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N° 352

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 novembre 2012.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête
sur le coût économique de l’instabilité juridique
en matière fiscale et sociale,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut
de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Yves FOULON, Laure de LA RAUDIÈRE, Philippe GOSSELIN, Dino CINIERI, Olivier DASSAULT, Dominique TIAN, Georges GINESTA, Patrick HETZEL, Annie GENEVARD, Alain CHRÉTIEN, Jean-Pierre DECOOL, Philippe LE RAY, Virginie DUBY-MULLER, Marc LE FUR, Damien ABAD, Jean-Charles TAUGOURDEAU, Étienne BLANC, Jean-Pierre VIGIER, Alain MOYNE-BRESSAND, Jean-Claude MATHIS, Michel TERROT, François CORNUT-GENTILLE, Philippe COCHET, Lionel TARDY, Marie-Christine DALLOZ, Guillaume LARRIVÉ, Éric STRAUMANN, Paul SALEN, Christian ESTROSI, Guy TEISSIER, Bernard PERRUT, Michel ZUMKELLER, Valérie BOYER, Anne GROMMERCH, Valérie LACROUTE, Olivier MARLEIX, Jean-Luc MOUDENC, Claudine SCHMID, Michel VOISIN, Laurent FURST, Véronique LOUWAGIE, Lionnel LUCA, Arlette GROSSKOST, Claude de GANAY et Jean-Marie TETART,

députés.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Dans sa « Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations », Adam Smith expliquait en 1776 que « la taxe ou portion d’impôt que chaque individu est tenu de payer doit être certain et non arbitraire ». Cette qualité essentielle de la fiscalité, la « certitude », est effectivement à la base du principe de sécurité juridique du contribuable en droit fiscal. Un tel principe de sécurité, partie intégrante du principe de sûreté figurant à l’article 2 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, suppose par conséquent que la réglementation qui impose les charges aux contribuables et aux entreprises doit être suffisamment claire et précise, afin que ces derniers puissent aisément se prévaloir de leurs droits et respecter leurs obligations.

Cependant, un constat sévère s’impose aujourd’hui en France : la multiplication des textes et de leur interprétation a progressivement transformé le droit fiscal et le droit social français en un droit volumineux, complexe et obscur. Il ne se passe pas une semaine sans que nous remettions en cause ici une exonération ou un abattement, là une niche ou un plafond, etc. La France compte quasiment autant d’impôts que de jours dans l’année. Le code général des impôts (CGI) et le Livre des Procédures Fiscales contiennent près de 4 000 articles législatifs ou réglementaires. En outre, à l’accroissement du flux annuel de normes s’ajoute l’essor de textes fleuves : le CGI comporte désormais près de 3 000 pages dans son format traditionnel. La France a une réputation bien établie de surréglementation et plus encore d’instabilité de la réglementation.

De ce fait, les particuliers comme les entreprises, se retrouvent dans une situation précaire, ne pouvant plus connaître avec certitude ni leur régime fiscal, ni les nouvelles règles régissant leur régime social. En conséquence, leur ignorance croissante du droit applicable les plonge chaque année un peu plus dans une instabilité totale.

Le Journal Les Echos, titrait, dans son édition du 1er juin 2011 : « Cette instabilité qui plombe nos entreprises ». Toutes les entreprises ne succombent pas sous l’effet du changement permanent des règles du jeu. Mais toutes en souffrent. La preuve : pour 78 % des 1 600 entrepreneurs interrogés par l’association Parrainer la croissance en 2011, la première décision que devrait prendre un gouvernement pour relancer l’emploi et la croissance serait de garantir un cadre réglementaire immuable sur cinq ans. « Les chefs d’entreprise ne réclament pas des baisses d’impôts ou de charges sociales, mais avant tout de la stabilité et de la simplicité », assure Denis Jacquet, président de cette association. Certes, dans tous les pays, les gouvernements votent en permanence de nouvelles lois, c’est la vie d’une démocratie. Mais, dans l’Hexagone, ce n’est plus de l’adaptation, c’est de la frénésie. « Cette créativité législative nous coûte une fortune, empêche d’investir sur le long terme et affaiblit le potentiel de croissance de la France », s’emporte Jean-Philippe Martinez, directeur des pépinières d’entreprises Innoveum et Eole. Des exemples ? Quatorze modifications du régime des stock-options en vingt ans ; six retouches de l’impôt sur les sociétés depuis 2004 ; quinze changements du régime des sociétés d’investissement immobilier cotées (Siic) depuis sa mise en place, en 2003... Chaque année, pas moins de 20 % des articles du code des impôts sont amendés. Parallèlement, de nombreuses lois attendent leurs décrets d’application depuis un ou deux ans, et seront peut-être abrogées avant même d’avoir pu être mises en place : près de la moitié des lois votées ces dernières années seraient ainsi inapplicables !

En outre, alors même que nous traversons la plus grave crise financière depuis 1929, cette instabilité juridique en matière fiscale et sociale décourage toute initiative économique et provoque des changements notables dans les décisions stratégiques de nos entreprises, y compris à l’échelle internationale. En effet, confrontés à un changement incessant des « règles du jeu », les opérateurs économiques souffrent d’un sérieux manque de visibilité.

Notre pays serait-il parvenu, comme le redoutait Frédéric Portalis, au moment « où le grand nombre de lois rendues (…) ne présente plus qu’un inextricable labyrinthe, où l’esprit du juge s’égare au milieu d’un nombre infini de dispositions en désordre, souvent opposées entre elles » ?

