droits dans les domaines juridique, professionnel, économique, social et familial. La conclusion de conventions d’objectifs et de moyens entre l’État et le CNIDFF a contribué à la structuration de ce réseau associatif en le chargeant de la coordination et de la représentation nationale des CIDFF locaux et en déterminant les moyens afférents.

Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF)

La FNSF constitue également un partenaire historique et privilégié de l’Etat. Elle fédère une soixantaine d’associations spécialisées dans l’accueil, l’écoute, l’accompagnement et l’hébergement des femmes victimes de violences au sein du couple. Une quarantaine d’associations membres disposent de places d’hébergement.

La FNSF gère, depuis juin 1992, le service téléphonique national « Violences conjugales info : 39.19 », dont l’objet est d'écouter, de conseiller et d'orienter les femmes victimes de violences, leur entourage et les professionnels concernés. Numéro d’appel unique, facile à retenir et gratuit, il a pour objectif de dispenser une écoute anonyme, professionnelle et personnalisée afin de garantir une orientation adaptée.

La FNSF mène également des missions consultatives et de représentation. La FNSF réalise enfin des actions de sensibilisation, de formation et de communication auprès des médias, des professionnels et du grand public.

II. - Conséquences estimées de la mise en œuvre de l’accord ou convention

- Conséquences économiques

(Sans objet)

- Conséquences financières

Les politiques menées par la France s'inscrivent pleinement dans les dispositions prévues par la Convention. Une intensification des efforts financiers a été engagée pour les mettre en œuvre et répondre ainsi pleinement aux besoins des victimes.

Refuges

La Convention prévoit à l’article 23 la mise en place « de refuges appropriés, facilement accessibles et en nombre suffisant, afin d’offrir des logements sûrs pour les victimes, en particulier les femmes et leurs enfants, et pour les aider de manière proactive ».

En application des décisions prises le 30 novembre 2012 par le Comité interministériel aux droits des femmes et à l’égalité entre les femmes et les hommes, une convention-type a été élaborée pour assurer aux femmes victimes de violences un accueil spécifique et adapté par les services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO). De plus, le Plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, adopté lors du Comité interministériel de lutte contre les exclusions du 21 janvier 2013, comprend la création de 5000 places d’hébergement d’urgence, dont près d’un tiers sera réservé aux femmes victimes de violences.

Permanences téléphoniques

La Convention prévoit à l’article 24 la mise en place « à l’échelle nationale des permanences téléphoniques gratuites, accessibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, pour fournir aux personnes qui appellent, de manière confidentielle ou dans le respect de leur anonymat, des conseils concernant toutes les formes de violence couvertes par le champ d’application de la présente Convention. »

Une plateforme commune d’accueil téléphonique pour les femmes victimes de violences sera créée d’ici la fin de l’année 2013. Cette future plateforme s’appuiera sur la mise en réseau des numéros existants et visera à améliorer leur qualité de service. En application des décisions prises le 30 novembre 2012 par le Comité interministériel aux droits des femmes et à l’égalité entre les femmes et les hommes, une mission analyse les pratiques étrangères et évalue les conditions juridiques et financières d’un service fonctionnant en continu, articulé avec les professionnels de l’accueil et de la prise en charge des femmes victimes de violences. Cette mission est menée par le Secrétariat général à la modernisation de l’action publique et le service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes. Les décisions budgétaires seront prises en fonction des différents scenarios qui seront présentés par la mission au deuxième trimestre 2013.

