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PROJET DE LOI

autorisant l’approbation du protocole entre le Gouvernement de la République française

et le conseil des ministres de la République d’Albanie portant sur l’application

de l’accord entre la Communauté européenne et la République d’Albanie

concernant la réadmission des personnes en séjour irrégulier

NOR : MAEJ1323651L/Bleue-1

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ÉTUDE D’IMPACT

I SITUATION DE REFERENCE ET OBJECTIFS DU PROTOCOLE D'APPPLICATION

I – 1 Situation de référence

L'Union européenne est compétente pour codifier une politique commune en matière d'asile et d'immigration, compte tenu du caractère extrêmement variable des modèles de coopération des Etats membres avec les pays tiers en matière de retour des personnes en situation irrégulière (communément dénommée sous le vocabulaire de "réadmission"). Le Traité instituant la Communauté européenne traduit cela ainsi, en 2002 (article 63, § 3, point b) : "le Conseil […] arrête […] des mesures relatives à la politique d'immigration, dans les domaines suivants : […] immigration clandestine et séjour irrégulier, y compris le rapatriement des personnes en séjour irrégulier". Conformément au mandat qui lui a été donné dans ce cadre, la Commission européenne a négocié et conclu un accord de réadmission avec l'Albanie (signature le 14 avril 2005 à Luxembourg) qui est entré en vigueur le 1er mai 2006. Cet accord ouvre la voie à des protocoles d'application négociables directement entre l'Albanie et les Etats membres.

L'Albanie, au sein des Balkans, est un pays de provenance mais également un pays de transit pour de nombreux migrants irréguliers à destination de l'Union européenne. Les éléments rassemblés par les services de police identifient différents cas. Nombres d'entre eux constituent un détournement du régime de facilitation de circulation adopté par l'Union européenne à la fin de l'année 2010, permettant aux Albanais titulaires de passeports biométriques d'entrer et d'effectuer un court séjour (trois mois) sans visa sur le territoire des Etats membres. Que le terme de cette durée légale de séjour soit échu ou non, une partie des ressortissants albanais présents en France tente ensuite l'émigration clandestine vers le Royaume-Uni (dont l'accès reste soumis à visa) et bascule dans une situation irrégulière par rapport au droit au séjour. La hausse constante des Albanais interpellés en situation irrégulière en France (env. 560 en 2010, près de 1 500 en 2011 et presque 1 760 en 2012) en témoigne, comme la hausse spectaculaire des décisions de retour prononcées à leur encontre (passant de 660 en 2010 à plus de 1 860 au terme de l'année 2011). Une large majorité des interpellations se réalise à la frontière franco-italienne et dans le Sud-est ainsi que dans le Nord et le Pas-de-Calais, à proximité des liens Transmanche vers l'Angleterre. La typologie de l'immigration irrégulière albanaise en France comprend également le recours à la fraude documentaire, détectée principalement lors des contrôles d'autocars assurant des liaisons transeuropéennes, au moment où ils souhaitent traverser la Manche, ainsi que le détournement de la procédure d'asile et, plus récemment (été 2012), l'arrivée sur le territoire français de mineurs albanais non accompagnés.

I – 2 Objectifs du protocole d'application

Le protocole franco-albanais a pour objet la mise en œuvre de l'article 19 de l'accord signé le 14 avril 2005 par la Communauté européenne.

Il précise un certain nombre de règles propres aux relations franco-albanaises dans le domaine de la réadmission, telles que la désignation des autorités compétentes, les points de passage frontaliers, les moyens supplémentaires de preuve de nationalité et des conditions de la réadmission s'ajoutant à ceux prévus par l'accord de 2005, les conditions applicables aux escortes dans le cadre des procédures de réadmission ou de transit, etc.

II – CONSEQUENCES ESTIMEES DE LA MISE EN OEUVRE DU PROTOCOLE D'APPLICATION

II – 1 Conséquences en matière de lutte contre l'immigration irrégulière

C'est dans ce domaine que l'apport du protocole est le plus attendu, tant par le signal qu'il constituera au regard de la volonté commune de l'Albanie et de la France d'être fermes en matière de lutte contre l'immigration irrégulière, que par la pérennisation des procédures de retour forcé d'ores et déjà observées entre les deux pays.

La nationalité albanaise se situait, en 2011, au 13ème rang des nationalités faisant l’objet d’un éloignement du territoire français et au 8ème rang en 2012.

