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N° 1242

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 juillet 2013.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

visant à ôter au principe de précaution
sa portée constitutionnelle,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Éric WOERTH, Damien ABAD, Bernard ACCOYER, Yves ALBARELLO, Benoist APPARU, Julien AUBERT, Jean-Pierre BARBIER, Sylvain BERRIOS, Étienne BLANC, Valérie BOYER, Olivier CARRÉ, Gilles CARREZ, Luc CHATEL, Alain CHRÉTIEN, Dino CINIERI, Éric CIOTTI, Philippe COCHET, Jean-Michel COUVE, Marie-Christine DALLOZ, Olivier DASSAULT, Rémi DELATTE, Jean-Pierre DECOOL, Patrick DEVEDJIAN, Nicolas DHUICQ, Sophie DION, Jean-Pierre DOOR, Marianne DUBOIS, Daniel FASQUELLE, François FILLON, Marie-Louise FORT, Yves FOULON, Marc FRANCINA, Yves FROMION, Laurent FURST, Hervé GAYMARD, Bernard GÉRARD, Claude GOASGUEN, Jean-Pierre GORGES, Philippe GOSSELIN, Claude GREFF, Anne GROMMERCH, Henri GUAINO, Françoise GUÉGOT, Jean-Claude GUIBAL, Michel HEINRICH, Patrick HETZEL, Philippe HOUILLON, Laure de LA RAUDIÈRE, Charles de LA VERPILLIÈRE, Guillaume LARRIVÉ, Alain LEBOEUF, Isabelle LE CALLENNEC, Marc LE FUR, Philippe LE RAY, Céleste LETT, Véronique LOUWAGIE, Gilles LURTON, Dominique NACHURY, Yves NICOLIN, Jean-François MANCEL, Laurent MARCANGELI, Thierry MARIANI, Alain MARLEIX, Jean-Claude MIGNON, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Alain MOYNE-BRESSAND, Jacques MYARD, Jacques PÉLISSARD, Jean-Frédéric POISSON, Axel PONIATOWSKI, Jean-Luc REITZER, Arnaud ROBINET, Sophie ROHFRITSCH, François SCELLIER, Claudine SCHMID, Fernand SIRÉ, Thierry SOLÈRE, Éric STRAUMANN, Alain SUGUENOT, Jean-Charles TAUGOURDEAU, Patrice VERCHÈRE, Philippe VITEL et Laurent WAUQUIEZ,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La révision constitutionnelle du 1er mars 2005 a introduit dans la Constitution la Charte de l’environnement dont l’article 5 définit les modalités d’usage du principe de précaution :

« Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. » (1)

Si le principe de précaution constitue un cadre d’action pour les autorités publiques confrontées à la gestion d’un risque incertain, dans les domaines environnementaux et sanitaires, il suscite finalement certaines interrogations en raison d’une fétichisation qui pourrait s’avérer handicapante pour la croissance. Bien que le principe de précaution puisse apparaître comme une sorte de « neutralisation de l’action » visant à protéger nos concitoyens de l’incertitude liée aux limites du savoir et de la recherche scientifique, il reste que sa mise en œuvre, sous sa forme constitutionnelle, peut conduire à un blocage réel des activités des entreprises souvent par la délocalisation ou l’arrêt de nombreux programmes de recherche.

Il n’est nullement question ici de stigmatiser l’écologie, de l’opposer à l’environnement et de voir ce dernier comme un frein à la croissance.

Il n’est pas question non plus de déresponsabiliser les pouvoirs publics en charge de la santé et encore moins de minimiser les crises sanitaires qui ont pu ou peuvent encore frapper les populations. La prévention des risques est nécessaire puisqu’elle traite de phénomènes avérés pouvant entraîner des dommages réels sur lesquels nous devons être informés, préparés et même protégés par les autorités publiques.

Cependant, la valeur constitutionnelle du principe de précaution ne doit pas conduire à un essoufflement de la recherche pouvant mettre en péril la compétitivité des entreprises qui en ont besoin. Une société doit pouvoir oser, elle ne doit pas se donner des freins qui feraient obstacle à toute progression. Il s’agit de ne pas « sur-valoriser le doute » qui risquerait de bloquer l’innovation et le progrès scientifique.

Le rapport de la Commission sur la libération de la croissance française, présidée par M. Jacques Attali, soulignait, dans son développement relatif à l’article 5 de la Charte, qu’en vertu de celui-ci « l’administration est supposée être en mesure de suivre l’ensemble des recherches scientifiques, ce qui paraît peu réaliste. Ne pouvant le faire, l’administration recourra donc très souvent à l’interdiction, solution la plus certaine juridiquement, la plus confortable administrativement, et la plus pénalisante pour notre croissance ».

En effet, la prise de risque est un élément essentiel de notre compétitivité. Elle est au fondement de la R&D qui est elle-même un facteur de croissance pour notre économie. Faut-il rappeler que pour être compétitif, il est nécessaire d’avancer pour innover et que c’est souvent en s’engageant sur des voies que certains estiment folles et déraisonnées que se font les découvertes ? Dans la R&D si nous savons d’où nous partons, nous ne pouvons savoir avec exactitude quel en sera le résultat. Certaines découvertes sont dues à des erreurs, des inattentions et des maladresses.

