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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

     

Ministère des affaires étrangères et

du développement international

     

PROJET DE LOI

autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas relatif à la coopération insulaire

en matière policière à Saint-Martin

NOR : MAEJ1404935L/Bleue-1

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ÉTUDE D’IMPACT

I- Situation de référence et objectifs de l’accord ou convention

La coopération franco-néerlandaise sur l’île de Saint-Martin n’a jamais pu être mise en œuvre de manière satisfaisante. Ce territoire était historiquement divisé en deux mais une tolérance de circulation des personnes existait entre zones de souveraineté depuis le traité dit « de Concordia » du 23 mars 16481 ; il accuse en outre le handicap supplémentaire de ne pas être un territoire d’application des accords de Schengen (absence d’unicité des régimes de visas entre les deux parties de l’île).

Les négociations engagées au début des années 1990 pour résoudre les principaux problèmes de sécurité que connaissent les Saint-Martinois trouvent une première concrétisation grâce à l’accord du 7 octobre 2010. En effet, le trafic international de stupéfiants, la délinquance de voie publique et la criminalité commise par certains migrants irréguliers2 bénéficiaient jusqu’à présent d’un environnement propice à leur développement – commanditaires et auteurs circulant et se réfugiant très facilement dans la partie néerlandaise de l’île après leurs forfaits – tandis que la coopération policière insulaire restait fragile en l’absence de base juridique adéquate.

Le nouvel accord constitue à cet égard un développement relativement ambitieux, dans la mesure où il vise à doter l’île d’un régime de coopération policière transfrontalière moderne et performant, inspiré en particulier des dispositions de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 et de sa convention d’application3. Il permettra ainsi aux services répressifs des deux Parties de bénéficier non seulement du droit d’observation et de poursuite concernant une large palette d’infractions, mais aussi de conduire des patrouilles mixtes et de multiplier les services coordonnés. Il permettra en outre de fonder juridiquement et d’intensifier entre eux les échanges d’informations – essentiels en matière de lutte contre la criminalité organisée et compte tenu de la configuration insulaire.

Enfin l’accord nouvellement signé s’inscrit pleinement en cohérence avec l’accord sur la coopération dans le domaine de la police et de la sécurité entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Pays-Bas du 20 avril 1998. Il convient pour mémoire de noter que l’amendement de cet accord a été évoqué à partir de 2008 entre les Parties et que des discussions bilatérales ont débuté en ce sens, afin d’examiner l’opportunité d’une actualisation de ce texte à l’aune de l’évolution de la coopération policière bilatérale.

II- Conséquences estimées de la mise en œuvre de l’accord ou convention

- Conséquences économiques

Le champ d’application du présent accord a une finalité proprement opérationnelle et n’emporte pas pour la Partie française de conséquences directes en matière économique.

L’activité insulaire majeure que constitue le tourisme pourrait néanmoins bénéficier positivement de l’entrée en vigueur de cet accord, qui doit permettre une lutte plus efficace contre la criminalité transfrontalière et devrait en conséquence rendre l’île plus sûre et donc plus attractive pour les visiteurs étrangers (ce qui bénéficiera plus généralement au développement économique de l’île).

Le texte pourra par ailleurs permettre une lutte plus efficace contre le blanchiment des capitaux et flux financiers liés à des activités criminelles – de nature à permettre un fonctionnement sain de l’économie locale et à tempérer les déséquilibres résultant de ces flux.

- Conséquences financières

L’accord n’impliquant pas mécaniquement l’engagement de nouveaux crédits par rapport à l’existant, ses effets résulteront très largement du climat général de la coopération insulaire et de l’utilisation que les services locaux feront des dispositions du texte.

Les actions de coopération technique prévues à l’article 11 seront en partie conduites sous financement de la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) du ministère des Affaires étrangères et européennes, qui validera préalablement l’engagement d’éventuels crédits. Certaines actions pourront par ailleurs être initiées par les services de police ou unités de gendarmerie territorialement compétente – sous plafond de leurs crédits délégués, sous le contrôle de leur direction de tutelle et dans le cadre de l’action globale des services de l’Etat coordonnée par le préfet territorialement compétent et son préfet délégué. La dynamique locale de coopération résultant de cet accord pourrait par ailleurs faciliter la recherche de financements multilatéraux, notamment européens, si les services locaux sont en mesure de développer des projets innovants susceptibles de retenir l’attention de la Commission européenne.

