N° 1528
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 novembre 2013.
PROPOSITION DE LOI
visant à lutter contre le dumping social et la
concurrence déloyale dans le secteur du bâtiment,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Messieurs
Yves JÉGO, Thierry BENOIT, Stéphane DEMILLY, Yannick FAVENNEC, Philippe FOLLIOT, Édouard FRITCH, Meyer HABIB, Jean-Christophe LAGARDE, Maurice LEROY, Hervé MORIN, Rudy SALLES, François SAUVADET, Jonas TAHUAITU, François-Xavier VILLAIN et Michel ZUMKELLER,
députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les entreprises françaises du bâtiment sont confrontées à la concurrence d’entreprises établies dans l’Union européenne et au-delà, qui proposent des travaux à des tarifs très bas, au mépris de la réglementation sociale et fiscale applicable sur le territoire national (conditions de travail, salaires, etc.). Ce phénomène, initialement limité aux zones frontalières, s’est fortement amplifié au cours de ces derniers mois et touche désormais tous les artisans et entrepreneurs du territoire.
En parallèle de cette concurrence des entreprises « low cost » se développe une autre pratique : celle de sociétés d’intérim, aux contours juridiques extrêmement flous, qui inondent les entreprises françaises de bâtiment de propositions de main d’œuvre étrangère à des tarifs horaires largement en dessous du minimum légal.
Face à ces phénomènes, il est urgent d’agir. Si aucune action vigoureuse n’est entreprise, c’est tout l’appareil de production français du secteur du bâtiment qui se trouve menacé, avec de très lourdes conséquences en matière d’emploi et les pertes correspondantes pour les différents régimes – Sécurité sociale, assurance-chômage, fiscalité… – mais aussi en matière de formation professionnelle, dont l’outil est immanquablement affecté par la réduction de l’activité des entreprises françaises.
Afin de lutter efficacement contre le dumping social et la concurrence déloyale, cette proposition de loi avance plusieurs mesures préventives et répressives.
L’article 1er modifie le code du travail et vise à rendre obligatoire la carte d’identification professionnelle délivrée par les caisses de congés payés du BTP pour les salariés d’entreprises établies en France et hors de France, sur la base de la déclaration de détachement. Sécurisée et infalsifiable, cette carte constitue un outil de contrôle efficace et rapide pour les autorités chargées de vérifier la situation des salariés. Cette mesure devra être assortie d’une modification réglementaire à l’article R. 1263-5 alinéa 3 du code du travail, afin d’imposer au préalable la transmission de la liste des travailleurs détachés par l’Inspection du travail à la caisse de congés payés compétente, et de leur permettre ainsi d’établir les cartes pour les salariés concernés. Une seconde modification devra être effectuée à l’article R. 1263-3, pour instaurer la transmission par l’employeur au maître de l’ouvrage de la liste des travailleurs détachés.
De même, des dispositions devront être prises aux articles D. 8222-5 et D. 8222-7, pour ajouter aux vérifications prescrites lors de la conclusion d’un contrat de plus de 3 000 euros le contrôle de la déclaration de détachement et de l’affiliation à la caisse de congés payés compétente.
Ces mesures préventives doivent être complétées par des mesures répressives.
Il est ainsi proposé à l’article 2 de responsabiliser les maîtres d’ouvrages professionnels privés. Dans les contrats publics ou privés de la commande publique (code des marchés publics et ordonnance du 6 juin 2005), les candidats évincés du fait d’un défaut de publicité et de mise en concurrence peuvent exercer à l’encontre du maître de l’ouvrage un référé précontractuel ou un référé contractuel. Ces recours peuvent notamment viser le choix d’une offre anormalement basse du fait du non-respect des règles sociales. Ce type de recours n’est pas prévu pour les contrats privés. Le code de commerce doit prévoir qu’un maître d’ouvrage professionnel privé peut voir sa responsabilité civile engagée envers les candidats évincés, en cas d’attribution du marché à une entreprise ayant fait une offre anormalement basse en raison d’une violation de ses obligations sociales.
L’article 3 vise à étendre le devoir d’injonction du maître de l’ouvrage privé au cas d’irrégularité de l’entreprise avec laquelle il a contracté. Actuellement, l’article L. 8222-5 du code du travail impose au maître de l’ouvrage ou au donneur d’ordre de faire cesser la situation de travail dissimulé en cas d’irrégularité « d’un sous-traitant ou d’un subdélégataire ». En cas d’irrégularité de l’entreprise cocontractante du maître de l’ouvrage, l’information donnée par un agent de contrôle n’impose pas au maître de l’ouvrage d’adresser l’injonction prévue par l’article précité. Seules les personnes morales de droit public y sont tenues, en vertu de l’article L. 8222-6. Il est donc proposé d’étendre à cette situation le devoir d’injonction prévu par l’article L. 8222-5, qui s’applique à tout maître de l’ouvrage ou donneur d’ordres.