Indemnisation des victimes

En application de l’article 30 de la Convention qui impose aux Etats membres d’indemniser toutes les victimes d’infractions quel que soit leur statut, il est nécessaire de supprimer, à l’article 706-63 du code de procédure pénale, les dispositions qui limitaient cette indemnisation aux seules victimes ressortissantes d’un Etat membre de l’Union européenne ou qui étaient en séjour régulier au jour des faits ou de la demande. Si la Convention ne prévoit une telle obligation que pour les victimes d’infractions entrant dans son champ d’application (violences, agressions sexuelles,…), il a été choisi de l’élargir à toutes les victimes d’infractions visées à l’article 706-3 afin de ne pas créer d’inégalités difficilement justifiables (qui auraient conduit par exemple à ne pas indemniser de victimes de meurtre en situation irrégulière, alors que les victimes d’agressions sexuelles auraient été indemnisées). Cet élargissement entraînera une augmentation du nombre de victimes pouvant prétendre à indemnisation. Il est difficile, par nature, d’estimer le nombre de victimes en situation irrégulière sur le territoire national. Pour 2004, la Direction centrale du contrôle de l'immigration et de la lutte contre l'emploi clandestin (Diccilec) avance le chiffre de 200 000 irréguliers mais, de son côté, le Bureau international du travail (BIT) estime qu'elles sont 400 000. Comparativement aux 65,350 millions d’habitants recensés au 1er janvier 2012, et en faisant l’hypothèse que les étrangers en situation irrégulière sont victimes dans les mêmes conditions que les personnes résidant légalement en France, il est donc possible de considérer que l’extension de l’indemnisation aux étrangers qui ne sont pas en situation régulière impliquerait une hausse de 300.000/65.350.000 = 0,46% du montant des indemnisations accordés annuellement. Eu égard au budget annuel d’indemnisation qui semble relativement stable (267.525.000 € en 2012), cela représente un impact financier de 1.230.000 € environ, étant rappelé que cet impact financier résulte d’un choix de transposition élargissant le bénéfice de cette mesure à toutes les victimes, au-delà de celles entrant strictement dans le champ d’application de la Convention.

- Conséquences sociales

La ratification de la Convention permettra de renforcer la protection des victimes de violences envers les femmes et de violences et de violences domestiques.

- Conséquences environnementales

Sans objet

- Conséquences juridiques

Au niveau international, la protection et la prévention des femmes contre toutes les manifestations de violence, l’élimination de toutes formes de discrimination à leur égard et la promotion de l’égalité homme/femmes est stipulée par les Pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques, sociaux et culturels (1966) ; la Convention des Nations Unies pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (« CEDEF », 1979) et son protocole facultatif (1999) ; la recommandation générale n° 19 du Comité de la CEDEF sur la violence à l’égard des femmes ; la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (1989) et ses protocoles facultatifs (2000) ; la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (2006) ; le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (2002) ainsi que la Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (1949) et ses protocoles additionnels I et II (1977).

Au niveau européen, des normes sont également établies par la Cour européenne des droits de l’Homme. Ainsi, la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (STE n° 5, 1950) et ses protocoles ; la Charte sociale européenne (STE n° 35, 1961, révisée en 1996, STE n° 63) ; la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE n°197, 2005) ; la Convention de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (STCE n° 201, 2007), ainsi que les recommandations du Comité des Ministres aux Etats membres du Conseil de l’Europe suivantes : la Recommandation Rec. (2002)5 sur la protection des femmes contre la violence, la Recommandation CM/Rec.(2007)17 sur les normes et les mécanismes d’égalité entre les femmes et les hommes, la Recommandation CM/Rec.(2010)10 sur le rôle des femmes et des hommes dans la prévention et la résolution des conflits et la consolidation de la paix.

S’agissant plus spécifiquement de l’Union européenne, la lutte contre les violences faites aux femmes a fait l’objet de plusieurs résolutions et textes spécifiques adoptés récemment, avec lesquels la présente Convention est en conformité :

- les Résolutions du Parlement européen du 26 novembre 2009 sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes et du 5 avril 2011 sur les priorités et la définition d'un nouveau cadre politique de l'Union en matière de lutte contre la violence à l'encontre des femmes ;

