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N° 221

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 septembre 2012.

PROPOSITION DE LOI

tendant à prévenir le surendettement,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jean-Christophe LAGARDE,

député.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le surendettement est à l’origine de situations de détresse qui ne peuvent laisser indifférents le parlement et le gouvernement. Chaque année, près de 200 000 personnes entrent en situation de surendettement. Leur nombre croît dans une proportion très significative, de l’ordre de 15 % par an.

Depuis de nombreuses années, le législateur s’est saisi du problème et a notablement amélioré le traitement des situations de surendettement en créant, d’abord, les commissions de surendettement avec la loi Neiertz de 1989 et, ensuite, la procédure de rétablissement personnel avec la loi Borloo du 1er août 2003.

Pourtant, ces deux dispositions, pour utiles qu’elles soient, ne concernent que le traitement des situations avérées de surendettement.

Les pouvoirs publics ont alors essayé, par la suite, d’agir plus en amont en renforçant les dispositifs de prévention du surendettement notamment, il y a encore quelques mois avec le projet de loi portant réforme du crédit à la consommation.

Les enquêtes réalisées annuellement par la Banque de France montrent que les crédits à la consommation occupent une place prépondérante dans l’endettement.

Le surendettement peut être la résultante de plusieurs facteurs et l’auteur de cette proposition de loi n’entend pas nier le facteur significatif des accidents de la vie. A contrario, il convient également de ne pas le surévaluer.

Si l’on assiste à une diminution de la part des dossiers comportant au moins un crédit revolving, on voit simultanément une augmentation de la densité de ce type de crédits dans les dossiers qui en comportent (8 lignes de crédit revolving par dossier en 2011 contre 4 en 2005).

Dans son enquête typologique sur le surendettement de 2010, la Banque de France constate le caractère mixte de l’endettement et démontre l’augmentation de la part du recours excessif au crédit parmi les causes de surendettement.

Dans la même perspective, la Cour des comptes a publié en février 2010 un rapport dans lequel elle révèle que les statistiques sur le surendettement publiées depuis 20 ans par la Banque de France sont elles-mêmes entachées d’un biais méthodologique dans leur construction. Beaucoup de dossiers classés dans la catégorie « surendettements passifs » (causés par un accident de la vie) auraient dû être considérés comme faisant partie des « surendettements actifs » (dus à un excès de souscription de crédits).

La conclusion de la Cour des comptes est claire : le surendettement est en grande partie « actif » et 70 % des crédits non remboursés sont du type « crédits renouvelables ». L’encours moyen est de 40 000 euros par dossier dont 17 600 euros pour les crédits assortis d’une échéance et 20 000 euros pour les crédits communément appelés renouvelables. Ces crédits sont accordés sans étude approfondie de la situation des bénéficiaires, parfois directement à la caisse d’un grand magasin.

C’est donc conscients du rôle central joué par l’attribution parfois abusive de crédits à la consommation dans le processus de surendettement que les pouvoir publics ont alors décidé d’encadrer leurs pratiques. Hélas, ils se sont contentés de tenter de réglementer la publicité autour des crédits à la consommation et améliorer l’information des souscripteurs de prêts.

On le voit bien, ces efforts sont restés insuffisants pour réduire le nombre de foyers surendettés.

Et s’ils sont insuffisants, c’est parce qu’ils ne s’attaquent qu’à un bout de la chaîne et visent uniquement à responsabiliser l’emprunteur. Or, comme les parlementaires centristes le soutiennent depuis de nombreuses années par le biais du dépôt de plusieurs propositions de loi et de plusieurs amendements, il faut privilégier une co-responsabilisation des deux acteurs du prêt : le prêteur et l’emprunteur. On voit bien trop souvent des organismes peu regardants accorder des crédits à des personnes dont la situation financière n’offre manifestement aucune garantie de remboursement. Et ces mêmes organismes, en cas de défaillance de l’emprunteur, se tournent ensuite vers la société pour obtenir réparation d’une rupture d’un contrat relevant du droit privé.

Ainsi, afin de responsabiliser les établissements de crédits, il apparaît naturel d’exiger qu’ils étudient avec précision la situation financière des souscripteurs et décident, en connaissance de cause, d’octroyer ou non le crédit qui leur est demandé. S’il apparaissait alors que l’établissement de crédit n’avait pas procédé à cette vérification, il serait dès lors responsable de la non-solvabilité éventuelle du souscripteur et ne pourrait donc pas engager de procédures de recouvrement, sauf si le souscripteur a délibérément fourni de fausses informations le concernant (article 1er).