Notre compétitivité dépend de notre capacité à avancer et des risques que nous saurons prendre. Un élément souligné par le rapport de Louis Gallois remis au Gouvernement le 5 novembre 2012. En effet, à la page 39 du « pacte pour la compétitivité de l’industrie française », il est indiqué que non seulement la curiosité dans notre pays s’estompe, mais, plus grave, « la notion même de progrès technique est trop souvent remise en cause à travers une interprétation extensive – sinon abusive – du principe de précaution et une description unilatérale des risques du progrès, et non plus de ses potentialités. » Il est ajouté que « le principe de précaution doit servir à la prévention ou à la réduction des risques, non à paralyser la recherche ; il doit, au contraire, la stimuler. Fuir le progrès technique parce qu’il présente des risques nous expose à un bien plus grand risque : celui du déclin, par rapport à des sociétés émergentes qui font avec dynamisme le choix du progrès technique et scientifique, tout en n’étant pas plus aveugles que nous sur les nécessaires précautions. »

En déconstitutionnalisant le principe de précaution, ce ne sont pas l’existence ni l’utilité de ce dernier que nous remettons en cause mais son positionnement dans la hiérarchie des normes en droit français puisqu’en tout état de cause, l’article 5 de la Charte de l’environnement est désormais un dispositif juridique à part entière.

Rappelons d’ailleurs que le droit européen empêche de le supprimer du droit français. (2) De plus, son inscription dans le code de l’environnement article L. 110-1, lui garantit aussi sa valeur législative dans le droit français. (3)

L’idée est donc uniquement de déconstitutionnaliser le principe de précaution pour éviter toute clause de quasi non-retour. En effet, réviser la Constitution dans notre pays est complexe (il faut passer par le Congrès du Parlement ou par référendum), ce qui lui permet de ne pas être trop souvent modifiée et de conserver ainsi un statut spécifique et sa primauté par rapport aux autres règles de droit. Ainsi, constitutionnaliser le principe de précaution revient à l’avoir pour ainsi dire inscrit dans le marbre quels que soient les développements ultérieurs du débat et de la science.

De plus, il est à remarquer que la révision constitutionnelle de 2008 a autorisé le principe de la saisine directe du Conseil Constitutionnel par les citoyens. Et en matière de principe de précaution, cette saisine directe a de quoi inquiéter. En effet, cette dernière pourrait faire de l’article 5, un moyen d’étendre l’usage du principe qui pourrait avoir pour effet de restreindre ou d’entraver certaines recherches contraires aux intérêts de groupes de pression.

Il n’est pas question pour nous de trancher en faveur ou non d’un camp, mais de défendre au nom de notre compétitivité internationale l’existence de la recherche et son droit à œuvrer librement à l’amélioration, en inventant et en innovant. Il nous faut retrouver une sorte de foi républicaine et d’optimisme vis-à-vis de la science, de la recherche et du progrès.

Rappelons que des procédures d’évaluation du risque s’imposent en permanence, par la recherche d’une meilleure connaissance à travers les études d’impact prévues par la loi sur la protection de la nature du 10 juillet 1976 ainsi que par le régime des autorisations préalables pour certaines activités polluantes. Les divers débats nationaux comme internationaux permettent de rassembler experts en tout genre aptes à ne pas alimenter la peur de nos concitoyens. Ainsi, de nombreux outils déjà existants permettent de donner sens au principe de précaution qui instaure une règle de prudence pragmatique pour s’interroger et se prémunir contre des risques éventuels. Il nous faut développer une recherche responsable afin de ne pas fuir le progrès technique. La société doit pouvoir oser, innover et progresser. Elle ne doit pas avoir à choisir entre principe de précaution et progrès, entre principe de précaution et compétitivité. Si en 2005, la constitutionnalisation du principe de précaution se justifiait pleinement, la crise qui depuis nous a frappés a rendu l’avenir beaucoup plus incertain et la compétitivité de plus en plus rude. Il est donc nécessaire de lever tout frein à la croissance. Oui donc au principe de précaution, mais non à sa consécration constitutionnelle, car empêcher ne doit pas être plus facile que progresser.

C’est pourquoi il est proposé d’ôter au principe de précaution sa portée constitutionnelle.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article unique

Le 16ème alinéa de l’article 2 de la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement est supprimé.

1 () Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1 mars 2005, loi constitutionnelle relative à la Charte de l’environnement.

2 () Dans le Traité instituant la Communauté européenne (version consolidée à Nice), à la troisième partie « Les politiques de la communauté », au titre XIX « Environnement », à l’article 174 – article 130 R du Traité CE (version consolidée Maastricht), il est indiqué que « La politique de la Communauté dans le domaine de l’environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de la Communauté. Elle est fondée sur les principes de précaution et d’action préventive. »

3 () Rappel de l’article L. 110-1 du code de l’environnement pour sa partie relative au principe de précaution (version modifiée par loi n° 2012-1460 du 27 décembre 2012 - art. 1) :

I. – Les espaces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, la qualité de l’air, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent font partie du patrimoine commun de la nation.

II. – Leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état et leur gestion sont d’intérêt général et concourent à l’objectif de développement durable […]. Elles s’inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants : 1° Le principe de précaution, selon lequel l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable ;


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