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N° 300

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 octobre 2012.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

relative à la préservation des insectes pollinisateurs
et à un moratoire sur les pesticides de la famille
des néonicotinoïdes et des phénylpyrazoles,

présentée par Mesdames et Messieurs

Laurence ABEILLE, Éric ALAUZET, Brigitte ALLAIN, Isabelle ATTARD, Danielle AUROI, Denis BAUPIN, Michèle BONNETON, Christophe CAVARD, Sergio CORONADO, François-Michel LAMBERT, Noël MAMÈRE, Véronique MASSONNEAU, Paul MOLAC, Barbara POMPILI, Jean-Louis ROUMEGAS, François de RUGY et Eva SAS,

députés.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les néonicotinoïdes et les phénylpyrasoles sont une des classes d’insecticides agissant sur le système nerveux central des insectes. Ce type de pesticide est présent sur le marché de l’agrochimie depuis 1994. Sous ces dénominations, on trouve les substances actives suivantes : thiaméthoxam, imidaclopride, thiaclopride, acétamipride, et clothianidine pour les néonicotinoïdes, et le fipronil pour la famille des phénylpyrasoles.

Plus aucun doute n’existe sur le fait que ces pesticides systémiques, utilisés massivement dans l’agriculture intensive, sont l’une des causes de la surmortalité des abeilles et des phénomènes d’effondrement des colonies. Les preuves sont suffisamment nombreuses et intangibles pour appliquer le principe de précaution et interdire cette gamme de pesticide.

L’abeille est le vecteur de pollinisation indispensable à la biodiversité. Le manque de pollinisateurs conduira inévitablement à un déclin des cultures : il est donc nécessaire de protéger les abeilles et de prendre en compte les services environnementaux qu’elles procurent. La valeur de la pollinisation a été estimée à 153 milliards de dollars par an (1). De même, 35 % de la production mondiale de nourriture est liée aux insectes pollinisateurs (2). Alors que la population mondiale croît inexorablement, que les tensions sur les marchés alimentaires sont fortes, que des milliards d’humains dépendent de la pollinisation pour se nourrir, il est urgent et nécessaire d’agir.

La liste des cultures pour lesquelles la pollinisation des abeilles entre en jeu est longue : les cultures fruitières (abricotier, amandier, cerisier, fraisier, pêcher, poirier, pommier, prunier), les cucurbitacées (courgette, melon, pastèque), les solanées (tomate, poivron), le kiwi, les cultures oléagineuses (colza, tournesol) et protéagineuses (féverole), des légumes et condiments (artichaut, chou, fenouil, oignon, persil, poireau, scarole et frisée) des cultures fourragères (luzerne, trèfle), etc. Certaines cultures n’existeraient pas sans le butinage d’insectes pollinisateurs : framboises, mûres, cassis, groseille, etc.

Les abeilles ne sont pas les seuls pollinisateurs indispensables à l’activité agricole, les bourdons jouent également un rôle de premier plan et subissent également les risques d’une utilisation massive de pesticides systémiques.

L’Union Nationale de l’Apiculture Française (UNAF) pointe plusieurs indices concordants expliquant le lien entre surmortalité des abeilles et utilisation des pesticides systémiques :

- La répartition géographique des pertes : les villes sont beaucoup moins concernées ;

- La concomitance du phénomène avec l’utilisation de ce type de pesticide ;

- Les variations de situation d’un rucher à l’autre : la cause de cette surmortalité est à rechercher dans l’environnement direct des ruches.

De nombreuses études scientifiques ont prouvé la très forte toxicité de ces pesticides sur les abeilles. Ces pesticides sont utilisés en traitement de semences : l’enrobage de la graine entraîne un effet dit systémique « à haute persistance », c’est-à-dire que le pesticide est diffusé tout au long de la vie de la plante, notamment dans les fleurs que butinent les abeilles. N’étant pas appliqué par pulvérisation mais par enrobage, le produit est beaucoup plus nocif, avec des effets à long terme extrêmement préjudiciables.

Une étude française publiée dans la revue Science le 29 mars 2012 (3) a révélé les risques des pesticides sur le système nerveux central des abeilles, entraînant la mort indirecte liée à la perte de sens de l’orientation et donc au non-retour à la ruche. La plupart des études se concentrent sur les doses létales de pesticides, notamment dans le cadre des autorisations de mise sur le marché. Or des doses non létales, souvent de faibles doses, peuvent avoir des conséquences catastrophiques pour les abeilles, l’effet létal étant alors indirect. Cette étude a révélé une surmortalité très importante des abeilles exposées à une dose pourtant 5 fois inférieure aux doses considérées comme mortelles. Loin de leur ruche, les abeilles meurent trois fois plus que le taux normal. Une seule explication : les pesticides interfèrent avec le système de localisation des abeilles, ce qui entraîne la mort indirecte par non-retour à la ruche.

L’évaluation des risques des pesticides doit donc nécessairement et systématiquement prendre en compte les effets létaux indirects, et notamment l’impact sur les pollinisateurs, ainsi que la toxicité chronique, larvaire et sublétale.

