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PROJET DE LOI

prorogeant l’application de la loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence

NOR : INTX1620056L/Bleue-1

ETUDE D’IMPACT

18 juillet 2016

Sommaire

Introduction 3

Partie 1 : Etat des lieux et diagnostic 3

1.1.- Etat des lieux et application de la loi relative à létat durgence 3

1.1.1.- Etat des lieux 3

1.1.2.- Application 4

1.2.- Cadre constitutionnel 4

- Régime des assignations à résidence 5

- Police des réunions et des lieux publics 6

- Perquisitions et saisies administratives dans le cadre de létat durgence 6

Partie 2 : Analyse des dispositions envisagées 7

2.1.- Objectifs poursuivis par la loi 7

2.2.- Examen des dispositions 7

2.2.1.- Adaptation des conditions de mise en œuvre dune perquisition administrative 7

2.2.2.- Création dun régime de saisie des données informatiques 9

Partie 3 : Liste des consultations et des textes dapplication 14

3.1.- Consultations obligatoires 14

3.2.- Textes dapplication 14

3.3.- Application outre-mer 15

Introduction

La loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence a été conçue il y a plus de soixante ans, dans un contexte politique très différent, marqué par la guerre d’Algérie. Son principe est d’augmenter temporairement les pouvoirs de l’autorité administrative pour faire face à des situations exceptionnelles : péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ou événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique.

Cette loi est d’une très grande utilité pour faire face aux situations exceptionnelles. Son application à de très rares occasions montre également qu’elle n’est mise en œuvre que lorsque cela s’avère absolument nécessaire.

A l’occasion de son application en novembre 2015, à la suite des attentats coordonnés qui ont eu lieu à Paris le 13 novembre 2015, cette loi a été profondément modifiée par la loi n°2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions, afin d’adapter sa rédaction aux évolutions de droit et de fait intervenues depuis sa conception.

Ces modifications ont été, pour partie d’entre elles, examinées depuis par le Conseil constitutionnel à l’occasion de questions prioritaires de constitutionnalité, en application de l’article 61-1 de la Constitution.

Si le Conseil constitutionnel a validé l’article 6 de la loi de 1955 (assignations à résidence dans le cadre de l’état d’urgence), ainsi que son article 8 (police des réunions et des lieux publics dans le cadre de l’état d’urgence), il en a censuré une phrase de l’article 11 (perquisitions administratives dans le cadre de l’état d’urgence). C’est de cette dernière décision qu’il convient, notamment, de tirer les conséquences dans ce projet de loi pour définir un régime de saisie administrative de données informatiques à l’occasion des perquisitions administratives qui soit conforme aux exigences constitutionnelles.

Partie 1 : Etat des lieux et diagnostic

1.1.- Etat des lieux et application de la loi relative à l’état d’urgence

1.1.1.- Etat des lieux

Pour faire face à des situations exceptionnelles, il existe en droit français plusieurs dispositifs juridiques qui permettent de renforcer les pouvoirs des autorités administratives et de restreindre les libertés publiques.

L’article 16 de la Constitution donne au président de la République, « lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics est interrompu », la faculté de prendre « les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des présidents des assemblées, ainsi que du Conseil constitutionnel ».

L’état de siège, prévu par l’article 36 de la Constitution et applicable « en cas de péril imminent résultant d’une guerre étrangère ou d’une insurrection armée », se caractérise essentiellement par l’attribution de pouvoirs de police exceptionnels aux autorités militaires. Il est décrété en conseil des ministres, mais sa prorogation au-delà de douze jours doit être autorisée par le Parlement.

L’état d’urgence, qui résulte de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955, est applicable « soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Déclaré par décret pris en conseil des ministres, il confère aux autorités civiles, dans l’aire géographique à laquelle il s’applique, des pouvoirs de police exceptionnels portant sur la réglementation de la circulation et du séjour des personnes, sur la fermeture des lieux ouverts au public et sur la réquisition des armes. Le décret instituant l’état d’urgence peut prévoir un renforcement des pouvoirs de police en matière de perquisition et de contrôle des moyens d’information. Au-delà de douze jours, la prorogation de l’état d’urgence ne peut être autorisée que par la loi.