L’article 4 propose d’engager la responsabilité pénale du maître de l’ouvrage ou donneur d’ordre professionnel négligent. Les maîtres d’ouvrage, publics ou privés, doivent engager leur responsabilité pénale lorsqu’ils poursuivent en connaissance de cause pendant plus d’un mois l’exécution d’un contrat passé avec une entreprise en situation irrégulière au regard de ses obligations sociales. Une disposition spéciale en ce sens doit figurer dans un nouvel article du code du travail.
L’article 5 prévoit de donner la possibilité aux associations et syndicats professionnels de se constituer partie civile. Il convient de permettre aux associations ou syndicats professionnels chargés de la défense des intérêts collectifs des entreprises, et régulièrement déclarés depuis au moins cinq ans à la date des faits, de se porter partie civile en cas de travail illégal de nature à fausser la concurrence. Dans ce but, il est nécessaire de compléter les dispositions du code de procédure pénale.
PROPOSITION DE LOI
Le livre II de la huitième partie du code du travail est ainsi modifié :
1° Le chapitre Ier du titre II est ainsi modifié :
a) L’article L. 8221-5 est complété par un 4° ainsi rédigé :
« 4° Pour toute entreprise établie hors de France et y détachant temporairement des salariés, de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article R. 1263-3. »
b) La section 5 est ainsi rédigée :
« Section 5
« Dispositions particulières aux professions du bâtiment
et des travaux publics
« Art. L. 8221-7-1. – Dans les entreprises visées aux articles D. 3141-12 et D. 3141-14, une carte d’identification nominative est établie par la caisse et adressée à l’entreprise pour tout salarié déclaré ou détaché temporairement par une entreprise non établie en France.
« Cette carte est remise par l’entreprise à chaque salarié concerné, qui doit la présenter, sur demande, aux agents de contrôle mentionnés à l’article L. 8271-1-2. »
c) Il est ajouté une section 6 ainsi rédigée :
« Section 6
« Dispositions d’application
« Art. L. 8221-8. – Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application des dispositions du présent chapitre. »
2° L’article L. 8271-9 est complété par un 4° et un 5° ainsi rédigés :
« 4° Pour les entreprises établies hors de France et y détachant temporairement des salariés, la déclaration mentionnée à l’article R. 1263-3 ;
« 5° Pour les entreprises relevant de l’article D. 3141-12, la carte d’identification prévue à l’article L. 8221-7-1. »
Le I de l’article L. 442-6 du code de commerce est complété par un 14° ainsi rédigé :
« 14° D’attribuer après mise en concurrence un marché à une entreprise dont l’offre est anormalement basse en conséquence d’une violation de ses obligations sociales. Les entreprises concurrentes qui avaient une chance très sérieuse d’être retenues peuvent réclamer la perte subie et le manque à gagner. »
Au premier alinéa de l’article L. 8222-5 du code du travail, après le mot : « intervention », sont insérés les mots : « du cocontractant, ».
Après l’article L. 8224-6 du code du travail, il est inséré un article L. 8224-7 ainsi rédigé :
« Art. L. 8224-7. – Tout maître d’ouvrage ou donneur d’ordre professionnel qui, après avoir été informé par écrit dans les conditions prévues par l’article L. 8222-5, poursuit l’exécution du contrat pendant plus d’un mois et adresse un paiement à l’entreprise dont la situation irrégulière n’a pas cessé, est puni de trois ans d’emprisonnement et d’une amende de 45 000 €. »
Après l’article 2-21 du code de procédure pénale, il est inséré un article 2-21-1 ainsi rédigé :
« Art. 2-21-1. – Toute association ou syndicat professionnel régulièrement déclaré depuis au moins cinq ans à la date des faits et dont l’objet statutaire comporte la défense des intérêts collectifs des entreprises peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions définies dans le livre deuxième de la huitième partie du code du travail même si l’action publique n’a pas été mise en mouvement par le ministère public ou la partie lésée. »
Les charges qui pourraient résulter de l’application de la présente loi pour les organismes sociaux sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à la taxe prévue à l’article 266 sexies du code des douanes.