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N° 2137

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 juillet 2014.

PROPOSITION DE LOI

autorisant l’ouverture des commerces la nuit
dans des zones touristiques d’affluence exceptionnelle
ou d’animation culturelle permanente,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Pierre LELLOUCHE,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’attractivité de la France justifie que dans ses zones les plus fréquentées, résidents et visiteurs puissent avoir à leur disposition des commerces dont l’ouverture bénéficie d’une amplitude horaire adaptée à leur demande et dont les retombées seront bénéfiques pour l’activité économique et pour l’emploi.

En 2013, Paris et sa région figurent une fois de plus en première place des destinations touristiques mondiales, avec 32,3 millions d’arrivées hôtelières. La fréquentation de la capitale a d’ailleurs connu une hausse de 8,2 % par rapport à 2012.

Quelle n’est pas alors la surprise du touriste habitué des grandes métropoles, lorsqu’il constate que, même dans les zones à très forte fréquentation, les rideaux des commerces sont tous baissés à partir de 21 heures ? Quelle perte pour l’activité commerciale, quel coup porté à l’attractivité de notre capitale.

À l’heure où le ministre des affaires étrangères, M. Laurent Fabius, revendique de contrôler et le commerce extérieur et le tourisme, qu’il indique que l’augmentation du tourisme chinois en France viendrait réduire de moitié le déficit commercial (26 milliards d’euros !) de la France avec la Chine, il est paradoxal que le gouvernement, pour des raisons idéologiques, s’oppose à toute extension du travail le dimanche ou la nuit dans des zones à haute densité touristique.

Le Conseil constitutionnel a refusé le 4 avril 2014 de remettre en cause le droit encadrant le travail de nuit en rejetant la demande de la société Sephora formulée au nom de la liberté d’entreprendre et qui aurait eu des conséquences positives sur le dynamisme de notre territoire, ainsi que sur l’emploi. Sephora réalisait plus de 20 % de son chiffre d’affaires après 21 heures.

Il ressort de la décision du Conseil constitutionnel que la législation en vigueur était « manifestement déséquilibrée » entre deux principes de valeur constitutionnelle : la liberté d’entreprendre et la protection de la santé, ce dernier principe étant énoncé par les dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Elle reconnait néanmoins au législateur la faculté de définir un nouvel équilibre entre ces deux droits fondamentaux, c’est l’objet de la présente proposition de loi.

Sur l’avenue des Champs-Élysées, fréquentée par une large clientèle, française et étrangère, les commerces étaient ouverts jusqu’à minuit en semaine et jusqu’à une heure du matin le week-end. Cette ouverture correspondait aussi aux attentes des cadres et autres employés qui pouvaient alors effectuer leurs achats après une journée de travail sans trouver porte close. Les enseignes des Champs-Élysées réalisaient près de 30 % de leurs chiffres d’affaires dans ce créneau horaire. Pour ce type d’établissements, l’ouverture après 21 h est donc un impératif commercial.

La condamnation de Sephora par la Cour d’appel de Paris du 23 septembre 2013 n’est qu’un exemple parmi tant d’autres de situations de blocages symptomatiques d’un mal français qui, au nom de la protection des droits des travailleurs, paralyse toute activité commerciale la nuit, en dépit d’arguments économiques évidents, de la prise en compte de l’évolution de la société et de l’activité professionnelle des Parisiens, et de la volonté des salariés concernés. Il est d’ailleurs significatif que dans le cas Sephora, le « Comité de liaison intersyndical du commerce parisien » (Clic-P) ait vu son action contestée par les salariés eux-mêmes qui ont fait valoir que cette intersyndicale ne les avait pas consultés et n’avait jamais été présente dans l’établissement.

La justice aujourd’hui peut donc demander la fermeture d’un commerce la nuit au regard du droit du travail, considérant que son ouverture après 21 h n’est pas motivée.

L’article L. 3122-32 du code du travail dispose en effet que « le recours au travail de nuit est exceptionnel. Il prend en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et est justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale ».

De nombreuses enseignes souhaitant rester ouvertes plus tard le soir sont situées dans des zones touristiques caractérisées par une affluence exceptionnelle ou une animation culturelle permanente. Leur demande s’inscrit bien dans une logique de continuité de l’activité économique, dans la mesure où elles savent pouvoir créer de la valeur ajoutée en élargissant leurs horaires d’ouverture.

Ces commerces veulent également pouvoir s’adapter à la concurrence commerciale qui existe sur internet et où les achats sont permis 24h/24. En 2013, les ventes sur internet ont atteint un montant de 51,1 milliards d’euros, soit une hausse de 13,5 %, après avoir déjà progressé de 19 % en 2012 et de 22 % en 2011. Au total les Français ont réalisé plus de 600 millions de transactions en ligne sur l’année.