Il est vrai que la fiscalité occupe une place à part dans le débat politique, étant à la fois omniprésente – l’annonce de « mesures » fiscales est la base de la communication gouvernementale – et absente – ces mesures ne sont jamais mises en cohérence dans un véritable programme fiscal qui exposerait une vision des enjeux, une stratégie avec des objectifs, une perspective à moyen terme et un chiffrage des réformes envisagées. L’insuffisance du débat préalable au débat sur les mesures précises, ajoutée à l’absence d’évaluation après la mise en œuvre de ces mesures, expliquent en grande partie les dysfonctionnements de notre système fiscal.

L’enjeu économique est pourtant de taille : le droit et la jurisprudence communautaires favorisent la liberté d’implantation des entreprises où bon leur semble. Le statut de société européenne encourage à faire jouer la concurrence entre législations nationales pour donner la préférence au pays où le droit national est le plus favorable au secteur de l’entreprise. Ce choix de micro-État provient du fait que d’autres possèdent un atout qui fait singulièrement défaut à la France : leur législation ne change pas tous les matins. « Or ce qui vient à bout de la volonté d’entreprendre en France, déplore Philippe Portier, c’est l’instabilité juridique. » Pire encore, en matière de fiscalité, l’instabilité juridique a pour conséquence principale de favoriser l’évasion fiscale. À ce titre, l’exemple des « sociétés de base » (base companies) installées dans des pays à faible fiscalité (paradis fiscaux) est évocateur : ces sociétés n’ont pas d’activité propre, mais servent à concentrer et à gérer les bénéfices commerciaux et financiers réalisés dans le monde par leurs filiales et les établissements de leur groupe fondateur. De plus, à côté de l’impôt calculé sur le bénéfice et de l’impôt sur la consommation qu’elles sont chargées de collecter, les entreprise françaises sont amenées à payer une multitude de taxes calculées sur des assiettes diverses – masse salariale, chiffre d’affaires, certains postes de frais – et qui constituent pour elles des charges de production qui ne peuvent pas être répercutées sur leurs clients. Ces taxes représentent pour elles à la fois un poids non négligeable et une lourde charge administrative. Hors IS, ce sont 72 milliards d’euros de taxes diverses qui frappent la production – dont 25,5 milliards d’euros de « petites taxes » (4,6 % du PIB.) Le taux effectif de l’IS payé par les entreprises françaises se situe à seulement 20 %, ce qui est en deçà du taux nominal de 33,3 % établi par la loi. En revanche, si l’on y ajoute toutes les petites taxes (CFE, CVAE, IFER, C3S, taxe sur les activités polluantes…) très chères au législateur français, alors le taux implicite de taxation (hors cotisations sociales) passe à 29 % contre 27 % pour la moyenne de la zone euro. Il n’est dès lors pas étonnant que le magazine Forbes ait classé la France en première position du classement mondial de la « misère fiscale » – à savoir des pays dans lesquels les taux marginaux d’imposition sont les plus élevés – lors de ses deux dernières éditions en 2007 et 2009.

Enfin, l’instabilité juridique en matière sociale et fiscale se nourrit également de la nature parfois rétroactive de la modification des textes. En 2003 par exemple, ce sont ainsi 160 nouveaux articles fiscaux qui ont été créés, tandis que 279 ont été modifiés. De même, la rétroactivité fiscale
– véritable rupture anticipée du « contrat fiscal » – représente toujours un risque pour les contribuables : depuis 1982, près de 350 dispositions rétroactives peuvent être dénombrées, défavorables aux contribuables dans près d’un tiers des cas.

À ce jour, il n’existe pas de principe constitutionnel assurant la stabilité de notre système fiscal, alors même que la liberté d’entreprendre ne saurait être garantie sans sécurité juridique. Car, qui dit stabilité, dit prévisibilité à terme pour les investisseurs comme pour les contribuables.

Il convient donc d’évaluer et de déterminer le coût économique que représente l’instabilité juridique en matière fiscale et sociale pour la collectivité.

Quelles sont les sources de cette instabilité ? Comment font nos principaux concurrents pour empêcher un tel phénomène de se développer ? Quels sont les grands axes de la politique que notre pays doit mettre en œuvre pour remédier à cet état de fait ? De quels moyens, juridiques et matériels, ou de quelles structures devrait-il se doter ? Telles sont les principales questions auxquelles devra répondre la commission d’enquête. Au demeurant, pourquoi une Commission d’enquête ? Pour y voir clair.

Les citoyens, les contribuables, particuliers et entreprises, et les élus eux-mêmes éprouvent le besoin de faire le point et de prendre la mesure des bouleversements liés à la mondialisation, comme de la contribution de la politique fiscale et sociale à la compétitivité de notre économie.

Par ses pouvoirs d’investigation, la Commission d’enquête sera notamment à même d’obtenir des principaux acteurs concernés et de toutes les administrations, les informations qu’elles n’ont pas, ou que partiellement, communiquées jusqu’alors et, partant, de reconstituer la réalité du phénomène, d’en évaluer le coût et d’appréhender les moyens d’y mettre un terme.

Aussi, nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution suivante.


PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres chargée :

– d’établir précisément la réalité du phénomène de l’instabilité juridique en matière fiscale et sociale ;

– d’évaluer le coût de cette instabilité pour les acteurs économiques et la collectivité nationale ;

– et, à la lumière des politiques conduites par nos principaux concurrents, proposer les grands axes de la politique que notre pays doit mettre en œuvre pour remédier à cette situation.


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