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PROJET DE LOI ORGANIQUE

relatif au renforcement des obligations déontologiques

des magistrats de l’ordre judiciaire

NOR : JUSX1317682L/Bleue-1

ETUDE D’IMPACT

22 juillet 2013

SOMMAIRE

1. ETAT DES LIEUX ET DIAGNOSTIC 3

1.1. Le cadre juridique actuel 3

1.1.1. Au niveau national : des règles statutaires et procédurales nombreuses 3

1.1.2. Aux niveaux européen et international : des exigences d’impartialité renforcées 14

1.2. Le caractère incomplet des dispositifs statutaires existants pour prévenir, dans certains cas, les conflits d’intérêts 15

2. OBJECTIFS 16

3. DISPOSITIF JURIDIQUE PROPOSE 16

3.1. La nécessité d’une modification de l’ordonnance statutaire 16

3.2. Les évolutions juridiques proposées 16

3.2.1. Instaurer une obligation générale de veiller à prévenir et régler immédiatement les éventuels conflits d’intérêts et inscrire une définition du conflit d’intérêts dans l’ordonnance statutaire 17

3.2.2. Instaurer des mécanismes de prévention des conflits d’intérêts et de transparence 17

4. LES EFFETS ATTENDUS DE LA RÉFORME ORGANIQUE 20

4.1. Impact important sur la confiance des citoyens dans l’institution judiciaire 20

4.2. Impact en termes de prévention des conflits d’intérêts 20

4.3. Impact limité sur la dépense publique 20

5. CONSULTATIONS ET MODALITÉS D’APPLICATION DE LA LOI ORGANIQUE 20

5.1. Consultations menées 20

5.2. Textes d’application et mesures spécifiques d’entrée en vigueur 21

INTRODUCTION

Conformément aux dispositions de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 en application de l’article 39 de la Constitution, la présente étude d’impact accompagne le projet de loi organique relatif au renforcement des obligations déontologiques des magistrats de l’ordre judiciaire.

Ce projet de loi organique modifie l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.

Dans ce cadre, la présente étude d’impact :

- présente l’état actuel du droit et les dispositifs statutaires de prévention des conflits d’intérêts existants,

- décrit les objectifs poursuivis par le projet de loi organique,

- indique les modalités à mettre en place pour les atteindre,

- évalue les impacts des mesures proposées,

- précise les consultations qui ont été menées et les modalités d’application des dispositions envisagées.

L’objet des mesures envisagées n’appelle pas à l’évidence de développements particuliers sur les conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ni sur les coûts et bénéfices financiers attendus.

De même, il n’y a pas lieu de s’interroger sur l’application en territoire ultra-marin ou sur l’articulation avec le droit communautaire, qui n’a pas vocation à s’appliquer dans le champ de l’organisation constitutionnelle des institutions des Etats membres.

1. ETAT DES LIEUX ET DIAGNOSTIC

1.1. Le cadre juridique actuel

1.1.1. Au niveau national : des règles statutaires et procédurales nombreuses

A/ Un statut particulier relevant de la compétence du législateur organique

Aux termes du troisième alinéa de l’article 64 de la Constitution du 4 octobre 1958, « une loi organique porte statut des magistrats ». Cette loi organique doit respecter les principes statutaires posés expressément par les articles 64 et 65 de la Constitution, qui prévoient le principe d’indépendance de l’autorité judiciaire et son corollaire, le principe d’inamovibilité des magistrats du siège, ainsi que les conditions d’intervention du Conseil supérieur de la magistrature dans le cadre des nominations et de la discipline des magistrats.

Ainsi que le rappelle le Conseil constitutionnel dans un considérant de principe (cf. par ex. : décision n° 2001-445 DC du 19 juin 2001, cons. 3), « En spécifiant que ressortit au domaine d’intervention d’une loi ayant le caractère de loi organique une matière que l’article 34 range par ailleurs au nombre de celles relevant de la compétence du législateur, le Constituant a entendu accroître les garanties d’ordre statutaire accordées aux magistrats ».

Pour assurer l’indépendance de la justice, les magistrats de l’ordre judiciaire sont les seuls agents de l’Etat dont le statut est fixé par une loi organique, ce qui apporte comme garantie essentielle que toute modification de ce statut est nécessairement examinée par le Conseil constitutionnel, en application de l’article 61 de la Constitution.

En conséquence, les règles statutaires intéressant les magistrats sont définies par l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.

L’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 précitée définit ainsi, notamment :

-l’organisation du corps judiciaire, caractérisée par son unité nonobstant l’appartenance au parquet ou au siège, ainsi que les droits et les devoirs de ses membres (chapitre I) ;

- les conditions de recrutement des magistrats, que ce soit par la voie de l’Ecole nationale de la magistrature ou par l’intégration directe (chapitre II) ;

- les procédures de nomination, qui se caractérisent par l’intervention du Conseil supérieur de la magistrature et par des règles de nature à garantir l’indépendance de l’ensemble des magistrats et l’inamovibilité de ceux du siège (chapitre III pour les magistrats des premier et second grades, chapitre V pour les magistrats hors hiérarchie) ;

- les conditions du recrutement de juges pour une durée limitée et ayant vocation à n’exercer qu’une part limitée des attributions juridictionnelles (chapitre V quater pour les magistrats à titre temporaire et chapitre V quinquies pour les juges de proximité) ;

- les conditions du détachement judiciaire (chapitre V ter) ;

-les règles disciplinaires, caractérisées par un rôle du Conseil supérieur de la magistrature distinct pour les magistrats du siège et ceux du parquet (chapitre VII) ;

- les règles régissant les positions administratives (chapitre VIII) ;

- les règles régissant la cessation de fonctions (chapitre IX).

Ainsi que le précise également le Conseil constitutionnel, « la loi organique portant statut des magistrats doit […] déterminer elle-même les règles statutaires applicables aux magistrats, sous la seule réserve de la faculté de renvoyer au pouvoir réglementaire la fixation de certaines mesures d’application des règles qu’elle a posées » (Décision n° 2001-445 DC précitée, cons. 3).

En application de ce principe, un certain nombre de dispositions statutaires sont énoncées dans le décret n° 93-21 du 7 janvier 1993 pris pour l’application de l’ordonnance du 22 décembre 1958.

D’autres textes réglementaires posent diverses règles statutaires relatives notamment à la rémunération des magistrats.

L’articulation du statut des magistrats avec le statut général des fonctionnaires

Aux termes de l’article 68 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 précitée, « les dispositions du statut général des fonctionnaires concernant les positions ci-dessus énumérées s’appliquent aux magistrats dans la mesure où elles ne sont pas contraires aux règles statutaires du corps judiciaire et sous réserve des dérogations ci-après ».