Dans le cadre nouveau de la responsabilisation des organismes prêteurs, l’auteur estime qu’il convient, en contrepartie, de leur donner les moyens de s’informer de la situation d’endettement personnelle des emprunteurs. Ils ont aujourd’hui à leur disposition le fichier des incidents de paiement (FICP) mais son actualisation est bien trop longue pour permettre une vision précise et réelle de la situation de l’emprunteur au moment de la demande. Et en tout état de cause, lorsqu’un demandeur d’emprunt est inscrit à ce fichier, il est souvent déjà trop tard.

Par ce texte, il est ainsi proposé la création d’un répertoire national des crédits aux particuliers pour des besoins non professionnels (article 2) qui a l’avantage de donner aux établissements de crédit des éléments d’appréciation plus prospectifs au moment même de la décision d’octroi du crédit.

Ce répertoire offrirait une double protection aux consommateurs :

- il serait géré par la seule Banque de France à l’exclusion de tout organisme privé, bancaire ou non ;

- et les établissements de crédit n’auraient accès aux informations que pour un temps limité et uniquement dans l’hypothèse où l’emprunteur potentiel les y aurait explicitement autorisés, interdisant ainsi tout usage commercial de ce répertoire. De plus, il est précisé que la remise à un tiers d’une copie des informations contenues dans le registre ainsi que la demande de remises de données contenues dans le registre ou l’accès à ce dernier par des personnes non autorisées à le consulter, seront passibles de sanctions pénales.

Au niveau international, les dispositifs de type « répertoire » existent dans quasiment tous les pays. À l’échelle européenne, il est frappant de constater que la France est isolée sur ce sujet car elle est le seul pays à ne pas en disposer. Ce manque explique en grande partie les écarts considérables de montant moyen du dossier de surendettement : environ 40 000 euros en France et aux alentours de 20 000 euros pour les autres pays européens.

Aujourd’hui, le coût de vérification des dossiers est très élevé pour les organismes prêteurs, ce qui ne contribue qu’à les dissuader de se renseigner sur la solvabilité de l’emprunteur lorsque le montant du prêt n’est pas assez élevé. Le coût de consultation de ce répertoire sera fixé par décret en Conseil d’État afin de permettre d’amortir l’investissement et de financer de façon pérenne son fonctionnement sans que cela ne coûte ni à la Banque de France ni à l’État.

Depuis bientôt dix ans, de nombreuses initiatives parlementaires ont été prises afin de mettre en place un répertoire national des crédits et les centristes ont été les précurseurs en la matière. En effet, dès 2003, lors de l’examen du projet de loi instaurant une procédure de rétablissement personnel, le groupe UDF à l’Assemblée nationale proposait la création d’un répertoire national des crédits. De même, le groupe UDF avait inscrit à l’ordre du jour deux propositions de loi en ce sens discutées en 2005 et 2006. Des amendements ont également été présentés à ce sujet par le groupe parlementaire centriste à l’occasion des discussions du projet de loi sur la réforme du crédit à la consommation. Lors de l’examen de ce projet de loi, Madame Lagarde avait déclaré lors de la 2e séance du vendredi 9 avril 2010 que la question de l’opportunité de la création d’un tel répertoire était tranchée et qu’il convenait de réfléchir aux modalités de sa création le plus rapidement possible. Il avait alors été décidé qu’un rapport sur « la préfiguration de la création d’un registre national des crédits aux particuliers » serait remis ultérieurement au gouvernement. Un comité de préfiguration a été créé afin d’étudier les modalités de mise en place de ce répertoire.

Ce comité a travaillé de septembre 2010 à juin 2011. Toutefois, suite à la remise du rapport par ce comité largement composé (au 2/3) par des acteurs qui se sont publiquement opposés à ce fichier, force est de constater qu’une volonté d’échec de la mise en œuvre de ce dernier est plus forte que jamais.

Sur la forme, les banques ont réussi à imposer à travers ce comité :

que l’identifiant choisi soit le NIR (numéro de sécurité sociale).

Ce choix est pervers, car les banques savent que cela provoquera une levée de boucliers immédiate, notamment de la CNIL (qui s’est exprimée à ce sujet), et que sa mise en place sera longue et difficile.

A contrario, l’auteur propose, avec notamment de nombreuses associations de lutte contre le surendettement et les acteurs favorables à ce répertoire, de reprendre l’identifiant utilisé dans le Ficoba (Fichier national des comptes bancaires), qui permettrait que le fichier soit utilisable immédiatement et qui a surtout d’ores et déjà fait ses preuves.

En proposant sciemment un identifiant irréaliste, les banques cherchent à rendre la création du registre national des crédits impossible et poursuivent le dessein d’empêcher l’intégration du stock existant dans le fichier positif dès lors qu’aucune des lignes de crédits actuellement octroyée n’est reliée au NIR ;

que l’évaluation de la solvabilité soit réduite à son minimum, puisque le fichier positif ne mentionnera ni les mensualités ni aucune information sur la durée de chaque type de crédit (amortissable, immobilier, RAC…).