Une autre étude britannique publiée le même jour a révélé les risques des pesticides sur les populations de bourdons : les colonies contaminées par les pesticides montrent une réduction significative de leur croissance, et produisent 85 % de reines en moins que les colonies témoins, soit 85 % de nids en moins l’année suivante…

L’Italie a interdit les insecticides néonicotinoïdes sur le maïs en 2008. Depuis cette interdiction, l’apiculture italienne est "en forte reprise après la mortalité massive des abeilles ces dernières années", selon le rapport 2011 de l’INEA (Instituto Nazionale di Economia Agraria - Institut National italien pour l’Économie Agricole). La France doit agir de même.

De nombreuses institutions, internationales et européennes notamment, demandent aux États d’adopter une législation plus respectueuse de la biodiversité et des abeilles. Le Programme des Nations-Unies pour l’Environnement (PNUE), dans un rapport du 10 mars 2011 au nom évocateur (« Désordre dans les colonies d’abeilles et autres menaces sur les pollinisateurs »), constate la baisse brutale du nombre de colonies dans le monde et appelle à la mise en place de mesures d’incitation à la restauration des habitats des pollinisateurs.

Le 23 mai 2012, l’Autorité Européenne de Sécurité Alimentaire (EFSA) a publié un avis scientifique, d’une importance majeure, sur la manière dont les pesticides devraient être évalués quant à leur impact sur les abeilles. Cette analyse approfondie prouve que les pesticides systémiques de la famille des néonicotinoïdes et des phénylpyrasoles n’ont jamais été correctement évalués et en conséquence, que les autorisations de mise sur le marché se sont fondées sur des évaluations erronées. L’autorité a passé en revue les évaluations menées jusqu’alors et elle relève de nombreux manquements dans le dispositif d’évaluation existant. À titre d’exemple, elle pointe du doigt des « faiblesses majeures » (4) dans les études en plein champs. L’EFSA reconnaît donc que les tests appliqués aux substances actives avant autorisation ne permettent pas scientifiquement de répondre à leurs objectifs règlementaires : permettre à l’autorité politique d’évaluer si les effets sont acceptables ou non. Alors qu’il est admis par l’EFSA que les méthodes d’évaluation du risque ont été utilisées à tort pour mesurer la toxicité des nouveaux pesticides systémiques, ce sont toutes les autorisations de pesticides systémiques qui devraient être suspendues, le temps d’une réévaluation complète des produits.

La commission européenne dans une communication de janvier 2011 sur la santé des abeilles ainsi que le Parlement européen dans une résolution du 15 novembre 2011 appellent à des actions concrètes pour la sauvegarde des abeilles.

Le plan Ecophyto 2018 adopté dans le cadre du Grenelle de l’environnement prévoit une réduction de l’usage des pesticides de 50 % d’ici 2018. Il est nécessaire de respecter ces critères, la conversion vers une agriculture raisonnée, durable et à terme entièrement biologique est une exigence sur laquelle il n’est plus possible de transiger.

En France, le Ministre de l’agriculture a retiré le 28 juin 2012 l’autorisation de mise sur le marché du Cruiser OSR sur le colza. Cette interdiction n’est qu’une première étape.

* * *

Les risques ne pouvant plus être niés, cette proposition de résolution vise à interdire l’ensemble des pesticides néonicotinoïdes et des phénylpyrazoles en France afin de préserver la biodiversité, les abeilles et les services écologiques qu’elles rendent.

Selon le règlement européen sur la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (n° 1107/2009), et notamment l’article 49, la procédure d’interdiction n’est désormais plus exclusivement nationale. Ce règlement prévoit que l’État membre doit informer la Commission de son intention d’interdire l’utilisation de semences traitées à l’aide d’une substance active. Si la Commission ne fait rien, alors l’État peut l’interdire, après aval des États membres et de la Commission. La France doit engager cette procédure.


PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu la charte de l’environnement et notamment son article 5,

Vu la Convention sur la Diversité Biologique,

Vu la résolution du Parlement européen du 15 novembre 2011 sur la santé des abeilles et les défis lancés au secteur apicole,

Vu le plan ECOPYTHO 2018 qui prévoit le retrait des pesticides contenant des substances préoccupantes,

Vu le rapport « Désordre dans les colonies d’abeilles et autres menaces sur les pollinisateurs » du Programme des Nations-Unies pour l’Environnement du 10 mars 2011,

Vu l’avis de l’Autorité Européenne de Sécurité Alimentaire du 23 mai 2012,

Vu le règlement européen sur la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (n° 1107/2009), notamment les articles 49 et 71,

Considérant que le recul du nombre d’abeilles et les phénomènes d’effondrement de colonies sont suffisamment inquiétants pour que la représentation nationale se saisisse rapidement de ce problème,

Considérant que les colonies d’abeilles fournissent grâce à la pollinisation un service écologique primordial pour la sécurité alimentaire,

Considérant que le principe de précaution doit être appliqué dès lors que les risques sur la santé et l’environnement ne peuvent plus être écartés,

Considérant que la protection de la biodiversité est une impérieuse nécessité,

Demande instamment un moratoire sur la fabrication, la mise sur le marché et l’utilisation de l’ensemble des pesticides néonicotinoïdes et des phénylpyrazoles en France.

1 () Gallai et al., 2008.

2 () Proceedings of the Royal Society, octobre 2006.

3 () Étude de Mickaël Henry de l’INRA et d’Axel Decourtye (ACTA) publiée dans la revue Science le jeudi 29 mars 2012.

4 () « major weaknesses », p. 4 et 49.


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