En application de ce principe, certaines règles définies par la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat et par ses décrets d’application s’appliquent aux magistrats en position d’activité (congés de toutes natures ou mis à disposition), en détachement, en disponibilité ou en congé parental.

En revanche, les dispositions du statut général des fonctionnaires relatives à la déontologie ou aux conflits d’intérêts et notamment la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires que le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires modifie, ne s’appliquent pas aux magistrats.

B/ Les règles existantes pour garantir les conflits d’intérêts dans l’ordre judiciaire

Les obligations déontologiques des magistrats

L’indépendance de l’autorité judiciaire est un droit constitutionnel prévu par l’article 64 de la Constitution, qui ainsi que le rappelle le Conseil supérieur dans son recueil des obligations déontologiques (rapport d’activité 2009) est « un droit reconnu aux citoyens comme aux justiciables, qui garantit l’égalité de tous devant la loi par l’accès à une magistrature impartiale ».

Cette indépendance qui fait obligation aux magistrats de se mettre à l’abri de toute forme de dépendance dans l’exercice de leurs activités professionnelles est le gage de leur impartialité, droit garanti aux justiciables par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

L’inamovibilité, qui découle de l’indépendance, est elle-même garantie par l’article 64 de la Constitution et par l’article 4 du statut de la magistrature.

Les autres obligations déontologiques sont énoncées dans l’ordonnance statutaire. Les magistrats prêtent le serment suivant : « Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. » (article 6).

De cette obligation de dignité et du devoir des magistrats de se comporter honorablement découle l’exigence de probité attendue de tout magistrat dans son exercice professionnel.

L’article 10 du statut rappelle en outre la réserve à laquelle les magistrats sont astreints et l’article 79 précise qu’elle s’impose encore à eux en leur qualité de magistrats honoraires.

Enfin, la faute disciplinaire est définie comme « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité »(article 43).

Un régime d’incompatibilités fixé par l’ordonnance statutaire

Afin de garantir l’indépendance, et par là-même l’impartialité des magistrats, un certain nombre de règles d’incompatibilités sont posées par l’ordonnance statutaire. Ces règles visent essentiellement à éviter que les magistrats se trouvent dans des situations de conflits d’intérêts qui risqueraient de compromettre leur liberté de jugement.

- L’encadrement de l’exercice concomitant des fonctions de magistrat avec une autre activité

En principe, l’exercice des fonctions de magistrat est incompatible avec l’exercice de toutes fonctions publiques et de toute autre activité professionnelle ou salariée.

Cette règle, prévue à l’article 8 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 précitée, concerne seulement les magistrats de carrière ; elle ne s’applique pas aux magistrats recrutés à titre temporaire et exerçant leurs fonctions à temps partiel.

Des dérogations individuelles peuvent toutefois être accordées, par décision des chefs de cour, pour donner des enseignements ressortissant à leur compétence ou pour exercer des fonctions ou activités qui ne seraient pas de nature à porter atteinte à la dignité du magistrat et à son indépendance, à l’exception des activités d’arbitrage, sous réserve des cas prévus par les dispositions législatives en vigueur.

Les magistrats peuvent en revanche, sans autorisation préalable, se livrer à des travaux scientifiques, littéraires ou artistiques.

Par ailleurs, les magistrats en activité ne peuvent pas exercer dans le même temps un certain nombre de mandats électoraux (mandat parlementaire, mandat de conseiller régional, général, municipal notamment, article 9 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 précitée), ni occuper un emploi au service des collectivités d’outre-mer lorsqu’ils ont exercé leurs fonctions sur le territoire de la collectivité intéressée depuis moins de deux ans (article 9-1-1 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, introduit par la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française et étendu par la loi organique du 21 février 2007 aux collectivités d’outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon et à leurs établissements publics).

En outre, lorsque le magistrat est marié avec un député ou un sénateur, il ne peut exercer ou rester en fonctions dans une juridiction dans le ressort de laquelle se trouve tout ou partie du département concerné (article 9 de l’ordonnance du 22 décembre 1958).

- La limitation de l’exercice d’activités par un magistrat qui n’exerce pas ou plus ses fonctions (disponibilité ou cessation définitive des fonctions)

L’article 9-2 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 précitée, créé par la loi organique n° 94-101 du 5 février 1994, impose au magistrat en disponibilité ou qui demande à l’être, lorsqu’il se propose d’exercer une activité privée, d’en informer préalablement le garde des sceaux, ministre de la justice. La même obligation s’applique pendant cinq ans au magistrat ayant définitivement cessé ses fonctions. Il est expressément prévu qu’en cas de non-respect de ses stipulations, le magistrat peut faire l’objet du retrait de son honorariat et, le cas échéant, de retenues sur pension.

Le garde des sceaux, ministre de la justice, peut s’opposer à l’exercice de cette activité lorsqu’il estime qu’elle est contraire à l’honneur ou à la probité, ou que, par sa nature ou ses conditions d’exercice, cette activité compromettrait le fonctionnement normal de la justice ou porterait le discrédit sur les fonctions de magistrat.

La loi organique n° 2007-287 du 5 mars 2007 précitée a introduit un article 20-1 dans la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature et a complété l’article 72 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 afin d’octroyer au Conseil supérieur de la magistrature un pouvoir d’avis en matière de demande de mise en position de détachement ou de disponibilité « émise par un magistrat pour exercer une activité libérale ou une activité lucrative, salariée ou non, dans une entreprise ou un organisme privé ». Cet avis porte notamment sur « la compatibilité des fonctions envisagées par le magistrat avec les fonctions qu’il a occupées au cours des trois dernières années ».

Cette disposition introduite par le Sénat a pour objectif de confier au Conseil supérieur de la magistrature un contrôle sur le départ des magistrats demandant à être placés en disponibilité ou en détachement, aux fins d’exercer une activité dans le secteur privé ou le secteur public concurrentiel. En effet ainsi que le soulignait le rapporteur M. Hyest « il ne serait pas souhaitable, par exemple, qu’un magistrat soit placés en disponibilité auprès d’une entreprise vis-à-vis de laquelle il a été en situation, à raison de ses fonctions antérieures, soit de la surveiller ou de la contrôler, soit de passer ou donner son avis sur des marchés ou contrats passés avec cette entreprise ».

Par la suite, le décret n° 2008-818 du 21 août 2008 a adapté les dispositions du décret n° 93-21 du 7 janvier 1993 précité afin de tenir compte de ce pouvoir d’avis.