Le protocole (comme l'accord) traite également de la réadmission des ressortissants de pays tiers, expression devant être comprise comme : "personnes n'ayant ni la nationalité albanaise ni la nationalité française". L'Albanie pourra être contrainte de reprendre ces ressortissants étrangers s'il est établi, par exemple, qu'ils possèdent un visa albanais en cours de validité ou qu'ils sont entrés en France après avoir séjourné ou transité par le territoire albanais. Or, l'Albanie est devenu un important point de transit de la zone des Balkans : Algériens, Marocains, Tunisiens, Afghans, Syriens ou encore Nigérians s'y rendent via des filières terrestres ; Turcs, Boliviens et Somaliens privilégient quant à eux la voie aérienne. La mise en œuvre du protocole contribuera donc à répondre à ces situations, dans la mesure où les éléments rassemblés le permettront.

II – 2 Conséquences financières

Elles seront maîtrisées. Les frais liés à la réadmission et au transit sont financés sur le programme 303, "Immigration et Asile", action 3 "Lutte contre l'immigration irrégulière" du ministère de l'intérieur. Ils sont prévus dans le budget global et ne nécessitent pas l'augmentation du volume des crédits, le protocole ne devant, en effet, avoir aucune incidence financière majeure compte tenu des volumes de retours envisagés. Par ailleurs, comme cela est traditionnellement le cas dans ce type d'instruments, tant l'accord que le protocole prévoient un mécanisme de remboursement des frais engagés entre autorités compétentes durant la procédure de retour.

II – 3 Conséquences juridiques

En complément de l'accord communautaire de réadmission, le protocole d'application renforce le cadre formel et juridique de la coopération franco-albanaise dans le domaine du retour forcé des ressortissants nationaux et de pays tiers, en situation irrégulière, établis sur le territoire de l'une ou l'autre Partie. En tout état de cause, il ne nécessite pas d'amendement de notre droit interne, ni l'adoption de dispositions législatives ou réglementaires nouvelles.

II – 3 – 1

L'accord comporte deux annexes relatives respectivement à la demande de réadmission et à la demande de transit. Ces annexes énumèrent les données personnelles qui seront transmises aux autorités compétentes lors des procédures de réadmission1 et de transit2. Le protocole comporte également deux annexes qui constituent les formulaires3 prévus dans la recommandation du Conseil de l'Union européenne du 30 novembre 1994 pour la délivrance de laissez-passer européens respectivement par la France et par l'Albanie.

L'article 16 de l'accord communautaire de réadmission stipule expressément que les données personnelles nécessaires à l'exécution de l'accord (état civil, état de santé et documents attestant de la nationalité) et communiquées entre les Parties contractantes doivent être traitées et protégées conformément aux législations relatives à la protection des données personnelles en vigueur dans chaque Etat.

L'Albanie a signé et ratifié le 14 février 2005 la Convention du Conseil de l'Europe pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, ainsi que son protocole additionnel mais, n'étant pas membre de l'Union européenne, elle ne peut se voir transférer de telles données qu’à la condition que soit assuré un niveau de protection suffisant de la vie privée et des libertés et droits fondamentaux des personnes à l'égard du traitement dont ces données font l'objet (article 68 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique et aux libertés).

La Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés indique que l'Albanie ne dispose pas d'une législation adéquate en matière de protection des données à caractère personnel4. A ce jour, l'Albanie n'a pas non plus fait l'objet d'une reconnaissance de protection adéquate par la Commission européenne5. Sous réserve de l'application de l'article 69 de la loi du 6 janvier 1978 qui permet sous certaines conditions6 le transfert de données à caractère personnel par exception à l'interdiction prévue à l'article 68 précité, le protocole d'application permettra de développer l'échange d'informations autres que les données à caractère personnel.

Les stipulations de cet accord sont identiques ou très proches de protocoles que la France a signés avec d'autres pays (Serbie et Kosovo).

II – 3 – 2 Le protocole d'application, dans son article 10.2, 5ème alinéa, donne aux agents membres de l'escorte la prérogative d'intervenir en cas de légitime défense, en "l'absence des forces de l'ordre de la Partie requise ou dans le but de leur porter assistance", et se limite aux cas présentant "un danger immédiat et grave" suscité par la/les personne(s) escortée(s) à l'occasion du transit ou de l'opération de réadmission.