1.1.2.- Application

Depuis sa promulgation, l’état d’urgence a été proclamé à six reprises :

- en 1955, dans le contexte de la guerre d’Algérie ;

- en 1958, à la suite des événements du 13 mai 1958 à Alger ;

- en 1961, après le putsch des généraux à Alger, renouvelé jusqu’en mai 1963 (totalité du territoire métropolitain) ;

- en 1984, en Nouvelle-Calédonie, à la suite des premières émeutes ;

- en 2005, à l’occasion des émeutes urbaines (25 départements, incluant l’Ile-de-France) ; 

- depuis le 14 novembre 2015, à la suite des attentats coordonnés dans Paris (totalité du territoire métropolitain, partie de l’outre-mer), renouvelé à trois reprises, en dernier lieu par la loi n° 2016-629 du 20 mai 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.

1.2.- Cadre constitutionnel

Le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la constitutionnalité de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, lors de l’examen de la loi relative à l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie et dépendances (Décision no 85-187 DC du 25 janvier 1985, Loi relative à l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie et dépendances). Cette décision précise :

« 4. Considérant que, si la Constitution, dans son article 36, vise expressément l’état de siège, elle n’a pas pour autant exclu la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence pour concilier, comme il vient d’être dit, les exigences de la liberté et la sauvegarde de l’ordre public ; qu’ainsi, la Constitution du 4 octobre 1958 n’a pas eu pour effet d’abroger la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, qui, d’ailleurs, a été modifiée sous son empire ».

La loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions a substantiellement modifié la loi de 1955 relative à l’état d’urgence, notamment en modifiant les dispositions relatives à l’assignation à résidence (art. 6), en instituant un régime spécial des dissolutions administratives des associations et groupements de fait (art. 6-1), en modifiant le régime contentieux applicable aux mesures administratives prises sur le fondement de la loi relative à l’état d’urgence (ancien art. 7), en aménageant le régime des perquisitions administratives (I de l’art. 11), en remplaçant le régime de contrôle de la presse, des émissions radiophoniques, projections cinématographiques et représentations théâtrales par un régime d’interruption des services de communication en ligne provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie (II de l’art.11), ou encore en renforçant les dispositions pénales (art. 13).

Ces modifications avaient pour objet d’adapter des dispositions anciennes aux évolutions de droit et de fait intervenues depuis leur rédaction. Si la loi du 20 novembre 2015 n’a pas été soumise à l’examen a priori du Conseil constitutionnel, celui-ci en a examiné certaines de ses dispositions par le dispositif des questions prioritaires de constitutionnalité.

Ainsi, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur le régime des assignations à résidence, sur la police des réunions et des lieux publics et sur les perquisitions et les saisies administratives :

- Régime des assignations à résidence

Par sa décision n° 2015-527 QPC du 22 décembre 2015, le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution les neuf premiers alinéas de l’article 6 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, c’est-à-dire l’ensemble du régime des assignations à résidence sous le régime de l’état d’urgence, à l’exception du dispositif de placement sous surveillance électronique mobile, sur lequel il ne s’est pas prononcé, n’étant pas saisi sur ce point.

Il juge, à cette occasion, que l’ensemble du régime des assignations à résidence, y compris « l’astreinte à demeurer dans le lieu d’habitation déterminé par le ministre de l’intérieur, pendant la plage horaire qu’il fixe, dans la limite de douze heures par vingt-quatre heures » ne comporte pas de privation de la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution. Il ajoute que cette plage horaire ne saurait être allongée au-delà de douze heures sans que l’assignation à résidence soit alors regardée comme une mesure privative de liberté, qui serait dès lors soumise aux exigences de l’article 66 de la Constitution.

- Police des réunions et des lieux publics

Par sa décision n°2016-535 QPC du 19 février 2016, le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution l’article 8 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, c’est-à-dire la possibilité pour le ministre de l’intérieur ou le préfet d’ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature dans les zones où est institué l’état d’urgence, ainsi que d’interdire, à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre.

Il y précise que « les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d’incompétence négative, opèrent une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre le droit d’expression collective des idées et des opinions et l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public ».

- Perquisitions et saisies administratives dans le cadre de l’état d’urgence

Saisi de la constitutionnalité du I de l’article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, c’est-à-dire le régime des perquisitions et des saisies administratives dans le cadre de l’état d’urgence, le Conseil constitutionnel, par sa décision n°2016-536 QPC du 19 février 2016, en a reconnu la conformité à la Constitution, à l’exception des dispositions qui lui étaient soumises de la seconde phrase du troisième alinéa du paragraphe I de l’article 11 relatives aux données informatiques copiées à l’occasion de la perquisition.