L’article 36 de ce texte a été modifié en conséquence ; il concerne désormais seulement « le magistrat ayant définitivement cessé ses fonctions depuis moins de cinq ans ou le magistrat en disponibilité » ; l’article 36-1, créé à cette occasion, s’applique, lui, au « magistrat qui demande à être placé en position de détachement ou de disponibilité ».

Dans les deux cas, les formalités à respecter sont identiques ; seul le délai dans lequel les pièces doivent être produites diffère (l’article 36 prévoit un délai de deux mois et l’article 36-1, un délai de quatre mois pour tenir compte de l’intervention du Conseil supérieur de la magistrature). Ainsi, les magistrats doivent faire parvenir au garde des sceaux une déclaration qui doit comporter mention du nom de l’employeur éventuel, de la nature de l’activité, des fonctions qui seront exercées ainsi que le lieu de leur exercice et qui doit être accompagnée des pièces justificatives nécessaires.

- Le cas particulier des professions juridiques

Conformément aux dispositions de l’article 9-1 de l’ordonnance statutaire, les magistrats et anciens magistrats ne peuvent exercer la profession d’avocat, d’avoué, de notaire, d’huissier de justice, de greffier de tribunal de commerce, d’administrateur judiciaire ou de mandataire-liquidateur ou travailler au service d’un membre de ces professions dans le ressort d’une juridiction où ils ont exercé leurs fonctions depuis moins de cinq ans, dispositions qui ne s’appliquent pas aux magistrats de la Cour de cassation. L’article 32 ajoute que nul ne peut être nommé dans le ressort d’un tribunal de grande instance ou d’un tribunal de première instance où il aura exercé depuis moins de cinq ans l’une de ces professions.

- Des incompatibilités électorales restrictives

L’article 9, alinéa 4, de l’ordonnance statutaire prévoit un délai de cinq ans pendant lequel un magistrat qui a exercé une fonction publique élective visée à cet article (notamment un mandat au Parlement, au Parlement européen et au Conseil économique et social) ne peut pas être nommé magistrat ni le demeurer dans une juridiction située dans le ressort où cette fonction élective a été exercée. Un délai de trois ans est également prévu lorsque le magistrat a fait acte de candidature à l’un de ces mandats, à l’exception de celui de représentant au Parlement européen.

Des règles procédurales pour garantir l’impartialité du juge

Le principe est que le juge qui estime ne pas être en mesure de se prononcer en toute impartialité doit s’abstenir (article L111-7 du code de l’organisation judiciaire, articles 339 et 340 du code de procédure civile). 

L’impartialité du juge peut également être remise en cause par les parties à un procès, par les procédures de récusation et de renvoi, notamment pour suspicion légitime.

Dans le souci notamment d’éviter que la demande de récusation ne devienne un moyen dilatoire voire un outil de déstabilisation de la juridiction, les causes possibles de récusation sont déterminés limitativement par la loi (article L.111-6 du code de l’organisation judiciaire, articles 342 à 355 du code de procédure civile et articles 668 et 669 du code de procédure pénale). Toutefois, la Cour de cassation a jugé à plusieurs reprises, au visa de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, que cette liste de cas « n’épuise pas nécessairement l’exigence d’impartialité requise de toute juridiction ».

Les hypothèses de renvoi sont prévues par l’article L111-8 du code de l’organisation judiciaire, tant en matière civile (cas de suspicion légitime, de sûreté publique ou s'il existe des causes de récusation contre plusieurs juges), qu’en matière pénale. Le renvoi pour cause de suspicion légitime, régi par les articles 356 à 364 du code de procédure civile et par l’article 662 du code de procédure pénale, vise la juridiction dans son entier. Les articles 43 (faits mettant en cause, comme auteur ou comme victime, un magistrat, un avocat, un officier public ou ministériel, un militaire de la gendarmerie nationale, un fonctionnaire de la police nationale, des douanes ou de l'administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public qui est habituellement, de par ses fonctions ou sa mission, en relation avec les magistrats ou fonctionnaires de la juridiction) et 665 (renvoi dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice) du code de procédure pénale permettent le « dépaysement » d’un dossier notamment lorsque l’une des parties peut être suspectée de conflits d’intérêts ou d’abus de pouvoirs.

Dans son avis du 11 mars 2004, le Conseil supérieur de la magistrature a relevé une tendance à l’augmentation du nombre de demandes de récusation et de renvoi pour cause de suspicion légitime.

A côté de ces procédures de renvoi et de récusation, des interdictions sont également édictées. Ainsi, l’article L111-9 du code de l’organisation judiciaire interdit au juge qui a connu d’une affaire en premier ressort ou en dernier ressort de faire partie de la formation de jugement du second degré ou de la Cour de cassation.

Les articles L111-10 et L111-11 de ce même code énonce que les conjoints, les partenaires liés par un pacte civil de solidarité, les parents et alliés jusqu’au troisième degré inclus, ne peuvent, sauf dispense, être simultanément membres d’un même tribunal ou d’une même cour en quelque qualité que ce soit et il leur est en tout état de cause interdit de siéger dans la même cause s’il est fait droit à leur demande de dispense.

Des contrôles et des sanctions rigoureux des situations de conflits d’intérêts

- Des contrôles réalisés par la chancellerie et le Conseil supérieur de la magistrature en matière de demande de mise en position de détachement ou de disponibilité

Ainsi qu’il a été évoqué précédemment, le contrôle qui peut être réalisé par la Chancellerie s’exerce principalement en matière de demande de mise en position de détachement ou de disponibilité. Le Conseil supérieur de la magistrature contrôle celles qui sont « émises par un magistrat pour exercer une activité libérale ou une activité lucrative, salariée ou non, dans une entreprise ou un organisme privé » au regard de leur compatibilité avec les fonctions occupées au cours des trois dernières années.

La grande majorité des magistrats exerçant une activité sur des fonctions non juridictionnelles le font dans le cadre de la disponibilité pour convenances personnelles, c’est-à-dire sur le fondement de l’article 44b) du décret n° 85-986 du 16 septembre 1985.

Six magistrats exercent des fonctions dans le cadre d’un autre fondement juridique qui est le suivi de conjoint (art 47-2 du même décret). 36 magistrats occupent une activité dans le cadre d’une disponibilité sur un total de 72 magistrats en disponibilité (tout fondement juridique confondu).

Des enquêtes peuvent être préalablement diligentées par la chancellerie, en fonction notamment de la nature des activités envisagées et de l’organisme d’accueil.