Cette disposition est conforme à l'article 7 de la directive 2003/110/CE du Conseil du 25 novembre 2003 concernant l'assistance au transit dans le cadre de mesures d'éloignement par voie aérienne, transposée en droit français par la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration créant l'article L.531-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

II – 4 Conséquences administratives

Elles sont assez limitées dans la mesure où le protocole, en investissant les ministères de l'intérieur respectifs du rôle d'autorités requérantes ou requises, ne fait que consacrer le circuit existant (ainsi, en France, la saisine des autorités albanaises est centralisée depuis le 1er septembre 2010 par l'Unité Centrale d'Identification de la DCPAF). Quant à la délivrance des laissez-passer indispensables à l'éloignement des personnes, elle continuera d'incomber aux représentations consulaires de chacune des Parties.

III – HISTORIQUE DES NEGOCIATIONS

La France a transmis un premier projet de protocole d'application aux autorités albanaises par télégramme diplomatique le 10 juin 2008. Ce dernier a été approuvé par les autorités albanaises
le 9 décembre 2008. Des modifications de la procédure française de réadmission ont conduit les autorités françaises à procéder à des modifications supplémentaires du texte du protocole. La dernière version du projet de protocole a été transmise aux autorités albanaises par télégramme diplomatique le 8 juillet 2011.

Ce dernier projet n'a pas donné lieu à négociation ; les autorités albanaises ont approuvé le texte en l'état (note verbale du 5 mars 2013).

IV – ETAT DES SIGNATURES ET RATIFICATIONS

Le protocole d'application a été signé à Tirana le 8 avril 2013 par l'ambassadrice de France à Tirana, Mme Christine MORO, et le ministre de l'intérieur albanais, M. Flamur NOKA.

Le protocole d'application a été ratifié du côté albanais par le Conseil des ministres le 5 mai 2013 ; il entrera en vigueur à l'issue de l'accomplissement des procédures internes en France et après notification de l'accomplissement desdites procédures au comité mixte de réadmission Communauté européenne – Albanie.

1 La demande de réadmission doit comporter les renseignements individuels concernant la personne à réadmettre et l'indication des moyens par lesquels une preuve ou un commencement de preuve de la nationalité, du transit, des conditions de la réadmission des ressortissants des pays tiers et des apatrides, et de l'entrée et du séjour illicites (article 7.1 de l'accord). La demande de réadmission comporte, dans la mesure du possible, une déclaration indiquant les besoins d'assistance et/ou de soins que peut nécessiter la personne à transférer sous réserve de son consentement exprès et l'indication de toute mesure de protection ou de sécurité particulière, ou d'informations concernant l'état de santé de l'intéressé (article 7.2 de l'accord).

2 Il s'agit des renseignements relatifs à l'identité et à la nationalité de l'intéressé(e), à la date du voyage, aux heures d'arrivées dans le pays de transit, aux pays et lieu de destination, aux documents de voyage, ainsi que, le cas échéant, aux renseignements relatifs aux fonctionnaires escortant l'étranger.

3 Il s'agit des renseignements individuels suivants : la date de départ, le numéro d’enregistrement, les nom et prénom, une photographie, la date de naissance, la nationalité, l'adresse dans le pays d’origine, l'autorité, le lieu et la date de délivrance du document de voyage.

4 Voir le site internet de la CNIL : http://www.cnil.fr/pied-de-page/liens/les-autorites-de-controle-dans-le-monde/

5 Le Conseil de l'Union européenne et le Parlement européen ont donné le pouvoir à la Commission de décider sur la base de l'article 25(6) de la directive 95/45/CE qu'un pays tiers offre un niveau de protection adéquat en raison de sa législation interne ou des engagements pris au niveau international. A cet égard, se reporter au site de la Commission Européenne : Justice>Data protection>Documents>International transferts>Adequacy.

6 L'article 69 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précise notamment que "le responsable d'un traitement peut transférer des données à caractère personnel vers un Etat ne répondant pas aux conditions prévues à l'article 68 si la personne à laquelle se rapporte les données a consenti expressément à leur transfert ou si le transfert est nécessaire à l'une des conditions suivantes : 1° à la sauvegarde de la vie de cette personne ; 2° à la sauvegarde de l'intérêt public ; 3° au respect d'obligations permettant d'assurer la constatation, l'exercice ou la défense d'un droit en justice (…). Il peut être également fait exception à l'interdiction prévue à l'article 68, par décision de la CNIL ou, s'il s'agit d'un traitement mentionné au I ou au II de l'article 26, par décret en Conseil d'Etat pris après avis motivé et publié de la Commission, lorsque le traitement garantit un niveau de protection suffisant de la vie privée ainsi que des libertés et droits fondamentaux des personnes notamment en raison des clauses contractuelles ou règles internes dont il fait l'objet (…)".


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