Ainsi, les perquisitions administratives ont elles, sous cette dernière exception, été totalement validées. Le Conseil constitutionnel a explicitement écarté le grief tiré de l’article 66 de la Constitution dans le cadre des perquisitions administratives menées sous l’empire de l’état d’urgence. Il a également jugé que ces dispositions opèrent « une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre les exigences de l’article 2 de la Déclaration de 1789 et l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public » et « que ne sont pas non plus méconnues les exigences de l’article 16 de la Déclaration de 1789 ».

En revanche, s’agissant de la disposition qui prévoyait que « les données auxquelles il aura été possible d’accéder dans les conditions prévues au présent article [perquisition administrative] peuvent être copiées sur tout support », le Conseil constitutionnel les a censurées, estimant qu’elles étaient insuffisamment entourées de garanties légales propres à assurer une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et le droit au respect de la vie privée. 

Partie 2 : Analyse des dispositions envisagées

2.1.- Objectifs poursuivis par la loi

Au-delà de la prorogation de l’état d’urgence pour une nouvelle durée de trois mois, le projet de loi se fixe pour objectif d’adapter la rédaction de la loi relative à l’état d’urgence à la décision n°2016-536 QPC du 19 février 2016 du Conseil constitutionnel s’agissant des saisies de données informatiques opérées dans le cadre des perquisitions administratives en fixant les garanties légales de ces saisies. Ce projet adapte également les conditions de mise en œuvre d’une perquisition administrative dans un cas très spécifique.

2.2.- Examen des dispositions

2.2.1.- Adaptation des conditions de mise en œuvre d’une perquisition administrative

2.2.1.1.- Etat du droit

Les deux premiers alinéas de l’article 11 de la loi relative à l’état d’urgence prévoient que :

« I. - Le décret déclarant ou la loi prorogeant l’état d’urgence peut, par une disposition expresse, conférer aux autorités administratives mentionnées à l’article 8 le pouvoir d’ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit, sauf dans un lieu affecté à l’exercice d’un mandat parlementaire ou à l’activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes, lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics.

La décision ordonnant une perquisition précise le lieu et le moment de la perquisition. Le procureur de la République territorialement compétent est informé sans délai de cette décision. La perquisition est conduite en présence d’un officier de police judiciaire territorialement compétent. Elle ne peut se dérouler qu’en présence de l’occupant ou, à défaut, de son représentant ou de deux témoins. »

Des conditions de forme sont donc définies pour que la perquisition administrative soit légale : La décision doit être expresse, et doit mentionner le lieu et le moment de la perquisition.

2.2.1.2.- Difficultés rencontrées

Lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’un lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics, la perquisition de ce lieu peut permettre de trouver des éléments donnant des raisons sérieuses de penser qu’un autre lieu peut être fréquenté par cette personne, sans que cet autre lieu soit mentionné dans la décision de perquisition : ce peut par exemple être un garage dont on trouve la clé ou une quittance de loyer à l’occasion de la première perquisition, ou tout autre lieu qui serait découvert de façon incidente.

La décision administrative de perquisition étant expresse et mentionnant le lieu de la perquisition, aucune perquisition dans un autre lieu, quel qu’en soit lien avec celui qui fait l’objet de la perquisition, ne saurait actuellement être menée sur le fondement d’une décision de perquisition ne mentionnant que celui-ci. Une autre décision expresse de perquisition est donc nécessaire en l’état du droit. Or le temps d’obtention d’une telle décision expresse peut être long, puisque cela suppose la rédaction d’un nouvel arrêté et sa signature par le préfet, ou par l’un de ses collaborateurs ayant reçu délégation à cet effet.

2.2.1.3.- Objectif recherché

Lorsqu’une perquisition révèle des raisons sérieuses de penser qu’un autre lieu que celui qui est perquisitionné est fréquenté par la personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics, il est particulièrement nécessaire de pouvoir perquisitionner immédiatement cet autre lieu, sans que le temps nécessaire à l’obtention de la décision expresse du préfet ne laisse à la personne concernée le loisir de faire disparaitre des éléments qui pourraient intéresser l’autorité administrative au titre de sa mission de police administrative.