Cela revient à faire un fichier positif inutile et donc trompeur.

En choisissant cette solution, le comité s’expose donc à ce que de nombreux drames viennent à nouveau émailler tristement l’actualité des prochains mois.

Lors de l’examen du projet de loi sur la protection des consommateurs où des amendements portant la création du répertoire national du crédit ont été à nouveau défendus par les députés centristes, il leur a été opposé des réserves de fond contenu dans un avis de la CNIL. L’auteur de cette proposition de loi a, après un échange approfondi avec cette institution, pris en compte cet avis. Aujourd’hui il considère que l’essentiel, afin d’éviter le fléau du surendettement, est bien que l’identifiant choisi permette une efficience rapide du répertoire.

De plus, lors de la campagne de l’élection présidentielle, l’actuel Président de la République, alors candidat, s’est engagé lors de l’émission politique de TF1 « Paroles de candidat » en faveur de la mise en place d’un répertoire national des crédits en répondant à une question du Président de l’association CRESUS.

Ainsi cette proposition de loi, qui a pour objectif de proposer une voie alternative, réaliste et efficiente afin de venir en aide aux ménages les plus modestes et les plus fragiles de notre pays, ne devrait plus rencontrer d’obstacle dans son processus d’adoption.

Telles sont les principales orientations de la présente proposition de loi qu’il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter.


PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Après l’article L. 311-10-1 du code de la consommation, il est inséré un article L. 311-10-2 ainsi rédigé :

« Art. L. 311-10-2. – Le prêteur qui a accordé un crédit sans s’être préalablement informé de la situation de solvabilité de l’emprunteur, et notamment de sa situation d’endettement global et de ses revenus, ne peut exercer de procédure de recouvrement à l’encontre de l’emprunteur défaillant, ou de toute personne physique ou morale s’étant portée caution, sauf si l’emprunteur a, en connaissance de cause, fait des fausses déclarations ou remis des documents inexacts en vue d’obtenir un crédit. »

Article 2

La section 1 du chapitre III du titre Ier du livre III du code monétaire et financier est complétée par une sous-section 4 ainsi rédigée :

« Sous-section 4

« Répertoire national des crédits aux particuliers
pour des besoins non professionnels

« Art. L. 313-6-1. – Il est institué un répertoire national recensant les crédits accordés aux personnes physiques pour des besoins non professionnels. Ce fichier est géré par la Banque de France. Il est soumis aux dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

« Les établissements de crédit visés par le livre V du présent code ainsi que les services financiers de La Poste sont tenus de déclarer à la Banque de France les principales caractéristiques des crédits accordés à chaque emprunteur, et notamment le montant, le taux effectif global et l’échéancier de remboursement. Les établissements prêteurs transmettent à la Banque de France les modifications des conditions du crédit.

« L’inscription est conservée pendant toute la durée d’exécution du contrat.

« La Banque de France est seule habilitée à centraliser les informations visées au premier alinéa. Les établissements de crédit et les services financiers susvisés ne peuvent consulter ce fichier à d’autres fins que l’examen de la solvabilité du souscripteur. Ils ne peuvent en aucun cas conserver les informations ainsi obtenues dans un fichier automatisé.

« La Banque de France est déliée du secret professionnel pour la diffusion, aux établissements de crédit et aux services financiers susvisés, des informations nominatives contenues dans le fichier à la demande de ceux-ci avec l’accord écrit préalable du souscripteur.

« La remise à un tiers d’une copie des informations contenues dans le registre ainsi que la demande de remises de données contenues dans le registre ou l’accès à ce dernier par des personnes non autorisées à le consulter sont passibles de sanctions pénales précisées par décret en Conseil d’État.

« Un arrêté du ministre des finances, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et du comité visé à l’article L. 614-1, fixe notamment les modalités de collecte, d’enregistrement, de conservation et de consultation de ces informations.

« Dans les départements d’outre-mer, l’institut d’émission des départements d’outre-mer exerce, en liaison avec la Banque de France, les attributions dévolues à celle-ci par le présent article.

« Le coût de création et de consultation de ce répertoire est réparti entre les utilisateurs de ce dernier selon des modalités fixées par décret en Conseil d’État.

« Ce registre national des crédits aux particuliers entre en vigueur dans un délai maximum de dix-huit mois après la promulgation de la loi n°                   du                  tendant à prévenir le surendettement.

« Des décrets en Conseil d’État déterminent les conditions d’application de cet article. »


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