Le détachement d’agents de liaison prévu à l’article 7 de l’accord pourrait se traduire par l’engagement de dépenses supplémentaires, a fortiori s’il était pérennisé. La mise en œuvre de cet article est cependant soumise à la conclusion d’arrangements techniques ad hoc.

Pour mémoire, l’efficacité accrue des enquêtes judiciaires et l’intensification des échanges d’information sont en revanche susceptibles d’accroître sensiblement les frais de justice du Tribunal de Grande Instance de Basse Terre, qui constitue l’autorité judiciaire compétente au titre du paragraphe 3 de l’article 5 de l’accord et sera donc compétent pour la mise en œuvre des démarches visées au paragraphe 2 du même article qui nécessiteront une réquisition légale en France (cas de l’identification des titulaires de lignes téléphoniques et de communication notamment).

- Conséquences sociales

Le champ d’application de l’accord a une finalité opérationnelle et n’emporte pas de conséquence sociale directe. Cependant, même si la collecte d’informations statistiques fiables sur la population de l’île est difficile, le renforcement de la sécurité sur le territoire pourrait avoir des conséquences positives.

Selon le Conseil économique et social et culturel de Saint-Martin, 85% de la population active du territoire travaille directement ou indirectement dans le secteur du tourisme qui devrait bénéficier positivement de l’entrée en vigueur de cet accord. Toujours selon le CESC, la répartition de la population active entre les trois secteurs est la suivante : 1% dans l’agriculture, 15% dans l’industrie et 84% dans les services. La réduction de l’insécurité pourrait dont être bénéfique au développement socio-économique de l’île.

Le taux d’activité sur l’île atteint 70% selon l’Insee et le taux de chômage est élevé (27% en 2009 selon l’Institut d’émission des départements d’outre-mer). Le niveau de développement socio-économique de l’île est inférieur à celui l’ensemble de la France ainsi qu’en témoigne la faiblesse du niveau de formation, très inférieur à la moyenne nationale : selon les données fournies par l’Insee en 2006 (qui commencent à dater), 40% de la population non scolarisée de plus de 15 ans ne possède aucun diplôme. La population de l’île, estimée à 36.824 habitants lors de dernier recensement de 2009, est jeune (moyenne d’âge de 30,5 ans, les plus de 65 ans ne représentant que 5,5% de la population selon le CESC).

- Conséquences environnementales

Sans objet.

- Conséquences juridiques

Cet accord donne un cadre juridique robuste à la coopération insulaire dans le domaine de la sécurité intérieure. Il complète à ce titre les conventions multilatérales auxquelles sont parties les deux Etats, dont certaines concernent plus directement les questions de lutte contre les phénomènes criminels4, ainsi que la convention régionale dite « de San José » (qui avait donné une première impulsion régionale à la lutte contre le trafic illicite de stupéfiants par voie maritime dans la zone caribéenne et visait notamment à faciliter l’arraisonnement et la visite de navires suspects)5.

L’accord offre en outre des possibilités d’action novatrices en matière de lutte contre les trafics illicites dans la région des Caraïbes, qui s’inspirent directement de ce qu’avait permis en Europe continentale :

- d’une part la convention d’application de l’accord de Schengen précitée (les territoires ultra-marins des Etats membres de l’UE étaient en revanche explicitement exclus de cet espace commun et les dispositions policières additionnelles ne trouvaient donc pas à s’y appliquer) – notamment pour ce qui concerne l’assistance d’agents de liaison, l’observation transfrontalière et la poursuite transfrontalière ;

- d’autre part le traité de Prüm6, conçu pour permettre un nouveau saut qualitatif de la coopération policière et qui a notamment nourri les dispositions de l’accord en matière d’opérations communes (dont les patrouilles mixtes) et de gestion concertée de grands événements d’ordre public.