Le délai entre la perquisition du premier lieu et la perquisition du lieu révélé par cette perquisition doit être le plus réduit possible.

2.2.1.4.- Options

Une possibilité pourrait être d’assurer une présence physique de l’autorité préfectorale lors des perquisitions, afin de pouvoir obtenir immédiatement une décision expresse de perquisition dans un second lieu non prévu par la première perquisition.

Cette possibilité impose cependant à l’autorité préfectorale de se trouver en un lieu déterminé, alors que plusieurs perquisitions peuvent intervenir simultanément. Par ailleurs, d’autres contraintes, en particulier en état d’urgence, peuvent contraindre le préfet à se trouver à un endroit plus adapté à l’exercice de ses responsabilités. Cette option a donc été écartée.

Une seconde option serait de considérer que dès lors que la décision expresse de perquisition d’un lieu est prise, la circonstance qu’il est des raisons sérieuses de penser qu’un second lieu, révélé par cette perquisition, pourrait être fréquenté par la même personne ayant justifié cette perquisition, permettrait à l’autorité préfectorale d’autoriser la perquisition de ce second lieu par tout moyen, c’est-à-dire par téléphone, mail ou autre, dès lors que cette autorisation concerne un lieu répondant aux conditions posées par l’article 11 de la loi (lieu fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics, sauf s’il est affecté à l’exercice d’un mandat parlementaire ou à l’activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes), et que l’autorisation donnée par tout moyen mentionne le lieu et le moment de la perquisition.

Cette autorisation serait régularisée dans la forme dans les meilleurs délais, le procureur de la République étant immédiatement informé, comme pour l’ensemble des perquisitions menées sous le régime de la loi relative à l’état d’urgence. C’est l’option retenue par le projet de loi.

2.2.1.5.- Impacts attendus

Cette modification des dispositions relatives aux perquisitions sous le régime de la loi relative à l’état d’urgence doit améliorer l’efficacité des perquisitions administratives, car les lieux fréquentés par une personne dont le comportement constitue une menace pour l’ordre et la sécurité publics peuvent être révélés par une perquisition, ce qui nécessite une réaction très rapide, sous peine de risquer la destruction ou le déplacement d’éléments pouvant concourir à prévenir un trouble à l’ordre public.

2.2.2.- Création d’un régime de saisie des données informatiques

2.2.2.1.- Etat du droit

Le I de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 modifiée relative à l’état d’urgence prévoit l’accès aux données informatiques accessibles depuis le système informatique présent dans le local perquisitionné ou disponibles pour ce système :

« Il peut être accédé, par un système informatique ou un équipement terminal présent sur les lieux où se déroule la perquisition, à des données stockées dans ledit système ou équipement ou dans un autre système informatique ou équipement terminal, dès lors que ces données sont accessibles à partir du système initial ou disponibles pour le système initial.»

Cette rédaction vise les données informatiques telles que celles qui sont présentes dans un ordinateur, celles qui sont accessibles depuis un ordinateur (« nuage »), celles qui sont contenues dans un téléphone…

2.2.2.2.- Difficultés rencontrées

Ainsi qu’il a été mentionné (page 7, cadre constitutionnel), le Conseil constitutionnel a jugé contraire à la Constitution la disposition relative à la copie des données contenues dans les systèmes informatiques, par sa décision n°2016-536 QPC du 19 février 2016. La disposition alors censurée était ainsi rédigée : « Les données auxquelles il aura été permis d’accéder dans les conditions prévues par le présent article peuvent être copiées sur tout support ».  

Le Conseil constitutionnel a alors jugé :

« Considérant que les dispositions de la seconde phrase du troisième alinéa du paragraphe I de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 permettent à l’autorité administrative de copier toutes les données informatiques auxquelles il aura été possible d’accéder au cours de la
perquisition ; que cette mesure est assimilable à une saisie ; que ni cette saisie ni l’exploitation des données ainsi collectées ne sont autorisées par un juge, y compris lorsque l’occupant du lieu perquisitionné ou le propriétaire des données s’y oppose et alors même qu’aucune infraction n’est constatée ; qu’au demeurant peuvent être copiées des données dépourvues de lien avec la personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ayant fréquenté le lieu où a été ordonnée la perquisition ; que, ce faisant, le législateur n’a pas prévu de garanties légales propres à assurer une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et le
droit au respect de la vie privée
 ».