- la directive 2012/29/UE adoptée par le Parlement et le Conseil le 25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité, qui n’octroie pas de droits spécifiques aux femmes victimes de violences mais mentionne que celles-ci doivent faire l’objet d’une attention particulière et peuvent bénéficier de mesures de protection (assistance par des services d’aide aux victimes spécialisés, auditions par des enquêteurs du même sexe, possibilité de déposer à l’audience hors de la vue de l’auteur présumé des faits) dont l’objectif est notamment de minimiser leur exposition à une victimisation secondaire ;

- les Conclusions du Conseil des 6 et 7 décembre 2012 intitulées «  Combattre les violences à l’égard des femmes et offrir les services d’assistance aux victimes de violence domestique dans l’Union européenne », qui appellent notamment les Etats membres à signer et ratifier la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique.

Au niveau national, l’analyse des stipulations de la convention a conduit à relever 5 modifications qui paraissent indispensables et une modification qui parait utile :

En premier lieu, les trois comportements suivants, mentionnés dans la convention, ne sont pas incriminés à ce jour par la législation française :

- la tentative d’interruption de grossesse sans le consentement de l’intéressée (dans la plupart des cas une telle tentative implique des violences physiques ou psychologiques et l’auteur d’une telle tentative peut être poursuivi pour ces violences, le seul cas qui ne semble pas incriminé consiste à faire absorber par une femme enceinte sans son consentement - par exemple à son insu - des produits abortifs sans que ces produits ne produisent d’interruption de grossesse), en application des articles 39 et 41 § 2 de la convention1 ;

- le fait de tromper une personne aux fins de l’emmener à l’étranger pour la forcer à y contracter un mariage en application de l’article 37 § 2 de la convention2 ;

- le fait d’inciter une jeune femme mineure à subir une mutilation génitale, lorsque cette incitation n’a pas été suivie d’effet, c'est-à-dire lorsque cette mutilation n’a été ni commise ni tentée (lorsque cette mutilation a été commise ou tentée, la personne qui a incité la victime à subir cette mutilation peut être poursuivie comme complice) en application de l’article 383.

Même si la Convention ne prévoit que l’incrimination de l’incitation des jeunes femmes mineures à se soumettre à des mutilations sexuelles, cette incrimination devra très probablement être rédigée dans la législation française de façon non discriminatoire et viser également l’incrimination de l’incitation des jeunes hommes mineurs à se soumettre à une mutilation sexuelle afin d’échapper au reproche d’anti constitutionnalité de la loi d’adaptation.

Par ailleurs, la convention prévoit en son article 56 § 1 des mesures de protection4, notamment le fait d’informer la victime lorsque l’auteur des faits est libéré ou s’évade. Il existe déjà des dispositions dans la législation française imposant, sous certaines réserves, d’informer la victime lorsque l’auteur des faits commis à son égard est libéré. En particulier, les articles 144-25 et 712-16-26 du code de procédure pénale imposent respectivement dans la phase d’instruction ou dans la phase d’exécution de la peine d’aviser la victime et de prendre des mesures de protection à son égard. En revanche, il n’existe aucune disposition concernant la situation où la personne s’évade. Dans ce cas, s’il est certes impossible de notifier à l’auteur des faits des obligations (dans le cadre d’un placement sous contrôle judiciaire ou de mesures liées à la libération), il conviendra de prévoir des dispositions permettant d’en aviser la victime. Sur ce point, la Convention diffère légèrement de la directive n°2012/29/UE établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes, adoptée par le Parlement européen et le Conseil le 25 octobre 2012. En effet, alors que l’article 6 de la directive prévoit que cette information est donnée au moins dans les cas où la victime court un risque du fait de l’évasion de l’auteur des faits, l’article 56 de la Convention fait référence aux cas où « les victimes et la famille » encourent un danger. Il a été décidé de retenir la rédaction la plus large, à savoir une information de la victime dans les cas où celle-ci ou sa famille encourent un danger : un amendement en ce sens est envisagé par Mme Karamanli, Rapporteure du projet de loi « DDAI » pour la Commission des lois de l’Assemblée Nationale.