S’agissant des postes proposés dans des entreprises dont le magistrat aurait pu avoir à connaître la situation dans le cadre de ses fonctions juridictionnelles, le plus souvent le magistrat atteste sur l’honneur ne pas avoir eu à traiter d’affaires ayant trait à l’établissement qui lui propose un contrat de travail. Des précisions sur le périmètre d’activité peuvent être demandées et/ou apportées par l’organisme d’accueil. Un courrier du chef de cour peut accompagner cette attestation. Une enquête peut être en sus réalisée par la chancellerie dans certains cas qui peuvent a priori apparaître comme problématiques. A ce jour, aucune des enquêtes diligentées n’a conduit à émettre des réserves sur le principe de mobilité envisagée.

Le Conseil supérieur de la magistrature exerce le droit de regard qui lui est confié par l’ordonnance statutaire. A ce jour, il a émis deux avis négatifs et a formulé des réserves sur la demande d’une magistrate, alors en disponibilité à l’Autorité des marchés financiers, souhaitant devenir avocate. Ces réserves portaient sur le fait de s’abstenir de traiter de certaines affaires dont elle aurait pu avoir à s’occuper dans le cadre de son détachement.

- Des obligations déontologiques précises

L’élaboration du recueil des obligations déontologiques par le Conseil supérieur de la magistrature en 2010 a contribué à fixer aux magistrats des règles de conduite afin de garantir leur indépendance et leur impartialité.

Le Conseil rappelle ainsi aux magistrats que les activités extrajudiciaires susceptibles de provoquer des conflits d’intérêts sont à proscrire et qu’il convient d’observer une « réserve rigoureuse » afin d’éviter que leur impartialité ne puisse être mise en cause en raison de tels conflits. Les décisions et avis rendus par le Conseil en la matière définissent le cadre s’imposant aux magistrats et les sanctions prononcées témoignent de l’importance que revêt l’exigence d’impartialité dans l’exercice des fonctions judiciaires.

- Des décisions disciplinaires particulièrement strictes

Les nombreuses décisions et avis rendus par le Conseil en la matière définissent le cadre s’imposant aux magistrats et les sanctions prononcées témoignent de l’importance que revêt l’exigence d’impartialité dans l’exercice des fonctions judiciaires.

Ainsi, la sanction des situations de conflits d'intérêts s’effectue sur le fondement du manquement au devoir d'impartialité.

Aux termes de l'article 43 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, la faute disciplinaire est définie comme

«  tout manquement par un magistrat au devoir de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou la dignité ».

Le Conseil supérieur de la magistrature fait figurer l’impartialité parmi les devoirs de l’état de magistrat et sanctionne sur ce fondement les agissements des magistrats qui se trouvent pris dans des conflits d’intérêts. Ainsi, le Conseil a-t-il considéré qu’un magistrat, ayant participé "à un réseau d'influence" constitué pour protéger le développement des affaires d'une de ses relations, avait "favorisé aux yeux du public une suspicion de compromission dans l’exercice de la justice, donnant ainsi de l’institution judiciaire une image dégradée de nature à affaiblir la confiance des justiciables dans l’impartialité qu’ils sont en droit d’exiger de leurs juges" (CSM, Siège, 24 juillet 2000).

L’instance disciplinaire se montre particulièrement stricte dans le contrôle du respect de l’obligation d’impartialité des magistrats, dont elle adopte une conception objective, proche de celle définie par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, en se référant à la notion d’apparence. De plus, le comportement fautif est non seulement apprécié de manière intrinsèque, mais est aussi restitué dans la perspective plus générale de la place de l’institution judiciaire, de sa crédibilité et du respect de son autorité.

Dès lors, au nom du principe d’égalité entre les citoyens et de la confiance légitime que doit inspirer l’institution judiciaire, le magistrat se doit de faire preuve d’une « réserve rigoureuse et éviter tout comportement de nature à entraîner le risque que son impartialité soit mise en doute » (CSM, Siège, 20 juillet 1994). Cette obligation pèse tant sur les magistrats du siège, qui doivent se déporter dès lors qu’ils entretiennent ou ont entretenu des relations suivies avec l’une des parties au litige dont ils sont saisi, que sur les magistrats du parquet qui doivent « s’abstenir de toute intervention dans des procédures lorsque leur action s’analyse en une prise de position subjective, compte tenu de leurs liens avec une partie, ou même lorsque, objectivement, elle ne permet pas d’écarter un doute légitime sur leur attitude, et ne saurait passer pour neutre du point de vue des parties, même si les décisions prises peuvent ne pas être critiquables » (CSM, Parquet, 21 décembre 1994).

Le Conseil supérieur de la magistrature s’est prononcé à plus de vingt reprises en faveur de la sanction de magistrats ayant adopté un comportement incompatible avec le devoir d’impartialité. Il a sanctionné plus de quinze magistrats du siège à l’égard desquels il exerce directement le pouvoir disciplinaire, en application des dispositions de l’article 48 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 précitée. S’agissant des magistrats du parquet, les sanctions ont été prononcées par le garde des sceaux, suivant l’avis du Conseil.

- Les types de comportements sanctionnés

Les comportements que le Conseil supérieur de la magistrature a sanctionnés sur le fondement du manquement au devoir d’impartialité sont très variés.

. L’absence de déport ou l’intervention dans des affaires impliquant des proches ou des relations directes ou indirectes du magistrat 

 Le Conseil supérieur de la magistrature a statué à plusieurs reprises sur des situations de magistrats ne s’étant pas déportés dans des procédures judiciaires impliquant des proches, voire même de simples relations (CSM, Siège, 5 mai 2010 ; CSM, Siège, 20 juillet 1994 ; CSM, Parquet, 21 juillet 2009) ou étant intervenus ou s’étant saisis d’office de procédures où étaient parties des personnes avec lesquelles ils entretenaient des relations personnelles (CSM, Siège, 2 juillet 1992 ; CSM, Siège 9 juillet 1993). En effet, un magistrat exerçant au sein de la même juridiction depuis plusieurs années doit « veiller avec une rigueur particulière à demeurer étranger à tout ce qui [peut] concerner les intérêts de ses amis ou de ses relations devant ce tribunal » (CSM, Siège, 12 mars 1997). Cette obligation de déport s’impose quelle que soit l’importance des actes juridictionnels à accomplir (CSM, Siège, 12 mars 1997). De même, le Conseil supérieur de la magistrature n’exige pas que l’absence de déport ou l’intervention dans une procédure ait favorisé la situation de la personne ayant motivée l’intervention fautive (CSM, Parquet, 30 mai 1997).