Le Conseil constitutionnel a ainsi estimé que les garanties légales prévues n’étaient pas suffisantes et qu’il revenait au législateur de les instituer.

Or l’exploitation des données informatique peut se révéler capitale pour appréhender la menace qu’une personne peut présenter pour la sécurité et l’ordre publics. Si cette exploitation s’avère impossible dans le temps de la perquisition, ce qui est le plus souvent le cas, l’état actuel de la loi relative à l’état d’urgence ne permet pas d’effectuer de copie des données pourtant indispensables aux investigations postérieures à la perquisition.

2.2.2.3.- Objectif recherché

L’exploitation de l’intégralité des données informatiques est le plus souvent impossible durant le temps de la perquisition, à la fois par le volume des données concernées, par les éventuelles difficultés d’accès (codes, chiffrement, langue étrangère…) ou encore par la durée nécessairement limitée de la perquisition – tout particulièrement lorsqu’elle se déroule dans un environnement qui peut être périlleux pour les forces de l’ordre qui la conduisent et entraîner des troubles spécifiques à l’ordre public.

Il est donc indispensable que ces données puissent être exploitées indépendamment de la perquisition, dans des conditions permettant, dans le respect de la vie privée, d’obtenir toutes les informations sur les menaces à l’ordre et à la sécurité publics que peut représenter le comportement d’une personne.

Sur ce point, il peut être rappelé que la loi n°2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement a créé deux nouveaux délits visant à lutter contre la propagande djihadiste en ligne traduisant ainsi une nouvelle fois le rôle crucial de ce vecteur dans la diffusion des messages terroristes, dans le recrutement et dans la radicalisation de certains individus.

Or les données informatiques peuvent être très longues ou difficiles à copier durant une perquisition.

L’objectif prioritairement poursuivi lors d’une perquisition administrative est de d’exploiter les données informatiques durant le temps de la perquisition, ce qui est déjà autorisé dans le cadre de la loi relative à l’état d’urgence, par dispositions jugées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

Si cet objectif prioritaire est rendu impossible par les conditions dans lesquelles se déroule la perquisition, par le volume des données à exploiter ou par les difficultés d’accès aux données, il est nécessaire de pouvoir effectuer une copie de ces données, dans le cadre fixé par la décision 2016-536 QPC du Conseil constitutionnel.

Enfin dans ce même cadre constitutionnel, si la copie est impossible durant la perquisition, pour des raisons qui tiennent à la durée de la copie ou à toute autre difficulté technique, il est nécessaire de pouvoir saisir les matériels le temps nécessaire à la copie des données. C’est l’objectif poursuivi par les dispositions de l’article 2 du projet de loi.

2.2.2.4.- Options

Compte tenu de l’objectif recherché, la seule option possible consiste à créer un régime entourant de garanties légales la saisie administrative des données informatiques ou des supports matériels de ces données.

La décision du Conseil constitutionnel assimile la copie des données informatiques à une saisie. Aussi, le régime de la saisie pourra-t-il concerner à la fois les données et les supports, tout en tenant compte de la différence de nature de l’atteinte portée aux droits de la personne concernée : droit au respect de la vie privée pour ce qui concerne les données, droit de propriété combiné au droit au respect de la vie privée pour ce qui concerne les supports.

Pour que le régime légal prenne pleinement en compte la décision du Conseil constitutionnel, il apparaît nécessaire :

a.- que des conditions soient posées à la copie des données informatiques et à la saisie, le cas échéant, des supports en vue de leur exploitation ;

b.- que le juge administratif autorise l’exploitation des données informatiques ;

c.- qu’il soit dressé un inventaire des saisies et que l’intégrité des données et matériels saisis soit garantie ;

d.- que des délais de conservation et de restitution des matériels soient définis ;

e.- que des modalités de tri entre les données utiles et les autres soient précisées ;

f.- qu’une voie de recours soit prévue.

Il est répondu à chacune de ces exigences :

a.- Conditions posées à la copie des données ou à la saisie des supports

Pour que la copie ou la saisie des supports soit possible, le projet de loi prévoit que la perquisition doit « révéle[r] l’existence d’éléments, notamment informatiques, relatifs à la menace que constitue pour la sécurité et l’ordre publics le comportement de la personne concernée ». Ainsi, si ces éléments, qui sont distincts de ceux qui ont motivé la perquisition, ne sont pas révélés par la perquisition, la copie des données informatiques voire la saisie des matériels ne sera pas autorisée.