Enfin, la convention prévoit en son article 30 § 2 une indemnisation de ceux qui ont subi des atteintes graves à l’intégrité corporelle ou à la santé, lorsque le préjudice n’est pas couvert par d’autres sources, notamment par l’auteur de l’infraction, par les assurances ou par les services sociaux et médicaux financés par l’État. La législation française prévoit déjà de telles indemnisations, notamment en son article 706-3 du code de procédure pénale, mais cette indemnisation n’est pas octroyée aux personnes étrangères qui ne sont pas en situation régulière. En effet l’article 706-3 3° dudit code impose une condition en son sixième alinéa en l’espèce que « la personne lésée soit :

 - soit ressortissante d'un Etat membre de la Communauté économique européenne ;

- soit, sous réserve des traités et accords internationaux, en séjour régulier au jour des faits ou de la demande » sont supprimés. »

Il conviendra donc de supprimer cette condition relative à l’obligation d’être en séjour régulier pour obtenir une indemnisation d’infractions graves conformément à l’obligation résultant de l’article 30 de ladite convention qui ne limite pas cette indemnisation aux personnes en séjour régulier au jour des faits ou de la demande.

Outre ces adaptations indispensables, il semble utile d’envisager une précision relative aux agressions sexuelles. En effet la convention impose en son article 36 § 1 c) d’incriminer « le fait de contraindre autrui à se livrer à des actes à caractère sexuel non consentis avec un tiers ». Dans la plupart des cas, le tiers est informé de la contrainte et il peut être poursuivi comme coauteur d’agression sexuelle. Toutefois, dans quelques cas rares, il peut ne pas être informé que la personne se livre à des activités sexuelles avec lui sous la contrainte. Dans ce cas, il sera difficile d’établir la complicité d’agression sexuelle voire la complicité de viol pour l’auteur de la contrainte. Il n’est pas douteux que les faits commis par la personne qui exerce cette contrainte relèveront de l’incrimination des violences physiques ou psychologiques, ou de l’incrimination de menaces, mais cette incrimination n’est pas parfaitement satisfaisante. Afin d’éviter la création d’un incrimination spécifique d’usage de la violence, la menace, la contrainte ou de la surprise pour contraindre une personne « à se livrer à des activités sexuelles avec un tiers » en réintroduisant toutes les aggravations prévues par le code pénal, il serait approprié de préciser dans l’article relatif aux agressions sexuelles que cette infraction est constituée même si la violence, la contrainte, la menace ou la surprise émane d’une personne autre que celle qui accomplit l’atteinte sexuelle.

L’article 7 du « Projet de loi portant diverses dispositions en matière pénale et de procédure pénale en application des instruments de l’Union européenne, du Conseil de l’Europe et de l’organisation des Nations Unies » dit DDAI introduit plusieurs modifications permettant d’adapter le droit pénal français à la Convention. Ce projet de loi a été soumis au Conseil des ministres du 20 février 2013 et est actuellement en cours d’examen par l’Assemblée Nationale.

Par ailleurs, la législation française n’est pas conforme sur deux autres points pour lesquels il a été décidé de faire deux réserves comme l’autorise l’article 78 de la convention ;

- La première relativement à la compétence extraterritoriale des juridictions françaises ;

- La seconde relativement au report du point de point de départ de la prescription pour certaines infractions.

Ces réserves sont les suivantes :

Ø Première réserve relative à la compétence extra-territoriale

« Conformément à l'article 78§2, la France déclare qu'elle appliquera les stipulations de l'article 44§1e) et 3) et 4) dans des cas ou des conditions spécifiques ».