. L’intervention dans des procédures judiciaires dans lesquelles le magistrat est personnellement impliqué

 Le devoir d’impartialité s’impose également au magistrat vis-à-vis de lui-même et lui interdit d’intervenir dans un litige dans lequel il est partie ou a un intérêt personnel. Ainsi, un magistrat ne peut prendre des actes dans des litiges relatifs à des sociétés commerciales dans lesquelles il a des participations (CSM, Parquet, 21 décembre 1994). 

. Les conseils juridiques dispensés ou les démarches effectuées en faveur de relations dans des affaires dont le magistrat est ou est susceptible d’être saisi

Par exemple, le CSM a jugé incompatible avec l’obligation d’impartialité le fait pour un magistrat d’accompagner chez un notaire l’un de ses amis acheteur éventuel d’un terrain, après l’avoir informé de la possibilité de cette transaction alors qu’il était saisi d’une procédure de résiliation de bail rural portant sur cette parcelle et que ne s’étant pas déporté par la suite, il a statué sur cette résiliation (CSM, Siège, 12 mars 1997) ou le fait de faire des recherches juridiques pour le compte d’un ami, producteur de films pornographiques, et de se renseigner auprès d’un officier de police au risque que ces démarches deviennent publiques, ce qui a été le cas puisqu’un article de presse en a fait état (CSM, Siège, 18 novembre 2010).

. La désignation par un magistrat dans le cadre des procédures dont il a la charge de proches ou de relations personnelles, en qualité d’expert, de mandataire, de consultant ou d’assesseur

Caractérise ainsi un manquement au devoir d’impartialité le fait de proposer sa compagne comme assesseur de la juridiction correctionnelle que le magistrat préside (CSM, Siège, 17 février 2010) ou le fait de confier à plusieurs reprises à son épouse le soin d’effectuer les enquêtes sociales dans des affaires dont il était saisi (CSM, Siège, 12 mars 1997) ou le fait de désigner à de nombreuses reprises son frère, inscrit sur la liste des experts, comme experts dans des procédures qu’il taxait lui-même (CSM, Siège, 18 novembre 2010) . 

- Les sanctions prononcées 

Tous les faits dont le Conseil supérieur de la magistrature a considéré qu’ils constituaient un manquement au devoir d’impartialité ont donné lieu à sanction. Les sanctions prononcées sont diverses, s’adaptant à la gravité des manquements constatés et à la personnalité du magistrat. Le CSM a recouru à l’ensemble des sanctions prévues par l’article 45 de l’ordonnance statuaire, qui vont du blâme avec inscription au dossier (cette sanction a remplacé la réprimande avec inscription au dossier à la suite de l’entrée en vigueur de la loi organique n° 2010-830 du 22 juillet 2010 relative à l’application de l’article 65 de la Constitution) à la révocation.

Ainsi, une réprimande avec inscription au dossier a pu être prononcée dans une situation particulière où il n’apparaissait pas que l’intervention du magistrat avait favorisé le sort de la personne de la personne avec laquelle il entretenait des relations personnelles et où il avait cessé ces relations litigieuses à la suite d’une admonestation de son supérieur hiérarchique (CSM, Parquet, 30 mai 1997). Au contraire, lorsque les interventions en faveur de proches sont répétées, et ont perduré en dépit des avertissements qui ont pu être donnés par l’autorité hiérarchique ou ont donné lieu à des contreparties, il est mis fin aux fonctions soit par le prononcé d’une mise à la retraite d’office, soit par la révocation.

Ainsi le CSM a émis l’avis de prononcer la sanction de révocation à l’encontre d’un magistrat du parquet qui entretenait des relations amicales durant de nombreuses années avec des personnes impliquées dans une vaste affaire de blanchiment, desquels il a accepté des présents et qui par ailleurs, est intervenu dans des affaires concernant ses amis (CSM Parquet, 5 décembre 2003). Egalement à l’encontre d’un autre magistrat du parquet pour être intervenu à plusieurs reprises et contre rémunération dans des procédures concernant des relations amicales, ainsi que pour avoir prodigués des conseils juridiques (CSM, Parquet, 21 juillet 2009).

Le CSM a aussi prononcé la sanction de mise à la retraite d’office à l’encontre de magistrats du siège entretenant des relations durables avec des individus impliqués dans des affaires qu’ils avaient à instruire ou à juger et leur avoir donné des conseils juridiques (CSM, Siège 24 juillet 2000, CSM, Siège, 29 octobre 2004).

Un arsenal répressif particulièrement sévère

Le droit pénal des « conflits d’intérêts » est caractérisé par le délit de prise illégale d’intérêts dans l’exercice des fonctions (article 432-12 du code pénal) et à l’issue des fonctions (article 432-13). S’agissant du délit de prise illégale d’intérêts dans l’exercice des fonctions, sont visées « les personnes dépositaires de l’autorité publique, les personnes chargées d’une mission de service public, et les personnes investies d’un mandat électif public ». Dans certaines hypothèses, les magistrats peuvent donc entrer dans le champ d’application de cette disposition. Le Conseil supérieur de la magistrature a eu à se prononcer sur la situation d’un magistrat mis en examen pour prise illégale d’intérêt pour avoir dans le cadre d’une procédure commerciale confié des missions à certaines de ses connaissances et a prononcé la sanction de révocation (CSM, Siège, 13 mai 2003). Même s’il ne s’agit pas d’un juge professionnel, un juge d’un tribunal de commerce qui avait traité un marché pour le compte d’une société en liquidation dont il avait la surveillance comme juge-commissaire et qui avait à cette occasion reçu une commission a ainsi pu être condamné de ce chef sous l’empire de l’ancien code pénal (CA Lyon, 26 juillet 1910). Tel n’est pas le cas de la prise illégale des fonctions à l’issue des fonctions qui concerne les seuls « fonctionnaires ou agents d’une administration publique ».

Les peines prévues par le code pénal sont très lourdes (cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, sans compter les peines complémentaires d’inéligibilité et d’interdiction d’exercer une fonction publique qui peuvent être prononcées en application de l’article 432-17 du code pénal).

Aucune des mises en cause de magistrats de l’ordre judiciaire pour des faits de prise illégale d’intérêt ou « pantouflage » dans les dix dernières années n’a été enregistrée.

1.1.2. Aux niveaux européen et international : des exigences d’impartialité renforcées

Le statut de la magistrature s’insère dans un cadre européen et international et nombre de textes de l’ordre international ou européen, supérieurs aux dispositions internes dans la hiérarchie des normes, ont une influence, directe ou indirecte, sur le statut des magistrats.