De plus, la saisie des matériels suppose que la copie des données ne puisse être « réalisée ou achevée pendant le temps de la perquisition », de sorte qu’il s’agisse nécessairement d’une motivation spécifique à la fois pour la copie des données et pour la saisie des matériels.

b.- Autorisation de l’exploitation des données par le juge administratif

Le Conseil constitutionnel a précisé que la copie des données devait être regardée comme une saisie, et qu’il était impératif qu’un juge autorise soit la saisie soit l’exploitation des données.

En effet, le Conseil constitutionnel ayant validé le régime de la perquisition administrative, qui comprend également l’accès, durant le temps de la perquisition, aux données informatiques, il apparaît que l’intervention d’un juge devient nécessaire dès lors que l’accès aux données perdure au-delà de la perquisition.

Conformément aux règles de compétences juridictionnelles de chaque ordre de juridiction (n°86-224 DC du 23 janvier 1987), ce juge est le juge administratif. En effet, comme les perquisitions administratives dont elles constituent l’accessoire, les saisies de données numériques doivent être regardées comme relevant « de la seule police administrative » (décision n°2016-536 QPC précitée, cons. 4 au sujet des perquisitions administratives). Et pas davantage que les perquisitions, les saisies de données n’affectent la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution (même décision, même cons.).

Le dispositif proposé par le projet de loi distingue la copie des données et la saisie des matériels, d’une part, et leur exploitation, d’autre part. Ainsi, dans les cas où il est nécessaire de procéder à la copie des données ou à la saisie des matériels, cette copie ou cette saisie ne peut matériellement pas être effectuée avec l’autorisation d’un juge : le temps nécessaire à l’obtention de cette autorisation risquerait d’être mis à profit pour faire disparaître les données. Par ailleurs, il n’est généralement pas possible de savoir avant la perquisition si des saisies informatiques pourraient s’avérer nécessaires. Dès lors il n’est ni possible ni souhaitable, pour une mesure de police administrative, de saisir le juge avant la conduite de la perquisition. Le juge ne pourrait en effet se fonder pour autoriser la saisie de données informatiques sur aucun élément distinct de ceux qui motivent la perquisition administrative (« raisons sérieuses de penser que [le] lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public ») pour autoriser spécifiquement et a priori la saisie des données. La garantie légale serait insuffisante. A l’inverse, fonder la possibilité de saisir les données sur la découverte, au cours de la perquisition, d’éléments, notamment informatiques, relatifs à la menace que constitue pour la sécurité et l’ordre publics le comportement de la personne concernée par la perquisition, offre un motif juridique distinct et spécifique à cette saisie. La garantie légale est ainsi renforcée.

Par ailleurs, c’est l’exploitation des données informatiques qui présente le caractère d’une atteinte au respect de la vie privée. Dès lors, le projet de loi prévoit systématiquement pour cette exploitation une autorisation du juge des référés du tribunal administratif du lieu de la perquisition. Tant que cette autorisation ne sera pas délivrée, les données et matériels ne pourront pas être exploités. En cas de refus du juge, les données seront détruites et les supports saisis restitués à leur propriétaire, ce qui constitue une autre importante garantie propre à satisfaire aux conditions posées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 19 février 2016.

c.- Inventaire des saisies et garantie de l’intégrité des données et matériels saisis

La copie des données ou la saisie des systèmes informatiques ou des équipements terminaux est réalisée en présence de l’officier de police judiciaire.

Les dispositions du code de procédure pénale relatives aux scellés judiciaires ne pouvant trouver à s’appliquer dans le cas d’une saisie administrative, il est prévu que l’agent sous la responsabilité duquel est conduite la perquisition dresse un procès-verbal de saisie, qui en indique les motifs et dresse l’inventaire des matériels saisis.