Notre droit interne n’est pas en conformité totale avec les dispositions susvisées de l’article 44. En effet, le code pénal ne donne pas compétence aux juridictions françaises en ce qui concerne les infractions commises à l’étranger, par des non-ressortissants, au préjudice de personnes étrangères. Par ailleurs, en ce qui concerne les délits, il ressort des articles 113-6 et 113-8 du code pénal que la compétence des juridictions françaises est subordonnée à une double condition :

- les faits doivent être incriminés par la loi locale ;

- les poursuites, qui ne peuvent être exercées qu’à la requête du ministère public, doivent être précédées d’une plainte de la victime ou de ses ayants droits, ou d’une dénonciation officielle par l’autorité du pays où les faits ont été commis.

Toutefois, il est à souligner que certains délits en matière de mœurs à l’égard de mineurs, entrant dans le champ d’application de la Convention, ne sont pas soumis au principe de double incrimination. Il s’agit des délits d’agressions sexuelles contre un mineur (article 222-22 du code pénal), de proxénétisme de mineur (article 225-11-2 du code pénal), de recours à la prostitution d’un mineur (article 225-12-3 du code pénal), d’atteintes sexuelles et de corruption de mineur (article 227-27-1 du code pénal). Pour les autres délits (par exemple, les faits de violences ou de harcèlement sexuel), il est nécessaire de faire usage de la réserve ouverte par la Convention, afin de ne pas remettre en cause les critères fondamentaux de compétence extraterritoriale du code pénal..

Ø Deuxième réserve relative au point de départ du délai de prescription

« Conformément à l'article 78§2, la France déclare qu'elle appliquera les stipulations de l'article 58 pour les infractions prévues aux articles 37, 38 et 39 dans tous les cas où ces infractions sont qualifiées de crimes par la loi française et dans des cas ou conditions spécifiques lorsque ces infractions sont qualifiés de délits par la loi française ».

L’article 58 prévoit un report du point de départ du délai de prescription à la majorité de la victime pour les infractions de violences sexuelles, de mariage forcé, de mutilations génitales et d’avortement et stérilisation forcées. Par la réserve, il s’agit de limiter l’application du report du délai de prescription aux seuls crimes, pour lesquels la législation française prévoit un tel report en application des articles 7 alinéa 3 et 706-47 alinéa 1 du code de procédure pénale. S’agissant des délits, la majorité de ceux couverts par les articles 36 à 39 de la Convention bénéficient également d’un tel report du délai de prescription, en application de l’article 8 du code de procédure pénale (ainsi, les faits d’agressions sexuelles). Toutefois, l’extension de cette dérogation à tous les délits, tels les faits de violences volontaires sur mineur avec ITT≤ 8 jours, ne paraît pas opportune, compte tenu des difficultés matérielles qui surgiraient (dépérissement des preuves, …). En outre, en ce qui concerne plus particulièrement :

- l’interruption volontaire de grossesse commis sans le consentement de l’intéressée (article 39 a) de la Convention, incriminé par l’article 223-10 du code pénal) : outre le caractère très peu probable d’une telle interruption volontaire de grossesse sur de très jeunes mineures, la stipulation de la convention précisant que la législation doit prévoir que la prescription continue de courir « pour une durée suffisante et proportionnelle à la gravité de l’infraction » permet de considérer qu’il n’est pas nécessaire de modifier l’article 8 du code de procédure pénale pour l’étendre à cette hypothèse.

- les mariages forcés (article 37 de la Convention) : dans la mesure où, conformément aux articles 144 et 145 du code civil, un mineur ne peut se marier, sauf dispense accordée par le Procureur pour motifs graves, il ne paraît pas davantage opportun de prévoir un report du point de départ du délai de prescription à l’âge de la majorité.

Protection des données

La convention prévoit à l’article 65 que :

« Les données personnelles sont conservées et utilisées conformément aux obligations contractées par les parties à la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisée des données à caractère personnel (STE n° 108). ».

Seuls trois Etats membres du Conseil de l’Europe sur 44 Etats n’ont pas ratifié la Convention pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (STE n° 108) : il s’agit de la Russie, de Saint-Marin et de la Turquie.