A ce titre, l’accord constitue un cadre juridique de coopération policière original et innovant dans la zone Caraïbes, premier exemple d’une coopération policière transfrontalière ambitieuse en zone ultramarine.

L’accord encadre en outre l’échange d’informations et garantie la protection des données à caractère personnel et autres informations fournies par les Parties. Le traitement de la protection des données à caractère personnel est pour la France assuré conformément à :

- l’article 24 de la loi 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure ;

- l’article 68 de la loi 1978-17 du 6 janvier 1978 dite « informatique et libertés » ;

- la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil de l’UE du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la transmission de ces données à des pays tiers. (cf. articles 25 et 31 notamment) ;

- la convention du Conseil de l’Europe pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, adoptée à Strasbourg le 28 janvier 1981.

Les Pays-Bas respectent également la directive 95/46/CE et ont ratifié le 24 août 1993 la convention du Conseil de l’Europe précitée. La CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) estime de plus que les Pays-Bas disposent d’une législation adéquate en matière de protection des données à caractère personnel7.

Enfin, la bonne mise en œuvre de certaines dispositions de l’accord – s’agissant notamment des cas d’observation ou de poursuite transfrontalière par voie maritime – nécessitera l’aboutissement des négociations relatives à la délimitation de la frontière maritime entre les deux Parties (la responsabilité des agents étant engagée de façon différente selon le lieu, en cas d’incident).

III – Historique des négociations

Cet accord résulte d’une demande formulée de longue date par la France et qui a rencontré un écho positif auprès des autorités néerlandaises à partir de 2005 – dans le contexte de la réforme de la gouvernance des Antilles néerlandaises qui venait d’être entreprise et compte tenu de l’ampleur prise par certains phénomènes criminels sur l’île.

Le texte de l’accord a été finalisé et la conformité des versions constatée en mai 2010 (note verbale de notre ambassade à La Haye du 12 mai et note du ministère des Affaires étrangères néerlandais du 26 mai). Le gouvernement de transition néerlandais a, dans ce contexte, veillé particulièrement à ce que la signature de l’accord puisse intervenir avant la date d’entrée en vigueur du nouveau statut de Saint-Martin (10 octobre 2010), marquant ainsi le souci du Royaume d’appuyer résolument le renforcement de la coopération policière insulaire.

IV – État des signatures et ratifications

L’accord a été signé à Paris le 7 octobre 2010 par Monsieur Pierre SELLAL, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères et européennes de la République française, et Monsieur Hugo SIBLESZ, ambassadeur du Royaume des Pays-Bas à Paris. Il est également en cours de ratification par la partie néerlandaise.

V - Déclarations ou réserves

Néant.

1 Il s’agit des « Articles accordés entre les commandans pour le Roy de France en l’isle St Martin et les commandans pour les Hollandois en ladite isle ».

2 L’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas concernant le contrôle de personnes sur les aéroports de Saint-Martin du 17 mai 1994 avait certes permis l’établissement d’une coopération bilatérale en matière de lutte contre l’immigration irrégulière par voie aérienne, mais l’élargissement des domaines de coopération est rapidement apparue nécessaire.

3 Convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les Gouvernements des Etats de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signée à Schengen 19 juin 1990.

4 On peut notamment songer à ce titre, en matière de lutte contre la criminalité transnationale et les trafics illicites de stupéfiants, à la Convention unique sur les stupéfiants du 30 mars 1961 telle que modifiée par le Protocole du 25 mars 1972 portant amendement de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 ; la Convention sur les substances psychotropes du 21 février 1971 ; la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes du 20 décembre 1988 ; ainsi que la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée du 15 novembre 2000.

5 Accord concernant la coopération en vue de la répression du trafic illicite maritime et aérien de stupéfiants et de substances psychotropes dans la région des Caraïbes, fait à San José le 10 avril 2003.

6 Traité entre le Royaume de Belgique, la République fédérale d’Allemagne, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas et la République fédérale d’Autriche relatif à l’approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et la migration illégale, signé à Prüm le 27 mai 2005.

7 Voir le site Internet de la CNIL : http://www.cnil.fr/pied-de-page/liens/les-autorites-de-controle-dans-le-monde/.


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