Le Pacte international des Nations unies relatifs aux droits civils et politiques du 16 décembre 1996, notamment son article 14, et la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée le 10 décembre 1948, en son article 10, proclament le droit à un « tribunal indépendant et impartial ».

Ces principes d'indépendance et d'impartialité sont repris au plan européen par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, en son article 6. Dans de nombreuses décisions, la Cour européenne est venue en préciser les implications concrètes, en énonçant notamment que l’indépendance du tribunal s’apprécie au regard du mode de désignation et de la durée du mandat des membres (CEDH, 23 juin 1981, série A n° 43, Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique), en posant le principe d’inamovibilité des juges au cours de leur mandat comme un corollaire de leur indépendance (CEDH, 28 juin 1984, série A n° 80, Campbell et Fell c. Royaume-Uni) et en veillant à ce que le juge ne reçoive aucune pression ou instruction dans l’exercice de ses fonctions juridictionnelles, qu’elles émanent du pouvoir exécutif (CEDH, 28 juin 1984, série A n° 80, Campbell et Fell c. Royaume-Uni), du pouvoir législatif (CEDH, 26 août 2003, Filippini c. Saint-Marin) ou des parties (CEDH, 22 juin 1989, série A n° 155, Langborger c. Suède ou CEDH, 23 novembre 1993, série A n° 279, Holm c. Suède). La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne adoptée le 18 décembre 2000 a également proclamé ce principe, en son article 47.

Par ailleurs, des principes à valeur non contraignante adoptés à l’échelle européenne et internationale approfondissent ces principes d’indépendance et d’impartialité des magistrats.

Ainsi, les principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature, adoptés par le septième congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, approuvés par l’Assemblée générale des Nations Unies en novembre 1985, recommandent de protéger les magistrats de toute intervention, pression ou menace, de prévoir des garanties contre « les nominations abusives », d’inscrire dans une loi « la durée du mandat des juges, leur indépendance, leur sécurité, leur rémunération appropriée, leurs conditions de service, leurs pensions et l’âge de leur retraite » et de s’assurer que l’avancement des magistrats est fondé sur « des facteurs objectifs ». Ils établissent un principe de non-discrimination dans les procédures de recrutement, ainsi qu’un principe d’inamovibilité des juges et prévoient que la distribution des affaires et le dessaisissement relèvent exclusivement de la compétence des magistrats.

Sur le plan européen, la Charte européenne sur le statut des juges, adoptée par les participants de pays européens et les membres de deux associations internationales de juges réunis du 8 au 10 juillet 1998 à Strasbourg reprend ces principes, en les développant. Elle promeut notamment le principe de non-discrimination dans le recrutement, garantit le principe d’inamovibilité des juges, leur promotion à l’ancienneté ou par le mérite, leur droit à la formation, leur libre exercice de toute activité extérieure, sous réserve que celle-ci ne porte pas atteinte à leur impartialité, leur indépendance et leur disponibilité, ainsi qu’une rémunération suffisante. La Recommandation CM/Rec (2010)12 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les juges : indépendance, efficacité et responsabilités a été adoptée par le Comité des Ministres le 17 novembre 2010 a remplacé la Recommandation du Conseil des ministres du Conseil de l’Europe n° R (94) 12 relative à l’indépendance, l’efficacité et le rôle des juges, dans le souci de renforcer l’indépendance et l’efficacité des juges, tout en veillant à rendre plus effective leur responsabilité.

Dans l’exposé des motifs, l’indépendance des juges est conçu comme « un élément inhérent à l’Etat de droit et indispensable à l’impartialité des juges et au fonctionnement du système judiciaire » et il est considéré que la mise en place d’un système juridique efficace et équitable nécessite de garantir la place et les pouvoirs des juges. Le principe d’inamovibilité et l’absence de toute pression ou influence dans la prise de décision sont en particulier mis en avant. Au nom de « l’indépendance externe », il encadre les conditions dans lesquelles les juges peuvent exercer des activités parallèlement à l’exercice de leurs fonctions judiciaires.

1.2. Le caractère incomplet des dispositifs statutaires existants pour prévenir, dans certains cas, les conflits d’intérêts

En ce qui concerne les magistrats, comme cela résulte de la présentation des dispositifs existants ci-dessus, à l’instar de l’ensemble de la fonction publique, l’approche des conflits d’intérêts se fait essentiellement sous l’angle des interdictions et des sanctions.

Le rapport de la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique dit « rapport Sauvé » (2011) a démontré le caractère insuffisant d’un tel dispositif et la nécessité que la France se dote d’une politique plus cohérente de prévention contre les conflits d’intérêts. Tels sont l’orientation principale du projet de loi relatif à la transparence de la vie publique et le sens des dispositions que le présent projet de loi organique vise à introduire dans l’ordonnance statutaire des magistrats de l’ordre judiciaire.

Avant de recourir à l’arsenal très complet des sanctions pénales et disciplinaires qui encadre l’exercice des fonctions judiciaires, dont la mise en œuvre peut se révéler pour les intéressés particulièrement contraignante sur le plan personnel, il importe de rappeler explicitement la nécessité de prévenir les conflits d’intérêt et de développer en amont, un mécanisme de nature à appeler l’attention des intéressés sur les situations dans lesquelles ils sont susceptibles de se trouver en conflits d’intérêts et dont ils ne mesurent pas systématiquement la portée. Il convient, en outre, pour les plus hauts magistrats d’instaurer un mécanisme de déclaration de leur patrimoine.

2. OBJECTIFS

Conformément à l’engagement du Président de la République de promouvoir une République exemplaire et de rénover la vie publique, le Gouvernement a présenté au conseil des ministres du 24 avril 2013 deux projets de lois relatifs à la transparence de la vie publique, dont un projet de loi organique. Ces textes réforment en profondeur l’approche de la prévention des conflits d’intérêts adoptée par notre pays pour ce qui concerne les principaux responsables publics et les parlementaires.

Dans le même esprit et parallèlement aux dispositifs envisagés pour les hauts fonctionnaires et les magistrats administratifs et financiers, le présent projet de loi organique a pour objectif de renforcer la confiance des citoyens dans la justice et de prévenir les risques ou les soupçons de conflits d’intérêts en prévoyant pour les magistrats de l’ordre judiciaire un renforcement des obligations de transparence tout en tenant compte de la spécificité des conditions d'exercice de leurs missions et de l'existence de dispositifs permettant déjà en grande partie de répondre aux objectifs visés par les projets de lois et avant-projets de loi susvisés.