- Conséquences administratives

La Convention prévoit aux articles 10 et 11 un organe de de coordination et la collecte des données utiles. La création de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains, par le décret n°2013-7 du 3 janvier 2013, y fait écho.

Cette mission est en particulier chargée de rassembler, analyser et diffuser les informations et données relatives aux violences faites aux femmes. En lien avec les organismes de recherche et les administrations compétentes de l'Etat, elle contribue à la réalisation d'études et de travaux de recherche et d'évaluation dans le domaine de la protection des femmes victimes de violences. Elle a également pour mission de favoriser l'animation locale de la politique de protection des femmes victimes de violences. Elle recense à ce titre les innovations et bonnes pratiques en matière de protection des femmes victimes de violence et adresse toutes recommandations utiles aux préfets et aux directeurs généraux des agences régionales de santé. Elle définit également, en lien avec les ministères et les acteurs concernés, le cahier des charges du plan de sensibilisation et de formation des professionnels sur les violences faites aux femmes.Le comité d’orientation de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains associe experts, universitaires et responsables associatifs. Il joint ses travaux à ceux de la commission « Violences de genre » du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, créé par le décret n°2013-8 du 3 janvier 2013

III. - Historique des négociations

La sauvegarde et la protection des droits de l’Homme sont l'une des préoccupations majeures du Conseil de l'Europe. La violence à l'égard des femmes, y compris la violence domestique, compromet les valeurs fondamentales sur lesquelles repose le Conseil de l'Europe. Depuis les années 1990, le Conseil de l'Europe, en particulier son Comité directeur pour l'égalité entre les femmes et les hommes (CDEG), a lancé une série d'initiatives pour promouvoir la protection des femmes contre la violence.

Lors du Sommet de Varsovie (16-17 mai 2005) les Chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres du Conseil de l’Europe ont réaffirmé leur engagement à éradiquer la violence à l’égard des femmes, y compris la violence domestique, et définir dans leur Plan d’action les activités futures du Conseil de l’Europe dans ce domaine.

Le 10 décembre 2008, les Délégués des Ministres du Conseil de l'Europe ont adopté, lors de leur 1044ème réunion, le mandat du Comité ad hoc pour prévenir et combattre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (CAHVIO) pour élaborer un ou plusieurs instruments juridiques contraignants. Le CAHVIO a entamé en décembre 2009 les négociations concernant la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique. Le CAHVIO a tenu six réunions, en décembre 2009, et en février, juin/juillet, septembre, novembre et décembre 2010 pour parachever le texte.

Ces réunions ont permis de déterminer le champ d'application de la future convention. Les débats ont reflété une opposition entre partisans d’une convention centrée sur la lutte contre les violences faites aux femmes, partant du constat que les femmes en raison de leur sexe faisaient l'objet de discriminations spécifiques et sont affectées de façon disproportionnée par des actes de violence commis par des hommes, et les tenants d'une approche fondée sur la diversité, tendant a fondre les discriminations en raison du sexe avec les autres motifs de discriminations ou de vulnérabilité. Au terme des débats, une majorité des délégations s'est prononcée pour un instrument juridique contraignant, couvrant les violences faites aux femmes, dans la sphère domestique et dans la sphère publique et n’excluant pas les autres formes de violence domestique. Les délégations se sont également très majoritairement prononcées pour une convention couvrant les ''3 p'' : prévention des phénomènes de violence, protection des victimes, poursuite des auteurs.

Le texte du projet de convention a été approuvé par le CAHVIO au cours de sa réunion de décembre 2010 et adopté sans vote par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 7 avril 2011.

IV. - Etat des signatures et ratifications

La Convention a été ouverte à signature le 11 mai 2011.

Au 5 décembre 2012, 24 Etats ont signé la Convention pour une ratification (la Turquie le 14 mars 2012).

Elle a été signée par la France le 11 mai 2011.