Les matériels et données sont conservés sous la responsabilité du chef du service qui a procédé à la perquisition et à la saisie. Cette responsabilité comprend la garantie de l’intégrité des données.

d.- Délais de conservation et de restitution des matériels éventuellement saisis

Le projet de texte prévoit que les données et supports saisis sont conservés pendant le temps strictement nécessaire à leur exploitation ou leur examen. Cette durée est distincte selon qu’il s’agit des supports matériels – afin de limiter l’atteinte au droit de propriété – ou des données – dont la durée maximale de conservation vise à opérer un équilibre entre les nécessités de la sauvegarde de l’ordre public et le droit au respect de la vie privée.

Ainsi et en tout état de cause, les matériels ne pourront être conservés plus de quinze jours, et les données ne présentant pas d’utilité pour caractériser la menace pour la sécurité et l’ordre publics représentée par l’individu concerné plus de trois mois – cette durée pouvant être prorogée par le juge administratif au vu des difficultés de leur exploitation. Si l’exploitation ou l’examen des supports matériels (systèmes informatiques, équipements terminaux) ne peut être achevé dans le délai de quinze jours avant leur restitution à leur propriétaire, une copie des données pourra être effectuée.

e.- Tri entre données utiles et données inutiles, immédiatement détruites

Le Conseil constitutionnel avait relevé que pouvaient  « être copiées des données dépourvues de lien avec la personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ayant fréquenté le lieu où a été ordonnée la perquisition », dans la disposition qu’il a censurée.

La disposition proposée prévoit dès lors que « le juge des référés du tribunal administratif du lieu de la perquisition peut, au vu des éléments révélés par la perquisition, autoriser l’exploitation des données saisies, à l’exception des éléments dépourvus de tout lien avec la menace que constitue le comportement de la personne concernée pour la sécurité et l’ordre publics. »

La disposition proposée prévoit par ailleurs un régime de destruction des données autres que celles qui caractérisent la menace que constitue pour la sécurité et l’ordre publics le comportement de la personne concernée à l’expiration d’un délai maximal de trois mois, ce délai pouvant être prorogé une fois par le juge administratif pour la même durée, uniquement dans le cas où apparaîtraient des difficultés de leur exploitation. En revanche, la conservation des données caractérisant cette menace est indispensable à l’exercice de leur mission, dans la durée, par les services chargés de prévenir les troubles à la sécurité et à l’ordre publics. Ces éléments pourront ainsi notamment, le cas échéant, fonder l’adoption de mesures de police administrative (assignation à résidence dans le cadre de l’état d’urgence ; interdiction de sortie du territoire, interdiction administrative du territoire, expulsion, gel d’avoirs… dans le cadre du droit commun).

f.- Voie de recours

Le recours prévu est celui du juge des référés du tribunal administratif du lieu de la perquisition, statuant dans les formes prévues au livre V du code de justice administrative (procédures de référé). L’appel sera formé devant le Conseil d’Etat, dans un délai de quinze jours.

Dans le cas où l’appel est formé contre une décision refusant l’exploitation de donnée, la conservation des supports ou la prorogation de leur durée de conservation, il est prévu que l’appel soit suspensif, par dérogation au droit commun des procédures d’appel en contentieux administratif, afin d’éviter la destruction des données, qui serait irrémédiable et priverait l’appel de tout effet utile.

2.2.2.5.- Impacts attendus

L’efficacité des perquisitions administrative tient, pour une part importante, à la capacité de prendre connaissance et d’exploiter les données informatiques des personnes visées. En effet, une part déterminante de la caractérisation de la menace pour l’ordre et la sécurité publics tient aux contacts de la personne, à ses mails, aux sites internet consultés… En l’état actuel du droit, seule l’exploitation pendant la perquisition est autorisée, ce qui est rendu compliqué par l’ampleur des données, leur difficulté d’accès, et souvent le temps limité de la perquisition.

D’autre part, un impact particulièrement attendu sera de pouvoir disposer d’une meilleure motivation des décisions de police administrative, qui pourront davantage être fondées sur des éléments incontestables et matériels, dans la mesure où les éléments exploités permettant de caractériser une menace pour la sécurité et l’ordre public de la personne concernée pourront être conservés et utilisés.

Partie 3 : Liste des consultations et des textes d’application

3.1.- Consultations obligatoires

Seule la consultation du Conseil d’Etat est obligatoire.

3.2.- Textes d’application

Aucun texte d’application n’est nécessaire pour l’application de la loi.

3.3.- Application outre-mer

Les dispositions modifiant la loi de 1955 sont applicables sur l’ensemble du territoire de la République française.


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