Le statut des magistrats relevant, conformément à l’article 64 alinéa 3 de la Constitution, de la loi organique, l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature devait être modifiée.

3. DISPOSITIF JURIDIQUE PROPOSE

3.1. La nécessité d’une modification de l’ordonnance statutaire

La nécessité, en l’espèce, d’une intervention du législateur organique est commandée par la Constitution elle-même (cf supra) et par la nature des dispositions du présent projet de loi organique. Suivant un considérant de principe du Conseil constitutionnel, les règles statutaires applicables aux magistrats doivent se trouver dans la loi organique portant statut des magistrats ; seules les modalités d’application de ces règles peuvent être fixés dans des décrets (voir par exemple DC n° 92-305 DC du 21 février 1992).

Le présent projet de loi organique vise à insérer quatre nouveaux articles dans l’ordonnance statutaire : l’article 7-1 relatif à la définition du conflit d’intérêts, l’article 7-2 relatif l’entretien déontologique et les articles 7-3 et 7-4 relatifs à la déclaration de patrimoine. Ces articles ont, de par leur objet, vocation à figurer dans l’ordonnance statutaire préalablement aux articles 8 et 9 qui posent des règles d’incompatibilité.

3.2. Les évolutions juridiques proposées

Le projet de loi organique insère des articles posant, d’une part, une obligation générale de veiller à prévenir et régler immédiatement les éventuels conflits d’intérêts et une définition des conflits d’intérêts et instaurant un entretien déontologique pour l'ensemble des magistrats ayant une activité juridictionnelle et, d’autre part, une obligation de déclaration de patrimoine pour certains hauts magistrats.

3.2.1. Instaurer une obligation générale de veiller à prévenir et régler immédiatement les éventuels conflits d’intérêts et inscrire une définition du conflit d’intérêts dans l’ordonnance statutaire

L’article 1 du projet de loi organique insère dans l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, après l’article 7 relatif à l’installation des magistrats dans leurs fonctions et avant l’article 8 interdisant aux magistrats de l’ordre judiciaire l’exercice concomitant d’une activité professionnelle, un nouvel article 7-1. Il impose à ces magistrats de prévenir les situations de conflit d’intérêts et, si elles surviennent, d’y mettre fin, et introduit une définition du conflit d’intérêts.

Cette définition est identique à celle prévue pour les principaux responsables publics telle qu'elle a été adoptée par l'Assemblée Nationale le 25 juin 2013, qui reprenait celle proposée par le rapport de la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique (2012).

3.2.2. Instaurer des mécanismes de prévention des conflits d’intérêts et de transparence

Les mécanismes de déclaration d’intérêts et de déclaration de situation patrimoniale fixés par le projet de loi relatif à la transparence de la vie publique ne pouvaient être repris tels quels . Des aménagements devaient y être apportés, en raison de la spécificité de l’organisation judiciaire et de la nature des fonctions juridictionnelles.

3.2.2.1. Instaurer un entretien déontologique pour tous les magistrats de l’ordre judiciaire exerçant une activité juridictionnelle

Il n'est pas apparu opportun, pour les raisons ci-dessous exposées, d'instaurer le mécanisme de la déclaration d’intérêts fixé par le projet de loi relatif à la transparence de la vie publique et envisagé dans le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires aux magistrats de l’ordre judiciaire.

En effet, l'instauration d'une obligation de déclaration d'intérêts n’est pas nécessaire compte tenu des règles déontologiques qui s'appliquent d’ores et déjà aux magistrats de l'ordre judiciaire et aux mécanismes de récusation existants qu'il conviendra toutefois de renforcer pour prévoir expressément l'hypothèse de l'existence d'un conflit d'intérêts.

La fonction juridictionnelle du magistrat de l'ordre judiciaire repose par essence sur les notions d'impartialité objective et subjective. Du fait de son statut, le juge n'a pas à justifier de son impartialité, laquelle résulte des garanties apportées à l'exercice de sa mission, et des modalités procédurales qui permettent aux parties de la contester.

L'institution d'une obligation de déclaration d'intérêts pour les magistrats de l'ordre judiciaire présenterait en outre des inconvénients, principalement sur le plan procédural.

Elle pourrait en effet conduire à renverser la charge de la preuve de l'impartialité du juge, qui serait contraint de rapporter la preuve de celle-ci par la production de la déclaration d'intérêts.

Les parties, informées qu'une telle déclaration a dû être effectuée, pourraient demander à ce que celle-ci soit produite, dans le cadre du respect du contradictoire, à chaque fois qu’elles souhaiteraient mettre en doute l’impartialité du juge. Dès lors il serait difficile d’imaginer que ce document puisse conserver une quelconque confidentialité.

Compte tenu de ces éléments, l’article 2 de la loi organique insère dans l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature à la suite de l’article 7-1 créé par l’article 1, un article 7-2. Celui-ci instaure un entretien déontologique obligatoire pour tous les magistrats du siège et du parquet à l’occasion de leur installation dans leurs fonctions. Cet entretien aura pour objet de prévenir tout éventuel conflit d'intérêts. Il pourra être renouvelé à l'initiative de l'une ou l'autre des personnes y participant.

S’agissant des autorités avec lesquelles les magistrats auront cet entretien, l’article 2 de la loi organique fixe pour les magistrats du siège et du parquet des juridictions de première instance et d’appel ainsi que pour les magistrats de la Cour de cassation, l’autorité avec laquelle se déroulera l'entretien déontologique.

Le critère de la proximité entre le déclarant et le destinataire de la déclaration a été retenu afin de permettre une meilleure prévention et un contrôle effectif des conflits d’intérêts. Chaque magistrat s'entretiendra donc avec l’autorité chargée de l’organisation de la juridiction ou du service dans lequel il exerce.

Seuls le premier président de la Cour de cassation et le procureur général près cette cour, dans la mesure où ils sont à la tête de la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire, sont exclus de ce dispositif.

Cet entretien sera l’occasion pour l'autorité chargée d'y procéder de rappeler au magistrat ses obligations déontologiques et notamment l’obligation de se déporter en cas d’interférence entre ses intérêts privés ou ceux de ses proches et sa fonction de nature à compromettre ou paraître compromettre l’exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions juridictionnelles ou administratives.

Il pourra rappeler qu’à défaut de déport, le magistrat s’expose à des sanctions disciplinaires pour manquement « aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité » et notamment à son devoir d’impartialité. Il pourra, en outre, si nécessaire, réorganiser le service dans lequel celui-ci est affecté afin d’éviter tout risque d’atteinte à l’impartialité et ce, même si les parties ne soulève pas la difficulté et ne recourent pas aux dispositifs prévus par la loi (récusation, suspicion légitime. Cf supra).