Pour entrer en vigueur, la Convention doit être ratifiée par 10 Etats dont 8 Etats membres du Conseil de l’Europe.

V. - Déclarations ou réserves

Première réserve :

« Conformément à l'article 78§2, la France déclare qu'elle appliquera les stipulations de l'article 44§1e) et 3) et 4) dans des cas ou des conditions spécifiques ».

Seconde réserve :

« Conformément à l'article 78§2, la France déclare qu'elle appliquera les stipulations de l'article 58 pour les infractions prévues aux articles 37, 38 et 39 dans tous les cas où ces infractions sont qualifiées de crimes par la loi française et dans des cas ou conditions spécifiques lorsque ces infractions sont qualifiés de délits par la loi française ».

1 Ces articles stipulent : Article 39 : Avortement et stérilisation forcés « Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour ériger en infractions pénales, lorsqu’ils sont commis intentionnellement :

a) le fait de pratiquer un avortement chez une femme sans son accord préalable et éclairé;(…) ».

Article 41§2 : « Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour ériger en infractions pénales, lorsqu’elles sont commises intentionnellement, les tentatives de commission des infractions établies conformément aux articles 35, 36, 37, 38.a et 39 de la présente Convention ».

2 L’article 37 §2 stipule : « Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour ériger en infraction pénale le fait, lorsqu’il est commis intentionnellement, de tromper un adulte ou un enfant afin de l’emmener sur le territoire d’une Partie ou d’un État autre que celui où il réside avec l’intention de le forcer à contracter un mariage ».

3 L’article 38 – Mutilations génitales féminines « Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour ériger en infractions pénales, lorsqu’ils sont commis intentionnellement :

a l’excision, l’infibulation ou toute autre mutilation de la totalité ou partie des labia majora, labia minora ou clitoris d’une femme;

b le fait de contraindre une femme à subir tout acte énuméré au point a ou de lui fournir les moyens à cette fin ;

c le fait d’inciter ou de contraindre une fille à subir tout acte énuméré au point a ou de lui fournir les moyens à cette fin; »

4 L’article 56 §1stipule – Mesures de protection : « 1. Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour protéger les droits et les intérêts des victimes, y compris leurs besoins spécifiques en tant que témoins, à tous les stades des enquêtes et des procédures judiciaires, en particulier : (…/…)

b en veillant à ce que les victimes soient informées, au moins dans les cas où les victimes et la famille pourraient être en danger, lorsque l’auteur de l’infraction s’évade ou est libéré temporairement ou définitivement; »

5 L’article 144-2 du code de procédure pénale dispose : « Lorsqu'une mise en liberté est ordonnée en raison des dispositions des articles 143-1, 144, 144-1, 145-2, 145-3 ou 706-24-3, mais qu'elle est susceptible de faire courir un risque à la victime, la juridiction place la personne mise en examen sous contrôle judiciaire en la soumettant à l'interdiction de recevoir ou rencontrer la victime ou d'entrer en relation de quelque façon que ce soit avec elle en application des dispositions du 9° de l'article 138. Cette dernière en est avisée conformément aux dispositions de l'article 138-1. »

6 L’article 712-16-2 du code de procédure pénale dispose «  1 : S'il existe un risque que le condamné puisse se trouver en présence de la victime ou de la partie civile et qu'au regard de la nature des faits ou de la personnalité de l'intéressé il apparaît qu'une telle rencontre paraît devoir être évitée, les juridictions de l'application des peines assortissent toute décision entraînant la cessation temporaire ou définitive de l'incarcération d'une interdiction d'entrer en relation avec la victime ou la partie civile et, le cas échéant, de paraître à proximité de son domicile et de son lieu de travail.

…/…. 3 : La juridiction adresse à la victime un avis l'informant de cette interdiction ; si la victime est partie civile, cet avis est également adressé à son avocat. Cet avis précise les conséquences susceptibles de résulter pour le condamné du non-respect de cette interdiction.


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