Ces commerces veulent aussi répondre à la demande d’une clientèle de fidèles résidents parisiens dont l’activité professionnelle est en décalage avec les horaires d’ouvertures de ces enseignes.

Cette rigidité du droit du travail est peu comprise à l’étranger où de nombreux commerces ouvrent la nuit, notamment dans les capitales et les villes à forte attractivité touristique. La France se prive d’opportunités économiques majeures alors qu’elle est une destination touristique de premier plan.

Il faut souligner enfin que l’assouplissement de l’ouverture nocturne des commerces serait fortement créateur d’emplois. Cette dimension ne peut être négligée dans une période où la France souffre d’un taux de chômage très élevé et d’une faible compétitivité.

Ainsi, il convient d’autoriser les commerces qui le souhaitent à demeurer ouverts tard le soir dans le respect, bien sûr, des droits du salarié et de son libre consentement. C’est pourquoi il est important que le travail de nuit fasse l’objet d’un accord préalable entre employeur et salarié, et qu’il se fonde sur le volontariat.

Il s’agirait d’une mesure salutaire sur le plan économique.

Tel est l’objet de cette proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Après l’article L. 3122-32 du code du travail, il est inséré un article L. 3122-32-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 3122-32-1. – Par dérogation à l’article L. 3122-32, les établissements de vente au détail peuvent être autorisés à avoir recours au travail de nuit, dès lors qu’ils sont situés dans des zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente. Le périmètre de ces zones est établi par le préfet sur proposition du maire, après avis du comité départemental du tourisme, des syndicats d’employeur et de salariés intéressés, ainsi que des communautés de communes, d’agglomération, des métropoles et des communautés urbaines, lorsqu’elles existent.

« Le recours au travail de nuit dans le cadre de la dérogation prévue à l’alinéa précédent prend en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs.

« Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application du présent article, et notamment l’amplitude maximale des horaires d’ouverture de ces établissements. »

Article 2

À la fin du second alinéa de l’article L. 3122-33 du même code, la référence : « à l’article L. 3122-32 » est remplacée par les références : « aux articles L. 3122-32 et L. 3122-32-1 ».

Article 3

Après l’article L. 3122-36 du même code, il est inséré un article L. 3122-36-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 3122-36-1. – Par dérogation aux dispositions des articles L. 3122-33 et L. 3122-36, les autorisations prévues à l’article L. 3122-32-1 peuvent être accordées, à défaut d’un accord collectif, par une décision unilatérale de l’employeur prise après avis du comité d’entreprise ou des délégués du personnel, lorsqu’ils existent, et approuvée par référendum organisé auprès de l’ensemble des salariés. La décision de l’employeur approuvée par référendum fixe les contreparties accordées aux salariés travaillant la nuit, ainsi que les engagements pris en termes d’emploi ou en faveur de certains publics en difficulté ou de personnes handicapées.

« Tout accord collectif régulièrement négocié postérieurement à la décision unilatérale prise sur le fondement de l’alinéa précédent s’applique dès sa signature en lieu et place des contreparties prévues par cette décision. »

Article 4

Après l’article L. 3122-39 du même code, sont insérés deux articles L. 3122-39-1 et L. 3122-39-2 ainsi rédigés :

« Art. L. 3122-39-1. – Dans les établissements de vente au détail définis à l’article L. 3122-32-1, un complément de rémunération au moins égal à 30 % de la rémunération normalement due pour une durée équivalente est obligatoirement dû.

« Art. L. 3122-39-2. – Seuls les salariés volontaires ayant donné leur accord à leur employeur peuvent travailler la nuit sur le fondement de l’autorisation prévue à l’article L. 3122-32-1. Une entreprise bénéficiaire d’une telle autorisation ne peut prendre en considération le refus d’une personne de travailler la nuit pour refuser de l’embaucher. Le salarié d’une entreprise bénéficiaire d’une telle autorisation qui refuse de travailler la nuit ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail. Le refus de travailler la nuit pour un salarié d’une entreprise bénéficiaire d’une telle autorisation ne constitue pas une faute ou un motif de licenciement.

« L’accord collectif prévu à l’article L. 3122-33 fixe les conditions dans lesquelles l’employeur prend en compte l’évolution de la situation personnelle des salariés travaillant la nuit.

« À défaut d’accord collectif applicable, l’employeur demande chaque année à tout salarié qui travaille la nuit s’il souhaite bénéficier d’une priorité pour occuper ou reprendre un emploi ressortissant à sa catégorie professionnelle ou un emploi équivalent ne comportant pas de travail de nuit dans le même établissement ou, à défaut, dans la même entreprise. L’employeur l’informe également, à cette occasion, de sa faculté de ne plus travailler la nuit s’il ne le souhaite plus. En pareil cas, le refus du salarié prend effet trois mois après sa notification écrite à l’employeur.

« En outre, le salarié qui travaille la nuit peut à tout moment demander à bénéficier de la priorité définie à l’alinéa précédent. »


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