Ces dispositifs seront par ailleurs renforcés puisque les articles L111-6 et L111-7 du Code de l'organisation judiciaire seront modifiés pour prévoir que la récusation d'un magistrat du siège pourra être demandée en cas de conflit d'intérêt et qu'il appartiendra aussi bien au juge qu'au magistrat du ministère public de veiller à s'abstenir et à se faire remplacer lorsqu'il supposera en sa personne un conflit d'intérêts.

3.2.2.2. Instaurer une obligation de déclaration de patrimoine pour certains magistrats de la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire

Le mécanisme de la déclaration de situation patrimoniale lors de l’entrée en fonction et lors de la cessation des fonctions tend à permettre d’apprécier l’évolution de la situation patrimoniale des personnes y étant astreintes et à s’assurer qu’elles n’ont pas bénéficié d’un enrichissement anormal du fait de leurs fonctions.

S’agissant du champ d’application de cette nouvelle obligation de déclaration de patrimoine, il convient de rappeler que la volonté du gouvernement est que les plus hauts responsables de l’action publique y soient soumis. Il a dès lors été envisagé d’y inclure les personnes exerçant les plus hautes fonctions juridictionnelles, eu égard à l’importance et à la sensibilité de leurs fonctions. C’est ainsi que les plus hauts membres des juridictions administratives et des juridictions financières sont soumis à une telle déclaration par le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.

Il devait en être de même pour les magistrats de l’ordre judiciaire. Ainsi les plus hauts magistrats de la Cour de cassation et les chefs des cours d’appel sont-ils soumis à cette nouvelle obligation de la déclaration de patrimoine.

Actuellement, ce dispositif concernerait environ 80 magistrats.

S’agissant de l’autorité destinataire des déclarations de patrimoine, une commission ad hoc, la commission de recueil des déclarations de patrimoine des magistrats de l’ordre judiciaire, a été créée dans la mesure où le principe d’indépendance de la magistrature fait obstacle à ce que ces documents soient adressés à la Haute autorité de la transparence de la vie publique créé par le projet de loi sur la transparence de la vie publique (article 12), ou à la commission de déontologie de la fonction publique, placée auprès du Premier ministre créé par le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires (article 8).

Sa composition est toutefois proche de celle de ces deux instances notamment dans la mesure où elle comprend des magistrats des ordres judiciaire, administratif et financier et des personnalités qualifiées.

Cette commission pourra, en cas d’absence d’explications suffisantes données par la personne concernée sur l’évolution de sa situation patrimoniale, saisir l’administration fiscale.

4. LES EFFETS ATTENDUS DE LA RÉFORME ORGANIQUE

4.1. Impact important sur la confiance des citoyens dans l’institution judiciaire

Les obligations de transparence et les mécanismes de prévention des conflits d’intérêts tendent à renforcer la confiance des citoyens dans les institutions publiques et notamment les institutions judiciaires en garantissant effectivement que les acteurs publics, notamment les magistrats, agissent avec impartialité, intégrité, objectivité et probité, en servant l’intérêt général et non des intérêts particuliers.

Tant l'instauration d'un entretien déontologique obligatoire, d'une nouvelle cause de récusation en cas de conflit d'intérêts, que les déclarations de patrimoine des plus hauts magistrats devraient contribuer à répondre aux attentes croissantes des citoyens en termes de transparence et consolider leur confiance dans l’impartialité et l’intégrité des membres de l’institution judiciaire.

4.2. Impact en termes de prévention des conflits d’intérêts

L'instauration d'un entretien déontologique systématique à chaque nouvelle entrée en fonction, qui pourra être renouvelé et la déclaration de patrimoine permettront aux magistrats de l’ordre judiciaire et à l’institution judiciaire de mieux appréhender les risques de conflit d’intérêts.

Ces efforts de transparence devraient, en outre, prévenir tout soupçon de conflits d’intérêts et d’éviter le recours à des mesures plus contraignantes, portant atteinte à l’image de l’institution judiciaire.

4.3. Impact limité sur la dépense publique

L’ensemble des mesures envisagées n’a aucune incidence significative sur les finances publiques. Le coût annuel associé au fonctionnement de la commission de recueil des déclarations de patrimoine des magistrats de l’ordre judiciaire peut être évalué à une somme maximum de 13000,00 € au titre des vacations qui seraient versées aux membres de la commission, à laquelle devrait s’ajouter les dépenses liées au fonctionnement du secrétariat de la commission.

5. CONSULTATIONS ET MODALITÉS D’APPLICATION DE LA LOI ORGANIQUE

5.1. Consultations menées

Le projet de loi a été présenté à la Commission permanente d'études le 10 juillet 2013.

5.2. Textes d’application et mesures spécifiques d’entrée en vigueur

Textes d'application

Le projet de loi organique renvoie à un nouveau décret en Conseil d’Etat pour définir les modalités d’application de l’obligation de déclaration de patrimoine. Ce décret précisera notamment le modèle, le contenu et les modalités de dépôt et de conservation de ces déclarations ainsi que les modalités de désignation des membres de la commission de recueil des déclarations de patrimoine et les modalités de fonctionnement de cette commission.

Article de la loi organique

Objet du décret

Direction(s) rédactrice (s)

Articles 2 et 3

Fixer les conditions de déroulement de l'entretien déontologique, le modèle, le contenu et les modalités de dépôt et de conservation des déclarations de patrimoine

Ministère de la justice (direction des services judiciaires).

Article 4

Fixer les modalités de fonctionnement de la commission de recueil des déclarations de patrimoine

Ministère de la justice (direction des services judiciaires).

Mesures spécifiques d'entrée en vigueur

Il est prévu que le dispositif relatif à l'entretien déontologique s’appliquera dés la publication de la loi aux personnes installées dans leurs fonctions à cette date et que s’agissant des personnes déjà en fonctions l’entretien déontologique aura lieu dans l’année qui suit l’entrée en vigueur de la loi.

Les dispositions relatives à la déclaration de patrimoine s’appliqueront dès que le décret d’application prévu aux articles 3 et 4 du présent projet de loi organique sera pris. Il concernera les personnes installées dans leurs fonctions à compter de cette date. S’agissant des magistrats en fonction à la date d’entrée en vigueur du décret elles devront établir leur déclaration patrimoniale dans les deux mois.

Les dispositions relatives à l’article 1 sont d’application immédiate.


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